Overblog Tous les blogs Top blogs Politique Tous les blogs Politique
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
19 octobre 2025 7 19 /10 /octobre /2025 21:11

« Pour ma part, si je suis pour une économie libérale et sociale, c'est-à-dire pour une économie de marché faisant toute sa place à une juste répartition des richesses, je suis une progressiste sincère dans le domaine des problèmes de société. Je n'aime pas les réactionnaires et les conservateurs : mieux vaut accompagner les évolutions que les refuser, car cela permet d'en maîtriser les effets pervers quand il y en a. (…) Suis-je à gauche ou à droite ? Aujourd'hui, je n'en sais rien et cela n'a guère d'importance. Seuls comptent à mes yeux le comportement que l'on adopte, la sincérité, le courage, l'amour des autres et de la vie. » (Monique Pelletier, 2011).



 


Femme moderne, femme discrète. Monique Pelletier est partie sur la pointe des pieds ce dimanche 19 octobre 2025, laissant ses sept enfants, et ses nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants dans le manque d'une femme forte, présente, aimante. Elle venait d'atteindre 99 ans cet été.

Monique Pelletier, c'était des réalisations durables voire révolutionnaires sans tambours ni trompettes. Elle n'était pas dans la posture comme de nombreuses féministes revendiquées d'aujourd'hui, mais dans l'efficacité discrète, celle d'accompagner une société en perpétuelle évolution, celle d'accepter la modernité sociétale pour mieux l'encadrer, mieux en éviter les débordements.

Avocate puis juge pour enfants, Monique Pelletier connaissait particulièrement bien les problèmes familiaux au début des années 1970, en particulier les problèmes d'avortement mais aussi de drogues. Par les hasards d'une rencontre avec Michel Poniatowski, elle a été la première responsable à présenter un rapport sur la drogue sur demande du Président Valéry Giscard d'Estaing en 1977, demandant une meilleure prise en charge des toxicomanes dans les instances médicales. Le rapport est resté lettre morte à cause du conservatisme de la majorité de l'époque, mais le Président de la République a vu dans son auteure un potentiel très fort.

C'est donc par la "société civile" que Monique Pelletier a fait son entrée en politique, par une petite porte comme élue municipale à Neuilly-sur-Seine de mars 1971 à mars 1983 (adjointe du maire Achille Peretti chargée des commerces et des marchés à partir de mars 1977), et par la grande porte lorsque le Premier Ministre Raymond Barre lui a proposé d'intégrer son gouvernement comme Secrétaire d'État à la Justice (auprès du garde des sceaux Alain Peyrefitte) du 10 janvier 1978 au 12 septembre 1978, puis comme Ministre déléguée à la Condition féminine du 12 septembre 1978 au 4 mars 1981 (et aussi à la Famille à partir de février 1980), succédant à Françoise Giroud (et précédant la socialiste Yvette Roudy).

 


Considérée avant tout comme giscardienne, elle était membre du CDP (Centre démocratie et progrès), entre 1969 et 1974, un parti centriste issu du Centre démocrate (CD) de Jean Lecanuet (issu du MRP) mais qui a choisi de soutenir Georges Pompidou en 1969 (le CDP et le CD se sont réunifiés au sein du CDS en 1976). Elle travaillait sur la condition féminine au sein de ce parti. À l'élection président de 1974, son soutien à VGE l'a amenée naturellement à rejoindre les Républicains indépendants (RI, puis PR, Parti républicain). PR ou CDS, finalement, il y a peu de différence à part la philosophie politique d'origine (libérale ou démocrate chrétienne), car les deux familles politiques se sont unies en 1978 dans l'UDF. Au sein du PR, d'ailleurs, elle n'était pas vraiment en phase avec la jeune garde François Léotard, Alain Madelin et Charles Millon qui incarnaient plus un libéralisme conservateur que son progressisme n'a jamais vraiment supporté. En 1988, Monique Pelletier a fait très activement campagne pour la candidature de Raymond Barre à l'élection présidentielle.

Parmi ses réalisations de ministre, elle a fait adopter la reconduction de la loi Veil en 1979 (loi n°79-1204 du 31 décembre 1979), la loi Veil était une loi sur cinq ans qui devait être reconduite par une nouvelle loi ; c'est elle qui a insisté pour qu'elle puisse s'en charger car le sujet lui tenait à cœur (elle était ainsi en ce sens une seconde Simone Veil qu'elle a côtoyée au gouvernement et qu'elle a retrouvée au Conseil Constitutionnel), même si elle aurait préféré aller plus loin, ce que les socialistes au pouvoir ont fait, à savoir le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale. Elle a en outre fait adopter la loi qui criminalise le viol, en 1980 (loi n°80-1041 du 23 décembre 1980) ; avant, le viol n'était qu'un simple délit (aux yeux de ces messieurs législateurs !).

 


En décembre 1978, alors qu'elle venait d'être nommée ministre, son mari (qui avait 58 ans) a été victime d'un AVC et a eu des séquelles graves, restant en situation de grand handicap jusqu'à sa mort en 2015. Monique Pelletier a profité de l'échec de son camp (et de sa candidature aux élections législatives) de 1981 pour quitter la scène politique et se recentrer sur ses activités d'avocate des familles, d'une part, et de proche aidant pour accompagner son mari dans ses difficultés au quotidien, d'autre part. Monique Pelletier a ainsi pu comprendre l'enjeu terrible de ces situations de dépendance, dues à un accident (de santé ou de la vie) ou à la vieillesse, ce qui l'a conduit à présider le Conseil national Handicap pour faire évoluer la société sur le regard qu'on peut porter aux personnes en situation de handicap.

Elle a raconté cette aventure humaine dans un livre en octobre 1995 : « Si le mot bonheur a un sens, je peux me flatter de l’avoir compris mieux que les autres. J’avais tout : un mari brillant qui m’aimait, sept enfants merveilleux, un travail passionnant. On était en 1978 : je venais d’être nommée ministre. Pouvait-il rien m’arriver ? Le bonheur ? La chance ? Le hasard ? Qu’on appelle cela comme on voudra. Mais trop de bonheur, peut-être, trop de chance, trop de hasard. Le jour de Noël de cette année-là, notre vie a basculé. Jean-Marc, mon mari, victime d’une thrombose de la carotide, a sombré dans un coma profond qui l’a conduit aux portes de la mort. Quand, enfin, il s’est réveillé, je l’ai regardé sans comprendre. Rien ne me rappelait l’homme que j’aimais, sinon la certitude que c’était ainsi qu’il était désormais : vivant, oui, mais paralysé, hémiplégique et aphasique. Nous avons dû, l’un et l’autre, reconstruire nos vies. Elles ont, l’une et l’autre, trouvé un nouveau sens, pris une nouvelle direction, au-delà de la ligne brisée. » ("La Ligne brisée", éd. Flammarion).


On peut comprendre que ces difficultés de la vie l'ont durablement éloignée des vicissitudes de la vie politique. Elle a néanmoins fait un petit retour remarqué lorsque le Président Jacques Chirac l'a nommé membre du Conseil Constitutionnel de mars 2000 à mars 2004, lorsqu'il a fallu terminer le mandat de Roland Dumas qui avait démissionné en raison d'affaires judiciaires.

Son expérience avec son mari très diminué, Monique Pelletier en a fait aussi un combat politique pour, d'une part, promouvoir une véritable politique de solidarité portée sur la dépendance (cette fameuse cinquième branche de la sécurité sociale qu'on peine à édifier), et d'autre part, pour dénoncer l'éventuelle légalisation de l'euthanasie qui serait une solution financièrement trop facile et désastreuse face à ces personnes dépendantes. L'ancienne ministre se révoltait contre le scandale de certains EHPAD privés (bien avant que l'affaire Orpea fût révélée), dès novembre 2018 : « En témoignent les énormes bénéfices de ces EHPAD privés, d'autant plus que tout y est rationné : le nombre des aides-soignantes est insuffisant. Chacune d'entre elles assure les soins de quatre résidents au moins et de dix, vingt, voire trente la nuit. Le temps des soins quotidiens consacrés à chaque résident ne dépasse pas dix minutes. Ils n'ont qu'une douche par semaine et quelques minutes de toilette les autres jours. Ajoutons que la somme allouée aux cuisiniers pour quatre repas par jour est rarement supérieure à 4 euros par résidents ! Ces carences graves expliquent les grèves inédites, en début d'année, de ces aides-soignantes qui ne peuvent dispenser les soins nécessaires et se sentent responsables de ces maltraitances. Ce régime accélère la mort des personnes dépendantes (en moyenne, deux ans après leur entrée), laquelle intervient souvent en service d'urgences hospitalières, faute de présence médicale dans l'établissement. Ces "maltraitances" ne sont pas acceptables. ».


En fin de vie elle-même, elle résidait en EHPAD lorsqu'elle est venue à disparaître, après une vie bien chargée et occupée par l'attention portée aux autres. Emmanuel Macron a rendu hommage à cette grande dame ainsi : « Le Président de la République et son épouse saluent ce parcours de cette avocate universelle, femme de tête et femme d’État, qui défendit une vision de la France dont nous sommes aujourd’hui tributaires. ». RIP.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Humaniste et féministe sans l'appellation.
Une femme en avance.
Monique Pelletier.
Jean-Claude Gaudin.
Claude Malhuret.
Valéry Giscard d’Estaing.
Philippe de Villiers.
Jean-Pierre Soisson.
François Léotard.
Michel Poniatowski.
Jean-Pierre Raffarin.
Jean-Pierre Fourcade.
Jean de Broglie.
Christian Bonnet.
Gilles de Robien.
La France est-elle un pays libéral ?
Benjamin Constant.
Alain Madelin.
Les douze rénovateurs de 1989.
Michel d’Ornano.
Gérard Longuet.
Jacques Douffiagues.
Jean François-Poncet.
Claude Goasguen.
Jean-François Deniau.
René Haby.
Charles Millon.
Pascal Clément.
Pierre-Christian Taittinger.
Yann Piat.
Antoine Pinay.
Joseph Laniel.


 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251019-monique-pelletier.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/monique-pelletier-une-femme-263970

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/10/19/article-sr-20251019-monique-pelletier.html


.

Partager cet article
Repost0

commentaires


 




Petites statistiques
à titre informatif uniquement.

Du 07 février 2007
au 07 février 2012.


3 476 articles publiés.

Pages vues : 836 623 (total).
Visiteurs uniques : 452 415 (total).

Journée record : 17 mai 2011
(15 372 pages vues).

Mois record : juin 2007
(89 964 pages vues).