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4 décembre 2022 7 04 /12 /décembre /2022 04:42

« Je fus déconcerté par l'aspect romantique et intellectuel du jeune acteur que je voyais. » (René Clair, découvrant le jeune comédien à la création de "Caligula").



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J'aurais pu aussi écrire dans le titre l'archange du cinéma français. Gérard Philipe est né à Cannes il y a 100 ans, le 4 décembre 1922, et ce centenaire permet de montrer qu'il reste bien ancré dans la mémoire collective même si, par l'effet des générations qui passent, il est devenu plus un souvenir historique qu'un personnage vivant dans le cœur des hommes.

La soirée de ce dimanche 4 décembre 2022 (à partir de 16 heures) est ainsi consacrée à la célébration du centenaire de la naissance de Gérard Philipe à l'Espace Albert-Raphaël, à Ramatuelle (11 chemin de la Calade), avec la présentation d'une nouvelle biographie par Geneviève Winter, la projection d'un documentaire inédit de Patrick Jeudy, adapté d'une œuvre de Jérôme Garcin, gendre de Gérard Philipe, suivies d'un apéritif. En outre, jusqu'au 15 décembre 2022, une exposition promenade à Ramatuelle donne des aperçus de la vie de Gérard Philipe.

Déjà, me permettra-t-on d'insister sur un point d'orthographe dont beaucoup, peut-être, se moquent, mais qui est important quand même : le patronyme de l'acteur est bien écrit ainsi, Philipe, avec un seul p à la fin suivi du e. En fait, il s'appelait Gérard Philip sans e, mais pour rassurer sa mère superstitieuse, il a adopté son nom de scène en rajoutant un e pour que Gérard Philipe puisse faire treize lettres. Alors fuyez ceux qui parlent de Gérard Philippe comme ceux qui confondent Simone Veil et Simone Weil ! (Certes, je sais bien que personne n'est à l'abri d'une coquille).

Son père, Marcel Philip, était un avocat très aisé qui possédait de nombreux hôtels sur la Côte d'Azur. Ce qui était plutôt honorable que honteux. En revanche, son engagement aux Croix-de-Feu puis, surtout, au PPF (parti populaire français) de Jacques Doriot qui voulait l'avènement du national-socialisme en France n'avait rien d'engageant... pour les historiens. Il a ainsi proposé aux staffs italiens fascistes puis allemands nazis de les héberger dans ses palaces de rêve. Pour intelligence avec l'ennemi, il a été condamné à mort par contumace, avec dégradation nationale et confiscation de ses biens, mais il s'était exilé à temps, en Espagne, à Barcelone.

Gérard, lui, n'était pas de ce bord. Il a eu le bac au début de la guerre, c'est la génération des 20 ans en 1942, il était en faculté de droit, des études voulues par son père juriste, mais il les a interrompues pour se consacrer totalement à son métier de comédien. Il s'est engagé tardivement dans la Résistance, ses copains hésitaient à l'inclure dans leur groupe craignant qu'il ne fût pas fiable en raison des idées de son père. Gérard Philipe a quand même participé à la Libération de Paris sous les ordres du futur journaliste Roger Stéphane.

Par cet engagement, il s'est montré complètement patriote, sans risquer d'être confondu avec son père. L'engagement, il l'a vécu tout au long de sa vie, aux côtés des communistes, sans prendre sa carte mais en y mettant son cœur et sa réputation, et aussi sa pratique. Quand il jouait dans le théâtre national populaire de Jean Vilar, à une époque où sa renommée mondiale n'était plus à rappeler, il acceptait d'être payé comme un comédien novice et avait l'humilité, sur les affiches, d'avoir la place de son nom selon l'ordre alphabétique et pas en premier en gros caractères. Un engagement militant effectif, prouvé, donc, afin de permettre aux personnes peu aisées, aux fins de mois difficiles, de vivre quand même les joies du spectacle du théâtre, pour l'occasion subventionné par l'État.

Dans Marianne le 23 octobre 2019, Régis Debray reprenait cette partie du portrait : « La tête d’affiche avait cette particularité, propre à l’époque, d’avoir son nom écrit en petit, de même taille que ses partenaires, alignés sur ladite affiche par ordre alphabétique. Son moi s’inscrivait dans un nous,celui d’une troupe, d’un pays, d’un héritage et de son histoire longue. Gérard (...) était un homme comme les autres, marié avec une intellectuelle militante, Anne, deux enfants, Anne-Marie et Olivier, et un appartement dans le sixième, certes, mais pas à Neuilly ou dans le seizième. ».

La carrière de Gérard Philipe commença très vite dès 1942-1943 parallèlement au théâtre et au cinéma. Très vite aussi, sa réputation fut faite. Plutôt grand, d'un grand charisme, il est devenu rapidement un acteur recherché. Marc Allégret l'a découvert à la même époque. Puis René Clair en 1945 lors de la création de "Caligula". Le premier rôle du personnage principal dans un film au cinéma, il l'a eu en 1946. Théâtre et cinéma, il a été un boulimique de travail pour son talent d'interprète.

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Partenaire au théâtre ou au cinéma de comédiennes de légende, elles aussi, comme Maria Casarès, née deux semaines avant lui, ou encore Micheline Presle qui a fêté son centenaire l'été dernier, Gérard Philipe a joué dans plus d'une quarantaine de films au cinéma, dans près d'une trentaine de pièces de théâtre entre 1942 et 1959, et il a trouvé le temps en outre d'enregistrer, à partir de 1952, de très nombreux disques, des lectures comme "Le Petit Prince" de Saint-Exupéry, "Pierre et le loup" de Prokofiev, Apollinaire, Victor Hugo, La Fontaine, François Villon, Louis Aragon, Paul Éluard, etc. et même Karl Marx !

Au théâtre, Gérard Philipe a notamment joué dans "Caligula" de Camus (1945), "Le Cid" de Corneille (1951), "Mère Courage" de Bertolt Brecht (1951), "La Tragédie du roi Richard II" de Shakespeare (1954), "Ruy Blas" de Victor Hugo (1954), "On ne badine pas avec l'amour" d'Alfred de Musset (1959), etc.

Son partenariat avec le metteur en scène Jean Vilar, au TNP et au Festival d'Avignon à partir de novembre 1950, fut très fructueux pour faire venir des spectateurs plus populaires et plus jeunes. Jean Vilar tomba sous son charme dès la première rencontre. Wikipédia cite les deux sentiments croisés.

Celui de Jean Vilar : « Tout en me démaquillant ce soir-là, je regardais du coin de l’œil ce garçon célèbre que je connaissais mal. Grand, dressé, le geste rare, le regard clair et franc, sa présence était faite à la fois de force calme et de fragilité. Je lui dis que je préparais Avignon 1951, c'est-à-dire le cinquième Festival, et que c'était la seule entreprise dont je pouvais l'assurer. Il me répondit aussitôt qu'il serait donc du prochain Avignon. Deux jours après, je lui remettais "Le Prince de Hombourg". Il dit oui. J'ajoutais : Et "Le Cid" ? Il baissa la tête, sourit, puis se tut. » [Gérard Philipe lui avait refusé le rôle de Rodrigue deux ans auparavant].

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Et ce fut réciproque, le sentiment de Gérard Philipe : « Une conversation avec Vilar, ses propos sur le théâtre, son avis sur les pièces que je brûlais de jouer, me laissèrent conquis. Une des grandes qualités de Vilar est sa patience. Moi, je jouais les impatients. Mais lorsqu'il m'eut fait lire "Le Prince de Hombourg", je n'hésitai plus à le suivre. ».

Au cinéma, Gérard Philipe a éclaté l'écran notamment dans "Le Diable au corps" de Claude Autan-Lara (1947) avec Micheline Presle et Denise Grey (Jacques Tati y joue aussi), "La Chartreuse de Parme" de Christian-Jaque (1948) avec Renée Faure, Maria Casarès et Louis Seigner, "Une si jolie petite plage" d'Yves Allégret (1949), "La Ronde" de Max Ophüls (1950), l'adaptation d'une pièce d'Arthur Schnizler, avec Simone Signoret, Serge Reggiani, Simone Simon, Danielle Darrieux, Jean-Louis Barrault et Daniel Gélin, "Fanfan la Tulipe" de Christian-Jaque (1952) avec Gina Lollobrigida (et Geneviève Page en marquise de Pompadour), "Les Belles de nuit" de René Clair (1952) avec Martine Carol, Gina Lollobrigida et Magali Vendeuil, "Les Orgueilleux" d'Yves Allégret (1953) avec Michèle Morgan, "Monsieur Ripois" de René Clément (1954) avec Valérie Hobson et Natasha Parry, "Le Rouge et le Noir" de Claude Autan-Lara (1954) avec Danielle Darrieux, "Les Liaisons dangereuses 1960" de Roger Vadim (1959) avec Jeanne Moreau, Jean-Louis Trintignant, Boris Vian et Jeanne Valérie, etc. Le dernier film qu'il a joué est sorti après sa mort, le 6 janvier 1960, "La fièvre monte à El Pao" de Luis Bunuel avec Jean Servais et Maria Félix.

Son truc d'interprète ? « Il n'y a pas de différence entre moi et les personnages que j'incarne, si ce n'est que le travail à faire et le trajet à accomplir pour rejoindre chacun d'eux. ».

Sans doute si le temps le lui avait permis, Gérard Philipe aurait tourné dans des séries télévisées, car il était fasciné par la télévision : elle était un précieux support, irremplaçable, pour rendre plus populaire la culture, pour permettre à de nombreuses personnes d'accéder à la culture, au même titre que le théâtre national populaire et les festivals de théâtre.

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Dans une légende, le clap de fin est aussi important que la carrière. Mourir jeune, très jeune, c'est rester jeune éternellement, dans la mémoire des gens qui l'ont aimé, puis de ceux à qui ils ont transmis cette mémoire. Gérard Philipe avait souvent les poumons fragiles, pourtant, il est mort en quelques semaines sans avoir été mis au courant du mal qui l'avait rongé, d'un cancer du foie. Dans son numéro du 26 novembre 1959, le journal "Ouest France" a titré en une : « Gérard Philipe est mort : crise cardiaque à 36 ans ». "Paris Match" du 5 décembre 1959, de son côté : « Gérard Philipe : la mort du Cid ».

Une telle fin aussi brutale, au sommet de sa gloire, alors qu'il avait tant de choses encore à faire, a ému la nation entière, et l'a rangé parmi les légendes vivantes du siècle, ces artistes trentenaires qui n'ont fait que passer en éclair après avoir donné au maximum de leur talent, à l'instar de Boris Vian (parti quelques mois avant l'acteur), Yves Klein, Thierry Le Luron et quelques autres auxquels j'ajouterais aussi, bien qu'il allât être bientôt quinquagénaire, Albert Camus dont Gérard Philipe a adoré la pièce "Caligula" qu'il a contribué à créer en 1945 et à en faire un grand succès littéraire.

Il y a une vingtaines d'années, je me souviens avoir découvert le petit cimetière et m'être recueilli sur sa tombe, j'imaginais l'acteur habillé de son costume du Cid, alors que je me hasardais avec des amis dans le beau village de Ramatuelle. À deux pas d'une des plus belles plages de la côte, contrée qu'il adorait où il passait ses vacances. Il y avait comme un air d'évidence, à la fois modestie sobre et présence diffuse partout dans cette région qui n'a pas fini d'honorer ses artistes.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 décembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Gérard Philipe.
Mylène Demongeot.
Contagion.
Kirk Douglas.
Robert Clary.
Quai d'Orsay.
Thierry Lhermitte.
Dupont Lajoie.
Emmanuelle Bercot.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221204-gerard-philipe.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/gerard-philipe-l-archange-du-245344

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/12/03/39732293.html




 

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