Le moine-soldat Sébastien Lecornu

9 octobre 2025 4 09 /10 /octobre /2025 04:37

« J'ai désormais l'intime conviction que l'équipe qui devra prendre les responsabilités dans les temps à venir, quelle qu'elle soit, quel que soit le choix du Président de la République, devra être une équipe qui est complètement déconnectée des ambitions présidentielles pour 2027. » (Sébastien Lecornu, le 8 octobre 2025 sur France 2).

Dans la crise politique qui ravage la France actuellement, les responsabilités sont partagées. Certes, on peut évoquer la décision insensée de dissoudre l'Assemblée Nationale de la part du Président de la République Emmanuel Macron (que je qualifierais de suicidaire), mais ce n'est pas Emmanuel Macron qui a donné le résultat électoral que l'on connaît, ce sont les Français dans leur diversité et leurs divisions. Quant à la classe politique, elle n'est pas au niveau des enjeux. Sébastien Lecornu navigue ainsi entre un navire en péril appelé socle commun et une tentation (là aussi insensée) d'un gouvernement de gauche alors que le pays est très globalement le plus à droite de toute son histoire.

Quelle est la fonction exacte de Sébastien Lecornu : le Premier Ministre démissionnaire à qui le chef de l'État a donné une mission de 48 heures de médiation pour ne pas dire négociation avec toutes les formations politiques, toutes sauf celles qui ont refusé d'aller à Matignon, à savoir les deux extrêmes, le RN et FI. Le futur ancien Premier Ministre est par ailleurs le Ministre des Armées démissionnaire après la démission du ministre démissionnaire Bruno Le Maire. La furtivité nuit à l'esprit humain.

Le mercredi 8 octobre 2025 fut donc la dernière journée de la mission de Sébastien Lecornu au cours de laquelle il a rencontré séparément les formations politiques de la gauche (PS, PCF et EELV), puis du socle commun, avec la visite séparée des deux rivaux de LR, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau (il y aurait beaucoup à dire sur LR).

Au début de la journée du 8 octobre 2025, Sébastien Lecornu a fait un premier point sur la situation de ses consultations : il a affirmé que la perspective d'une dissolution s'éloignait. Il a été un peu plus clair dans le journal de 20 heures sur France 2 en complétant qu'il y avait une majorité absolue pour ne pas dissoudre, oubliant au passage que la dissolution est l'une des rares prérogatives que peut prendre seul le Président de la République.

Répondant à une Léa Salamé insupportable dans ses interruptions et, surtout, sa non-écoute, malgré son extinction de voix, Sébastien Lecornu n'a cependant levé aucune incertitude, se réfugiant sur le fait qu'il n'était ni le Président de la République, ni son chef de cabinet pour indiquer son agenda de communication.

Ce que croit Sébastien Lecornu, c'est qu'il y aurait un chemin possible pour éviter une censure et laisser l'Assemblée construire un budget cet automne. Parmi les signes de décrispation, à gauche (mais recrispant à droite), il y aurait une possible suspension de l'application de la réforme des retraites de 2023 pour les années 2026 et 2027 (au coût non négligeable de 500 millions d'euros la première année et 3 milliards d'euros la seconde année). C'est l'ancienne Première Ministre Élisabeth Borne qui l'a envisagée le 7 octobre 2025 dans "Le Parisien".

Sébastien Lecornu a bien affirmé que sa mission était terminée et qu'il l'avait acceptée malgré sa difficulté parce qu'il était un moine-soldat. Mais il n'a pas exclu tout à fait d'être de nouveau reconduit pour constituer le prochain gouvernement. Beaucoup de Français d'ailleurs ont découvert le Premier Ministre démissionnaire à l'occasion de cette crise politique : Sébastien Lecornu a la parole rare, le ton modeste et la bienveillance du consensuel. Il est lucide et dit les choses comme elles le sont, sans élément de langage, sans langue de bois. En somme, il s'est révélé. Il fait penser un peu à Georges Pompidou, pas seulement avec ses gros sourcils et sa voix grave, mais aussi dans sa manière de parler simple, accessible et authentique.

On pourrait penser aussi à Édouard Balladur qui avait théorisé la cohabitation en proposant que le Premier Ministre de cohabitation ne soit pas candidat à l'élection présidentielle (il a lui-même violé cette règle en 1995). Sébastien Lecornu a proposé que le Premier Ministre mais aussi les ministres ne soient pas candidats à l'élection présidentielle de 2027 afin de se consacrer totalement à leur tâche de servir le pays sans arrière-pensée et sans posture politicienne. Lui-même, d'ailleurs, a confirmé qu'il n'avait aucune intention à se présenter à l'élection présidentielle... mais pourquoi pas ? Après tout, je pense qu'il pourrait bénéficier d'une regain de popularité avec cette dernière semaine. Et Georges Pompidou l'a bien théorisé aussi : toute personne qui entre à Matignon pense à l'Élysée.

Toujours est-il que l'Élysée a confirmé que le prochain Premier Ministre serait nommé d'ici au vendredi 10 octobre 2025. La journée du 9 octobre 2025 est consacrée par le Président de la République non seulement à l'hommage à Robert Badinter au Panthéon, pause de concorde nationale malgré les stupides profanations de sa tombe à Bagneux (mais faut-il vraiment en faire la publicité dans l'information ?) et à une rencontre internationale importante pour la paix au Proche-Orient au Quai d'Orsay au moment où le Plan Trump a des chances non négligeables de réussir.

La question revient donc de nouveau comme une récurrence sans fin depuis l'été 2024 : qui à Matignon ? La perspective d'une reconduction de Sébastien Lecornu est régulièrement évoquée, mais on parle aussi, pour satisfaire la gauche, de Bernard Cazeneuve ou Pierre Moscovici. Toutefois, Jean-Louis Borloo serait maintenant le favori ; lui-même ne serait pas contre malgré son âge (le même que Michel Barnier et François Bayrou) et qui aurait eu aussi l'assentiment sincère mais peut-être imprudent de Patrick Kanner, l'influent président du groupe socialiste au Sénat (il a dit chiche !).

Je vois toutefois deux autres personnalités possibles. Xavier Bertrand, candidat à Matignon depuis une quinzaine d'années, qui a été interdit de gouvernement par le RN, mais à partir du moment où le RN censurerait tout gouvernement, paradoxalement, sa nomination reviendrait dans le champ des possibles. Et Christine Lagarde, ancienne Ministre de l'Économie et de Finances, ancienne directrice générale du FMI et actuelle Présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE). Sa nomination permettrait de coupler à la fois la qualité technique et non politique du gouvernement mais aussi la compétence et l'expérience institutionnelles des rapports avec le Parlement qu'elle a acquises sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.