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2 juin 2025 1 02 /06 /juin /2025 19:39

« La présente proposition de loi est individuelle et singulière. Elle vise à réparer un cas individuel et singulier, hors normes et sans comparaison sous la République. Elle ne crée aucun précédent. » (Charles Sitzenstuhl, le 2 juin 2025 dans l'hémicycle).





 


Il y a eu, le lundi 2 juin 2025 sur le coup de 17 heures 30, dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale, une sorte de retour vers le passé exceptionnel, une sorte de construction moderne d'une histoire pourtant ancienne. Pour assister à cette séance publique mémorable, un homme de 98 ans venu exprès dans les tribunes, Charles Dreyfus, le petit-fils du fameux capitaine Alfred Dreyfus accusé à tort d'avoir trahi la France et à l'origine d'une des affaires politiques les plus scandaleuses de l'histoire de France.

Je résume très brièvement cette Affaire Dreyfus devenue leçon de manuels d'histoire. Par l'antisémitisme ambiant, le capitaine Alfred Dreyfus, polytechnicien originaire de Mulhouse, a été accusé à tort d'intelligence avec l'ennemi (l'Allemagne) et de trahison de la patrie (espionnage) en 1894. Cela a créé une crise politique majeure sous la Troisième République. Victime d'un complot avec la présentation de faux en écriture, Alfred Dreyfus fut condamné le 22 décembre 1894 à la dégradation nationale et à la déportation à perpétuité au bagne de l'Île du Diable, en Guyane. Le 5 janvier 1895, le capitaine Dreyfus fut dégradé dans la cour de l'École militaire à Paris. Il est arrivé le 14 avril 1895 à l'Île du Diable.

Très rapidement, des faits ont montré que le capitaine Dreyfus était innocent et était devenu un bouc-émissaire tandis que le véritable espion a été identifié (à cet égard, il faut regarder l'excellent film de Roman Polanski, "J'accuse", sorti le 13 novembre 2019 avec Jean Dujardin dans le rôle du colonel Picquart).

Malgré la réalité des faits, certains éléments dans l'armée, en particulier au plus haut niveau de la hiérarchie, ont continué à charger Alfred Dreyfus pour ne pas déshonorer l'institution. La mobilisation d'intellectuels et de politiques, en particulier Émile Zola (auteur du fameux article "J'accuse !") et Georges Clemenceau (le directeur du journal "L'Aurore" n°87 qui a publié cet article le 13 janvier 1898), a permis de faire émerge la vérité, de reconnaître l'innocence d'Alfred Dreyfus. La plupart des personnalités qui ont considéré publiquement l'innocence d'Alfred Dreyfus, en particulier Émile Zola et le colonel Picquart, chef du service des renseignements, ont été elles-mêmes poursuivies, jugées et condamnées.

Ce fut entre autres la mort soudaine, le 16 février 1899, du Président de la République Félix Faure, hostile à la révision du procès Dreyfus qui a fait bouger les lignes. Du 7 août au 9 septembre 1899, un nouveau procès par le conseil de guerre a eu lieu à Rennes, mais à son issue, Alfred Dreyfus a été à nouveau condamné, cette fois-ci à dix ans de réclusion pour circonstances atténuantes. Il a été gracié dès le 19 septembre 1899 par le Président de la République Émile Loubet et le gouvernement a déposé le 17 novembre 1899 une loi d'amnistie pour l'ensemble des faits de l'Affaire Dreyfus, loi adoptée définitivement le 24 décembre 1900.

 


Le problème de la grâce présidentielle et de l'amnistie, c'était que, d'une part, l'innocence d'Alfred Dreyfus n'a pas été reconnue, et d'autre part, l'amnistie a blanchi les vrais coupables de cette affaire et ceux qui ont conspiré contre Alfred Dreyfus. Alfred Dreyfus a donc redemandé au Ministre de la Justice le 26 novembre 1903 la révision de son procès de Rennes (le second).

Il a fallu attendre le 12 juillet 1906 pour que la Cour de Cassation annulât le jugement de Rennes et réhabilitât le capitaine Alfred Dreyfus dans son honneur. Le 13 juillet 1906, le gouvernement a déposé un projet de loi pour réintégrer Alfred Dreyfus dans l'armée avec le grade de chef d'escadron (c'est-à-dire commandant) et le colonel Picquart avec le grade de général de brigade. Le 20 juillet 1906, Dreyfus fut nommé chevalier de la Légion d'honneur et décoré solennellement dans la cour de l'École militaire, là-même où on l'a dégradé.

Patriote, Alfred Dreyfus n'était pas rancunier puisqu'il a voulu continuer à servir dans l'armée. Mais comme on ne lui a refusé le grade de lieutenant-colonel qu'il aurait obtenu si on avait comptabilisé son temps de détention dans son ancienneté, il a pris sa retraite le 25 octobre 1907. Il a cependant repris du service lors de la Première Guerre mondiale, en particulier à Verdun et au Chemin des Dames, ce qui l'a promu en septembre 1918 au grade de lieutenant-colonel et le 9 juillet 1919 d'officier de la Légion d'honneur. Il est mort à Paris à l'âge de 75 ans il y a près de quatre-vingt-dix ans, le 12 juillet 1935, coïncidence, ce fut le jour anniversaire de sa réhabilitation.

Peu avant de mourir, Alfred Dreyfus a confié à son petit-fils présent dans l'hémicycle : « Je n'étais qu'un officier d'artillerie, qu'une tragique erreur a empêché de suivre son chemin. ».


Lors de la réhabilitation de Dreyfus le 12 juillet 1906, la classe politique avait sans doute mal compris Alfred Dreyfus en ne comprenant pas qu'il voulait réintégrer l'armée. Depuis sa mort en 1935, il y a régulièrement des tentatives de remédier à cet oubli.

Dans sa chronique du 2 juin 2025 sur France Inter, Patrick Cohen a rappelé un historique récent sur la situation d'Alfred Dreyfus. Ainsi, en 1985, l'armée a refusé l'érection d'une statue de Dreyfus dans la cour de l'École militaire, refus approuvé par François Mitterrand alors Président de la République : « Il faut donner aux militaires un exemple, pas un remords. ». Au centenaire de la réhabilitation de Dreyfus, en juillet 2006, le Président Jacques Chirac s'est posé la question de cette injustice de carrière. Le général Bentégeat, chef d'état-major des armée, a confirmé la position de ses prédécesseurs : « Dans les armées, on n'a pas l'habitude de célébrer ses erreurs. On célèbre d'abord ses victoires. ». Ministre des Armée, Florence Parly a voulu également répondre à cette injustice en juillet 2019, mais deux ans plus tard, en octobre 2021, le Président Emmanuel Macron a refusé de prendre une décision individuelle, qui serait considérée comme le fait du prince (et illégale sur le plan juridique), et voulait une décision de l'armée... ou une loi.
 


Ce fut donc une loi. L'ancien Premier Ministre et président du groupe EPR à l'Assemblée Gabriel Attal a ainsi déposé le 7 mai 2025 une proposition de loi au texte très court pour donner le grade de général à Alfred Dreyfus. À titre posthume. L'occasion aussi de rappeler cette funeste affaire et d'insister sur les dégâts de l'antisémitisme toujours aussi vivace de nos jours.

Le texte est passé par la commission de la défense nationale et des forces armées le 28 mai 2025. Le rapporteur du texte est le député alsacien Charles Sitzenstuhl. Lors de l'examen en commission, Charles Sitzenstuhl a précisé le problème de la loi déposée le 13 juillet 1906 : « Là se noue le problème qui nous occupe. Alors que Picquart se voit attribuer un grade aligné sur celui des officiers d’une ancienneté égale à la sienne, Dreyfus est promu commandant à la date de la loi, soit au même niveau que des officiers dont l’ancienneté est inférieure de cinq ans à la sienne. Son avancement est de fait retardé de cinq ans, soit à peu près la durée de sa détention. Alors âgé de 46 ans et seulement commandant, Dreyfus, officier brillant promis aux plus belles perspectives, voit sa trajectoire de carrière irrémédiablement rompue, et il le comprend. Lorsqu’il reprend du service, il se trouve sous les ordres d’un supérieur plus jeune que lui. De la possibilité de devenir général, il est privé, car il sait qu’il sera atteint auparavant par la limite d’âge. Face à ce traitement inéquitable, il demande à contrecœur sa mise à la retraite le 26 juin 1907. J’ajoute, pour la précision historique, que Dreyfus se réengage comme réserviste lors de la Première Guerre mondiale, dès les premiers jours de la guerre. Il est nommé à la toute fin de ce conflit lieutenant colonel de réserve, tardivement (…). Il semble bien, d’après les auditions que j’ai menées, que la différence de traitement de la loi de 1906 résulte d’abord d’un malentendu, qui est à l’origine d’une erreur regrettable. L’inspirateur du projet de loi, le commandant Targe, dreyfusard convaincu, était persuadé que Dreyfus ne souhaitait pas poursuivre une carrière militaire et n’avait donc pas prévu de nomination rétroactive. Il s’était surtout attaché, avec succès, à faire obtenir à Dreyfus la Légion d’honneur. Les députés, suivant le rapporteur Adolphe Messimy, votent le texte à une très large majorité. Dreyfus n’en sera pas moins très affecté. Il entreprendra auprès du gouvernement, sans succès, des démarches en vue de corriger l’erreur et rédigera même en 1907 une proposition de loi, qui ne sera jamais déposée et dont le texte figure dans le rapport, visant à "réparer l’erreur qui a certainement été commise". Ni Clemenceau, alors Président du Conseil, ni Picquart, devenu, magnifique hasard de l’histoire !, Ministre de la Guerre, ne souhaitent rouvrir le dossier, pour de multiples raisons qu’ont explicitées les historiens. Dès la fin juillet 1906, Dreyfus écrit au journaliste et député Joseph Reinach : "Je n’avais jamais demandé de faveurs dans ma carrière ; j’avais essayé d’arriver par mon travail. Après ma tragique et si imméritée condamnation de 1894, je n’ai demandé que de la justice. Si on m’avait donné le rang auquel j’ai droit, je n’eusse voulu d’aucune faveur. J’aurais pu réfléchir et peut être, quel que soit l’état de ma santé, sacrifier encore quelque chose de ma vie. Mais on ne l’a pas fait. J’ai conscience d’avoir fait tout mon devoir. Le gouvernement n’a pas fait le sien". ».

 


Cela ne fait qu'une vingtaine d'années que la classe politique a été sensibilisée par cette injustice de carrière. Avant Gabriel Attal, d'autres parlementaires avaient déposé des propositions de loi allant dans le même sens, en particulier Éric Ciotti, Joël Guerriau, Roger Karoutchi et Patrick Kanner.

Charles Sitzenstulh a rappelé aussi la raison du passage par une loi : « Pourquoi incombe t il aux parlementaires de se pencher sur la question ? Parce qu’il s’agit d’un cas singulier. À la nomination d’Alfred Dreyfus au grade de général de brigade à titre posthume, seule la loi peut procéder. L’exécutif n’en a pas le pouvoir, comme le président Macron l’a lui-même rappelé le 26 octobre 2021. Le chef de l’État, pas plus que le gouvernement, ne peut y procéder par décret. Aucune disposition du code de la défense ne permet de procéder à une élévation au grade deux fois supérieur à titre posthume en vue de reconstituer une carrière. Faute de pouvoir agir par la voie réglementaire, il faut emprunter la voie législative. Au demeurant, la réintégration incomplète de Dreyfus ayant été opérée par une loi, la loi du 13 juillet 1906, il est cohérent d’emprunter la voie législative pour la corriger et la compléter rétroactivement. La présente proposition de loi est singulière. Elle est aussi individuelle, ayant pour objet un individu précis. (…) La proposition de loi qui vous est soumise procède d’une démarche législative singulière visant à régler une situation singulière. Il s’agit d’une reconnaissance symbolique pour un cas hors norme, sans équivalent dans l’histoire de la République. Le dispositif qui vous est proposé est simple. Il tient en un unique alinéa d’une seule phrase. Je présenterai deux amendements quasi rédactionnels, visant respectivement à mettre en cohérence le titre de la proposition de loi et son dispositif et à ramasser la rédaction du dispositif pour en renforcer la clarté. ».


Dans son rapport à la commission, le rapporteur a terminé sa présentation ainsi : « En conclusion, je nous sais nombreux, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, à partager un même souci d’équité et la volonté que réparation soit complètement faite à cet officier exemplaire et brillant qu’était Alfred Dreyfus, qui est un exemple d’héroïsme face à l’arbitraire et à l’écrasement. Nous honorons un officier français patriote, endurant et intelligent, et avec lui tous les militaires, car il y en eut qui lui vinrent en aide, crurent à son innocence, lui témoignèrent de la camaraderie. Chers collègues, Alfred Dreyfus est un héros de notre histoire. Le courage qui lui permit de traverser ces épreuves, c’est aussi dans les valeurs militaires qui lui ont été inculquées qu’il l’a puisé. Dreyfus est un modèle pour la nation, un modèle pour nos armées, un modèle de patriotisme, un modèle d’intégrité, un modèle d’honnêteté, un modèle de sang froid, un modèle de résistance et un modèle de bravoure. Je forme le vœu, important pour notre histoire et pour le Parlement, que la présente proposition de loi rencontre un large accord, et je vous appelle à la voter. ».

Vœu exaucé en séance publique le 2 juin 2025, et c'est le genre de loi qu'on souhaiterait plus nombreuse pour l'honneur du Parlement français !

Seulement deux amendements ont été déposés par le rapporteur lui-même, un (technique) sur le titre et un sur le libellé (déjà très court) de son article unique : il s'agissait de supprimer les mots « éprise de justice et qui n'oublie pas » car cette précision, « en allongeant la rédaction, atténue la clarté du dispositif ».
 


Ainsi, la proposition de loi « élevant Alfred Dreyfus au grade de général de brigade » ne contient qu'un seul article rédigé ainsi, de quinze mots. Article unique : « La Nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. ».

Lors de l'examen en séance publique le 2 juin 2025, Charles Sitzenstuhl a insisté sur ce qu'il avait dit en commission : « Si on s’activait pour obtenir la Légion d’honneur à Dreyfus, qu’il reçut lors d’une cérémonie émouvante à l’École militaire, on pensait qu’il ne continuerait pas sa carrière. Or malgré la forfaiture organisée contre lui par quelques chefs indignes, Dreyfus veut toujours servir l’armée. Songez bien, mesdames et messieurs, chers collègues, ce que cette volonté de continuer à servir nous dit du sens du devoir, du courage et de la générosité des sentiments de cet officier. À l’issue d’une telle conspiration, quelle force d’âme et quel culte de l’armée faut-il avoir pour vouloir renfiler l’uniforme ! Souvenez-vous, c’était ça, Dreyfus ! Cet exemple de patriotisme qui s’écriait le matin d’hiver de son humiliante dégradation : "Vive la France ! Vive l’armée !". ».

Réparer une injustice historique : « Mes chers collègues, il n’est jamais trop tard pour corriger une injustice et réparer complètement l’honneur d’un homme et il est de notre devoir de le faire maintenant. Il faut le faire non seulement pour Dreyfus mais aussi pour nous, pour la nation, pour la France de demain. Il faut le faire pour que la République demeure cette haute idée de l’égalité et de la justice. Alors que notre vieux pays est à nouveau traversé par des pulsions de haine, d’antisémitisme, de xénophobie, de complotisme, maladies de la société qui font écho au climat de l’Affaire, il faut rester vigilant, se rappeler de Dreyfus, ne pas oublier ce héros républicain, symbole de résistance à l’oppression et à l’écrasement. ».

Héros et exemple : « Dreyfus n’est pas une vieille histoire ; c’est une sentinelle de la République ! Dans les conditions cruelles de l’Île du Diable, il se battit pour sa survie et sa réhabilitation. Il fut le principal acteur de son histoire. S’il fut aidé par d’illustres personnalités ainsi que par des militaires, car il y en eut, qui crurent à son innocence et lui témoignèrent de la camaraderie, c’est bien Dreyfus qui, toujours, refusa d’abdiquer. Ce combat, il put le mener aussi grâce aux valeurs de l’armée qu’on lui avait inculquées. Dreyfus est un modèle de résistance et d’héroïsme pour la nation. Il est un exemple pour les jeunes générations, un grand homme auquel la patrie peut se montrer reconnaissante. ».

Après plusieurs interventions de députés, la Présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet (qui, pour l'occasion, présidait elle-même la séance, ce qui est très rare pour un lundi), a mis au vote cette proposition de loi et celle-ci a obtenu 197 voix pour l'adoption sur 197 votants, donc à l'unanimité. L'Assemblée, parfois, s'honore de certains votes.

Curieusement, le gouvernement avait opté pour une procédure accélérée, c'est-à-dire pour une seule lecture, comme si, après près de cent dix-neuf ans, cela ne pouvait pas attendre quelques mois de plus ! Mais cette procédure sera certainement inutile car le Sénat va probablement adopter dans quelques mois, dès la première lecture, ce texte dans les mêmes termes. 2025 verra alors l'épilogue de la très grande et tragique Affaire Dreyfus depuis 1894.


À moins que la République n'aille encore plus loin, jusqu'à transférer les cendres d'Alfred Dreyfus au Panthéon (elles sont actuellement au cimetière du Montparnasse, dans le quatorzième arrondissement de Paris). Jacques Chirac l'avait refusé car il préférait panthéoniser des héros et pas des victimes, et pour certains historiens, le héros de cette affaire est déjà au Panthéon puisqu'il s'agit d'Émile Zola. Patrick Cohen a terminé sa chronique en considérant que la panthéonisation ne serait pas illogique : « Mais l’historien Vincent Duclert l’a bien montré, et contrairement à ce que disait Mitterrand, Alfred Dreyfus a été un officier exemplaire, d’un patriotisme absolu, engagé dans les combats de Verdun et du Chemin des Dames à près de 60 ans, grand républicain. ». Plus que cette réparation tardive, c'est l'unanimité des députés qui, ici, est précieuse, compte et émeut.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 juin 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’affaire Dreyfus au cinéma.
Alfred Dreyfus bientôt général ?
Jules Verne.

Les 150 ans des lois constitutionnelles de la IIIe République.
Jean Jaurès.
Panthéon versus wokisme !
Centenaire du drame.
Anatole France.
Alexandre Dumas fils.
Pierre Waldeck-Rousseau.
Alexandre Millerand.
La victoire des impressionnistes.
Les 120 ans de l'Entente cordiale.
Mélinée et Missak Manouchian.
Le Débarquement en Normandie.
La crise du 6 février 1934.
Gustave Eiffel.

Maurice Barrès.
Joseph Paul-Boncour.
G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
Jean Zay.
Le général Georges Boulanger.
Georges Clemenceau.
Paul Déroulède.
Seconde Guerre mondiale.
Première Guerre mondiale.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
Charles Maurras.
L’école publique gratuite de Jules Ferry.
La loi du 9 décembre 1905.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Rosa Luxemburg.
La Commune de Paris.
Le Front populaire.
Le congrès de Tours.
Georges Mandel.
Les Accords de Munich.
Édouard Daladier.
Clemenceau a perdu.
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
L'attentat de Sarajevo.
150 ans de traditions républicaines françaises.


 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250602-alfred-dreyfus.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alfred-dreyfus-bientot-general-261326

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/06/07/article-sr-20250602-alfred-dreyfus.html


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20 avril 2025 7 20 /04 /avril /2025 04:44

« Malgré son aspect paradoxal, cette observation simpliste, mais décisive s’impose : tout ce qui est sur le calcaire appartient à la gauche, tout ce qui est sur le granit, à la droite. » (André Siegfried, "Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République", 1913, éd. Armand Colin).




 


Ces quelques lignes ont fait date dans l'analyse politique des terres politiques des différentes partis politiques, et sa formulation lapidaire a valu à son auteur de se faire reprendre par un autre sociologue de la vie politique, Raymond Aron qui ironisait en 1955 : « On trouve l’hétérogénéité géographique quand on la cherche, on trouve les deux blocs quand on les organise. ». Mais il n'en demeure pas moins que le politologue André Siegfried, qui est né il y a juste 150 ans le 21 avril 1875 au Havre, donc en plein début de la Troisième République, reste encore aujourd'hui perçu comme le père de la géographie électorale et même de la science politique qu'il a enseignée mais aussi organisée, institutionnalisée après la dernière guerre.

C'est pourquoi André Siegfried est une référence fondamentale pour la science politique en France, un fondateur d'une nouvelle discipline dans laquelle se sont engouffrés tous les politologues, éditorialistes politiques depuis la fin de la guerre. André Siegfried a connu et analysé la vie politique de deux républiques, la Troisième et la Quatrième Républiques, il n'a pas eu le temps d'appréhender vraiment la Cinquième République même s'il a eu de quoi sortir, à la fin de sa vie : "De la IVe à la Ve République au jour le jour" en 1958 chez Grasset (il avait déjà publié "De la IIIe à la IVe République" en 1956 chez Grasset). En effet, il est mort le 28 mars 1959 à Paris, peu avant ses 84 ans.

Auteur prolifique d'études politiques et électorales, universitaire et académicien, André Siegfried a marqué l'histoire intellectuelle de la France du XXe siècle. Ses parents étaient très engagés dans la vie publique et intellectuelle. Son père entrepreneur Jules Siegfried (1837-1922), dont il a fait une biographie en 1946, était une personnalité politique importante de la Troisième République, maire du Havre de 1878 à 1886, député puis sénateur de la Seine-Inférieure, conseiller général, et ministre du commerce des gouvernements d'Alexandre Ribot (1892-1893). Quant à sa mère Julie Puaux-Siegfried (1848-1922), elle était une féministe et a présidé le Conseil national des femmes françaises pendant dix ans, de 1912 à 1922, une instance créée en 1901 que Louise Weiss avait intégrée et qui existe encore aujourd'hui.


Issu d'un milieu protestant de bourgeoisie provinciale (il avait un oncle maternel pasteur et président de la Société de l'histoire du protestantisme français), d'une famille alsacienne qui a émigré en Normandie après la perte de l'Alsace-Moselle (à l'origine, l'entreprise familiale était située à Mulhouse), André Siegfried a étudié à Paris les lettres et le droit jusqu'à obtenir un doctorat en histoire (thèse sur la démocratie en Nouvelle-Zélande soutenue en 1904) et un doctorat en droit. Ses disciplines furent nombreuses et voisine : il fut économiste, historien, géographe, sociologue, politologue... et il fut bien sûr, écrivain, surtout essayiste.

Intellectuel et homme de terrain, comme le précise l'Académie, il a fait dans sa jeunesse en 1900-1901 un "vaste tour du monde" qui lui a permis de visiter de nombreux pays du Globe : États-Unis, Mexique, Australie, Japon, Chine, Indes, etc., à l'instar de son père et de son oncle Jacques Siegfried qui ont fait également un tour du monde.

Baigné dans la vie politique, André Siegfried était d'abord un déçu des élections. En effet, sur les traces paternelles, il a tenté à plusieurs reprises de se faire élire avec l'étiquette de l'Alliance démocratique (formation laïque de centre droit), mais sans succès : quatre candidatures à des élections législatives (en 1902, puis, après invalidation, en 1903, puis en 1906 et en 1910) et aussi à des élections cantonales (en 1909). À la mort de son père, en 1922, sa candidature était envisagée pour la succession, mais finalement, ce fut René Coty qui fut choisi.

Dès lors, puisque le suffrage universel lui barrait la route, il renonça à une carrière politique et il s'attacha à comprendre les raisons de ses échecs, c'est-à-dire à comprendre le comportement de l'électorat en fonction du territoire, ce qui l'a conduit à publier en 1913 son fameux "Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République" aux éditions Armand Colin. Ce livre l'a rendu rapidement célèbre dans les milieux de la recherche en sciences humaines, en jetant les bases d'une science politique moderne attachée à comprendre le comportement des électeurs.


À partir de 1910, il enseigna à l'École libre des sciences politiques (futur IEP Paris à partir de 1945 après sa nationalisation), et cela jusqu'en 1955, et a suivi une carrière universitaire et académique prestigieuse : il fut élu en 1933 professeur au Collège de France à la chaire à la chaire de géographie économique et politique, qu'il conserva jusqu'en 1945 (il avait alors 70 ans). André Siegfried enseigna également à l'étranger (il faisait de nombreux voyages autour du monde qui lui permirent de publier des analyses sur de nombreux pays étrangers), en particulier il fut professeur associé à l'Université Harvard en 1955. Figure dominante de Science Po Paris (dont il a refusé la direction), il fut en 1945 le premier président de la Fondation nationale des sciences politiques (on peut citer ses successeurs : 1959 Pierre Renouvin, 1971 François Goguel, 1981 René Rémond, 2007 Jean-Claude Casanova, 2016 Olivier Duhamel, jusqu'à sa démission en 2021).
 


Lors de ses cours dans les années 1920, selon Gérard Noiriel, il émettait des analyses racistes assez à l'emporte-pièce, comme le présente aujourd'hui Wikipédia : « "Il y a des races qui s'assimilent vite, d'autres plus lentement, d'autres enfin, pas du tout", en France, "les Chinois demeurent toujours des étrangers", "la race noire reste inférieure", "le Juif est un résidu non fusible dans le creuset". ». Cette "géographie des races" a été fortement dénoncé en 1993 par l'historien Pierre Birnbaum, spécialiste de l'antisémitisme en France et aux États-Unis. Dans la revue "Sociétés et Représentations" n°20 d'octobre 2005, l'historienne Carole Reynaud-Paligot, professeure à l'IEP de Paris et spécialiste de l'histoire des intellectuels, en parlait ainsi, pour remettre le contexte : « Le fondateur de la sociologie électorale française n’a pas échappé aux critiques et certains aspects de sa pensée ont été jugés discutables : l’utilisation du concept de race, le recours aux mystères des personnalités ethniques, la présence de stéréotypes et de préjugés de son temps, etc. Il nous apparaît intéressant de poursuivre l’étude en analysant plus particulièrement dans quelle mesure Siegfried est un héritier de la pensée raciale fin de siècle. Cette pensée raciale, qui a largement imprégné la culture française des dernières décennies du XIXe siècle, a construit une représentation de la différence en termes raciaux et produit une vision inégalitaire du genre humain. La communauté savante, le monde colonial, la presse, les manuels scolaires ont largement diffusé cette vision raciale du monde qui s’organise autour de quelques idées force : chaque race possède des caractères physiques, intellectuels et moraux spécifiques qui se transmettent de génération en génération ; l’inégalité raciale s’inscrit dans le processus héréditaire et certaines races sont jugées plus aptes à bénéficier de la civilisation. (…) L’analyse des écrits d’André Siegfried, de ses articles, ouvrages et de ses cours, nous permet de cerner la postérité de cette pensée raciale dans le premier Vingtième Siècle. Dans quelle mesure les axiomes de la raciologie fin de siècle sont-ils restés partie intégrante de la culture du premier vingtième siècle ? De quelles manières les enjeux propres à l’entre-deux-guerres ont-ils modifié ces représentations de l’altérité ? (…) Raciste Siegfried ? Pas dans le sens de l’époque : il juge la thèse "nordique" qui prétend que "tout ce qui est bon dans la région méditerranéenne provient du Nord" ridicule… tout en lui concédant une part de vérité. Après la Seconde Guerre mondiale, Siegfried affirme que les Français "ne sont pas des racistes de doctrine" et ce n’est pas être raciste que d’admettre que les deux notions de civilisation occidentale et de race blanche se recouvrent. Il y a un racisme "parfaitement acceptable" qui est de reconnaître "qu’il y a des races, et que quand vous êtes en présence d’une race, vous êtes en présence d’une réalité". La ségrégation raciale, "dans l’égalité et la dignité", bien que n’étant plus possible dans les sociétés modernes, lui paraît le meilleur moyen de protéger la race blanche des races de couleur. Il lui est difficile d’admettre une égalité totale entre les races : en 1948, il juge que les États-Unis ont "montré quelque légèreté en instituant une ONU dans laquelle les votes relevant de la race blanche, de la civilisation occidentale (…) ne sont probablement pas la majorité". Du début du siècle jusqu’à ses derniers écrits, l’œuvre de Siegfried se fait ainsi encore largement l’écho des thématiques traditionnelles de la pensée raciale fin de siècle : psychologie des peuples, hérédité raciale, idée de hiérarchie et d’inégalité des races, scepticisme face à l’éducation des races de couleur, lenteur de l’évolution intellectuelle des races. À cette culture, issue de la raciologie de la fin du siècle précédent, s’ajoutent des thématiques plus spécifiques à l’entre-deux guerres. Le thème du déclin de la civilisation occidentale et de la race blanche face au "flot montant des races de couleur", qui apparaît au lendemain de la Grande Guerre et qui connaît un succès notable durant l’entre-deux-guerres, est omniprésent dans les écrits de Siegfried, et ce jusque dans les années Cinquante. De même, la question des politiques d’immigration et l’idée de sélection en fonction de la capacité d’assimilation des peuples prennent, dans l’entre-deux-guerres, une grande place aux États-Unis, comme en Europe. Siegfried, on l’a vu, n’y échappe pas. Cette question de l’assimilation demeure encore fortement liée à une vision raciale de l’altérité : l’hérédité raciale facilite ou entrave l’assimilation des races. Si Siegfried entend se rattacher à la tradition humaniste de la France, il rappelle qu’on ne peut oublier "que l’assimilation à ses lois et qu’on ne peut en brûler les étapes". ». On voit que le mythe du supposé "grand remplacement" n'est vraiment pas nouveau ni le thème politique de l'immigration utilisé à des fins électorales !

À partir de 1934, André Siegfried a collaboré régulièrement au quotidien "Le Figaro" et, entre 1953 et 1956, à la revue d'art et d'histoire, mensuelle, "L'Échauguette", où il écrivait aux côtés de Paul Morand, André Maurois, Henri Mondor, sous la direction de Paul Claudel. Il fut l'auteur d'une œuvre composée de près de 90 ouvrages principalement des essais et des analyses diverses et variées.

La consécration professionnelle et littéraire a eu lieu d'abord en 1932 avec son élection à l'Académie des sciences morales et politiques, au fauteuil numéro 4 (celui de Paul Deschanel) de la section II (Morale et Sociologie), puis le 12 octobre 1944 à l'Académie française (élu en même temps que deux autres nouveaux membres, dont le grand physicien Louis de Broglie), au fauteuil numéro 29, celui de Claude Bernard, Ernest Renan, et ses successeurs furent, à partir de 1960, Henry de Montherlant, Claude Lévi-Strauss et aujourd'hui (depuis 2011) Amin Maalouf.

Il fut reçu sous la Coupole le 21 juin 1945 par le duc Auguste-Armand de La Force, un historien. Ce dernier en prit l'occasion pour citer quelques descriptions savoureuses d'acteurs politiques par le nouvel académicien : « De l’appartement de votre père, vous pouviez, le jour de l’an, apercevoir le défilé des landaus, qui, débouchant du cours la Reine, chacun avec son huissier à chaîne sur le siège, traversaient le rond-point pour se rendre de la Chambre à l’Élysée. J’ai croisé plus d’une fois ces voitures misérablement attelées, dont la mauvaise tenue indignait Anatole France. Votre père recevait les sommités de la Troisième République. Vous figuriez parmi les convives et les propos que vous entendiez vous surprenaient quelque peu. Vous nous dites, dans les pages où vous faites revivre votre père et qui sont les Mémoires charmants de votre jeunesse : "Quand il parlait d’intérêt général, de dévouement à la chose publique, mon père se faisait journellement traiter de naïf par ses invités". Comment ne pas vous croire, Monsieur, puisque vous êtes la conscience même et que, d’ailleurs, la vérité sort de la bouche des enfants ? En 1895, jeune homme de vingt ans, vous assistez, 226, boulevard Saint-Germain, dans le nouvel appartement de vos parents, à de grands dîners de parlementaires. Votre mère préside la table, seule femme au milieu de tant d’hommes. Députés et sénateurs étaient sensibles à sa bonne grâce. Son esprit animait et entraînait la conversation. Sa gaieté méridionale parvenait à dérider l’austère Brisson toujours sinistre et vêtu de noir. Quant à vous, Monsieur, vous écoutiez et vous observiez et, bien des années plus tard, vous avez crayonné, pour notre plus grand plaisir, "le petit père Goblet, râblé et rageur", avec ses favoris de neige "l’air d’un amiral sur sa dunette" ; Freycinet "menu et fluet", "immatériel et diaphane comme un saint", mais "l’œil clair et terriblement averti", "vraie souris blanche", prête à se tirer "des situations les plus inextricables" ; "Floquet, portant haut une grosse tête noble, le regard dirigé à quarante-cinq degrés vers le ciel comme un canon de soixante-quinze, toujours rasé de frais, très gentleman, très bien habillé, ressemblant à un Danton soigné". Puis ce fut un nouveau personnel gouvernemental. Vous n’avez pas manqué de l’ajouter à votre galerie de portraits. Voici Paul Deschanel "sentencieux" et d’une si impeccable tenue "que l’on disait : S’il forme un cabinet, ce sera un cabinet de toilette". Plus loin, "André Lebon avec sa barbe de fleuve", "semblant quelque Neptune échappé dans la politique" ; Poincaré "physiquement mesquin et comme étriqué, donnant une froide impression de correction et de compétence" ; Ribot "parlant, avec un léger tremblement dans la voix, des nécessités de l’ordre, des fondements de la société qui étaient ébranlés". Delcassé, d’ordinaire, venait déjeuner seul et proclamait fougueusement : "Si je parviens au pouvoir, soyez sûr que je ne me reposerai pas : la politique se fait en cherchant, non en évitant les affaires". Et vous n’avez portraituré ni les Doumer ni les Doumergue ni les Klotz ni les Leygues ni les Charles Benoist ni les Briand, qui ont passé sous vos yeux à la table de vos parents. Quel regret pour nous, Monsieur ! Votre esprit curieux s’intéressait à leurs débats. Peu d’importantes séances de la Chambre que vous ayez manquées. Je doute, cependant, que telle Mlle Hélène Vacaresco, l’illustre déléguée à la Société des Nations qui porta si haut le drapeau de la Roumanie et soutint de sa belle éloquence l’amitié française, vous ayez subi vingt-sept mille discours. ».

 


Pour comprendre un peu mieux André Siegfried, François Goguel lui a rendu hommage, à l'annonce de sa disparition, dans "La Revue Française de Science Politique" que l'immortel avait lancée en 1951 et dirigée jusqu'à sa mort : « Dans un texte daté du 3 mars 1946, André Siegfried écrivait : "Trois maîtres ont exercé sur ma formation une influence décisive : Izoulet, mon professeur de philosophie, m'a donné le goût des idées générales ; Seignobos m'a enseigné le réalisme psychologique politique ; Vidal de La Blache m'a fait comprendre, du moins je l'espère, l'esprit profond de la géographie". Il y a dans cette triple référence une indication profondément significative : dès l'origine, André Siegfried s'est voulu étranger aux cloisonnements traditionnels entre disciplines prétendument distinctes : il se sentait la fois philosophe, historien et géographe. Fort important est également le fait que son éducation ait été très loin d'être purement livresque ou théorique. C'est à son père (…) qu'il dut certainement le goût du concret, la soif de l'observation qui caractérisent sa méthode intellectuelle. ».

Et François Goguel de citer à nouveau André Siegfried dans son "Tableau des partis en France" publié en 1930 (éd. Grasset) : « Pour recueillir les faits, comment procéder ? J'ai pratiqué toute ma vie une règle dont je ne saurais jamais me départir : aller voir sur place, c'est-à-dire voyager. Tout m'est apparu toujours comme un voyage. Je crois effectivement que le voyage n'est autre chose un état esprit à base de curiosité. J'ai impression d'être en voyage à un kilomètre de chez moi aussi bien qu'à dix mille, dans le XIIIe arrondissement aussi bien qu'à New York, à Samoa ou au Pérou. Je n'aime en somme parler que de ce que j'ai vu. L'atmosphère se respire et cela est irremplaçable. Une escale de deux heures dans un port m'en apprend davantage que de longues lectures. C'est peut-être un peu mélancolique pour quelqu'un qui a écrit beaucoup de livres sur les pays étrangers... Faut-il partir dans un état ignorance ou bien ne s'embarquer après s'être fortement documenté sur les pays qu'on va visiter ?... Le système que je propose consiste à connaître les faits essentiels, ou peut-être même à faire une hypothèse. Mais attention : à condition d'être toujours prêt à l'abandonner comme un échafaudage qu'on abat après avoir construit la maison. Est-il permis d'avoir de la passion ? Elle est nécessaire à la compréhension car elle est la vie même. Ce n'est pourtant qu'une première étape, car l'intelligence ensuite doit débrayer, continuer seule, libérée de toute participation et de toute violence... Les faits sont si nombreux qu'il n'est pas question de les connaître tous. Les plus simples seront ceux sur lesquels on pourra le mieux raisonner. ».

Du reste, Christophe Le Digol, maître de conférences en science politique à l'Université Paris-Nanterre, expliquait aussi le 9 février 2016 dans "Le Figaro" : « André Siegfried était convaincu que “même l'enfer a ses lois”. Et s'appuie sur l'hypothèse qu'il existe des lois générales qui dominent le désordre des faits particuliers et qu'elles se différencient des explications habituellement proposées par les hommes politiques ou les commentateurs les plus avertis. ».

Dans son livre "Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République" (1913), André Siegfried s'était en particulier intéressé à la Vendée : « L’attachement du peuple à son clergé demeure entier  ; l’effort de la noblesse pour conserver sa suprématie reste couronné de succès. Pour provoquer une transformation de ce milieu, il y faudrait une destruction complète de la grande propriété en même temps qu’une révolte générale contre le pouvoir électoral du prêtre. La Vendée reste donc en marge de la France politique moderne, dont, à la lettre, elle n’est pas contemporaine. Le régime moderne a pu y établir des fonctionnaires, y imposer des lois, y tracer des routes pour y introduire, comme en pays étranger, ses conceptions officielles de la société et du gouvernement. Mais les routes morales qui mènent de France en Vendée sont désertes comme les routes militaires de Napoléon ; plusieurs lois restent lettre morte dans un milieu qui les repousse ; et les fonctionnaires, isolés dans leurs postes ainsi qu’un corps d’occupation, y restent socialement des étrangers. Entre la France démocratique du Centre ou du Sud-Ouest et cette première marche de l’Ouest, il y a tout au plus contact, il n’y a pas pénétration. ».

À l'occasion du centenaire de la naissance d'André Siegfried, l'historien Jacques Chastenet lui a rendu hommage le 26 mai 1975, sous la Coupole, en commençant par cette description physique : « La taille élevée, les épaules larges, point de ventre, les cheveux blond cendré, une courte moustache surmontant une bouche bien dessinée, l’œil clair, la physionomie habituellement souriante, parfois narquoise, le geste rare, la démarche souple : tel, presque jusqu’au terme de sa vie, apparaissait André Siegfried. ».

Et il terminait sa biographie verbale ainsi : « Certains problèmes d’ordre métaphysique, problèmes dont il s’était jusqu’ici peu occupé, commencent à se poser à lui. Croyant sincère, très lié avec d’éminents pasteurs, il n’était guère pratiquant et la religion n’occupait dans son œuvre qu’une place secondaire. Pourtant, dès 1951, il collabora à une importante publication : "Les Forces religieuses et la Vie politique". En 1958, il donne un ouvrage : "Les Voies d’Israël, Essai d’interprétation de la Religion juive", qui témoigne de préoccupations nouvelles. Son dernier livre toutefois, qui ne paraîtra qu’après sa mort, reste dans sa ligne habituelle. Il est intitulé : "Itinéraire de contagions, Épidémies et Idéologies". En 1958, Siegfried va encore nager au voisinage du Cap d’Antibes. En 1959, un mal incurable s’installe soudain dans son organisme. Bientôt il se voit condamné à l’immobilité, son cerveau demeurant entièrement lucide. La tendresse de sa femme et celle de sa fille adoucissent son glissement vers la mort. Elle survient au bout de quatre mois. Il a quatre-vingt-quatre ans. Je ne suis pas certain que notre époque violente et tourmentée favorise l’éclosion d’un autre Siegfried, savant objectif, impartial, irradiant la clarté en même temps passionné par les formes, les sons et les couleurs. Il était le très haut représentant d’un monde menacé d’effondrement. Inspirons-nous cependant de sa lucide fermeté pour ne pas désespérer et disons-nous, après Claudel, que "le pire n’est pas toujours le plus sûr". ».

Le 25 octobre 1945, André Siegfried a prononcé un discours à l'Académie française sur la continuité de la langue et de la civilisation françaises : « Je me suis souvent demandé ce dont, dans la contribution de la France à la civilisation, je suis le plus fier, et, dans ma réponse, je n’hésite pas : je placerais tout au centre la confiance magnifique du Français dans l’intelligence humaine. Nous croyons, spontanément et de toute notre force, qu’il y a une vérité humaine, la même pour tous les hommes, appartenant donc à tous les hommes, et que, cette vérité, l’intelligence peut la comprendre, la parole l’exprimer. À nos yeux, une pensée n’existe que si elle peut être exprimée ; jusque-là elle n’est que virtuelle. Pour lui donner la forme qui sera la condition nécessaire de son être, nous faisons confiance, confiance entière à notre langue. Ainsi le Français ne respecte intellectuellement que ce qui est clair, libéré du chaos. Là réside sans doute la différence profonde, essentielle, qui sépare la pensée française de la pensée allemande et même, plus généralement, de la pensée nordique ou anglo-saxonne. L’Allemand s’estime profond quand il eut obscur, il se plaît même à opposer cette obscurité à notre clarté. ».


D'autres échantillons de la pensée d'André Siegfried sont notamment dans son livre "L'Âme des peuples" publié en 1950 (chez Hachette), où l'on comprend son positionnement politique et sociologique. Ainsi : « Ce Français, qui vote en doctrinaire intransigeant de la gauche, c'est souvent le même qui, dans la défense de ses intérêts, glisse à l'égoïsme le plus absolu, et le fait que cet égoïsme est familial n'en change pas au fond le caractère. Ce communiste propriétaire, et combien n'en connaissons-nous pas, est prêt à défendre âprement sa propriété : il trouverait scandaleux qu'on lui imposât le régime du kolkhoze ! Et tous ces gens qui votent, avec conviction, avec passion, pour les nationalisations, nous voyons bien qu'ils se méfient de l'État et que, quand il s'agit de choses qu'ils estiment sérieuses, c'est sur eux-mêmes qu'ils comptent en somme. ».

La dépense publique sans fond, André Siegfried a bien compris le talon d'Achille de toute politique publique : « Ainsi donc le Français, quand il recourt à la puissance publique, se trouve-t-il tenté de la considérer, non comme une entreprise dont il est l'associé solidaire, mais comme une vache à lait dont il faut tirer pour lui le maximum. (...) Le rentier social croit encore que la caisse de l'État est sans fond, que l'industrie nationalisée peut sans inconvénient tourner indéfiniment à perte. Il lui faudra une difficile éducation pour comprendre qu'en l'espèce il n'est pas en somme, comme il le croit, un obligataire, mais l'actionnaire d'une grande société qui est la France elle-même. En attendant, avec des dons merveilleux, avec une dépense étonnante de talent, et du reste aussi de dévouement, ce qui nous frappe surtout en France, c'est l'inefficacité de la vie publique faisant contraste avec l'efficacité de l'individu. ».

L'âme française : « Tout le bien et tout le mal, toute la grandeur et toute la faiblesse de la France viennent de sa conception de l'individu : conception splendide, éventuellement aussi pathologique. Il s'agit d'abord d'une revendication d'indépendance, essentiellement d'une revendication d'indépendance intellectuelle. Le Français prétend penser et juger par lui-même, il ne s'incline devant aucun mandarinat et par là il est profondément non conformiste, anti-totalitaire. S'il lui arrive de suivre fanatiquement, aveuglément une consigne, en sacrifiant délibérément tout esprit critique, c'est par dévouement fanatique à un principe, à un système, à une politique, mais ce n'est pas, comme chez l'Allemand, par tempérament d'obéissance. En Amérique on obtient tout de l'individu au nom de l'efficacité, c'est au nom d'un principe qu'on peut tout demander au Français. À cet égard, la pensée française, que ce soit sous l'angle de la critique ou sous l'angle du fanatisme idéologique, peut apparaître, à juste titre, non seulement comme un instrument de libération, mais comme un ferment dangereux, éventuellement révolutionnaire. ».


L'individualisme : « Dans l'association, le Français a toujours le sentiment qu'il apporte plus qu'il ne reçoit, et c'est un mauvais associé, mais l'Allemand reçoit et a conscience de recevoir du groupe plus qu'il ne lui donne. ».

On s'étonnera des préjugés, clichés et surtout, généralités qu'André Siegfried a pu commettre dans toute son œuvre. Comme l'expliquait Carole Reynaud-Paligot (plus haut), cette œuvre est imprégnée de stéréotypes de la fin du XIXe siècle, en particulier racistes (ne serait-ce que parce qu'il n'y a, biologiquement et génétiquement, pas de races humaines), et qu'en ce sens, elle est très datée. Il n'en demeure pas moins qu'il reste une référence à tous les politologues d'aujourd'hui et aussi, à tous les experts en sondage qui peuplent aujourd'hui les plateaux de télévision.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
André Siegfried.
Boualem Sansal.
Robert Badinter.
De Gaulle.

Natacha Polony.
Alain Finkielkraut.
Éric Zemmour.
Clémentine Autain.
Ségolène Royal.

Pierre Dac.
Julien Dray.
Jean-Louis Debré.
Jean-François Kahn.
Axel Kahn.
Philippe Val.
Sophia Aram.
Claude Allègre.
Hubert Reeves.
Alain Peyrefitte.
Jean-Pierre Elkabbach.
Patrick Cohen.
Fake news manipulatoires.
Bernard Pivot.
Christine Ockrent.
Vive la crise !
Yves Montand.
Jean Lacouture.
Marc Ferro.
Dominique Baudis.
Frédéric Mitterrand.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Christine Angot.
Jean-François Revel.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250421-andre-siegfried.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/andre-siegfried-pere-de-la-259608

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/19/article-sr-20250421-andre-siegfried.html


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9 avril 2025 3 09 /04 /avril /2025 04:59

« Les lois de la vie et de la mort comme suspendue, vaincue, abolie. Alors, s’ouvre le temps de la reconnaissance de la Nation. Aussi votre nom devra s’inscrire, aux côtés de ceux qui ont tant fait pour le progrès humain et pour la France et vous attendent, au Panthéon. » (Emmanuel Macron, le 14 février 2024 à Paris).




 


Selon une information diffusée ce mardi 8 avril 2025 dans la soirée et confirmée par l'entourage du Président de la République Emmanuel Macron, l'ancien garde des sceaux Robert Badinter, qui est mort l'année dernière, le 9 février 2024, entrera au Panthéon le 9 octobre 2025, qui est la date du quarante-quatrième anniversaire de la promulgation de la loi n°81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort.

La panthéonisation de Robert Badinter a été envisagée dès son décès et même bien auparavant. La principale personne concernée ne s'était pas opposée, de son vivant, à cette idée, même s'il lui était pénible d'être l'objet d'honneurs publics. Il avait ainsi refusé toute décoration nationale, que ce soit l'Ordre national du Mérite ou la Légion d'honneur. Il avait été d'ailleurs un moment envisagé une panthéonisation du couple Badinter, avec également sa femme Élisabeth Badinter lors du décès de celle-ci, au même titre que l'époux de Simone Veil, Antoine Veil, a été transféré à ses côtés au Panthéon (mais je trouvais cette planification un peu morbide).

 


Finalement, il a été conclu que Robert Badinter ira au Panthéon... sans ses cendres qui resteront inhumées là où elles se trouvent actuellement. Cela avait déjà été le cas pour Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Germaine Tillion.

Lors d'un hommage national à l'avocat de François Mitterrand, le 14 février 2024, Emmanuel Macron avait annoncé sa panthéonisation probable, mettant Robert Badinter aux rangs de ceux qui ont « tant fait pour le progrès humain et pour la France ».

 


Le transfert des cendres d'une personnalité, en principe de nationalité française (mais il y a eu des exceptions), est décidée par un décret du Président de la République, sur proposition du Premier Ministre et sur rapport du Ministre de la Culture.

Je suis toujours gêné par le principe de la panthéonisation qui est l'équivalent républicain et laïque d'une sorte de béatification voire canonisation pour les chrétiens. Il est difficile de sélectionner ceux qui devraient en être et ceux qui ne devraient pas en être, d'autant plus que cela dépend beaucoup du moment, de l'évolution de la société et aussi de la connaissance qu'on peut avoir des personnes (ainsi, l'abbé Pierre avait été souvent cité pour faire partie des prochains panthéonisés ; on se rassure qu'il ne le soit finalement pas !). On a aussi panthéonisé des maîtres de cérémonie de panthéonisation, par exemple, André Malraux pour Jean Moulin.

Heureusement, dans un éclair à la fois de lucidité et d'extrême orgueil, beaucoup de grands personnages de l'État ont refusé de leur vivant ce genre d'hommage, le premier d'entre eux étant De Gaulle lui-même qui craignait de ne pas pouvoir se reposer en paix. Devenir comme une œuvre d'art dans un musée, visitée par des milliers de touristes, n'est pas forcément du goût de tous les macchabées qui aspirent plutôt à la tranquillité.

 


L'idée de panthéoniser Robert Badinter a pourtant un véritable sens, celui d'avoir su, au-delà des oppositions feutrées ou même féroces (il suffit de voir les réactions ces prochains jours sur cette information ; Robert Badinter bénéficie encore d'un haut niveau de haine qui montre à quel point il fallait du courage pour aller jusqu'au bout de son projet), ...d'avoir su mener à bien l'abolition de la peine de mort qui n'est pas une question de politique pénale, ni de politique tout court, mais une question de société, de philosophie : la justice, au nom du peuple français, avait-elle le droit de supprimer des vies ? C'est un choix de société. La réponse depuis le 9 octobre 1981 est non, et le Président Jacques Chirac, qui, lorsqu'il était député, avait voté cette abolition de la peine de mort (comme d'autres personnalités de l'opposition, entre autres Philippe Séguin), a même renforcé le dispositif en rendant constitutionnelle cette abolition, ce qui reste une garantie pour tous les justiciables en France.
 


Ainsi, on peut voir une analogie entre Simone Veil, qui a mené à bien la loi sur l'IVG en 1974-1975, et Robert Badinter la loi sur l'abolition de la peine de mort en 1981. Aucun des deux n'avait vraiment prévu la chose dans leur existence. Jean Lecanuet aurait dû le faire pour l'IVG et Maurice Faure pour la peine de mort. Les deux lois ont été, par la suite, intégrées dans la Constitution. Enfin, dernière analogie qui n'est pas sans intérêt, les deux ont connu l'atrocité des camps d'extermination (elle comme déportée ; lui, qui a failli être déporté, touché de plein fouet), y perdant chacun une partie de leur famille, ce qui en a fait des êtres toujours associés à une certaine gravité historique (les parents de Robert Badinter étaient tous les deux d'origine moldave et ont obtenu la nationalité française quelques semaines avant sa naissance).

Ministre de la Justice de 1981 à 1986, Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995, sénateur des Hauts-de-Seine de 1995 à 2011, Robert Badinter a incarné pendant sa vie publique une certaine idée de faire de la politique, celle de l'intellectuel, celle du moraliste, mais certainement pas celle de l'ambitieux. Il a pris les chemins détournés de la politique pour suivre, paradoxalement, son ambitieux ami François Mitterrand pour qui il voua une fidélité mise parfois à rude épreuve. La République a de quoi s'enorgueillir d'avoir eu parmi ses serviteurs un homme tel que Robert Badinter. C'est parce qu'ils sont rares qu'il faut savoir les honorer et en faire des exemples républicains (sans qu'ils en soient pour autant des modèles).



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Robert Badinter au Panthéon : faut-il s'en réjouir ?
Élisabeth Badinter.
Robert Badinter transformé en icône de la République.
Hommage national à Robert Badinter le 14 février 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).

Robert Badinter, un intellectuel errant en politique.
Le procureur Badinter accuse le criminel Poutine !
L'anti-politique.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
Une conscience nationale.
L’affaire Patrick Henry.
Robert Badinter et la burqa.
L’abolition de la peine de mort.
La peine de mort.
François Mitterrand.
François Mitterrand et l’Algérie.
Roland Dumas.


 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250408-robert-badinter.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/robert-badinter-au-pantheon-faut-260398

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/09/article-sr-20250408-robert-badinter.html


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8 avril 2025 2 08 /04 /avril /2025 04:54

« On voudrait bien, ne serait-ce que par souci de ne pas être banal, comparer Joseph Laniel à autre chose qu’un bœuf. Mais cela est d’autant plus impossible qu’il semble cultiver comme à plaisir la ressemblance. Ce n’est pas assez qu’il soit massif, pesant, de membres brefs et lourds, que sa tête engoncée dans ses épaules soit presque aussi large que son poitrail, que ses gros yeux aux bords rouges aient l’air d’attendre les mouches, et que, de son museau qui mastique à l’horizontale (c’est la seule façon qu’a Laniel de ruminer), on s’étonne de ne pas voir découler un scintillant filet de bave. » (André Figueras, 1956).



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L'ancien chef du gouvernement de la Quatrième République Joseph Laniel est mort il y a cinquante ans, le 8 avril 1975. L'occasion de revenir sur la période pendant laquelle il a dirigé la France d'une main de fer et sur l'occasion perdue de son élection à la Présidence de la République.

Après trente-quatre années de carrière politique, tant locale que nationale, Joseph Laniel est arrivé au sommet de sa puissance lors de son investiture, le 26 juin 1953, comme Président du Conseil.

Il dirigea l’un des gouvernements les plus longs de la Quatrième République (après Guy Mollet), du 28 juin 1953 au 12 juin 1954. Sa composition fut approuvée par les députés le 30 juin 1953. Il y avait trois Vice-Présidents du Conseil, son mentor Paul Reynaud (CNIP), Henri Queuille (radical) et Pierre-Henri Teitgen (MRP), et on pouvait retrouver (certains étaient simplement reconduits du ou des gouvernement précédents) notamment : François Mitterrand (UDSR) au Conseil de l’Europe, Georges Bidault (MRP) aux Affaires étrangères, secondé par Maurice Schumann (MRP), René Pleven (UDSR) à la Défense nationale et Forces armées, aidé notamment de Pierre de Chevigné (MRP) à la Guerre, Edgar Faure (radical) aux Finances et Affaires économiques, André Marie (radical) à l’Éducation nationale, Louis Jacquinot (CNIP) à la France d’Outre-mer et Paul Coste-Floret (MRP) à la Santé publique et Population. Quatre députés venus du RPF ont fait leur entrée, ce qui était nouveau.

Formellement, il y a eu deux gouvernements, car l’investiture du nouveau Président de la République imposait la démission du gouvernement le 16 janvier 1954, qui fut immédiatement et intégralement reconduit, pratiquement sans aucun changement (à noter l’apparition furtive du député des concierges parisiens, Édouard Frédéric-Dupont, comme Ministre des Relations avec les pays associés du 3 au 9 juin 1954, il avait là l’étiquette CNIP, il avait été élu sous l’étiquette RPF, et il avait voté les plein pouvoirs à Pétain en 1940).

Toute l’attention de Joseph Laniel pendant le temps de son gouvernement fut portée sur les problèmes économiques et financiers. La situation économique était mauvaise, elle se dégradait : la croissance s’essoufflait, le chômage redémarrait. Sur le plan extérieur, il s’était engagé à préserver la continuité de la politique de la France (menée par Georges Bidault). Il y a eu deux éléments perturbateurs pour son gouvernement : la guerre d’Indochine et le projet de la Communauté européenne de défense (CED) qui divisait profondément tant le peuple français que la classe politique.

L’été 1953 fut particulièrement dense dans la vie politique et sociale en France. En effet, profitant des vacances estivales, Joseph Laniel, droit dans ses bottes, a voulu adopter quelques réformes sociales à l’arraché. Le 8 juillet 1953, il a obtenu des députés, par 329 voix contre 277, la possibilité de légiférer par décrets-lois (on dirait "ordonnances" maintenant) pendant trois mois pour réformer (déjà !) l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires et les conditions d’avancement, également pour réformer la Banque de France. L’idée annoncée était de faire la rigueur budgétaire pour relancer l’économie. Pour la gauche, c’était le détricotage annoncé du programme du CNR.

Alors que Joseph Laniel pensait pouvoir légiférer en toute quiétude durant l’été, profitant notamment de la division structurelle des forces syndicales (scission de la CGT avec FO), ce fut tout le contraire qui arriva, et cela venant de la base. Avant même que les textes fussent rédigés et présentés, une grande grève commença dans les services publics, à partir du 4 août 1953 (les premiers furent les postiers bordelais). La grève était motivée notamment par des rumeurs sur une harmonisation par le bas des régimes spéciaux de retraites, des licenciements d’auxiliaires, un blocage des salaires, une prolongation de deux ans de l’âge de la retraite, etc. Toutes ces mesures devaient être présentées au Conseil supérieur de la fonction publique, ce qui était prévu d’abord le 4 août puis le 7 août 1953 (ce qui expliquait la grève à partir du 4). Les syndicats ont boycotté la réunion de ce conseil supérieur. Le 9 août 1953, le conseil des ministres a adopté la dernière version des réformes de la fonction publique, faisant quelques concessions aux syndicats mais c’était trop tard, le mouvement était lancé.

Cette grève illimitée a été très suivie, avec une unité syndicale à la base : éboueurs, postiers PTT, cheminots SNCF, électriciens EDF, gaziers GDF, RATP, Air France, personnels de santé, etc. ont fait grève (seuls les enseignants étaient absents du mouvement pour cause de vacances scolaires). 4 millions de grévistes le 13 août 1953 ! On interdisait même aux ministres de téléphoner, les agents coupaient leurs communications privées !

La réaction du gouvernement fut également très forte, refusant de céder à la pression des grévistes (Joseph Laniel l’a martelé plusieurs fois le 12 août 1953 à la radio nationale) : perquisitions, arrestations, inculpations (notamment d’André Le Léap, secrétaire général de la CGT, l’autre secrétaire général Benoît Frachon étant passé dans la clandestinité !), réquisition de l’armée et de détenus, etc.

Dans "Le Monde diplomatique" d’août 2017, l’historien Michel Pigenet a expliqué : « Acteur et observateur lucide à son poste de Ministre des Finances, Edgar Faure décrit un climat de "défoulement" et de "bonne rigolade, presque comme un canular". Le sentiment d’invincibilité métamorphose la colère initiale en enthousiasme bon enfant. Août 1953 diffère de novembre-décembre 1947, où les "grèves rouges" s’étaient soldées par la mort de quatre ouvriers et plus de 1 300 arrestations. ».

Le 21 août 1953, finalement, le gouvernement réussit à trouver un accord avec les syndicats FO et CFTC, aucune réforme n’aura été vraiment entérinée, et les retours au travail se sont fait très lentement (les grévistes CGT se sentant trahis). Les personnes arrêtées furent libérées si bien que même la CGT appela à la reprise du travail le 25 août 1953.

Ce qui reste étonnant, c’est que cette grève d’août 1953, qui fut générale et illimitée, n’a pas marqué ce qu’on pourrait appeler la "mémoire collective" ou la "mémoire nationale". Pourtant, elle était mémorable, et surtout, elle n’est pas sans rappeler, aujourd’hui, la crise des gilets jaunes, selon ce qu’a exprimé Michel Pigenet pour août 1953 : « Confronté à l’État patron, le mouvement acquiert une signification politique, mais n’a ni les moyens ni l’ambition de s’ériger en solution de rechange. S’y engager le perdrait. » ("Le Monde diplomatique", août 2017).

Cette crise sociale a cependant fait date à court terme dans l’esprit des parlementaires socialistes, et l’idée d’une résurgence de la Troisième force (SFIO-MRP-radicaux) sous l’égide de Pierre Mendès France allait refaire son chemin. Au congrès du parti radical le 23 septembre 1953, Pierre Mendès France lança : « Nous sommes en 1788 ! » et analysa : « Les grèves récentes n’étaient pas des grèves politiques ni exactement des grèves professionnelles. Certains grévistes étaient incapables de définir avec précision leurs revendications. C’étaient les grèves de la tristesse, du désespoir, du découragement. ». Cela fait en effet penser aux gilets jaunes.

Mais aussi à long terme : elle a tétanisé tous les gouvernements pendant un demi-siècle en les dissuadant de faire des réformes (comme la fin des régimes spéciaux des retraites), nous sommes en pleine actualité ! et aussi dans la structuration de la vie politique. En effet, dès le 22 juillet 1953, un mouvement allait s’opposer aux grévistes qui mettaient en danger l’économie française, notamment les petits entrepreneurs et les commerçants, l’UDCA (Union de défense des commerçants et artisans). Ce mouvement fut celui de Pierre Poujade qui entra massivement à l’Assemblée Nationale aux élections législatives suivantes du 2 janvier 1956 avec 52 élus (dont Jean-Marie Le Pen) et 12,9% des voix (2,7 millions d’électeurs !).

Dans la politique gouvernementale, la crise a aussi eu un effet sur Edgar Faure, aux Finances, qui prôna une volonté de reprise de l’économie française avec une expression qui lui était très particulière : "l’expansion dans la stabilité" (en février 1954). Les salaires des fonctionnaires allaient d’ailleurs augmenter de 14% sur les deux années qui suivaient.

Parmi les mesures économiques et sociales du gouvernement Laniel, il faut citer l’instauration de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) le 10 avril 1954 et l’adoption de la loi n°54-439 du 15 avril 1954 sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui. Toujours dans le domaine social, il faut rappeler que l’abbé Pierre (qui fut député MRP de Nancy de 1945 à 1951) a fait son fameux appel contre la misère le 1er février 1954.

Le 20 août 1953, Joseph Laniel a eu aussi à réagir sur la décision sans concertation du résident général au Maroc de déposer le sultan Mohammed Ben Youssef. Joseph Laniel a finalement entériné à son compte le fait accompli, entraînant des protestations polies d’Edgar Faure et la démission de François Mitterrand le 4 septembre 1953. Plus tard, après avoir quitté le pouvoir, Joseph Laniel s’expliqua sur ce dossier le 8 octobre 1955 devant les députés, ce fut d’ailleurs sa seule intervention publique dans l’hémicycle après sa démission jusqu’à la fin de la législature.

Dans son "Bloc-notes" du 14 novembre 1954, François Mauriac a écrit, sans complaisance : « Il faut rendre justice à monsieur Joseph Laniel : en voilà un qui ne trompe pas son monde ! Ce Président massif, on discerne du premier coup d’œil ce qu’il incarne : il y a du lingot dans cet homme-là. Sans doute ignore-t-il "le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois" que nous livre le cardinal de Retz, et qui est "de saisir d’abord l’imagination des hommes". On ne saurait moins parler à l’imagination que monsieur Joseph Laniel. Ce Président-là nous ferait découvrir de la fantaisie chez monsieur Doumergue, et chez monsieur Lebrun, de la verve. »  Il est cependant revenu le 29 janvier 1966 sur cette réflexion en regrettant d’avoir employé le mot "lingot".

La grande affaire politique du moment était la Communauté européenne de défense (CED), dont le traité fut signé le 27 mai 1952, mais dont les débats allaient se terminer bien plus tard, le 30 août 1954 avec le rejet par 319 députés français contre 264. Cependant, le clivage sur la CED (qui, comme les autres traités européens par la suite, en 1992 ou en 2005) se faisait à l’intérieur de la plupart des partis (sauf par exemple le MRP qui était proeuropéen de manière homogène) allait se traduire lors de la très difficile élection présidentielle de décembre 1953.

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Le mandat de Vincent Auriol s’achevait effectivement et il ne se représentait pas. Le Président de la République était élu par l’ensemble des parlementaires (députés et "conseillers de la République", équivalents de sénateurs). Cette élection présidentielle s’est déroulée dans la plus grande confusion, puisqu’il a fallu treize tours avant de connaître l’élu, pire qu’un pape ! En effet, le Président devait être élu à la majorité absolue, quel que soit le tour, pas seulement à la majorité relative après le premier ou deuxième tour.

Elle a eu lieu du 17 au 23 décembre 1953 et a donné une très mauvaise image de la classe politique et de la Quatrième République. Joseph Laniel s’est présenté à cette élection, dès le premier tour, et fut considéré comme le favori. Il se présenta aux dix premiers tours et il aurait dû, en toute logique arithmétique, être élu. Mais son soutien à la CED, ses manières assez brutales de gouverner ("à la tête de bœuf"), et son "origine industrielle" qui reste toujours effrayante dans la classe politique française (on le voit pour Emmanuel Macron et sa furtive incursion dans une banque d’affaires) lui ont retiré quelques soutiens qui auraient pu être déterminants dans l’élection. Sans compter l’enlisement politique et militaire en Indochine.

Par ailleurs, le Président du Congrès, André Le Troquer (SFIO) a tout fait pour éviter son élection (selon l’historien Jean-Pierre Rioux), jusqu’à retirer, dans la comptabilisation des votes favorables, les bulletins où n’était indiqué que son patronyme "Laniel" sans son prénom Joseph, pouvant ainsi laisser un doute sur la destination du bulletin car il y avait aussi un René Laniel, son frère, qui siégeait au Sénat (il n’était pas nécessaire d’être candidat pour recueillir des voix).

Même si les institutions n’étaient pas comparables, cette élection a montré à quel point il est difficile et, pour l’instant, impossible, à un chef du gouvernement d’être élu Président de la République (à l’exception de De Gaulle le 21 décembre 1958) : en effet, sous la Cinquième République et après la réforme de 1962 du suffrage universel direct pour élire le Président de la République, aucun candidat Premier Ministre en exercice n’a pu se faire élire : ni Jacques Chirac en 1988, ni Édouard Balladur en 1995, ni Lionel Jospin en 2002. Georges Pompidou avait été obligé de démissionner l’année précédant son élection (pour être "en réserve de la République") et Jacques Chirac avait refusé de diriger un nouveau gouvernement de cohabitation en 1993 avant l’élection présidentielle de 1995. Quant aux autres Présidents de la Cinquième République, ils n’ont jamais occupé Matignon.

Le premier tour du 17 décembre 1953 laissait entendre un match entre le socialiste Marcel-Edmond Naegelen, ancien ministre, qui bénéficia aux autres tours du report des voix communistes, et le chef du gouvernement Joseph Laniel. Naegelen a eu 160 voix et Laniel 155 voix, ce qui représentait seulement un sixième des voix et pas la majorité absolue. La raison, c’était la présence d’autres candidats, surtout du centre droit : Georges Bidault représentait le MRP avec 131 voix, Yvon Delbos les radicaux avec 129 voix, même le CNIP était divisé avec un second candidat Jacques Fourcade qui ramassait 62 voix, et un radical indépendant, Jean Médecin (père de Jacques Médecin) a récolté aussi 54 voix. Quant aux deux ailes exclues du pouvoir, les communistes avec Marcel Cachin (113 voix) et les gaullistes avec Paul-Jacques Kalb (114 voix), ils faisaient jeu égal. On voit qu’il y avait une grande dispersion des voix.

Dès le deuxième tour, la gauche a réussi à s’unir, les communistes se sont désistés, et Naegelen a rassemblé 299 voix, frôlant le tiers de voix. Laniel s’est renforcé à 276 voix (30%) mais le maintien de Bidault (143 voix) et Delbos (180 voix) l’ont empêché d’être élu. Après l’abandon de Georges Bidault, du troisième au dixième tours, Joseph Laniel est parvenu à être en tête du scrutin, mais jamais assez pour atteindre la majorité absolue, tandis que Marcel-Edmond Naegelen a consolidé sa position de challenger en deuxième place, oscillant entre 300 et 400 voix.

Au huitième tour, le 20 décembre 1953, Joseph Laniel n’était pas loin de l’élection avec 430 voix (47,3%), il lui manquait 24 voix, et Antoine Pinay et Louis Jacquinot, du même parti que lui, CNIP, ont eu respectivement 25 et 14 voix. Il faut comprendre que ces deux candidats n’étaient pas forcément candidats voulus par eux, c’étaient des parlementaires qui ont pu voter spontanément pour eux.

L’élection de Laniel était donc possible, mais au neuvième tour, un autre candidat CNIP a rassemblé 103 voix, lui faisant perdre mécaniquement une quinzaine de voix. À partir du huitième tour inclus, face au socialiste Naegelen, il n’y avait plus que des candidats CNIP, mais plusieurs, pas un seul. Le centre droit estimait en effet que l’Élysée devait revenir à ce parti, mais visiblement, au sein de la majorité de centre droit, certains refusaient l’élection de Joseph Laniel, trop atlantiste, trop proeuropéen, trop cassant dans son caractère.

Joseph Laniel l’a compris à la fin du dixième tour. Il abandonna la partie, laissant la porte ouverte à un autre candidat CNIP. Louis Jacquinot et René Coty se sont disputé cette candidature dans les trois derniers tours qui ont eu lieu le 23 décembre 1953. Au onzième tour, Louis Jacquinot, beaucoup plus connu des parlementaires que Coty et soutenu par Laniel, a eu une grande avance (338 voix) sur René Coty (71 voix).

Mais ce fut la candidature de René Coty qui s’imposa. Pourquoi ? Parce qu’il était vice-président du Sénat (on n’a pas voulu du Président du Sénat, qui était d’habitude élu sous la Troisième République, probablement parce que c’était Gaston Monnerville). J’écris Sénat mais il faut comprendre Conseil de la République. Et René Coty avait dû s’absenter lors d’un vote au Sénat à propos de la CED, si bien qu’il n’avait pas indiqué de préférences et n’a donc pas suscité de rejet dans ce clivage. René Coty fut élu au treizième tour avec 477 voix (54,8%). Son élection fut cruciale, puisque, quatre ans plus tard, il appela De Gaulle à revenir au pouvoir. Qu’en aurait-il été si Joseph Laniel ou Louis Jacquinot avait été élu Président de la République ? Uchronie inutile mais passionnante.

L’année 1954 fut dominée par la guerre en Indochine. Joseph Laniel continua à solliciter l’aide américaine pour construire une armée vietnamienne face à l’armée Vietminh tout en poursuivant les tentatives de dialogues. Ainsi, il fut décidé de faire du camp de Dien-Bien-Phu un piège pour l’ennemi, mais ce fut l’inverse qui arriva, un immense piège pour les Français. Le camp fut encerclé le 2 février 1954. Joseph Laniel et René Pleven, Ministre de la Défense, furent conspués à l’Arc-de-Triomphe le 4 avril 1954 par d’anciens combattants d’Indochine. La Conférence de Genève s’est ouverte le 26 avril 1954 avec ce climat très hostile, et Dien-Bien-Phu tomba le 7 mai 1954.

Pendant trois jours, le gouvernement a cherché à justifier sa politique tout en mettant en garde contre une crise gouvernementale au moment où la France devait négocier à Genève. Le 12 juin 1954, les députés ont rejeté la confiance au gouvernement par 306 voix contre 296, insuffisamment constitutionnellement, mais politiquement, le sort était jeté. Joseph Laniel remit à René Coty la démission de son gouvernement le jour même.

Ce fut alors l’heure de Pierre Mendès France, qui fut investi le 15 juin 1954 et qui mit fin à la guerre d’Indochine le 20 juillet 1954 avec l’Accord de paix de Genève. Joseph Laniel n’a pas pris part au vote pour l’investiture de son successeur ni pour la ratification de l’Accord de Genève, mais il vota en faveur de la CED le 30 août 1954, une position proeuropéenne qui lui avait probablement coûté l’Élysée.

Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Joseph Laniel fut réélu de justesse, sa liste, avec seulement 7,8% des voix, est arrivée en cinquième position dans le Calvados, bien après celles du PCF, de la SFIO, du MRP et des gaullistes. Pendant cette législature (entre 1956 et 1958), il n’est intervenu que deux fois, le 2 mai 1956 pour prôner la rigueur budgétaire, exprimer son soutien à Robert Lacoste et Max Lejeune et sa foi en l’Algérie française, et le 5 mars 1957 pour interpeller le gouvernement sur sa politique agricole. Après avoir voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet, la loi-cadre de Gaston Defferre sur l’Outremer et la ratification du Traité de Rome, il apporta son soutien au retour au pouvoir du Général De Gaulle en votant l’investiture de son gouvernement le 1er juin 1958 ainsi que les pouvoirs spéciaux et la révision constitutionnelle le 2 juin 1958.

Balayé par la Cinquième République, Joseph Laniel s’est retiré de la vie politique à la fin de l’année 1958 (il avait 69 ans) et est mort à Paris le 8 avril 1975 (à l’âge de 85 ans), après avoir publié "Le Drame indochinois" en 1957 (éd. Plon), "Jours de gloire et jours cruels", ses mémoires, en 1971 (éd. Presse de la Cité) et "Réflexions après l’action" en 1973 (éd. Plon).

Soucieux des équilibres budgétaires, promoteur d’une croissance économique et de la puissance industrielle qui ne pouvait se développer que dans le cadre de la construction européenne, Joseph Laniel n’a probablement pas laissé une grande trace dans la mémoire historique en raison de son caractère bourru, bougon, peu tourné vers la communication et l’explication, dans le mode des patrons paternalistes tout-puissants du XIXe siècle (management directif). Pourtant, peut-être même plus qu’Antoine Pinay et Edgar Faure, il symbolisait sans doute le mieux la volonté de reconstruction du pays (il était très attentionné sur l’indemnisation des victimes de guerre) que l’on a appelée les "Trente Glorieuses" dont certains pourraient avoir la nostalgie dans cette époque de crises durables et multiples.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Joseph Laniel.
Quel bovin vous amène ?
Le vote des femmes en France.
L'échec de la CED.
Mélinée et Missak Manouchian.
Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
L'abbé Pierre.
André Figueras.
Jean-Marie Le Pen.

Jean Moulin.
Stéphane Hessel.
René Pleven.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
La création du RPF.
De Gaulle.
Germaine Tillion.
François Mitterrand.
Pierre Pflimlin.
Henri Queuille.
Robert Schuman.
Antoine Pinay.
Félix Gaillard.
Les radicaux.
Georges Bidault.
Débarquement en Normandie.
Libération de Paris.
Général Leclerc.
Daniel Cordier.
Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
Jean Monnet.
Joseph Kessel.
Maurice Druon.
André Malraux.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Daniel Mayer.
Edmond Michelet.
Alain Savary.
Édouard Herriot.
Vincent Auriol.
René Coty.
Maurice Faure.
Gaston Defferre.
Edgar Faure.
René Cassin.
Édouard Bonnefous.



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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250408-joseph-laniel.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/joseph-laniel-il-y-a-du-lingot-259374

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/07/article-sr-20250408-joseph-laniel.html


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15 mars 2025 6 15 /03 /mars /2025 03:43

« Des querelles de personnes, depuis vingt, j'en ai connu. Mais ce que m'ont appris les dernières semaines, c'est qu'aujourd'hui, au PS, on est au-delà de l'irrationnel. Peu importent les rabibochages : entre Fabius et Jospin, il s'agit d'une lutte à mort. » (Julien Dray, le 16 mars 1990 dans "L'Express").



 


Le témoignage en live du "jeune" député de l'Essonne Julien Dray, et pourtant très expérimenté militant propagandiste trotskiste, a montré son étonnement mais aussi son noviciat dans la cuisine interne au parti socialiste. Il y a trente-cinq ans a eu lieu le fameux congrès de Rennes, le 67e congrès du PS qui s'est tenu du 15 au 18 mars 1990 à Rennes, ville dont le maire a été, entre 1977 et 2008, l'ancien ministre socialiste Edmond Hervé.

Pour beaucoup d'observateurs politiques, le congrès de Rennes a été le pire congrès de toute l'histoire des socialistes, le pire pour les socialistes, peut-être pas pour leurs adversaires, celui de la division, celui des magouilles, de la désinformation, de l'intimidation, de la manipulation, des coups tordus, etc. Julien Dray, qui était pourtant un agitateur politique aguerri dans les luttes d'appareil, au sein de l'UNEF puis de SOS Racisme(« Le PS, c'est bien pire que l'UNEF ! »), était forcément un nain face aux éléphants ambitieux et encombrants du parti socialiste, dont les ambitions personnelles l'emportaient bien largement sur des considérations plus collectives : « On est des jeunes. On a beaucoup appris. Ce congrès aura été une école de formation. Nous sommes vaccinés ! », a-t-il commenté à chaud auprès de Dominique de Montvalon et Bernard Mazières pour leur article d'ambiance publié le 16 mars 1990 dans "L'Express".

Le reportage de "L'Express" décrit le champ de bataille : « La brutalité des méthodes. Sur le terrain, le clientélisme, désormais, triomphe. Chacun a "ses" hommes, et il ferait beau voir qu'un intrus se pointe ! (…) On s'y bagarre sec, tous les coups (ou presque), sont permis et l'idéologie a bon dos. (…) L'essentiel se passait chaque fois avant et après, par téléphone : quand le patron local "déconseillait" aux siens de se rendre à une réunion tenue pour "inopportune" ou leur rappelait, si nécessaire, qu'ils étaient... ses obligés. (…) Palmarès, selon Juju [Julien Dray], des sections les plus "bétonnées" : les gros bastions fabiusiens et, notamment dans certains arrondissements parisiens, les places fortes chevènementistes. "Jospinistes et mauroyistes n'ont rien à apprendre, mais eux savent y mettre les formes. Ce qui n'a pas empêché le maire de Massy de virer du jour au lendemain deux de ses directeurs pour la simple raison qu'ils avaient choisi notre motion !" (…) Oui, constate, fataliste et un peu amer, Julien Dray, "l'après-Mitterrand a commencé". Rude choc pour ceux qui constatent l'état de la "vieille maison" et se veulent pourtant, plus que jamais, les neveux de "Tonton". ».

Factuellement, il n'est plus certain que ce congrès fût le pire, car il y en a eu d'autres, plus tard, qui étaient aussi pas mal en pleines divisions, comme celui de Reims en novembre 2008 et le dernier, celui de Marseille en janvier 2023. Le prochain s'avère aussi "passionnant" (mot pris au second degré, je précise), en juin 2025, avec une lutte déjà actée entre Olivier Faure et Boris Vallaud, et sans doute d'autres éléphanteaux. Les congrès du PS, et avant, de la SFIO, n'ont jamais été qu'une longue succession de chocs d'ambitieux et de chefs de meute.

À Rennes, Julien Dray, à 35 ans, venait de découvrir ce Far West impitoyable. Avec son "ami" de l'époque, parlementaire de l'Essonne comme lui, un certain Jean-Luc Mélenchon, et Isabelle Thomas, l'ancienne égérie des lycéens en colère contre le projet Devaquet de 1986, ils avaient dû déposer leur propre motion au congrès (une motion, c'est l'acte politique qui vise à exister politiquement au sein du PS dans l'un de ses mille et un courants), car personne ne voulait d'eux, de ces p'tits jeunes gauchistes un peu dérangeants (et à l'époque, qui avaient des convictions), alors qu'ils auraient préféré faire une motion commune, pour rassembler l'aile gauche avec Jean-Pierre Chevènement, Jean Poperen, etc.


 


Mais reprenons un peu le contexte historique. En mai 1988, François Mitterrand, le leader historique du PS moderne (premier secrétaire de 1971 à 1981), a été réélu Président de la République pour un second mandat de sept ans. Malade et âgé, il était certain que ce mandat serait le dernier. De quoi soulever l'appétit de potentiels héritiers. Mais dès 1988, François Mitterrand a perdu la main sur "son" PS : son successeur à la tête du PS, de 1981 à 1988, Lionel Jospin, son loyal et fidèle lieutenant lors de son premier septennat, a été nommé Ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement de Michel Rocard. Il fallait donc qu'il partît de la direction du PS.

Son successeur était tout trouvé pour François Mitterrand, il avait décidé d'y placer son jeune dauphin, "le plus jeune Premier Ministre qu'il a donné à la France" (maintenant, c'est Gabriel Attal), à savoir Laurent Fabius, qui, par chance (!), était justement disponible. Le comité directeur du 14 mai 1988 s'est toutefois très mal déroulé : dans une conjuration de Michel Rocard (Premier Ministre) et Lionel Jospin (premier secrétaire sortant), Pierre Mauroy a été choisi au détriment de Laurent Fabius. La conclusion a été que Laurent Fabius a eu le perchoir comme lot de consolation. Il y a des lots de consolation moins prestigieux.


La rivalité entre Lionel Jospin et Laurent Fabius était donc officialisée en 1988. Elle n'était pas nouvelle, car ils s'étaient déjà chamaillé en 1986 pour savoir qui conduirait la campagne législative des socialistes (leur chef d'appareil ou le chef du gouvernement socialiste ?). Ce genre de rivalité politique se retrouve aussi à droite, notamment dans la composante gaulliste, RPR puis UMP et maintenant LR (à droite, on appelle cela "guerre des chefs" et pas "congrès du parti socialiste"). Le congrès de Rennes, comme s'en est aperçu Julien Dray (voir en début d'article), était d'abord l'éclatement public du courant mitterrandiste en deux factions, les jospinistes et les fabiusiens. Y voir des différences idéologiques ou politiques serait un exploit. Juste un vaste champ des ambitions déçues. Ou pas.

Le congrès du PS qui suivait cette désignation infamante pour le Président de la République en exercice était donc celui de Rennes en mars 1990. Michel Rocard était toujours à Matignon, Lionel Jospin à l'Éducation nationale, et Pierre Mauroy, en bon militant socialiste, qui avait cru être le dauphin de Guy Mollet en 1969, s'est épanoui dans cette fonction de chef du parti, un poste qui comptait beaucoup pour lui, qui l'honorait beaucoup, au regard de l'histoire. Ce congrès était évidemment l'occasion de remettre les choses à plat, et François Mitterrand n'hésitait pas à donner sa préférence pour la désignation de Laurent Fabius à la tête du parti, pour réparer l'affront de 1988.

Il faut aussi expliquer le mode de fonctionnement d'un congrès socialiste. Il faut dire que c'est très compliqué, ce qui nécessite beaucoup de socialistologues patentés.

Petite diversion par ce petit témoignage amusant de la journaliste politique Valérie Trierweiler, qui fut par la suite la compagne de François Hollande. Elle a débuté pendant cette période. Son employeur "Paris Match" l'a affectée au congrès de Rennes, c'était son premier reportage politique. Au micro de Guy Birenbaum, le 9 août 2017 sur France Info, Valérie Trierweiler a raconté "son" congrès de Rennes : « C’est à la fois un souvenir très marquant et en même temps je pataugeais totalement. J’étais toute jeune journaliste, c’était mon premier papier pour "Match" et je ne comprenais rien à ce qu’il se passait. (…) Ça a été une guerre fratricide entre les enfants de Mitterrand. C’était très compliqué, il y avait six ou sept motions différentes. Pour comprendre ce qu’il se passait, j’allais dans ma voiture de location et j’écoutais France Info. ». Elle est retournée à Paris dans la voiture de Bernard Roman, à l'époque le dauphin de Pierre Mauroy à la mairie de Lille : « Tout le monde pleurait ! ». Et d'ajouter : « Peut-être que, finalement, ce qu’il se passe aujourd’hui, l’origine est là. On a déjà des déchirures, non pas au sein du parti socialiste mais au sein de la même famille du PS, entre les enfants chéris de Mitterrand. Ça n’a fait que se déchirer par la suite. ».

Le fonctionnement d'un congrès, c'est d'abord de déposer des contributions, qui n'impactent pas la vie interne du parti, c'est du contenu politique, programmatique, et un moyen de se montrer entre "camarades" du même courant. Puis, il y a le dépôt des "motions", qui sont ultrapolitiques, après d'éventuelles "synthèses" de contributions. Des rapports de force internes au sein du PS dépend la répartition des postes au sein de la direction du PS. Tous les courants ont donc intérêt à déposer leur propre motion pour peser au sein de l'appareil (et pour se compter auprès des militants). Et la phase finale, celle pour laquelle François Hollande était le maître par la suite, la synthèse : les motions tentent de trouver un accord entre elles pour se réunir derrière le dirigeant désigné selon les rapports de force (vote des fédérations, j'y reviendrai plus loin) et une direction diversifiée (ceux qui ne souhaitent pas s'intégrer dans la synthèse sont alors dans l'opposition interne). Exceptionnellement, aucune synthèse n'a été trouvée ni voulue à Rennes en 1990.

 


Pour son émission "La fabrique de l'histoire" diffusée le 6 novembre 2008 sur France Culture, le journaliste Emmanuel Laurantin a expliqué : « L'affrontement entre Lionel Jospin et Laurent Fabius n'a rien d'idéologique. Le duel par seconds couteaux interposés gagne également les fédérations à l'intérieur desquelles des scissions s'opèrent. (…) [François Mitterrand] entame alors son second et dernier mandat. La question de sa succession devient donc d'actualité. Lionel Jospin est ouvertement entré en conflit avec Laurent Fabius en 1985. Lors du comité directeur de juillet 1989, le combat des deux héritiers est lancé par listes de soutien interposées et comptage des voix sur lesquelles l'un ou l'autre peut s'appuyer. L'enterrement du courant mitterrandiste bat son plein. Le débat idéologique reste au second plan et le restera tout au long du congrès (…). Sept textes sont soumis à la discussion et au vote des militants mais personne n'écoute les discours. Ni Fabius, ni Jospin ne veulent de synthèse. On négocie en coulisse et on échange des propos aigre-doux avec ses adversaires de courants. Des émissaires sont chargés de calmer le jeu. En vain, ce congrès du PS se termine sans que les courants ne se soient mis d'accord sur la composition de la direction et sur un texte commun d'orientation. Le rôle de François Mitterrand est ambigu. Son dauphin est Laurent Fabius mais il ne le soutient pas ouvertement. Il lui a d'ailleurs sans doute suggéré d'abandonner la partie pour laisser finalement la direction du parti à son ancien Premier Ministre, Pierre Mauroy, qui aura vainement tenté d'apaiser cette lutte de succession. ».

Concrètement, neuf contributions générales ont été déposées pour le congrès de Rennes, et ensuite, sept motions soumises au vote des militants, supposées provenir d'une synthèse (ici impossible) des contributions.

L'intérêt de présenter les contributions n'a rien de programmatique, mais est de savoir qui était avec qui. Je n'indiquerai donc pas le nom de chacune des contributions (sans intérêt car générique) mais seulement de leurs principaux signataires.

Contribution 1 (chevènementistes) : Jean-Pierre Chevènement, Edwige Avice, Jean-Marie Bockel, Nicole Bricq, Pierre Carassus, Marie-Arlette Carlotti, Michel Charzat, Didier Motchane et Georges Sarre.

Contribution 2 (mitterrandistes "directs") : Louis Mermaz, Pierre Joxe, Jacques Delors, Véronique Neiertz, Claude Estier, Louis Mexandeau, André Delehedde, Claude Fuzier, Charles Hernu, Frédéric Jalton, Didier Migaud, Ségolène Royal et André Vallini.

Contribution 3 (fabiusiens) : Laurent Fabius, Jean Auroux, Claude Bartolone, Pierre Bérégovoy, Michel Charasse, Roger Hanin, Jack Lang, Daniel Percheron, Paul Quilès, François Rebsamen, Yvette Roudy et Henri Weber.

Contribution 4 (stirnistes) : Olivier Stirn et Bernard Bioulac.

Contribution 5 (jospinistes) : Lionel Jospin, Claude Allègre, Christian Bataille, Jean-Christophe Cambadélis, Gérard Collomb, Bertrand Delanoë, Michel Delebarre, Henri Emmanuelli, François Hollande, Jean-Yves Le Drian, Jean Le Garrec, Dominique Strauss-Khan et Daniel Vaillant.

Contribution 6 (mélenchonistes) : Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray.


Contribution 7 (rocardiens) : Catherine Trautman, Alain Bergounioux, Robert Chapuis, Michel Destot, Claude Évin, Olivier Faure, Gérard Fuchs, Louis Le Pensec, François Patriat, Alain Richard, Michel Sapin, Jean-Pierre Sueur et Manuel Valls.

Contribution 8 (lienemannistes) : Marie-Noëlle Lienemann et Patrice Finel.

Contribution 9 (poperénistes) : Jean Poperen, Colette Audry, Jean-Marc Ayrault, Philippe Bassinet, Michel Bérégovoy, Gérard Caudron, Didier Chouat, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Christiane Mora, Marie-Thérèse Mutin et Alain Vidalies.

Petits commentaires personnels. On remarque l'absence, parmi les signataires, de Martine Aubry (fille de Jacques Delors et future jospiniste) car elle n'était pas encore une femme politique. François Hollande (qui était à l'époque "transcourant" tout en étant proche de Jacques Delors) a signé avec Lionel Jospin comme Dominique Strauss-Kahn pourtant plutôt rocardien. Au-delà des deux contributions "gauchistes" (Mélenchon et Lienemann), celles de Jean-Pierre Chevènement et de Jean Poperen étaient les plus à gauche (avec une tradition historique), et c'est intéressant d'y lire les noms de Jean-Marc Ayrault, Jean-Marie Bockel et Nicole Bricq. Parmi les rocardiens, il y avait bien sûr Manuel Valls, mais aussi Olivier Faure (et Benoît Hamon allait les rejoindre). Si Michel Rocard n'était pas un signataire (parce qu'il était le Premier Ministre), il y avait une contribution estampillée rocardienne très clairement. Quant à Pierre Mauroy (premier secrétaire sortant), lui non plus n'a pas déposé spécifiquement de contribution (afin de rester dans la capacité de rassembler et faire la synthèse), et ses partisans se sont répartis parmi les jospinistes (par exemple Michel Delebarre) et les mitterrandistes que j'appellerais "directs", c'est-à-dire fidèle à François Mitterrand sans choisir parmi ses héritiers (parmi lesquels s'est comptée Ségolène Royal).


 


De ces neuf contributions n'est sortie aucune synthèse majoritaire, et donc, sept motions se sont disputé le vote des militants, ou, plus exactement, le vote des mandats (c'est une nuance importante, voir plus loin). Voici donc les résultats de ce congrès, sans qu'aucune motion puisse être majoritaire (dans l'ordre décroissant des votes).

1. Motion 1 (Pierre Mauroy, soutenue par Lionel Jospin et Louis Mermaz) : 2 082 mandats (28,9%).
2. Motion 5 (Laurent Fabius, soutenue par Olivier Stirn) : 2 075 mandats (28,8%).
3. Motion 3 (Michel Rocard) : 1 745 mandats (24,3%).
4. Motion 7 (Jean-Pierre Chevènement) : 613 mandats (8,5%).
5. Motion 2 (Jean Poperen) : 518 mandats (7,2%).
6. Motion 4 (Jean-Luc Mélenchon) : 97 mandats (1,4%).
7. Motion 6 (Marie-Noëlle Linemann) : 47 mandats (0,7%).

On constate que les jospinistes (avec les mauroyistes) et les fabiusiens étaient presque à égalité et que les rocardiens sont arrivés en troisième position. Les quatre autres motions étaient positionnées sur l'aile gauche et n'ont recueilli que peu de votes, moins de 20%, et de manière très dispersée (Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray et Marie-Noëlle Lienemann ont fait cause commune dans les congrès suivants, à partir de celui de La Défense en décembre 1991).

Malgré cette grande disparité, les jospinistes et les rocardiens avaient la majorité et se répartissaient ainsi les rôles : à Pierre Mauroy le parti, à Michel Rocard la candidature à l'élection présidentielle de 1995. Un accord implicite qui n'était pas forcément très franc (Lionel Jospin couvant déjà une ambition présidentielle) mais qui permettait de faire un barrage anti-Fabius.

Lors du comité directeur du 21 mars 1990, une synthèse générale a été finalement adoptée, de manière très hypocrite, Pierre Mauroy a été reconduit comme premier secrétaire du PS et la direction du PS (comité directeur, bureau exécutif et secrétariat national) a été désignée proportionnellement aux votes du congrès.

Le nouveau bureau exécutif était ainsi composé de 8 jospino-mauroyistes (Pierre Mauroy, Claude Allègre, Claire Dufour, Henri Emmanuelli, Louis Mermaz, Bernard Roman, Gisèle Stievenard et Daniel Vaillant.), 8 fabiusiens (Laurent Fabius, Claude Bartolone, André Billardon, Marcel Debarge, Daniel Percheron, Christian Pierret, Yvette Roudy et Françoise Seligmann), 7 rocardiens (Jean-Claude Boulard, Pierre Brana, Michel Deforeit, Daniel Frachon, Gérard Fuchs, Daniel Lindeperg et Alain Richard), 2 chevènementistes (Michel Charzat et Pierre Guidoni) et 2 poperénistes (Jean-Marc Ayrault et Michel Debout).
 


Quant au secrétariat national, composé de 13 secrétaires nationaux et 13 secrétaires nationaux adjoints, on peut citer le numéro deux Marcel Debarge chargé de la coordination, Gérard Collomb (adjoint) chargé des organismes associés, Henri Emmanuelli trésorier, Gérard Lindeperg chargé de la formation, Thierry Mandon (adjoint) également chargé de la formation, Daniel Vaillant chargé des fédérations, Claude Bartolone chargé des relations extérieures, Jean-Claude Petitdemange chargé des élections, Gérard Le Gall (adjoint) chargé des sondages, Yvette Roudy chargée des droits de la femme, Bernard Roman chargé de l'information et communication, Frédérique Bredin (adjointe) chargée de l'audiovisuel, Christian Pierret chargé de l'urbanisme, écologie et collectivités territoriales, et enfin, Pierre Moscovici chargé des études et programme, qui faisait partie des fabiusiens et pas des jospinistes.

Du 13 au 15 décembre 1991, le congrès suivant du PS s'est tenu à La Défense, sans changement des instances dirigeantes et sans motions, pour le vote d'une nouvelle "déclaration de principes" du PS. Quelques jours plus tard, le 9 janvier 1992, Pierre Mauroy a quitté la direction du PS et a proposé Laurent Fabius pour successeur, désignation adoptée par le comité directeur et qui allait être avalisée par le congrès suivant réuni du 10 au 12 juillet 1992 à Bordeaux (avec un nouveau secrétariat national le 15 juillet 1992 incluant, en numéro trois, Pierre Moscovici trésorier, et Alain Richard aux élections). Quand Laurent Fabius a pris ses fonctions, Michel Rocard n'était déjà plus Premier Ministre mais était devenu le candidat naturel des socialistes pour l'élection présidentielle de 1995.

 


Paradoxalement, malgré les divisions, le congrès de Rennes a profondément modifié la règle du jeu et a permis d'accroître le caractère démocratique de son fonctionnement interne.

En effet, j'ai évoqué le vote des militants, mais il s'agissait en fait de vote par mandats : chaque fédération avait un certain nombre de mandats pour le congrès proportionnellement à son nombre d'adhérents. L'insincérité du vote, c'est que celui qui dirigeait la fédération pouvait orienter le vote de tous les mandats de sa fédération (il suffisait de donner les mandats à des "camarades sûrs" de la fédération), un peu comme les élections américaines où les grands électeurs, dans la plupart des États, sont élus, tous ou aucun. Le changement, entre autres demandé par Julien Dray, c'était que c'étaient les militants eux-mêmes qui puissent voter, sans passer par des mandats, et pas les responsables de fédération, sans pouvoir de délégation, c'est-à-dire selon le principe un présent, une voix.

De plus, il a été adopté le principe du vote secret dans les fédérations et aux congrès. Le vote à main levée permettait aux petits potentats d'appareil de faire de l'intimidation, du chantage ou du clientélisme auprès de ses adhérents, ce qui ne peut plus se faire avec le vote secret, seul vote démocratique possible car sincère.

L'histoire du vote secret et du vote par mandats de fédération n'est pas spécifique au fonctionnement du parti socialiste et tous les partis nationaux ont, petit à petit, évolué d'un fonctionnement qui s'apparentait plus à de la cooptation par magouille qu'à un véritable vote démocratique, vers un fonctionnement plus référendaire, surtout avec l'apparition des nouvelles technologies (vote sur Internet, etc.). À ma connaissance, c'est le RPR qui a adopté le premier le principe d'un vote de son président par l'ensemble des militants (à l'instar d'une élection présidentielle), décidé par Philippe Séguin réélu ainsi président du RPR le 13 décembre 1998 (avec un score de république bananière, 95,1% des militants, en raison de l'absence d'adversaire), alors qu'avant, c'est un vote deux ou trois fois indirect.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 mars 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Congrès du PS à Rennes : l'explosion de la Mitterrandie.
La préparation du congrès de Rennes (27 janvier 1990).
Histoire du PS.
Manuel Valls.
Martine Aubry.
Hubert Védrine.
Julien Dray.
Comment peut-on encore être socialiste au XXIsiècle ?
François Bayrou et la motion de censure de congrès du PS.
Lionel Jospin.
Claude Allègre.
François Mitterrand.
Jacques Delors.
Mazarine Pingeot.
Richard Ferrand.
Didier Guillaume.

Pierre Joxe.
André Chandernagor.
Didier Migaud.
Pierre Moscovici.

La bataille de l'école libre en 1984.
Bernard Kouchner.
Hubert Curien.
Alain Bombard.
Danielle Mitterrand.
Olivier Faure.
Lucie Castets.

Bernard Cazeneuve
Gabriel Attal.
Élisabeth Borne.
Agnès Pannier-Runacher.
Sacha Houlié.
Louis Mermaz.
L'élection du croque-mort.
La mort du parti socialiste ?
Le fiasco de la candidate socialiste.
Le socialisme à Dunkerque.
Le PS à la Cour des Comptes.

 

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250315-congres-ps-rennes.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/congres-du-ps-a-rennes-l-explosion-259371

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/13/article-sr-20250315-congres-ps-rennes.html


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13 mars 2025 4 13 /03 /mars /2025 03:24

« Vous nous avez rappelé, Amiral, qu'il est des chênes que rien n’abat, ni le fer, ni le feu, ni l'hiver, ni l'usure. Ces chênes qui passent de la vie à l'éternité. Leur feuillage ombragent les armes de la République. Et quand autour de nous, les abatteurs menacent, nous savons qu'ils ne peuvent rien contre ces chênes-là et que par eux, par l'idéal qu'ils nous transmettent et que nous reprenons, la France tiendra. Et face aux cognées de la haine, de l'esprit de défaite ou des consciences qui parfois vacillent, s'il ne reste qu’un pays, que la France soit celui-là, debout. » (Emmanuel Macron, le 20 mars 2024 aux Invalides).




 


Il y a un an, le mercredi 13 mars 2024, l'amiral Philippe De Gaulle s'est éteint à Paris, à l'âge de 102 ans. Fils de son père, il a été un personnage historique de l'épopée gaullienne, son témoin direct, l'observateur des années De Gaulle, celles de la Résistance comme celles du début de la Cinquième République. Militaire de carrière, résistant de la première heure, mais jamais intégré dans l'ordre des Compagnons de la Libération car son père voulait éviter toute complaisance de népotisme, Philippe De Gaulle, paradoxalement, est devenu sénateur de Paris pendant dix-huit ans, de 1986 à 2004 alors que son père voulait supprimer le Sénat en 1969.

À la fois grand militaire de la marine et témoin de la vie politique, et à ce titre, auteur de quelques ouvrages de référence pour mieux comprendre la vie et l'œuvre du Général De Gaulle, l'amiral Philippe De Gaulle a reçu un hommage national une semaine après sa disparition, le 20 mars 2024, dans la cour d'honneur des Invalides.

Cette cérémonie était présidée par le Président de la République Emmanuel Macron en présence du gouvernement, dont le Premier Ministre en exercice Gabriel Attal, et de nombreuses personnalités politiques et militaires. Pas étonnant que ce fût aux Invalides puisqu'il séjournait pour ses vieux jours : « Le marin, le résistant, l'élu de la République avait retrouvé, ici, cette cohorte de blessés et de héros. La chaîne des temps. Il était là, debout, parmi eux. (…) Connaître toutes les mers du monde, mais choisir la Seine pour dernier rivage. Partir en homme de devoir, risquer sa vie sur quatre continents et aller reposer à Colombey. ».


 


Emmanuel Macron est un passeur d'histoire et est fasciné par les vétérans de l'histoire récente : « Devoir à l'endroit de nos anciens, car chacun de nous est dépositaire et gardien de leur legs de courage, d'abnégation, d'héroïsme. ». Le Président de la République entretenait aussi de bonnes relations avec d'autres résistants comme Daniel Cordier, Hubert Germain, ou d'autres vieillards de la République, ce que j'appelle des vieillards de la République en ce sens que ce sont des dinosaures dans leur domaine et que la République leur est reconnaissante de leur existence, de leurs talents, de la richesse qu'ils ont apportée à la France et parfois au monde, comme le peintre Pierre Soulages, le chanteur Charles Aznavour, le comédien Michel Bouquet ou l'écrivain Jean d'Ormesson. Quant aux politiques, les hommages aux Invalides ont été également nombreux, de Jacques Chirac à Jacques Delors, en passant par Robert Badinter.

À 18 ans, Philippe De Gaulle s'est engagé dans la Résistance dès le premier jour, répondant plus au devoir qu'il se faisait de la France qu'à son père. En août 1944, il participa à la Libération de Paris, et la famille fut rassemblée : « Le cœur symbolique de la République est délivré. Paris est libérée. La France est relevée. Philippe De Gaulle peut alors rejoindre les siens. Et il y eut chez les De Gaulle cette scène de retrouvailles si singulière, autour d'un repas de famille où l'on discutait comme si l'on s'était quitté le matin même, parlant de tout et de rien, des uns et des autres, des projets, de tout sauf de la guerre et des hauts faits. ».

Après la guerre, le futur amiral a poursuivi une brillante carrière de pilote de l'aéronavale qui l'amena aux plus grandes responsabilités militaires : « Honneur, patrie, valeur, discipline. Ces quatre piliers de la Marine, gravés sur chacun de ses bâtiments, étaient les tables de sa loi. ».

 


À sa retraite, à l'âge de 64 ans, sur demande de Jacques Chirac, Philippe De Gaulle fut élu sénateur : « apportant sa voix à la commission des Affaires étrangères et de la Défense. Comme il est dur, pourtant, d'être De Gaulle après De Gaulle, d'en avoir l'allure, la voix, les gestes et de ne pas être lui. L'Amiral répondait aux murmures par la rigueur de sa conscience, son indifférence à la mondanité, déclinant toute présidence parlementaire ou honorifique, quelle qu'elle fût. ».

Philippe De Gaulle cultivait une grande humilité et s'effaçait derrière plus grand que lui. Son credo : « Il faut agir au-delà de soi et travailler pour plus grand que soi. ». Homme de devoirs, il en était un très important pour lui : « Devoir d'espérance. "La France en a vu d'autres, la France s'en sortira, tu verras", tels étaient ses mots répétés, toujours à travers les meurtrissures de l'histoire. C'était sa certitude, partagée avec tous ses compagnons d'armes, tous ses compagnons dont il eut la place s'il n'eut pas le titre, grandeur d'un sacrifice consenti en silence dépassant l'injustice ressentie. ». Pour son père, il était le premier compagnon de la Libération. Pour l'histoire, il fut le dernier aussi, le dernier survivant, après Hubert Germain (le dernier officiellement).
 


Le Président Emmanuel Macron a raconté la disparition de celui qui ressemblait tant à l'homme du 18 juin : « Il a attendu d'avoir tout écrit, tout transmis, mis un point final à ses derniers souvenirs, rédigé ses dernières volontés avec une rigueur d'ordre d'opération, demandé les derniers sacrements, et puis, il a fermé les yeux dans la nuit qui ne connaît pas l'Histoire. Une mort à sa mesure. Une mort de paladin, de chevalier, remettant ses pensées à la France, son âme à son Seigneur et son cœur à sa dame. Car le dernier nom qu'il murmura fut celui d'Henriette, en chevalier, membre de cette confrérie de l'idéal, ceux qui ne vivent que debout, ceux qui ont redressé leur patrie à la face du monde. ».

Cet hommage était le minimum que pouvait faire la République pour ce serviteur si singulier. Avec lui, c'est un peu rendre un hommage national au Général De Gaulle qui n'avait encore jamais eu lieu, en raison des dernières volontés de ce dernier. L'association Emmanuel Macron et De Gaulle n'est pas vaine : depuis 2017, le Président de la République revendique, à l'instar de son illustre et historique prédécesseur, la souveraineté européenne de défense, pour que la sécurité de la France et de l'Europe ne dépende pas du bon vouloir des États-Unis.

On peut avoir raison trop tôt, mais aussi être entendu à temps. Car il n'est jamais trop tard pour la construire, cette défense souveraine qui doit répondre à la double menace de l'impérialisme russe et du terrorisme islamique. Emmanuel Macron l'a encore redit ce mardi 11 mars 2025 : « Une grande nation, elle n'a pas à choisir. Elle a à répondre. Et elle n'a pas à décider de lutter contre les menaces géopolitiques qui s'imposent à elle ou contre des menaces sur son sol projetées par les terroristes. Elle a à faire les deux en même temps. C'est ce que nous faisons. ». Un véritable homme d'État.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 mars 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Philippe De Gaulle.
Hommage du Président Emmanuel Macron à Philippe De Gaulle le 20 mars 2024 aux Invalides (texte intégral et vidéo).
De Gaulle à l'ombre du Généra.
L'impossible Compagnon de la Libération.
Entre père et mer.
L'autre De Gaulle.
La mort du père.
Le théorème de la locomotive.
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Daniel Cordier.
Le songe de l’histoire.
Vive la Cinquième République !
De Gaulle et son discours de Bayeux.
Napoléon, De Gaulle et Macron.
Pourquoi De Gaulle a-t-il ménagé François Mitterrand ?
Deux ou trois choses encore sur De Gaulle.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.

 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250313-philippe-de-gaulle.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-amiral-philippe-de-gaulle-259366

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4 mars 2025 2 04 /03 /mars /2025 08:47

« Chirac doit être à 13% dans les sondages, Balladur est à 30 ou 40%. Personne ne veut vraiment nous recevoir. Et je lui dis : comment voyez-vous les choses ? (…) Ce n'est pas très bon. Et je lui dis : qu'est-ce qu'on va faire après ? Il me dit : on va ouvrir une agence de voyage. Tu la tiendras et je voyagerai. Et dix secondes après : non, on va gagner ! On est à 13%. » (Jean-Louis Debré sur Jacques Chirac).




 


Une anecdote parmi de très nombreuses autres qu'il aimait raconter, lui le mécanicien de la Cinquième République, celui qui était dans le moteur institutionnel de père en fils. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris la mort de Jean-Louis Debré dans la nuit du 3 au 4 mars 2025. Il avait 80 ans. Il nous manquera, "nous", tous les Français, car il était un visage et un regard irremplaçable d'une certaine idée de la vie politique.

Il rejoint son frère jumeau, médecin et également homme politique, Bernard Debré mort le 13 septembre 2020 à 75 ans, quelques heures avant leur grand frère François Debré, journaliste, à 78 ans. De la fratrie, il ne reste plus que Vincent, l'aîné, 86 ans.

Incontestablement, Jean-Louis Debré était issu d'une grande famille exceptionnelle, certains diront dynastie, mais en République, chaque membre n'a brillé que par son mérite personnel, et on l'a bien compris en observant les deux frères jumeaux, l'un était un homme politique, tandis que l'autre était bien plus que cela, un homme d'État (c'est d'ailleurs ainsi que le présente Wikipédia, ce dont je me réjouis), comme leur père, Michel Debré, auteur de la Constitution de la Cinquième République et premier Premier Ministre de cette République et du Général De Gaulle.

Cette famille, qui était déjà bien installée depuis plusieurs générations, a donné de nombreux grands médecins (dont Robert Debré, présenté comme le père de la pédiatrie moderne, le grand-père de Jean-Louis Debré), de grandes personnalités politiques, de grands scientifiques et universitaires (Michel Debré était le cousin germain du grand mathématicien Laurent Schwartz récompensé par la Médaille Field, son frère Bernard Schwartz a été le directeur de l'École des Mines de Nancy, etc.), aussi un grand-rabbin (Simon Debré, l'arrière-grand-père de Jean-Louis Debré), aussi de grands artistes (son oncle Olivier Debré était un peintre de l'abstrait), sept académiciens, etc.

 


Jean-Louis Debré était adolescent quand son père était à Matignon, il connaissait les De Gaulle, leur face publique mais aussi privée. Il ne pouvait être que passionné par la politique, car il a baigné dans la marmite étant petit (comme Obélix), d'autant plus que son père était un passionné qui a retransmis le virus de la politique à ses enfants. En 1986, les deux frères jumeaux ont été élus députés et ils ont siégé avec le père qui a pris sa retraite en 1988. Pendant deux ans, il y a eu trois Debré pour le prix d'un au Palais-Bourbon !

Mais c'est bien avant qu'il a vraiment fait la connaissance de Jacques Chirac, en 1973, à une époque où, jeune homme de 28 ans, il s'était présenté aux élections législatives et avait perdu : on ne lui avait pas donné une circonscription en or, il s'est démené par son mérite pour arriver à la politique. Jacques Chirac l'a épaulé, l'a coaché, il était son mentor, en quelque sorte. Et au fil des années et des décennies, au fil des fidélités et des vilenies, Jean-Louis Debré est resté le chiraquien fidèle, l'un des rares jusqu'au bout de la route, l'un de ses rares visiteurs quand il était malade.

 


Docteur en droit public, juge d'instruction, Jean-Louis Debré, au-delà de ses mandats de député (son successeur dans sa circonscription fut Bruno Le Maire) et de maire d'Évreux, a assumé trois grands mandats dans sa carrière politique.

Le premier n'était pas une joie et son autorité y était souvent remise en cause : Ministre de l'Intérieur du 18 mai 1995 au 2 juin 1997, je pourrais même dire le premier Ministre de l'Intérieur de Jacques Chirac Président de la République, mais il aurait sans doute été plus utile au Ministère de la Justice. Jacques Chirac avait besoin d'une personne fiable et fidèle à l'Intérieur, et Jean-Louis Debré, qui n'a jamais tutoyé le Président, n'a jamais trahi Jacques Chirac, notamment pendant la campagne présidentielle de 1995, voir l'anecdote en introduction (alors que son frère Bernard Debré soutenait Édouard Balladur).

Sa deuxième grande responsabilité a été d'être Président de l'Assemblée Nationale du 25 juin 2002 au 4 mars 2007. Là encore, rien n'était évident pour lui et il a réussi à convaincre la majorité des députés UMP de l'élire, alors que d'autres noms, parfois prestigieux (Édouard Balladur), circulaient pour le perchoir. Ce fut, comme l'a rappelé sa lointaine successeure Yaël Braun-Pivet, « l'honneur d'une vie » et « cinq ans de bonheur absolu ». Sa passion de la chose politique et son respect des institutions ont conduit Jean-Louis Debré à profondément marquer l'Assemblée Nationale par sa fonction. Depuis 1958, il n'y a pas eu beaucoup de Présidents de l'Assemblée à s'être autant distingué : Jacques Chaban-Delmas, Philippe Séguin, et lui (et je pourrais rajouter Yaël Braun-Pivet et Louis Mermaz). Les autres, c'était juste une ligne de plus sur leur CV et leurs gratifications ; pour Jean-Louis Debré, c'était faire vivre la représentation nationale, la moderniser, l'incarner, en particulier à l'étranger.

 


Enfin, sa troisième grande responsabilité, il a exercé le mandat de Président du Conseil Constitutionnel du 5 mars 2007 au 5 mars 2016, de manière passionnée mais neutre et impartiale, d'autant plus que son gaullisme originel l'incitait à détester Nicolas Sarkozy et ses attitudes peu gaulliennes (par la suite, après 2016, il n'a pas caché qu'il avait voté pour François Hollande en 2012 !). Laurent Fabius lui a succédé et ce mandat s'achève dans quelques jours au profit de Richard Ferrand.

Son père Michel Debré avait d'ailleurs refusé la proposition du Président Georges Pompidou de le nommer Président du Conseil Constitutionnel en début 1974, il était pourtant sans doute le plus apte à assumer cette fonction, mais il se méfiait de Georges Pompidou et pensait qu'il voulait se débarrasser (politiquement) de lui, alors que lui-même voulait garder sa liberté, sa partialité, son besoin d'influer sur le cours des choses.

Retiré de la vie politique en mars 2016, Jean-Louis Debré a fréquenté régulièrement le Salon du Livre mais aussi le théâtre. Il a publié quelques livres de témoignages et d'anecdotes parfois croustillantes, devenu observateur après acteur, et quelques exposés sur des sujets qui l'intéressaient, comme les femmes qui ont réveillé la France, un spectacle au théâtre dans une nouvelle vie, culturelle cette fois-ci, commencée en 2022. Son amour pour l'histoire l'a conduit aussi à présider le Conseil supérieur des archives de 2016 à 2025, après deux prédécesseurs prestigieux, les historiens René Rémond (1988 à 2007) et Georgette Elgey (2007 à 2016).


 


Je reviens sur la relation de Jean-Louis Debré avec Jacques Chirac qui l'a pris sous son aile en 1973 en le nommant conseiller technique au Ministère de l'Agriculture (leur première rencontre a eu lieu à l'aéroport d'Orly en juillet 1967, il avait 22 ans et accompagnait Michel Debré pour accueillir De Gaulle de retour de sa visite officielle au Québec, le fameux "vive le Québec libre !"). Soutenant comme son père la candidature de Jacques Chaban-Delmas, il a quitté le cabinet de Jacques Chirac (qui soutenait VGE) mais l'a réintégré à Matignon après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, jusqu'en été 1976. À partir de 1988, Jacques Chirac s'est beaucoup reposé sur la loyauté de Jean-Louis Debré pour maintenir unies ses troupes du RPR, après des tentatives de "rébellion" interne de Charles Pasqua, Philippe Séguin, puis Édouard Balladur.

Sa liberté de ton, sa passion et son engagement ont fait de Jean-Louis Debré l'une des personnalités politiques les plus respectées de France, à qui même Mathilde Panot a rendu hommage ce matin, un hommage à « un des représentants majeurs d'une droite républicaine qui défendait encore les usages démocratiques ». Il manquera à la République.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 mars 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean-Louis Debré.
Enfant de la République (la Cinquième).
Haut perché.
Bernard Debré.
Michel Debré.

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250304-jean-louis-debre.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-debre-l-un-des-derniers-259679

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/03/04/article-sr-20250304-jean-louis-debre.html




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23 février 2025 7 23 /02 /février /2025 03:01

« Mais, dira-t-on, vous n'en faites pas moins la République ! À cela, je réponds tout simplement : Si la République ne convient pas à la France, la plus sûre manière d'en finir avec elle, c'est de la faire. » (Henri Wallon, le 30 janvier 1875 dans l'hémicycle).





 


Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, la Troisième République proclamée par Léon Gambetta le 4 septembre 1870 n'a jamais bénéficié d'une Constitution en tant que telle. C'est d'autant plus étrange qu'elle est le régime depuis 1789 qui a bénéficié de la plus grande longévité à ce jour, ainsi que la République à la plus grande longévité, puisqu'elle a été mise entre parenthèses (suspendue) le 10 juillet 1940 avec le vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain, puis, plus formellement, la promulgation de la Quatrième République le 27 octobre 1946 (en d'autres termes, d'une durée d'un peu moins de soixante-dix ans ; la Cinquième République, promulguée le 4 octobre 1958, a seulement soixante-six ans).

Pour autant, les parlementaires ont voté une série de trois lois constitutionnelles dont la première date d'il y a cent cinquante ans, le 24 février 1875. Deux autres lois constitutionnelles ont suivi le 25 février 1875 et le 16 juillet 1875, après un long processus de compromis institutionnel initié dès 1871.

Pour simplifier, on peut dire que ce sont les monarchistes qui ont choisi le mode de gouvernement de la République, ce qui est assez bizarre. Revenons donc rapidement à cette période chaotique entre 1871 et 1875.


Alors que les Prussiens occupaient la France, les électeurs français ont élu le 8 février 1871 leurs nouveaux parlementaires quelques mois après la chute du Second Empire. L'idée de Bismarck était que les négociations de paix se fissent avec des représentants français légitime. Adolphe Thiers, ancien Président du Conseil sous Louis-Philippe, grand historien et orléaniste de centre gauche, a été alors élu « chef du pouvoir exécutif de la République française » le 17 février 1871 par la nouvelle Assemblée Nationale, « dépositaire de l'autorité souveraine », en expliquant que cette nomination s'est faite en « considérant qu'il importe, en attendant qu'il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement aux nécessités du gouvernement et à la conduite des négociations ».

En clair, la nouvelle Assemblée Nationale, de majorité monarchiste et donc prête à restaurer la monarchie (214 députés orléanistes et 182 députés légitimistes sur 645), a nommé Thiers, dont la stature était très importante, pour négocier au mieux face aux Allemands la fin de leur occupation. Après la défaite de la Commune de Paris le 28 mai 1871, Thiers a permis une convergence entre les conservateurs et les républicains : la République serait conservatrice ou ne serait pas. Néanmoins, il n'est pas parvenu à faire avancer cette idée le 27 avril 1871, mais les élections partielles du 2 juillet 1871 ont conforté les thèses de Thiers d'autant plus que le 5 juillet 1871, l'un des prétendants au trône, le prétendant légitimiste, petit-fils de Charles X, le comte de Chambord (Henri d'Artois), a demandé aux monarchiste de se rallier derrière son panache blanc.

La loi Rivet, inspirée du député Jean-Charles Rivet , adoptée le 31 août 1871, a précisé le titre de Thiers : « Président de la République » au lieu de « chef du pouvoir exécutif », pour une durée égale à celle de l'Assemblée avec possibilité d'être révoqué à tout moment par l'Assemblée, tout en énumérant ses prérogatives : promulgue et exécute les lois, nomme et révoque les ministres, avec responsabilité des ministres et du Président de la République.


Thiers était toutefois devenu républicain. Il l'a annoncé dans un message à l'Assemblée le 13 octobre 1872 : « La République existe, elle sera le gouvernement légal du pays, vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. Ne perdons pas notre temps à la proclamer, mais employons-le à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une commission nommée par vous il y a quelques mois lui donnait le titre de République conservatrice. Emparons-nous de ce titre et tâchons surtout qu'il soit mérité. Tout gouvernement doit être conservateur, et nulle société ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait point. La République sera conservatrice ou ne sera pas. La France ne peut pas vivre dans de continuelles alarmes. ». Cela a provoqué la fureur du chef de file des monarchistes, le duc Albert de Broglie.

La situation devenait de plus en plus tendue entre Thiers devenu républicain et l'Assemblée restée monarchiste, et, paradoxalement, l'Assemblée a tenté, petit à petit, à réduire les pouvoirs du Président au profit de l'Assemblée, alors que le principe monarchique, c'était justement le principe du pouvoir au monarque.


La loi De Broglie, inspirée du futur Président du Conseil Albert de Broglie, adoptée le 13 mars 1873, a réduit encore les pouvoirs de Thiers, en l'éloignant un peu plus de l'Assemblée. En effet, bon orateur, Thiers réussissait à retourner politiquement sune situation en s'exprimant aux députés et en les convainquant. Désormais, avec la loi De Broglie, tout un cérémonial était nécessaire pour s'exprimer aux députés (ce que Thiers appelait le « cérémonial chinois »). À savoir, il devait adresser un message à l'Assemblée pour annoncer une intervention orale qui aurait lieu le lendemain, ce qui était gênant lorsqu'il voulait intervenir directement dans un débat parlementaire. Cela consacrait un monologue pour Thiers. On a donné le prétexte du grand honneur accordé à Thiers pour qu'il ne s'exprimât que de choses importantes, mais Thiers l'a plutôt conçu comme une réduction de sa capacité à s'exprimer à l'Assemblée. De plus, était consacrée la responsabilité des ministres et pas la sienne, devant l'Assemblée. Mais Thiers a joué sur le chantage à la démission, considérant que la politique des ministres qu'il nommait était la sienne. En tant qu'homme providentiel, l'Assemblée ne pouvait pas le révoquer.

Malgré cela, les tensions étaient de plus en plus grandes entre Thiers et les députés monarchistes, et les accords de paix avec l'Allemagne (départ des troupes allemandes) étaient achevés, si bien que Thiers n'était plus indispensable. Dans un message adressé aux parlementaires, Thiers a confirmé son soutien à la République : « J'ai pris mon parti sur la question de la République. Je l'ai pris, oui, vous savez pourquoi ?... Parce que pratiquement la monarchie est impossible : il n'y a qu'un trône, et on ne peut l'occuper à trois ! ». À la suite d'une motion de défiance présentée par Albert de Broglie et adoptée par 360 voix contre 334, Thiers a démissionné le 24 mai 1873 et est resté député de la Seine jusqu'à la fin de sa vie, le 3 septembre 1877, honoré le 16 juin 1877 comme le « Libérateur du territoire ».
 


Le même jour (24 mai 1873), l'Assemblée a élu le maréchal Patrice de Mac Mahon à la Présidence de la République par 390 voix sur 731, un militaire monarchiste prêt à s'effacer après la Restauration. Pour autant que la Restauration pût se faire. Or, elle a échoué avec l'entêtement du comte de Chambord à refuser le drapeau tricolore au profit du drapeau blanc (alors que les orléanistes voulaient absolument le drapeau tricolore). L'échec était patent dès le 30 octobre 1873 quand le comte de Chambord a confirmé dans "L'Union" : « Je veux rester tout entier ce que je suis. ».

Ce prétendant étant sans descendance, les députés monarchistes voulaient durer dans le provisoire le temps que la nature remît de l'ordre dans le désaccord dynastique, à savoir qu'à la mort du comte de Chambord, le prétendant naturel serait le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe (Philippe d'Orléans), acceptant le drapeau tricolore.

C'est pour cette raison que la loi du 20 novembre 1873 a été votée : « Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de Président de la République et dans les conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles. ». On a effectivement précisé que le maréchal de Mac Mahon garderait la place dans l'attente d'un compromis entre monarchistes, et une durée a été négociée dans son article 2, celle de sept ans, qui était un compromis entre dix ans et cinq ans, suffisamment longtemps pour pouvoir aboutir à la Restauration. Cela a donc créé le septennat. La République a donc conservé le septennat du 20 novembre 1873 au 24 septembre 2000, date du référendum sur le quinquennat. Pour l'anecdote, Patrice de Mac Mahon a démissionné avant la fin de son septennat, le 30 janvier 1879 (au lieu du 20 novembre 1880), à cause d'une Assemblée de plus en plus républicaine. Par ailleurs, cette loi du 20 novembre 1873 a consacré l'irresponsabilité du Président de la République devant l'Assemblée et l'impossibilité d'être révoqué par l'Assemblée (ces dispositions sont encore en cours de nos jours).

Albert de Broglie a commenté cette loi très importante du 20 novembre 1873 dans ses mémoires : « Le septennat du maréchal de Mac Mahon, constitué au lendemain de l'échec de la fusion, nous donnait un délai de quelques années pendant lesquelles la porte restait ouverte à la monarchie : le comte de Chambord pouvait réfléchir et revenir sur ses prétentions, ou la France se résigner à les accepter. Nous donnions ainsi du temps et en quelque sorte de la marge aux événements. Le trône restait vacant et j'avais réussi à y faire asseoir, sous le nom de Président, un véritable lieutenant-général du Royaume, prêt à céder la place, le jour où le roi aurait été en mesure de la prendre. ».


La loi du 20 novembre 1873 a ajouté une autre disposition très importante : la création d'une commission de trente députés chargée de rédiger une Constitution, à majorité monarchiste. Celle-ci ne s'est pas réunie tout de suite, dans l'objectif de préparer la Restauration, mais au fil des renouvellements de l'Assemblée, les bonapartistes ont eu de nouveau le vent en poupe, si bien que les républicains et les monarchistes se sont mis d'accord pour rédiger rapidement les lois constitutionnelles de 1875.

Entre 1874 et 1875, la nature même du septennat était en discussion : les républicains voulaient l'instituer comme une règle générale pour le Président de la République alors que les monarchistes ne voulaient l'associer qu'à Patrice de Mac Mahon précisément dans l'attente d'une Restauration. Le député Jean Casimir-Périer (futur Président de la République) a déposé une proposition de loi constitutionnelle proclamant : « Le gouvernement de la République se compose de deux chambres et d'un Président. ». Elle a été rejetée par les monarchistes qui ne voulaient pas entendre parler de République.

Le débat parlementaire a eu lieu à partir du 21 janvier 1875 sur le texte proposé par la Commission des Trente, un texte très spécifiquement neutre au point que le mot République était absent. Le clivage était fort à l'Assemblée. Le député Henri Wallon a alors proposé un amendement, le fameux amendement Wallon, qui disait : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. ». Cet amendement a été adopté le 30 janvier 1875 par 353 voix pour et 352 voix contre. En inscrivant clairement "Président de la République", on reconnaissait que le régime était républicain. On a dit ainsi que la Troisième République est née avec une majorité d'une voix, mais ce n'est pas vraiment exact, car, selon le constitutionnaliste François Goguel, elle a été confirmée surtout avec le vote global de toute la loi du 25 février 1875, soit une majorité nettement plus large, 425 pour et 254 contre.
 


Henri Wallon a défendu son amendement devant ses collègues avec les arguments suivants : « Dans la situation où est la France, il faut que nous sacrifiions nos préférences, nos théories. Nous n'avons pas le choix. Nous trouvons une forme de gouvernement, il faut la prendre telle qu'elle est ; il faut la faire durer. Je dis que c'est le devoir de tout bon citoyen. J'ajoute, au risque d'avoir l'air de soutenir un paradoxe, que c'est l'intérêt même du parti monarchique. En effet, ou la République s'affermira avec votre concours et donnera à la France le moyen de se relever et de recouvrer sa prospérité, de reprendre sa place dans le monde, et alors vous ne pourrez que vous réjouir du bien auquel vous aurez contribué ; ou bien votre concours même sera insuffisant ; on trouvera qu'il n'y a pas assez de stabilité dans le pouvoir, que les affaires ne reprennent pas, et alors, après une épreuve loyale, le pays reconnaissant des sacrifices d'opinion que vous aurez fait, du concours que vous aurez apporté à la chose publique, sera plus disposé à suivre vos idées, et ce jour là vous trouverez le concours de ceux qui, aujourd'hui, ont une autre opinion, mais qui, éclairés par l'expérience et voulant comme nous, avant tout, le bien du pays, vous aideront à faire ce que le pays réclame. Ma conclusion, messieurs, c'est qu'il faut sortir du provisoire. Si la monarchie est possible, si vous pouvez montrer qu'elle est acceptable, proposez-la. Mais il ne dépend pas malheureusement de vous, ici présents, de la rendre acceptable. Que si, au contraire, elle ne paraît pas possible, eh bien, je ne vous dis pas : Proclamez la République !… mais je vous dis : Constituez le gouvernement qui se trouve maintenant établi et qui est le gouvernement de la République ! Je ne vous demande pas de le déclarer définitif. Qu'est-ce qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire. Faites un gouvernement qui ait en lui les moyens de vivre et de se continuer, qui ait aussi en lui les moyens de se transformer, si le besoin du pays le demande ; de se transformer, non pas à une date fixe comme le 20 novembre 1880, mais alors que le besoin du pays le demandera, ni plus tôt ni plus tard. Voilà, messieurs, quel était l'objet de mon amendement. ». Le 20 novembre 1880 était la date prévue de fin du mandat présidentiel de Patrice de Mac Mahon (sept ans après la loi du 20 novembre 1873).

L'amendement Wallon faisait état d'un Sénat, et c'est probablement le premier accord entre monarchistes et républicains, avec l'adoption de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 sur l'organisation du Sénat, avec 435 pour et 234 contre. C'est donc aussi le cent cinquantième anniversaire du Sénat français.

Ce premier élément de compromis a été le bicaméralisme, à savoir de créer une seconde chambre du Parlement pour instaurer un contre-poids au pouvoir démocratique, dans l'inspiration du député Antonin Lefèvre-Pontalis, membre de la Commission des Trente : « La pensée principale qui en ressort, c’est que, pour assurer à un pays les bienfaits de la liberté politique, il doit y avoir, dans toute constitution, un centre de résistance contre le pouvoir prédominant : dès lors, dans une société démocratique comme la nôtre, il importe de chercher et de trouver un contrepoids contre la démocratie elle-même. ».

Ainsi, à l'instar d'Albert de Broglie qui prônait « une chambre de résistance contre le torrent des innovations téméraires », les monarchistes étaient rassurés en verrouillant la désignation du Sénat par les grands électeurs issus des collectivités locales, permettant la constance d'une majorité conservatrice, qui pouvait faire contre-poids à une chambre des députés de plus en plus républicaine et progressiste. Quant aux républicains, qui ne souhaitaient pas la République des révolutionnaires de 1789, ils acceptaient le principe de contre-pouvoir pour arriver à un compromis dans la rédaction des lois, dès lors que le mot "République" était mentionné.

Une deuxième loi constitutionnelle date du 25 février 1875 sur l'organisation des pouvoirs publics, et une troisième du 16 juillet 1875 sur les rapports entre les pouvoirs publics adoptée par 520 pour et 84 contre.

Dans un discours important prononcé le 23 avril 1875 à Belleville, Gambetta a déclaré à ce propos : « On a fait une Constitution, on ne l’a pas beaucoup discutée. On a organisé des pouvoirs, on ne les a pas très minutieusement et, si je puis le dire, on ne les a pas très analytiquement examinés et coordonnés. On a été vite, et cependant savez-vous ce qui est arrivé ? C'est que l’œuvre vaut mieux, peut-être, que les circonstances qui l’ont produite ; c’est que, si nous voulons nous approprier cette œuvre et la faire nôtre, l’examiner, nous en servir, la bien connaître surtout, afin de bien l’appliquer, il pourrait bien se faire que cette Constitution, que nos adversaires redoutent d’autant plus qu'ils la raillent, que nos propres amis ne connaissent pas encore suffisamment, offrît à la démocratie républicaine le meilleur des instruments d’affranchissement et de libération qu’on nous ait encore mis dans les mains. ».
 


Ces trois lois constitutionnelles de 1875 sont considérées comme la Constitution de la Troisième République, un texte un peu chaotique, sans ligne directrice, très courte (seulement trente-quatre articles), sans préambule, sans déclaration sur les valeurs ou les références philosophiques qui l'ont inspirée. Chaque article, sans suite logique, n'a été qu'un compromis ponctuel entre les partis, et chaque parti espérait modifier les articles lorsqu'ils serait au pouvoir, d'autant plus que la procédure pour réformer ces lois constitutionnelles n'était pas contraignante (ces lois votées gardaient donc un arrière-goût d'état provisoire).

Parmi les mesures importantes décrites par ces lois, il y avait l'irresponsabilité du Président de la République devant les parlementaires, au contraire des ministres responsables devant le Parlement : « Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. » (article 16 de la loi du 25 février 1875). Cette irresponsabilité présidentielle est un trait purement monarchique, rapprochant le Président d'un roi.

De même, le Président de la République n'avait plus le droit de s'exprimer devant les parlementaires et ne pouvait s'adresser à eux qu'au moyen de messages écrits lus par chaque président d'assemblée. Cette disposition a été reprise le 27 octobre 1946 et le 4 octobre 1958, jusqu'au 23 juillet 2008 (possibilité au Président de la République de s'exprimer devant le Parlement réuni en congrès à Versailles seulement une fois par an, sans qu'il n'y ait débat ; cette disposition a été appliquée à ce jour seulement quatre fois).

Plus curieusement, le personnage central du pouvoir sous la Troisième République n'est pas mentionné dans les lois constitutionnelles, à savoir le Président du Conseil. Seul est mentionné le Conseil des ministres, responsable devant le Parlement, également chargé d'assurer l'intérim en cas de vacance du Président de la République. Dans la pratique, le Président du Conseil a pris une importance décisive, et sa fonction et son rôle ont été confirmés explicitement par la Quatrième République. Thiers, prenant acte qu'il n'était plus tout seul responsable devant l'Assemblée, a signé un décret le 2 septembre 1871 instituant le « Vice-Président du Conseil » (puisque c'était lui qui présidait le conseil des ministres), à l'époque en la personne de Jules Dufaure, poste qui est devenu Président du Conseil dans la pratique institutionnelle ultérieure (Mac Mahon a ainsi nommé, le 23 février 1876, Jules Dufaure Président du Conseil).


Avec l'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884, les députés républicains, désormais majoritaires, ont amendé la loi du 25 juillet 1875 avec cette phrase également maintenue pour la Cinquième République : « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision. ». Ce qui a rendu juridiquement impossible tout retour à la monarchie (ou à l'empire). Cette révision a proposé aussi : « Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la Présidence de la République. ».
 


Ayant réussi à doter la France de lois constitutionnelles, l'Assemblée Nationale s'est auto-dissoute le 8 mars 1876. Les élections législatives des 20 février et 5 mars 1876 ont donné une très large majorité républicaine (361 sièges sur 533), entrant en confrontation avec le Président Patrice de Mac Mahon, provoquant une grave crise institutionnelle (crise du 16 mai 1877), et de nouvelles élections après une dissolution avec un thème de campagne de Gambetta qui a imposé à Mac Mahon de se soumettre ou de se démettre, comme il l'a proclamé lors de son discours de campagne le 15 août 1877 à Lille : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre. ».
 


Avec le successeur de Mac Mahon, le premier Président réellement républicain, Jules Grévy, qui s'est interdit toute dissolution de la Chambre des députés (pourtant permise par l'article 5 de la loi du 25 février 1875), la Troisième République qui donnait autant de pouvoirs au Président de la République que sous la future Cinquième République, a consolidé, dans la pratique de ses acteurs, le régime d'assemblée. Par la suite, seul le Président Alexandre Millerand a tenté de reprendre ce pouvoir de 1875, puis les Présidents du Conseil André Tardieu puis Gaston Doumergue (en 1934) ont tenté de réformer ces lois constitutionnelles pour donner plus de pouvoirs au gouvernement face aux assemblées. Mais ces trois tentatives ont échoué.

Malgré la légèreté du texte constitutionnel, son manque de lien logique, l'absence d'inspiration philosophique, la Troisième République aura été, pour le moment, le régime le plus long et, pendant longtemps, le plus efficace de tous les régimes depuis la Révolution française (notamment pendant la Première Guerre mondiale). En matière constitutionnelle, la pratique l'emporte toujours sur le théorique, si bien que l'action des acteurs politiques est bien plus déterminante que la volonté initiale du constituant.

Si la Troisième République a tant duré, c'est grâce à sa souplesse. C'est aussi la raison pour laquelle la Cinquième République va avoir une longévité bientôt équivalente. Parce qu'elle est très souple. Les événements politique depuis le 7 juillet 2024 (absence totale de majorité parlementaire) en ont donné une nouvelle démonstration, après le 10 mai 1981 (première alternance) et le 16 mars 1986 (première cohabitation).



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 février 2025)
http://www.rakotoarison.eu


(La première illustration représente le député Henri Wallon portant la Constitution, dessiné par Gill, publié le 6 mars 1875 dans "L'Éclipse").


Pour aller plus loin :
Site de l'Assemblée Nationale sur le sujet.
Les 150 ans des lois constitutionnelles de la IIIe République.
Site de l'Assemblée Nationale (événement).
Jean Jaurès.
Panthéon versus wokisme !
Centenaire du drame.
Anatole France.
Alexandre Dumas fils.
Pierre Waldeck-Rousseau.
Alexandre Millerand.
La victoire des impressionnistes.
Les 120 ans de l'Entente cordiale.
Mélinée et Missak Manouchian.
Le Débarquement en Normandie.
La crise du 6 février 1934.
Gustave Eiffel.

Maurice Barrès.
Joseph Paul-Boncour.
G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
Jean Zay.
Le général Georges Boulanger.
Georges Clemenceau.
Paul Déroulède.
Seconde Guerre mondiale.
Première Guerre mondiale.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
Charles Maurras.
L’école publique gratuite de Jules Ferry.
La loi du 9 décembre 1905.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Rosa Luxemburg.
La Commune de Paris.
Le Front populaire.
Le congrès de Tours.
Georges Mandel.
Les Accords de Munich.
Édouard Daladier.
Clemenceau a perdu.
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
L'attentat de Sarajevo.
150 ans de traditions républicaines françaises.


 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250224-lois-constitutionnelles-1875.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-150-ans-des-lois-259019

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/17/article-sr-20250224-lois-constitutionnelles-1875.html


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16 février 2025 7 16 /02 /février /2025 03:37

« François-Xavier Ortoli (1925–2007) représente une personnalité profondément originale au sein des élites politiques françaises de la deuxième moitié du XXe siècle. » (Éric Bussière et Pauline Massis Desmarest, 2016).




 


Il y a 100 ans est né François-Xavier Ortoli à Ajaccio. Qui était-il ? Il était l'un des nombreux "barons" du gaullisme, très proche du Président Georges Pompidou. Haut fonctionnaire, député, ministre, chef d'entreprise, il a eu également une action très influente, pendant treize ans, en Europe.

En raison de la profession de son père, François-Xavier Ortoli a passé toute son enfance en Indochine. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944-1945, il s'est engagé dans la résistance contre les Japonais en Indochine, ce qui lui valu, entre autre, la croix de guerre et la médaille de la Résistance. Il a fait partie de la génération des derniers qui ont combattu pendant la guerre, Valéry Giscard d'Estaing s'est également engagé in extremis, bien qu'encore plus jeune d'un an (né le 2 février 1926).

À la sortie de la guerre, François-Xavier Ortoli a suivi l'ENA (il a fait partie de la première promotion de l'ENA, aux côtés de Jacques Duhamel, Simon Nora, Yves Guéna et Alain Peyrefitte). Il en est sorti inspecteur des finances en avril 1948 et s'est destiné à la modernisation économique de la France d'après-guerre et à son insertion internationale (après l'ENA, il est entré à la DREE, Direction des relations économiques extérieures).

Ce fut donc une carrière toute tracée de haut fonctionnaire qui l'attendait. Il a fait partie de ces jeunes résistants et technocrates qui ont accompagné le retour au pouvoir de De Gaulle dans les années 1960, sur lesquels le pouvoir gaulliste savait compter pour redresser la France dans son économie et son influence internationale. Comme beaucoup d'entre eux, François-Xavier Ortoli a franchi le pas du haut fonctionnaire à l'homme politique.

Sous la Quatrième République, François-Xavier Ortoli a intégré plusieurs cabinets ministériels. En 1957, il a participé aux négociations qui aboutirent au Traité de Rome. Très brièvement, en janvier 1958, il a été chef de cabinet du commissaire européen Robert Lemaignen. Puis, de 1958 à 1961, il a été nommé par Robert Marjolin, Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances de 1958 à 1967, au sein de la technocratie européenne pour le début de l'application du Traité de Rome, en tant qu'influent directeur général du marché intérieur de la CEE. Il est devenu « l'un des chefs de file des hauts fonctionnaires européens de la Commission ».

Au printemps 1961, il est retourné dans la haute administration française pour coordonner à l'échelon interministériel l'élaboration et le suivi de la politique européenne de la France, en tant que secrétaire général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (le même sujet mais vu du côté français) dépendant directement du Premier Ministre (à l'époque Michel Debré).

Le point culminant de sa carrière administrative a été sans aucun doute les longues années où il travailla pour Georges Pompidou en étant son directeur de cabinet à Matignon de 1962 à 1966 (tout en cumulant son ancienne responsabilité, ce qui montrait l'importance qu'accordait Georges Pompidou aux questions européennes). Un poste stratégique, au cœur du pouvoir, et étonnamment stable pour une fonction hyperinstable. Cela a été à l'origine de sa transformation de technocrate (collaborateur, conseiller) en politique (acteur, décideur).


À l'époque, se réunissaient tous les matins à Matignon, autour de Georges Pompidou : François-Xavier Ortoli (dircab), Olivier Guichard (chargé de mission), Simone Servais (attaché de presse), Pierre Juillet (conseiller technique), Alain Peyrefitte (Ministre de l'Information), puis, un peu plus tard, ont rejoint Michel Jobert (directeur adjoint de cabinet, dircab après François-Xavier Ortoli), Jean Donnedieu de Vabres (secrétaire général du gouvernement, le prédécesseur de François-Xavier Ortoli).

Après l'élection présidentielle de décembre 1965, François-Xavier Ortoli a été nommé Commissaire général au Plan de janvier 1966 à avril 1967. Au conseil des ministres du 2 mars 1966, le Premier Ministre Georges Pompidou a présenté les trois comités chargés d'éclairer l'exécution du Plan : un premier comité dirigé par François-Xavier Ortoli chargé du développement industriel, un deuxième dirigé par Simon Nora (inspecteur des finances) chargé des entreprises publiques et un troisième dirigé par Claude Lasry (du Conseil d'État) chargé des coûts et du rendement des services publics (on se préoccupait déjà de l'efficacité de la dépense publique, des missions, programmes et actions de l'État, LOLF et RGPP avant l'heure !).

Après notamment celui de Marcel Boiteux (futur patron d'EDF), François-Xavier Ortoli a été l'auteur de l'un des nombreux rapports d'industriels et de hauts fonctionnaires qui demandaient de lancer le Plan Calcul (finalement lancé le 13 avril 1967), à savoir un investissement massif pour l'informatique, afin de préserver la souveraineté nationale dans ce domaine (ce qui est fait aussi, actuellement, pour l'intelligence artificielle et la physique quantique). Le constat était que la France disposait de trente fois moins de calculateurs que les États-Unis (et deux fois moins que l'Allemagne) et qu'elle avait besoin d'automatiser ses tâches industrielles, en particulier sur les risques technologiques et naturels liés à la production d'énergie (hydraulique, nucléaire, pétrole, etc.).

Ce plan a été présenté par François-Xavier Ortoli au conseil des ministres du 19 juillet 1966. Après un « débat nourri », De Gaulle a conclu : « Le rapport présenter par le Commissaire général au Plan est approuvé. Les grandes lignes du Plan Calcul sont arrêtées. Il sera institué auprès du Premier Ministre une délégué interministériel. Il sera le seul habilité à traiter avec les industriels au nom du gouvernement. Il coordonnera les achats des administrations et du secteur parapublic. Il harmonisera les efforts de recherche. Il mettra au point un "recyclage" des ingénieurs. En fait, nous allons créer cette industrie de l'informatique, puisque l'initiative privée n'en a pas été capable. Le délégué, il faut qu'il ait un titre autre d'électronique. Il aura un rôle vis-à-vis des groupes industriels, un rôle dans la formation des hommes. Il devra veiller sur la commission des équipements administratifs. Il faudra que cet homme connaisse le commerce et l'industrie. Il aura aussi pour tâche de développer l'enseignement des disciplines scientifiques nécessaires à la fabrication et à l'utilisation des calculateurs. Un Institution d'informatique et d'automatique sera créé et placé sous sa présidence. ».


François-Xavier Ortoli, dont le rapport a été approuvé par l'Assemblée le 16 juillet 1966, a réclamé le développement d'une réelle industrie informatique française et européenne, ce qui a abouti, parallèlement au constructeur Bull (deuxième mondial dont les actions se sont écroulées au début des années 1960), à la création de la CII (Compagnie internationale pour l'informatique) au sein d'Unidata, un consortium européen pour bâtir les innovations informatiques à l'échelle européenne (on parlait déjà de créer "l'Airbus de l'informatique"). Le plan a aussi créé des filières informatiques dans l'informatique, notamment des diplômes délivrés par les IUT qui venaient d'être créés le 7 janvier 1966, ainsi que l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), créé le 30 novembre 1966 (initialement IRIA).

Ce volontarisme politique est venu de De Gaulle lui-même, très conscient des enjeux pour l'avenir, capable d'anticiper une situation ultérieure et prêt à ce que l'État prît toutes ses responsabilités : « À ce jour, l'industrie étrangère du calcul, favorisée à la fois par la dimension de ses entreprises et par d'énormes programmes publics, a pris une position dominante sur le marché mondial. Disposant d'un triple atout : avance technique considérable, réseau commercial présent partout, et moyens financiers très puissants, elle paraît en mesure d'empêcher toute création d'une industrie concurrente par des entreprises livrées à leurs seules forces (…). Il est donc nécessaire que l'État apporte son aide. ».

Le 8 octobre 1966, l'ancien résistant et centralien Robert Galley, patron de l'usine de Pierrelatte, a été nommé délégué à l'informatique auprès du Premier Ministre et président du conseil d'administration de l'INRIA (Robert Galley allait aussi avoir un brillante carrière politique, ministre et député-maire de Troyes à partir de 1968, à l'instar de François-Xavier Ortoli ou Albin Chalandon ; Robert Galley était même parmi les candidats potentiels à Matignon en 1968, ce qui donnait l'importance de l'informatique dans l'esprit du Général).

 


Le 28 avril 1967, ce fut la consécration politique quand François-Xavier Ortoli a été nommé Ministre de l'Équipement et du Logement dans le gouvernement de Georges Pompidou. Il a succédé à Edgard Pisani et s'est choisi Georges Pébereau (frère du futur patron de BNP Paribas) comme directeur de cabinet. Il y est resté jusqu'au 31 mai 1968 (son successeur fut Robert Galley) et, à cause de la révolte étudiante de mai 68, a été bombardé Ministre de l'Éducation nationale (succédant à Alain Peyrefitte) du 31 mai 1968 au 10 juillet 1968 (ce qui donnait un aperçu de la confiance qu'il inspirait).

En tant que ministre, François-Xavier Ortoli a participé à tous les débats de politique nationale. Ainsi, selon les notes d'Alain Peyrefitte, il a pris part à la discussion engagée par De Gaulle sur la pilule contraceptive au conseil des ministres du 7 juin 1967. L'avis de François-Xavier Ortoli, comme beaucoup d'autres ministres, a été en faveur du principe de réalité : « La décision est inévitable, mais je la regrette. N'oublions pas que le redémarrage de l'économie après la guerre a été liée au redressement de notre démographie. ». Cela a donné la loi Neuwirth promulguée le 29 décembre 1967. Au conseil des ministres du 23 mai 1968, en pleine "chienlit" de mai 68, François-Xavier Ortoli était favorable au référendum que De Gaulle s'apprêtait à annoncer pour rebondir face aux événements : « Nous ne devons pas demander les pleins pouvoirs, mais la confiance. Il faut engager ce référendum dans un esprit de dialogue. ».

Dans sa lancée, François-Xavier Ortoli a été élu député de Lille en juin 1968 dans la grande vague gaulliste puis conseiller général de Lille-Ouest de 1969 à 1975. Il ne resta pas longtemps député car sa présence au gouvernement a été confirmée par le nouveau Premier Ministre Maurice Couve de Murville, à un poste stratégique puisqu'il a été nommé Ministre de l'Économie et des Finances du 12 juillet 1968 au 16 juin 1969 (succédant à Maurice Couve de Murville lui-même). Après l'élection du Président Georges Pompidou, après avoir transmis l'Économie et les Finances à Valéry Giscard d'Estaing, de retour rue de Rivoli, François-Xavier Ortoli a poursuivi sa tâche ministérielle comme Ministre du Développement industriel et de la Recherche scientifique du 22 juin 1969 au 5 juillet 1972 dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas (il a succédé à André Bettencourt et a repassé son ministère à Jean Charbonnel).

Ensuite, François-Xavier Ortoli allait être à Georges Pompidou ce qu'allait être Jacques Delors à François Mitterrand, l'économiste et l'Européen de service. En effet, il a été désigné, au Sommet européen de Paris du 21 octobre 1972, le premier Président français de la Commission Européenne du 6 janvier 1973 au 5 janvier 1977, juste après l'intégration du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark. Pendant ces quatre années, il a dû faire face au premier choc pétrolier consécutif à la guerre du Kippour et à l'invasion turque de Chypre. Dans la Commission Ortoli ont siégé deux Français, Jean-François Deniau (RI) et Claude Cheysson (PS), chargés de la politique de développement et de coopération, du Budget et du Contrôle financier. Par ailleurs, siégeait aussi, entre autres, chargé de la politique industrielle et technologique, l'Italien Altiero Spinelli, fédéraliste européen important dans la construction européenne, futur auteur du rapport qui allait proposer ce qui deviendrait le Traité de Maastricht, rapport approuvé par le Parlement Européenne le 14 février 1984. Ainsi que les premiers commissaires britanniques, en l'occurrence le conservateur Christopher Soames (Vice-Président chargé des relations extérieures) et le travailliste George Thomson (chargé de la politique régionale).

Après le premier élargissement, la situation européenne en 1973 demandait une redynamisation du processus d'intégration (encouragée encore plus avec l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la Présidence de la République française en 1974), autour de plusieurs priorités : union économique et monétaire, politique régionale, industrielle et sociale, coopération. Mais la conjoncture économique était difficile en raison du premier choc pétrolier, ce qui rendait l'action de François-Xavier Ortoli difficile. De plus, la création du Conseil Européen le 10 décembre 1974 (voulue par VGE afin, déjà, de débureaucratiser la vie européenne) a réduit mécaniquement le rôle de la Commission Européenne.


François-Xavier Ortoli a fait son premier discours de Président de la Commission Européenne le 16 janvier 1973 et a présenté ses objectifs le 13 février 1973 « avec le souci particulier des respecter, de renforcer la collégialité ». Au Conseil Européen des 1er et 2 avril 1976, la Commission Ortoli a proposé de réduire les conditions d'entrée ou de maintien au sein du serpent monétaire européen, considérant qu'il valait mieux être moins ambitieux sur les contraintes mais qu'il y en eût, ce qu'avait proposé dès 1974 le Ministre français de l'Économie et des Finances Jean-Pierre Fourcade.

À la fin de l'année 1976, François-Xavier Ortoli a fait un bilan de l'action de sa Commission pendant ses quatre années d'exercice, dans un contexte difficile d'augmentation de l'inflation et d'effondrement du système monétaire international. Cela a provoqué l'abandon ou le retard de politiques d'intégration plus forte (en particulier l'union économique et monétaire). Voici les principales avancées de la Commission Ortoli : élargissement au Royaume-Uni, Irlande et Danemark ; début des négociations avec la Grèce ; poursuite de la politique agricole commune (PAC) ; développement du Fonds social et création du Fonds régional ; mise en œuvre d'une politique de coopération avec le Tiers-monde ; capacité de la Communauté à s'exprimer d'une seule voix dans les instances internationales ; accord sur l'élection du Parlement Européen au suffrage universel direct ; accroissement du rôle politique de la Commission pour remplir son rôle d'inspirateur de la construction européenne, etc.


Sur les institutions européennes, la Commission Ortoli a prôné plus de démocratie : « Des progrès fondamentaux ont (…) été réalisés en matière institutionnelle. Les chefs de gouvernement, réunis dans le Conseil Européen, participent désormais directement à la marche des affaires communautaires. La Communauté a dès lors gagné en autorité et en efficacité. Cette présence active des chefs de gouvernement au sein de l'exécutif communautaire constitue aussi une des raisons pour lesquelles nous devons également traduire plus réellement dans nos institutions la démocratie qui constitue le fondement même de l'union entre nos pays et nos peuples. Sur bien des points, les propositions de la Commission ont été suivies par le Conseil et les actions indispensables ont été lancées. ». Et François-Xavier Ortoli de conclure : « J'avais dit, en au début de 1974, que le destin de l'Europe balançait et que c'était à nous de faire en sorte qu'il penche, une fois de plus, du bon côté. Aujourd'hui, rien n'est sans doute gagné, car, dans la Communauté, aucun progrès ne peut être considérer comme définitivement acquis. En revanche, des chemins ont été tracés, et la Communauté s'y est résolument engagée. Ils mènent déjà vers une solidarité plus forte, vers une résolution en commun de nos problèmes internes et vers l'affirmation de notre rôle dans le monde. ».

À la fin de son mandat à la tête de la Commission Européenne, François-Xavier Ortoli est resté encore plusieurs années membre de cette Commission, représentant de la France, comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé des Affaires économiques et financières, du Crédit et des Investissements, du 6 janvier 1977 au 5 janvier 1985, servant deux Commissions, celle présidée par le Britannique travailliste Roy Jenkins puis celle présidée par le Luxembourgeois centriste Gaston Thorn (à partir du 6 janvier 1981). Son rôle a été déterminant dans la mise en œuvre du Système monétaire européen (SME). Par ailleurs, François-Xavier Ortoli a contribué de manière essentielle à l'inflexion de la politique économique de la France en 1982-1983 (le fameux tournant de la rigueur).

Le mandat de la Commission Européenne était à l'époque d'une durée de quatre ans et pas cinq, sans rapport avec les échéances de renouvellement du Parlement Européen. En janvier 1985 a succédé la Commission Européenne présidée par Jacques Delors pendant dix ans, le Traité de Maastricht, à la fin de cette période, ayant fait coïncidé les mandats de la Commission avec les mandats du Parlement Européen (de cinq ans) et l'instance est devenue plus politique que technocratique.

À l'occasion de la sortie d'un livre publié par Éric Bussière et Pauline Massis Desmarest qui a rassemblé un ensemble de discours et textes de François-Xavier Ortoli sur son action comme Président de la Commission Européenne (éd. Peter Lang), l'Institut Georges-Pompidou a organisé un colloque le 22 mars 2007 à Paris pour exposer le témoignage de Bernard Ésambert, ancien conseiller industriel de Georges Pompidou. Un autre colloque organisé toujours par l'Institut Georges-Pompidou, sous le haut patronage du Président Emmanuel Macron, a été organisé les 9 et 10 octobre 2024 à l'occasion du centenaire de François-Xavier Ortoli où sont intervenus, entre autres, Bernard Ésambert, Éric Bussière, Emmanuelle Ortoli, Yves Thibault de Silguy (futur commissaire européen, qui fut membre du cabinet de François-Xavier Ortoli entre 1981 et 1984 lorsqu'il était Vice-Président de la Commission), et José Manuel Barroso, qui fut Président de la Commission Européenne de 2004 à 2014 après avoir dirigé le gouvernement portugais.

Les propos introductifs de ce second colloque étaient ainsi : « François-Xavier Ortoli est l’une des personnalités qui illustre le mieux les mutations du cadre politique dans lequel la France s’est insérée depuis les années 1950 et le rôle que quelques grands acteurs ont joué dans ce processus. Le processus d’intégration européenne a en effet déterminé la quasi-totalité de sa carrière depuis les années 1950, une carrière partagée entre les responsabilités exercées dans le cadre national et dans le cadre européen. Celles d’un des principaux collaborateurs de Georges Pompidou, Premier Ministre puis Président de la République d’un côté, celles de Président puis de Vice-Président de la Commission Européenne de l’autre. ».


Après cinq ans dans les gouvernements français (dont le Ministère de l'Économie et les Finances) et dix ans à la Commission Européenne (dont la Présidence), François-Xavier Ortoli aurait pu prétendre à un leadership politique chez les gaullistes. Mais en 1985, en France, gouvernait un gouvernement socialo-communiste, et l'homme politique s'est effacé derrière le haut fonctionnaire. À l'instar d'Albin Chalandon, la carrière de François-Xavier Ortoli a pris un tournant industriel en étant nommé patron de la Compagnie françaises des pétrole, futur Total, de 1985 à 1990 (nommé par le Président François Mitterrand en octobre1984). Il a pris part à la création d'organisations patronales internationales qu'il a dirigées, comme l'ERT (European roundtable of industrialists), l'AUME (Association pour l'union monétaire de l'Europe), et, en tant que président du CNPF International (Medef International), il a cofondé l'ASEM (Asia-Europe meeting) en 1996.

Attaché au développement économie et international de la France et de l'Europe depuis la fin de la guerre, François-Xavier Ortoli a donc été essentiel dans la politique européenne de la France dans les années 1960, 1970 et même 1980, et il a participé, avec Jacques Delors, à la puissante influence de la France dans la construction européenne de 1973 à 1995, sous les Présidences de Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Il a été, comme beaucoup d'autres de sa génération, un responsable politique qui, à l'époque, attachait bien plus d'importance à l'intérêt national qu'aux simples intérêts partisans. Qu'il puisse être encore un modèle au service des citoyens.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 février 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François-Xavier Ortoli.
Bruno Retailleau.
Jean Tiberi.
Édouard Philippe.
Nicolas Sarkozy.
Laurent Wauquiez.
Aurore Bergé.
Alain Peyrefitte.
La sagesse inattendue de Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250216-francois-xavier-ortoli.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-xavier-ortoli-le-plan-258861

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/02/15/article-sr-20250216-francois-xavier-ortoli.html



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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 03:27

« Ceux qui discutaient ses idées et qui savaient sa force sentaient aussi ce que, dans nos controverses, ils devaient à ce grand foyer de lumière. Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s'inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n'y a plus que des Français... des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices, et qui, aujourd'hui sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, liberté de la France et de l'Europe. Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union ! De ses lèvres glacées sort un cri d'espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n'est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » (Paul Deschanel, le 4 août 1914 au perchoir de l'Assemblée Nationale).




 


Il y a cent ans, le dimanche 23 novembre 1924, les cendres de Jean Jaurès ont été transférées au Panthéon (depuis sa tombe au grand cimetière d'Albi) à l'occasion d'une grande cérémonie à vocation républicaine mais aussi politique. Jaurès, comme Gambetta, Clemenceau, De Gaulle, Foch et Leclerc, fait partie des très rares personnalités de la République française à généralement ne pas avoir son prénom collé à son nom, tellement ils font partie du paysage politique et historique.

Pour l'occasion, la ville de Carmaux (dans le Tarn), dont Jaurès était l'élu (il voulait représenter les mineurs de Carmaux), a proposé à ses administrés un voyage organisé à Paris du 22 au 24 novembre 2024 pour revivre les moments Jaurès, à l'ancienne gare d'Orsay, au café du Croissant, au Palais-Bourbon, au Palais du Luxembourg, et bien sûr, au Panthéon.

 


Le leader du socialisme à la française, fondateur du journal "L'Humanité", est mort assassiné un peu plus de dix ans auparavant, le 31 juillet 1914, sous les balles d'un assassin d'extrême droite, alors qu'il prenait un repas dans un restaurant parisien. La mort du pacifiste coïncide aussi avec le début de la Première Guerre mondiale, déclarée le 3 août 1914 à la France par l'Allemagne à la suite d'un déchaînement d'événements provoqués par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche, l'héritier de l'empire austro-hongrois (et sa femme), le 28 juin 1914 à Sarajevo par un nationaliste serbe (l'Autriche-Hongrie avait déjà déclaré la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914).

Pour les socialistes, l'assassinat de Jaurès et le début de la guerre ont définitivement coupé leur élan pacifiste et plongé la classe politique française dans l'Union nationale face à l'ennemi. C'est bien beau d'être pacifiste, mais si on vous déclare la guerre, il faut bien répondre, sinon, on est envahi (c'est l'objet de la résistance ukrainienne face aux troupes de Vladimir Poutine depuis plus de mille jours). C'est d'ailleurs un socialiste, René Viviani, cofondateur de "L'Humanité", qui, devenu Président du Conseil le 13 juin 1914, allait mettre en place et mener l'Union nationale au début de la guerre.


Le 4 août 1914, après l'hommage du Président de la Chambre Paul Deschanel (futur Président de la République en 1920) à Jean Jaurès, René Viviani a d'ailleurs lu le fameux message du Président de la République Raymond Poincaré annonçant la guerre : « Aussi attentive que pacifique, [la France] s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes, et à l'abri desquelles s'achèvera métho­diquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle, s'est levée, toute frémissante, pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. ».

Le message très consensuel (voir en début d'article) de Paul Deschanel, alors républicain modéré (aujourd'hui, de centre droit), en hommage à Jean Jaurès (socialiste), qui avait pour ambition de rassembler toute la classe politique derrière le seul impératif, défendre la patrie, en pleine déclaration de guerre, était aussi un premier signe de volonté de consensus des grands hommes de la République au-delà des clivages politiques.
 


Et le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon répondait d'abord à un objectif politique très déterminé : la gauche, revenue au pouvoir pour la première fois depuis la fin de la guerre, avec la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives des 11 et 25 mai 1924, voulait revenir aux sources en honorant Jean Jaurès afin de montrer que le nouveau gouvernement, dirigé par le président du parti radical Édouard Herriot depuis le 14 juin 1924, n'était pas "bourgeois". Cela permettait de mobiliser les "classes populaires" derrière ce gouvernement, tout en rendant au nom de la République (et pas de la gauche) un hommage solennel à Jean Jaurès (qui, rappelons-le, n'a jamais été au pouvoir au contraire de Georges Clemenceau et Léon Blum).

Aristide Briand, qui avait visité le Panthéon avec Jaurès, pouvait pourtant témoigner que Jaurès n'aurait jamais voulu être inhumé dans ce temple de la République, mais peut-être l'a-t-il fait savoir avec trop peu d'insistance (au contraire de De Gaulle). Voici ce qu'il disait à Aristide Briand : « Il est certain que je ne serai jamais porté ici. Mais si j’avais le sentiment qu’au lieu de me donner pour sépulture un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne, on dût porter ici mes cendres, je vous avoue que le reste de ma vie en serait empoisonné. ».

Beaucoup d'élus de gauche comme Léon Blum et aussi Paul Painlevé, voulaient quand même honorer celui qui était contre l'injustice commise au capitaine Alfred Dreyfus. Un projet de loi a donc été déposé le 9 juillet 1924 pour faire ce transfert au Panthéon et il a été adopté au Sénat et à la Chambre des députés le 31 juillet 1924, au jour symbolique du dixième anniversaire de son assassinat. À cette époque, loin de faire consensus, ce transfert avait été violemment combattu tant par les députés nationalistes de l'Action française que par les communistes qui considéraient que le Cartel des gauches volaient Jaurès alors qu'ils s'en réclamaient aussi (la scission entre communistes et socialistes au congrès de Tours était encore toute fraîche).
 


La cérémonie fut organisée minutieusement, de manière très théâtrale, selon la volonté des députés socialistes ; elle fut confiée au metteur en scène Firmin Gémier (que ceux qui y voient un parallèle avec la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Paris le 26 juillet 2024 confiée à Thomas Jolly gagnent un bon point !). Ce fut un grand moment de la République au même titre que les funérailles de Victor Hugo. Le cercueil de Jaurès est arrivé à la gare d'Orsay le 22 novembre 1924 accompagné par les mineurs de Carmaux, puis installé dans la salle Casimir Périer du Palais-Bourbon pour la nuit, où veillaient la famille, le gouvernement et quelques autres parlementaires.

En 1938, Paul Nizan donna de cette veillée une version très négative, dénonçant son insincérité politique : « C'était une intolérable nuit. Dans ce grand alvéole de pierre, Laforgue et ses amis avaient l'impression d'être les complices silencieux de politiques habiles qui avaient adroitement escamoté cette bière héroïque et cette poussière d'homme assassiné, qui devaient être les pièces importantes d'un jeu dont les autres pions étaient sans doute des monuments, des hommes, des conversations, des votes, des promesses, des médailles et des affaires d'argent : ils se sentaient moins que rien parmi tous ces types calculateurs et cordiaux. Heureusement, il venait parfois à travers les murailles et la rumeur étouffée des piétinements et des musiques, comme une rafale de cris, et ils se disaient alors qu'il devait exister dans la nuit une espèce de vaste mer qui se brisait avec de la rage et de la tendresse contre les falaises aveugles de la Chambre ; ils ne distinguaient pas de quels mots ces cris étaient faits, mais ils devinaient quelquefois Jaurès au bout de ces clameurs. ».

Le lendemain fut grandiose, raconté par un fonctionnaire de la Chambre, Georges Gatulle, cité par le site de l'Assemblée Nationale : « À midi 45, on a fait avancer le pavois destiné à recevoir le corps. Le pavois de 26 m de long, sur 5 m de haut, enveloppé de drap d'argent prolongé par une grande traîne tricolore, et surmonté d'un catafalque noir, sans ornement, a été porté à bras jusqu'au Panthéon par 70 mineurs de Carmaux en costume de travail. La levée du corps a eu lieu à 13h10 ». Environ 120 000 à 150 000 personnes auraient assisté au cortège qui s'est acheminé jusqu'au Panthéon à 14 heurs 30.


À l'intérieur du bâtiment, 2 000 invités privilégiés, dont le gouvernement et le Président de la République Gaston Doumergue, ont écouté le discours du Président du Conseil Édouard Herriot qui n'a pas prononcé une seule fois le mot de socialisme et qui a fait de Jaurès avant tout un héraut de la République : « Ce vaste esprit (…) se hausse au-dessus de l'enfer des faits et, même dans le temps où il accorde le plus à l'influence des forces économiques, il ne cesse de proclamer sa croyance au pouvoir de la libre volonté humaine dans sa lutte contre les milieux pour construire la cité d'harmonie où le travail, affranchi de ses servitudes, fleurirait comme une joie (…). Quelles que fussent, au reste, ses opinions et ses doctrines, Jaurès les inscrivit toujours dans le cadre de l'institution républicaine. (…) Il y voit "la forme définitive de la vie française" et "le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde". Mais, (…) il ne fut pas moins dévoué à la France dont toutes les qualités se retrouvaient dans son génie (…). Certes, il voulut la paix. (…) "Assurer cette paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent réduire les conflits sans violence. Assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces". C'était son programme. ».

Si c'était le seul discours politique, le premier bénéficiant de microphones pour élever le volume de la voix et la retransmettre à la radio, la cérémonie continuait avec la lecture d'un poème de Victor Hugo (lu par une sociétaire de la Comédie-Française) puis par un oratorio chanté par un chœur de six cents personnes, ce qui donne la mesure de cette cérémonie très fastueuse (qui a fait école, puisque la plupart des cérémonies ressemblent désormais à celle-ci).

Comme écrit à propos de l'adoption de la loi sur le transfert au Panthéon, il n'y avait pas consensus à l'époque puisque les communistes, exclus de la cérémonie, ont tenté de faire un défilé et une cérémonie parallèle pour protester contre la récupération politicienne de Jaurès par les radicaux et les socialistes, mais aussi, de leur côté, les militants d'extrême droite de l'Action française ont organisé avec un discours de Léon Daudet une cérémonie d'hommage à un nationaliste assassiné par une militante anarchiste qui avait voulu venger Jaurès.

Le consensus républicain sur Jaurès est arrivé bien plus tard.

Plus ou moins sincèrement, les leaders de gauche, en particulier socialistes, se sont souvent emparé de la figure tutélaire de Jean Jaurès, en se revendiquant ses héritiers. C'était le cas de Léon Blum, bien sûr, mais aussi de Pierre Mendès France, de François Mitterrand (qui, lors de son intronisation à l'Élysée, le 21 mai 1981, est descendu au Panthéon poser une rose sur la tombe de Jaurès), Lionel Jospin, et même François Hollande. Je précise bien "plus ou moins sincèrement" puisque dès 1924, avec Édouard Herriot dans cet ancrage emblématique, la sincérité était mise au service avant tout des arrières-pensées politiques !
 


Mais des personnalités dites de droite ont aussi rendu hommage à Jaurès d'une manière ou d'une autre, le premier Paul Deschanel le 4 août 1914 (voir au début de l'article), aussi De Gaulle qui n'hésitait pas à considérer Jaurès, en 1937, comme l'un des seuls hommes d'État valables de la Troisième République qui avait montré courage, intelligence et sens national, et même Nicolas Sarkozy, qui s'en revendiquait très étrangement en 2007 juste avant son élection à la Présidence de la République, et Alain Juppé venu participer à un colloque le 25 juin 2014 sur le centenaire de l'assassinat de Jaurès à la Sorbonne aux côtés de Robert Badinter, Henri Nallet, Laurent Fabius, Alain Richard, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Pierre Bergé, Jean-Noël Jeanneney, etc.

Enfin, c'est même le cas aussi de personnalités ni de gauche ni de droite, comme le Président Emmanuel Macron qui a rendu implicitement hommage à Jaurès en décidant de faire lire le 2 novembre 2020 (rentrée après les vacances de la Toussaint) sa lettre aux instituteurs et institutrices (publiée le 15 janvier 1888 dans "La Dépêche de Toulouse") aux écoliers de France à l'occasion de l'hommage national rendu à Samuel Paty qui venait d'être assassiné (le 16 octobre 2020). Jaurès avait notamment écrit : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. (…) Ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. (…) J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. ».

Comme on le voit, Jaurès est devenu l'homme de tous les courants politiques, du moins, de tous les courants républicains (je doute que l'extrême droite se réfère aujourd'hui à Jaurès). En fait, toutes les grandes personnalités de la République française, qui, durant leur existence politique, ont suscité de nombreuses passions françaises et ont été très clivantes, qui ont déchaîné adhésions massives ou rejet total, sont aujourd'hui réunies au sein d'un même consensus républicain qui les honore bien au-delà de tous les partis politiques.

C'est dans le processus républicain normal et régulier que la République "digère" (je n'ai pas d'autre verbe) ses acteurs pourtant très passionnés et très clivants (très détestés ou très admirés de leur vivant, je le répète) pour les faire aimer de toutes les générations suivantes. Les transferts au Panthéon y concourent, bien sûr, mais pour un nombre ultra-limité de personnalités politiques. D'autres moyens permettent aussi cette reconnaissance consensuelle, en particulier l'appellation des lieux, les noms de rues des villes, les noms d'établissements scolaires, les noms de différents équipements (centres culturels, salles de spectacle, aéroports, gares ou stations de métro, arrêts de bus, gymnases, etc.). Ces personnalités (souvent de la Troisième République) font désormais partie des meubles, presque au sens propre puisque parfois, les usagers de ces rues, de ces stations de métro, etc. ne connaissent plus la personne qui a donné son nom mais uniquement le lieu associé qu'ils fréquentent. Ces personnalités font partie ainsi du patrimoine commun, du patrimoine national, du patrimoine républicain.

On peut ainsi citer d'autres personnalités qui ont divisé les Français durant leur vivant (comme Jaurès) et qui sont maintenant au patrimoine commun, j'en cite quelques-uns de manière non exhaustive, bien sûr : Clemenceau, De Gaulle, Léon Blum, Pierre Mendès France, Simone Veil, on pourrait même dire Jacques Chirac. Toutes ces personnalités n'appartiennent plus à elles-mêmes, encore moins aux partis qui les soutenaient de leur vivant, mais à l'ensemble de la Nation. Tous ont-elles vocation à avoir une postérité consensuelle ? Certainement pas, on peut déjà citer Philippe Pétain, et je doute que Jean-Marie Le Pen, même après sa mort, puisse jouir de cet unanimisme du socle républicain, que sa fille ait pu ou pas parvenir à prendre le pouvoir.

Ce consensus républicain va bien au-delà des existences personnelles et aussi des grands sujets de fâcheries politiques, de polémiques nationales, de clivages républicains. Ainsi, il n'y a plus d'opposition entre républicains et monarchistes, la République a gagné, et on aurait tendance à avoir un œil de tendre compassion pour les rares monarchistes qui existent encore (un peu comme une espèce de voie de disparition). Pour la grande guerre française de la laïcité, les catholiques sont maintenant parmi les premiers défenseurs de la loi du 9 décembre 1905 qui impose la neutralité religieuse de l'État et qui, aujourd'hui, apparaît pour certains comme un rempart indispensable contre un risque de charia. On peut aussi citer la loi sur l'IVG, le mariage pour tous et l'abolition de la peine de mort. En d'autres termes, j'ai parlé de "digérer", je pourrais parler aussi de "dissoudre" (mais pas de l'Assemblée) : les valeurs de la République dissolvent les grands clivages politiques, les passions françaises.

Et le wokisme alors, que vient-il faire dans ma réflexion ? Comme son nom l'indique, il réveille ! Oui ! C'est probablement la meilleure définition de ce mouvement flou particulièrement détestable et croissant qui tend à refaire le monde, à embêter le monde. Il réveille les anciens clivages, les anciennes passions, les anciennes polémiques. C'est un mouvement résolument tourné vers le passé, ce qui est complètement stupide quand il y a tant à faire pour anticiper l'avenir, prévoir les défis du futur.

Par exemple, lorsqu'on veut détruire les statues honorant Colbert sous (mauvais) prétexte qu'il était pour l'esclavage ou le colonialisme, c'est complètement stupide. Stupide car les personnes ne sont jamais tout blanc ou tout noir, et on vient de le voir avec l'abbé Pierre (heureusement quand même que l'on ne l'a pas transféré au Panthéon, il en était question dans les années 2010 !) et Colbert a quand même été un des constructeurs majeurs de l'État et de la France.

J'ai cité Jacques Chirac comme seul représentant (actuel) de la Cinquième République (hors De Gaulle et Simone Veil), car Jacques Chirac a su, lui aussi, par son discours sur la rafle du Vel d'hiv, le 16 juillet 1995, réunifier la France et les victimes de Pétain. Cette reconnaissance était essentielle pour refermer les plaies et tourner une page particulièrement détestable de notre histoire. Parmi les responsables politiques depuis 1958, beaucoup ont reçu des hommages appuyés de leurs adversaires politiques à leur mort (entre autres : Raymond Barre, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Philippe Séguin, Jacques Delors, Robert Badinter, Michel Rocard, Dominique Baudis, etc.).

Le pire, d'ailleurs, c'est que repassionner sur des passions réchauffées n'a pas de sens. Sur l'esclavage : plus personne n'est pour l'esclavage et les rares qui le soutiennent sont des fantaisistes (comme les monarchistes français d'aujourd'hui). Idem pour le colonialisme, personne à part des électrons libres ne soutient un nouveau colonialisme, d'autant plus qu'on a déjà assez à faire avec nos territoires actuels. Par exemple, Mayotte n'est pas du colonialisme. Si ce territoire est encore français, c'était par la volonté de sa population qui ne voulait pas de l'indépendance au contraire du reste de l'archipel des Comores.


Ma conclusion n'étonnera donc pas : pour lutter efficacement contre le wokisme, il faut savoir commémorer ce qui nous rassemble au lieu d'attiser la haine et les divisions antérieures. Rappeler l'histoire, évoquer le passé, quitte éventuellement à l'embellir afin de rendre les valeurs républicaines plus éclatantes. Et chasser tous les diviseurs qui veulent exhumer les conflits anciens : il y a suffisamment de clivages du temps présent pour ne pas se préoccuper des passions passées. À chaque génération ses combats.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean Jaurès.
Le site de l'Assemblée Nationale rend hommage à Jaurès.
Panthéon versus wokisme !
Centenaire du drame.
Anatole France.
Alexandre Dumas fils.
Pierre Waldeck-Rousseau.
Alexandre Millerand.
La victoire des impressionnistes.
Les 120 ans de l'Entente cordiale.
Mélinée et Missak Manouchian.
Le Débarquement en Normandie.
La crise du 6 février 1934.
Gustave Eiffel.

Maurice Barrès.
Joseph Paul-Boncour.
G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
Jean Zay.
Le général Georges Boulanger.
Georges Clemenceau.
Paul Déroulède.
Seconde Guerre mondiale.
Première Guerre mondiale.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
Charles Maurras.
L’école publique gratuite de Jules Ferry.
La loi du 9 décembre 1905.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Rosa Luxemburg.
La Commune de Paris.
Le Front populaire.
Le congrès de Tours.
Georges Mandel.
Les Accords de Munich.
Édouard Daladier.
Clemenceau a perdu.
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
L'attentat de Sarajevo.
150 ans de traditions républicaines françaises.
 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-jaures.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-jaures-le-pantheon-et-le-257509

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