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16 juillet 2022 6 16 /07 /juillet /2022 06:12

« Je ne pourrai jamais plus évoquer Sevrais sans le voir avec votre visage et avec votre silhouette. » (Henry de Montherlant).



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Cette phrase de Montherlant adressée au jeune acteur date de 1964. Patrick Dewaere, qui s’est suicidé il y a quarante ans, le 16 juillet 1982 à Paris, venait de jouer le rôle d’André Sevrais  au Théâtre des Mathurins dans une troisième pièce de Montherlant, "La Ville dont le prince est un enfant" (après "Fils de personne" et "L’Embroc" ; le premier acte était en fait joué en lever de rideau de "Fils de personne"). À l’époque, il n’avait que 16 ans et était déjà un comédien confirmé.

Né à Saint-Brieuc il y a soixante-quinze ans, le 26 janvier 1947 dans une famille d’artistes, Patrick Dewaere est tombé dans la marmite du théâtre, de la télévision et du cinéma tout petit, figurant déjà à l’âge de 4 ans dans un film d’Henri Diamant-Berger, et même à 3 ans, il accompagnait sa mère sur scène dans une pièce de Robert de Flers.

Des personnages, il en a joué beaucoup de manière authentique, probablement parce qu’il était lui-même une part de ces personnages, écorché, un peu louche, inquiétant, pudique, violent, glauque parfois. Son suicide à l’âge de 35 ans, au-delà de l’événement qui a marqué toute une génération, a presque sublimé sa mémoire et en a fait une sorte de mythe que racontent très bien Laurent-Frédéric Bollée et Maran Hrachyan dans une bande dessinée publiée le 6 janvier 2021 chez Glénat ("À part ça, la vie est belle").

Cette BD commence ainsi : « 16 juillet 1982. Voilà, je l’ai fait… L’irréparable, comme on dit ! Une balle dans la tête, point final. Ci-gît Patrick Jean Marie Henri Bourdeaux, dit Patrick Maurin, dit Patrick Dewaere ! Je vous expliquerai plus tard pour mes différents noms, c’est assez compliqué… En fait, je vais carrément vous raconter ma vie, ce sera plus simple… J’ai toujours été comme ça ! Imprévisible, et insaisissable qu’ils disaient… Au point de me flinguer à 35 ans, un beau jour d’été, alors que j’avais rendez-vous deux heures plus tard dans une salle de boxe pour m’entraîner, et que le matin, j’étais encore au boulot… ! Ben oui, au bois de Boulogne, avec Claude Lelouch, pour préparer son film "Édith et Marcel"… C’est tout moi qui devais jouer Marcel Cerdan, et on avait rendez-vous pour faire des essais de plans… ».

Maurin, c’était le nom de sa mère, Mado Maurin (1915-2013), artiste lyrique et directrice de théâtres qui a créé une petite troupe d’artistes avec sa famille recomposée (six enfants). Bourdeaux, c’était le nom du premier mari de sa mère, Pierre-Marie Bourdeaux, baryton et "cavaleur", qui s’est séparé d’elle en 1944 après la naissance des deux aînés. Mado Maurin s’est alors éprise de Michel Têtard, un chef d’orchestre d’opéra rencontré à Vitré, père biologique de Patrick Dewaere (troisième enfant de sa mère), mais ce père a refusé cette paternité et a quitté Mado Maurin (la rupture s’est faite par télégramme, si bien qu’on peut dire que les SMS d’aujourd’hui n’ont rien inventé). Le premier mari, pourtant déjà séparé, a alors accepté de le reconnaître (du moins pour qu’il prît son nom de famille). Quand Patrick Dewaere est né, Mado Maurin était directrice des théâtres municipaux de Saint-Brieuc et de Morlaix. En 1948, Maudo Maurin s’est mariée avec Georges Collignon, ténor, qui lui a donné trois autres enfants et qui a aussi reconnu Patrick.

Cette complexité des attaches familiales, à une époque où un simple divorce restait honteux, faisait de Patrick Dewaere un demi-frère à part, seul demi- dans une fratrie de six, qui sont devenus tous comédiens. Son père biologique, dont Patrick n’a jamais rien su malgré ses demandes auprès de sa mère, est lui-même mort à l’âge de 35 ans en 1960. Étrange destin. Cette complexité a conduit Patrick à adopter son pseudonyme en avril 1967, d’abord avec l’orthographe "De Waëre" ("le vrai" en vieux flamand), reprenant, avec une erreur, le patronyme du second mari d’une arrière-grand-mère maternelle « un peu fantasque, autoritaire, bohème et libre pour son époque » selon les mots de Wikipéda.

En 1968, il s’est intégré dans la troupe du Café de la Gare créée par Romain Bouteille et Coluche, avec Henri Guybet, Martin Lamotte, Renaud, Sotha (Catherine Sigaux) et Miou-Miou (Sylvette Herry, alors compagne de Coluche), complétée par Gérard Depardieu, Gérard Lanvin, Bernard Le Coq, Thierry Lhermitte, Anémone, Josiane Balasko et Gérard Jugnot. Usant de son sens de l’autodérision et de l’improvisation, Patrick Dewaere a vite captivé son public et s’est épanoui dans ce milieu libertaire. Sotha était à l’époque avec Romain Bouteille, mais Patrick Dewaere et elle se sont aimés, se sont même mariés (Rufus en témoin) puis sont allés à Prague en plein Printemps de Prague.

C’était avec cette troupe qu’il a délaissé les conventions et quitté les sentiers battus pour jouer autrement. Son recrutement par Bertrand Blier pour "Les Valseuses" (sorti le 20 mars 1974), comme personnage principal en trio avec Gérard Depardieu et Miou-Miou, avec aussi Jeanne Moreau, a bouleversé sa vie. Pas seulement en devenant une star reconnue et très demandée après le succès du film, mais aussi avant sa sortie, pendant le tournage, où il est tombé passionnément amoureux de Miou-Miou, avec sa dose d’hypersensibilité, de jalousie, de violence (il a voulu deux ans plus tard casser la figure à Julien Clerc, le nouvel amant après leur rupture), et il est devenu aussi l’ami et le rival de Gérard Depardieu.

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Et manquant de confiance en lui, il était même obsédé par cette compétition avec Gérard Depardieu, qu’il surpassait cependant chez les producteurs de l’époque, entre 1974 et 1979. Quelques témoignages sur le sujet. Gérard Depardieu : « Avec Dewaere, c’est bien et c’est pas cher. Avec Depardieu, c’est plus cher et c’est pas mieux ! ». Bertrand Blier : « Patrick avait aussi ce problème-là : il a beaucoup souffert de l’ombre gigantesque de Gérard. En fait, Gérard et lui n’étaient pas copains. Ils étaient plutôt comme deux frères. Les frères, souvent, ça ne s’entend pas bien. Entre eux deux, c’était le bras de fer en permanence. Ils étaient très jaloux l’un de l’autre mais, à une époque, ils se partageaient le marché, ils se téléphonaient : "Si tu ne le fait pas, je le fais". ». Alain Corneau : « À l’époque, le choix, pour tous les metteurs en scène, c’était : Depardieu ou Dewaere. Quand Patrick se laissait aller, il avouait que son rêve, c’était être le premier… Selon les succès ou les échecs dont ils sortaient, leur cote changeait, tout le monde voulait l’un et pas l’autre, et six mois après, c’était l’inverse. Ils étaient comme les frères d’une mythologique grecque diabolique. ». Même les Césars furent sujets à compétition et la réalité a été que Patrick Dewaere n’est jamais parvenu à en obtenir un seul (seulement des nominations) au contraire de Gérard Depardieu.

Patrick Dewaere a joué notamment avec Jean-Paul Belmondo, Michel Piccoli et Lino Ventura, avec qui il a partagé son deuxième grand succès populaire dans "Adieu poulet" de Pierre Granier-Deferre (sorti le 10 décembre 1975). Parfois très difficile (il a ainsi abandonné un réalisateur en plein projet en prenant conscience qu’il n’appréciait pas l’histoire), Patrick Dewaere a connu de nombreux autres grands succès, comme "La clé sur la porte" d’Yves Boisset (sorti le 13 décembre 1978) avec Annie Girardot. En tout, il a joué dans trente-sept longs-métrages, la plupart après 1974 sont des chefs-d’œuvre.

Alternant comédie et thriller, Patrick Dewaere a marqué les années 1970 avec son extrême liberté, son refus de se laisser enfermer dans des cases, ce qui s’est traduit par des films très importants, comme sur l’homosexualité avec "La meilleure façon de marcher", premier film de Claude Miller (sorti le 3 mars 1976) en duo avec son ami Patrick Bouchitey, avec aussi Claude Piéplu et Michel Blanc.

On peut citer d’autres films intéressants (en fait, pendant cette période entre 1974 et 1982, ils sont quasiment tous intéressants), comme "Lily aime-moi" de Maurice Dugowson (sorti le 30 avril 1975) avec Miou-Miou, Jean-Michel Folon, Rufus, Juliette Greco, Jean-Pierre Bisson. Comme aussi "F… comme Faibanks" de Maurice Dugowson (sorti le 3 mars 1977) avec Miou-Miou, John Berry, Michel Piccoli, Diane Kurys et Jean-Michel Folon, en hommage à l’acteur Douglas Fairbanks (qui était aussi l’acteur fétiche de Patrick Dewaere enfant) : « Moi, je suis le contraire d’un Fairbanks. C’est ce qui m’agace, en fait. Moi, je supporte pas que mon père m’appelle Fairbanks toujours... Parce que moi, il m’arrive des ennuis tout le temps… (…) Moi, tout me diminue complètement et je finis par devenir complètement dingue à la fin. » allait-il commenter dans une interview en mélangeant son personnage et lui-même, ce qui était assez significatif. Son authenticité s’obtenait parce qu’il vivait vraiment ses personnages, leurs émotions. Ce film de Maurice Dugowson évoquait un sujet peu traité à l’époque, le chômage.

On peut aussi citer "Préparez vos mouchoirs" de Bertrand Blier (sorti le 11 janvier 1978) avec Gérard Depardieu et Carole Laure (remplaçant Miou-Miou qui avait décliné l’offre). Le personnage de Patrick Dewaere lâche, comme par anticipation de la triste réalité, pour parler de Mozart : « 35 ans… Tu te rends compte de la perte… Quelle époque de cons ! La pauvre mec, il est mort à 35 ans : ».

Il y a eu d’autres très bons films comme "Coup de tête" de Jean-Jacques Annaud (sorti le 14 janvier 1979) avec France Dougnac, Jean Bouise, Michel Aumont, Bernard-Pierre Donnadieu, etc. ; "Série noire" d’Alain Corneau (sorti le 25 avril 1979) avec Marie Trintignant, Myriam Boyer et Bernard Blier (et Georges Perec en coscénariste) ; "Un mauvais fils" de Claude Sautet (sorti le 15 octobre 1980) avec Yves Robert, Brigitte Fossey, Jacques Dufilho et Étienne Chicot ; "Psy" de Philippe de Broca (sorti le 4 février 1981), avec Anny Duperey, Catherine Frot, Michel Creton, Jean-François Stévenin, Jean-Pierre Darroussin (une adaptation de la bande dessinée de Gérard Lauzier qui se moque gentiment des stages de développements personnel en proposant par exemple une thérapie par la nudité en public) ; "Plein sud" de Luc Béraud (sorti le 29 avril 1981) avec Clio Goldsmith, Jeanne Moreau, Guy Marchand, Pierre Dux et la propre mère de Patrick Dewaere, Mado Maurin ; "Beau-père" de Bertrand Blier (sorti le 16 septembre 1981), avec Ariel Besse (qui vient de mourir il y a un mois et demi), Nicole Garcia, Maurice Ronet, Maurice Risch, Nathalie Baye, Macha Méril, etc. ; "Hôtel des Amériques" d’André Téchiné (sorti le 2 décembre 1981) avec Catherine Deneuve, Étienne Chicot et Dominique Lavanant ; "Mille milliards de dollars" d’Henri Verneuil (sorti le 10 février 1982), avec Charles Denner, Caroline Cellier, Jeanne Moreau, Anny Duperey, Jacques François, Michel Auclair, André Falcon, Édith Scob, etc., qui dénonce les dangers de la mondialisation.

Le dernier film dans lequel Patrick Dewaere a joué est "Paradis pour tous" d’Alain Jessua (sorti après sa mort le 26 août 1982), avec Jacques Dutronc, Fanny Cottençon, Stéphane Audran et Philippe Léotard. Futur réalisateur de "Cœur des hommes" et d’un documentaire sur Patrick Dewaere (sorti le 20 mai 1992), le journaliste Marc Esposito a mal encaissé ce film, il l’a exprimé franchement dans "Première" n 66 de septembre 1982 : « C’est bien triste. De voir pour la dernière fois Dewaere dans un nouveau film et que ce soit celui-là. Un mauvais film. Avec un bon sujet et un grand acteur. Un film déplaisant, tout de même. Parce que les acteurs y sont maltraités, parce que la nudité des comédiennes y est filmée avec un voyeurisme de jardin public, parce que le scénario, sous prétexte d’anticipation, n’a que faire de la plus élémentaire vraisemblance. En plus, il n’y a pas le moindre plan visuellement intéressant et ça fourmille de nécessités publicitaires vraiment trop voyantes. Triste. ». L’idée d’origine, c’est d’éliminer toute possible de ressentir des émotions pour vivre heureux. Le contraire de Dewaere !

Philippe Léotard, Patrick Dewaere avait déjà joué avec lui quand il était le juge François Renaud, alias Fayard pour la fiction, dans "Le juge Fayard, dit le Shériff" d’Yves Boisset (sorti le 12 janvier 1977), avec aussi Aurore Clément, Michel Auclair, Jean Bouise, avec également Roland Blanche et Bernard Giraudeau. Dans une biographie sur Patrick Dewaere sortie le 7 juin 2012 chez Balland, le journaliste Christophe Carrière a écrit : « "Dans un an, tu auras tous mes rôles, lui dit-il pourtant un jour. Je serai mort". Léotard prend la phrase comme une boutade. Il a sans doute raison. On ne prémédite pas un suicide. » (Christophe Carrière a écrit une seconde biographie, plus précisément sur son suicide, sortie le 15 juin 2017 chez Michel Lafon).

Enfoncé dans ses problèmes personnels nombreux (d’argent, fiscaux, d’addiction, et surtout affectifs), Patrick Dewaere a mis fin à ses jours de la façon la plus violente, chez lui, entre deux rendez-vous pour ses tournages, avec une carabine que lui avait offerte Coluche avec qui était partie sa seconde femme Elsa en Guadeloupe. Il a laissé deux filles, Angèle (7 ans) et Lola (2 ans). Ses funérailles ont eu le 23 juillet 1982, en absence de Coluche et de Gérard Depardieu. Miou-Miou et Coluche ont été particulièrement effondrés par ce suicide.

Patrick Dewaere et ses réalisateurs avaient eu plusieurs projets de film ensemble. Certains ont pu se réaliser malgré sa mort, d’autres non. Il fut remplacé en particulier par Alain Souchon dans "L’été meurtrier" de Jean Becker (sorti le 11 mai 1983) avec Isabelle Adjani et Suzanne Flon (en fait, Gérard Depardieu avait refusé le rôle et Patrick Dewaere n’a pas eu le temps de donner sa réponse), par Richard Berry dans "L’addition" de Denis Amar (sorti le 4 avril 1984) avec Richard Bohringer et Victoria Abril, et par Michel Blanc dans "Tenue de soirée" de Bertrand Blier (sorti le 23 avril 1986) avec Miou-Miou, Gérard Depardieu, Michel Creton, Jean-Pierre Marielle et Bruno Cremer.

Depuis quarante ans, on ne cesse de revenir sur cette vie mouvementée et météorique, si riche et si contrastée, avec ce perpétuel sentiment que cette tragédie finale, ce gâchis aurait dû ne jamais survenir alors qu’il était au sommet de son art.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Patrick Dewaere.
Richard Bohringer.
Jean-Louis Trintignant.
Charlotte Valandrey.
Margaret Keane.
Jean Dujardin.
Alain Resnais.
Julie Gayet.
Johnny Depp.
Amber Heard.
Jacques Morel.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220716-patrick-dewaere.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/patrick-dewaere-l-insaisissable-242756

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/13/39557566.html











 

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