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2 avril 2016 6 02 /04 /avril /2016 06:35

« L’Europe a besoin d’un nouvel élan politique. Elle a besoin d’une étape visible vers l’Union Européenne. Je pose la question : n’est-il pas enfin temps pour un traité sur l’Union Européenne ? » (Hans-Dietrich Genscher, le 6 janvier 1981 à Stuttgart).


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L’ancien chef de la diplomatie allemande Hans-Dietrich Genscher est mort dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2016 à Wachtberg-Pech (près de Bonn) où il résidait. Il avait fêté ses 89 ans le 21 mars dernier. Ministre à la longévité très rare (vingt-trois ans sous trois Chanceliers : Willy Brandt, Helmut Schmidt et Helmut Kohl), il a marqué l’histoire de l’Allemagne, ou plutôt, l’histoire des Allemagne, par une obsession du dialogue entre l’Est et l’Ouest (dès les années 1970) contre la volonté des États-Unis.

Jamais au premier poste à cause de son appartenance politique (un petit parti de coalition), pas de certitude fulgurante à la De Gaulle ou à la Helmut Kohl, mais une maîtrise des dossiers et une efficacité dans l’avancement des causes qu’il défendait. Il incarnait la diplomatie allemande comme Boutros Boutros-Ghali incarnait la diplomatie égyptienne ou même Andrei Gromyko incarnait la diplomatie soviétique.


Un Est-Allemand émigrant à l’Ouest

Né en Allemagne de l’Est (le 21 mars 1927 à Reideburg, près de Halle), Hans-Dietrich Genscher fit partie des dernières troupes dans la bataille désespérée de Berlin en 1945. Il a fait des études de droit à Halle, à Leipzig (puis à Hambourg) pour devenir avocat. Il s’engagea en 1946 au sein d’un petit parti représentant les professions libérales en RDA (République démocratique d’Allemagne, Allemagne de l’Est), alibi au faux multipartisme proclamé par le SED (le parti communiste est-allemand). En 1952 (après trois ans à se faire soigner d’une tuberculose), Hans-Dietrich Genscher a compris qu’il n’aurait aucune indépendance politique et décida de fuir l’Allemagne de l’Est et de s’installer à Brême (il avait alors 25 ans).

Engagé au sein du parti centriste FDP (libéral démocrate), Hans-Dietrich Genscher fut rapidement remarqué et épaulé par Thomas Dehler, l’un des fondateurs du FDP le 11 décembre 1948, ancien Ministre de la Justice (n’appréciant pas beaucoup Konrad Adenauer) et président du FDP et du groupe FDP au Bundestag, qui l’incita à travailler au sein du groupe parlementaire dès 1956. Il fut ensuite élu député au Bundestag le 19 septembre 1965. Il a atteint alors rapidement la direction du parti, élu vice-président du FDP le 31 janvier 1968 et s’illustra comme le leader de l’opposition face au gouvernement de la grande coalition CDU-SPD.


Un ministre incontournable du FDP

Après les élections du 28 septembre 1969, Willy Brandt dirigea le premier gouvernement SPD de l’histoire de l’Allemagne fédérale et avait besoin d’une alliance avec le FDP. Ce fut donc logique que Hans-Dietrich Genscher fût nommé ministre. Il voulait les Finances et finalement, il fut nommé Ministre de l’Intérieur du 22 octobre 1969 au 16 mai 1974. Sous son mandat eurent lieu en particulier l’attentat contre l’équipe israélienne aux Jeux Olympiques de Munich le 5 septembre 1972 (17 morts) et le détournement du vol Lufthansa 615 le 29 octobre 1972.

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Le journaliste Luc Rosenzweig a décrit le jeune ministre qu’il était alors : « Cette fonction, occupée aux heures les plus sombres du terrorisme de la Fraction armée rouge, lui permit de faire reconnaître ses qualités de sang-froid et son habileté à maîtriser les dossiers les plus délicats. C’est en cette qualité qu’il fut le premier ministre ouest-allemand à se rendre en Chine. » ("Le Monde" du 1er avril 2016). Il fut aussi le premier ministre "occidental" à être allé en 1984 à Téhéran depuis la Révolution iranienne.

À la suite de la démission de Willy Brandt le 7 mai 1974, Helmut Schmidt lui succéda. Hans-Dietrich Genscher fut nommé Vice-Chancelier fédéral et Ministre des Affaires étrangères le 16 mai 1974 pour reprendre la succession de Walter Scheel (aujourd’hui 96 ans et demi), qui était alors à ce poste depuis le 22 octobre 1969 et le président de la FDP du 31 janvier 1968 au 1er juillet 1974. Élu le 15 mai 1974 à la Présidence de la République fédérale d’Allemagne, Walter Scheel a exercé son mandat à la magistrature suprême du 1er juillet 1974 au 30 juin 1979. Hans-Dietrich Genscher conquit également la présidence du FDP le 1er octobre 1974.


À la tête de la diplomatie allemande

Ainsi a commencé exactement dix-huit années à la tête de la diplomatie allemande où il a cherché à consolider les politiques des chanceliers qu’il a servis, d’abord Helmut Schmidt puis Helmut Kohl. Le 17 septembre 1982, il provoqua une crise dans la coalition entre SPD et FDP en démissionnant et en s’alliant avec la CDU, Il reprit ses responsabilités ministérielles le 4 octobre 1982 …dans un gouvernement dirigé par le principal opposant, Helmut Kohl, au sein d’une nouvelle coalition CDU-FDP, alliance qui fut approuvée au cours des élections fédérales anticipées du 6 mars 1983 (voir mon article sur Helmut Schmidt).

Les adhérents du FDP étaient majoritairement hostile à ce changement d’alliance considérée comme une trahison contre Helmut Schmidt. Hans-Dietrich Genscher a dû quitter la présidence du FDP le 23 février 1985 pour la laisser à Martin Bangemann. Malgré cette impopularité, il a pu remonter dans l’estime populaire avec le délitement du Bloc communiste.

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Pendant toutes ses années au pouvoir, Hans-Dietrich Genscher milita inlassablement pour la construction européenne et son axe essentiel qu’est l’amitié franco-allemande (il parlait français et le faisait savoir à ses amis français, rappelant qu’il avait fait son service militaire à Thionville, à l’époque sur territoire allemand).

Il proposa dès le 6 janvier 1981 à Stuttgart, avec son homologue Emilio Colombo qui a repris les mêmes idées le 28 janvier 1981 à Florence, un renforcement des politiques européennes communes au sein de la Communauté Européenne, notamment sur une politique étrangère commune, une coopération culturelle et aussi une coopération dans la lutte contre le terrorisme : « Il y a enfin un quatrième terrain vierge que nous souhaiterions voir défricher, je veux parler de la coopération européenne dans le domaine de la sécurité intérieure et, plus particulièrement, de la lutte contre la criminalité et le terrorisme internationaux. (…) Rien ne saurait en effet rendre l’Europe plus tangible et plus sensible à ses citoyens, dans leur vie de tous les jours, qu’une telle mesure. » (discours du 19 novembre 1981).

Ce plan Genscher-Colombo, dit "Acte Européen", fut transmis le 6 novembre 1981 à tous les États membres de la Communauté Européenne. Ce projet fut même présenté au Conseil européen de Londres des 26 et 27 novembre 1981 et cela a abouti à la déclaration de Stuttgart lors du Conseil européen de Stuttgart des 17 au 19 juin 1983 qui indiquait la volonté commune de relancer la construction européenne.

Favorable à la réunification des deux Allemagne, soucieux du rapprochement entre l’Est et l’Ouest, il poursuivit une Ostpolitik amorcée sous Willy Brandt par un dialogue diplomatique entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Unions Soviétique. Grâce à cette politique de "détente", les Accords d’Helsinki furent signés le 1er août 1975 par trente-cinq États dont les États-Unis, l’URSS et les États européens. Ces accords furent la base légale de dissidence d’opposants soviétiques comme Andrei Sakharov ou Alexandre Soljenitsyne.

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Dès l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au Kremlin, Hans-Dietrich Genscher affirma "y croire" et proposa aux autres chancelleries de le "prendre au mot" dans ses promesses de glasnost et de perestroïka. S’il a été d’une grande loyauté avec les États-Unis lors de la crise des euromissiles en 1983 (pour faire face à la menace des SS20 soviétiques), il se fit reprocher par les Américains son refus de moderniser les missiles Pershing lors du sommet de l’OTAN du 30 mai 1989 à Bruxelles.

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Pendant l’été 1989, Hans-Dietrich Genscher négocia tant avec l’Allemagne de l’Est que l’Union Soviétique et les autres pays satellites pour permettre aux Allemands de l’Est de se rendre en Allemagne de l’Ouest. Cela a abouti à la chute du mur de Berlin et à la Réunification allemande initiée par Helmut Kohl. Il fut ainsi le premier Ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne réunifiée. Il signa un traité avec la Pologne pour reconnaître la ligne Oder-Neisse comme frontière germano-polonaise, et poussa à la reconnaissance par l’Allemagne de l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie.


La retraite

Le 18 mai 1992, Hans-Dietrich Genscher quitta le gouvernement allemande pour des raisons de santé (il avait eu deux crises cardiaques) et pour prendre sa retraite (décision annoncée dès le 27 avril 1992). Il est resté député jusqu’en 1994. Son nom avait été cité pour la succession de Jacques Delors à la Présidence de la Commission Européenne en janvier 1995, en raison de sa stature internationale et diplomatique, réputé pour son volontarisme européenne et son indépendance vis-à-vis des États-Unis.

Pendant sa retraite, il apporta quelquefois son analyse politique aux événements, notamment concernant les relations entre l’Europe et la Russie (il s’est impliqué dans la libération par Vladimir Poutine du prisonnier politique et milliardaire Mikhaïl Khodorkovski) et bien sûr, concernant la construction européenne.

Parmi les biographies qui peuvent mieux faire connaître et comprendre l’action de Hans-Dietrich Genscher dans l’Allemagne des années 1970 et 1980, il y a ses propres Mémoires et aussi la biographie de Hans-Dieter Heumann à la limite entre histoire, politique et diplomatie, sortie en 2011.


Une vision historique de la construction européenne

Pour terminer cette courte évocation de l’homme, je reviens à l’année 1981 et à la présentation du plant Genscher-Colombo.

Voici ce que Hans-Dietrich Genscher avait déclaré dans l’enceinte du Parlement Européen le 19 novembre 1981 (la séance avait été présidée par Simone Veil) : « Les problèmes économiques auxquels nous sommes confrontés mettent en cause les fondements économiques mêmes de nos démocraties et de la Communauté Européenne. Pourtant, il ne faut pas que nous concentrions exclusivement nos efforts sur les questions économiques. Il faut au contraire que nous dirigions nos regards vers l’objectif plus global de l’Union politique de l’Europe. Car c’est bien dans cet objectif que nous puiserons la force nécessaire pour agir de façon solidaire et pour prendre les décisions qui s’imposent dans le domaine économique, et qui ne devront pas être du rapiéçage, mais de véritables solutions d’avenir, c’est-à-dire des décisions qui ne seront pas uniquement le fruit d’un égoïsme national, auquel aucun d’entre nous, mon pays pas plus que les autres, n’échappe complètement, mais qui constitueront un moteur pour sortir de la crise et ouvrir une voie nouvelle. À la bas de tout ce que nous avons réussi à construire en Europe, il y avait une volonté d’arriver à une Europe unie. (…) Il est donc urgent de raviver notre conscience politique. L’objectif primordial de l’Union Européenne doit revenir au centre des discussions dans les institutions et dans l’opinion publique européennes. ».

Avec vingt années d’avance, il avait même osé évoquer une constitution européenne dans son discours à Brême le 12 décembre 1981 : « Il serait très encourageant, dans la perspective de la prochaine campagne électorale pour les élections européennes de 1984, que le Parlement [Européen] présente dès maintenant un projet de constitution européenne. ».

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Dans un autre discours au Parlement Européen, prononcé le 14 octobre 1982, il remettait en cause la règle de l’unanimité et le compromis de Luxembourg : « Personne ne saurait nier l’existence d’intérêts vitaux, car la Communauté intervient nécessairement dans des domaines affectant les intérêts nationaux. Seulement, le fait d’invoquer ces intérêts ne doit pas entraîner le blocage du processus décisionnel. ». Il avait pointé du doigt le délicat problème de la gouvernance européenne, à l’époque avec seulement dix pays et pas les vingt-huit d’aujourd’hui.

Et il concluait ainsi : « Je ne me lasserai pas de souligner qu’il convient de ne pas perdre de vue les perspectives de l’Union Européenne, non pas malgré les problèmes économiques actuels, mais précisément en raison de ces problèmes. (…) Je crains que seule une longue période de sacrifices permette de nous rapprocher de la solution des problèmes économiques que nous rencontrons tant à l’échelon national que communautaire. Il n’y a pas de raccourci dans cette voie que nous devons suivre dans un monde trouble et en profonde mutation. Pour expliquer à nos concitoyens qu’il est nécessaire de nous engager dans cette voie, il faut cependant que l’Europe ne se limite pas à des perspectives économiques. Nous voulons une Europe qui soit une entité capable d’agir sur les plans politique et économique. Nous voulons une Europe qui œuvre pour la paix et l’équilibre dans le monde. Nous voulons une Europe qui, grâce à l’action concertée de ceux qui partagent nos sentiments, diffuse les idéaux de la démocratie et des droits de l’Homme. Telles sont les perspectives dans lesquelles nous voulons construire notre Europe. » (14 octobre 1982).

Cela paraît clair que les paroles de Hans-Dietrich Genscher sont encore d’une brûlante actualité, plus de trois décennies passées. Que l’Europe rende hommage à l’un de ses grands visionnaires !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 avril 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La Réunification de l’Allemagne.
L’amitié franco-allemande.
Valéry Giscard d’Estaing.
Jimmy Carter.
Helmut Schmidt.
Helmut Kohl.
Hans-Dietrich Genscher.
Jacques Delors.
Angela Merkel.
Joachim Glauck.
Angela Merkel et François Hollande à Strasbourg.
Martin Schulz.
Jean-Claude Juncker.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160331-hans-dietrich-genscher.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/hans-dietrich-genscher-europeen-et-179539

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/04/02/33603350.html

 

 

 

 

 

 

 

 

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