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17 septembre 2025 3 17 /09 /septembre /2025 04:16

« Le Conseil d'État juge (…) que l’obligation faite aux clients d’indiquer leur civilité va au-delà des limites du strict nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime de SNCF Connect. » (maître Éric Landot, le 31 juillet 2025 sur son blog).





 


Drôle de titre, mais la difficulté réside à résumer une décision du Conseil d'État publiée cet été, le 31 juillet 2025, prise par sa dixième chambre de la section du contentieux, qui risque d'avoir des conséquences économiques mais aussi psychologiques très importantes. De quoi s'agit-il ? Des formulaires que la SNCF demande de remplir en ligne pour réserver un billet de train où il faut indiquer si on est un homme ou une femme (il n'y a plus mademoiselle depuis un certain temps).

Le Conseil d'État devait se prononcer sur un recours de l'Association Mousse qui s'est vu rejeter, le 23 mars 2021 par la CNIL (Commission nationale informatique et libertés), sa plainte contre la société OUI SNCF. L'instance administrative suprême devait attendre, avant de se prononcer sur le fond, la position de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) sur deux questions.


Ces deux questions sont les suivantes :

1. « Peut-il être tenu compte, pour apprécier le caractère adéquat, pertinent et limité à ce qui est nécessaire de la collecte de données (…) et la nécessité de leur traitement (…), des usages couramment admis en matière de communications civiles, commerciales et administratives, de sorte que la collecte des données relatives aux civilités des clients, limitée aux mentions "Monsieur" ou "Madame", pourrait être regardée comme nécessaire, sans qu’y fasse obstacle le principe de minimisation des données ? ».

En d'autres termes, si le fournisseur ou prestataire n'a pas besoin de savoir la civilité de son client pour réaliser son offre commerciale, peut-il quand même la lui demander ?

2. « Y a-t-il lieu, pour apprécier la nécessité de la collecte obligatoire et du traitement des données relatives à la civilité des clients, et alors que certains clients estiment qu’ils ne relèvent d'aucune des deux civilités et que le recueil de cette donnée n'est pas pertinent en ce qui les concerne, de tenir compte de ce que ceux-ci pourraient, après avoir fourni cette donnée au responsable de traitement en vue de bénéficier du service proposé, exercer leur droit d'opposition à son utilisation et à sa conservation en faisant valoir leur situation particulière (…) ? ».
 


La première question a trait au recueil d'une information personnelle inadéquate, la seconde à sa conservation et son éventuelle utilisation ultérieure.
 


Pour comprendre ce dossier, il faut se référer à quelques textes juridiques : les dispositions du c) du paragraphe 1 de l'article 5, du b) et f) du paragraphe 1 de l'article 6, et de l'article 21 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement Européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ainsi que l'arrêt C-394/23 du 9 janvier 2025 de la Cour de Justice de l'Union Européenne.
 


Et qu'a dit la CJUE le 9 janvier 2025 dans cette affaire ? Elle a dit (pour droit) que « le traitement de données à caractère personnel relatives à la civilité des clients d’une entreprise de transport, ayant pour finalité une personnalisation de la communication commerciale fondée sur leur identité de genre, ne peut pas être considéré comme étant nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable de ce traitement ou par un tiers, lorsque l’intérêt légitime poursuivi n’a pas été indiqué à ces clients lors de la collecte de ces données, ou que le traitement n’est pas opéré dans les limites du strict nécessaire pour la réalisation de cet intérêt légitime, ou qu’au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, les libertés et droits fondamentaux des clients sont susceptibles de prévaloir sur l’intérêt légitime poursuivi, notamment en raison d’un risque de discrimination fondée sur l’identité de genre. ».

Quant au Conseil d'État, il a constaté le 31 juillet 2025, en reprenant l'avis de la CJUE : « S’il est vrai que le traitement des données "Monsieur" ou "Madame" met l’entreprise en mesure de s’adresser à la personne selon les formes habituellement en usage, conformément, sans doute, aux attentes d’une part importante de sa clientèle, un tel résultat aurait pu être également atteint (…) en proposant aux clients d’indiquer leur civilité de façon facultative et non obligatoire. (…) Le traitement en litige ne pouvait pas davantage être justifié, en l’espèce, par l’intérêt qui s’attache à l’identification des passagers. (…) L’intérêt qui s’attache à l’exécution de certains services particuliers proposés par SNCF Connect ne pouvait justifier l’ensemble du traitement contesté. Par suite, ce traitement ne pouvait être regardé comme restant dans les limites du strict nécessaire pour la réalisation d’un intérêt légitime (…). ».
 


C'est avec cet argument principal et quelques autres aspects plus techniques que le Conseil d'État a donné raison au requérant, l'Association Mousse, au détriment de la CNIL en annulant le rejet du recours de l'association à la CNIL. La réclamation auprès de la CNIL devra donc être réexaminée. Comme on le voit, la décision du Conseil d'État sanctionne la CNIL en reprenant les arguments de la CJUE et pas la SNCF, mais cette dernière devra s'attendre à être sanctionnée probablement par la CNIL ultérieurement (sans préjuger de sa décision).
 


Cette décision est importante car elle fera jurisprudence. En clair, tout formulaire, en particulier en ligne qui impose de remplir des cases pour poursuivre sa demande, qui demande si vous être une femme ou un homme sans autre alternative devient illégal et pourra faire l'objet d'une plainte recevable auprès de la CNIL et éventuellement auprès d'une instance judiciaire ou administrative.

En présentant cette décision de justice dans son blog (blog.landot-avocats.net), l'avocat parisien Éric Landot a titré le 28 août 2025 : « Il va falloir "débinairiser" nombre de vos formulaires... ». Et il a résumé ainsi : « Le Conseil d'État a appliqué une interprétation du droit européen faite par la CJUE : il en résulte que l’identité de genre du client n’est pas une donnée nécessaire pour l’achat d’un titre de transport. Pour la majorité de vos formulaires avec une case "Monsieur" ou "Madame", il faudra rendre fichiers moins binaires via l’ajout d’une catégorie de genre très ouverte ("autre ; ne se prononce pas") soit par la suppression de toute mention de genre. ».
 


Attention de ne pas se méprendre avec cette décision du Conseil d'État : il ne s'agit pas, pour la justice, de faire la promotion des identités de genre particulières (comme transgenre, etc.), de considérer qu'on peut être autre chose qu'un homme ou une femme. Il faut plutôt voir cette décision comme un renforcement de la protection de nos données personnelles (comme l'impose le RGPD) : la SNCF n'a pas besoin de connaître mon sexe, de savoir si je suis un homme ou une femme pour me vendre un billet de train, et c'est valable pour de très nombreux fournisseurs de biens ou de services, privés ou publics. Par conséquent, ces fournisseurs n'ont pas besoin de stocker cette information dans leurs mémoires.

Sur le fond, j'approuve donc cette décision estivale du Conseil d'État. L'accumulation de données personnelles, surtout si elles ne sont pas indispensables dans une vente de biens ou services, est une nuisance pour tout le monde, d'autant plus si certains refusent de s'enfermer dans le clivage binaire homme/femme (mais aussi les autres qui en seront tout autant fichés).

En revanche, il faut que la justice prenne aussi en compte l'aspect économique de la chose : changer complètement tous les formulaires, en ligne, papier de tous les organismes privés ou publics qui demandaient (souvent par habitude sociale ou commerciale) le sexe de ses clients ou usagers va bien entendu engendrer un surcoût économique assez élevé pour zéro bénéfice au final.

Dans le contexte actuel, d'une incertitude économique liée à une instabilité politique, tous les acteurs de la vie économique et sociale ont bien d'autres chats à fouetter que de peaufiner leurs formulaires pour des raisons de données personnelles. Il faudrait donc imposer que les nouveaux formulaires soient effectivement débarrassés de ces indications de sexe ou de genre lorsqu'elles sont inutiles, mais peut-être pourrait-on laisser une certaine marge de tolérance avec les formulaires existants.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 septembre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Faut-il passer au 3e sexe dans les formulaires ?
Europe sociale : les vacances en arrêt maladie récupérables !
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Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".


 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250731-formulaire-sexe.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/faut-il-passer-au-3e-sexe-dans-les-262456

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/09/17/article-sr-20250731-formulaire-sexe.html


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