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22 janvier 2017 7 22 /01 /janvier /2017 03:04

« Viens m’aider à aider ! »


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Il y a eu, en France, 454 personnes sans domicile fixe qui sont mortes dans la rue en 2016. C'est un scandale... À Paris, le 22 janvier 2007, il y a dix ans, Henri Grouès est mort à 94 ans. Il était plus connu sous un autre nom, l’abbé Pierre. Personnalité préférée des Français pendant une vingtaine d’années à la fin du siècle dernier, il représentait toute la complexité française, à la fois anticléricale et portant aux nues un homme d’église, à la fois grincheuse et généreuse. Ce n’est pas un hasard si l’abbé Pierre avait été rejoint par une personnalité très différente de lui mais qui avait compris que l’urgent était d’aider les plus pauvres, ceux qui n’avaient plus de domicile, plus assez de quoi vivre, de quoi se loger, de quoi se nourrir : Coluche, créateur des Restos du cœur, lui-même auteur d’un appel radiophonique, le 26 septembre 1985.

Roland Barthes l’avait comparé en 1957 à saint François d’Assise. La nouvelle de sa disparition en début de la campagne présidentielle de 2007 avait provoqué une véritable surenchère d’hommages. Ils étaient mérités et avec le recul du temps, l’abbé Pierre, là où il est, peut franchement être heureux de ne pas avoir été inutile durant sa longue existence. Ses combats contre la pauvreté ont été repris par d’autres, moins connus, plus anonymes, mais tout aussi efficaces.

Certes, on pourra dire que ces combats de charité, issus d’initiatives collectives mais privées, sont nécessaires en raison d’une véritable carence des pouvoirs publics. La vague de froid qui s’est "abattue" sur la France la semaine qui vient de passer, pas si exceptionnelle si l’on songe qu’en hiver, c’est "normal" qu’il fasse froid, a montré l’extrême précarité de milliers de personnes qui passent les nuits glaciales hors d’une chambre, hors d’un endroit chauffé.

On peut encore mourir de froid en France en 2017 et ce fait est insupportable. Lorsqu’elle était Ministre du Logement, il y a un peu moins de dix ans, Christine Boutin avait d’ailleurs posé la question : faut-il obliger ceux qui n’ont pas d’abri à être abrités, au risque de les forcer contre leur volonté, ou faut-il préserver leur liberté lorsqu’ils ne veulent pas bénéficier de place dans un centre d’accueil, quand il y en a ? Il n’y a pas de réponse satisfaisante mais pour pouvoir se poser la question, il faut d’abord qu’il y ait suffisamment de places pour tous ceux qui dorment dehors, et je crois malheureusement qu’on est encore loin du compte.

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Certains ont même la mauvaise foi d’accuser l’arrivée des réfugiés (pas si massive que cela en France), pour lesquels on trouve miraculeusement des centres d’accueil, au détriment des "pauvres" bien français. La préférence nationale en matière de lutte contre la pauvreté est d’ailleurs une fumisterie totale : il faut sauver toute personne en danger, quelle qu’elle soit, et personne ne s’aviserait à demander la carte d’identité à une personne tombée à l’eau et qui risquerait de se noyer. En hiver 1954, quand l’abbé Pierre avait tant bousculé les consciences après son appel radiophonique, il n’y avait pas autant d’immigration, pas de réfugiés, et pourtant, il y avait la pauvreté dans les villes.

Résistant dans le Vercors, député MRP de Nancy à 33 ans, de 1945 à 1951, l’abbé Pierre était avant tout un engagé dans l’humanité et dans l’humilité, pour ne pas dire un enragé de la vie. Sa principale initiative fut la création en novembre 1949 à Neuilly-Plaisance du Mouvement Emmaüs, du nom d’un village palestinien proche de Jérusalem, évoqué dans l’Évangile selon saint Luc (chapitre 24, versets 13 à 35). Grâce à son indemnité parlementaire, il avait réussi à acquérir une maison pour accueillir des exclus et des personnes en attente de reconstruction personnelle.

L’idée de ce mouvement (« une espèce de carburant social à base de récupération d’hommes broyés » selon la belle formule d’Albine Novarino), c’est de faire venir des personnes qui ont tout perdu et de les amener à en aider d’autres, qui ont aussi tout perdu. Aider à aider : « Je ne peux pas t’aider, je n’ai rien à te donner. Mais toi, tu peux m’aider à aider les autres. ». Passer du statut du rescapé à celui du sauveur, c’est se rendre utile, c’est être reconnu dans sa dignité humaine. C’est aussi hyper-volontariste, c’est croire que le monde ne peut changer que si l’on décide de le changer soi-même. C’est avec cette même philosophique que le père Guy Gilbert a aussi agi de son côté.

Pour financer leurs activités, notamment la construction de logements, toutes ces personnes d’Emmaüs font de la récupération d’objets d’occasion, des meubles, des vêtements, des livres, des jouets, toutes sortes d’objets, pour les revendre dans des centres Emmaüs. Il y a beaucoup dans la région parisienne (j’ai pu visiter celui des Ulis ou de Bougival, l’un des plus gros).

Le candidat LR François Fillon a même visité un centre Emmaüs le 3 janvier 2017 dans le 19e arrondissement de Paris, parce qu’il sait que la lutte contre la pauvreté est un élément majeur pour un candidat qui souhaite prôner l’intérêt général et que le système actuel engendre bien trop de précarité et de pauvreté pour accepter de ne rien faire.

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Aujourd’hui, une quarantaine de pays accueillent des communautés Emmaüs sur ce principe, faisant travailler cinq mille compagnons dans le monde. Grâce à l’abbé Pierre, ces communautés lui survivent.

Ce fut lors d’un naufrage sur le Rio de la Plata, entre l’Argentine et l’Uruguay, le 11 juillet 1963, qu’il a pris conscience que sa personne était le seul lien entre les communautés dans le monde. Il avait alors échappé à la mort : « Cette mort manquée a été dans ma vie personnelle sûrement un moment comparable en importance à celui de l’entrée chez les capucins et à celui des nuits de mendicité (…). Mais ce fut aussi le déclenchement d’un tournant majeur dans l’histoire, l’avenir du mouvement Emmaüs. ». Il a donc travaillé plusieurs années pour créer Emmaüs International pour qu’il ne fût plus indispensable à la continuation de ce grand élan. C’est cette organisation d’ailleurs qui est le légataire universel de l’abbé Pierre. Quelques années avant ce naufrage, il avait été rescapé en Inde de l’atterrissage en urgence de son avion au moteur en panne.

Refusant honneurs et responsabilités hiérarchiques au sein de l’Église catholique et préservant sa liberté de parole, l’abbé Pierre a rencontré personnellement, durant sa longue existence, des personnages historiques exceptionnels, en particulier De Gaulle en 1944 à Alger, le père Pierre Teilhard de Chardin en 1945 chez lui, Albert Einstein en 1948 à l’Université de Princeton, Dwight Einsenhower en 1955 à la Maison-Blanche, Indira Gandhi en 1956 et 1971, et évidemment plusieurs papes (notamment Jean XXIII et Jean-Paul II) et de nombreuses personnalités politiques françaises (dont Jacques Chirac).

Merci à l’abbé Pierre, visionnaire, volontaire, déplaceur de montagnes, dont l’appel du 1er février 1954 n’a hélas toujours pas vieilli : « Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! (…) Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couverture, paille, soupe (…) [avec] ces simples mots : "Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici, on t’aime !" ».

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Et de rajouter : « La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. ».

Que le souvenir de l’abbé Pierre soit encore assez fort pour interpeller en 2017 chaque candidat à l’élection présidentielle sur cette question essentielle de la solidarité ! Une société qui ne vient pas en aide à ses membres les plus fragiles est une société sans âme et sans cœur.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Viens m’aider à aider !
Le pape François, une vie d’espérance.
Coluche.
Hommage à l'abbé Pierre.
Mère Teresa.
Sœurs de Saint-Charles.
Père Gilbert.
Frère Roger.
Concile Vatican II.
Jean XXIII.
Paul VI.
Jean-Paul II.
Benoît XVI.
Monseigneur Romero.
Sœur Emmanuelle.
Le dalaï-lama.
Jean-Marie Vianney.
Jean-Marie Lustiger.
Albert Decourtray.
Le Pardon.
La Passion.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170122-abbe-pierre.html

http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/l-abbe-pierre-une-existence-188729

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/21/34818943.html


 

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