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30 octobre 2025 4 30 /10 /octobre /2025 13:31

« J’entends déjà ce que le parti lepéniste dira dans quelques instants lorsque le groupe EPR se sera opposé à cette proposition de résolution. Ils useront de ce dont ils ont l’habitude, à savoir la malhonnêteté intellectuelle dans toute sa splendeur, en expliquant que nous sommes opposés à l’abolition de cet accord. Je crois donc utile de rappeler la position de notre groupe, qui est très claire. Nous souhaitons, en effet, une sortie de l’accord franco-algérien de 1968. Mais nous ne souhaitons pas une sortie sèche, improvisée, brouillonne et inopérante comme celle que vous proposez. » (Laure Miller, députée EPR, le 30 octobre 2025 dans l'hémicycle).





 


Ce jeudi 30 octobre 2025, c'était, à l'Assemblée Nationale, la niche du Rassemblement national. Rappelons ce qu'est une niche parlementaire. Chaque groupe a sa niche parlementaire une fois par session ordinaire. Voulue par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 initiée par le Président Nicolas Sarkozy, une niche est une journée dont l'ordre du jour est fixée entièrement par le groupe politique concerné.

C'est une avancée puisque, auparavant, c'était le gouvernement qui fixait l'ordre du jour à 100%. Les parlementaires ont donc plus de pouvoir depuis 2008. Dans ces niches, tout est possible, des propositions démagogiques comme des avancées législatives très pertinentes et, parfois, très consensuelles. Tout dépend de la volonté du groupe qui en est responsable.


Le 30 octobre 2025, c'était donc au tour du RN, lors d'une première séance publique du matin, présidée par un vice-président RN de l'Assemblée, Sébastien Chenu, et le groupe RN a réussi à faire adopter, à une voix près (mais là-dessus, on s'en moque, c'est adopté ou ce n'est pas adopté, la logique démocratique est une logique binaire), une proposition de résolution (donc, du verbiage sans aucune conséquence juridique) « visant à dénoncer les accords franco-algériens du 27 décembre 1968 (article 34-1 de la Constitution) ». L'article 34-1 de la Constitution rappelle la signification d'une résolution : « Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions de résolution dont le gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elles contiennent des injonctions à son égard. ». Celle présentée par le député RN Guillaume Bigot était recevable puisque acceptée à l'ordre du jour (établi à la conférence des présidents).

Le scrutin était serré : sur 374 votants, 369 exprimés (5 absentions), il y a eu 185 pour et 184 contre. Cette résolution est donc passée à une voix près. Dans le détail des votes, on voit d'ailleurs qu'il a manqué un vote pour le RN (seulement 122 députés RN ont voté pour, sur 123) et un vote pour le parti ciottiste (seulement 15 députés ciottistes ont voté pour, sur 16). En revanche, la proposition de résolution a reçu le renfort de 26 députés LR (sur 50), 17 députés Horizons (sur 34), 2 députés LIOT (sur 22) et 3 députés non-inscrits (sur 9).

Parmi les députés LR, on y a retrouvé l'ancien Premier Ministre Michel Barnier, également Laurent Wauquiez, Philippe Juvin, Xavier Breton, Thibault Bazin, Émilie Bonnivard, Pierre Cordier, Fabien Di Filippo, Alexandra Martin, Éric Pauget et Michèle Tabarot. Parmi les députés Horizons, il y a eu Thierry Benoit, Paul Chistophe, Frédéric Valletoux et Lise Magnier.

On a critiqué le groupe Horizons en disant qu'ils ont accepté une proposition du RN, mais un député Horizons a confirmé que certains d'entre eux avaient voté favorablement car ils proposaient, eux-mêmes, depuis deux ans de dénoncer ces accords de 1968 mais qu'ils restaient obstinément des adversaires résolus du RN. De même, le vote positif d'une partie des députés LR était logique dans la mesure où c'était LR qui avait proposé le premier cette dénonciation (par la voix de Bruno Retailleau alors président du groupe LR au Sénat).

En fait, s'il faut chercher des responsabilités à ce vote positif, ce n'est pas parmi les députés favorables, mais plutôt parmi les députés opposés à cette résolution.


D'abord, la gauche a été plus ou moins présente pour s'y opposer : 52 députés insoumis sur 71, 53 députés socialistes sur 69, 32 députés écologistes sur 38 et 6 députés communistes sur 17. Ce qui signifie qu'il manquait à l'appel 52 députés de gauche ; il en aurait suffi deux pour que la résolution ne passât pas. Les logorrhées de Mathilde Panot voire de Jean-Luc Mélenchon contre le bloc central ont beau dos : ils suffisaient qu'ils fassent un peu plus de discipline chez eux pour que 19 de leurs députés votassent contre cette résolution, et elle ne serait pas passée. Ils sont donc autant responsables que les autres de l'adoption de cette résolution.

Mais c'est vrai que sans doute le bloc central est à pointer du doigt pour son absence, plus que pour son implosion (j'y reviens plus loin). Effectivement, seulement 30 députés EPR (dont Éric Woerth, Thomas Cazenave, Camille Galliard-Minier, Anne Genetet, Olga Givernet) sur 92 (3 se sont abstenus, dont Karl Olive), 10 députés MoDem (dont Bruno Fuchs, Perrine Goulet, Jean-Paul Mattei, Richard Ramos) sur 36 (2 se sont abstenus) et zéro député Horizons sur 34 ont voté contre la résolution (le groupe Horizons y était majoritairement favorable (17 sur 34).

Cette faible présence a trois raisons. Une première, à la marge, qui est que 14 députés du socle commun étaient dans l'incapacité de voter (13 députés nommés ministres le 12 octobre 2025, et leurs suppléants ne peuvent pas les remplacer avant un mois plus tard, le 12 novembre 2025, plus la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet). Une deuxième raison est la faible mobilisation des députés EPR la veille du week-end de la Toussaint (on se souvient comment la gauche avait raflé les postes de secrétaire au bureau de l'Assemblée le 20 juillet 2024 à cause d'une séance de nuit à laquelle s'étaient absentés beaucoup de députés EPR). Mais la troisième raison semblerait la plus solide : beaucoup de députés EPR seraient favorables au fond de cette résolution (dénoncer les accords de 1968 avec l'Algérie) mais défavorables à donner une victoire au RN.

 


Après cette analyse succincte de ce scrutin (n°3260), évoquons la signification politique, puis le fond du débat.

À l'issue de ce vote, Marine Le Pen a crié victoire en se disant très satisfaite de ce vote favorable et en soulignant que c'est la première fois qu'une proposition du RN a été adoptée par l'Assemblée Nationale. Factuellement, c'est vrai, c'est inédit, mais le fait même que c'est inédit peut poser question, car le groupe RN est le premier groupe de l'Assemblée et a donc les moyens, c'était le cas justement ce jour-là, de mener les débats dans l'hémicycle. Elle a insisté sur l'expression de la démocratie. Mais ce sont des milliers de scrutins qui ont fait adopter des propositions ou des projets par l'Assemblée, il n'y a donc rien d'exceptionnel. C'est étrange comme le concept de démocratie est parcellaire dans l'esprit de Marine Le Pen : si le vote va dans son sens, c'est la victoire de la démocratie, s'il va dans le sens opposé, c'est la défaite du supposé vrai peuple, la victoire du supposé etablishment.

La gauche a parlé de rupture du cordon sanitaire contre le RN. En fait, il n'existe plus depuis le début du quinquennat de François Hollande. En effet, le fait que non seulement les dirigeants mais aussi les cadres du RN sont régulièrement invités dans les médias, et cela bien avant qu'il n'y ait un groupe RN à l'Assemblée, prouve surtout qu'il y a eu une acceptation que le parti lepéniste est un parti comme les autres, jouant dans le débat démocratique. Et dans les faits, c'est le cas. Les députés RN représentent autant, proportionnellement à leur effectif, la voix du peuple que les autres députés. Le retour de deux vice-présidents RN de l'Assemblée le 2 octobre 2025 était logique, mais pas novateur puisque c'étaient ces deux mêmes, Hélène Laporte et Sébastien Chenu (qui ont prouvé qu'ils savaient présider les séances), qui étaient déjà en poste entre juin 2022 et juin 2024. Rien de nouveau : dès lors que le RN a des représentants du peuple, ils ont le droit d'agir comme tels, d'être respectés comme tels, mais restent pour leurs opposants des adversaires politiques et non des alliés. On pourrait juste se poser la question de LR (dont certains ont voté la motion de censure contre le gouvernement dans lequel siègent des députés LR !).

Venons-en au fond. L'idée de remettre en cause les accords de 1968 avec l'Algérie a pour origine le refus de l'Algérie d'accepter le retour de ses nationaux visés par des obligation de quitter le territoire français (OQTF). Si bien que la France ne peut pas les expulser. Jusqu'à maintenant, il est vrai que le gouvernement algérien ne fait pas preuve de très bonne volonté, et les gouvernements français sont restés très prudents avant de faire jouer un rapport de force, pour diverses raisons dont la principale est l'histoire et la guerre d'Algérie.


Je propose donc quelques extraits des intervenants dans ce débat (qui a eu au moins le mérite d'être posé).

Guillaume Bigot (RN), qui défendait cette proposition de résolution, a dénoncé un « "véritable statut" de l'Algérien en France, extrêmement dérogatoire au droit commun. C’est d’abord vrai en matière de prestations sociales. Un étranger, selon le droit commun, doit résider cinq ans en France pour toucher le RSA, les allocations familiales ou la prime d’activité ; pour un Algérien, cette exigence disparaît. Un étranger doit résider dix ans en France avant de bénéficier du minimum vieillesse ; un Algérien y a droit au bout d’un an. Ce régime extrêmement dérogatoire concerne aussi le franchissement des frontières : les Algériens peuvent s’absenter trois ans de France sans perdre leur titre de séjour, contre six mois pour les autres étrangers. On peut retirer un titre de séjour à un étranger qui trouble l’ordre public ou qui pratique la polygamie ; ce n’est pas possible pour un Algérien. Autre dérogation : le regroupement familial. Un Algérien peut faire venir sa famille en ne gagnant qu’un SMIC, en intégrant les aides sociales, là où le droit commun exige bien davantage des autres étrangers. Plus extravagant encore, dans certains domaines, l’accord de 1968 avantage les Algériens par rapport aux nationaux. Par exemple, lorsqu’un étudiant algérien veut ouvrir un commerce, l’administration n’a pas le droit de vérifier la réalité de l’entreprise créée, alors qu’elle le peut pour un étudiant français. ».

Pour lui, ces accords ont « engendré des trappes à pauvreté intergénérationnelle, le taux d’emploi des descendants d’immigrés algériens est encore plus bas que celui de leurs parents. C’est une véritable pompe aspirante pour l’immigration, et une pompe expirante pour nos finances publiques. ».

Quant aux OQTF : « Alger refuse de délivrer les laissez-passer consulaires et de reprendre ses propres ressortissants. Le terroriste de l’attentat de Mulhouse : il a été visé par quatorze procédures d’expulsion, mais il y a eu quatorze refus de l’Algérie. Un Algérien condamné pour violences conjugales : il est protégé par l’accord, donc inexpulsable. La meurtrière de la petite Lola : elle est, elle aussi, placée, sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), obligation non exécutée. ».

D'où la demande de dénoncer ces accords : « Alors, que faire ? Continuer à verser 2 milliards d’euros par an d’aides et de prestations sociales aux Algériens, de manière dérogatoire, alors que leur pays refuse toute réciprocité ? Continuer à espérer la clémence d’un régime qui a injustement emprisonné nos ressortissants, Boualem Sansal et Christophe Gleizes ? C’est le chantage qu’Alger a exercé sur le Quai d’Orsay, lequel a supplié nos alliés de l’UDR [ciottistes] de retirer le texte de leur niche le 26 juin dernier. Pour quel résultat ? Mon ami Boualem a été condamné encore plus durement ! Nous ne devons plus tergiverser ; il faut adopter cette proposition de résolution pour enjoindre au gouvernement de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968. (…) Cette dénonciation n’est pas une fin en soi ; cela envoie le signal que notre pays cesse de courber l’échine, rompt avec une mauvaise conscience malsaine et veut normaliser ses relations avec l’Algérie. À cet égard, assumer le bras de fer est indispensable pour rétablir l’équilibre : plus aucun visa tant que nos ressortissants Boualem Sansal et Christophe Gleizes ne seront pas libérés, ou plutôt un visa par OQTF exécutée, donnant-donnant, entre égaux. ».


La députée Laure Miller (EPR) s'est exprimée comme l'oratrice du groupe EPR en faveur de la dénonciation de ces accords : « Notre position est claire : un ressortissant algérien ne doit avoir ni plus, ni moins, de droits qu’un autre étranger non communautaire. Il en va du principe même d’égalité devant la loi. Au-delà de ces anomalies juridiques, l’accord a également un coût significatif pour nos finances publiques. Le rapport Rodwell estime le surcoût administratif et juridictionnel, lié aux facilités d’accès et de maintien sur le territoire, entre 200 et 300 millions d’euros par an. À cela s’ajoute un surcoût social, en raison de structures familiales plus dépendantes des minima sociaux et des prestations telles que le RSA, la prime d’activité, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ou encore l’allocation aux adultes handicapés (AAH), estimé entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an. Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables à la remise en cause de cet accord. ».

Toutefois, elle a prôné un nouveau cadre et pas le simple vide juridique qui serait désastreux pour l'administration française : « Mais il faut le faire dans l’ordre et dans le droit. Ce n’est pas un sujet tabou, c’est un sujet de méthode. La méthode que nous propose le RN ce matin avec cette dénonciation sèche ne manque en effet pas d’ironie puisqu’elle conduirait à un désordre juridique pire encore que celui qu’il prétend vouloir corriger ! En effet, la disparition soudaine du régime conventionnel créerait un vide normatif affectant des pans entiers du droit du séjour. Faute de règles de substitution claires, les préfectures devraient statuer au cas par cas, en fonction des principes généraux du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) et des exigences dégagées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). De son côté, le juge pourrait en outre réactiver des normes antérieures encore partiellement en vigueur et maintenir des dérogations par effet de rebond jurisprudentiel. Dénoncer un accord international sans prévoir de cadre de remplacement, tel celui proposé de façon claire, réfléchie et documentée par le rapport Rodwell, c’est, sous prétexte de fermeté, proposer à la France de plonger dans l’improvisation la plus incompréhensible de la part de gens obsédés par la question migratoire. ».

Et de dénoncer le RN : « Voilà un parti politique, le parti lepéniste, qui renvoie dos à dos toute la classe politique depuis maintenant quarante ans, car le discours de madame Le Pen est, à ce titre, exactement le même que celui de son père. Voilà plus de quarante ans que vous courez après le pouvoir, quarante ans à nous expliquer que, si vous gouvernez, tout sera réglé à coup de menton, quarante ans à dénoncer, à vous indigner, à promettre et à prétendre diriger un jour la France. Et puis voilà que, quarante ans plus tard, un parti obsédé par la question migratoire, vient nous présenter une proposition de résolution brouillonne et absolument pas aboutie. Parler le langage du populisme est bien sûr confortable. Ça permet de faire le buzz sur les réseaux sociaux, d’agiter les peurs, d’accuser les autres de faiblesse. Mais, quand il s’agit d’aller au-delà des postures et de proposer des dispositifs concrets, de travailler en somme, d’évaluer, d’anticiper, là, il n’y a plus personne ! ».

D'où le rejet par le groupe EPR : « Chers collègues, sortir de l’accord, oui. Mais pas au prix du vide. Pas au prix du désordre. Alors non, nous ne voterons pas cette proposition brouillonne et inopérante. ». En explication de vote, Laure Miller a répété : « Nous souhaitons, en effet, une sortie de l’accord franco-algérien de 1968. Mais nous ne souhaitons pas une sortie sèche, improvisée, brouillonne et inopérante comme celle que vous proposez. (…) C’est facile et confortable, le populisme : on raconte ce que les gens ont envie d’entendre. Mais quand il s’agit de travailler et de proposer des mesures efficaces, il n’y a plus personne ! ».


Le député Abdelkader Lahmar, pour les insoumis, s'est évidemment opposé à la proposition du RN : « En devenant député, je ne m’attendais pas à ce que nous perdions notre temps sur des textes aussi scandaleux et inutiles que celui qui nous est proposé aujourd’hui. Ce texte mélange tout : relations internationales, immigration, délinquance, sécurité... le combo gagnant de l’extrême droite ! En s’appuyant sur quelques faits divers, le groupe RN propose de réécrire tout un régime juridique. Pour faire peur, et en contradiction totale avec toutes les études sérieuses, il n’hésite pas à établir des liens grossiers entre immigration irrégulière et délinquance. Pourtant les faits sont têtus, entre 2019 et 2022, 93% des OQTF ont visé des personnes sans aucun passé judiciaire. Et, comme si ça ne suffisait pas, pour alimenter la haine à l’encontre des immigrés, l’extrême droite surfe sans retenue sur les difficultés diplomatiques avec l’Algérie provoquées par un pouvoir macroniste déliquescent. Car, il faut le rappeler, si M. Retailleau, ancien ministre de l’intérieur, ne s’était pas pris pour le ministre des affaires étrangères ou peut-être des colonies, si M. Retailleau n’avait pas ruiné la crédibilité diplomatique de la France pour son seul petit bénéfice médiatique et politicien, nous n’en serions tout simplement pas là, à débattre pour savoir qui est le champion de l’algérophobie ! Depuis des mois, en effet, nous assistons à une surenchère sur la question. En juin dernier, c’était M. Ciotti (…) qui, pour sceller son allégeance au RN, proposait déjà de dénoncer les accords de 1968 : un soi-disant gaulliste qui reprend les marottes d’un parti fondé par d’anciens membres de l’OAS, on aura tout vu ! (…) Ce texte résume bien les obsessions anti-algériennes et xénophobes qui caractérisent le RN depuis sa création. Mes chers collègues, n’avons-nous rien retenu de l’histoire ? Il y a un siècle, on accusait les Italiens de tous les maux. Monsieur Ciotti, on les traquait dans les rues d’Aigues-Mortes. Aujourd’hui, ce sont les Algériens qui sont les nouveaux boucs émissaires ! Ce texte en est la parfaite illustration, inutile et contre-productive. (…) S’il y a des éléments à revoir dans ces accords, c’est par le dialogue et la diplomatie qu’il faut y parvenir, pas par des coups de menton aux relents coloniaux. Où va nous mener cette absurde confrontation ? Si le régime algérien décide de suspendre nos accords économiques ou la coopération antiterroriste, que faisons-nous ? ».

L'orateur du groupe socialiste était Laurent Lhardit : « Je tiens à rappeler que la relation entre la France et l’Algérie est d’abord constituée de liens forts et puissants entre nos peuples, de familles partagées, d’amour, d’amitié, de collaborations professionnelles, de relations quotidiennes entre des millions de Français et d’Algériens, des deux côtés de la Méditerranée. Ces liens forment un tissu dense, bien plus puissant que vos manifestations d’hostilité, bien plus puissant que cette petite haine recuite, nostalgique d’un empire maintenant révolu depuis plus d’un demi-siècle. Autant le dire d’emblée, la proposition que nous examinons ce matin ne sert à rien. En réalité, et nous le savons tous, les accords que vous souhaitez dénoncer ont été largement vidés de leur contenu depuis 1968 et ils ont de fait, aujourd’hui, une faible influence sur ces flux migratoires qui restent et demeurent votre seule et unique obsession. La France et l’Algérie traversent une période de relations difficiles, sans doute la plus difficile depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. Le moment d’examen de ce texte est par conséquent particulièrement malvenu. Il alimente les tensions, là où il faudrait maintenant apaiser les choses. ».

Pour le groupe LR, Laurent Wauquiez, son président, a rappelé l'incarcération arbitraire de l'écrivain français Boualem Sansal : « Il dénonçait le risque de la soumission de la France au régime d’Alger, dont il est aujourd’hui la première victime. Dans le silence de bien des élus de notre assemblée, le régime d’Alger ne cesse d’humilier notre nation : il a refusé, à dix reprises, l’expulsion du terroriste algérien qui a commis un attentat à Mulhouse le 22 février dernier, et il refuse de reprendre sur son sol ses ressortissants sous OQTF qui menacent la sécurité des Français. Ce régime se permet même d’accuser la France d’avoir commis un prétendu génocide, utilisant la haine antifrançaise comme principal ciment d’une population qu’il a abandonnée à la pauvreté depuis des décennies. Il n’y a pas de pire cynisme. Nous ne devons pas tomber dans un piège : ce n’est ni contre les Algériens ni contre l’Algérie que la France doit se faire entendre, c’est contre le gouvernement d’Alger. Ce qui est pire encore, c’est que, depuis des mois, notre pays subit ces humiliations en silence, sans réagir. (…) La France ne doit pas oublier la grande leçon de Clausewitz : dans l’affrontement des nations, si la France veut être respectée, elle doit se faire respecter. Le régime d’Alger n’entendra qu’un discours : le rapport de force. ».

Et a confirmé le vote favorable de son groupe à cette résolution : « Quand [le RN] soutient des projets ou des convictions que nous partageons, il n’y a aucune raison d’adopter des postures politiciennes et de ne pas voter ce que nous voulons pour notre pays. ».


L'écologiste Sabrina Sebaihi a exprimé l'indignation de son groupe : « Vous nous présentez ce matin un texte qui n’est pas une question de visas, mais de vengeance. Au fond, depuis 1960, vous rejouez sans cesse la guerre d’Algérie. Vous n’attaquez pas un accord, mais une mémoire. Celle d’un peuple qui a conquis son indépendance (…). Dans une République, un accord ne se dénonce pas unilatéralement, mais ça se respecte, ou ça se renégocie dans le cadre du droit international et dans l’honneur des nations. (…) Contrairement à vos fantasmes, l’immigration rapporte plus de 1% du PIB français, les travailleurs immigrés cotisent plus qu’ils ne perçoivent de prestations et les étudiants étrangers rapportent à la France plus d’un milliard d’euros nets par an. Êtes-vous même au courant que sans les 15 000 médecins algériens nos hôpitaux ne tiendraient pas une semaine ? L’immigration n’est pas un coût, mais une force et une chance pour la France, que vous feignez de défendre. (…) Vous pouvez changer de nom, repeindre votre logo, sourire sur les plateaux télé, mais votre ADN politique, lui, n’a pas changé. Il est raciste, revanchard et colonial. Alors, quand vous venez ici, cinquante ans plus tard, nous parler de patriotisme avec des vibratos dans la voix : c’est une parodie. Je le dis avec gravité : gare à ceux qui ressuscitent les thèses de l’ennemi de l’intérieur. Derrière les drapeaux tricolores que vous arborez, il y a toujours l’ombre des rafles et la trahison de ceux qui ont préféré servir la botte des nazis plutôt que la liberté. ».

Bruno Fuchs, pour le MoDem, a fustigé le sérieux de ses collègues RN : « Ce que vous faites n’est pas sérieux. C’est même irresponsable, car cette résolution va frontalement à l’encontre des intérêts de la France. Pour un parti qui dit, à longueur de journée, vouloir les défendre, c’est plutôt inquiétant. Ces accords ont été signés il y a plus d’un demi-siècle. À l’époque, ils constituaient un compromis pragmatique entre deux nations, marquées par la guerre d’Algérie. Ils ont eu le mérite de maintenir un cadre de dialogue et d’échanges entre nos deux peuples, malgré les blessures encore vives de l’histoire. Cinquante-sept ans plus tard, il faut être lucide : cet accord pose des difficultés, notamment en matière de droit de séjour, de réciprocité ou de gestion consulaire. Mais vous savez que cet accord, signé par les deux États, ne prévoit aucune clause expresse de dénonciation unilatérale. En proposant de le dénoncer, vous nous demandez de vous aider à violer le droit international et à affaiblir la parole de la France. Vous pourriez aussi l’exposer à une plainte devant la Cour internationale de justice de La Haye. ».

De la résolution du RN, le député MoDem a vu trois conséquences néfastes pour la France : « Vous instrumentalisez la relation franco-algérienne pour nourrir un agenda identitaire et populiste, sans vous soucier des conséquences réelles. Et pourtant, ces dernières seraient immédiates, profondes et gravement préjudiciables à la France. La première (…), ce serait de compromettre tout espoir de libération de nos compatriotes Boualem Sansal et Christophe Gleizes. (…) Une dénonciation aurait aussi un impact catastrophique sur le contrôle de l’immigration en provenance d’Algérie que, pour notre part, nous ne voulons pas assumer. Les OQTF deviendraient quasiment impossibles. Ce n’est pas ce que vous dites rechercher. Sur le plan économique, les conséquences se font déjà sentir. Depuis le début de l’année 2025, nos exportations ont baissé de 21%. Peut-être pensez-vous que votre résolution permettra de les faire repartir ?C’est même l’ensemble de nos coopérations bilatérales qui seraient à l’arrêt. En matière de lutte contre le terrorisme, les trafics criminels ou l’immigration illégale, une rupture aurait pour effet de geler ces échanges et d’affaiblir nos dispositifs de sécurité. Ce serait surtout, comme l’a dit M. Lhardit, une injure aux 6 millions de nos concitoyens qui vivent des deux côtés de la Méditerranée. Pour un parti qui affirme vouloir défendre les intérêts de la France, proposer une dénonciation unilatérale de ces accords n’est ni sérieux ni responsable. (…) Le courage politique, ce n’est pas de rompre, c’est de bâtir des solutions durables dans le respect du droit et des intérêts de notre pays et de nos concitoyens. C’est pourquoi le groupe Les Démocrates appelle à rejeter cette proposition de résolution et à privilégier la voie d’un dialogue exigeant, de la négociation et de la révision concertée. ».

C'est sans doute l'intervention de Sylvain Berrios, pour son groupe Horizons, qui était la plus attendue ce matin-là puisqu'il était favorable à cette résolution malgré son appartenance au bloc central : « Comment justifier qu’en 2024, sur 16 238 OQTF notifiées, seules 828, soit moins de 5%, aient donné lieu à un retour effectif vers l’Algérie ? Comment justifier les tensions extrêmes qui en résultent ? Comment justifier que le flux migratoire le plus important en France, celui qui concerne 690 000 ressortissants algériens, ne réponde pas aux règles communes de la politique migratoire française ? En maintenant ces accords sans les réformer, la France s’humilie et abandonne de fait une partie de sa souveraineté. Regardons les choses en face : l’Algérie a déjà suspendu l’accord et doit par conséquent redevenir un partenaire comme les autres, lié à notre pays par des accords comme les autres, qui garantissent la pleine souveraineté de chaque partie. Notre relation avec l’Algérie doit être remise à plat, comme le proposait Édouard Philippe en juin 2023, comme nous l’avions demandé lors du débat qui a suivi la déclaration de politique générale de François Bayrou, comme nous l’avons demandé en janvier 2025, à l’occasion d’une séance de questions au gouvernement et comme nous l’avions encore demandé, en février 2025, lors de l’examen d’une motion de censure visant ce même gouvernement. ».

La députée communiste Soumya Bourouaha, quant à elle, a rappelé que ces accords de 1968 ont déjà été modifiés : « Vous prétendez diriger la France un jour, mais votre conception de la diplomatie plongerait le pays dans un chaos sans nom, tant elle repose sur la provocation, plutôt que sur la raison. Vous rêvez de gouverner la France ; moi, je souhaite simplement qu’elle ne tombe jamais entre vos mains. L’argument de la facilité de circulation des Algériens en France ne tient pas. Ces accords ont déjà été réformés à de multiples reprises et les conditions d’octroi de nombreux titres de séjour, durcies. Ces accords sont hermétiques à certaines avancées du droit commun : les cartes de séjour pluriannuelles, les passeports talent, la régularisation par le travail, les titres de séjour pour motif humanitaire, au profit des victimes de la traite ou de violences conjugales. Tout cela, les citoyennes et les citoyens algériens n’y ont pas droit. (…) Avec vous, c’est toujours pareil : le respect du droit ne vaut que pour certains, mais jamais pour vous. Les récentes condamnations judiciaires qui vous concernent en sont le triste exemple. (…) La droite et l’extrême droite jouent un jeu dangereux. Elles éludent les véritables enjeux de la relation franco-algérienne, au profit du seul sujet qui compte à leurs yeux, l’immigration. Il faut pourtant revenir à une relation respectueuse et retrouver le chemin d’un dialogue apaisé, avancer pas à pas, pour mettre fin à cette crise. ».


Matthieu Bloch, proche d'Éric Ciotti, a confirmé son vote favorable : « Il est temps de rompre le cercle vicieux du renoncement. Un pays qui maintient un traité contraire à son intérêt national n’est plus un État souverain. Un pays qui finance sans contrepartie un système injuste n’est plus une république juste. Un pays qui ne sait plus dire non à ses partenaires, même lorsque le bon sens l’exige, n’est plus respecté. ».

Dernier orateur, le député non-inscrit Philippe Bonnecarrère a fait un rappel constitutionnel : « J’en viens (…) à l’impensé du débat. Bien que la proposition de résolution s’adresse aux autorités compétentes, personne n’a indiqué qui avait la compétence de dénoncer ces accords. L’article 52 de la Constitution dispose : "Le Président de la République négocie et ratifie les traités". Par parallélisme des formes, il me semble donc que seul ce dernier pourrait décider de les remettre en cause. Mais il faut lire aussi l’article 53 de la Constitution : "Les traités (…) relatifs à l’état des personnes (…) ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi". Autrement dit, si le Président de la République a l’initiative des traités, les négocie et a le dernier mot en les ratifiant, le Parlement codécide de leur contenu ; le Président a certes la première place, mais le Parlement joue aussi son rôle. Il est donc normal que ce débat ait lieu et que chacun puisse donner son opinion. ».


Pour le gouvernement, le Ministre délégué aux Relations avec le gouvernement Laurent Panifous (ex-LIOT) a affirmé son opposition à la résolution : « Nous rencontrons des difficultés spécifiques : les autorités algériennes refusent le retour de ressortissants algériens qui disposent pourtant de documents d’identité en règle, en contradiction avec le protocole de 1994 et le droit international. Quant à la délivrance de laissez-passer consulaires, elle s’est réduite, depuis début 2025, à mesure que la crise bilatérale se traduisait, dans le débat national, par des invectives. Nous nous trouvons donc dans une situation critique en matière d’éloignement d’Algériens en situation irrégulière, je pense en particulier aux auteurs de trouble à l’ordre public. La solution ne peut donc consister à lancer des invectives ou à brandir des totems. Dénoncer l’accord de 1968 n’aurait aucun effet sur les réadmissions, puisqu’il ne procure aucune protection particulière aux ressortissants algériens en situation irrégulière. D’où l’urgence, soulignée par le ministre de l’intérieur, de reprendre une coopération effective : elle seule permettra d’inverser la dynamique des réadmissions. L’accord n’encadre en effet que la circulation, l’emploi et le séjour des Algériens en France. (…) J’y insiste, l’accord n’est pas figé : nous avons déjà, à trois reprises, négocié avec les autorités algériennes des avenants plus exigeants. En 1985, nous avons renforcé les critères d’admission sur le territoire français, en introduisant par exemple des conditions de ressources et en précisant les conditions de délivrance des certificats de résidence. En 1994, nous avons rendu obligatoire la présentation d’un passeport et d’un visa court séjour pour les Algériens souhaitant se rendre en France et nous avons précisé les conditions de péremption des certificats de résidence. En 2001, nous avons explicité les conditions du regroupement familial, y compris les cas dans lesquels il pouvait être refusé. Notre ferme intention et notre intérêt sont de renégocier cet accord, le moment venu, pour obtenir un texte plus proche du droit commun et plus équilibré. Cette renégociation a été prévue par le comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien d’octobre 2022. Le gouvernement s’oppose donc à la résolution déposée par le Rassemblement national. Aux mots qui choquent, sans aucune efficacité, le gouvernement préfère les actes aux résultats tangibles. Il privilégie donc la voie de la renégociation, dans le cadre d’un dialogue exigeant avec l’Algérie. Nul ne peut accuser le gouvernement de faiblesse. ».

Après le vote positif (bien que serré) de cette résolution, aucune autre proposition du RN n'a été adoptée, en particulier sur le rétablissement du délit de séjour irrégulier, sur le texte visant à rendre systématique l’information du consommateur sur l’origine des denrées alimentaires par le moyen de l’étiquetage et sur la gratuité des parkings d’hôpitaux publics...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 octobre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Laure Miller.
Accords franco-algériens de 1968 : pas de quoi crier victoire pour le RN !
Jordan Bardella a-t-il l'étoffe d'un Premier Ministre ?
Pierre Meurin.
La condamnation de Marine LE Pen.
Le Front national des Le Pen, 50 ans plus tard...

 

 








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