« J'ai été clair en début de semaine, ma mission était terminée. Bon, il se trouve que l'urgence à avoir des textes économiques et financiers, à devoir les présenter dans les temps, à traiter des sujets aussi d'urgence liés à la Nouvelle-Calédonie, la difficulté aussi, je crois, de la mission, je n'ai pas le sentiment qu'il y avait beaucoup de candidats, pour être complètement transparent. (…) Je n'ai pas d'agenda. Je n'ai pas d'autre ambition que de se sortir de ce moment qui est objectivement très pénible pour tout le monde. » (Sébastien Lecornu, le 11 octobre 2025 à L'Haÿ-les-Roses).
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Le psychodrame s'arrêtera-t-il ? Provoqué par un tweet malheureux le dimanche soir par Bruno Retailleau en colère contre le retour de Bruno Le Maire au gouvernement qui n'avait rien demandé, Sébastien Lecornu avait préféré prendre les devants en démissionnant le lendemain matin. Toute la semaine a été utilisée pour répondre à cette question : comment garder un peu de stabilité politique pour voter les deux lois de finances et prendre des mesures urgentes pour la Nouvelle-Calédonie dans une Assemblée aussi éclatée ? Approchons-nous de la maturité ?
Et finalement, ces deux jours de mission de négociations pour établir les bases d'une non-censure étaient utiles. La journée du vendredi 10 octobre 2025 a donc été cruciale, car le centre de gravité de la politique française est repassé de Matignon à l'Élysée où le Président Emmanuel Macron, sur une convocation datant de la nuit du 9 au 10 (à 1 heure 53), a réuni à 14 heures 30 tous les partis susceptibles de ne pas voter de censure, à savoir tout le spectre parlementaire sauf le RN et FI (qui ont protesté de ne pas avoir été invités mais qui, en même temps, avaient déjà annoncé qu'ils ne viendraient pas !).
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La tonalité de cette grande réunion était assez contrastée : optimisme à l'Élysée (il y aurai un chemin !), sidération chez les écologistes et inquiétude chez les socialistes qui ont affirmé qu'il n'y avait pas de garantie de non-censure. En fait, on se trouve à une sorte de Jour sans fin, une vis sans fin, un vice sans fin, un chat qui se mord la queue : Sébastien Lecornu n'avait rien dit pendant ses consultations à Matignon, ne faisant qu'écouter, et Emmanuel Macron idem, il n'a rien dit, si ce n'est que le choix du Premier Ministre ne se ferait pas parmi la gauche car elle est arithmétiquement moins nombreuses que le socle commun.
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Certes, le socle commun a diminué, et c'est une erreur de compter 211 voix pour celui-ci alors que François Bayrou n'avait obtenu que 194 votes de confiance à l'Assemblée le 8 septembre 2025 (décidément, tout le monde a oublié François Bayrou ! J'y reviendrai), mais à gauche, le groupe insoumis a affirmé qu'il voterait la censure même contre un gouvernement dirigé par un socialiste, ce qui retire aussi 71 voix à la gauche. Le bloc central, malgré ses divisions, reste encore bien le seul pôle de stabilité de cette Assemblée, quoi qu'en disent les extrêmes.
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L'attente pour la nomination du nouveau Premier Ministre a fait attendre les journalistes de plus en plus impatients et agacés juste avant un week-end. Finalement, l'annonce s'est faite ce vendredi 10 octobre 2025 vers 22 heures, sans trop de surprise, puisque Sébastien Lecornu a été reconduit. Et Sébastien Lecornu II semble avoir déjà acquis une expérience majeure à cette fonction, celle du Premier Ministre du compromis. La reconduction était institutionnellement possible car il n'a pas démissionné le 6 octobre 2025 du fait de l'adoption d'une motion de censure ou d'un rejet dans un vote de confiance, mais par une décision personnelle pour rétablir un peu d'ordre dans le socle commun.
Tout doit aller très vite : il faut un conseil des ministres le lundi 13 octobre 2025 pour présenter le budget, puis mardi 14 octobre 2025, la déclaration de politique générale (qu'il devait prononcer le 7 octobre 2025)... et enfin, la discussion budgétaire. Les insoumis ont annoncé qu'ils déposeraient dès lundi une motion de censure. Mais avant la fin du week-end, il faudra nommer les ministres. Bref, on revient à la case précédente du dimanche 5 octobre 2025.
Sur le plan pratique, il fallait un homme d'expérience, et Sébastien Lecornu l'est désormais. Il a aussi le contact avec les différents partis non extrémistes. De plus, sa proximité avec le Président de la République a un réel intérêt politique ; il saura, mieux que tout autre Premier Ministre, le faire évoluer pour obtenir un compromis, en particulier sur la question des retraites où la sémantique va jouer un rôle majeur pour la posture politique des uns et des autres (le choix entre suspension et report).
Le samedi 11 octobre 2025 à midi, Sébastien Lecornu a visité le commissariat de police de L'Haÿ-les-Roses, reçu par le député et ancien maire Vincent Jeanbrun (porte-parole des députés LR), qui avait été attaqué jusque dans son domicile familial par les émeutiers en été 2023 et était accompagné du préfet de police de Paris Laurent Nunez, pressenti pour Place Beauvau.
Lors de sa première nomination, Sébastien Lecornu I était allé en premier déplacement dans un hôpital parler de la santé des Français. Sébastien Lecornu II est allé parler de la sécurité des Français, en évoquant même le bon travail accompli par Bruno Retailleau et son engagement personnel dans la gendarmerie nationale. C'est une pratique un peu "ancien monde" mais qui peut avoir son efficacité : les images parlent toujours.
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Interrogé par les journalistes, Sébastien Lecornu s'est contenté d'un discours modeste et consensuel : « Je ne suis pas là pour faire la morale. Moi, je ferai mon devoir, et je ne serai pas un problème, je vous le dis comme je le pense, je ne serai pas un problème. (…) Par définition, il faut que ce gouvernement puisse être libre, c'est-à-dire avec des sensibilités partisanes, mais pas emprisonné par les partis. Il faut que ce gouvernement puisse être libre, y compris vis-à-vis de la prochaine élection présidentielle. (…) Je pense que l'équipe qui doit se concentrer sur l'actualité-là, du pays, des attentes pour les Françaises et les Français, ne peuvent pas se disperser à plusieurs choses en même temps. C'est du bon sens. Et je pense qu'en remettant du bon sens, on va remettre du calme ; en remettant du calme, on remettra de la stabilité ; en mettant de la stabilité, on remettra du progrès aussi pour les Françaises et les Français, parce qu'en fait, je le dis aussi à tout le monde, il n'y a pas de progrès social et il n'y a pas d'avancée quand on fait du surplace dans une crise politique. ».
Un "gouvernement libre", c'est un nouveau concept, très intéressant. Pourquoi le Premier Ministre reconduit parle-t-il de gouvernement libre ? Il pense déjà à l'élection présidentielle : les ministres ne devront pas avoir d'arrière-pensées à propos de l'élection présidentielle, ce qu'il avait déjà dit auparavant, pas de connexion avec les ambitions présidentielles qui ne géreraient que les postures et pas les actions. Ce serait donc un message adressé à LR ravagé (encore ce samedi) par la rivalité entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau devenue une réelle et profonde division entre députés LR et sénateurs LR.
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Mais en fait, je crois qu'il faut aussi l'interpréter comme un message adressé d'abord au chef de l'État : le Premier Ministre sera libre de faire les compromis nécessaires pour atteindre la stabilité et faire adopter un budget.
Et pour cela, Sébastien Lecornu connaît les deux conditions de non-censure du parti socialiste : d'une part, ne pas utiliser l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour le vote du budget, et cette condition est déjà acquise depuis le 3 octobre 2025 ; d'autre part, la suspension de la réforme des retraites, c'est-à-dire le gel pour 2026 et 2027 du recul progressif de l'âge légal de la retraite et aussi le gel de l'accélération du calendrier Touraine pour le nombre de trimestres cotisés. Le coût d'une telle mesure (évalué à 500 millions d'euros en 2026 et 3 milliards d'euros en 2027) serait le prix à payer pour la stabilité et le vote du budget. La censure du gouvernement de Michel Barnier avait coûté plus de 10 milliards d'euros à l'État l'an dernier. Il faut mettre ces deux éléments dans la balance.
D'ailleurs, ce que reprochent les marchés financiers actuellement à la France, ce n'est pas ses fondamentaux financiers (qui peuvent se rétablir), mais l'incapacité de la classe politique à s'entendre et à faire un budget permettant à son économie de voir son avenir avec un certaine anticipation (notamment sur les charges sociales et fiscales).
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L'absence d'article 49 alinéa 3 permettra des discussions budgétaires rudes et difficiles, notamment pour réduire les inégalités mais aussi, obsession de la gauche, taxer encore, taxer toujours (comme si le principe d'égalité, c'était que tous les contribuables se retrouvent à poils).
Donc, il y a un véritable chemin, à condition que la composition du nouveau gouvernement ne soit pas une provocation comme ce fut le cas avec le premier gouvernement dans lequel la présence de Bruno Le Maire, pourtant mentor du Premier Ministre, ne pouvait pas être perçue positivement.
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Cela se fera sans Bruno Retailleau qui, dans un email aux adhérents de LR, a commenté la situation : « Emmanuel Macron a choisi de se recroqueviller sur un dernier carré de fidèles. Ma conviction, c'est que la droite ne peut pas participer à un gouvernement qui incarnera le macronisme finissant. ». Un réflexion qui est incompréhensible alors qu'il a été un an ministre d'Emmanuel Macron de son propre choix.
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Chat échaudé, le Premier Ministre a du reste déclaré dans "La Tribune Dimanche", ce samedi soir : « Si les conditions n'étaient de nouveau plus remplies, je partirais. Je ne ferai pas n'importe quoi. ». Et d'ajouter : « Repartir n'était pas une évidence pour moi. ». La composition du gouvernement Lecornu II ne devrait pas être connue avant le début de la semaine prochaine...
En tout cas, Sébastien Lecornu a pris son risque et montre qu'il est un homme de devoir. De toutes les personnalités de la classe politique actuelle, c'est bien le seul qui parle avec sincérité de l'intérêt national. Reste à savoir s'il saura en faire des émules à l'Assemblée.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 octobre 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Sébastien Lecornu II, homme de devoir et gouvernement libre.
Le moine-soldat Sébastien Lecornu.
Un gouvernement de 14 heures...
Le gouvernement Lecornu sera-t-il éphémère ?
Composition du Gouvernement Sébastien Lecornu I nommé le 5 octobre 2025.
Le retour de Michel Barnier.
Nicolas Sarkozy bientôt en prison : choc septique pour nos institutions !
Les 25 ans du quinquennat.
La France reconnaît l'État de Palestine aux Nations-Unies.
Fitch : ne pas surinterpréter la rétrogradation de la note de la France.
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Du Tohu-bohu à Sébastien Lecornu.
Sébastien Lecornu après François Bayrou.
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François Bayrou et la victoire du tohu-bohu.
Déclaration de politique générale du Premier Ministre François Bayrou le 8 septembre 2025 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
Journée critique pour Bayrou... et la France !
Interview du Premier Ministre François Bayrou le 7 septembre 2025 pour Brut (vidéo).
Interview du Premier Ministre François Bayrou le 5 septembre 2025 sur RTL (texte intégral et vidéo).
Interview du Premier Ministre François Bayrou le 4 septembre 2025 dans le journal de 20 heures sur France 2 (texte intégral et vidéo).
Interview du Premier Ministre François Bayrou le 3 septembre 2025 dans "Paris Match" (texte intégral).
Démission, destitution... Emmanuel Macron peut-il écourter son second mandat présidentiel ?
François Bayrou tend la main à toutes les forces politiques.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251011-lecornu.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sebastien-lecornu-ii-homme-de-263790
http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/10/11/article-sr-20251011-lecornu.html
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