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16 octobre 2025 4 16 /10 /octobre /2025 04:02

« L’homme qui ose souhaiter la victoire de l’Allemagne s’est exclu de la France, il s’est condamné à mort. [Il est] un Judas doublé d’un maître-chanteur et triplé d’un négrier. (…) Pour forcer les ouvriers français à mener dans les usines bombardées du Reich une existence pire que celle des coolies [ouvriers agricoles d’origine asiatique], il a commencé par fermer mille trois cents usines, de manière à synchroniser la création du chômage avec l’invitation au voyage. » (Maurice Schumann, le 22 juin 1942 à la BBC).





 


C'était au petit matin. L'avenir était barré. L'homme fatigué a tenté son dernier pied de nez avec le destin, une ultime liberté. Capsule de cyanure ouverte dans la bouche. Mais on l'a ramené à la vie. On lui a fait un lavage d'estomac. Il s'est rétabli. Il allait pouvoir jouer sa dernière partition. À 12 heures 32, des coups sont partis. La petite histoire, c'est que dans la cour de la prison, un gamin de 9 ans et demi jouait et a entendu ces coups de feu. C'était Alain Delon, qui dira plus tard qu'on peut être traumatisé par un bruit, pas seulement une image.

Il y a quatre-vingts ans, le 15 octobre 1945, à la prison de Fresnes, Pierre Laval succombait aux tirs du peloton d'exécution. Il avait été jugé et condamné à mort dix jours auparavant. De Gaulle, le chef de l'État et Président du Gouvernement provisoire, qui avait gracié Pétain, lui aussi condamné à mort, n'avait pas voulu accorder la clémence de la France à celui qui l'avait engagée dans une monstrueuse politique de collaboration active avec l'Allemagne nazie
. L'élément majeur qui l'a condamné de manière irréversible ? « Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme demain s’installerait partout ! ». Une déclaration publique folle, prononcée le 22 juin 1942 à l'occasion du première anniversaire de l'attaque de l'Allemagne nazie contre l'URSS, qui fut la trahison suprême, vouloir la victoire de l'ennemi.
 


Et pourtant, c'est intéressant de relire ce que disait De Gaulle sur Pierre Laval, de manière réfléchie, loin de l'émotion, dans ses "Mémoires du guerre" : « Porté de nature, accoutumé par le régime, à aborder les affaires par le bas, Laval tenait que, quoi qu'il arrive, il importe d'être au pouvoir, qu'un certain degré d'astuce maîtrise toujours la conjoncture, qu'il n'est point d'événement qui ne se puisse tourner, d'hommes qui ne soient maniables. Il avait, dans le cataclysme, ressenti le malheur du pays mais aussi l'occasion de prendre les rênes et d'appliquer sur une vaste échelle la capacité qu'il avait de composer avec n'importe quoi. Mais le Reich victorieux était un partenaire qui n'entendait pas transiger. Pour que, malgré tout, le champ s'ouvrît à Pierre Laval, il lui fallait donc épouser le désastre de la France. Il accepta la condition. Il jugea qu'il était possible de tirer parti du pire, d'utiliser jusqu'à la servitude, de s'associer même à l'envahisseur, de se faire un atout de la plus affreuse répression. Pour mener sa politique, il renonça à l'honneur du pays, à l'indépendance de l'État, à la fierté nationale. Or, voici que ces éléments reparaissaient vivants et exigeants à mesure que fléchissait l'ennemi. Laval avait joué. Il avait perdu. Il eut le courage d'admettre qu'il répondait des conséquences. Sans doute, dans son gouvernement, déployant pour soutenir l'insoutenable toutes les ressources de la ruse, tous les ressorts de l'obstination, chercha-t-il à servir son pays. Que cela lui soit laissé ! ».

On le voit, le Général était capable de reconnaître, finalement chez son plus grand ennemi politique, sa volonté de « servir son pays ». Le problème est juste une question de définition ou de discernement. Jusqu'où transiger politiquement pour parfaire sa carrière politique et son goût du pouvoir ?

Élu député SFIO de Saint-Denis à 30 ans, maire d'Aubervilliers à 39 ans, ministre à 41 ans, Pierre Laval, avocat de la CGT, qui aurait pu intégrer le gouvernement de Georges Clemenceau dès novembre 1917 à la demande de Georges Mandel (les socialistes refusaient toute participation au gouvernement), était l'archétype de l'homme politique carriériste sous la Troisième République finissante, celle de l'entre-deux-guerres. Battu aux élections de 1919 et réélu en 1924, il a rapidement pris ses distances avec la SFIO et est devenu un socialiste indépendant prêt à toutes les combinaisons et manœuvres politiques, dans le sens le plus politicien du terme.

Cette capacité à prendre les bonnes places, à être un arriviste, a été couronnée de succès : il a été membre de seize gouvernements (avec des ministères importants : Travaux publics, Justice, Travail et Prévoyance, Intérieur, Affaires étrangères, Colonies) dont six fois il en était le chef. Quatre fois Président du Conseil du 27 janvier 1931 (il avait 47 ans) au 6 février 1932 et du 7 juin 1935 au 22 janvier 1936. L'infamie a été qu'il a été deux fois chef du gouvernement de Vichy, du 16 juillet 1940 au 13 décembre 1940, puis, remis par les nazis, du 18 avril 1942 au 19 août 1944.

 


C'est lui qui a organisé la fameuse séance du Parlement au casino de Vichy le 10 juillet 1940 pour imposer aux parlementaires de donner les pleins pouvoirs à Pétain (alors Président du Conseil), le rendant chef de l'État français (et tant pis pour Albert Lebrun, le Président de la République réélu pour sept ans en 1939), ce qui a marqué la mort de la Troisième République.

Mais malgré ces années de collaboration scandaleuse, Pierre Laval, qui a compris la victoire des Alliés en août 1944, a tenté de rétablir la Troisième République en faisant revenir Édouard Herriot, le Président de la Chambre en 1940, et Jules Jeanneney, le Président du Sénat en 1940. Le second refusant de s'y plier, le premier a finalement abandonné Pierre Laval à son triste sort.

Bénéficiant de quelques mois de répit à Barcelone selon un accord avec Franco, Pierre Laval voulait préparer sa défense et la défense de sa politique au procès de Pétain dont il fut témoin à son retour forcé en France. Il ne s'inquiétait pas de son propre procès qu'il considérait comme une sorte d'instance où il devrait expliquer sa politique de collaboration. Il n'imaginait pas qu'il serait condamné à mort et rapidement exécuté. Le plus curieux d'ailleurs, c'est que ce procès a été bâclé, très éloigné des normes de la procédure pénale, mais personne, à part sa famille, n'a réclamé sa réhabilitation ou un nouveau procès pour l'histoire, plus équitable. Il ne reste de l'action de Pierre Laval qu'une biographie, orientée mais intéressante, rédigée en 1983 par son gendre, l'avocat René de Chambrun (mort en 2002), dont je recommande la lecture pour ceux qui veulent comprendre ces temps troublés.

On n'a jamais tiré vraiment les leçons de la trajectoire vaseuse de Pierre Laval. Il était dans le camp progressiste, soucieux du bien-être social du peuple, défendant les petites gens, et il s'est retrouvé le laquais d'un bourreau suprême, d'un ennemi total, du mal absolu. Le pire, c'est qu'il n'a jamais été vraiment authentique idéologiquement. Lorsque Pétain a amorcé sa "Révolution nationale", qu'il a mis en avant le travail, la famille et la patrie, qu'il a rappelé l'importance des travaux agricoles, l'héroïsme des soldats, etc., il exprimait ses convictions et tentait d'imprimer les institutions par ses convictions, profitant des circonstances. Pierre Laval, pas du tout. Il pouvait retourner ses convictions comme sa veste ou même comme sa cravate perpétuellement blanche. Au prix de centaines de milliers voire de millions de morts !


Quand j'observe une personnalité politique, depuis les années 1980, je la replace toujours dans cette perspective historique. On dit souvent : à 20 ans en 1940, qu'aurais-je choisi de faire ? Résistant, collaborateur ou confortable passif ? C'est sûr, avec le regard a posteriori, c'est toujours facile de savoir qu'elle aurait été la bonne réponse, mais à l'époque ?

Il y a donc aussi une autre question : qui sont les Pierre Laval potentiels d'aujourd'hui, en cas de situation aussi catastrophique qu'en 1940. Qui seraient prêts à lâcher nos valeurs pour un vainqueur extérieur ? Qui aiment si mal la France qu'ils voudraient vendre l'Europe à la Russie de Poutine ? Qui aiment si mal la France qu'ils ne sont pas capables d'admirer ceux, parmi leurs compatriotes, qui ont montré leurs talents, comme les Prix Nobel, comme les créateurs d'entreprises innovantes, les champions sportifs, etc. ? Qui aiment si mal la France qu'ils voudraient voir leur pays bloqué, sans budget, sans gouvernement ?

Ce petit filtre permet d'éliminer certains candidats à l'élection présidentielle, notamment celle de 2027.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 octobre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
De l’arrivisme ordinaire à l’horreur politique (1).
De l’arrivisme ordinaire à l’horreur politique (2).
De l’arrivisme ordinaire à l’horreur politique (3).
Pierre Laval.
Philippe Pétain.
Général De Gaulle.
Maurice Schumann.

Léon Bourgeois.
150 ans de traditions républicaines françaises.




 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251015-pierre-laval.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pierre-laval-cauchemar-en-cuisine-263459

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/10/15/article-sr-20251015-pierre-laval.html



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commentaires

A
Vous n'avez pas évoqué son projet d'Europpe socialiste qui est son point d'accointance avec le nazisme. Il était plus collaborateur avec les nazis que Pétain qui jouait le double jeu d'un petit déposte. Les "voies de la collaboration" sont impénétrables.
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A
Alors plutôt Perrin ou Tallandier, quoique maintenant il y ait Passsé composé et Nouveau Monde (chronos) qui s'en mêlent... ?
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