« Il faut rappeler quand même que Paris c'est 2 millions d'habitants et qu'il y a tous les jours un million de salariés qui rentrent dans la ville et 2 ou 3 millions d'autres personnes. Le périphérique, il est entre tout ça. Donc, essayer, pourquoi pas, mais la vraie question c'est : est-ce qu'on a envie de covoiturer sur des trajets du quotidien ? Quand c'est tous les jours, c'est autre chose, parce qu’on rentre dans l'intimité d'un quotidien et est-ce qu'on a envie de se voir tous les jours avec un voisin de palier ? Ce n'est pas sûr du tout. » (Jean Viard, sociologue, le 2 mars 2025 sur France Info).
Ah non, l'image n'est pas contractuelle ! Elle est issue d'une publicité pour Blablacar, l'application française de covoiturage bien connue. En fait de bande de copains joyeux roulant au milieu d'une végétation luxuriante, il faut plutôt voir un automobiliste francilien seul, honteusement seul, au volant de son véhicule, roulant dans une zone ultrabétonnée, le matin, exaspéré sinon furieux de voir la durée des bouchons sur le périphérique augmenter. On appelle cela l'autosolisme, le fait de conduire seul, ce qui correspond à environ 80% des usagers de la route (1,24 personne par véhicule en moyenne, et même 1,10 sur les trajets domicile-travail).
La raison ? À partir de ce lundi 3 mars 2025, en concertation avec la préfecture de police de Paris et la préfecture de la région Île-de-France, la ville de Paris a mis en place sur le périphérique parisien une voie de covoiturage, la voie de gauche. Elle existe aussi sur le début de l'autoroute A1, au nord, et sur le début de l'autoroute A13, à l'ouest. Sur le périphérique parisien, seul le tronçon sud, entre la Porte de Bercy et le Quai d'Issy, est épargné par la mesure, et sera inclus dans le dispositif dans un temps ultérieur.
Comme toujours, cela commence par de l'expérimentation, mais on sait très bien ce que cela signifie. Espérons que l'évaluation sera correctement faite avant que le dispositif soit définitif. Ainsi, sur ces tronçons où la circulation automobile est particulièrement dense, quand le losange blanc est allumé, cette signalétique signifiant que la voie de gauche est réservée au covoiturage, il sera interdit d'y accéder si on est tout seul dans son véhicule. On ne précise pas si l'on transporte des chats ce qu'il advient. En fait, si, on le précise ; un animal de compagnie n'est pas considéré comme un passager. En revanche, le système reconnaît les enfants, même dans un siège enfant à l'arrière.
Cette voie réservée est activée en semaine, du lundi au vendredi, de 7 heures à 10 heures 30 et de 16 heures à 20 heures. C'est la voie de gauche qui a été choisie pour ne pas perturber l'accès aux bretelles de sortie ou d'entrée. Quand il y a trop de bouchon, les autorités (la préfecture de police) pourront quand même désactiver le dispositif (éteindre le losange blanc) malgré ces horaires et tenter de refluidifier le trafic. De même, lorsque le trafic est faible, l'activation ne sera peut-être pas faite car inutile.
Ceux qui ont accès à cette voie spéciale sont les véhicules transportant au moins deux personnes, les transports public collectifs (bus scolaires), les taxis, les VTC en charge, les deux-roues motorisés en circulation interfile, les véhicules des services de secours et des forces de sécurité, dont les ambulances privées, et les personnes détentrices de la carte mobilité inclusive stationnement (il faut s'inscrire sur une plate-forme pour être reconnu par les radars). En outre, les camions de plus de 3,5 tonnes transportant de la marchandise ne sont pas autorisés sur cette voie.
Qui dit contrainte dit bien sûr contrôle. Le contrôle est réalisé par un double radar qui, à l'aide de l'intelligence artificielle, détermine le type de véhicule roulant sur la voie réservée et le nombre de personnes transportées. Au début, il n'y aura que des contrôles pédagogiques et les premières amendes seront envoyées à partir du 1er mai 2025, histoire de fêter le muguet ! L'amende est classique, d'un montant de 135 euros, et est délivrée par vidéo-verbalisation assistée par ordinateur (VAO).
Attention aux petits malins qui mettraient leur poupée gonflable ou leur Gaston Lagaffe en latex sur le siège du passager avant (comme cela arrive parfois aux États-Unis pour tromper les contrôles). Les radars sont dotés de cellules thermiques et pourront donc distinguer le vrai du faux passager. En cas de verbalisation, cela pourrait donc aller beaucoup plus loin que la simple amende puisqu'il y aura eu une volonté de frauder (le contrevenant risque jusqu'à 350 000 euros d'amende !).
En fait, le principe de voie réservée n'est pas nouveau en France. Il existe déjà dans plusieurs grandes agglomérations, en particulier à Lyon (je l'ai expérimenté), à Grenoble, à Lille, et même à Paris et les autoroutes s'y concentrant, cela a été fait pendant toute la période des Jeux olympiques et paralympiques. Je l'ai aussi expérimenté notamment sur l'A86 et l'A4, mais avec une autre définition des véhicules autorisés (il ne s'agissait pas de covoiturage dans ce cas-là). Certains ont cru intelligent de faire un bilan positif sur le trafic automobile, mais en oubliant que cette période était la période estivale, donc beaucoup plus légère en termes de circulation (tous les Franciliens qui roulent habituellement dans l'agglomération parisienne soufflent un peu pendant les périodes estivales).
Incontestablement, cette nouvelle mesure va engendrer des embouteillages de plus autour de Paris et les banlieusards seront plus impactés que les Parisiens intra muros qui n'ont pas besoin de se déplacer en automobile. De même, l'idée de faire du covoiturage récurrent pour le trajet domicile-travail est intéressante mais assez illusoire, comme l'a dit le sociologue Jean Viard le 2 mars 2025 sur France Info : on n'a pas forcément envie de vivre quotidiennement avec son voisin. Il existe de plus des difficultés pour s'organiser : d'une part, beaucoup de personnes ne savent pas forcément exactement à quelle heure ils rentreront du travail ; d'autre part, il peut y avoir besoin de faire des courses, ou des activités culturelles ou sportives, chercher les enfants à l'école, etc. et cela pas nécessairement de manière anticipée.
Toutefois, c'est aussi un changement de culture et de mode de vie. Ne pas s'éterniser au bureau et prendre peut-être un rythme plus régulier en semaine. Un changement plutôt vertueux puisqu'il tend à réduire le nombre de véhicules en circulation, ce qui réduit la pollution atmosphérique et sonore.
Comme pour la limitation du périphérique parisien à 50 kilomètres par heure (au lieu de 70), je suis donc plutôt favorable à cette mesure qui n'empêche personne de se déplacer, cela ne met que quelques contraintes supplémentaires. Le périphérique parisien est la partie la plus polluée de l'agglomération parisienne (2 à 2,5 fois supérieure à Paris intra muros). Chaque jour, 1,5 million d'automobilistes se déplacent sur le périphérique, polluant 550 000 riverais dont certains mourront de maladie respiratoire.
La réduction de la vitesse sur le périph n'était pas forcément une mesure de bon sens (il y a une vitesse optimale pour réduire au maximum la pollution des véhicules thermiques, cela dépend du véhicule mais elle est plutôt autour de 60 kilomètres par heure), mais il faut être honnête. En ce qui me concerne, si je roule déjà à 40 kilomètres par heure, je suis content vu que les bouchons y sont nombreux. La baisse de la vitesse est, pour les riverains, une mesure de salubrité publique afin de réduire la pollution sonore.
En revanche, je suis beaucoup plus réservé sur l'interdiction des véhicules dits polluants (mais parfois, moins polluants que des gros SUV récents) dans les zones à faibles émissions (ZFE) car, pour le coup, cela empêche réellement certains automobilistes de se déplacer, en particulier les moins aisés, ceux qui doivent habiter en lointaine banlieue faute de moyens, et, surtout, qui n'ont pas les moyens de s'acheter une voiture neuve ou une voiture électrique. Du reste, leurs véhicules d'occasion dits polluants devraient pouvoir continuer à rouler jusqu'à la mort réelle du véhicule et pas mis à la casse avant, car globalement, c'est beaucoup moins écologique de mettre à la casse des automobiles encore en bon état de fonctionnement.
On ne pourra jamais faire admettre l'importance (réelle) de la transition écologique si l'on discrimine ainsi socialement les citoyens de notre pays. Les centres-villes ne doivent pas être réservés aux personnes riches, interdites des gueux placés dans les lointains faubourgs pollués, dans une France à deux vitesses. Parce que tout simplement, c'est un mauvais calcul, dès lors que nous restons une démocratie. À l'instar des gilets jaunes, si nous ne comprenions pas la situation des personnes les plus précaires, des mouvements populistes prendraient alors un jour le pouvoir et remettraient en cause toutes les mesures favorables à l'environnement, y compris les bonnes mesures, intelligentes, c'est-à-dire, au moins, efficaces et non discriminantes socialement.
« Il résulte (…) que s’il est établi que le gain de temps généré par la liaison autoroutière permettra une meilleure de desserte du bassin de Castres-Mazamet ainsi qu’un gain de confort, facilitera l’accès de ce bassin à des équipements régionaux et participera du confortement du développement économique de ce territoire, ces avantages, pris isolément ainsi que dans leur ensemble, qui ont justifié que ce projet soit définitivement reconnu d’utilité publique, ne sauraient, en revanche, eu égard à la situation démographique et économique de ce bassin, qui ne révèle pas de décrochage, ainsi qu’aux apports limités du projet en termes économique, social et de gains de sécurité, suffire à caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, c’est-à-dire d’un intérêt d'une importance telle qu'il puisse être mis en balance avec l'objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage. » (n°43 ; extrait de la décision n°2303544 du tribunal administratif de Toulouse du 27 février 2025).
L'annonce de la double décision de la troisième chambre du tribunal administratif de Toulouse faite le jeudi 27 février 2025 a étonné et même stupéfait un grand nombre d'acteurs politiques et économiques de la région Occitanie. En effet, le juge administratif a annulé les arrêtés du 1er et du 2 mars 2023 des préfets de la région Occitanie et des départements de Haute-Garonne et du Tarn donnant autorisation environnementale à la société Atosca de construire la liaison autoroutière Toulouse-Castres dite A69.
Ce sujet est juridiquement, politiquement, économiquement très complexe, mais il a abouti, peut-être de manière provisoire, à la suspension des travaux de cette liaison autoroutière débutés il y a deux ans, d'un coût de 530 millions d'euros (dont 23 millions d'euros d'argent public) pour 900 emplois. La très grande compréhension des conséquences (argent public gâché, travaux inachevés, que faire des constructions déjà réalisées ?, emplois "en suspension", aménagement du territoire, etc.) fait que chaque citoyen peut ressentir le besoin d'avoir son avis sur la question, et celui-ci se résumerait à seulement deux possibilités : hourrah, les "résistants" autoproclamés ont gagné ! Ou : quelle ineptie, les écologistes ont gagné, on retourne aux siècles antérieurs, à l'âge des cavernes ! Avec une resucée du style : à bas le gouvernement des juges !
Avant d'expliciter plus en détail les décisions du tribunal administratif de Toulouse, un petit témoignage personnel. Il y a quelques années, j'étais en déplacement à Cahors et je devais me rendre à Béziers. J'étais (honteusement) en automobile (j'avais mes raisons très acceptables et de toute façon, je n'ai pas à le justifier, du moins, pas encore à le justifier) et je me suis fait cette réflexion : la région est belle mais difficile d'accès. Je suis passé par la nationale N126 pour aller à Castres puis Mazamet, et redescendre par le Haut Languedoc. Comme j'allais à Béziers, j'aurais pu prendre l'autoroute A61 de Toulouse à Narbonne en passant par Carcassonne, puis l'A9 pour remonter vers Béziers. Pour une seule fois, cela ne me gênait pas vraiment de passer par la montagne, mais si je devais faire tous les jours Toulouse-Castres, je me disais que cela serait vraiment la galère.
À l'évidence, les environs de Castres sont enclavés. Il y a certes un aéroport, mais avec très peu de lignes aériennes. Il y a certes une gare, mais pour aller à Paris, il faut au moins sept heures de train et une correspondance. La loi de la République, c'est l'aménagement du territoire pour tous, le désenclavement des régions enclavées. C'est le principe d'égalité des chances de tous les citoyens quelle que soit sa localisation géographique. Du moins, c'est l'horizon idéal vers quoi la République doit tendre. Donc, désenclaver le bassin de Castres-Mazamet, le seul de cette importance démographique autour de Toulouse à ne pas être relié par une autoroute, et réduire les risques accidentogènes.
Je referme la parenthèse, mais pas complètement, car bien entendu, la décision de faire la liaison autoroutière Toulouse-Castres répond à une logique économique de bassin d'emplois. L'idée est de permettre à des habitants de l'agglomération de Toulouse de pouvoir travailler dans l'agglomération de Castres, qui est un grand bassin d'emplois. Certains zadistes ont rappelé que Pierre Fabre, fondateur des laboratoires pharmaceutiques qui portent son nom et très implanté autour de Castres, a fait de fortes pressions auprès des milieux politiques pour obtenir une telle autoroute. Il faut encore une fois reconnaître que l'intérêt particulier peut parfois se confondre avec l'intérêt général quand il s'agit de créer des emplois et de l'activité économique, surtout dans une période économique morose.
En clair, la plupart des élus locaux (pour ne pas dire tous), de droite comme de gauche ou du centre, ont soutenu ce projet d'aménagement du territoire. Bernard Bosson (UDF), François Fillon (UMP), Jean-Louis Borloo (centriste), initialement opposé au projet, Dominique Perben (UMP), François Hollande (PS), Martin Malvy (PS), Carole Delga (PS), Édouard Philippe (HOR), Élisabeth Borne (REN), Jean Castex (REN), etc., ont pris des décisions de soutien à l'autoroute A69. La structure étoilée du territoire (tout pour Paris) a fait oublier des populations entières, et celle de Toulouse a été parmi les dernières servies par une ligne TGV ou une autoroute la reliant à Paris. Les infrastructures régionales ont souvent été négligées, d'autant plus en région de montage car les coûts des ouvrages sont beaucoup plus élevés.
Cette liaison rapide a été envisagée dès le 8 mars 1994 (le ministre Bernard Bosson a approuvé le principe de l'A69), c'est dire si, comme d'autres liaisons en province, elles prennent beaucoup de temps pour aller de l'idée à la réalisation (comme l'A49 entre Grenoble et Valence qui a mis aussi près d'une trentaine d'années pour être construite), avec deux difficultés principales, le financement (des études puis du projet), et les aspects techniques sur le terrain, tant sur les expropriations nécessaires que la protection de l'environnement. C'est évidemment ce dernier point qui a préoccupé le tribunal administratif.
Je veux d'abord préciser deux ou trois choses. Il y a eu deux décisions car il y a officiellement deux projets, l'élargissement de l'autoroute A680 et la construction de l'autoroute A69, qui sont deux ouvrages continus (l'un jusqu'à Verteil et l'autre à partir de Verteil). Pour la simplification du propos, je ne parlerai que de l'A69 alors qu'il s'agit des deux, et je ne parlerai que d'une décision alors qu'il y en a deux, de même qu'il y a eu deux arrêtés signés les 1er et 2 mars 2023 (en fait, pour être vraiment exact, il y a même quatre décisions du tribunal administratif de Toulouse, numéros 2303830, 2303544, 2304976 et 2305322, mais nous considérons que c'est la même dans leur globalité).
Parlons aussi des acteurs de cette décision administrative, puisque certains en ont parlé. La rapporteure publique s'appelait Mona Rousseau (cela ne s'invente pas), elle a communiqué ses conclusions le 20 novembre 2024, elle est une jeune débutante dans ses fonctions depuis deux ans, mais les détracteurs de cette décision (je me sens plutôt de ce côté-là) ne devraient pas prendre ce genre d'argument pour critiquer la décision, et de toute façon, ce n'est pas elle qui a pris la décision, mais des juges expérimentés, la présidente du tribunal a dix-sept ans d'expérience et sa première assesseure est docteure en droit public et maître de conférences à l'université.
Plus intéressante est la raison de l'annulation de l'arrêté d'autorisation, qui a pour effet la suspension des travaux. Au contraire de la justice pénale, les décisions de la justice administrative ne sont pas suspensives en cas d'appel, sauf exception (nous le verrons plus loin). Par conséquent, les travaux doivent s'être arrêtés dès le 27 février 2025. C'est l'État qui va faire appel, ce qui est logique (et pas du tout choquant) puisque le tribunal a remis en cause la décision de deux préfets, représentants de l'État. On peut regretter cette décision de justice, mais il faut bien se garder de hurler contre le principe d'un État de droit qui permet aux citoyens de se défendre contre la décision de l'État ou d'une autre autorité publique. Ce n'est pas dans une dictature que nous aurions une telle décision.
Dans le cadre de la protection de l'environnement et de la biodiversité, il y a eu de nombreuses lois qui ont été promulguées en France pour assurer la conservation de faune et de flore. Certaines lois sont aussi des transpositions nationales de directives européennes qui ont été décidées, répétons-le sans cesse, par les États membres, et donc par la France sans qui peu de décisions importantes pourraient être prises au niveau européen (parce que la France est un grand pays, en population et en superficie, et qu'il est l'un des fondateurs de l'Union Européenne). Et ces transpositions nationales sont votées sous forme de lois par le Parlement français. Donc, toute notre législation sur l'environnement est avant tout une volonté nationale de la France.
Pour construire des ouvrages comme une autoroute, il faut la délivrance d'une autorisation environnementale. Formellement, elle est signée par le préfet, puisque c'est à l'État de faire appliquer la loi, mais le préfet n'est pas un tyran, il doit prendre sa décision dans le cadre législatif en vigueur et avec de solides arguments. La preuve, c'est que n'importe quelle décision administrative peut être remise en cause par la justice administrative avec, là aussi, de solides arguments juridiques.
L'autorisation environnementale a été délivrée au titre de l'article L.181-1 du code de l'environnement. Elle vaut dérogation "espèces protégées". En clair, le préfet donne l'autorisation environnementale à réaliser un projet qui met en danger la sauvegarde de l'environnement et de la biodiversité en contrepartie de laquelle il existe une « raison impérative d'intérêt public majeur ». C'est cette expression qui est l'essentiel du dossier.
Pour être plus simple, on peut dire que l'autorisation environnementale, comme l'a expliqué l'avocat fiscaliste Collab blues sur Twitter, « c'est le permis de construire en matière d'infrastructure routière, il rassemble toutes les autorisations nécessaires pour commencer les travaux. Donc, c'est très bien, car ça simplifie et limite le nombre d'autorisations à obtenir (et potentiellement attaquables), mais c'est aussi un risque car si un point de l'autorisation est branlant, c'est tout l'édifice qui s'effondre. » (28 février 2025).
Reprenons-la dans un extrait de la décision qui donne, en quelque sorte, le mode d'emploi : « Il résulte (…) qu’un projet de travaux, d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. » (n°28).
Autrement formulé, il fallait que le juge administratif appréciât si la construction de l'autoroute A69 était motivée par une raison impérative d'intérêt public majeur. Je ne disserterai pas sur cette expression très juridique, car on peut se demander d'abord ce qu'est "l'intérêt public" (il y a des définitions juridiques très spécifiques), ce qu'est un intérêt public "majeur" et enfin, ce qu'est une raison "impérative". Cette raison peut être de nature sociale et économique. On voit que le juge a la possibilité d'interpréter de différentes manières le sujet.
La preuve, c'est que la justice administrative avait déjà pris en référé des décisions qui étaient le contraire de celle du 27 février 2025 (j'y viens plus loin). Car les zadistes ont voulu s'opposer de toutes les façons à la construction de cette autoroute, par l'occupation sur le terrain, par des opérations de sensibilisations médiatiques, et surtout, par de nombreux recours administratifs et juridiques.
Leurs arguments ne sont pas minces : la construction d'une autoroute met en l'air la faune et la flore. Pas besoin de faire un dessin ni de militer chez les Verts pour comprendre à quel point l'asphalte est une horreur écologique pour tout ce qui est vivant. Les zadistes ont souligné que toutes les mesures de compensation présentées par la société qui construit l'autoroute étaient des leurres, notamment pour replanter les arbres coupés (on parle de cent trente espèces). Je n'ai pas la possibilité de savoir s'ils ont raison ou s'ils exagèrent, on peut juste se dire que la société qui construit l'autoroute n'est pas une entreprise écologique, son cœur de métier, c'est l'autoroute, et donc, toutes ses solutions écologiques sont limitées au mieux à la loi, au pire, à l'affichage. Cela ne signifie pas que cette société est malhonnête, bien sûr, mais elle cherchera forcément à minimiser les coûts de ces opérations de compensation.
Les zadistes soutiennent aussi qu'il suffirait d'aménager la nationale N126 pour permettre une liaison routière plus rapide qu'actuellement sans faire de gros bouleversements écologiques, d'autant plus que le tracé de l'A69 est assez parallèle de celui de la N126. D'ailleurs, sur les 53 kilomètres prévus de l'A69, 9 kilomètres sont un élargissement de l'A680. Et une section de l'A69 reprendra une rocade de la N126, ce qui est scandaleux pour les zadistes car cette section deviendra donc payante et ceux qui ne voudront pas payer devront traverser des communes, ce qui n'est pas le cas actuellement. L'A69 touchera vingt-quatre communes, et le projet comprendra deux cents ouvrages d'art et hydrauliques, ainsi que seize points de recharges pour voitures électriques (pour lesquelles le péage sera un peu moins cher).
Et venons-en au fait du péage. Le prix de l'autoroute est considéré par le tribunal administratif comme trop cher pour qu'il puisse apporter un avantage économique majeur. En effet, la décision dit ceci : « S’il ne saurait être réfuté que la création d’une liaison autoroutière constitue un des facteurs pouvant participer au confortement du développement économique d’un bassin économique et, par suite, à son attractivité, notamment par le gain de temps de trajet qu’il procure, lequel sera, en l’espèce, de l’ordre d’une vingtaine de minutes, cet impact économique doit, toutefois, être relativisé dès lors, d’une part, qu’il résulte de l’instruction qu’une telle liaison ne constitue pas un facteur suffisant de développement économique, et, d’autre part, que le coût élevé du péage de la future liaison autoroutière sera de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les opérateurs économiques. » (n°38).
Et il en résulte pour le juge administratif ceci : « Dans ces conditions, compte tenu de la seule nécessité de conforter le développement économique du bassin de Castres-Mazamet, et non de procéder à son redressement, ainsi que des effets relatifs que la création d’une liaison autoroutière peut avoir sur ce confortement, les motifs économiques avancés pour justifier un tel projet ne sauraient caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur. » (n°39).
Cela dit, le prix du péage ne devrait être une raison principale, il devrait anecdotique en ce sens que le prix peut être fixé autrement, soit par une baisse avec un apport d'argent public supplémentaire (c'est-à-dire que les contribuables paient au lieu des usagers) soit une baisse sans compensation publique, qui serait de toute façon plus rentable que l'arrêt définitif des travaux aujourd'hui.
D'autres arguments ont été pris en compte par le juge administratif, au point de conclure comme le proclame l'extrait mis en tête de l'article, que tous les arguments pour l'autoroute « ne sauraient (…) suffire à caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur ». Il faut bien comprendre que pour arriver à cette conclusion, le juge administratif a fait une analyste très détaillée de la situation, en particulier, il a étudié la démographie du bassin de Castres-Mazamet (et a conclu qu'il n'y avait plus le décrochage démographique à la hausse envisagé dans les années 1990), aussi l'historique des accidents routiers sur la N126, et plein d'autres éléments comme la nature du trafic routier actuel (professionnel, particulier, destination des déplacements, etc.).
C'est cette conclusion qui est fustigée par les partisans de l'autoroute A69 avec plusieurs arguments de poids.
Le premier est quasi-philosophique : les acteurs politiques sur le terrain, de tous les bords politiques, qui sont les représentants du peuple, sont les plus aptes à dire ce qui est l'intérêt général, l'intérêt des populations, l'intérêt public majeur. Si la justice administrative empêche toute construction, il n'y a plus de possibilité d'évoluer, de se moderniser, de se développer, d'innover, c'est donc grave. Il y a une clivage juge versus politique sur ce que doit devenir la société.
À cette inquiétude, réelle, qui se retrouve à un niveau plus élevé avec les décisions du Conseil Constitutionnel qui peut invalider des dispositions d'un texte de loi voté par le Parlement, il y a une réponse qui me paraît assez simple. Au même titre que le Conseil Constitutionnel ne se fie qu'à la Constitution (et au bloc de constitutionnalité), et qu'il suffit aux parlementaires de réviser la Constitution pour valider une disposition qui n'aurait pas été validée en l'état, le juge administratif ne fait que lire la loi (et l'interpréter, bien sûr, ce qui crée de la jurisprudence), et il y a un côté schizophrénique des politiques qui font des lois qui, ensuite, les piègent, qui les enserrent, les enferment, les empêchent de tourner en rond.
Et toutes les lois sur l'environnement sont de ce ressort : ce sont des lois qui mettent de nombreuses contraintes pour protéger l'environnement. Mais certains objectifs comme le zéro artificialisation nette sont démentiels, je pèse mon mot, lorsqu'on a besoin d'infrastructures nouvelles et surtout, de logements nouveaux pour une population qui, malgré la faible natalité, ne cesse de croître (du moins, ses besoins en logement, car le mode de vie renforce l'individualisation, la séparation des familles, leur recomposition, etc.). Peut-être qu'avant de dicter l'idéal, il faudrait juste le réalisable pour qu'il y ait une acceptation globale de la société de ces contraintes (sinon, le risque, c'est de faire le jeu des populismes et de revenir très brutalement en arrière).
Dans le point 43 de la conclusion proposée, il est suivi ceci, qui est très intéressant aussi : « et ce, quand bien même la loi d’orientation susvisée du 24 décembre 2019, dite LOM, laquelle a pour objet de définir la stratégie et la programmation financière et opérationnelle des investissements de l'État dans les systèmes de transports pour la période 2019-2037, a reconnu ce projet comme étant prioritaire au titre des dépenses de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et que l’arrêté susvisé du 31 mai 2024, lequel est de niveau infra-législatif, a, dans le cadre d’une législation distincte, classé ce projet parmi ceux d’envergure nationale ou européenne présentant un intérêt public majeur. ».
En clair, le juge administratif se sent permis de juger quelle loi prime sur quelle autre. C'est très important... et surtout, nécessaire, dès lors que des textes de loi s'entremêlent, voire se contredisent, avec des injonctions contradictoires. Si le législateur était plus ordonné, plus global, il éviterait de laisser le choix à un tribunal administratif. (L'exemple type est : il faut construire beaucoup plus de logements notamment beaucoup plus de logements sociaux, mais il ne faut plus artificialiser de terrain ; on fait quoi ?on creuse des cavernes ?).
Le deuxième argument pour fustiger cette conclusion, ce sont les conséquences d'une suspension, provisoire ou, pire, définitive, des travaux alors qu'ils ont commencé il y a deux ans, que des centaines d'emplois sont en jeu et que des centaines de millions d'euros ont déjà été engagés dans ce projet. Dès lors que toutes les autorisations ont été données, après enquêtes publiques, etc., comment la justice peut-elle, après coup, encore interdire le projet ?
Cet argument ne tient pas beaucoup car il est presque trumpien ! En gros, forçons la construction et c'est la politique du fait accompli. Certaines villas au bord de la mer, qui violent la loi littoral, ont subi les mêmes déboires judiciaires ou administratifs. À côté de Grenoble, un hypermarché a même été remis en cause plusieurs années voire une dizaine d'années après son ouverture, qui avait été considérée comme illégale, longtemps après.
Le troisième argument est, à mon sens, plus sérieux, car le jugement sur le fond n'était pas le premier recours déposé par les zadistes contre le projet d'A69. C'était le énième. Il y a eu de nombreuses décisions qui avaient déjà donné raison au projet, d'où la surprise de la décision du 27 février 2025.
Ainsi, le projet a eu sa déclaration d'utilité publique le 19 juillet 2018 (décret n°2018-638 du 19 juillet 2018 signé par Édouard Philippe) et le contrat de concession avec la société Atosca a été signé le 20 avril 2022 (décret n°2022-599 du 20 avril 2022 signé par Jean Castex). L'élargissement de l'A680 a été déclaré d'utilité publique le 22 décembre 2017 par un arrêté du préfet de Haute-Garonne.
Plusieurs recours en référés ont été déboutés. Le 5 mars 2021, le Conseil d'État a rejeté le recours en annulation du décret du 19 juillet 2018 (décision n°424323). Le juge du référé-liberé du tribunal administratif de Toulouse a rejeté le 24 mars 2023 la demande d'interruption des travaux (ordonnance n°2301521), décision confirmée par le Conseil d'État le 19 avril 2023 (décision n°472633). Le juge des référés a rejeté la demande d'interruption des travaux le 3 août 2023. Le tribunal administratif de Toulouse a rejeté une nouvelle demande d'interruption des travaux le 6 octobre 2023 (ordonnance n°230714). En tout, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté quatre fois par ordonnance la demande d'arrêt des travaux. Le Conseil d'État a validé le 29 novembre 2023 l'autorisation environnementale délivrée le 1er mars 2023 après le rejet le 1er août 2023 par le tribunal administratif de la demande d'annulation dudit décret (ordonnance n°230323). Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a encore une fois rejeté le 21 janvier 2025 une nouvelle demande de suspension des travaux (ordonnance n°2407798) à cause de la proximité de la date du jugement sur le fond.
La décision du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 1er août 2023 est intéressante car justement, il considérait que le projet de l'A69 répondait à une « raison impérative d'intérêt public majeur » avec les arguments suivants : « Il résulte de l’instruction que le projet de l’autoroute A69 a été engagé par l’État en vue de faciliter les liaisons entre Toulouse, chef-lieu de la région Occitanie, et Castres, chef-lieu d’arrondissement du sud du Tarn constituant un pôle important notamment en termes de service public, d’économie et d’emploi dans le cadre d’un bassin de vie et d’activité s’étendant à Mazamet et à l’ensemble de l’est du département, pôle qui, s’il dispose d’une cohérence et d’une dynamique internes, demeure relié à Toulouse par une route nationale dont seule une brève portion dispose d’une chaussée à deux fois deux voies. Par ailleurs, il résulte de l’instruction, que même dans les hypothèses les moins favorables, la construction de cette liaison autoroutière, en absorbant une partie du trafic de la route nationale 126, induirait un gain de temps et de confort sur ce parcours d’environ vingt minutes sur un trajet d’une heure et dix minutes, aurait un effet positif sur la sécurité routière en évitant notamment la traversée du centre de certaines communes et la circulation d’un trafic important sur une route nationale essentiellement composée de sections à deux fois une voie, et serait ainsi susceptible de contribuer au rééquilibrage territorial attendu entre le bassin de Castres-Mazamet et les autres pôles de l’aire d’influence de Toulouse, tant au point de vue démographique qu’au point de vue économique. Si les requérantes, en s’appuyant notamment sur les avis rendus par l’autorité environnementale et le conseil national de protection de la nature sur le dossier de demande d’autorisation environnementale, ainsi que sur certaines analyses socio-économiques réalisées avant l’intervention de la déclaration d’utilité publique, remettent en cause la pertinence de ces objectifs ainsi que la réalité et l’ampleur de ces gains, il ne résulte pas de leur argumentation, qui repose essentiellement sur des hypothèses ou des interrogations sur les effets attendus de l’ouvrage, que les motifs de la politique d’aménagement ainsi menée, la configuration de l’autoroute A69, la nature des territoires qu’elle doit desservir, le coût de son péage, ou ses éventuelles conséquences négatives seraient susceptibles de créer un doute, en l’état de l’instruction, sur son caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens et pour l’application de l’article L.411-2 du code de l’environnement. » (n°13).
En clair, et je ne vois pas en quoi le fait que ce soit le juge des référés qui a pris la décision change la logique, cette décision reconnaissait la raison impérative d'intérêt public majeur en détaillant les arguments pour s'en convaincre. Pourquoi ce même tribunal administratif, sur le fond, un an et demi plus tard, aurait une conclusion diamétralement opposée ? C'est cette question qui me pose problème.
Maître Arnaud Gossement, professeur associé à la Sorbonne et avocat du cabinet Gossement Avocats spécialisé dans le droit de l'environnement, droit de l'énergie, droit de l'urbanisme, public et privé, a cité aussi, dans son blog, une autre motivation de rejet dans la décision du 1er août 2023, car selon le juge des référés, le bénéficiaire de l'autorisation environnementale contestée a recherché d'autres solutions : « L’étude d’impact préalable à l’intervention de l’autorisation environnementale contestée procède à une comparaison précise des avantages et inconvénients du projet objet de cette autorisation avec ceux afférents aux solutions alternatives que constituent un accroissement de la desserte ferroviaire entre Toulouse et Castres, l’aménagement sur place de la route nationale 126 et son aménagement par création à distance de celle-ci d’un axe non autoroutier doublant cette route, solutions écartées en raison de coûts d’investissement importants et d’un impact majoré sur l’écosystème et les riverains. Il en résulte, dès lors que les hypothèses et conclusions retenues par l’étude d’impact sur ce point ne sont pas sérieusement remises en cause par l’argumentation des requérantes, que le moyen tiré de l’insuffisance de la recherche d’autre solution satisfaisante au sens et pour l’application de l’article L.411-2 du code de l’environnement n’est pas de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué. ».
Enfin, une commission d'enquête parlementaire sur l'A69 a vu le jour à l'initiative du groupe écologiste à l'Assemblée Nationale le 16 janvier 2024, mais la dissolution de l'Assemblée a annulé la commission et tous les travaux en cours. Au cours des auditions du 27 février 2024, l'ancien Ministre des Transports (entre 2005 et 2007) Dominique Perben a expliqué notamment : « À l’époque, nous étions très préoccupés par l’équilibre du territoire et par le fait que le dynamisme de la métropole toulousaine bénéficie aussi aux autres villes. ». Il s'agissait donc bien de désenclaver un bassin d'emploi privé de liaison rapide vers la métropole toulousaine.
Quelle sera la suite de cette suspension des travaux ordonnée le 27 février 2025 ? Il y en a deux. L'État va interjeter appel (dans un délai de deux mois), probablement la société concessionnaire aussi, mais, selon l'article R.811-14 du code de justice administrative, l'appel n'est pas suspensif. C'est la raison pour laquelle l'État va aussi faire une requête en sursis à exécution du jugement, auprès de la cour administrative d'appel, dont le but est de permettre la poursuite des travaux pendant le temps de l'instruction du procès en appel.
La requête en sursis à exécution du jugement (article R.811-15 du code de justice administrative) est une procédure qui est acceptée très rarement. Elle nécessite deux conditions : d'une part, que les conséquences d'un non-sursis, en l'occurrence l'arrêt des travaux, sont très fâcheuses (notamment pour l'emploi de centaines de personnes), d'autre part, qu'il y a suffisamment d'argument pour penser que la cour d'appel puisse donner une décision contraire à la première instance. Interrogé par Xavier Lalu le 28 février 2025 sur France Info, maître Antoine Hudrisier, avocat spécialiste en droit public, a précisé : « Dans ce cas, si la cour d'administrative d'appel juge la demande recevable, elle peut faire renaître, par ordonnance, l'existence juridique de l'autorisation environnementale, en attendant la décision en appel. (…) Reste à savoir dans quel délai pourrait être jugée cette demande de sursis à exécution car rien n'est précisé dans le code à ce sujet. ».
Dans tous les cas, cela ira certainement jusqu'au Conseil d'État puisque les deux parties sont prêtes à aller jusqu'au bout, l'État et la société concessionnaire puisque c'est un projet essentiel d'aménagement du territoire, les zadistes par leur combativité juridique.
Je ne conteste évidemment pas la décision du 27 février 2025 qui a été prise certainement sans légèreté et en comprenant tous les enjeux en présence, notamment économiques et sociaux, mais j'espère que l'appel rétablira la situation qui paraît assez ubuesque actuellement puisqu'une moitié d'autoroute est déjà construite et risque de rester en l'état.
Je reste néanmoins convaincu que la décision finale de ce qu'est une « raison impérative d'intérêt public majeur » doit rester au pouvoir démocratique, c'est-à-dire aux élus, représentants du peuple, voire au peuple lui-même si on le consulte, et pas aux juges ni aux demandeurs d'arrêt de toutes les constructions d'infrastructures, que ce soit l'A69, le barrage de Sivens (mais qui ne vaut pas la vie d'un jeune homme, rendons hommage à Rémi Fraisse pour la mort duquel la CEDH a condamné le 27 février 2025 la France de violation du droit de toute personne à la vie), ou encore l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes, projet pourtant très bien ficelé, consensuel (toute la classe politique l'approuvait), ratifié par une consultation populaire, et annulé sur l'autel de la lâcheté de François Hollande.
« La modernité se définit comme un progrès décisif de la conscience de soi. » (Étienne Borne, 1988 dans la revue démocrate-chrétienne "France-Forum").
Le paiement par smartphone (téléphone portable) est de plus en plus répandu, en France notamment : près de 36% des Français l'utilisent, et 48% des Franciliens selon une enquête d'OpinonWay pour Lyf réalisée en février 2024. Cela consiste à payer sans contact avec une application (Google Wallet ou Apple Pay), ce qui a l'avantage de ne plus utiliser de carte bancaire ni d'espèce.
Mais ce type de paiement a un gros défaut : il peut vous faire verbaliser par les forces de l'ordre si vous payez de cette manière le péage d'une autoroute. C'est en tout cas ce qui est arrivé à un "influenceur", comme on dit, de TikTok, du nom de "s4iintt", qui a raconté le 16 janvier 2025 sa mésaventure dans une vidéo sur ce réseau social qui a été vue par près de 5 millions internautes. Le jeune homme de 21 ans revenait des Pays-Bas et sur un péage de l'autoroute A10, il a eu une surprise : « J’arrive à un péage, c’était 25,90 euros, je sors mon téléphone, je paye en Apple Pay et, et instantanément, gyrophare, moto… ».
On l'a verbalisé d'une amende de 90 euros (celle de 135 euros forfaitaire) et de trois points du permis de conduire. Il a protesté : « Mais monsieur j’étais à l’arrêt j’ai juste payé avec mon téléphone ! ». Après la polémique qu'il a entraînée dans les réseaux sociaux, des avocats ont été interrogés par la presse et ont tous répondu que la loi verbalisait bien l'utilisation du téléphone portable lorsqu'on est au volant.
Un autre "influenceur" de TikTok, Masdak, suivi par 3 millions d'abonnés, a repris aussi cette histoire en affirmant : « Au péage, vous êtes sur une voie d'autoroute, votre véhicule est toujours considéré en état de circulation, une amende forfaitaire de 135 euros et un retrait de trois points du permis de conduire. ».
En effet, l'article R412-6-1 du code de la route précise bien : « L’usage d’un téléphone tenu en main par le conducteur d’un véhicule en circulation est interdit. ». Aux yeux de la loi, un véhicule qui s'est arrêté pour payer à un péage d'autoroute est toujours en circulation : « Je suis en circulation n’étant ni à l’arrêt, ni en stationnement. », a ainsi expliqué maître Rémy Josseaume le 20 janvier 2025 pour "Le Figaro" (il a aussi été interviewé le 21 janvier 2025 par "Le Parisien"). Le conducteur doit rapidement se dégager pour laisser la place à d'autres véhicules. L'avocat a considéré que la verbalisation était juridiquement justifiée et qu'il serait difficile, le cas échéant, de contester la sanction.
Du reste, selon des internautes, le site Internet de Vinci Autoroutes a discrètement retiré il y a six jours la mention « ou autre objet connecté » dans sa partie sur le paiement sans contact. Effectivement, il était précisé alors : « À l'aide de votre carte bancaire, mais aussi de votre téléphone, de votre montre ou de tout autre objet connecté, payez votre péage de façon simple et sécurisé. ».
Un automobiliste qui payerait son achat avec son smartphone dans le drive d'un fast-food, au volant de son véhicule avec le moteur en marche, s'exposerait à la même amende, ce qui est logique.
Le plus étonnant, c'est que le Président de la République a eu vent de la polémique et a réagi le 22 janvier 2025 par une vidéo sur le même réseau, TikTok. Emmanuel Macron a déclaré : « Je crois qu'en 2025, on doit pouvoir payer au péage avec son téléphone. Donc, j'ai passé le dossier au Ministre de l'Intérieur et on va collectivement régler ça ! ». Une affaire rondement menée !
Faut-il mobiliser le sommet de l'État pour résoudre cette affaire ? Le discernement ne pourrait-il pas simplement suffire aux forces de l'ordre lorsque l'utilisation du téléphone portable pour payer un péage ne mettrait pas en cause la sécurité de la conduite automobile ? Faudra-t-il légiférer pour donner quelques exceptions à cet article du code de la route ?
C'est évident que la numérisation à outrance de notre vie quotidienne nécessite des aménagements dans notre législation et réglementation. On aurait pu penser que le simple bon sens suffise pour ce genre de chose. Les accros du Macron bashing ne se priveront pas de dénigrer le Président de la République pour avoir voulu s'occuper de ce petit problème posé par un jeune internaute (alors qu'il y a plein d'autres gros problèmes à résoudre). La réalité, c'est que les mêmes le dénigrent parce qu'il n'écouterait pas le peuple. Il faudrait savoir...
« Encadré par ses avocats, Pierre Palmade a l'air un peu perdu, comme depuis ce matin, dans cette salle d'audience. Livide. Le regard un peu dans le vague. Pas un bruit dans le prétoire. Il y a pas mal de tension dans l'air. » (Vincent Vantighem, sur Twitter le 20 novembre 2024, au moment du délibéré).
C'était le réquisitoire du parquet pour blessures involontaires aggravées dans le procès qui a eu lieu ce mercredi 20 novembre 2024 au tribunal judiciaire de Melun pour juger "l'humoriste" Pierre Palmade. Je mets entre guillemets, on pourrait maintenant écrire l'ex-humoriste car je crois qu'il ne fera plus jamais rire. C'est aussi le verdict du procès qui a été prononcé dans la soirée (vers 20 heures 30).
Toutefois, le mandat de dépôt est à effet différé, ce qui signifie que Pierre Palmade n'est pas incarcéré à l'issue de ce procès. Les deux ans ferme ne sont pas aménageables (et seront probablement exécutés près de Bordeaux). Quant au sursis : « À l’issue de l’exécution de cette peine, vous aurez au dessus de la tête trois ans que vous ne ferez jamais à deux conditions : prouver que vous continuez de vous soigner et payer les victimes. L’autre condition : de ne recommencer aucune infraction dans les trois ans. ».
Je rappelle très succinctement les faits : le vendredi 10 février 2023 sur une route de Villiers-en-Bière (en Seine-et-Marne), Pierre Palmade, bourré de drogue dans le sang, ne chassant pas ses démons, avait refusé de céder le volant à l'un de ses deux passagers pour conduire dans une contrée où il habitait (il connaissait donc très bien la route). Roulant à gauche en raison d'une altération de la réalité, Pierre Palmade est le responsable d'un grave accident qui a fait quatre victimes, trois personnes blessées très gravement, le conducteur et les passagers de la voiture qui roulait en face, et malheureusement un enfant à naître, dans le ventre de la passagère depuis six mois, qui n'a pas survécu au choc.
Au-delà du choc d'une star prise en défaut, j'ai d'abord vu les victimes, une famille complètement effondrée et traumatisée à vie. La perte d'un enfant à naître, qui n'a peut-être même pas encore eu son prénom (en l'occurrence, si, la petite fille à naître a eu son prénom à titre posthume), est une horreur pour les parents, d'autant plus que c'était le premier enfant qu'ils attendaient.
Si on voulait faire de l'humour noir, on dirait que Pierre Palmade avait des circonstances atténuantes, puisque drogué à bloc, c'était difficile pour lui de rouler convenablement. Non, ne riez pas, ce n'était pas de l'humour, mais c'était à peu près l'état d'esprit des tribunaux dans les années 1970 lorsqu'un conducteur galvanisé par l'alcool était responsable d'un accident mortel. On vient de loin. Heureusement, depuis une cinquantaine d'années, avoir le sang rempli d'alcool ou de stupéfiant est devenu une circonstance aggravante et pas atténuante.
On voit ainsi par cette occasion que la star se droguait régulièrement et bien sûr illégalement, mais cette addiction était déjà connue publiquement depuis quelque temps, notamment par une ancienne condamnation. Je sais que le calvaire de l'addiction n'est pas seulement pour celui qui est atteint mais aussi pour ses proches, sa famille, et que la double peine résout rarement les choses, mais lorsqu'on sait qu'une personne est incapable de ne pas boire ou de ne pas se droguer, pourquoi l'État, la société, la loi, n'enlèverait pas, provisoirement, la validité de son permis de conduire ? Après tout, les bigleux (dont je fais partie) doivent toujours avoir des lunettes à verres correctifs dans la voiture pour avoir le droit de conduire (même s'ils portent des lentilles), et on imagine bien que certaines personnes n'ont plus le droit, ou un droit sous condition, de reconduire pour raisons médicales, en particulier lorsqu'elles ont été victimes d'un AVC.
Deux ans de prison ferme, on pourrait penser que c'est sévère. Surtout que s'il y a un homicide, il l'est sur un enfant à naître, pas une personne "finie" déjà reconnue par la société et l'État de droit (mais ce débat est très important, existe-t-on, socialement, éthiquement, avant de naître ? Ma propre réponse est oui, ne serait-ce que dans la tête des parents, mais aussi dans les listes d'attente des crèches, etc. et surtout, l'existence biologique est patente !). En outre, la sévérité d'une peine ne fait jamais revenir un être chéri disparu, ni supprimer les traumatismes d'un accident qui restera toujours présent dans la tête. De même, Pierre Palmade a bien compris ce qu'il a fait comme monstrueuse bêtise, et la regrette, bien trop tard mais la regrette, il n'est pas indifférent à la détresse des victimes et leur demande pardon. Peut-on pardonner ? Personnellement, je ne répondrai à la question que lorsqu'elle se posera, dans le cas malheureux échéant.
Avant, on pouvait être responsable d'un accident mortel qui a tué plusieurs personnes sur la route et n'être condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. Maintenant, les juges deviennent de plus en plus sévères, et c'est avec raison. Certes, l'intention fait partie de la proportionnalité de la peine, et le caractère accidentel est évidemment pleinement reconnu (du moins, dans la plupart des accidents de la route), c'est le principe de l'homicide involontaire. Le concept de responsabilité est aussi essentiel, et c'est même le point clef dans les accidents du travail. Un accident reste toujours le résultat et la combinaison de plusieurs causes souvent improbables. Il est pourtant des causes probables d'accident, rouler imbibé d'alcool ou de stupéfiant est justement l'une des causes qui donnent beaucoup plus de probabilité à l'accident.
Le passage du permis de conduire a surtout pour but, au-delà du simple apprentissage de la technique de conduite, de responsabiliser le futur conducteur : il a risque de vie ou de mort sur la route. Le comportement totalement irresponsable de Pierre Palmade pouvait ainsi se traduire par : il se moquait totalement de la vie des autres usagers de la route, il pensait avoir la route pour lui tout seul, ou il se moquait des autres, en clair, égocentrisme total et anti-altruisme. On peut comprendre que la demande de pardon vient un peu tard. Elle est celle d'un enfant qui a fauté mais qui n'a pas donné toutes les garanties pour qu'il ne refaute plus. C'est, je pense, le sens de la sévérité du réquisitoire même s'il faut rappeler que Pierre Palmade risquait quatorze ans de prison, et pas seulement cinq dont deux ferme.
Par ailleurs, juger une personnalité célèbre n'est jamais facile pour un juge car il faut éviter toute pression : la personnalité ne doit pas bénéficier d'une tolérance qu'on n'aura pas pour un anonyme, mais, a contrario, elle ne doit pas non plus être condamnée plus sévèrement pour l'exemple.
Concrètement, les victimes se sont senties plutôt méprisées par le verdict pourtant sévère car il n'est pas reconnu l'homicide involontaire aggravé malgré la mort de l'enfant à naître. Durant les débats au procès, l'avocat de la jeune femme avait même déclaré, dégoûté : « Le droit protège mieux les animaux que les enfants à naître. Les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus en France. C’est ahurissant ! ». De son côté, la procureure a affirmé, pendant son réquisitoire : « Cette consommation de stupéfiants ne doit pas justifier la faute de Pierre Palmade. (…) Le souci, c’est cette prise en charge qui peut être chaotique, c’est de prévenir le risque de récidive. (…) Et c’est aussi la volonté de donner une peine qui doit être comprise par la société. » [ces déclarations sont issues du compte rendu du journaliste Vincent Vantighem sur Twitter].
Moi, j'aimais bien les sketchs de Pierre Palmade, je me bidonnais bien dans ses duos avec Michèle Laroque. C'est difficile maintenant. L'impression qu'un monument s'est encore écroulé. Un peu comme l'abbé Pierre : les êtres humains sont complexes, font des choses épatantes... et en même temps, ils peuvent être de vrais salauds. Oui, qu'il fasse sa peine, qu'il se soigne, mais cela n'empêchera pas les victimes d'être effondrées à vie. Là est la peine à perpétuité. La seule chose qui pourrait sortir de bien, c'est que, de ce procès médiatique, il en reste cette idée impérieuse que chaque conducteur que nous sommes a la fragile responsabilité de faire attention à la vie des autres. Cette attention devrait être portée en permanence. Et surtout, en prendre conscience en permanence. La voiture, parce qu'elle a de l'énergie, est un instrument mortel. Il faut la manier avec cette conscience aiguë. Pour éviter d'autres victimes.
« L’Union s’est engagée, dans le cadre de son objectif "Vision zéro", à ce qu’il n’y ait plus aucun décès lié à la circulation d’ici 2050, comme le rappelle la stratégie de 2020 pour une mobilité durable et intelligente. » (Texte de la résolution législative du Parlement Européen P9_TA(2024)0095 du 28 février 2024).
Georges Pompidou avait lâché, venu du cœur : « Arrêtez d'emmerder les Français ! » qui l'avait rendu assez populaire. Je serais tenté d'aller plus loin, au risque de la démagogie : « Arrêtez d'emmerder les Européens ! ». Le thème du jour : le permis de conduire. Et la question du jour : sa validité doit-il être renouvelée régulièrement par un certificat médical ? L'enjeu du jour : réduire les accidents dont la cause est le vieillissement des personnes âgées. J'avais déjà abordé ce sujet (important) en avril 2023.
On dit que la bureaucratie européenne est imbitable, c'est déjà un peu vrai pour s'y retrouver dans les travaux du Parlement Européen. Le fonctionnement même des institutions européennes (simplement répondre à la question : qui fait quoi ?) est très peu connu des Européens eux-mêmes et j'espère que la campagne des élections européennes qui s'ouvre (du moins en France, maintenant, toutes les têtes de listes sont connues) sera l'occasion d'explications pédagogiques sur l'Europe à côté des propos démagogiques qu'on ne pourra évidemment pas empêcher de dire.
Ce mercredi 28 février 2024, la "résolution législative du Parlement Européen P9_TA(2024)0095 du 28 février 2024 sur la proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative au permis de conduire, modifiant la directive (UE) 2022/2561 du Parlement Européen et du Conseil et le règlement (UE) 2018/1724 du Parlement Européen et du Conseil et abrogeant la directive 2006/126/CE du Parlement Européen et du Conseil et le règlement (UE) nº 383/2012 de la Commission (COM(2023)0127 – C9-0035/2023 – 2023/0053(COD))" (ouf) a été adoptée en séance plénière au Parlement Européen par 339 voix pour, 240 voix contre et 37 abstentions, après une heure de débat général la veille, le 27 février 2024 (on peut suivre ce débat dans la vidéo à la fin de l'article).
Elle donne la position du Parlement Européen sur ce dossier qui sera repris par le prochain Parlement Européen élu le 9 juin 2024. Il s'agit d'une mise à jour de la Directive Permis de conduire que la Commission Européenne voulait compléter. L'une des mesures cruciales était l'instauration d'un contrôle médical obligatoire qui a été finalement supprimée du texte final par les députés européens dans leur grande sagesse.
Il faut rappeler que c'est le Conseil Européen (donc, les chefs d'État et de gouvernement des États membres) qui a le pouvoir de donner des consignes "législatives" à la Commission Européenne et le Parlement Européen peut les refuser (le pouvoir des députés européens a été renforcé par le Traité de Lisbonne, notamment dans la désignation des membres de la Commission Européenne). Il faut imaginer la "directive européenne" comme une loi au niveau européen. Elle doit être ensuite suivie des faits dans le droit national de chaque État membre, ce qui signifie chaque fois une discussion parlementaire nationale sur les dispositions de la directive européenne. Par cette manière, la démocratie est sauve puisque des parlements nationaux peuvent refuser la transposition d'une directive.
Le problème, c'est le nombre de directives européennes, beaucoup trop nombreuses et pas forcément adaptées à l'ensemble des États membres. Cette tentation à la réglementation est probablement une véritable tare de l'Europe, mais trop méconnue pour que les démagogues puissent en faire leur gras ! L'un des principes des pères de l'Europe était le principe de subsidiarité. Mot compliqué pour expliquer qu'il ne faut légiférer qu'au niveau où c'est utile. Bien sûr, sur l'écologie, par exemple, le niveau planétaire est nécessaire sinon, les efforts des uns seraient détruits par le je-m'en-foutisme des autres (d'où les COP, encore plus complexes que les Conseils Européens !).
Pour le permis de conduire, il me paraît peu nécessaire de réglementer de manière européenne, ne serait-ce que parce que les routes, le relief, les usages sont très différents d'un pays à l'autre. Par exemple, la configuration des routes imposent des vitesses limites différentes, les routes plus étroites ont une vitesse maximale autorisée plus faible, ce qui est normal. Et malgré le Brexit, certains pays font encore rouler à gauche (l'Irlande, Malte et Chypre), et c'est leur droit (changer de côté serait une catastrophe psychologique pour les résidents des pays qui changeraient).
Le texte de la résolution commence mal puisqu'il évoque l'objectif du Zéro accident de la circulation pour 2050. Objectif insensé et je ne comprends pas comment on a pu le laisser ainsi. Certes, l'idéal, c'est le Zéro accident, mais la réalité, c'est que c'est "mécaniquement" impossible. Prendre le volant constitue toujours un risque, bien sûr, et l'objectif de Zéro accident, c'est un objectif qui signifie ne prendre aucun risque sur la route, et à cela, il n'y a qu'une seule réponse, interdire de conduire. Les objectifs à Zéro machin, c'est toujours à la limite du totalitaire (l'objectif Zéro artificialisation nette des sols est, lui aussi, louable et idéal, mais reste totalitaire en ce sens qu'il ne tient pas compte des conditions particulières de certains territoires).
Mais dire cela ne signifie pas ne rien faire pour la sécurité routière, et on sait bien que la sécurité routière augmente avec une forte volonté politique, c'était le cas avec Jacques Chaban-Delmas au début des années 1970, avec Michel Rocard au début des années 1990 et avec Jacques Chirac au début des années 2000. Je place expressément ces trois personnalités politique majeures de notre histoire nationale parce qu'une volonté politique efficace ne peut être servie que par des personnalités qui ont une caisse de résonance, un écho médiatique et intellectuel importants.
L'objectif de réduire drastiquement le nombre de morts sur la route doit être un objectif commun à tous les Français comme à tous les Européens. Le nombre de victimes fait que la plupart des citoyens ont pu être touchés de près ou de loin par un accident de la route qui a coûté la vie à un proche. Mais dans la définition d'une politique nationale (ou européenne), il faut avoir conscience que plus on met de sécurité, plus on enlève de liberté. C'est d'ailleurs curieux que l'extrême droite qui s'oppose généralement aux mesures de sécurité routière au nom de la sacro-sainte liberté prône un autre jour des mesures ultrasécuritaires qui mettent en cause nos libertés fondamentales alors qu'il y a beaucoup plus de morts sur la route que d'homicides en France (un rapport de l'ordre de 3 ; autour de 1 000 homicides et plus de 3 000 morts sur la route chaque année en France, et ce rapport était nettement supérieur avant les années 2000 car le nombre d'homicides, même s'il est en légère augmentation, n'a pas fondamentalement changé depuis des décennies).
Les pouvoirs publics doivent donc régler le curseur entre sécurité routière et liberté de circulation, et c'est important de l'avoir en tête (au même titre que sur les sujets écologiques, les zones à faibles émissions sont contraires au principe fondamental de liberté de circulation). Ce curseur doit être manié avec une prudence importante et l'idée générale qui me paraît pertinente, c'est que la mesure qui retire une partie de la liberté de circulation doit entraîner une augmentation efficace de la sécurité routière. C'est le principe de proportionnalité en droit.
Si j'ai beaucoup apprécié les propositions du professeur Claude Got (disparu l'été dernier) en matière de sécurité routière parce qu'il avait une démarche scientifique et rationnelle, je n'allais pas aussi loin que lui qui proposait la limitation à 120 kilomètres par heure sur les autoroutes. Cette mesure n'était pas motivée par une meilleure sécurité routière (il y a peu de morts sur les autoroutes), mais par des considérations écologiques qui sont très louables (on pollue moins à 120 qu'à 130 kilomètres par heure, et aussi, cela coûte moins cher au conducteur), mais qui réduisent la liberté de circulation sans compenser par des gains en vies sauvées équivalents. Or, je considère qu'une démarche attentionnée sur le plan écologique doit être adoptée par la pédagogie et la responsabilité des citoyens et pas par une réglementation qui impose plus qu'elle résout les problèmes.
J'ai toujours été favorable aux mesures efficaces de la sécurité routière, qu'on peut énumérer rapidement (au-delà des progrès de la technique qui, évidemment, jouent aussi leur rôle dans la sécurité) : mise en place de vitesses maximales autorisées en fonction des routes, bouclage de la ceinture de sécurité, permis à points, contrôle technique du véhicule, radar automatique supprimant l'impunité (notamment) sur les excès de vitesse, et la dernière a, elle aussi, été efficace (avec le temps, c'est maintenant prouvé), la réduction de 90 à 80 kilomètres par heure sur les routes à deux fois une voie. Typiquement, cette dernière mesure, portée par le Premier Ministre Édouard Philippe avec détermination et courage, était une mesure qui a enlevé très peu de liberté (conduire 10 kilomètres par heure en moins ne change que de quelques minutes son temps de parcours habituel) tout en renforçant la sécurité routière (plusieurs centaines de vies sauvées).
C'est très différent de vouloir imposer un contrôle médical pour les personnes âgées. Soyons clairs : tout le monde s'est déjà posé, un jour, la question sur la capacité de rouler d'un grand-père, ou autre, particulièrement âgé, qui a perdu un certain nombre de réflexes. Le vieillissement n'est pas agréable ni à voir ni à reconnaître, et surtout, il ne se fait pas de la même manière pour tout le monde. D'ailleurs, beaucoup de personnes âgées, d'elles-mêmes, décident plus ou moins consciemment et volontairement d'arrêter de conduire car elles ne se sentent plus trop en état de le faire. D'autres, évidemment, sont moins lucides, et peuvent être des dangers sur la route (au même titre qu'un conducteur ivre ne reconnaîtra que difficilement qu'il n'est pas en état de conduire).
Dans la réglementation actuelle, en France, les médecins peuvent aller jusqu'à signaler au procureur de la République qu'un patient n'est plus en état de conduire. C'est un cas limite car généralement, le médecin, qui est proche du patient, qu'il connaît bien, va tenter de le dissuader de continuer à conduire le cas échéant. Certains pépins de santé, comme un AVC, mais aussi des opérations chirurgicales particulières, imposent une consultation d'un médecin agréé pour confirmer le permis de conduire (encore que cette mesure a été récemment assouplie). Donc, dans ce domaine, il y a déjà quelques limites médicales, mais elles sont de nature à encadrer le vieillissement, pas à contraindre de façon lourde et pesante.
Le problème, en effet, c'est qu'instituer un contrôle médical sur les personnes âgées (à partir de quel âge est-on une "personne âgée" ?) serait une catastrophe pour certaines personnes et la liberté de circulation serait atteinte avec des gains en vies humaines très faibles, car malgré les apparences, les personnes âgées sont rarement celles qui sont à l'origine des accidents mortels (ce sont bien sûr les jeunes conducteurs de 18 à 25 ans qui en provoquent le plus). Certes, leurs capacités sont limitées, mais leur lucidité est généralement là, en ce sens que les personnes âgées roulent plus lentement, pas partout, sont plus prudentes, etc.
Bien sûr, si la personnes âgées vit à Paris, elle n'a pas de problème pour se déplacer hors automobile. Dans les zones rurales, c'est bien plus difficile, et souvent, interdire de conduire signifie isolement total voire impossibilité même d'acheter ses biens de consommation habituels. Pour un avantage très faible en matière de mortalité routière. Car les principales causes de mortalité routière sont connues depuis longtemps : excès de vitesse, défaut de ceinture de sécurité, utilisation du smartphone et conduite sous stupéfiant ou sous alcool.
La résolution européenne énonce aussi : « Il convient d'actualiser la cadre actuel pour l'adapter à la nouvelle ère, durable, inclusive, intelligente et résiliente. Celui-ci devrait tenir compte de la nécessité de réduire les émission et la consommation énergétique provenant des transports, notamment par une utilisation accrue de véhicules à énergie de substitution, ainsi que de la numérisation, des tendances démographiques et des évolutions technologies afin de renforcer la compétitivité de l'économie européenne. ». Phrase ultralongue (on a le souffle coupé) qui se trompe d'objectif, qui n'est plus la sécurité routière mais l'écologie et l'économie. Je doute que la numérisation du permis de conduire (téléchargeable depuis quelques jours sur son smartphone) soit un progrès écologique (les centrales des serveurs en ligne sont une catastrophe pour l'environnement) et je suis sûr que ce n'est pas inclusif (tout le monde n'a pas de smartphone), au même titre qu'imposer un contrôle médical va à l'encontre de l'inclusif puisqu'il va exclure des personnes âgées en milieu rural (et pas seulement).
Aujourd'hui, il y a chaque année autour de 20 000 morts sur les routes de l'Union Européennes, c'est beaucoup. La France se situe dans la moyenne. Ce nombre a été réduit de manière énorme en vingt ans : il était de 51 400 en 2001 à 19 800 en 2021, avec surtout une diminution nette pendant la première décennie et une stagnation pendant la décennie suivante (c'était le cas aussi en France avec même une régression lors du quinquennat de François Hollande, complètement désintéressé des questions de sécurité routière). Bien entendu, 20 000 morts est encore beaucoup trop (400 morts par semaine) et il faut encore les faire baisser. On a vu que pour les accidents du travail, on a baissé le nombre de morts en France avec une politique volontariste en responsabilisant les employeurs. Il faut donc surtout responsabiliser les conducteurs plus que les contraindre.
La résolution en question a été portée par la députée européenne écologiste française Karima Delli qui veut « créer un cadre plus solide pour protéger tout le monde contre les accidents ». Heureusement, la résolution n'impose finalement pas de contrôle médical obligatoire à partir d'un certain âge mais propose une auto-évaluation de l'aptitude à conduire. En effet, le communiqué du Parlement Européen explique : « [Les députés européens] ne sont pas favorables à la réduction de la validité des permis de conduire pour les personnes âgées, comme le propose la commission, afin d’éviter les discriminations et de garantir leur droit à la libre circulation et à la participation à la vie économique et sociale. ».
La résolution ne fait donc qu'alerter les pays européens des risques que le vieillissement apportent à la conduite. Le communiqué de presse précise en effet : « Les députés ont accepté que les conducteurs évaluent leur propre aptitude à conduire lors de la délivrance et du renouvellement du permis de conduire, laissant les pays de l'UE décider si l'auto-évaluation doit être remplacée par un examen médical avec un ensemble minimum de contrôles sur la vue et les conditions cardiovasculaires des conducteurs, entre autres. Toutefois, les députés souhaitent que les gouvernements de l'UE déploient davantage d'efforts pour sensibiliser le public aux signaux mentaux et physiques qui peuvent mettre une personne en danger lorsqu'elle conduit. ».
Donc, cette résolution est heureusement plus raisonnable que les propositions antérieures (défendues par les écologistes) qui visaient à limiter bien plus durement la liberté de circulation des personnes âgées. Les mesures de la résolution sont donc beaucoup moins "fortes" mais beaucoup plus réalistes. Elle dit par exemple que les permis de conduire (de véhicule léger) doivent être valables pendant au moins quinze ans, et cinq ans pour les bus et les camions. Sur le plan professionnel, la pénurie de main-d'œuvre (400 000 emplois non pourvus) a au contraire fait assouplir la possibilité de conduire des camions ou des bus de 16 passagers en l'élargissant aux jeunes de 18 ans voire aux jeunes de 17 ans s'ils sont accompagnés d'un conducteur expérimenté.
Dans un trip extrémiste (car il s'agit bien d'extrémisme), Karima Delli s'est parée des quatorze États membres qui ont déjà institué le contrôle médical obligatoire : le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la République tchèque, la Grèce, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande, la Belgique, la Hongrie, la Lituanie (elle n'en a cité que onze), et même à l'extérieur de l'Union Européenne, l'Argentine, la Suisse, etc. pour défendre l'idée d'imposer à tous les États membres ce contrôle médical obligatoire. Karima Delli a justifié cette proposition par un supposé "bon sens" (méfions-nous des supposés bons sens !) : « Nous vous proposons aujourd'hui cette visite qui aura lieu tout au long de la vie parce que notre condition physique évolue et que l'âge n'est pas seulement le seul facteur qui peut altérer la conduite. Voyez les choses comme cela. C'est un geste de bon sens, véritablement un geste simple comme une deuxième ceinture de sécurité. Notre parlement peut envoyer un message historique face à des drames qu'on ne peut qualifier. Je dois vous avouer que dans ma carrière de députée européenne, jamais je n'ai reçu autant de témoignages, jamais je n'ai ressenti autant de souffrance, jamais je n'avais réalisé que n'importe qui d'entre nous, du jour au lendemain, peut avoir un accident grave, une fraction de seconde, basculer dans le camp des victimes. ».
J'ai qualifié le trip des écologistes d'extrémiste car non seulement ils souhaitent l'interdiction de conduire des personnes âgées qui ne passeraient pas favorablement un contrôle médical obligatoire, mais aussi l'interdiction de la conduite accompagnée à 17 ans (qui est une très grande réussite pour la sécurité routière au contraire) et faire adopter un permis spécial pour conduire les SUV sous prétexte que le véhicule serait lourd alors que les voitures électriques sont également très lourdes à cause des batteries électriques (une mesure anti-UV que la mairie de Paris a prise également pour augmenter de manière discriminatoire le prix du stationnement).
En revanche, la Commission ne veut pas d'un contrôle médical obligatoire mais la possibilité du conducteur d'avoir une auto-évaluation : « Pour nous, c'est toujours une alternative viable et proportionnelle. ». Le PPE (centre droit) non plus ne veut pas d'un contrôle médical obligatoire et sa représentante a mis en garde contre les risques électoraux de mesures impopulaires : « Je ne veux pas que des décisions erronées découragent les jeunes en Union Européenne parce que celles-là pourraient ouvrir la porte à ceux qui sont contre la communauté européenne. ».
Au contraire, le groupe S&D (social-démocrate) considère que le contrôle médical obligatoire est indispensable, et son responsable l'a expliqué : « À mon avis, c'est un des points fondamentaux pour garantir un haut niveau de sécurité routière. (…) En tant que législateurs, nous devons toujours faire prévaloir le principe de précaution et garantir les niveaux de sécurité les plus élevés. Je pense par exemple au contrôle de la vue qui est un élément essentiel pour un conducteur. La perte de dioptries peut difficilement être constatée via une auto-certification. C'est pour cette raison que j'espère que demain, la plénière confirmera la position arrêtée au sein de la commission Transports et qu'ainsi qu'un signal soit lancé, un signal historique en fait en faveur d'une plus grande sécurité routière. ». [Attention, ne pas confondre la commission Transports du Parlement Européen et la Commission Européenne qui n'est pas du même avis sur le sujet].
Enfin, le troisième principal groupe politique, Renew (centriste), par la voix de son représentant, le député européen français (du parti radical) Dominique Riquet a déclaré que l'instauration d'un examen médical obligatoire tous les quinze ans lors du renouvellement administratif afin de juger des aptitudes physiques et mentales des conducteurs était « une mesure controversée mais nécessaire ». Cet examen « n'est pas destiné à pénaliser les conducteurs, mais à protéger l'ensemble des usagers de l'espace public ». Pour lui, « il s'agit non pas de s'en prendre à la mobilité mais d'assurer une mobilité sécurisée, comme la ceinture de sécurité qui a fait l'objet des mêmes débats que l'examen médical il y a de cela il y a quarante ans, et que plus personne ne songerait maintenant à reprendre ». La différence, c'est que la ceinture a sauvé énormément de vies et que ce n'était pas une interdiction de conduire, il suffit de boucler sa ceinture de sécurité pour pouvoir retrouver l'autorisation de conduire. Pour lui, il y a également une nécessité urgente à harmoniser les règles du permis de conduire au niveau européen (ce qui n'est pas mon avis, d'autant plus que cette harmonisation va renforcer l'antieuropéanisme primaire).
Dans la discussion parlementaire du 27 février 2024, on s'aperçoit aisément que le contrôle médical obligatoire pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Il est très controversé car il ne donne aucune solution de rechange à ceux que cela toucherait et n'apporte pas une réelle amélioration de la sécurité routière. Heureusement, les députés européens ont retiré cette disposition du texte voté, si bien que les eurosceptiques ne pourront pas utiliser ce texte pour faire de la démagogie à deux balles à l'approche des élections européennes.
Oui, conduire présente un risque et il faut le réduire au maximum, mais vivre présente aussi le risque, celui de mourir, qui adviendra un jour de toute façon. L'approche raisonnable consistait à appuyer toutes les mesures qui pouvaient renforcer efficacement la sécurité routière sans supprimer la liberté de circulation à certaines personnes, ce qui aurait été discriminatoire. Bravo donc au Parlement Européen d'avoir fait preuve de sagesse en repoussant la mesure tout en acceptant l'ensemble de ce texte qui renforce la sécurité routière !
« On avait un homicide involontaire par conducteur (…). Demain, au lieu de parler d’homicide involontaire, on parlera d’homicide routier : on ne change rien d’autre, on change la dénomination des faits. (…) C’est une reconnaissance des victimes. » (Matignon, le dimanche 16 juillet 2023).
Pour le gouvernement, la journée du lundi 17 juillet 2023 a été consacrée à la sécurité routière : une visite de la Première Ministre Élisabeth Borne avec le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin et le Ministre de la Santé et de la Prévention François Braun au centre de soins de suite et de réadaptation à Coubert, en Seine-et-Marne, qui accueille des victimes d'accidents de la route, puis, l'après-midi, la tenue à Matignon du Conseil interministériel de la sécurité routière, le premier depuis le 9 janvier 2018 : « L’ambition de ce CISR est de porter des mesures protectrices, équilibrées et adaptées aux quotidiens des millions de Français qui partagent les routes de notre pays. » (Matignon).
En tout, la "feuille de route" (c'est le cas de le dire !) de la Première Ministre adoptée le 17 juillet 2023 comporte sept "axes" et trente-huit mesures, au risque de diluer les importantes dans les moins importantes, autour de trois "maillons" : éducation, prévention et répression. En fait, très globalement, il n'y a aucune mesure révolutionnaire, aucune parmi celles qui ont compté pour réduire nettement la mortalité routière depuis cinquante ans (ceinture obligatoire, permis à points, radars automatiques, limitation à 80 kilomètres par heure, etc.).
Il y a eu 3 260 personnes tuées sur la route en 2022, revenant au niveau de 2019 (après deux années très impactées par la pandémie de covid-19). Cette inquiétante stabilité devrait être, espère-t-on, passagère et les six premiers mois de 2023 semblent repartir à la baisse, même s'il y a des disparités avec une augmentation des victimes à vélo et en trottinette, et aussi géographiquement, avec une hausse dans les outre-mer. La situation des deux-roues motorisés n'est pas non plus meilleure : 2% du trafic routier et près de 25% des morts sur la route (d'où l'importance d'un véritable contrôle technique sur les deux-roues motorisés).
Avant d'évoquer quelques autres mesures notables, prenons la plus importante, celle qui a même bénéficié d'un "teasing" la veille par Matignon, la création du "délit d'homicide routier" à inscrire dans le code pénal ainsi que la notion de "blessures routières" à la place de "blessures involontaires". Lors d'un point de presse, Élisabeth Borne a exposé sa mesure ainsi : « Nous allons créer une qualification spécifique d’homicide routier. Tout conducteur qui tue une personne sur la route, et serait poursuivi aujourd’hui pour homicide involontaire, sera poursuivi demain pour homicide routier. Cette dénomination s’appliquera que le conducteur ait consommé ou non de l’alcool ou des stupéfiants. ».
En effet, jusqu'à maintenant, les conducteurs responsables d'accidents mortels étaient mis en examen et éventuellement condamnés pour "homicide involontaire" et de nombreuses associations de victimes de violence routière trouvaient insupportable le mot "involontaire" quand le chauffard a pris consciemment le volant malgré l'alcool ou les stupéfiants. C'est donc une avancée sémantique qui a sa valeur symbolique, devenue très pressante après l'accident commis par Pierre Palmade, puis la mort de quatre personnes, dont trois policiers, percutées à Villeneuve-d'Ascq par un chauffard sous emprise de l'alcool et la drogue, mais, pour l'instant, cela ne va pas plus loin.
Et cette mesure fait peut-être l'amalgame entre celui qui prend consciemment sa voiture alors qu'il est imbibé d'alcool ou d'autres substances qui renforcent énormément la probabilité d'un accident mortel, qu'il faut punir sévèrement et si possible avant l'accident, et celui qui, sans alcool, sans drogue, sans vitesse excessive, sans utilisation de smartphone, etc., commet un accident mortel par distraction, négligence, faute d'inattention. Ce dernier est évidemment responsable et doit être sanctionné, mais il n'est pas dans la même catégorie d'intentionnalité.
À l'issue du CISR, le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a ainsi commenté la mesure : « Il n’y a rien d’involontaire à consommer des stupéfiants et de l’alcool, les gens qui sont victimes de cela sont dans un désarroi total lorsqu’on leur annonce que le conducteur sera jugé pour homicide involontaire. (…) L’homicide involontaire, c’est de l’“imprudence”, le pot de fleurs qui se détache de votre balcon et qui vient percuter un voisin et le tue (…). Tuer un gamin quand on est sous l’emprise de l’alcool ou [de] stupéfiants, ça ne peut pas être assimilé à cet homicide involontaire. ».
Certains juristes se sont inquiétés de rendre confus un fondement du droit pénal français, la distinction entre "infraction volontaire" et "infraction involontaire". Ce qu'a rejeté la sénatrice LR Alexandra Borchio-Fontimp, auteure d'une proposition de loi qui introduit justement cette expression "homicide routier", sur Public Sénat : « En droit, chaque mot à un sens. Volontaire, involontaire, routier… ces mots ne veulent pas dire la même chose. Il s’agit de reconnaître que l’acte n’est pas purement accidentel. De par son comportement, le conducteur ne peut ignorer qu’il transforme son véhicule en machine à tuer. ».
D'autres ont critiqué la valeur seulement cosmétique de la mesure. Ainsi, le président de la Ligue contre la violence routière Jean-Yves Lamant a regretté à l'AFP que le gouvernement ne soit pas allé plus loin : « On pensait quand même qu’ils iraient plus loin que le changement sémantique. C’est mieux que rien mais quel est le message ? On voulait surtout des sanctions plus sévères et des mesures d’accompagnement. ».
En effet, les sanctions n'ont pas été revues à la hausse contre les conducteurs responsables d'un accident mortel. Elles sont déjà lourdes (selon l'article L. 221-6-1 du code pénal) : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende « lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité (…) est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur », sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende avec une circonstance aggravante (alcool, stupéfiants, défaut de permis, délit de fuite, vitesse très excessive), et dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsqu'il y a plusieurs circonstances aggravantes.
C'est plutôt l'action des juges qu'il faudrait faire évoluer en sensibilisant la justice sur le caractère très grave de tuer une personne avec sa voiture (jusqu'à très récemment, les auteurs d'homicides routiers étaient très faiblement condamnés, et, pire, au début des années 1970, le fait d'avoir bu de l'alcool était considéré comme une circonstance atténuante et pas aggravante, car cela expliquait, sinon excusait, qu'on conduisît mal !).
Parmi les autres mesures adoptées au CISR du 17 juillet 2023, on peut citer un alourdissement de la sanction des grands excès de vitesse (supérieur à 50 kilomètres par heure), et si l'excès de vitesse est aggravé par l'alcool ou les stupéfiants, le conducteur se verra retirer huit points (au lieu de six), le permis sera systématiquement suspendu, le véhicule systématiquement immobilisé et mis en fourrière. Mais cet alourdissement ne contrebalancera pas l'effet pervers de l'indulgence pour les petits excès de vitesse (moins de 5 kilomètres par heure) annoncée par Gérald Darmanin pour le 1er janvier 2014 qui donne un signal de relâchement dans la politique volontariste du gouvernement.
D'autres mesures anecdotiques ont été prises comme la création d'une attestation scolaire de sécurité routière (sorte de pré-code de la route), des obligations renforcées pour les médecins sur l'aptitude à la conduite, des radars à signal sonore pour sécuriser les agents qui interviennent sur la route, la dématérialisation du permis de conduire (avec une application sur smartphone qui permet de connaître le nombre de points restant) et de la carte verte d'assurance (depuis 2019, il existe un fichier alimenté en temps réel par les compagnies d'assurance qui rend inutile l'affichage de la vignette verte sur le pare-brise et la présentation de la carte verte, cette mesure s'appliquera à partir du 1er avril 2024, et ce n'est pas un poisson), une campagne de sensibilisation à la sécurité routière spécifique à l'outre-mer dont la mortalité routière a empiré, etc.
Intervenant dans les médias à cette occasion, Vincent Julé-Parade, avocat spécialisé dans la défense des victimes de la violence routière, a fait le parallèle entre la voiture en France et l'arme à feu aux États-Unis, ce sont tous les deux des permis de tuer et les gouvernements ont toujours eu peur de prendre des mesures efficaces de protection à cause des pressions. Pour lui : « Malheureusement, cela ne changera pas grand-chose. C’est une opération de communication pour dire que le gouvernement s’intéresse à la sécurité routière et elle intervient surtout en réaction à l’affaire Pierre Palmade (…). Si on veut vraiment faire baisser le nombre de morts sur les routes, il faut oser prendre des mesures impopulaires. ». Par exemple, réduire la vitesse maximale autorisée à 110 kilomètres par heure sur les autoroutes (ce qui serait aussi un bon point pour l'environnement ; mais personnellement, j'y serais opposé), revenir sur l'assouplissement des 80 kilomètres par heure, renoncer à ne pas retirer de point pour les petits excès de vitesse, etc.
Le journal "Le Monde" ne disait pas autre chose dans son éditorial (non signé) du 5 juin 2023 intitulé très clairement "Démagogie automobile contre sécurité routière" : « En matière de sécurité routière et d’environnement aussi, les mauvais choix se traduisent en nombre de morts. Cette vérité, moins largement admise qu’en ce qui concerne la santé, les responsables politiques devraient l’avoir en tête dans un pays, la France, où, chaque année, la route tue plus de 3 000 personnes et en laisse lourdement handicapées plus de 3 000 autres. (…) À l’heure où, à la tête de l’exécutif, on s’inquiète d’un "processus de décivilisation", pourquoi ne pas considérer que le comportement des citoyens dans leurs usages des modes de transport individuels est précisément, par le respect des autres, de la santé et de la vie de chacun, l’un des marqueurs de notre civilité ? ».
Le mot de la conclusion peut revenir à Jean-Yves Lamant qui a lâché amèrement à l'AFP : « Ce n’est pas un recul mais c’est une occasion ratée. Ça n’aura aucun effet dans la réalité des choses. ». Espérons que ce CISR sera suivi d'un autre assez rapidement qui viendra renforcer sur le plan pénal les avancées administratives.
« Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent. » (article R 412-6 du code de la route).
Dans le code de la route, il n'existe aucune infraction correspondant à un manque de sommeil en conduisant. Et pourtant, la somnolence au volant est la troisième cause de la mortalité routière après la vitesse et l'alcool (et les stupéfiants). Sur le réseau autoroutier, un accident mortel sur trois est causé par la somnolence.
Si la première cause a été réduite, la vitesse grâce à l'impunité zéro provoquée par les radars automatiques, la deuxième cause a été plus difficilement réduite même si le contrôle d'alcoolémie et de stupéfiant est facilement verbalisable grâce à des tests rapides (air expiré et salive) avant une éventuelle prise de sang (et malgré une sanction très sévère).
En revanche, aucune mesure réelle n'a été prise pour empêcher la somnolence au volant, malgré ses conséquences désastreuses pour la conduite. Certes, il existe certains équipements modernes dans les véhicules qui vous auscultent en permanence, en particulier le regard, pour détecter un manque de concentration et un début d'endormissement, mais cela reste des mesures volontaires et coûteuses pour l'automobiliste.
S'il n'y a aucune loi pour empêcher de dormir au volant, c'est tout simplement parce qu'il était impossible, jusqu'à maintenant, de distinguer un conducteur frais et reposé d'un conducteur fatigué et en manque de sommeil. Je veux signifier par là, de distinguer de manière objective et quantitative.
Le site de la Sécurité routière (du gouvernement français) explique d'ailleurs qu'il ne faut pas confondre fatigue et somnolence. La fatigue : « C’est la difficulté à rester concentré. Ses signes annonciateurs sont le picotement des yeux, le raidissement de la nuque, les douleurs de dos et le regard qui se fixe. Une solution : toutes les deux heures, la pause s’impose ! ». La somnolence est moins simple à "résoudre" : « C’est la difficulté à rester éveillé, avec le risque d’endormissement, quelle que soit la longueur du trajet. Elle se manifeste par des bâillements et des paupières lourdes. En outre, la somnolence entraîne des périodes de "micro-sommeils" (de 1 à 4 secondes) pouvant être extrêmement dangereuses pour la sécurité de tous. La pause alors ne suffit plus, la solution la plus efficace pour restaurer sa vigilance : s’arrêter dans un endroit sécurisé pour se reposer au moins un quart d’heure. ».
Les accidents dus à la somnolence sur des trajets domicile-lieu de travail sont en hausse en raison de l'augmentation de la durée moyenne de ces trajets (éloignement du domicile) qui se fait au détriment du temps de sommeil. Près d'un Français sur deux a reconnu avoir déjà conduit en état de somnolence. C'est donc une donnée importante de la société qui n'est, pour l'instant, pas prise véritablement en compte.
Les périodes les plus propices à la somnolence sont entre 14 heures et 16 heures (pour la digestion du déjeuner) et la nuit, entre 2 heures et 6 heures du matin. Le mieux pour un trajet long est de ne pas changer ses horaires de lever et d'avoir dormi au moins sept à huit heures dans les vingt-quatre dernière heures. Avoir vécu dix-sept heures de veille de suite équivaut, au volant, à 0,5 gramme d'alcool par litre dans le sang !
Damien Léger, qui préside le conseil scientifique de l'Institut national du sommeil et de la vigilance, rappelle d'ailleurs les conséquences : « Dès les premiers signes de somnolence, le conducteur doit s’arrêter parce que les risques d’avoir un accident dans la demi-heure qui suit sont multipliés par 3 ou 4. Ses réflexes sont altérés et plus il roule vite et plus les conséquences sont graves en cas d’accident. ». Cette dernière phrase est essentielle. Effectivement, ce n'est pas la monotonie de la conduite qui endort (ni une vitesse modérée), mais la conduite rapide : plus on roule vite, plus l'organisme fait un effort de concentration pour tout contrôler (vision, etc.), il doit traiter un grand nombre d'informations en un minimum de temps, ce qui le fatigue beaucoup plus et entraîne la perte de vigilance tant redoutée.
Une étude scientifique de chercheurs australiens publiée le 4 avril 2023 dans la revue "Nature and Science of Sleep" indique, sur la base de nombreuses données, que conduire après avoir dormi moins de cinq heures dans la nuit présentait les mêmes risques d'accident que d'avoir une alcoolémie au-dessus du seuil légal.
Selon les auteurs de cette étude : « Le risque d'accident semble être environ 30% plus élevée après 6 ou 7 heures de sommeil, par rapport aux personnes bien reposées. Après une nuit de sommeil de 4 ou 5 heures, les performances de conduite diminuent fortement et le risque d'accident est environ deux fois plus élevé que chez les adultes ayant bien dormi. ».
Le quotidien britannique "The Guardian" a publié le 8 mai 2023 un article ("Blood test for sleepy drivers could pave way for prosecutions" par Linda Geddes) qui fait état d'une belle avancée scientifique : on pourra bientôt quantifier le manque de sommeil de l'automobiliste ! Ce qui signifie donc qu'on pourra le verbaliser dès lors qu'il n'aura pas dormi suffisamment longtemps auparavant. Cela risque d'être redoutable et de présenter un changement de paradigme.
L'équipe des chercheurs australiens a en effet identifié cinq biomarqueurs dans le sang qui sont capables de dire si une personne était en état de veille pendant vingt-quatre heures et plus, avec une précision de 90%. Clare Anderson, professeure spécialisée en neuroscience du sommeil à l'Université Monash de Melbourne, impliquée dans le projet, a expliqué : « Ces biomarqueurs sont étroitement liés à la durée d’éveil d’une personne et sont constants d’un individu à l’autre. Certains d’entre eux sont des lipides, d’autres sont produits dans l’intestin, ils proviennent donc de différentes parties du corps, ce qui est intéressant, car le sommeil est impliqué dans un certain nombre de problèmes de santé. Mais ce ne sont pas des métabolites (impliqués dans l'anxiété ou l'adrénaline) qui pourraient être affectées si quelqu'un a été impliqué dans un accident de la route. ».
La possibilité de déterminer si un automobiliste a dormi plus ou moins cinq heures pourra donc être réelle par des tests sanguins d'ici à deux ans (les tests portatifs au bord de la route d'ici à cinq ans). L'idée serait d'utiliser ces tests « au moins dans les secteurs où la sécurité est essentielle, tels que le fret routier, l’aviation commerciale et l’exploitation minière », selon le professeur Shantha Rajaratnam, également impliqué dans l'étude. On pourrait aussi imaginer que ce test serait réalisé systématiquement en cas de décès ou de blessure corporelle lors d'un accident de la route, comme c'est déjà le cas pour les tests d'alcoolémie et de stupéfiants. Le cas échéant, son résultat négatif (pas assez dormi) pourrait ainsi devenir une circonstance aggravante.
Interrogé également par "The Guardian", le professeur Derk-Jan Dijk, directeur du centre de recherches sur le sommeil de l'Université de Surrey (au Royaume-Uni) a admis que légiférer dans ce domaine serait « un concept effrayant pour les gens, parce que beaucoup dorment mal, mais je pense qu’il est raisonnable de comparer cela à la conduite en état d’ébriété : si vous n’avez pas dormi pendant plus de quatre heures, vous ne devriez pas être au volant. ». Selon la Sécurité routière britannique, 467 personnes sont mortes ou ont été très gravement blessées en 2021 sur les routes britanniques à cause d'accidents dont la cause principale état la fatigue et la perte de vigilance.
De son côté, le professeur Ashleigh Filtness, spécialiste de la fatigue au volant pour la Sécurité routière britannique, a rappelé que la loi britannique demandait déjà que les conducteurs soient aptes à conduire, et être capable de vigilance est donc obligatoire : « Un test de vigilance sur la route serait un outil utile pour l'application de la loi. Toutefois, un tel test n'exclurait pas la responsabilité individuelle du conducteur. La fatigue ne vient pas instantanément, c'est une accumulation progressive. Il est essentiel de dormir suffisamment avant de conduire. ».
Bien entendu, un tel test, si intrusif de la vie privée voire médicale d'une personne, pourrait faire des ravages dans d'autres domaines, par exemple, s'il était utilisé par les employeurs afin de vérifier que leurs salariés soient suffisamment reposés pour utiliser des machines dangereuses. Il est dommage que le Comité d'éthique n'ait pas encore été saisi (à ma connaissance) de ce genre de nouveauté technologique qui viendra rapidement en France.
« En termes d’aptitude à la conduite, si on n’est plus capable de conduire, c’est très difficile de laisser soi-même les clés de sa voiture. Il faut du courage, et tout le monde n’en a pas, c’est pour cela qu’il faut un cadre législatif, et c’est ce que je défends. » (Pauline Déroulède, le 26 avril 2023 sur Actu.fr).
Interrogée par Michel Seimando et Jean-Jacques Peyre le 26 avril 2023 pour le site Actu.fr, Pauline Déroulède, originaire de Voisins-le-Bretonneux, championne de France du tennis fauteuil et se préparant aux championnats du monde avant de représenter la France aux Jeux paralympiques de 2024, mène un combat depuis quatre ans : la jeune femme, joueuse de tennis de très bon niveau selon le site, avait perdu sa jambe gauche dans un accident provoqué par un conducteur âgé de plus de 80 ans qui avait perdu la maîtrise de sa voiture. Elle souhaite ainsi que la législation évolue pour conditionner la validité du permis de conduire à un test d'aptitude.
Elle réagissait à un grave accident de la circulation qui a eu lieu le samedi 22 avril 2023 dans une rue de Berck-sur-Mer (la rue du docteur Victor Ménard), vers 18 heures 30, qui a fauché douze piétons, en particulier une femme dont le pronostic vital était engagé et qui a été transférée au CHU de Lille. Le bilan aurait pu être pire car les personnes blessées ont bénéficié de la proximité du quartier général des secouristes installés à 200 mètres pour veiller à la sécurité des Rencontres des cerfs-volants, ce qui a permis une intervention rapide.
Le responsable de l'accident est un conducteur de 76 ans en situation de handicap qui aurait confondu la pédale de frein avec celle de l'accélérateur, sans pouvoir reprendre le contrôle de son véhicule, selon les premiers éléments annoncés par le procureur de Boulogne-sur-Mer.
Pour Pauline Déroulède, ce drame aurait pu être évité : « On voit que vraisemblablement ce conducteur n'avait pas bu, pas pris de stupéfiant, mais il a apparemment inversé les pédales d'accélérateur et de frein. L'inversion de pédales, c'est le système nerveux, ce sont les réflexes qui sont apparemment altérés. C'est l'occasion malheureuse de parler de ce projet de loi que je défends, et sur lequel je travaille depuis, à présent, quatre ans. ». Elle travaille notamment avec le député de l'Hérault (Renaissance) Patrick Vignal qui prépare une proposition de loi sur le sujet.
La joueuse de tennis se permet ainsi d'envisager l'avenir : « On peut imaginer que, tout en respectant le secret médical, on puisse déclarer une personne inapte à la conduite comme cela se fait dans la médecine du travail, en mettant en place un protocole clair pour tout le monde. (…) Ce que je défends va de paire avec mise en place de solutions alternatives de mobilité. ». Mais ce dernier point n'a guère de solution possible : dans certains cas, la voiture est indispensable.
Dans l'état actuel du permis de conduire, il n'y a pas de condition d'aptitude au fil des années pour le permis B (au contraire des chauffeurs de poids lourd et de transport en commun qui doivent faire valider leur permis tous les cinq ans). On l'a obtenu généralement autour de 20 ans et il est encore valable lorsqu'on a 90 ans, ce qui peut parfois inquiéter. C'est d'ailleurs la crainte de tout enfant et petit-enfant vis-à-vis d'un ascendant "qui se fait vieux" et dont le déclin des fonctions cognitives se fait aussi avec le déclin de sa lucidité.
Rappelons d'ailleurs un peu d'histoire. Le permis de conduire n'a été véritablement créé en France que le 31 décembre 1922 (il y a cent ans). Le premier document qui voulait prévenir les nombreux accidents de la route avait alors une trentaine d'années. Le préfet de Paris Louis Lépine avait en effet institué le certificat de capacité (à conduire une voiture à pétrole) en 1893, nécessaire pour circuler dans la capitale (ce qui était demandé était très succinct). Ce certificat délivré par les préfets a été généralisé à toute le France le 10 mars 1899.
La réglementation s'est renforcée le 27 mai 1921 puis le 31 décembre 1922 en prenant le nom de permis de conduire, accessible aux femmes et dès 18 ans (auparavant, le certificat était réservé aux seuls hommes de 21 ans ou plus), avec un véritable examen pour l'obtenir passé par un expert agréé par la préfecture. (À cette date, mon arrière-grand-père, refusant obstinément de le passer, il avait alors 36 ans et deux enfants, laissa sa traction-avant au garage). C'était le fameux papier rose.
À partir de 1923, certaines infractions au code de la route pouvaient être sanctionnées par la suspension du permis de conduire. Les limitations de vitesse ont été instituées en 1954 (ainsi qu'un contrôle médical régulier pour les professionnels de poids lourd et transport en commun) et la formation théorique au code de la route est devenue obligatoire dans les auto-écoles en 1957 (et la possibilité de conduite accompagnée est arrivée en 1986, avant le permis à points en 1992).
On aurait pu croire que la directive européenne 2006/126/CE du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire, qui a pour but d'harmoniser le permis de conduire en Europe (à l'origine, il existait 130 modèles de permis !) et qui s'est traduit, en France, par le décret n°2011-1475 du 9 novembre 2011 portant diverses mesures réglementaires de transposition, allait peut-être faire évoluer cette règle d'attribuer le permis de conduire à vie, une fois pour toutes, sans examen médical par la suite.
Certes, depuis 16 septembre 2013, le bout de carton rose a été remplacé par une élégante (et moderne) carte rose sécurisée, au format d'une carte bancaire, avec puce électronique et divers éléments pour rendre plus difficile son imitation frauduleuse. Si les 38 millions de détenteurs des permis de conduire délivrés avant le 19 janvier 2013 peuvent encore garder le format cartonné, les cartes sécurisées seront, elles, valides seulement quinze ans et ceux qui ont encore l'ancien format devront quand même faire la demande du nouveau format avant le 20 janvier 2033 (oui, 2033, n'oubliez pas !).
Le renouvellement de la carte sécurisée tous les quinze ans ne concernent pas l'aptitude médicale à conduire, mais seulement la mise à jour de la photographie et de l'adresse postale (la puce électronique ne contient pas le nombre de points restants ni l'historique des éventuels PV). Du moins pour l'instant.
Mais revenons à cette évolution que souhaiterait Pauline Déroulède et quelques autres acteurs de la sécurité routière, à savoir, organiser régulièrement, à partir de 65 ans (ou d'un autre âge), un examen d'aptitude médicale à la conduite.
Sur le papier, cela éviterait certainement certains accidents. Mais la réalité est que le conducteur âgé, souvent, conduit en fonction de ses moyens, de ses réflexes plus lents, et adapte généralement sa vitesse en conséquence (la plupart des autres automobilistes, derrière lui, rouspètent d'ailleurs de sa lenteur alors que le danger vient plus du trop vite que du trop lent).
De plus, ma modeste expérience de proche de personnes très âgées (je parle d'au-delà de 90 ans), ou alors de personnes malades (qui peuvent être plus jeunes), celles-ci ont renoncé à conduire d'elles-mêmes, sans qu'on le leur demande, car se sentant trop affaiblies pour continuer à conduire. Souvent, d'ailleurs, la voiture reste au garage et n'est pas revendue, comme pour empêcher un deuil et se croire toujours en état de conduire. Rester dans cette illusion aide parfois à vivre. Mais probablement que la sécurité aurait été d'arrêter de conduire un peu plus tôt.
Il y a eu des accidents de personnalités connues. J'ai en mémoire l'accident qui a tué Mgr François Marty, l'ancien archevêque de Paris, le 16 février 1994 à Villefranche-de-Rouergue : le vieux cardinal, à presque 90 ans, s'était retrouvé coincé à un passage à niveau et n'a pas réagi assez vite pour se dégager de la voie ferrée avant l'arrivée du train (il conduisait la 2 CV que les fidèles de Paris lui avait offerte en 1981 pour sa retraite et il leur avait répondu : « Elle me conduira au paradis ! »).
L'ancien dissident polonais Bronislaw Geremek est mort, lui aussi, dans un accident de la route le 13 juillet 2008 alors qu'il avait 76 ans, après une collision avec une camionnette, parce qu'il s'était endormi et avait dévié sa trajectoire. De même, l'ancien acteur historique du Printemps de Prague, Alexander Dubcek, est mort à presque 71 ans le 7 novembre 1992 des suites de ses blessures provoquées par un accident le 1er septembre 1992 sur une autoroute tchèque (l'enquête a conclu qu'il s'agissait bien d'un accident et pas d'un assassinat).
Certes, tout le monde peut s'endormir sur la route ou ne pas réagir assez vite dans des circonstances qui mériteraient d'être très rapide. Pas seulement les plus âgés.
Actuellement, il existe déjà de nombreuses maladies qui interdisent de conduire même avec un permis valide, et la reprise du volant doit alors se faire après la consultation d'un médecin agréé (néanmoins, le système s'est assoupli à cause d'un trop grand nombre de demandes). C'est le cas pour un AVC, même sans séquelles.
Dans la réalité, à part les quelques restrictions indiquées dès le premier jour sur le permis (par exemple, porter des lunettes), il est très difficile d'appliquer cette restriction médicale sans y mettre plus de moyens. Devoir faire revalider le permis de conduire tous les x années (un peu sur le principe du contrôle technique du véhicule) est un complet changement de paradigme puisque par défaut, et la puce électronique est là pour y veiller, le permis ne serait plus valide sans une démarche pour le revalider.
Pourtant partisan généralement des mesures qui améliorent la sécurité routière, je considère que cette évolution serait inadaptée car le résultat serait faible pour des contraintes énormes. Car, au-delà des moyens considérables (en personnel médical notamment) qu'il faudrait mettre en œuvre, c'est carrément la liberté de circulation des personnes âgées qui serait atteinte, qui engendrerait même un sentiment de culpabilité d'exister (surtout si, d'un autre côté, on commençait à leur proposer l'euthanasie).
Non seulement les personnes âgées sont responsables et savent ce qu'elles peuvent faire (certes, pas toutes), mais les statistiques sont têtues : ceux qui sont le plus souvent les responsables des accidents mortels, ce sont les plus jeunes, pas les plus vieux !
De nombreuses études l'ont démontré. Je peux citer celle-ci publiée par la revue "Le Travail humain" en 2010 (volume 73) intitulée "Des conducteurs âgés moins dangereux pour les autres : étude des accidents corporels en France en France entre 1996 et 2005" par S. Lafont, Catherine Gabaude, L. Paire-Ficout, Colette Fabrigoule (éd. PUF). Elle analyse des données d'il y a une vingtaine d'années (1 040 912 accidents corporels), et il n'y a aucune raison que cela ait changé car il n'y a pas eu de changement sociologique ou réglementaire très important depuis cette époque.
La conclusion de cette étude est sans ambiguïté : « La prise en compte de l'âge des impliqués par le calcul des années de vie disponibles et perdues pour les conducteurs eux-mêmes et pour les autres impliqués montre que les conducteurs âgés représentent une menace plus faible pour les autres usagers que les conducteurs plus jeunes, et cela quelle que soit la situation de conduite dans laquelle ils étaient engagés avant l'accident. ».
Pour résumer sommairement, les personnes âgées se tuent elles-mêmes mais ne tuent pas les autres (contrairement aux jeunes). Il y a donc évidemment des actions à imaginer pour réduire le nombre de ces accidents (car il y a effectivement, à cause du vieillissement, un « ralentissement des processus de prise d'information et de décision »), mais mettre toutes les personnes âgées (ou considérées comme telles, c'est-à-dire à partir de 65 ans) sur le grill d'un examen médical régulier ne me semble pas pertinent, rajouter des contraintes alors que les contraintes de leur santé parfois défaillante sont déjà très prégnantes ne renforcerait pas leur esprit de responsabilité, leur lucidité, en un mot, leur sagesse qui est déjà relativement importante.
Dans les zones rurales, la personne âgée qui veut rester vivre chez elle pourrait être très isolée sans pouvoir prendre le volant pour aller rencontrer les gens ou faire leurs diverses démarches pour continuer à vivre de manière autonome. Leur mettre cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête pendant vingt voire trente ans ne me paraît pas raisonnable face aux très légers progrès de la sécurité routière que cela entraînerait finalement. Les pouvoirs publics doivent prendre des décisions au juste équilibre, sinon, il leur suffirait d'interdire la conduite d'automobile sur les routes pour réduire drastiquement ce qui nous reste de mortalité routière. Mais dans ce cas, on entrerait dans une autre société...
« Depuis 2002, la vitesse moyenne des conducteurs a baissé de 10% ; or, une baisse de 1% de la vitesse entraîne une baisse de 4% du nombre de tués. Ce résultat obtenu par une politique de fermeté dans la répression des infractions. En matière pénale, il n'y a pas de mystère : l'efficacité vient de la certitude de la sanction. » (Lionel Tardy, le 16 décembre 2010 dans l'hémicycle).
Ce que le député UMP Lionel Tardy tentait d'exprimer dans l'hémicycle le 16 décembre 2010 auprès ses collègues UMP, c'était qu'il n'y avait pas de "petites" infractions au code de la route : ou on le respecte, ou on ne le respecte pas.
Comme le rappelle le site de la Sécurité routière, « la vitesse est la première cause de mortalité routière (31%). Elle est à la fois un facteur déclencheur de l'accident, mais aussi un facteur aggravant. Une variation de la vitesse implique une variation significative du risque d’accidents mortels : une baisse de 1% de la vitesse moyenne fait baisser mécaniquement de 4% le taux d’accidents mortels. ».
Dans l'histoire de la sécurité routière en France depuis plus d'une cinquantaine d'années, il y a eu des singularités énormes dues à la volonté politique. Nous sommes passés de 16 500 à moins de 3 500 tués sur les routes en cinquante ans, alors que le parc automobile est beaucoup plus important, le nombre de kilomètres de route bien plus élevé et le nombre d'usagers de la route bien plus grand (et de nationalités des usagers également). L'amélioration de la sécurité des véhicules n'explique pas tous ces progrès.
Le plus efficace a été la volonté politique mise en œuvre qu'on peut résumer à trois ou quatre mesures très efficaces : l'obligation de mettre la ceinture de sécurité (décidée par Jacques Chaban-Delmas et appliquée en 1973), l'institution du permis à points (Michel Rocard en 1992), la fin de l'impunité des excès de vitesse avec la mise en place des radars automatique (Jacques Chirac en 2002), et j'ajouterai la réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes à une seule voie (Édouard Philippe en 2018) qui a montré son efficacité et qui mériterait un article entier pour l'évoquer après sa remise en question partielle (à la suite de l'annonce du Président Emmanuel Macron le 15 janvier 2019 à Bourgtheroulde et de l'adoption d'un amendement le 6 juin 2019).
Tout ce qui va à l'encontre de cette volonté politique commune (qui ne dépend pas de la tendance politique mais surtout de la personnalité des dirigeants de l'État) a toujours été motivé par une tentation démagogique accompagnée d'une sauce de faux bon sens, de fausse modération, de faux arguments raisonnables et de vrai néo-poujadisme. Pire : toute communication envisageant un affaiblissement de cette politique envoie un signal négatif aux automobilistes qui se traduit malheureusement par plus de tués sur la route.
Alors, c'est vrai que beaucoup d'associations de victimes de la route sont inquiètes aujourd'hui. L'information donnée par le quotidien régional "Nice-Matin" du mercredi 19 avril 2023 aurait de quoi faire sourire s'il ne s'agissait pas de ce sujet grave, la sécurité routière, et donc, de la vie de milliers de personnes chaque année. Ce journal nous a appris que le Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait écrit à une sénatrice du Var (Françoise Dumont) un courrier lui confirmant son intention de supprimer le retrait de point du permis de conduire dans le cas du constat d'un dépassement de vitesse inférieur à 5 km/h de la vitesse maximale autorisée et que cette mesure serait mise en œuvre à partir du 1er janvier 2024. Cette information a été confirmée par la sénatrice en question sollicitée par l'AFP.
Le sourire est double : en plein climat social post-réforme des retraites, cette information a un léger goût de démagogie qui ne coûte pas cher (du moins directement aux finances publiques) ; de plus, il s'agit seulement de petits excès de vitesse, soit moins de 5 km/h au-dessus de la vitesse limite, ce qui est faible (le premier stade dans les pénalités, c'est pour un dépassement inférieur à 20 km/h).
L'idée de cette mesure n'est pas nouvelle et Gérald Darmanin l'avait déjà formulée, sans calendrier, par un tweet le 19 février 2023, à la suite du tragique accident commis par Pierre Palmade, peut-être pour faire passer la pilule d'une plus grande sévérité (certainement nécessaire) dans la sanction contre la conduite sous alcool ou stupéfiants.
Évidemment, il n'y a aucun sourire qui vaille et le coût restera élevé pour la collectivité, tant humainement que financièrement. Car c'est justement la certitude d'être verbalisés, même avec des petits dépassements de vitesse, qui a entraîné cette salutaire modification des comportements des automobilistes (salutaire pour au moins trois raisons : assurer la sécurité routière mais aussi protéger l'environnement et baisser sa consommation de carburant).
La mesure qu'a décidée le Ministre de l'Intérieur est donc non seulement dangereuse en tant que signal pour se relâcher (on peut de nouveau rouler plus vite que la règle) mais aussi injuste socialement puisque le tarif de l'amende ne change pas. Or, le permis à points était justement une base qui incitait, même ceux qui avaient les moyens de payer les amendes, à respecter la vitesse maximale autorisée, puisque le retrait de permis se fait pour tout le monde, riches et moins riches, quand tous les points sont retirés.
S'il y avait un assouplissement à faire, il faudrait le faire plutôt dans l'autre sens : conserver le retrait du point car une infraction reste une infraction et donne l'avertissement qu'il ne faut pas la refaire, et supprimer l'amende de 68 euros ou 135 euros (selon qu'on roule en agglomération ou sur route). Certes, cela aurait un coût (environ 500 millions d'euros d'amende ; 7,3 millions de PV pour des dépassements inférieurs à 5 km/h ont été établis en 2020, 7,2 en 2019) mais cela serait plus adapté à la sécurité routière.
Les affaiblissements du permis à points ne sont pas nouveaux pour les petits excès de vitesse. Déjà sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et contre la volonté de celui-ci et de son Ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, lors de la seconde lecture de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI2), le 16 décembre 2010, les députés de la majorité avaient voté (à la suite d'un amendement des sénateurs en première lecture) la réduction du temps de récupération des points retirés (au bout de deux ans au lieu de trois ans sans autre infraction) et lors d'un retrait d'un seul point, celui-ci est récupéré au bout de six mois (sans autre infraction), ce qui a valu un éditorial incendiaire du professeur Claude Got, accidentologue bien connu, titré en janvier 2011 : « L'UMP nuit gravement au permis à points », où il affirmait : « Cette défaite n'a pas d'équivalent à mes yeux au cours des cinquante dernières années. (…) Comme pratiquement tous les grands drames de la sécurité sanitaire capables d'entraîner des centaines de morts évitables, cet événement est le résultat d'erreurs liées à l'incompétence, associées à des pratiques qui relèvent de la manipulation des faits. ». Dans les faits, il y a eu une légère remontée de la mortalité routière en janvier 2011 et également entre 2013 et 2017 (à cause de l'indécision de François Hollande).
L'opposition socialiste, par la voix de la future ministre Delphine Batho était unie : « Nous sommes pour qu'on ne change pas la moindre virgule des règles en vigueur en ce qui concerne le permis à points. Le concert de propos laxistes que l'on entend sur vos bancs [ceux de l'UMP] est tout à fait étonnant. Ce que vous êtes en train de faire, c'est d'adresser un message qui sera perçu comme une façon de baisser la garde en ce qui concerne la sécurité routière. ».
Lors de ce débat parlementaire du 16 décembre 2010, la majorité UMP était effectivement divisée entre les tenants de la sécurité routière et ceux qui sont au contraire partisans d'un retour au laxisme (paradoxalement souvent des députés positionnés à l'aile droite de l'UMP).
Ainsi, Jacques Myard voulait faire la différence, à l'instar des Inconnus pour les chasseurs, entre les bons et les mauvais chauffards : « Je vous le dis : autant il est juste et nécessaire de sanctionner les véritables chauffards, autant dans un certain nombre de cas, il faut regarder de plus près la nature des infractions commises. Dans cet esprit, je défendrai un amendement qui vise à ce que, lorsqu’un conducteur a épuisé ses points, on examine dans quelles conditions cela s’est produit. Il a grillé un feu rouge, n’a pas respecté un stop, a conduit en état d’ivresse ! Pas de pitié pour ce chauffard. Mais pour le pépé qui, malencontreusement, se fait flasher à 56 kilomètre par heure de manière répétée, cela ne va pas. Comme disait le Président Pompidou, "cessez d’emmerder les Français !" ».
À propos de Georges Pompidou qui a déclaré cette phrase très populiste quand il était à Matignon, il n'est pas vraiment une référence en matière de sécurité routière car c'est sous son mandat présidentiel que la France a connu le plus grand nombre de tués sur la route. Heureusement que son Premier Ministre ne l'a pas écouté et a réagi !
Quant à Lionel Tardy, il rappelait opportunément que la grande majorité des automobilistes avait tous ses points (75%) et que 90% avaient au moins 10 points sur 12, tandis que les automobilistes qui avaient perdu tous leurs points à cause d'infractions coûtant 1 point étaient en 2008 au nombre de 17 seulement, et les répétitions (nombreuses : douze fois !) de ces petites infractions prouvaient une conduite peu appropriée sur les routes : « Quand on accumule des petites fautes au point de risquer de perdre son permis, c'est qu'on a de mauvaises habitudes de conduite. L'aspect psychologique est primordial, car tout se joue sur le comportement des conducteurs. Annoncer un assouplissement des règles sans la moindre contrepartie (…) serait perçu comme un signal que le relâchement est permis. Le nombre d’accidents et de morts sur la route augmentera avant même que la mesure n’entre en vigueur. Contrairement à ce que l’on peut croire, même les petits excès de vitesse peuvent se révéler dangereux, notamment en ville. Je le répète, une baisse de 1% de la vitesse moyenne, c’est 4% de morts en moins. ».
Le député insistait : « Le but de cette politique de sécurité routière est non pas de racketter en quoi que ce soit les conducteurs, mais de les inciter fortement à changer de style de conduite, en réduisant leur vitesse moyenne et en respectant le code de la route. ».
D'ailleurs, peu avant l'application des 80 km/h, en juin 2018, les gendarmes de l'Oise avaient fait une communication (sur leur compte Facebook) qui a eu beaucoup de succès en dévoilant « l'astuce qui permet d'échapper aux amendes pour excès de vitesse » : il suffit simplement de respecter les limitations de vitesse ! Comme plus des trois quarts des automobilistes.
« Je cherche aussi à surprendre. Voilà, rassurer et ne pas ennuyer. Comme ça, après mon passage, les gens diront : avec lui, on était rassurés et surtout, on ne s'ennuyait pas. » (Pierre Palmade).
Ces propos font désormais frémir. Sketch du (candidat) Président (écrit en 2011), qui se termine par le slogan du Parti qui reste : « Faites-moi confiance : je ne sais pas où l'on va mais on y va ensemble. ». Ou alors ce dialogue si prémonitoire dans son spectacle avec Michèle Laroque, sketch du Permis de conduire (écrit en 1996) :
PP – Regarde la route, chérie ! (…) Alors, reste un peu sur la droite, tu es au milieu de la route !
ML – Il n'y a personne en face.
PP – Tu verras, ce n'est pas toujours comme ça !
Ah oui, ça fait mal. J'aimais bien certains sketchs, notamment avec Michèle Laroque ("Ils s'aiment" en 1996, "Ils se sont aimés" en 2001, "Ils se re-aiment" en 2012), et aussi avec Pierre Richard ("Pierre et Fils" en 2006). Cela fera toujours mal car un homme dont le métier était de faire rire les autres et qui tue ou qui a failli tuer, il ne fera plus jamais rigoler, assurément. Que la carrière d'un humoriste soit foutue, soyons clairs, on s'en fout ! Mais que la vie de quatre personnes qui se trouvaient là par hasard au mauvais moment sur la route soit complètement foutue, ça m'interpelle, et ça doit interpeller la société en général. Et bien sûr l'État.
Depuis l'annonce de ce grave accident sur une route de Villiers-en-Bière, ce vendredi 10 février 2023 dans la soirée, les médias ont placé très rapidement Pierre Palmade du statut de victime sympathique au pronostic vital engagé, au statut de salaud, chauffard irresponsable, drogué, bête de sexe qui n'assume pas son homosexualité et qui se perd dans le chemsex... et surtout responsable d'un accident qui a mis un homme, son fils de 6 ans et sa belle-sœur enceinte, tous les trois aussi à l'hôpital avec pronostic vital engagé. La femme a perdu son enfant à naître (à six mois, c'était sa première expérience de future mère et, quelle que soit la qualification judiciaire, c'est un homicide pour la famille), et l'homme semblerait encore en situation de pronostic vital engagé. Quant à l'enfant, très gravement atteint, j'espère qu'il saura trouver la voie pour retrouver ce qu'il était avant l'accident, physiquement et psychologiquement. La photographie du véhicule accidenté montre la violence du choc (le lecteur la trouvera aisément sur Internet).
Il est question de sécurité routière, de consommation de cocaïne, de chemsex, d'homosexualité mal assurée, d'escort boys, et même de sans-papiers... sans compter que les deux passagers dans la voiture de l'humoriste ont lâchement fui au moment de l'accident au lieu de chercher à venir en aide et d'appeler les secours (non-assistance de personnes en danger), ils se sont finalement rendus à la police et sont en garde-à-vue. Pierre Palmade, lui aussi, a été placé en garde-à-vue le 15 février 2023, après la perquisition de sa maison pas loin des lieux du drame, avec au moins deux affaires, sa responsabilité personnelle dans l'accident et la détention et consommation de drogue. Miné depuis plus de vingt ans par les addictions, Pierre Palmade ne se souvient plus de rien de l'accident (ce qui est logique) mais a eu l'occasion d'exprimer sa honte et assumera toutes ses responsabilités. Son père médecin avait péri dans un accident de la route quand il avait 8 ans. Et très récemment, le 2 février 2023, Pierre Palmade a été acquitté par le tribunal judiciaire de Paris dans une affaire où un escort boy avait été arrêté en train d'acheter de la drogue avec la carte bancaire de l'humoriste (pas très futé).
Tout cet accident fait que ce sera une longue affaire médiatique (et judiciaire), à épisodes, à rebondissements, tout ce dont sont friands les médias gourmands, et à ce jour, après une semaine de grands titres, la palme (provisoire ?) de l'indécence est probablement à attribuer à BFMTV. Comme au moment des attentats islamistes, expliquant la situation évolutive des victimes jusqu'à la nausée, ces journalistes n'ont aucune décence. Pour moi, la définition de la décence est simple, c'est de se poser la simple question : que penseraient les victimes de ce qui est dit ? Se mettre à la place des victimes. Rien que cela.
Mais il faut toujours sortir du positif dans l'horreur. Les grandes catastrophes nucléaires ont par exemple fait augmenter la sécurité des installations existantes. Si cet accident devait servir à quelque chose (je l'écris en pensant très fort aux victimes), ce serait à ceci : à rappeler que la responsabilité du chauffeur sous addictions est totale. Et le fait que l'un des protagonistes, en l'occurrence le responsable, soit une personnalité célèbre, et non seulement célèbre mais plutôt appréciée des Français (même si elle ne fait pas partie du top 50 des personnalités préférées), pourrait au moins éclairer sur l'un des problèmes récurrents de la sécurité routière : l'alcool et les drogues.
En effet, les addictions et la vitesse sont les deux principales causes de l'insécurité routière. Avec la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie, appliquée un peu laborieusement par l'État et les collectivités locales, qui a montré ses effets positifs, nous sommes arrivés à un plateau et peu de progrès pourront être observés en renforçant les contraintes sur les vitesses (sauf si c'est pour un autre objectif, écologique celui-ci). La mise en place de plus de 5 000 radars automatiques depuis une vingtaine d'années, qu'on soit pour ou qu'on soit contre, a considérablement modifié (en bien) le comportement des automobilistes (le mien notamment, je le reconnais), car le risque d'avoir une amende est maintenant très probable. En vingt ans, on en est arrivé quasiment à l'impunité zéro.
Or, le risque d'être contrôlé pour l'alcool ou les drogues sur la route est quasiment nul. Depuis que j'ai eu mon permis de conduire (je n'ose dire depuis combien de décennies, ça donne le vertige !), je n'ai été contrôlé qu'une seule fois en alcoolémie, alors que pendant une période, je roulais énormément sur les routes de France. J'ai d'ailleurs eu de la chance puisque cette fois-là, de mon unique contrôle, j'étais encore étudiant, je revenais le soir d'une visite d'un copain à l'hôpital qui s'était cassé la figure en parapente. C'était après l'heure de fermeture des visites, les couloirs étaient sombres, et mon camarade, discrètement, m'avait proposé un peu de liqueur de poire (il voulait que je l'accompagnasse). Comme je suis toujours raisonnable (!), j'ai décliné l'offre, mais si j'avais été un peu plus faible (psychologiquement), j'aurais certainement eu la contredanse (mais ce n'est pas cela le plus grave ; j'aurais surtout mis en danger les autres personnes que j'aurais croisées sur mon chemin).
Sur le site gouvernemental de la sécurité routière, il est bien indiqué que la drogue au volant donne un état incompatible avec la conduite : augmentation du temps de réaction, diminution de l’aptitude à décider rapidement et altération de la conscience de son environnement. Et pour la cocaïne : elle « suscite une conduite agressive associée à des erreurs d’attention ou de jugement pouvant aller jusqu’à la perte de contrôle du véhicule ».
Selon le professeur Nicolas Simon, médecin spécialiste en addictologie : « [Le] cocktail drogues et alcool, assez courant, expose très fortement l’usager au risque, puisqu’il multiplie par 29 le risque d’avoir un accident mortel. En cause le cumul des effets : sentiment de puissance et désinhibition, conjugués à l’amoindrissement des réflexes. » (drogues en général, y compris le cannabis).
En 2016, on estime à 752 le nombre de personnes qui ont été tuées dans un accident de la route avec stupéfiants, soit 22% des personnes tuées sur la route, c'est énorme. En 2020, 453 000 dépistages de stupéfiants ont été réalisés sur la route (30% de plus qu'en 2018), et l'objectif était d'atteindre 800 000 contrôles en 2021 (les données n'ont pas été réactualisées). Les forces de l'ordre ont le droit de faire ces contrôles à titre préventif, sans infraction ni accident, et en cas d'accident corporel ou mortel, ce dépistage est obligatoire et systématique.
En cas de test positif, les peines encourues vont très loin puisqu'en cas d'accident mortel, le contrevenant risque jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende (en cas d'accident corporel, jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende). C'est clair que Pierre Palmade sera jugé, la justice tranchera, il ne faut pas qu'il soit impuni sous prétexte de sa célébrité, mais il ne faut pas non plus qu'il soit jugé plus sévèrement que s'il était un chauffard cocaïné "ordinaire". C'est justement le rôle et la conscience professionnelle des juges de résister à toutes les pressions médiatiques ou populaires éventuelles. Il faut aussi comprendre qu'un procès est le seul moment ou endroit où la peine des victimes est officiellement prise en compte.
Ces peines sont sévères car le risque de tuer quelqu'un est énorme. De plus, les statistiques sont têtues : « Un accident mortel sur cinq implique un conducteur positif aux stupéfiants. Cette part passe à un accident sur trois, la nuit au cours des week-ends. ». À l'évidence, des progrès sont encore à faire sur le nombre de dépistages sur la route. La certitude d'être puni si on prend le volant avec dans le sang alcool ou/et drogues modifiera nécessairement le comportement tant des automobilistes que de leurs proches, comme cela a été le cas avec la vitesse. On en est encore loin. Si cet accident sordide et glauque, mais hypermédiatisé, pouvait contribuer à cette prise de conscience, ce tragique accident du 10 février 2023 sauverait alors peut-être de vies à l'avenir...