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19 mars 2023 7 19 /03 /mars /2023 04:59

« Après deux semaines de mutisme dans l’hémicycle, l’extrême droite s’est enfin réveillée, naturellement pas pour faire des propositions, évidemment pas pour sauver notre système de retraite, surtout pas pour faire avancer le pays, mais pour une manœuvre grossière qui visait uniquement à obtenir un brevet de meilleur opposant. Qu’importe le fond, tant que le coup tactique est bon. Le Rassemblement national attend sagement, tapi dans l’ombre, pour voir où le vent tourne, et à la vingt-cinquième heure, il surgit pour se remettre au centre du jeu médiatique, mais toujours pas dans le débat démocratique. (…) La réalité, c’est que vous n’avez ni projet social, ni solution pour nos compatriotes, et qu’à plusieurs reprises, les Français ont refusé vos pseudo-solutions. Vous dressez un écran de fumée qui se veut le gage de votre respectabilité. Vous avancez masqués, refusant de participer au débat. Vous espérez que la discussion abîmera un peu plus l’image que nos concitoyens se font de nos institutions. Vous attendez que les débats se soient tenus pour attaquer, manipuler, récupérer. » (Élisabeth Borne, le 17 février 2023 à l'Assemblée Nationale).




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À la fin de la première lecture du projet de loi de la réforme des retraites à l'Assemblée Nationale, le 17 février 2023, la Première Ministre Élisabeth Borne avait vu juste : le Rassemblement national n'a rien à proposer aux Français mais cherche à récupérer tout le bénéfice politique de la colère sociale.

Rien à proposer car Marine Le Pen est assez simpliste dans sa conception de la politique économique et sociale du pays : démagogie. Elle veut la retraite à 60 ans (elle nous refait le coup de François Mitterrand version 1981 !), elle veut renforcer les services publics (bravo), elle veut réduire les impôts et taxes (c'est très louable), et en plus, elle veut réduire la dette publique et les déficits (tout à fait d'accord). Cherchez l'erreur ! À moins de croire au Père Noël, l'ex-présidente du RN prend les Français pour des demeurés.

Qu'importe que ça ne marche pas avec tout le monde, c'est suffisant pour avoir su faire élire un groupe de 88 députés à l'Assemblée Nationale en juin 2022 (une moyenne de 18,6% au premier tour), le papa Jean-Marie Le Pen a dû être vert de rage, lui qui n'a pu emmener sur les bancs de l'Assemblée que 35 députés, et encore, grâce uniquement à la proportionnelle.

Ce gros bataillon a fait que le RN est le groupe le plus important de l'opposition et les sondages ne changent guère, quoi qu'en pense le grand gourou insoumis : la présidente de ce groupe, Marine Le Pen a été confortée dans sa position de principale opposante au Président Emmanuel Macron à la fin des débats sur la réforme des retraites. Pourtant, pas de participation aux manifestations, pas de projet alternatif, pas d'obstruction par des montagnes d'amendements. Juste attendre le discrédit des excités de la Nupes.

Considérant que le texte de la commission mixte paritaire n'était pas assuré d'obtenir un vote positif à l'Assemblée Nationale, le gouvernement a utilisé le 17 mars 2023 l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter définitivement la réforme des retraites. Une méthode qui a préféré favoriser le contenu de la réforme (le risque d'une rejet aurait fait perdre au mieux plusieurs mois ou même années) à s'appesantir sur l'aspect politique voire social du sujet. Élisabeth Borne aurait dû sans doute prendre le risque d'un rejet et montrer au pays qu'on pouvait tenter de légiférer normalement, sans cette arme qu'est l'article 49 alinéa 3. Cela ressort bien sûr du choix d'Emmanuel Macron et la suite dira s'il a eu raison ou pas de saisir cet outil à prendre avec des pincettes.

À la suite de cette décision, naturellement, les oppositions ont déposé des motions de censure. À ma connaissance, deux motions de censure ont été déposées avant le lendemain 15 heures (18 mars 2023). La dernière émane du groupe RN qui a peu de chance d'avoir plus que 89 votes (les 88 du RN et Nicolas Dupont-Aignan). La première, en revanche, n'émane pas de la Nupes qui a préféré laisser au petit groupe LIOT l'initiative de la motion de censure, en la signant pour certains afin d'obtenir le quota nécessaire au dépôt d'une motion de censure.

Ainsi, 90 signataires ont déposé cette première motion de censure, dont les premiers signataires sont des centristes, Bertrand Pancher en tête, avec le bouillonnant Charles de Courson, Olivier Serva et d'autres, mais l'ont signée aussi des députés communistes (comme Sébastien Jumel), des députés écologistes (comme Delphine Batho, Julien Bayou, Sandra Regol, Aurélien Taché), des députés socialistes (comme Guillaume Garot, Jérôme Guedj, Dominique Potier, Valérie Rabault) et même des députés FI (comme Caroline Fiat, Éric Coquerel, Rachel Kéké). Ce n'était d'ailleurs pas une surprise puisque le chef du PCF Fabien Roussel avait annoncé dès jeudi que les communistes voteraient une motion de censure du groupe LIOT.

Mais on voit bien que c'est une grosse tromperie politique, car ces signataires ne sont pas prêts à gouverner ensemble, bien sûr, ce qui dénature le principe d'une motion de censure : on vote la censure quand une majorité alternative existe dans l'hémicycle.

Dans la présentation de cette motion de censure, il est évoqué « un détournement manifeste et inédit de la procédure parlementaire », et elle s'inquiète de la méthode adoptée par le gouvernement qui « créerait un précédent dangereux qui permettrait aux gouvernements de faire passer de vastes réformes sociales par des procédures détournées, contraintes, et dangereuses pour notre démocratie ». (En fait, le texte utilise trois fois le mot "détourné" ou "détournement", et une fois "contournement"). Et le texte de la motion conclut par cette affirmation définitive (qui n'est qu'une opinion) : « Ce projet de réforme des retraites n’a ni légitimité sociale, ni légitimité populaire, ni légitimité démocratique. ».

Pourtant, ce n'est pas du côté de la Nupes et de LIOT qu'il faut chercher la manipulation. Certes, les députés RN ont clairement annoncé la couleur en disant que le RN voterait pour toutes les motions de censure, montrant qu'il se moque bien de l'intérêt national puisque le but est de déconstruire : voter une motion de censure de la Nupes n'équivaut pas à voter une motion de censure du RN, c'est pourquoi les excités de la Nupes ne voteront pas la motion du RN. Certes, c'est une hypocrisie puisque la Nupes mêlera ses voix avec celles du RN dans la première motion de censure.

Où en sont les comptes ? Il y a 573 députés actuellement (4 sièges sont vacants), ce qui signifie une majorité absolue de 287 députés. L'opposition farouche au gouvernement est composée de la Nupes (74 FI, 31 PS, 22 EELV et 22 PCF) et du RN et allié (88 RN et 1 NDA), soit 238. Si on rajoute le 20 de LIOT, ce fait 258. Il manquerait donc encore 29 députés à convaincre pour faire adopter la motion de censure : ils ne peuvent être comptés que parmi les 61 LR et les 4 non-inscrits (il y en a 5 en tout, mais j'ai déjà compté Nicolas Dupont-Aignan avec le RN).

Quatre à cinq députés LR ont déjà fait part de la possibilité de voter cette motion de censure. Il faut bien comprendre la conséquence d'un tel vote, que le gouvernement soit renversé ou pas : cela signifie que le parti Les Républicains se suicide complètement, reniant l'une des propositions phares de son programme depuis deux à trois élections présidentielles. Ce qui restait de sa crédibilité politique et de sa cohérence idéologique s'effondrait immédiatement.

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Au RN, on considère que la chute du gouvernement et le retour devant les urnes profiteraient aux candidats du RN comme véritable force alternative. C'est probablement un défaut de raisonnement mais il est "entendable" (et je ne connais pas l'avenir). Donc, les dirigeants du RN font en ce moment le forcing pour que les députés LR votent massivement pour cette première motion de censure.

Jordan Bardella a trouvé alors un moyen infaillible pour convaincre certains députés LR, notamment ceux élus dans l'Est de la France où le RN représente un courant électoral non négligeable : il leur fait savoir que s'ils votaient une motion de censure contre le gouvernement actuel, ils n'auraient pas de candidat RN en concurrence sur leur circonscription en cas d'élections législatives anticipées.

C'est un deal important, qui peut être salutaire dans certains cas de circonscription, mais qui aurait des conséquences ravageuses pour l'avenir de LR. Une circonscription au prix de l'âme, c'est cher payé. Car un candidat sans concurrence RN, ce serait forcément un candidat soutenu par le RN. Autant dire un candidat RN. Certains ont déjà passé le cap pour être élus, par exemple l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Thierry Mariani, qui avait échoué pour se faire réélire député et qui est devenu transfuge du FN pour être élu député européen FN. Mais ils sont actuellement une ultraminorité. La ligne Éric Ciotti, président de LR, est très claire : pas d'alliance électorale avec le RN.

Paradoxalement, celui qui se revendique de l'aile gauche de LR, Aurélien Pradié, est, lui aussi, tenté de voter la motion de censure de LIOT. Une trentaine de députés LR, cela signifie la moitié du groupe LR, cela fait beaucoup. La colère est également très intense contre le pouvoir, mais peut-être pas au point de saborder leur propre parti. Même si la tentation est grande.

Incontestablement, le lundi 20 mars 2023 à 16 heures, l'heure de l'examen des motions de censure, est un moment clef de la réforme des retraites. Ou cela passe, et le gouvernement fera le dos rond, jusqu'à la prochaine polémique, ou cela casse, et c'est le retour aux élections. Dans les deux cas, Emmanuel Macron aura gagné en clarification.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (18 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La tactique politicienne du RN.
La sanction disciplinaire la plus lourde de la Cinquième.

Louis Aliot.
Jordan Bardella.
Marine Le Pen.

Le congrès du RN.
Grégoire de Fournas.
Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?
Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230318-rassemblement-national.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-tactique-politicienne-du-rn-247386

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/03/19/39850417.html





 

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