« Le partenaire, c’est lui qui vous donne le crédit de votre personnage. (…) Je vous donne un exemple, avec Omar Sy, quand je vois "Intouchables", bon, moi je sais très bien que je ne suis pas handicapé. Eh bien, je voyais dans ses yeux que j’étais diminué. » (François Cluzet).
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L'acteur français François Cluzet fête son 70e anniversaire ce dimanche 21 septembre 2025. En voilà encore un qui a atteint un seuil de senior, comme on dit. Comme beaucoup de ses contemporains, il ne doit pas (encore) se sentir septuagénaire.
Je dois dire que j'apprécie particulièrement François Cluzet. On lui reproche quelques envolées verbales dans les médias, politiquement peu correctes (même s'il a soutenu Emmanuel Macron en 2022 !), mais c'est le revers d'une grande qualité pour être acteur, sa grande sensibilité. D'où son authenticité.
François Cluzet, c'est l'histoire d'un enfant qui n'était pas aimé par ses parents et qui n'était jamais le premier. Il a ainsi raconté le 5 janvier 2025 : « À 6 ou 7 ans, je me cherchais déjà un pseudonyme. Un jour, j'ai trouvé : "François Premier", comme la revanche du gamin qui n'a jamais été leader à l'école. J'ai mis ça sur la porte de notre chambre, mais mon grand frère m'a dit : "Ça existe déjà !". J'étais écœuré que l'on m'ait piqué mon idée. En tout cas, j'ai vite eu conscience qu'il me fallait un métier où je me surpasse pour recevoir l'amour dont j'avais manqué et prendre ma revanche sociale. (…) La majorité des gens considèrent le cinéma ou le théâtre comme un divertissement. On y va parce que l'on n'a pas le moral, pour se vider la tête. Mais, si c'est bien fait, ça peut aussi apporter de belles choses. En latin, divergere signifie "prendre une autre voie". "Intouchables", par exemple, proposait un regard différent sur le handicap et le vivre-ensemble. À titre personnel, alors que je croyais avoir tout compris de la comédie humaine dès l'enfance, le théâtre et le cinéma m'ont formé et redonné la candeur que j'avais perdue. ».
Je l'ai découvert en 1988 alors que j'étais encore jeune (!). Il était déjà connu et a tourné dans un film qui a eu un succès moyen (1,2 million d'entrées) et que j'ai bien apprécié : "Association de malfaiteurs", une comédie de Claude Zidi (sortie le 11 février 1987) avec notamment Christophe Malavoy, Claire Nebout, Véronique Genest (la commissaire de police), Jean-Pierre Bisson (l'affreux jojo), Roger Dumas et Hubert Deschamps. François Cluzet y a le premier rôle, celui d'un ancien étudiant de HEC qui a réussi comme ses anciens camarades, pris dans une mécanique implacable d'argent trouble et de pots de vin.
François Cluzet n'était pas un inconnu puisqu'il avait eu déjà deux nominations aux Césars. En tout, il a reçu un (seul) César du meilleur acteur en 2007 pour le film de Guillaume Canet "Ne le dis à personne" (sorti le 1er novembre 2006) avec Marie-Josée Croze, Kristin Scott Thomas, André Dussollier, Jean Rochefort, Nathalie Baye, François Berléand, etc. Mais il a été nommé pour dix autres Césars (entre 1984 et 2017).
Avec Guillaume Canet comme réalisateur, François Cluzet a aussi tourné des chroniques sociales (toujours une bande de copains) dans "Les Petits Mouchoirs" (sorti le 20 octobre 2010) et sa suite, "Nous finirons ensemble" (sorti le 1er mai 2019) avec Marion Cotillard, Valérie Bonneton, Benoît Magimel, Gilles Lellouche, Laurent Lafitte, Pascale Arbillot, Louise Monot, etc. Un personnage auquel le public peut facilement s'identifier. Dans ces deux films, Valérie Bonneton joue la femme puis l'ex-femme de François Cluzet, ce qui était le cas aussi dans la vraie vie, ce qui leur a permis d'engendrer deux enfants (les deux parents étaient déjà séparés avant la sortie du premier film).
L'acteur a connu aussi une histoire d'amour avec Marie Trintignant, mère d'un de ses quatre enfants. Ils ont tourné ensemble une dizaine d'années plus tard dans "Janis et John", film de Samuel Benchetrit (sorti le 15 octobre 2003), avec Jean-Louis Trintignant, Christophe Lambert et Sergi Lopez. François Cluzet et Marie Trintignant sont amenés à devenir John Lennon et Janis Joplin ! On peut comprendre pourquoi François Cluzet a eu des mots très dur contre Bertrand Cantat. C'était le dernier film qu'a tourné Marie Trintignant qui est morte tuée de violences conjugales deux mois et demi avant sa sortie.
On ne peut évidemment pas évoquer François Cluzet sans parler du grand succès commercial du film d'Éric Toledano et Olivier Nakache "Intouchables" (sorti le 2 novembre 2011) où François Cluzet a tenu la vedette avec Omar Sy, reprenant l'histoire vraie de Philippe Pozzo di Borgo (qu'ils ont rencontrés pour l'occasion) avec son auxiliaire de vie (Philippe Pozzo di Borgo est mort il y a deux ans, le 2 juin 2023). Consécration puisque le film a battu (presque) tous les records avec 52,5 millions d'entrées dans le monde, dont 19,5 millions en France, dépassant de loin "La Grande Vadrouille", "Avatar", "Les Visiteurs", "Le Corniaud", etc. au box-office français : seuls "Titanic" et "Bienvenue chez les Ch'tis" ont fait mieux que "Intouchables".
"Intouchables" au pluriel (le pluriel est important) est à la fois un film excellemment interprétés, où le handicap n'est pas une caractéristique intrinsèque de la personnalité, et où finalement on s'aperçoit que tout le monde a une situation de handicap dans son comportement, son être, etc. Bien entendu, la prestation d'Omar Sy l'a emporté sur celle de François Cluzet car ce dernier tenait déjà des rôles similaires (ne serait-ce que dans "Association de malfaiteurs" où il était déjà un millionnaire insolent) alors que le rôle d'Omar Sy était assez novateur, ce qui l'a fait véritablement décoller au cinéma (avec parfois du cabotinage agaçant).
J'ai cité très peu de films dans lesquels a joué François Cluzet et il serait difficile de les citer tous, parfois du cinéma d'auteur. Depuis 1980, il a joué dans 92 films au cinéma, 25 téléfilms à la télévision et (depuis 1976), 9 pièces de théâtre, surtout au début de sa carrière, et la dernière très récemment, cette année, du 25 janvier au 18 avril ("Encore une journée divine", mis en scène par Emmanuel Noblet, au Théâtre des Bouffes-Parisiens, où il jouait un psy interné), et également une en 1990 avec Marie Trintignant à Chaillot ("Y'a pas que les chiens qui s'aiment").
Au début de sa carrière, François Cluzet faisait la réplique avec d'autres acteurs tellement brillants qu'il avait du mal à briller par lui-même. Rebecca Manzoni, qui l'a interviewé le 30 septembre 2012 sur France Inter, constatait : « C’est vrai qu’on peut penser à Cluzet en termes de duos. Celui qu’il formait avec Depardieu, Guillaume, dans ce beau film de Pierre Salvadori qui s’intitule "Les Apprentis". Celui qu’il forme avec Omar Sy, dans "Intouchables" et aujourd’hui [dans "Do not Disturb"], il joue avec Yvan Attal. ». C'est un acteur à duos. C'est pour cela qu'il est monté patiemment dans la locomotive du cinéma français jusqu'à cet "Intouchables", mais même là, c'est Omar Sy qui lui a ravi le César du meilleur acteur.
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Parmi ses autres films, on peut donc citer "L'Été meurtrier" de Jean Backer (sorti le 11 mai 1983), avec Isabelle Adjani, Alain Souchon, Michel Galabru et Suzanne Flon ; "Autour de minuit" de Bertrand Tavernier (sorti le 26 septembre 1986), avec Dexter Gordon ; "Une affaire de femmes" de Claude Chabrol (sorti le 21 septembre 1988), avec Isabelle Huppert, Nils Tavernier et Marie Trintignant ; "Trop belle pour toi" de Bertrand Blier (sorti le 12 mai 1989), avec Gérard Depardieu, Josiane Balasko, Carole Bouquet, Roland Blanche, etc. ; "L'Enfer" de Claude Chabrol (sorti le 16 février 1994), avec Emmanuelle Béart, Marc Lavoine, Nathalie Cardone et André Wilms ; un petit rôle dans un film américain à grande distribution, "Prêt-à-porter" de Robert Altman (sorti le 23 décembre 1994), avec notamment Marcello Mastroianni, Sophia Loren, Kim Basinger, Jean-Pierre Cassel, Anouk Aimée, Tom Novembre, Julia Roberts, Lauren Bacall, Michel Blanc, Jean Rochefort, Sonia Rykiel, Carla Bruni, Claudia Schiffer, etc. ; "Les Aprentis" de Pierre Salvadori (sorti le 20 décembre 1995), avec Marie Trintignant, Judith Henry et Guillaume Depardieu.
Et aussi : "Quatre étoiles" de Christian Vincent (sorti le 3 mai 2006), avec Isabelle Carré et José Garcia ; "À l'origine" de Xavier Giannoli (sorti le 11 novembre 2009), avec Emmanuelle Devos, Gérard Depardieu et Vincent Rottiers ; "En solitaire" de Christophe Offenstein (sorti le 6 novembre 2013), avec Virginie Efira, Samy Seghir et Guillaume Canet ; "Un moment d'égarement" de Jean-François Richet (sorti le 24 juin 2015), avec Vincent Cassel, Lola Le Lann et Alice Isaaz ; et "Médecins de campagne" de Thomas Lilti (sorti le 23 mars 2016), avec Marianne Denicourt, Isabelle Sadoyan et Félix Moati.
Dans l'interview citée au début, accordée à Marie Deshayes pour "Femina", François Cluzet confiait, avec sa sincérité légendaire : « Quand mon père avait 70 ans et moi 35, je lui ai demandé : "Ça passe vite ?". Il m'a répondu : "En cinq minutes". J'ai alors décidé de vivre en essayant d'être au maximum du côté du bon et en fréquentant au maximum le beau. (…) Quand j'ai commencé, l'intérêt porté aux gravures de mode s'était déplacé sur des petits gars normaux comme moi, auxquels le public pouvait s'identifier. J'ai fait ce métier pour être aimé et changer de statut social. J'y suis arrivé, mais désormais je n'attends rien du cinéma. En vieillissant, le spectre des rôles s'est réduit, et sur les tournages on me sert du "monsieur" avec le respect que l'on accorde aux anciens. Des acteurs plus jeunes tiennent la barre, c'est une évolution normale, et je n'en tire aucune frustration. D'ailleurs, je pourrais ne plus tourner pour ne faire que du théâtre. Je crois fondamentalement au sacré de la scène, à l'oxygène, au temps, au rire et à l'émotion partagés avec le public. ».
Et de conclure : « Je n'ai plus besoin de travailler, mes enfants sont grands, je vis dans le Midi, j'ai tout ce qu'il me faut. Je n'irai jamais faire un film pour l'argent, et je ne me tairai pas face à certains comportements. Au cinéma, sous prétexte que l'on dit "Moteur !", l'acteur peut être vulgaire, colérique, maltraitant avec un assistant ou une jeune actrice. Je ne le supporte pas et je lui dis tout haut quel sale type il est. Après avoir été cinquante ans dans le métier, je fais ce qui me semble juste, c'est viscéral. Je me revois gamin, être méprisé… Aujourd'hui, avant de me lancer, j'ai besoin de sonder la personne, voir si elle a du cœur. ».
Ce qui a été le cas du dernier film où il a joué, "Fils de", une comédie politique de Carlos Abascal Peiro (sorti il y a deux semaines, le 3 septembre 2025), avec Karin Viard et Jean Chevalier. Il est un candidat possible pour le poste de Premier Ministre... enfin, selon son fils. Rideau ! (et bon anniversaire !).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Cluzet.
Robert Redford.
Lauren Bacall.
Micheline Presle.
Sarah Bernhardt.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Marlène Jobert.
Alfred Hitchcock.
Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
Charlie Chaplin.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250921-francois-cluzet.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/francois-cluzet-la-sensibilite-d-262553
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/09/19/article-sr-20250921-francois-cluzet.html
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