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30 avril 2021 5 30 /04 /avril /2021 03:35

« Il fallut donc songer à établir un chef suprême qui fût l’enfant de la Révolution, un chef en qui la loi corrompue dans la source, protégeât la corruption, et fît alliance avec elle. (…) On désespéra de trouver parmi les Français un front qui osât porter la couronne de Louis XVI. Un étranger se présenta : il fut choisi. » (Chateaubriand, le 30 mars 1814).



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La polémique sur la célébration du 200e anniversaire de la mort de Napoléon Ier, le 5 mai 1821, est assez curieuse et typiquement dans l’ornière des polémiques stériles franco-françaises. Et pourtant, aucune polémique n’avait eu lieu il y a à peine deux ans, en pleine torpeur estivale, le 15 août 2019, au 250e anniversaire de la naissance de l’empereur. Pourquoi préférer célébrer cet anniversaire à l’autre ? Est-ce la décision du Président Emmanuel Macron d’honorer un des hommes qui ont fait la France qui a provoqué une telle polémique ?

Alors, oui, bien sûr, j’ai hésité à rajouter dans le titre "et Macron", car évidemment, tous ces personnages sont très différents dans des contextes très différents (j’aurais pu rajouter Thiers, Gambetta, Clemenceau, Poincaré), mais vouloir célébrer une personnalité marquante, ce n’est pas forcément vouloir s’identifier à elle, c’est juste dépassionner l’histoire, la digérer, la rendre consensuelle alors qu’elle a été passionnée, passionnelle. Après tout, les gens ont la mémoire courte. La haine contre De Gaulle que l’on pouvait entendre chez les étudiants de mai 1968 a-t-elle été oubliée alors que les protagonistes sont, pour la plupart, encore vivants ? Même chose pour les défenseurs de l’Algérie française qui se sont sentis trahis par celui qui a initié l’indépendance. En fait, pas un personnage historique qui fait consensus de son vivant dans le sentiment patriotique, au contraire, c’est parce qu’il avait de la détermination, du courage, de la volonté et une vision qu’il a transcendé le conformisme ambiant pour agir et changer le cours des choses.

Tiens, imagine-t-on Napoléon à l’époque de la pandémie de covid-19 ? Nul doute que son grand talent d’organisateur aurait su imposer à la fois la manufacture des équipements de protection, la multiplicité des tests de dépistage, l’imposition du protocole dépister, tracer, isoler, la mise en place d’une stratégie de vaccination massive et sans doute l’obligation très contraignante de se faire vacciner, de s’isoler…

C’est ici évidemment de l’uchronie, ou plutôt, de l’imagination historique (c’est un peu différent de l’uchronie, il s’agit d’imaginer un personnage historique dans un autre contexte), mais ce qui est certain, c’est que Napoléon a su insuffler l’excellence scientifique française puisque le système des écoles scientifiques d’excellence vient de son organisation de l’État, tout autant que l’excellence administrative avec la création de grands corps de l’État.

Comparer Emmanuel Macron à Napoléon serait absurde et sans intérêt, probablement plus contreproductif que laudatif, mais il y a une dizaine d’années, j’entendais une ministre déléguée comparer Nicolas Sarkozy à De Gaulle et Napoléon, ce qui signifie que tout reste permis. Emmanuel Macron n’est pas Napoléon puisqu’il est d’abord Zeus (pour moi, Jupiter est une planète et le dieu, il est grec avant d’être romain), ce qui est à peine différent du Sphinx qui se faisait appeler Dieu, alias François Mitterrand.

Mais revenons à Napoléon. En analyse rationnelle, il suffirait d’inscrire deux colonnes, une qui est positive et une qui est négative, faire le bilan de l’actif et du passif. Comme je le suggérais précédemment, Napoléon est comme la Révolution, c’est un bloc (selon l’expression de Clemenceau), on prend tout ou on ne prend rien, mais on ne peut pas faire son marché sur ce qui est bien ou mauvais.

On peut se douter des motivations personnelles, besoin de reconnaissance, mégalomanie et autres formes de caricatures psychologiques, mais bon, franchement, y a-t-il au moins un candidat normal à une élection nationale qui croit pouvoir gagner ou qui veut gagner (j’exclus toutes les candidatures de témoignage) ? Retrouver sa figure sur une affiche trois fois quatre, est-ce vraiment dans l’ordre normal d’une psychologie équilibrée ? Évidemment, non.

Alors, il y a les passifs, jusqu’aux lâches qui préfèrent laisser les autres agir et même décider, au point de n’être jamais écoutés, et puis il y a les mégalos qui veulent le pouvoir, qui veulent agir, qui veulent se mettre au service du collectif, parfois au prix de la famille, de nuits, de vies complètement bouffées par la politique, et qui se font entendre un peu trop. Et puis, toutes les nuances entre ces deux caricatures.

Napoléon est une sorte de condensé de la France directive. Chateaubriand renâclait à considérer un Corse comme un Français, et ses écrits contre Napoléon sont particulièrement xénophobes. Au-delà du début de l’article, je peux citer d’autres phrases de la même veine : « Absurde en administration, criminel en politique, qu’avait-il donc pour séduire les Français, cet étranger ? » (toujours le 30 mars 1814). Ou encore : « Par quel honteux caprice avons-nous donné au fils d’un huissier d’Ajaccio l’héritage de Robert-le-Fort ? ».

Dans ce pamphlet contre Napoléon, Chateaubriand lui a fait surtout un procès en usurpation et en imposture : « On se demande de quel droit un Corse venait de verser le plus beau comme le plus pur sang de la France [par l’exécution du duc d’Enghien]. Croyait-il pouvoir remplacer par sa famille demi-africaine la famille française qu’il venait d’éteindre ? ». Autre extrait : « Sous le masque de César et de l’Alexandre, on aperçoit l’homme de peu, et l’enfant de petite famille. ». Ou encore : « Aussitôt que l’adversité qui fait éclater les vertus a touché le faux grand homme, le prodige s’est évanoui ; dans le monarque, on n’a plus aperçu qu’un aventurier, et dans le héros, qu’un parvenu à la gloire. ».

Disons-le clairement, Chateaubriand, monarchiste, a eu tout faux, tout faux dans le sens où l’histoire n’a pas tourné comme il aurait voulu. Donc, cette haine écrite en 1814 a un côté un peu dépassé (il n’imaginait pas l’effondrement du Premier empire aussi rapidement), mais il ne disait pas que des choses fausses.

Le côté usurpateur était réel. Napoléon était un provocateur. Il s’est moqué des monarques en voulant faire le monarque encore mieux, ou pire, plutôt, que les monarques européens de l’époque. Il a tout fait, jusqu’à créer une nouvelle noblesse, de multiples décorations, ainsi qu’en se nourrissant d’un népotisme absolument ahurissant : toute sa famille avait des postes partout dans l’Europe conquise.

Oui, c’était un va-t-en-guerre, mais comment influencer sans imposer à l’époque ? Il a conquis toute l’Europe aux idées révolutionnaires, car c’était bien de cela qu’il s’agissait : la République n’était pas absente de l’Empire, c’était juste le titre, l’Empire était typiquement la République à la tête de laquelle on plaçait un nouveau monarque.

Napoléon, en ce sens, a donné l’écho des idées de liberté et d’égalité, et même de fraternité, même si, de ce point de vue, elle est difficile à dénicher dans les guerres napoléoniennes. La liberté à tout point de vue, et notamment la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui a nourri les nations, puis les nationalismes, plaies du XXe siècle. Certains pourraient poursuivre en disant que la mondialisation est la plaie du XXIe siècle, mais c’est plus compliqué que cela, la mondialisation a toujours existé en tout temps : Pushu-Ken, commerçant paléo-assyrien réputé de Kanesh, avait déjà étendu son activité de l’Inde à la Mésopotamie et sa copieuse correspondance pourrait étonner par sa modernité commerciale.

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Sans le ressort psychologique de Napoléon, il n’y aurait eu aucune conquête, aucune victoire des idées révolutionnaires. La France d’aujourd’hui doit évidemment beaucoup à l’organisation administrative de Napoléon. En quelque sorte, sans Napoléon, la Révolution aurait été intellectuellement balayée.

Et la création de l’empire a montré une chose intéressante : un républicain, issu du peuple, couronné par le mérite, peut s’autoproclamer chef suprême. Et se poser lui-même la couronne de lauriers. L’empire ne pouvait toutefois pas être durable. Il a fallu trois quarts de siècle pour solder définitivement la monarchie (c’était trop tôt en 1804, il fallait attendre 1875), mais il nous a fallu encore attendre trois quarts de siècle et deux guerres désastreuses pour comprendre qu’on avait besoin quand même d’un monarque.

C’est Napoléon qui a révélé cette caractéristique du peuple français : ce besoin d’un monarque républicain, républicain car le peuple est révolutionnaire, mais monarque car il a besoin d’être dirigé. Alors, quand les institutions ne le permettaient pas, il fallait des personnalités particulièrement fortes : Thiers, Gambetta, Clemenceau, Poincaré, De Gaulle l’ont été. Mais à la différence des quatre premiers, De Gaulle a réussi à intégrer dans la Constitution, pas en 1958 mais en 1962, cette idée de chef suprême légitime, or, la seule légitimité, la seule consécration, la seule onction divine possible en République, c’est le suffrage universel direct. L’Étre suprême, c’est le peuple, donc les électeurs (pas le peuple dans la rue qui n’a quasiment jamais représenté le peuple tout court).

On peut critiquer l’autocratisme, on peut critiquer Napoléon, ses guerres sanglantes, les sondages montrent bien que le peuple français est ingouvernable, puisqu’il peut critiquer aussi bien la trop forte présence de l’autorité que son absence et sa mollesse, et cela quels que soient les hommes (et les femmes) portés au pouvoir.

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Paradoxalement, Emmanuel Macron a bien compris cela en 2017. Son point faible, dans la campagne présidentielle de 2017, était sa capacité à incarner le régalien, à incarner l’autorité, même s’il assumait déjà largement la "verticalité". Il a déjà bien réfléchi à la question. Dans "Le 1 hebdo" du 8 juillet 2015, il déclarait ceci : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! ».

Et il a poursuivi ainsi : « On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. On le voit avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du Général De Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du Président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. (…) Si l’on veut stabiliser la vie politique et la sortir de la situation névrotique actuelle, il faut, tout en gardant l’équilibre délibératif, accepter un peu plus de verticalité. ».

C’est clair donc qu’Emmanuel Macron a bien compris le mythe de l’homme providentiel en France : ce mythe, détesté, il est "en même temps" recherché par les Français. Emmanuel Macron cherche donc à occuper la fonction, et dans l’offre politique actuelle, il es celui qui peut le mieux occuper. En ce sens, non seulement Emmanuel Macron est un digne successeur de De Gaulle, mais également de toutes les figures du roi dont la République a été privée depuis plus de deux siècles.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Napoléon, De Gaulle et Macron.
Napoléon Ier.
Le 18 juin de Napoléon.
Le Congrès de Vienne (1815).
Napoléon III.
Henri VI, comte de Paris, ou l’impossible retour du roi.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210429-napoleon.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/napoleon-de-gaulle-et-232681

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/04/27/38942689.html









 

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29 mars 2021 1 29 /03 /mars /2021 15:26

La date des prochaines élections régionales et départementales est préoccupante en raison du contexte sanitaire général (pandémie de covid-19).

Cliquer sur chaque lien pour télécharger le document correspondant (fichier .pdf).

Avis du Conseil scientifique du 29 mars 2021 :
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/avis-conseil-scientifique-29032021.pdf

Rapport du gouvernement au Parlement sur l'avis du Conseil scientifique du 29 mars 2021 :
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/rapport-Parlement-elections-regionales-departementales.pdf

Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210413-regionales-2021a.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20210329-conseil-covid-avis.html



 

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18 février 2021 4 18 /02 /février /2021 03:32

« Dès l’an prochain, pour l’élection présidentielle, mère de toutes les élections, nous pourrions recourir aux machines à voter, y compris un jour de semaine, par anticipation. Et le tout, imposé par décret ! (…) Comment peut-on envisager une expérimentation aussi hasardeuse pour une élection qui engage autant l’avenir de la Nation ? » (Philippe Bas, le 16 février 2021 au Sénat).


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Établir les règles du jeu pour l’élection présidentielle, qui est l’élection majeure dans nos institutions, nécessite une bonne dose de consensus. C’est normal. Le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déposé le 21 décembre 2020 à la Présidence de l’Assemblée Nationale le projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République avec procédure accélérée engagée par le gouvernement le même jour (cela signifie qu’il n’y a pas de deuxième lecture). Il concerne quelques dispositions techniques relativement peu politiques. Ce texte a été adopté par les députés le 19 janvier 2021 et a été transmis à la Présidence du Sénat le lendemain. Ce jeudi 18 février 2021, ce projet de loi est en examen en séance publique au Sénat. Mais entre-temps, après son examen à la commission des lois du Sénat le 10 février 2021, le gouvernement a déposé in extremis un amendement (n°32) le 16 février 2021 dans la matinée pour instituer le "vote par anticipation".

Dommage d’avoir ainsi, sur la forme et sur le fond, casser le consensus qui s’était dégagé sur un autre projet de loi, cette fois-ci sur l’organisation des prochaines élections régionales et départementales, qui a été définitivement adopté le 16 février 2021. La commission paritaire a été conclusive, elle a conclu avec succès grâce à certaines concessions du gouvernement. Les dates des 13 et 20 juin 2021 ont été confirmées dès maintenant. Le gouvernement a aussi accepté le principe de la double procuration (actuellement, chaque électeur ne pouvait disposer que d’une seule procuration), l’obligation à France Télévisions de diffuser sur ses antennes des documentaires pédagogiques sur le rôle des régions et des départements (article 6 bis), ainsi que la prolongation à dix-neuf jours de la durée de la campagne (amendement du sénateur Alain Richard).

Le projet de loi organique sur l’élection présidentielle est en principe un texte très technique sans intérêt politique. Mais en déposant cet amendement de dernière minute, qui a surpris, non seulement les sénateurs de la commission des lois, mais aussi la majorité et même les services du Ministère de l’Intérieur, le gouvernement a de facto politisé ce projet de loi. Le sujet du vote est un enjeu fondamental et mérite un véritable débat, pas seulement une discussion en procédure accélérée juste avant une élection majeure dans la vie démocratique.

Sur la forme, donc, non seulement le gouvernement a rompu un consensus qui aurait dû s’instaurer dans la réflexion sur une règle du jeu commune, mais en plus a été au mieux maladroit avec un sujet qui méritait mieux qu’un cavalier législatif. La méthode de déposer sur ce sujet un amendement ne permet pas d’avoir l’avis du Conseil d’État qui, généralement, permet de mesurer l’impact et la faisabilité des mesures proposées par le gouvernement.

Mais c’est sur le fond que cela me paraît encore plus critiquable. François Patriat, président du groupe LREM au Sénat, ancien socialiste et proche du Président Emmanuel Macron, a passé toute sa journée du 17 février 2021 à faire le service après-vente de cet amendement avec une éloquente mauvaise foi, mettant le sujet sur le progressisme, le modernisme (mélangeant ainsi avec la loi de bioéthique et d’autres réformes), et le fait que Les Républicains refuseraient toute modernisation de la démocratie. Et cela en utilisant de nombreux biais rarement dénoncés par les journalistes.

Avant d’aller plus loi, que propose exactement cet amendement ? De permettre aux électeurs de voter par anticipation, c’est-à-dire avant le dimanche du scrutin : dans la semaine précédant le scrutin, à la ville préfecture de leur convenance où sera installée une machine à voter électronique par département.

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Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, et par ailleurs candidat à la candidature à l’élection présidentielle, a violemment protesté en dénonçant une arrière-pensée de vouloir assurer la participation de l’électorat traditionnel d’Emmanuel Macron, à savoir des personnes vivant dans les grandes agglomérations, assez aisées pour partir le week-end. Ce procès d’intention est assez lapidaire et pas démontré et n’est pas utile pour démonter une telle proposition, donc, je ne retiendrai que la sincérité du gouvernement en la matière, pas d’éventuelles arrière-pensées qui, d’ailleurs, peuvent être de mauvais calculs.

Sur le plan technique, on peut comprendre d’ailleurs que cette mesure intéresse au premier chef les élus locaux, particulièrement les maires chargés d’organiser les élections. D’une part, cela nécessite des machines à voter (je reviendrai sur ce sujet très important juste après), de les installer, les vérifier, et d’autre part, d’avoir la certitude d’une bonne réactivité avec les listes électorales. Si un électeur de Dijon pour une élection le dimanche vote le vendredi précédant à Marseille, il faudra qu’à Dijon, on le sache pour éviter des doublons de vote. Le fait que cet amendement ait été proposé en dehors de toute concertation avec ces élus montre aussi le degré de considération que le gouvernement accorde à ces élus qui doivent se débrouiller pour tout faire sans être écoutés. En fait, si, le gouvernement venait justement de les écouter en acceptant que l’État prenne financièrement en charge tous les surcoûts d’équipements liés à la protection contre le covid-19 lors des opérations électorales.

En ce qui me concerne, ces problèmes-là sont techniques et pas politiques, c’est du registre de l’organisation et cela m’intéresse ici assez peu. D’ailleurs, on a pu constater que les élus locaux étaient capables de s’engager et de prendre de nombreuses initiatives pour organiser les tests PCR et les centres de vaccination, selon leurs possibilités.

Restons sur des questions plus "philosophiques". Vouloir moderniser les opérations de vote ne me choque pas dans son objectif qui est honorable. Et l’objectif, c’est de renforcer la participation électorale. En crise sanitaire, on a bien vu l’effondrement de la participation électorale au second tour des élections municipales du 28 juin 2020, mais faut-il vraiment considérer qu’elle fût de nature politique alors qu’elle a eu pour source la pandémie de covid-19 ?

La crise sanitaire empêche-t-elle de voter ? La réponse est non, bien entendu. Le problème est à mon sens pas dans les opérations de vote mais dans la manière de faire campagne. Une campagne électorale, c’est assurément voir les gens, les électeurs, les écouter, les convaincre, discuter en direct. C’est le seul vrai moment d’écoute. Or, la pandémie de covid-19 empêche cette démarche. Et les démarches de type visioconférence sont peu efficaces et très théoriques : tous ceux qui se sont déjà présentés aux élections le savent, c’est très difficile d’avoir de l’audience, et même de faire venir du monde dans une réunion locale. Le seul lien direct, c’est le contact physique, dans les marchés, aux paliers des immeubles, etc., là est le problème, pas dans les opérations de vote.

J’ai été assesseur lors du premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 et tout avait été "protégé", les électeurs n’ont pas touché autre chose que les bulletins de vote, ils ont émargé avec leur propre stylo et dans tous les cas, ils pouvaient se laver les mains en entrant et en sortant. Le problème n’est pas dans le fait de voter ni dans le fait de dépouiller (là encore, beaucoup de garanties ont été prises), mais le risque demeure dans le comportement des candidats élus qui veulent fêter leur victoire avec ceux qui les ont soutenus, c’est dans ce moment que le covid-19 met en danger, pas auparavant.

Parmi les arguments avancés, certains disaient que cela ne concernerait de toute façon que quelques dizaines de milliers de personnes, donc pas de quoi en faire un fromage ! Argument qu’on peut retourner comme une crêpe : si cela concerne si peu de monde, pourquoi vouloir légiférer sur le sujet, ce n’est donc pas comme cela qu’on lutterait contre l’abstention alors que c’était pourtant la première motivation de la mesure ?

Les sophismes sont nombreux pour évoquer la forte abstention. On parle ici de l’élection présidentielle, or, il y a toujours eu une forte participation à l’élection présidentielle, ce qui est tout à fait logique car les Français considèrent que c’est l’élection reine, celle qui polarise le paysage politique pendant cinq ans. Rien à voir donc avec des élections départementales par exemple, dont l’enjeu, pourtant important si l’on en juge par les budgets gérés, est souvent boudé par les électeurs. Il n’y a donc pas de problème de fond d’abstention avec l’élection présidentielle. L’argument majeur s’effondre donc.

Du reste, la cause première de l’abstention, si abstention il y a, c’est une cause politique et pas structurelle : l’absence d’offre parmi les candidatures qui laisse entendre que le vote ne servirait à rien. C’est donc aux responsables politiques, aux candidats, de proposer une offre suffisamment séduisante pour faire déplacer les électeurs. Aucun dispositif ne remplacera la pertinence d’un projet politique ou d’un candidat.

Cependant, indépendamment de ces considérations sur la participation, examinons la mesure et arrêtons-nous à deux sujets essentiels.

L’anticipation en elle-même : est-ce logique, sain, normal, pertinent de permettre de voter avant le jour du scrutin ? La réponse est non ! Dans la mesure où la campagne électorale n’est pas terminée, il peut y avoir donc des données, des informations diffusées au dernier moment, au dernier jour que des électeurs par anticipation ne pourraient pas prendre en compte. Leur vote serait alors moins "éclairé" que celui d’autres électeurs qui ont attendu le jour du scrutin.

Ce qui est pour moi le plus grave, c’est que l’anticipation, d’un point de vue pratique, ne peut se faire que par des machines électroniques. Or, le vote électronique ne me paraît pas conforme à l’idée que je me fais de la démocratie qui veut que tous les électeurs, même les plus ignorants, puissent avoir confiance en la sincérité du vote, c’est-à-dire que leur vote soit effectivement bien pris en compte tout en préservant son caractère confidentiel. Avec un vote papier, tout électeur est en mesure d’attester que les opérations se sont déroulées régulièrement. Avec un vote électronique, c’est la confiance totale dans la machine et dans sa programmation.

J’ajoute, en revenant à la méthode, que le gouvernement avait accepté le principe de faire un bilan sur le vote électronique et qu’il aurait été plus logique d’attendre la présentation de ce bilan (dans un délai de six mois) avant de vouloir généraliser les  machins à voter (cependant, la loi organique sur l’élection présidentielle doit être promulguée avant la fin du mois de mars 2021 pour s’appliquer en 2022).

Le 16 février 2021 en séance publique au Sénat, Philippe Bas, le président de la commission des lois, a effectivement déclaré : « Nous avons également adopté dans ce texte [loi sur le report des élections régionales et départementales] des dispositions qui concernent les machines à voter, qui existent depuis 1969. À la différence du vote électronique, l’instrument est éprouvé dans les soixante-six villes qui y recourent. En 2007, suite à l’élection présidentielle, le Conseil Constitutionnel s’est inquiété des sources d’insécurité liées à ces machines. En 2008, un moratoire a été décidé pour ne pas augmenter le nombre de villes utilisatrices. Celles-ci, depuis, ont hésité à investir dans l’entretien et le renouvellement de ces machines. À l’initiative de la majorité de l’Assemblée Nationale, un amendement a été adopté prévoyant un rapport du gouvernement au Parlement dans les six mois sur les conditions du recours aux machines à voter. Nous l’avons accepté [nous, c’est-à-dire les sénateurs], considérant que la mise en garde du Conseil Constitutionnel était pleinement justifiée. Aussi, nous avons été stupéfaits de l’amendement déposé au projet de loi organique sur l’élection présidentielle et adopté ce matin à l’Assemblée Nationale. ».

Et d’expliciter le fameux amendement du gouvernement déjà évoqué (voir en tête de l’article), puis de poursuivre : « Et ce, sans attendre le rapport précité. Ce point n’a même pas été débattu par l’Assemblée Nationale, qui a déjà adopté le texte. Cette improvisation et cette absence de respect des règles du débat parlementaire ont beaucoup choqué tous les bancs du Sénat. (…) Le dispositif inquiète : conditions de préservation des votes pendant plusieurs jours, risque de double vote, impossibilité d’un recomptage manuel, sincérité d’un vote qui ne pourrait être modifié alors que la campagne se poursuivra, et constitutionnalité même ! Quelles peuvent être les motivations réelles d’un tel amendement ? L’argument du départ des familles en week-end est-il suffisant, et surtout satisfaisant pour la démocratie, alors que cette élection a toujours donné lieu à une très forte participation ? ».

Pour le groupe Les Républicains à l’Assemblée Nationale, le député Raphaël Schellenberger a exprimé le 16 février 2021 sa surprise et son inquiétude : « Comme l’orateur du groupe La République en marche, nous sommes surpris de la volonté du gouvernement de permettre un vote par anticipation à l’occasion de la prochaine élection présidentielle. (…) Je ne suis pas sûr qu’elle soit la meilleure occasion pour faire des tests en matière d’évolution de mode de scrutin, surtout quand il s’agit de choses aussi sensibles que l’anticipation du vote et le contrôle des votants par des machines, alors que nos bureaux de vote fonctionnent avec des listes d’émargement sur papier. Quoi qu’il en soit, de nombreuses questions se posent et voici qu’à un an de l’élection présidentielle, on s’apprête à bousculer l’usage et les modalités du vote en France. Sans être opposés à une évolution, nous pensons qu’il ne faut pas le faire à un an du scrutin. ».

Des réactions d’autres parlementaires ont été beaucoup plus véhémentes. Ainsi, toujours à l’Assemblée Nationale le même jour, le 16 février 2021, le député FI Bastien Lachaud ne mâchait pas ses mots : « Le texte prévoit par ailleurs un rapport sur la généralisation des machines à voter. Nous sommes totalement opposés à cette idée : le vote doit être protégé et la sincérité du résultat doit pouvoir être garantie. Le vote est et doit rester personnel et protégé de toute influence : c’est tout l’objet du rituel qui l’accompagne, l’isoloir, l’urne protégée par plusieurs assesseurs, et la publicité du dépouillement. Avec une machine à voter, rien de tout ça ! Des résultats s’affichent et on est prié de les croire. Mais à quoi va servir ce rapport sur les machines à voter ? Le texte demande un rapport, mais ce matin même, le gouvernement a déposé, au Sénat, un amendement au projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, afin d’ouvrir, pour cette élection, la possibilité d’un vote par anticipation, à l’aide de machines à voter ! Cela serait possible pendant une semaine avant le scrutin ! Et cette idée, sortie du chapeau du gouvernement à la dernière minute, n’a fait nulle part et par personne l’objet d’une délibération ! Devant notre assemblée, le sujet n’a même pas été évoqué lors de l’examen de ce même texte : on nous a alors parlé d’un simple texte technique visant à reprendre les évolutions du code électoral depuis 2017, sans qu’il soit question de toucher aux éléments généraux du scrutin. Nos amendements sur le sujet ont même été écartés sans débat au prétexte qu’ils étaient hors sujet. ».

La colère du député Bastien Lachaud s’est ainsi exprimée, avec sans doute beaucoup d’exagération : « Je lance l’alerte sur un scandale démocratique à venir ! En une semaine, deux de nos hôpitaux ont été piratés, ce qui a paralysé notre système de santé et freiné la campagne de vaccination. Nous ne sommes même pas capables de protéger ces institutions, pourtant si essentielles en temps de pandémie, contre les intrusions, mais on nous explique que nous pourrons le faire pour l’ensemble des machines à voter du pays ! On nous rebat les oreilles avec la peur de l’ingérence russe dans les élections, mais on livre volontairement à l’habileté de pirates informatiques le résultat de nos scrutins ! C’est ridicule ! Les bulletins papier, les urnes et le dépouillement public, ce n’est ni du temps ni de l’argent perdus : c’est un gage du contrôle populaire sur la sincérité du scrutin. Y renoncer, c’est renoncer encore un peu plus à la possibilité de redonner confiance aux citoyens dans le système institutionnel, alors que cette confiance est déjà presque perdue. L’élection présidentielle serait ainsi aux mains des pirates informatiques ! Votre projet, c’est la destruction méthodique de ce qui reste de démocratie. ».

Le vote est l’expression concrète, directe, immédiate, vivante de la démocratie. Rien ne doit polluer le vote de l’électeur, aucune suspicion n’est admise sur la façon dont son vote sera pris en compte. L’absence de confiance a coûté ces deux mois de désinformation aux États-Unis (et six morts) à cause justement des votes par anticipation et de la défiance associée à ce type de votes.

Je resterai sur la conclusion qui peut paraître basique, pas très alléchante technologiquement mais qui me paraît essentielle surtout en temps de démocratie de défiance. Le vote doit être sincère, secret et libre. Ces trois adjectifs donnent une idée du niveau de démocratie dans lequel on vit. La France, mieux que les États-Unis, a un système électoral particulièrement efficace pour ces trois adjectifs.

Cela signifie quoi ? Que d’une part, il faut que le vote soit libre, c’est-à-dire sans aucune pression, ce qui explique l’importance de l’isoloir et l’importance de prendre au moins deux bulletins de vote dans l’isoloir. L’absence de pression a pour nécessité le vote secret. Personne ne doit connaître son vote réel. Cela n’empêche pas de soutenir, de s’engager publiquement, de militer, mais dans l’intimité de l’isoloir, personne ne doit savoir le vote réel. C’est la même raison qui conduit les assemblées délibératives à voter de manière secrète pour le choix des personnes. Un vote public permettrait des pressions bien trop fortes sur les électeurs (on voit ce que cela a donné sous la Terreur).

De plus, la sincérité, elle est dans l’égalité de traitement, celui des candidats (budget de campagne, temps d’expression, etc.), mais aussi égalité entre les électeurs. Voter à des jours différents, à part les décalages horaires dans les Outremers qui peuvent perturber la simultanéité du scrutin, c’est ne plus accepter le concept de photographie d’opinion. En étalant sur une semaine, des électeurs qui auront voté le mercredi pourraient regretter leur vote le dimanche après certains événements puisque la campagne, elle, finit le vendredi soir à minuit. Je donne un exemple très simple : c’est propoablement à cause du débat contradictoire entre François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit qui a eu lieu le jeudi 4 juin 2009, juste avant le scrutin des élections européennes du 7 juin 2009 que les transferts de voix ont eu lieu (contrairement à ce que j’avais supposé à l’époque). Voter avant ce débat aurait faussé la sincérité du scrutin.

Enfin, non seulement le vote doit être sincère, secret et libre pour soi, mais il faut être convaincu qu’il l’est aussi pour les autres. En d’autres termes, il faut que chaque électeur puisse, par lui-même, se convaincre que l’élection est sincère, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de fraude électorale, pas de magouille, de carabistouille.

Or, le déroulement des opérations de vote est très cadré : l’urne, transparente, est fermée à 8 heures devant témoins, deux assesseurs différents ont chacun la clef d’un des deux cadenas (il faut donc les deux personnes pour ouvrir l’urne), pendant toute la durée du vote, cette urne est visible, son contenu aussi, on peut voir chaque bulletin être glissé dans l’urne au même moment que l’électeur signe l’émargement de la liste électorale. À la fin du vote, l’urne est ouverte, on voit comment sont répartis les bulletins, comment ils sont comptés, par qui, et cela avec seulement l’esprit d’observation (et en nombre si on veut observer tous les bureaux de vote).

Ce type de garantie, que tout le monde peut avoir par simple observation, n’est pas possible avec les machines électroniques dont il faut faire confiance à l’algorithme, à la cybersécurité, à la sincérité informatique. Peut-être que des informaticiens aguerris peuvent attester de cette sincérité, mais certainement pas tous les électeurs, y compris ceux qui n’ont jamais touché un ordinateur.

C’est pour toutes ces raisons que je suis fermement contre la mise en œuvre d’un vote par anticipation sur des machines à voter électroniques délocalisées. Restons encore à notre bon bulletin de vote papier, rudimentaire mais efficace, qui a fait ses preuves depuis deux siècles et qui est le lien unique de confiance entre les électeurs, l’élection et les futurs élus.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Le vote par anticipation.
Le vote proportionnel.
Le vote obligatoire.
Le vote électronique.
Vive la Cinquième République !

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210217-vote-par-anticipation.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/election-presidentielle-non-au-231020

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17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 03:52

« Lorsque je lui confirme mon intention de rétablir au plus vite le scrutin majoritaire, François Mitterrand me précise qu’il n’entend pas s’y opposer, tout en feignant de s’étonner de ma précipitation : "Pourquoi êtes-vous si pressé ?" me demande-t-il. Je lui réponds qu’il s’agit d’un engagement pris devant les Français : "Si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais…". » (Jacques Chirac).



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Dans ce court extrait du premier tome des mémoires de l’ancien Président de la République ("Chaque pas doit être un but", éd. NiL, 2009), Jacques Chirac a évoqué son entretien à l’Élysée le 18 mars 1986, deux jours après sa victoire aux élections législatives, avec le Président François Mitterrand avec qui il s’apprêtait à "cohabiter". Et parmi les réformes urgentes, le rétablissement du scrutin majoritaire. François Mitterrand avait modifié le mode de scrutin au dernier moment, moins d’un an avant ces élections, pour des raisons politiciennes d’obscurs boutiquiers, afin d’empêcher l’opposition de reconquérir la majorité (ce fut un échec). Jacques Chirac, au-delà du temps très incertain de la première cohabitation, ne voulait pas attendre pour revenir au scrutin majoritaire, par simple morale : on ne change pas la règle du jeu au dernier moment.

C’est pourtant ce que ne semble pas avoir encore compris François Bayrou, maire de Pau, président du MoDem et Haut commissaire au Plan. On ne modifie pas la règle du jeu au dernier moment. Je ne peux pas dire que François Bayrou fait partie des personnalités politiques les moins responsables, je l’ai soutenu à trois reprises aux élections présidentielles et je ne le regrette pas. Cependant, son obsession du scrutin proportionnel me paraît particulièrement mal venue en ces temps de crise sanitaire qui s’accompagne de crise économique et sociale. Comme si la France pouvait se permettre de polariser pour ne pas dire de polluer le débat public sur le mode de scrutin !

C’est d’autant plus extravagant que le parti de François Bayrou n’aurait jamais pu atteindre en juin 2017 un groupe parlementaire aussi nombreux sans le scrutin majoritaire.

Je sais que le Bayrou-bashing est un sport national, c’est souvent le cas d’ailleurs des personnalités populaires, une sorte de jalousie diffuse, et encore récemment, les reproches qu’on pourrait faire à François Bayrou sont souvent infondés. Par exemple, on lui a reproché d’avoir été dans un aéroport sans porter de masque. Critique mal venue et hors contexte, de très mauvais goût aussi, puisqu’il prenait l’avion pour l’enterrement de sa très proche camarade politique Marielle de Sarnez. Il attendait dans la salle d’embarquement. Il en a profité pour prendre un café, ce qui se fait a priori sans masque, et la photographie a été prise juste avant qu’il ne remît son masque.

La critique fondée, c’est d’être hors sol quand il réclame la proportionnelle. Ce fut d’ailleurs l’un des points de divergence que j’ai avec lui depuis des décennies, et je pourrais même généraliser, que j’ai en général avec les centristes dans lesquels pourtant je me reconnais, mais pas sur le plan des institutions. François Bayrou l’a confirmé lorsqu’il a été l’invité de la matinale de France Inter le mardi 26 janvier 2021, il l’a répété encore dans l’émission "Grand Jury" sur LCI RTL "Le Figaro" du dimanche 7 février 2021 : François Bayrou veut la proportionnelle !

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La semaine suivante (14 février 2021), dans la même émission du "Grand Jury", le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a redit deux arguments sur le sujet : ce n’était pas un hasard si De Gaulle avait adopté le scrutin majoritaire en 1958 (c’est en fait un petit peu plus compliqué que cela, Michel Debré avait voulu un scrutin majoritaire à un tour, comme au Royaume-Uni, et les parlementaires de la commission chargée des institutions l’ont "retoqué"avec deux tours pour réduire les effets de la logique majoritaire) et il a proposé de regarder ce qui se passait actuellement en Israël et en Italie, j’ajouterai aussi en Allemagne voire en Espagne.

Ce que dit Éric Dupond-Moretti est du bon sens lorsqu’il dit qu’il ne faut pas réduire le pouvoir de l’exécutif en ces temps incertains de pandémie de covid-19. Comment pourrait-on imaginer la France d’aujourd’hui avec une assemblée de type Quatrième République, avec la durée d’un gouvernement qui ne dépasserait pas les quelques mois, à un moment crucial où tous les repères se sont effondrés sur eux-mêmes ? Les Français auraient-ils la mémoire si courte qu’ils auraient oublié les causes de l’effondrement de 1958 ?

On a critiqué l’économie française, on a critiqué l’administration, on a critiqué l’éducation, on a critiqué beaucoup de choses dans la France d’aujourd’hui, mais s’il y a bien une chose qui a fonctionné en France depuis plus de soixante ans, ce qui nous a d’ailleurs sauvés de crises encore plus effroyables, c’est que les institutions de la Cinquième République sont efficaces, qu’elles ont tenu le coup même quand le navire tanguait, que c’est probablement la chose excellente qu’il faut préserver au mieux dans ce qu’est la France. Vouloir les changer aujourd’hui, c’est un peu comme saborder le navire en pleine tempête.

Alors, rappelons à quoi sert une chambre législative : elle sert à faire la loi et à contrôler le gouvernement. Elle ne sert pas à faire ce que le Président Emmanuel Macron voulait faire avec le grand débat, des sortes d’assemblées citoyennes bien jolies, bien propres, mais qui n’aboutissent à rien. Ce n’est pas un panel mais une confrontation politique qui doit avoir lieu. Pour faire la loi, il faut une majorité, c’est le principe de la démocratie, on peut le regretter (le nombre n’est effectivement pas un critère de vérité), mais c’est un principe qui n’a, jusqu’à maintenant, pas eu de concurrence soutenable.

Alors, non, il ne faut pas modifier le scrutin des élections législatives aujourd’hui. Pour de nombreuses raisons.

Les circonstances ? Comme si on n’avait que cela à faire avec 400 à 500 décès dus au covid-19 chaque jour, un troisième confinement programmé pour le mois de mars, des variants qui voudraient nous aiguiller vers le scénario du pire cauchemar alors que les vaccins allaient enfin esquisser le bout du tunnel, sans compter la récession, le chômage, la pauvreté, les suicides qui augmentent… Pendant ce temps, pour simple convenance personnelle d’un groupe parlementaire qui, finalement, n’est pas si indispensable que cela, on veut modifier la règle du jeu qui n’aura évidemment aucune conséquence sur tous les problèmes que je viens d’énumérer. Imagine-t-on Clemenceau changer le mode de scrutin en pleine guerre ? Il y a des rendez-vous de l’histoire qui sont loupés, apparemment. (Pour info, Clemenceau a modifié le mode de scrutin, mais le 12 juillet 1919, après la fin de la guerre, et en plus pour mettre la proportionnele !).

Autre circonstance, évoquée aussi dans l’extrait proposé des mémoires de Jacques Chirac (« engagement pris devant les Français »), qu’a rappelée opportunément François Bayrou, la proportionnelle serait un engagement du Président de la République pendant la campagne présidentielle. Si on devait prendre toutes les promesses, faudrait-il toutes les appliquer ? La réforme des retraites par points par exemple ? Pourtant, elle était aussi un engagement du Président de la République.

En fait, je sais que ce n’est pas politiquement correct d’écrire cela, mais je déteste qu’on ne s’en tienne qu’aux promesses préélectorales et jamais je n’ai voté en fonction des promesses ou non promesses. Cela demanderait sans doute un plus long développement, mais quand j’élis une personne pour occuper la Présidence de la République, je vote pour justement une personne et pas pour des promesses. Pourquoi ? Parce que personne n’est en connaissance de l’avenir. En 2017, personne n’était capable de dire que nous serions plongés en pleine pandémie trois ans plus tard. Les événements vont si vite dans tous les domaines qu’un programme proposé à un temps t n’a plus aucune pertinence deux ou trois ans plus tard. Que dire du mariage pour tous, engagement du candidat François Hollande qui a été élu simplement par défaut pour rejeter Nicolas Sarkozy ? Qui pourrait dire qu’on vote pour chacun des engagements d’un candidat lorsqu’on vote pour lui ? Heureusement que non, sinon, tout le monde serait abstentionniste.

Comme lorsqu’une entreprise recrute des nouveaux salariés, je vote pour une personne, pour sa personnalité, pour son caractère, pour sa capacité à réagir face à l’urgence, face à la surprise, face à l’adversité, sa capacité à négocier avec nos partenaires, etc. Heureusement qu’Emmanuel Macron est aux commandes, un homme jeune, dynamique et qui connaît les rouages de l’administration. Imaginons un incompétent un peu fatigué à cette fonction alors que tout est à réinventer ! On critique la gestion de la crise, on critique, on critique, mais les sondages de râleurs montrent aussi que, aussi critiquable qu’il soit, et il l’est sur bien des points, évidemment, selon les sondés depuis un an, aucune personnalité n’aurait été capable de faire mieux ! On ne vote donc pas pour un programme mais pour une personne, un caractère, une motivation, une aptitude, une intuition.

Mais revenons au fond, car la proportionnelle, c’est une Arlésienne, on la met dans la conversation comme si c’était l’alpha et l’oméga d’une meilleure prise en compte du peuple. Pourtant, ce ne sont pas les institutions, ni les règles du jeu qui sont importantes en politique. Ce sont les acteurs, les personnes qui les occupent, qui les appliquent. La preuve, c’est que, dans l’histoire du monde, des personnes se sont distinguées par leur aura, leur charisme, leur compétence, leur courage, leur intelligence, leur capacité à faire l’histoire en tout lieu et tout temps, avec des institutions très différentes, avec des règles très différentes, des cultures et des environnements très différents. Ce sont les hommes qui façonnent l’histoire, pas les structures. Ce que je viens d’écrire est évidemment discutable et pourrait valoir une réflexion plus développée qu’ici. Ce que je veux simplement dire ici, c’est que l’âme humaine transcende les institutions.

Mais déjà, au risque de décevoir, prenons comme postulat que la démocratie dans un pays de 67 millions de personnes ne peut se concevoir que comme une démocratie représentative et pas une démocratie directe réservée au mieux aux petits pays.

Et admettons que la représentativité démocratique de ses représentants, quelles qu’en soient les règles, sera toujours sujette à caution.

Faut-il qu’il y ait une représentativité des sexes ? Évidemment, scandale de n’avoir que des hommes dans une assemblée délibérative. Faut-il une représentativité socioprofessionnelle ? Ce serait pas mal, oui. Des ouvriers, pas seulement des profs et des avocats. Faut-il une représentativité ethnique ? Alors là, déjà, ça va mal aller, définition, discrimination, et au bout du bout, racisme d’État même positif. Une représentativité de la sexualité ? C’est-à-dire que l’assemblée soit aussi conforme que la population dans ses modes de sexualité ? Pas sûr que la sexualité des candidats doive s’afficher, pas sûr qu’un député vote en fonction de sa sexualité (sauf, évidemment, sur des sujets qui abordent ce domaine, mais ce domaine ne devrait rester que du ressort de l’intime, pas du législatif). Représentativité des âges ? Oui, ce serait pas mal non plus, mais l’âge des artères ou de l’esprit ? Bref, et c’est sans doute les biais dans les sondages, avoir une représentativité est toujours très relatif. On pourra toujours la critiquer. C’est bien pour cela que la Convention citoyenne pour le climat choisie comme on sélectionne un échantillon d’institut de sondage ne peut pas être une règle démocratique.

Au contraire, je considère que la démocratie doit aller bien plus loin qu’une simple représentativité : l’élu représente toute la population, pas seulement ses électeurs, pas seulement son groupe de clientèle. L’élection est un sacre et le représentant devient l’égal de toute la population, qu’importe ses caractéristiques, un homme peut protéger les droits des femmes, un hétérosexuel peut voter pour le mariage pour tous, un avocat défendre les intérêts des ouvriers, etc.

Mais je ne veux pas éluder les arguments qui seraient prétendument en faveur de l’instauration de la proportionnelle pour élire les députés.

Une petite question toute simple : connaissez-vous vos députés européens ? Je dis "vos" dans un sens très général : la liste étant nationale, "j’ai" 79 députés européens français. En connaissez-vous au moins un, ou deux ? Vous ont-ils rendu compte de leurs activités depuis deux ans ?

S’ils sont très peu connus de leurs électeurs, les députés européens, c’est en raison de la manière de les désigner. En effet, le scrutin proportionnel, loin de les rapprocher du peuple, éloigne les candidats et les élus du peuple et les rapproche surtout des états-majors de partis politiques. Avec ce scrutin, ce qui compte, ce n’est pas le mérite personnel, la capacité du candidat à convaincre voire séduire ses électeurs (sauf en cas de vote préférentiel), mais sa capacité à convaincre le parti politique de le mettre à une place suffisamment élevée pour qu’il puisse être élu, quel que soit le désir des électeurs. L’incertitude de l’élection concerne alors seulement les candidats situés sur la liste en deçà de la position dite éligible en fonction de la bonne ou mauvaise performance de la liste elle-même, c’est-à-dire du parti. L’élection devient impersonnelle alors que les fonctions doivent s’incarner par des personnes.

Les candidats à la proportionnelle sont des candidats hors sol qui n’ont pas besoin d’être appréciés du peuple, il suffit d’être appréciés de leur parti. Cela réduit en fait les capacités de renouvellement, un candidat indépendant n’aura plus aucune chance, avec la proportionnelle, car il ne sera pas dans la capacité de présenter des listes (ou alors, ce sera très artificiel, comme les listes de Nicolas Dupont-Aignan aux élections européennes).

C’est un scrutin qui, par la nature parcellaire actuelle du paysage politique, empêche toute clarté dans la construction d’une future majorité gouvernementale. Cela aboutit soit à l’immobilisme (absence de gouvernement ou crises institutionnelles multiples), soit à une sorte de "dictature" de la minorité.

Par essence, effectivement, la proportionnelle, contrairement à ce qu’on martèle, est un scrutin antidémocratique. La preuve par l’étranger où la proportionnelle est la règle.

Israël ? Depuis quelques années, les Israéliens ont dû voter déjà trois fois, bientôt quatre fois, sans pour autant être capables de dégager une coalition majoritaire. Résultat pendant ce temps : un gouvernement minoritaire, en attendant mieux.

L’Allemagne ? On parle de la très grande stabilité des gouvernements allemands, et c’est vrai. Mais ils ont bénéficié généralement d’une alliance entre un grand parti de gouvernement (SPD ou CDU-CSU) et un petit parti pivot de gouvernement (Verts, FDP, etc.). Or, le caractère très éclaté du paysage politique ne suffit plus. Si Angela Merkel a "duré" si longtemps (plus de quinze ans), c’est que trois fois sur quatre mandats, elle dirige un gouvernement de grande coalition, à savoir, de rassemblement des deux grands partis de gouvernement a priori adversaires, si bien qu’aucune politique claire et construite ne peut être menée puisque ce n’est que ménagement de la chèvre et du chou (il est là, le "centrisme mou", pas dans le centrisme conquérant et quasi bonapartiste d’Emmanuel Macron).

L’Italie ? C’est sans doute le pire exemple, car dans la même législature, depuis moins de trois ans, les Italiens auront tout eu : un gouvernement de coalition entre le Mouvement 5 étoiles (M5E) de Luigi Di Maio et la Ligue (Lega) de Matteo Salvini, lui-même nommé Ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire un gouvernement d’union de la carpe et du lapin, avec un extrémiste à l’Intérieur et un modéré à la tête d’un gouvernement de tonalité antieuropéenne. Puis, une coalition de centre gauche proeuropéenne, avec le M5E (OVNI difficilement identifiable) et un parti démocrate qui était de l’ancienne majorité et qui avait été très copieusement désavoué par les électeurs. Et encore une troisième formule, très simple, on réunit tout le monde (Forza Italia de Silvio Berlusconi, Italia Viva de Matteo Renzi, Lega de Matteo Salvini, M5E de Luigi Di Maio, le parti démocrate) et l’on chapeaute le tout par l’ancien président de la Banque centrale européenne. Était-ce ce que voulaient les électeurs dans la même législature ? J’en doute !

Je passe aussi avec l’Espagne qui a connu un changement de Premier Ministre et de coalition sans élections (qui n’ont fait que confirmer, très vaguement, ce changement), et beaucoup d’autres parlements locaux qui sont souvent bloqués pour faire de grandes réformes. Les Français peuvent être fiers d’avoir leurs institutions qui leur permettent d’avoir un gouvernement fort capable d’aller clairement dans la voie voulue par la majorité des électeurs (c’est-à-dire par le plus grand nombre des électeurs).

En termes de représentativité, le scrutin majoritaire actuel est largement satisfaisant. En effet, les élections législatives de juin 2017 n’ont oublié aucune force politique parmi les élus. Contrairement à ce qu’on disait longtemps, le FN a su gagner des sièges malgré le scrutin majoritaire et je ne doute pas que si ce parti gagnait l’élection présidentielle, il saurait gagner également les élections législatives. La démonstration d’Emmanuel Macron est d’ailleurs assez claire : qui pouvait sérieusement imaginer qu’une fois élu, il n’aurait pas obtenu de majorité pour gouverner ? De même, bien qu’ultraminoritaire, France insoumise a su gagner des sièges également au scrutin majoritaire et même former un groupe politique.

Du reste, ce scrutin de 2017 a fait ses preuves sur le renouvellement : un parti tout récent, venu de nulle part, ayant juste un an d’ancienneté, a su conquérir la majorité des sièges, ce qui signifie que l’avenir n’est jamais bloqué avec le scrutin majoritaire au contraire du scrutin proportionnel qui favorise les grands partis déjà bien établis.

Effectivement, peut-on imaginer que, par exemple, l’UPR de François Asselineau puisse avoir des sièges avec le scrutin proportionnel ? La réponse est non et la raison est toute simple : il suffit de regarder son score aux dernières élections européennes de mai 2019 qui étaient à la proportionnelle intégrale nationale. Avec 265 469 électeurs (1,17% des suffrages exprimés), il ne faut pas trop espérer représenter quelque chose. Au contraire, l’UPR aurait sa chance avec le scrutin majoritaire car l’un de ses candidats pourrait quand même réussir à convaincre les électeurs d’une circonscription (100 ou 200 000 personnes), en tout cas, aurait plus de chance de remporter un siège au scrutin majoritaire qu’avec la proportionnelle. Les très petits partis n’ont aucune chance avec la proportionnelle.

La proportionnelle éliminera également tous les candidats farfelus, indépendants, étonnants, discordants, qui, pourtant, pourraient séduire localement des électeurs. La proportionnelle est la règle de l’uniformité. Enfin, le scrutin majoritaire n’empêche pas la représentativité de la population. En effet, la loi actuelle propose de revoir régulièrement le découpage électoral en fonction de la démographie et a réduit les écarts de représentation de la population d’une circonscription à l’autre. Écarts qui ne seraient pas supprimés avec par exemple une proportionnelle intégrale dans le cadre départemental car il existe des départements très peu peuplés.

Certes, l’argument principal pour le maintien du scrutin majoritaire, c’est le besoin, heureusement reconnu par tous les partis, de dégager une majorité parlementaire. C’est la raison pour laquelle ceux qui proposent le scrutin proportionnel ne propose qu’une "dose" de proportionnelle, comme si un mode de scrutin était une recette de cuisine avec différents ingrédients (cela donne une idée de la considération qu’on se fait des institutions).

C’est le cas de la proposition de loi n°3865 que Patrick Mignola, président du groupe MoDem à l’Assemblée Nationale, a déposée le 9 février 2021 sur le bureau du Président de l’Assemblée Nationale. Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, cette proposition de loi fait référence ouvertement aux travaux de Terra Nova du 19 mars 2018.

J’ai pris connaissance de ces travaux et ils me paraissent remplis de biais historiques, institutionnels et politiques. Ils se basent sur des hypothèses totalement abstraites et je comprends bien que la proportionnelle agite les esprits des constitutionnalistes parce que cela nécessite un peu de réflexion intellectuelle, mais ils oublient des conditions de réalisme politique. En fait, Terra Nova propose des solutions totalement illisibles, compliquées, avec des calculs "additifs", "compensatoires" et "correctifs". Bientôt, pour être électeur, il va falloir passer l’agrégation de sciences politiques si ce n’est un doctorat de mathématiques !

Dans leurs hypothèses, dans le schéma où il y a le moins de proportionnelle, à savoir 25% des sièges, les travaux de Terra Nova reconnaissent que le parti majoritaire, LREM, n’aurait pas obtenu de majorité absolue à l’Assemblée Nationale en juin 2017, avec seulement 184 sièges sur 400. Dans le pire des cas (50% des sièges à la proportionnelle), LREM n’aurait obtenu que 151 sièges sur 400. Pas de quoi gouverner ! Bonjour la paralysie.

Si la proposition de loi de Patrick Mignola y fait référence, elle ne s’inspire cependant pas de ces travaux, heureusement. Elle évoque l’abstention comme conséquence du mode de scrutin, ce qui un contresens assez important : l’abstention tient au fait que ceux qui n’ont pas voté pour celui qui a été élu à l’élection présidentielle n’ont pas considéré comme souhaitable de voter contre lui aux législatives pour qu’il n’ait pas de majorité parlementaire. La concomitance des deux scrutins est la cause prépondérante de la forte abstention, la mobilisation électorale s’est faite exclusivement autour du scrutin présidentiel. Si le mode de scrutin était la cause de l’abstention, il y en aurait eu beaucoup moins aux élections européennes de mai 2019 qui étaient à la proportionnelle intégrale dans le cadre national (on ne peut pas faire plus proportionnel).

La proposition de loi, qui comporte quatre articles, souhaiterait instaurer deux scrutins en un : pour les départements avec moins de douze circonscriptions, le maintien du scrutin majoritaire à deux tours par circonscription, pour les départements de douze circonscriptions ou plus, le passage au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel dans le cadre du département. Cela correspondrait à 22,5% des sièges pourvus à la proportionnelle.

Cette proposition pourrait sans doute ravir le MoDem et d’autres partis de moyenne catégorie comme EELV et le RN, mais ne permettrait pas à un petit parti d’avoir des sièges (pour un département avec 12 députés, il faut obtenir au moins 10% voire plus pour avoir un siège). En outre, la faible dose ne soulagerait pas les mécontents qui considéreraient qu’il n’y aurait toujours pas plus de représentativité, mais elle risquerait cependant d’empêcher la constitution de majorité gouvernementale stable. Bref, cette proposition de loi ne répondrait à aucun des objectifs parfois contradictoires qu’un mode de scrutin est censé fixer.

De plus, cette proposition créerait deux types de députés, des députés élus à la proportionnelle et des députés élus au scrutin majoritaire. Certes, cela existe déjà avec les sénateurs, à cela près que les députés ont le dernier mot dans le processus législatif, et sont élus par le peuple en entier, pas les grands électeurs, ce qui est un peu différent donc en termes d’équité entre les électeurs. On imaginerait facilement que les états-majors des grands partis réserveraient les premières places de leurs listes dans les grandes agglomérations pour leurs apparatchiks sans se soucier s’ils plairaient à leurs propres électeurs.

La proportionnelle tout comme plus généralement les institutions n’ont rien à voir avec le discrédit qui peut toucher la classe politique. Ce sont les personnes qui sont en cause, pas les structures. Depuis 2017, la classe politique s’est considérablement renouvelée (et rajeunie, et féminisée), de jeunes talents nouvellement élus ont pu se faire entendre depuis près de quatre ans au sein des principaux partis (LREM, LR, UDI, FI, RN), à l’exception peut-être du PS laminé aux dernières élections. C’est la pertinence de leurs discours qui fera que l’abstention s’aggravera ou pas. Le capacité à mobiliser, à redynamiser, à restaurer la grandeur du pays. Le mode de scrutin n’y est pour rien. En revanche, le mode de scrutin a une importance stratégique dans la constitution de majorité gouvernementale efficace et stable. Qu’on ne nous retire pas ce dispositif de scrutin majoritaire si nécessaire au peuple français laissé par De Gaulle !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La proportionnelle en 2021 ?
François Bayrou.
Marielle de Sarnez.
François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIsiècle ?
Le scrutin proportionnel.
Vive la Cinquième République !

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210126-bayrou.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-obsession-de-la-proportionnelle-230993

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/01/27/38782393.html










 

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13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 15:23

L'ancien Président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré a remis le 13 novembre 2020 au Premier Ministre Jean Castex ses propositions sur le calendrier électoral à venir.

Cliquer sur chaque lien pour télécharger les deux documents correspondants au rapport de Jean-Louis Debré sur le sujet remis le 13 novembre 2020 (deux fichiers .pdf) :

https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/lettre%20de%20mission/277160-lettre-mission.pdf

https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/277160-NV.pdf

Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210413-regionales-2021a.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20201113-rapport-jean-louis-debre-scrutins.html



 

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2 octobre 2020 5 02 /10 /octobre /2020 05:11

« En France, le bicamérisme est un principe plus que bicentenaire. Il représente un instrument démocratique de modération et je ne cesse de rappeler que depuis l’instauration du quinquennat, il est le balancier stabilisateur de nos institutions. Disparités du territoire, de la démographie… la deuxième chambre joue le rôle d’une "machine" à corriger les inégalités et incarne un enrichissement pour une démocratie moderne et juste. Je suis convaincu que la représentation et la conciliation des différences, qu’elles soient territoriales, politiques, sociales ou autres, apportent de la vitalité et de la solidité à la démocratie. » (Gérard Larcher, le 11 décembre 2014, "Le Courrier du Parlement", propos recueillis par Jean-François Bège).



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Jour de gloire pour Gérard Larcher. Ce jeudi 1er octobre 2020 à 16 heures 35, Gérard Larcher a en effet été réélu Président du Sénat pour trois ans (jusqu’en septembre 2023) par une large majorité dès le premier tour. C’est son quatrième mandat.

Prononcés par le sénateur centriste d’Arras Jean-Marie Vanlerenberghe, qui présidait la séance inaugurale en tant que doyen d’âge à 81 ans, les résultats sont les suivants : 231 voix pour Gérard Larcher, 65 voix pour Patrick Kanner (PS), 15 voix pour Éliane Assassi (PCF) et 13 voix pour Guillaume Gontard, le président du nouveau groupe écologiste du Sénat. Sur 345 sénateurs votants, 19 ont voté blanc, 2 votes sont nuls, ce qui fait 324 suffrages exprimés, donc la majorité absolue était à 163. Les 231 voix ont donc dépassé de très haut ce seuil de la majorité absolue (71,3%). Aux côtés du doyen, le nouveau benjamin du Sénat, le plus jeune des sénateurs élus de l’histoire, le sénateur socialiste Rémi Cardon, élu le 27 septembre 2020 dans la Somme, à seulement 26 ans et 4 mois (le précédent record était l’élection du maire RN de Fréjeus David Rachline en septembre 2014). Alors, le Sénat, maison de retraite ?

Ce n’était pas une surprise, les résultats des élections sénatoriales du 27 septembre 2020, qui ont vu se renforcer les groupes de sa majorité sénatoriale, ne laissaient aucun doute sur l’issue du scrutin. Pour Gérard Larcher, c’est un grand succès personnel car il a su parfaitement personnifier le Sénat et surtout les sénateurs. Dans son discours d’introduction, il a insisté sur l’utilité du Sénat, sa modernité et sa contribution au débat démocratique (j’y reviendrai).

Dans sa précédente réélection de Président du Sénat, le 2 octobre 2017, Gérard Larcher avait obtenu 223 voix contre 79 voix à Didier Guillaume, à l’époque président du groupe socialiste au Sénat et devenu Ministre de l’Agriculture du gouvernement d’Édouard Philippe du 16 octobre 2018 au 6 juillet 2020, et 15 voix à Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste au Sénat.

Certes, sa corpulence, son double menton, son dos un peu courbé pourraient laisser croire que le Sénat est une maison de retraite (il fut couronné "bébé Blédine" avant de savoir marcher, a écrit LCI le 1er octobre 2014 : « J’avais déjà bon appétit ! »). Mais tous ceux qui ont déjà rencontré Gérard Larcher peuvent l’attester. L’homme est un actif, à l’esprit alerte. D’ailleurs, il se répand souvent dans les médias, sa forme politique est d’autant plus haute que son parti, LR, est en perte de sens et de personnalités. Gérard Larcher, c’est le phare, c’est la référence.

Il l’a déjà prouvé, il entend que le Sénat suive aussi les évolutions du temps. Dès le 18 novembre 2008, à un mois et demi de sa première élection, Gérard Larcher a baissé ses indemnités de 30%. En 2009, il a réduit les dépenses de la Présidence du Sénat de 44,5%. Il a aussi supprimé un certain nombre de privilèges dépassés sur la rémunération, les retraites et quelques autres avantages des sénateurs (prêt à taux 0% etc.).

À 71 ans (il vient de les avoir il y a deux semaines et demi), Gérard Larcher a réussi sa mue sénatoriale. Avec ce quatrième mandat à la tête du Sénat, il bat déjà ses deux prédécesseurs, Christian Poncelet et René Monory et si la question est de savoir s’il fera comme Alain Poher, 24 ans à la tête du Sénat, ce qui cela l’amènerait à 86 ans, pas sûr que la sagesse soit d’aller jusque-là.

En tout cas, tout le monde aime Gérard Larcher car l’homme est sympathique, convivial, bon vivant et consensuel, ce n’est pas le genre à tirer à vue, à trahir, à planter des couteaux dans le dos ou à faire de la posture. Il n’est pas homme d’appareil, il est d’abord homme d’intérêt général. Même l’opposition sénatoriale lui reconnaît beaucoup de qualités car il applique très bien ce que la tradition exige théoriquement, à savoir qu’il est le Président de tous les sénateurs.

_yartiLarcherGerardD01

Ancien vétérinaire de chevaux (il a accompagné l’équipe de France aux Jeux olympiques de 1976), il est loin de l’énarchie et de la technocratie d’État. Le bon sens, pas forcément rural (c’est aussi un urbain), ne lui est pas absent. Conseiller municipal de Rambouillet depuis 1979, maire de Rambouillet de mars 1983 à mars 2014 (sauf pendant sa période gouvernementale, son premier adjoint Jean-Frédéric Poisson l’a remplacé ; Christine Boutin fut sa concurrente en 1983), conseiller régional d’Île-de-France de 1986 à 1992, il fut élu sénateur des Yvelines en septembre 1986 (à l’âge de 37 ans, à l’époque, il fallait avoir au moins 35 ans, avec le calendrier électoral, il ne pouvait pas être élu plus jeune), et fut constamment réélu jusqu’à aujourd’hui (soit trente-quatre ans déjà). Comme maire, il fut élu président de la Fédération hospitalière de France de 1997 à 2004, ce qui lui donne à double titre (cette fonction et son métier) un peu plus de compétences sur la crise sanitaire que beaucoup d’autres de ses collègues parlementaires. Le 11 avril 2008, il avait d’ailleurs remis un rapport au Président de la République sur la réforme hospitalière.

Homme accommodant, Gérard Larcher est souvent désespéré de la division de son parti. C’est le cas aujourd’hui avec LR, mais c’était le cas en 1995 au RPR. Favorable à la candidature du Premier Ministre de l’époque Édouard Balladur à l’élection présidentielle, le même jour, il pouvait présider à Rambouillet une réunion du comité de soutien à Édouard Balladur tandis que sa femme, dans une autre salle, présider une réunion du comité de soutien à Jacques Chirac !

Son esprit consensuel, son talent de négociateur, son don d’écoute, il les a pratiqués et il les a démontrés dans ses fonctions de Ministre délégué au Travail (et à l’Emploi et à l’Insertion professionnelle des jeunes) du 31 mars 2004 au 15 mai 2007 dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin (son concurrent pour le Plateau le 24 septembre 2008) et de Dominique de Villepin, lors du dernier mandat du Président Jacques Chirac. En revanche, il a refusé la proposition du Président Nicolas Sarkozy d’être nommé Ministre de l’Agriculture, et cela pour préparer son élection à la Présidence du Sénat.

Gérard Larcher n’a jamais rêvé d’être Président de la République, et encore moins candidat à l’élection présidentielle, mais dans son livre "Contre-pouvoir" d’entretiens avec la journaliste Marion Mourgue, sorti le 4 octobre 2019 (éditions de l’Observatoire), il y a un an, il a exprimé cependant une certaine disponibilité : « Si les événements et les circonstances politiques le décidaient, j’assumerais. ». Ajoutant aussitôt : « Ce n’est pas le rêve de ma vie, mon premier engagement, c’est le Sénat. ».

En tout cas, en ces temps agités de forte tempête, Gérard Larcher reste une référence sûre dans les institutions de la République. C’est pourquoi le deuxième personnage de l’État continuera à compter dans les mois et années à venir, notamment comme lien de dialogue entre le Président de la République Emmanuel Macron et les élus territoriaux qu’il peut prétendre représenter, au même titre que François Baroin, le président de l’Association des maires de France.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Gérard Larcher.
Gérard Larcher au sommet de son influence.
Sénatoriales 2020 (3) : le troisième tour.
Sénatoriales 2020 (2) : large victoire de la droite et du centre.
Les enjeux des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Christian Poncelet.
Résultats des élections municipales de 2020.
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Gérard Larcher réélu en 2017.
Élection du nouveau Président du Sénat (le 2 octobre 2017).
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Sénatoriales 2017 : état des lieux.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Jean-Pierre Bel.
René Monory.
Alain Poher.

_yartiLarcherGerardD03




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201002-gerard-larcher.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/22/39567163.html








 

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1 octobre 2020 4 01 /10 /octobre /2020 19:15

« En France, le bicamérisme est un principe plus que bicentenaire. Il représente un instrument démocratique de modération et je ne cesse de rappeler que depuis l’instauration du quinquennat, il est le balancier stabilisateur de nos institutions. Disparités du territoire, de la démographie… la deuxième chambre joue le rôle d’une "machine" à corriger les inégalités et incarne un enrichissement pour une démocratie moderne et juste. Je suis convaincu que la représentation et la conciliation des différences, qu’elles soient territoriales, politiques, sociales ou autres, apportent de la vitalité et de la solidité à la démocratie. » (Gérard Larcher, le 11 décembre 2014, "Le Courrier du Parlement", propos recueillis par Jean-François Bège).



_yartiLarcherGerardD03

Jour de gloire pour Gérard Larcher. Ce jeudi 1er octobre 2020 à 16 heures 35, Gérard Larcher a en effet été réélu Président du Sénat pour trois ans (jusqu’en septembre 2023) par une large majorité dès le premier tour. C’est son quatrième mandat.

Prononcés par le sénateur centriste d’Arras Jean-Marie Vanlerenberghe, qui présidait la séance inaugurale en tant que doyen d’âge à 81 ans, les résultats sont les suivants : 231 voix pour Gérard Larcher, 65 voix pour Patrick Kanner (PS), 15 voix pour Éliane Assassi (PCF) et 13 voix pour Guillaume Gontard, le président du nouveau groupe écologiste du Sénat. Sur 345 sénateurs votants, 19 ont voté blanc, 2 votes sont nuls, ce qui fait 324 suffrages exprimés, donc la majorité absolue était à 163. Les 231 voix ont donc dépassé de très haut ce seuil de la majorité absolue (71,3%). Aux côtés du doyen, le nouveau benjamin du Sénat, le plus jeune des sénateurs élus de l’histoire, le sénateur socialiste Rémi Cardon, élu le 27 septembre 2020 dans la Somme, à seulement 26 ans et 4 mois (le précédent record était l’élection du maire RN de Fréjeus David Rachline en septembre 2014). Alors, le Sénat, maison de retraite ?

Ce n’était pas une surprise, les résultats des élections sénatoriales du 27 septembre 2020, qui ont vu se renforcer les groupes de sa majorité sénatoriale, ne laissaient aucun doute sur l’issue du scrutin. Pour Gérard Larcher, c’est un grand succès personnel car il a su parfaitement personnifier le Sénat et surtout les sénateurs. Dans son discours d’introduction, il a insisté sur l’utilité du Sénat, sa modernité et sa contribution au débat démocratique (j’y reviendrai).

Dans sa précédente réélection de Président du Sénat, le 2 octobre 2017, Gérard Larcher avait obtenu 223 voix contre 79 voix à Didier Guillaume, à l’époque président du groupe socialiste au Sénat et devenu Ministre de l’Agriculture du gouvernement d’Édouard Philippe du 16 octobre 2018 au 6 juillet 2020, et 15 voix à Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste au Sénat.

Certes, sa corpulence, son double menton, son dos un peu courbé pourraient laisser croire que le Sénat est une maison de retraite (il fut couronné "bébé Blédine" avant de savoir marcher, a écrit LCI le 1er octobre 2014 : « J’avais déjà bon appétit ! »). Mais tous ceux qui ont déjà rencontré Gérard Larcher peuvent l’attester. L’homme est un actif, à l’esprit alerte. D’ailleurs, il se répand souvent dans les médias, sa forme politique est d’autant plus haute que son parti, LR, est en perte de sens et de personnalités. Gérard Larcher, c’est le phare, c’est la référence.

Il l’a déjà prouvé, il entend que le Sénat suive aussi les évolutions du temps. Dès le 18 novembre 2008, à un mois et demi de sa première élection, Gérard Larcher a baissé ses indemnités de 30%. En 2009, il a réduit les dépenses de la Présidence du Sénat de 44,5%. Il a aussi supprimé un certain nombre de privilèges dépassés sur la rémunération, les retraites et quelques autres avantages des sénateurs (prêt à taux 0% etc.).

À 71 ans (il vient de les avoir il y a deux semaines et demi), Gérard Larcher a réussi sa mue sénatoriale. Avec ce quatrième mandat à la tête du Sénat, il bat déjà ses deux prédécesseurs, Christian Poncelet et René Monory et si la question est de savoir s’il fera comme Alain Poher, 24 ans à la tête du Sénat, ce qui cela l’amènerait à 86 ans, pas sûr que la sagesse soit d’aller jusque-là.

En tout cas, tout le monde aime Gérard Larcher car l’homme est sympathique, convivial, bon vivant et consensuel, ce n’est pas le genre à tirer à vue, à trahir, à planter des couteaux dans le dos ou à faire de la posture. Il n’est pas homme d’appareil, il est d’abord homme d’intérêt général. Même l’opposition sénatoriale lui reconnaît beaucoup de qualités car il applique très bien ce que la tradition exige théoriquement, à savoir qu’il est le Président de tous les sénateurs.

_yartiLarcherGerardD02

Ancien vétérinaire de chevaux (il a accompagné l’équipe de France aux Jeux olympiques de 1976), il est loin de l’énarchie et de la technocratie d’État. Le bon sens, pas forcément rural (c’est aussi un urbain), ne lui est pas absent. Conseiller municipal de Rambouillet depuis 1979, maire de Rambouillet de mars 1983 à mars 2014 (sauf pendant sa période gouvernementale, son premier adjoint Jean-Frédéric Poisson l’a remplacé ; Christine Boutin fut sa concurrente en 1983), conseiller régional d’Île-de-France de 1986 à 1992, il fut élu sénateur des Yvelines en septembre 1986 (à l’âge de 37 ans, à l’époque, il fallait avoir au moins 35 ans, avec le calendrier électoral, il ne pouvait pas être élu plus jeune), et fut constamment réélu jusqu’à aujourd’hui (soit trente-quatre ans déjà). Comme maire, il fut élu président de la Fédération hospitalière de France de 1997 à 2004, ce qui lui donne à double titre (cette fonction et son métier) un peu plus de compétences sur la crise sanitaire que beaucoup d’autres de ses collègues parlementaires. Le 11 avril 2008, il avait d’ailleurs remis un rapport au Président de la République sur la réforme hospitalière.

Homme accommodant, Gérard Larcher est souvent désespéré de la division de son parti. C’est le cas aujourd’hui avec LR, mais c’était le cas en 1995 au RPR. Favorable à la candidature du Premier Ministre de l’époque Édouard Balladur à l’élection présidentielle, le même jour, il pouvait présider à Rambouillet une réunion du comité de soutien à Édouard Balladur tandis que sa femme, dans une autre salle, présider une réunion du comité de soutien à Jacques Chirac !

Son esprit consensuel, son talent de négociateur, son don d’écoute, il les a pratiqués et il les a démontrés dans ses fonctions de Ministre délégué au Travail (et à l’Emploi et à l’Insertion professionnelle des jeunes) du 31 mars 2004 au 15 mai 2007 dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin (son concurrent pour le Plateau le 24 septembre 2008) et de Dominique de Villepin, lors du dernier mandat du Président Jacques Chirac. En revanche, il a refusé la proposition du Président Nicolas Sarkozy d’être nommé Ministre de l’Agriculture, et cela pour préparer son élection à la Présidence du Sénat.

Gérard Larcher n’a jamais rêvé d’être Président de la République, et encore moins candidat à l’élection présidentielle, mais dans son livre "Contre-pouvoir" d’entretiens avec la journaliste Marion Mourgue, sorti le 4 octobre 2019 (éditions de l’Observatoire), il y a un an, il a exprimé cependant une certaine disponibilité : « Si les événements et les circonstances politiques le décidaient, j’assumerais. ». Ajoutant aussitôt : « Ce n’est pas le rêve de ma vie, mon premier engagement, c’est le Sénat. ».

En tout cas, en ces temps agités de forte tempête, Gérard Larcher reste une référence sûre dans les institutions de la République. C’est pourquoi le deuxième personnage de l’État continuera à compter dans les mois et années à venir, notamment comme lien de dialogue entre le Président de la République Emmanuel Macron et les élus territoriaux qu’il peut prétendre représenter, au même titre que François Baroin, le président de l’Association des maires de France.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Gérard Larcher au sommet de son influence.
Sénatoriales 2020 (3) : le troisième tour.
Sénatoriales 2020 (2) : large victoire de la droite et du centre.
Les enjeux des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Christian Poncelet.
Résultats des élections municipales de 2020.
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Gérard Larcher réélu en 2017.
Élection du nouveau Président du Sénat (le 2 octobre 2017).
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Sénatoriales 2017 : état des lieux.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Jean-Pierre Bel.
René Monory.
Alain Poher.

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1 octobre 2020 4 01 /10 /octobre /2020 15:44

« En France, le bicamérisme est un principe plus que bicentenaire. Il représente un instrument démocratique de modération et je ne cesse de rappeler que depuis l’instauration du quinquennat, il est le balancier stabilisateur de nos institutions. Disparités du territoire, de la démographie… la deuxième chambre joue le rôle d’une "machine" à corriger les inégalités et incarne un enrichissement pour une démocratie moderne et juste. Je suis convaincu que la représentation et la conciliation des différences, qu’elles soient territoriales, politiques, sociales ou autres, apportent de la vitalité et de la solidité à la démocratie. » (Gérard Larcher, le 11 décembre 2014, "Le Courrier du Parlement", propos recueillis par Jean-François Bège).



_yartiLarcherGerardD01

Jour de gloire pour Gérard Larcher. Ce jeudi 1er octobre 2020 à 16 heures 35, Gérard Larcher a en effet été réélu Président du Sénat pour trois ans (jusqu’en septembre 2023) par une large majorité dès le premier tour. C’est son quatrième mandat.

Prononcés par le sénateur centriste d’Arras Jean-Marie Vanlerenberghe, qui présidait la séance inaugurale en tant que doyen d’âge à 81 ans, les résultats sont les suivants : 231 voix pour Gérard Larcher, 65 voix pour Patrick Kanner (PS), 15 voix pour Éliane Assassi (PCF) et 13 voix pour Guillaume Gontard, le président du nouveau groupe écologiste du Sénat. Sur 345 sénateurs votants, 19 ont voté blanc, 2 votes sont nuls, ce qui fait 324 suffrages exprimés, donc la majorité absolue était à 163. Les 231 voix ont donc dépassé de très haut ce seuil de la majorité absolue (71,3%). Aux côtés du doyen, le nouveau benjamin du Sénat, le plus jeune des sénateurs élus de l’histoire, le sénateur socialiste Rémi Cardon, élu le 27 septembre 2020 dans la Somme, à seulement 26 ans et 4 mois (le précédent record était l’élection du maire RN de Fréjeus David Rachline en septembre 2014). Alors, le Sénat, maison de retraite ?

Ce n’était pas une surprise, les résultats des élections sénatoriales du 27 septembre 2020, qui ont vu se renforcer les groupes de sa majorité sénatoriale, ne laissaient aucun doute sur l’issue du scrutin. Pour Gérard Larcher, c’est un grand succès personnel car il a su parfaitement personnifier le Sénat et surtout les sénateurs. Dans son discours d’introduction, il a insisté sur l’utilité du Sénat, sa modernité et sa contribution au débat démocratique (j’y reviendrai).

Dans sa précédente réélection de Président du Sénat, le 2 octobre 2017, Gérard Larcher avait obtenu 223 voix contre 79 voix à Didier Guillaume, à l’époque président du groupe socialiste au Sénat et devenu Ministre de l’Agriculture du gouvernement d’Édouard Philippe du 16 octobre 2018 au 6 juillet 2020, et 15 voix à Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste au Sénat.

Certes, sa corpulence, son double menton, son dos un peu courbé pourraient laisser croire que le Sénat est une maison de retraite (il fut couronné "bébé Blédine" avant de savoir marcher, a écrit LCI le 1er octobre 2014 : « J’avais déjà bon appétit ! »). Mais tous ceux qui ont déjà rencontré Gérard Larcher peuvent l’attester. L’homme est un actif, à l’esprit alerte. D’ailleurs, il se répand souvent dans les médias, sa forme politique est d’autant plus haute que son parti, LR, est en perte de sens et de personnalités. Gérard Larcher, c’est le phare, c’est la référence.

Il l’a déjà prouvé, il entend que le Sénat suive aussi les évolutions du temps. Dès le 18 novembre 2008, à un mois et demi de sa première élection, Gérard Larcher a baissé ses indemnités de 30%. En 2009, il a réduit les dépenses de la Présidence du Sénat de 44,5%. Il a aussi supprimé un certain nombre de privilèges dépassés sur la rémunération, les retraites et quelques autres avantages des sénateurs (prêt à taux 0% etc.).

À 71 ans (il vient de les avoir il y a deux semaines et demi), Gérard Larcher a réussi sa mue sénatoriale. Avec ce quatrième mandat à la tête du Sénat, il bat déjà ses deux prédécesseurs, Christian Poncelet et René Monory et si la question est de savoir s’il fera comme Alain Poher, 24 ans à la tête du Sénat, ce qui cela l’amènerait à 86 ans, pas sûr que la sagesse soit d’aller jusque-là.

En tout cas, tout le monde aime Gérard Larcher car l’homme est sympathique, convivial, bon vivant et consensuel, ce n’est pas le genre à tirer à vue, à trahir, à planter des couteaux dans le dos ou à faire de la posture. Il n’est pas homme d’appareil, il est d’abord homme d’intérêt général. Même l’opposition sénatoriale lui reconnaît beaucoup de qualités car il applique très bien ce que la tradition exige théoriquement, à savoir qu’il est le Président de tous les sénateurs.

_yartiLarcherGerardD02

Ancien vétérinaire de chevaux (il a accompagné l’équipe de France aux Jeux olympiques de 1976), il est loin de l’énarchie et de la technocratie d’État. Le bon sens, pas forcément rural (c’est aussi un urbain), ne lui est pas absent. Conseiller municipal de Rambouillet depuis 1979, maire de Rambouillet de mars 1983 à mars 2014 (sauf pendant sa période gouvernementale, son premier adjoint Jean-Frédéric Poisson l’a remplacé ; Christine Boutin fut sa concurrente en 1983), conseiller régional d’Île-de-France de 1986 à 1992, il fut élu sénateur des Yvelines en septembre 1986 (à l’âge de 37 ans, à l’époque, il fallait avoir au moins 35 ans, avec le calendrier électoral, il ne pouvait pas être élu plus jeune), et fut constamment réélu jusqu’à aujourd’hui (soit trente-quatre ans déjà). Comme maire, il fut élu président de la Fédération hospitalière de France de 1997 à 2004, ce qui lui donne à double titre (cette fonction et son métier) un peu plus de compétences sur la crise sanitaire que beaucoup d’autres de ses collègues parlementaires. Le 11 avril 2008, il avait d’ailleurs remis un rapport au Président de la République sur la réforme hospitalière.

Homme accommodant, Gérard Larcher est souvent désespéré de la division de son parti. C’est le cas aujourd’hui avec LR, mais c’était le cas en 1995 au RPR. Favorable à la candidature du Premier Ministre de l’époque Édouard Balladur à l’élection présidentielle, le même jour, il pouvait présider à Rambouillet une réunion du comité de soutien à Édouard Balladur tandis que sa femme, dans une autre salle, présider une réunion du comité de soutien à Jacques Chirac !

Son esprit consensuel, son talent de négociateur, son don d’écoute, il les a pratiqués et il les a démontrés dans ses fonctions de Ministre délégué au Travail (et à l’Emploi et à l’Insertion professionnelle des jeunes) du 31 mars 2004 au 15 mai 2007 dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin (son concurrent pour le Plateau le 24 septembre 2008) et de Dominique de Villepin, lors du dernier mandat du Président Jacques Chirac. En revanche, il a refusé la proposition du Président Nicolas Sarkozy d’être nommé Ministre de l’Agriculture, et cela pour préparer son élection à la Présidence du Sénat.

Gérard Larcher n’a jamais rêvé d’être Président de la République, et encore moins candidat à l’élection présidentielle, mais dans son livre "Contre-pouvoir" d’entretiens avec la journaliste Marion Mourgue, sorti le 4 octobre 2019 (éditions de l’Observatoire), il y a un an, il a exprimé cependant une certaine disponibilité : « Si les événements et les circonstances politiques le décidaient, j’assumerais. ». Ajoutant aussitôt : « Ce n’est pas le rêve de ma vie, mon premier engagement, c’est le Sénat. ».

En tout cas, en ces temps agités de forte tempête, Gérard Larcher reste une référence sûre dans les institutions de la République. C’est pourquoi le deuxième personnage de l’État continuera à compter dans les mois et années à venir, notamment comme lien de dialogue entre le Président de la République Emmanuel Macron et les élus territoriaux qu’il peut prétendre représenter, au même titre que François Baroin, le président de l’Association des maires de France.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er octobre 2020)
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Pour aller plus loin :
Gérard Larcher au sommet de son influence.
Sénatoriales 2020 (3) : le troisième tour.
Sénatoriales 2020 (2) : large victoire de la droite et du centre.
Les enjeux des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Christian Poncelet.
Résultats des élections municipales de 2020.
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Gérard Larcher réélu en 2017.
Élection du nouveau Président du Sénat (le 2 octobre 2017).
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Sénatoriales 2017 : état des lieux.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Jean-Pierre Bel.
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21 septembre 2020 1 21 /09 /septembre /2020 03:53

« Les sénateurs multiplient les offensives pour contrer les réformes visant à modifier les statuts du Sénat. Moins d’une dizaine de jours après la plainte qu’ils ont déposée (…) pour l’adoption de ce projet de loi controversé à l’Assemblée nationale, les voilà en train de demander l’annulation du décret de convocation des grands électeurs pour les sénatoriales (…). Une délégation de sénateurs (…) a déposé hier un recours (…). Ces sénateurs dénoncent cette fois-ci un décret illégal. » (17 septembre 2020).



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Le titre surprenant et les quelques phrases introduisent un article de …"Madagascar-Tribune" publié par R. Mandimbisoa le 17 septembre 2020 et qui concerne les élections sénatoriales à Madagascar prévues le 11 décembre 2020. Situation politique tendue à Madagascar puisque le Président Andry Rajoelina s’est permis de réformer les institutions par voie de simples ordonnances qui n’ont même pas été ratifiées par les parlementaires dans les délais. J’évoque ces élections sénatoriales malgaches juste pour rappeler que la France n’est pas seule au monde. Mon introduction est un peu provocatrice car mon article veut en fait évoquer les élections sénatoriales françaises qui ont lieu dans quelques jours, le dimanche 27 septembre 2020, et la campagne électorale ne bénéficie que d’un très faible écho médiatique.

Pourtant, le Sénat, en France, est une instance importante et au contraire de l’Assemblée Nationale, ce n’est pas une chambre d’enregistrement. La manière très territorialisée de désigner les sénateurs, leur longévité, leur sagesse qui les décale de l’actualité survoltée et leurs couloirs feutrés ont toujours donné une valeur ajoutée au rôle du Parlement, dans la construction des lois, mais aussi dans le contrôle sur le gouvernement.

Le Président du Sénat Gérard Larcher, candidat à sa reconduction et très apprécié de tous les sénateurs, pas seulement de la majorité sénatoriale, a d’ailleurs une formule choc pour résumer l’état d’esprit du Sénat : « Le Sénat ne dit jamais oui par discipline et non par dogmatisme. ». Et c’est vrai que c’est précieux d’éviter de réagir par posture politicienne ou idéologique, et de simplement rechercher, sincèrement parfois de manière étonnante, l’intérêt général.

On l’a vu dans l’affaire Benalla où la commission d’enquête du Sénat a fait beaucoup plus d’investigations et a été beaucoup plus utile que celle de l’Assemblée Nationale. On verra d’ailleurs dans quelques semaines ou quelques mois, on pourra faire la comparaison entre la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale et celle du Sénat sur la gestion de la crise du covid-19 (qui n’est pas encore terminée).

Dans l’élaboration de la loi, tout ce qui relève du long terme a montré les atouts du Sénat, qui fut à l’origine des premières lois de bioéthiques (notamment avec le sénateur de Nancy Claude Huriet). Les sénateurs, capables de plus d’indépendance vis-à-vis des états-majors partisans, ont pu améliorer de nombreuses lois, ne se frottant pas aux diktats des chefs de partis, ont supprimé des dispositions très clivantes et contestées (par exemple les tests ADN pour les candidats à l’immigration), etc. Même si, parfois, leurs propositions ne sont pas prises en compte puisque, à part dans le cadre des révisions constitutionnelles et quelques autres exceptions, l’Assemblée Nationale garde toujours le mot de la fin.

Les sénateurs sont aussi très présents dans la vie de la société, ce qu’on pourrait appeler la "vie réelle", ou "forces vives", en organisant des journées spécifiques pour les chercheurs, pour les apprentis, pour les entreprises innovantes, etc.

Les sénateurs ont le temps de réfléchir, et il est faux de dire que le Sénat est une maison de retraite. Il suffit, pour donner un exemple, de demander à la conseillère régionale communiste de Rhône-Alpes depuis 2004, élue sénatrice de la Loire en 2011 à l’âge de 35 ans (réélue en 2017) et qui est loin d’être personne âgée agonisante et inactive ! Ou encore demander à Loïc Hervé, ancien maire UDI de Marnaz (élu pour la première fois à 28 ans), et élu sénateur de Haute-Savoie en 2014 à l’âge de 34 ans (il espère être réélu), par ailleurs capitaine de corvette de réserve dans la Marine nationale, qui n’est pas non plus un vieillard croulant.

Avec ce temps long, les sénateurs évitent de tomber dans l’émotionnel en pleine accélération des événements d’actualité. Cela ne les a pas exonérés de réformes internes et d’adaptation à cette accélération : sous l’impulsion de Christian Poncelet et du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, les sénateurs se sont réformés eux-mêmes. Ils ont ainsi réduit la durée de leur mandat de neuf ans (beaucoup trop long maintenant) à six ans.

Ils ont aussi renforcé leur représentativité dans les départements (avec plus de proportionnelle), et le Sénat a montré qu’il savait être représentatif du paysage politique : longtemps fief des partis centristes et radicaux, il a déjà eu une majorité gaulliste (depuis 1998) et même socialiste (entre 2011 et 2014), ce qui signifie que tous les partis peuvent, un jour, espérer conquérir la majorité sénatoriale, mais celle-ci ne sera jamais monolithique car cette majorité n’a jamais été autrement qu’une coalition de plusieurs partis ou groupes politiques, au contraire de ce qui se passe à l’Assemblée Nationale.

L’élection au suffrage universel indirect des sénateurs a l’avantage de leur faire représenter non seulement la population (ce qui est plus le rôle des députés) mais aussi les territoires. En effet, les sénateurs sont élus par les parlementaires, les conseillers régionaux et départementaux, mais surtout, pour 95% de leurs grands électeurs, par les délégués des conseils municipaux des 35 416 communes. C’est pourquoi il fallait absolument organiser les élections municipales avant les élections sénatoriales, afin d’être représentatives de l’évolution des territoires en 2020, et il y en a eu, notamment sur le front de l’écologie politique et des grandes villes. Par ailleurs, le suffrage universel indirect réduit les tentations démagogiques, puisque les grands électeurs sont souvent des personnes qui connaissent déjà les dossiers locaux et qui savent qu’il n’y a jamais de solution simple à des problèmes complexes.

En tout, 348 sénateurs siègent au Sénat, et 172 sièges sont renouvelables le 27 septembre 2020 (les départements du début et de la fin de la liste alphabétique, hors départements franciliens). Les autres sièges ont été renouvelés le 24 septembre 2017 et seront remis en jeu en septembre 2023. 6 autres sièges auraient dû être renouvelés en 2017, ceux des sénateurs représentant les Français établis hors de France, mais le report des élections consulaires pour cause de crise du covid-19 a fait repousser l’élection de ces 6 sénateurs à 2021.

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Actuellement, issu des élections sénatoriales du 24 septembre 2017, le Sénat est composé de sept groupes politiques : le groupe LR présidé par Bruno Retailleau, actuellement candidat à la candidature LR à l’élection présidentielle de 2022, qui est le groupe le plus important avec 144 sièges (dont 76 renouvelables) ; le groupe socialiste présidé par l’ancien ministre Patrick Kanner, avec 71 sièges (dont 35 renouvelables) ; le groupe Union centriste (UC, notamment l’UDI, mais aussi MoDem, sur ce dernier point, sous réserve que je ne me trompe pas !) présidé par Hervé Marseille, avec 51 sièges (dont 24 renouvelables) ; le groupe RDSE (Rassemblement démocratique, social et européen, notamment les radicaux) présidé par Jean-Claude Requier, avec 24 sièges (dont 14 renouvelables) ; le groupe LREM présidé par François Patriat, avec 23 sièges (dont 10 renouvelables) ; le groupe communiste présidé par Éliane Assassi, avec 16 sièges (dont seulement 3 renouvelables) et le groupe LIRT (Les Indépendants  et République et Territoires) présidé par Claude Malhuret, avec 13 sièges (dont 6 renouvelables). Ce dernier groupe était issu de LR mais Macron-compmatible. Parmi les 6 sénateurs sans appartenance à un groupe, il y a deux sénateurs issus des listes FN de 2014 qui sont renouvelables.

L’un des principaux enjeux de ces élections sénatoriales, c’est de savoir si la majorité sénatoriale sera reconduite ou pas. Ce scrutin dépend beaucoup des résultats des dernières élections municipales où LR et le centre droit ont maintenu leurs positions sauf dans quelques grandes villes. La majorité sénatoriale sortante était confortable, au moins 208 sièges (sans compter certains élus du groupe RDSE), pour une majorité absolue de 175. Il y a donc peu de chance, avec les résultats des municipales, qu’il y ait un grand bouleversement, d’autant plus que Gérard Larcher mène une campagne très active dans toute la France.

Il y a aussi deux autres enjeux : le parti présidentiel et les écologistes.

LREM n’a pas réussi à conquérir les "territoires", ni aux sénatoriales de 2017 (au moyen de transfuges du PS ou de LR), ni aux municipales de 2020. Il y a donc peu d’incertitude à ce sujet, les sénateurs LREM devraient rester un groupe assez peu nombreux et ne pas avoir plus d’influence qu’auparavant, ce qui, pour le Président Emmanuel Macron, lui empêche toute initiative vraiment sérieuse de révision constitutionnelle (le Sénat, comme contre-pouvoir, est donc une instance indispensable dans une démocratie équilibrée qui ne doit pas permettre à un seul homme de faire tout ce qu’il veut, comme c’est le cas, par exemple, à Madagascar, voir plus haut).

Plus intéressante sera surtout la connexion entre les sénateurs LREM et les sénateurs de la majorité sénatoriale sortante (LR, UC, LITR, etc.). Il y a des espaces de coopération évidents entre LR et alliés et LREM au Sénat. Intéressant par exemple, l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe, issu de LR mais ancien chef de la majorité LREM, fait actuellement campagne, aussi en tant que maire du Havre, pour soutenir des candidats aussi bien de la majorité sénatoriale que de la majorité présidentielle (comme Sébastien Lecornu, actuel membre du gouvernement).

Son appel au rassemblement du 16 septembre 2020 à Octeville-sur-Mer n’est d’ailleurs pas passé inaperçu des observateurs avisés de la vie politique nationale : « Je suis assez insensible aux logiques partisanes. Je pense que les gens votent pour les conseillers départementaux, les maires, les sénateurs pour ce qu’ils connaissent de la personne, par adhésion à la personne, à ce qu’elle fait, à ce qu’elle comprend (…). Plutôt qu’aux logiques partisanes, intéressons-nous aux femmes, aux hommes, aux projets, à la méthode, aux valeurs, à ce pour quoi vous voulez vous battre. Le dépassement, le sens de l’État, le sens de la France, devraient pouvoir plus sûrement qu’une boussole partisane nous dire comment travailler ensemble. ».

Le troisième enjeu, qui, à mon sens, est la seule vraie inconnue, c’est le résultat des écologistes à ce scrutin très particulier. En juin 2017, les écologistes avaient perdu leur groupe qu’il avait pu former en janvier 2012 et qui était présidé par Jean-Vincent Placé (en juin 2017, un sénateur EELV a rejoint le groupe LREM, faisant passer le nombre de sénateurs EELV à neuf, soit en dessous du seuil requis pour créer un groupe). Le scrutin du 24 septembre 2017 n’a pas permis de recréer ce groupe.

La conquête de grandes métropoles (notamment Lyon, Strasbourg, Bordeaux, etc.) devrait avoir une traduction sur le scrutin sénatorial, d’autant plus que ces métropoles sont situées, pour la plupart (hasard du calendrier), dans des départements renouvelables (ce qui n’est pas le cas de Grenoble). Actuellement, il n’y a que cinq sénateurs écologistes sortants et la sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbassa espère bien que les écologistes pourront reformer un groupe politique (il faut dix sièges) et aussi, elle souhaite le présider !

Les dirigeants EELV comptent raisonnablement conquérir un siège en Gironde, dans le Rhône, dans le Bas-Rhin, en Haute-Savoie et en Ille-et-Vilaine. Le problème pour eux, c’est que la conquête des métropoles ne s’est jamais faite sans coalition avec des mouvements de gauche, et donc, la "distribution" des délégués de ces grandes villes va donner des résultats peu prévisibles, d’autant plus que EELV n’a pas gagné de banlieues dans les grandes agglomérations et que l’attitude doctrinaire récente des nouveaux maires écologistes pourrait rebuter plus d’un grand électeur.

Enfin, je rajoute un quatrième enjeu : le RN. En 2014, le FN avait créé la surprise en gagnant deux sièges de sénateurs, Stéphane Ravier, maire du 7e secteur à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, qui devrait probablement être réélu, et David Rachline, maire de Fréjus, dans le Var, qui, en raison de la loi sur le cumul des mandats, a démissionné de son mandat de sénateur. Sa successeure en octobre 2017 comme sénatrice du Var est Claudine Kauffmann qui fut exclu du FN en 2018 en raison de ses positions très extrêmistes (sur les migrants, etc.), si bien …qu’elle a adhéré en 2019 à Debout la France ! de Nicolas Dupont-Aignan (qui, donc, récupère les trop extrémistes du RN !). Il y a peu de doute qu’elle ne sera pas réélue et le maintien d’un siège RN dans le Var n’est même pas certain (la personnalité de David Rachline avait beaucoup contribué à son élection en 2014).

Plus généralement, à l’exception de Perpignan, en Pyrénées-Orientales, le RN a fait des scores assez médiocres aux dernières municipales et le scrutin des sénatoriales devrait le refléter (notons que le département de Pyrénées-Orientales n’est pas renouvelable en 2020, la conquête d’un siège RN au Sénat dans ce département pourrait avoir lieu seulement en 2023, ou pas, en tout cas, pas avant 2023).

Sur le plan des personnalités, précisons enfin que les sénateurs sortants Claude Malhuret, Dominique Estrosi Sassone, Jean-Noël Guérini, Stéphane Ravier, François Patriat, Alain Houpert, Ladislas Poniatowski, Nicole Duranton, Hervé Maurey, Alain Cazabonne, Nathalie Delattre, Jean-Pierre Grand, François-Noël Buffet, Alain Joyandet, Loïc Hervé, Catherine Morin-Desailly, Claudine Kauffmann, Alain Milon, Bruno Retailleau, Daniel Gremillet, entre autres, sont candidats à leur réélection, tandis que Yves Daudigny, Philippe Adnot, Bruno Gilles, Bernard Cazeau, Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Vial, Jérôme Bignon, Yvon Collin et Alain Fouché, notamment, ne se représentent pas et quittent le Sénat.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les enjeux des élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Christian Poncelet.
Résultats des élections municipales de 2020.
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Gérard Larcher.
Élection du nouveau Président du Sénat (le 2 octobre 2017).
Résultats des élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Sénatoriales 2017 : état des lieux.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
La Ve République.
La campagne des élections législatives de juin 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
Jean-Pierre Bel.
René Monory.
Alain Poher.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200920-senatoriales-2020a.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-senateurs-exigent-l-annulation-227231

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/16/38536952.html






 

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26 août 2020 3 26 /08 /août /2020 03:21

« Je voudrais dire à tous les parlementaires que je mesure l’ampleur de la tâche à venir et que je l’embrasse avec beaucoup d’humilité. Je voudrais également vous dire ma fierté d’être ici, devant la représentation nationale. » (Éric Dupond-Moretti, le 8 juillet 2020 à l’Assemblée Nationale).



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Si la nomination du gouvernement Castex, le 6 juillet 2020, devait se résumer à une seule surprise, ce serait la venue du célèbre avocat médiatique Éric Dupond-Moretti place Vendôme, comme Garde des Sceaux et Ministre de la Justice. Il a remplacé Nicole Belloubet dont le départ était attendu depuis plusieurs mois voire années (elle a "duré" quand même trois ans), ce qui a valu, le 7 juillet 2020 une passation des pouvoirs beaucoup trop chaleureuse pour la crise sanitaire qui sévit actuellement en France et dans le monde (les gestes barrières étaient loin d’être respectés).

Ce n’est pas nouveau qu’un avocat soit nommé ministre de la justice, c’est assez fréquent : Robert Badinter, Georges Kiejman, Pascal Clément, et plus généralement, lorsqu’un avocat est nommé ministre : Nicolas Sarkozy, Roland Dumas, etc. et c’était même très fréquent sous la Troisième République. En revanche, nommer une personnalité aussi forte, un caractère aussi clivant, une intelligence aussi vive, un électron aussi libre, c’est admettre une part de risques médiatiques pour le gouvernement.

Le baptême du feu d’Éric Dupond-Moretti a eu lieu le lendemain, le 8 juillet 2020, lâché dans ce qu’on pourrait croire être une cage aux lions, les lions étant les députés puisque je veux parler de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. En effet, la première séance de questions au gouvernement après la nomination d’un nouveau gouvernement est souvent un bizutage pour les nouveaux ministres, surtout pour ceux qui, comme le Premier Ministre Jean Castex et ce nouveau Garde des Sceaux, n’ont jamais eu encore l’occasion de s’y exprimer, comme députés ou comme ministres. Pour les députés, il y a une part de curiosité, de bienveillance (pour les députés de la majorité) et évidemment de provocation (pour les députés de l’opposition), pour "tester" le nouveau ministre. Après tout, puisque nous sommes bientôt à la rentrée scolaire, c’est ce que font généralement les élèves pour "tester" leurs nouveaux professeurs, et gare aux premières impressions !

L’entrée au gouvernement de maître Dupond-Moretti m’avait plutôt interloqué, en ce sens que je ne savais qu’en penser : serait-ce un bien ou pas pour la nation ? C’est sûr qu’il vaut mieux répondre à la question plutôt lorsqu’un ministre quitte son ministère, mais je ne savais pas si je devais m’inquiéter, comme beaucoup de juges qui ne semblent pas apprécier beaucoup le ténor des prétoires, ou au contraire me réjouir d’un homme volontaire prêt à bousculer les freins ambiants pour aller dans le "bon sens", à condition de savoir où est le "bon sens".

Ce qui m’a amusé et finalement "séduit" dans cette personnalité très forte, mais aussi attachante, c’est que voici un homme qui, sur le plan de l’expression orale et de la formulation de concepts intellectuels, n’a aucun mal à improviser et à briller. Son métier d’avocat, sa verve, son charisme, son ton particulièrement audible, l’ont largement entraîné aux joutes parlementaires. Et pourtant, à cette séance de bizutage, j’ai eu l’impression de voir un petit enfant un peu inquiet, très intimidé, et plongeant dans une piscine sans savoir nager.

Car depuis sa nomination, Éric Dupond-Moretti semble avoir transmuté. Il n’est plus le ténor, il est l’intimidé. Il n’est plus le fort-en-gueule, il est le faible-et-humble. Alors qu’il était au sommet de sa carrière d’avocat, à 59 ans, capable de lâcher n’importe quelle bombe médiatique en sachant qu’elle portera, défendant le "diable" dans de très nombreuses affaires politiques, sensibles et très médiatisées (par exemple, au procès de Patrick Balkany), le choix de s’engager dans la vie politique (qu’il ne connaissait visiblement pas sinon par sa culture livresque) était un grand risque pour lui.

Celui d’abord de changer son image publique déjà très clivante (et on sait qu’on aime rarement ceux qui sont aux commandes, désignés comme responsables de tous les dysfonctionnements du pays), celui aussi de prendre le risque de changer totalement de vie : il sait qu’il ne sera ministre que 600 jours (jusqu’à la prochaine élection présidentielle), cela pourra être plus le cas échéant, mais il sait de toute façon que la fonction de ministre est très temporaire, et la question est : pourra-t-il retrouver sa "position" d’avocat d’avant son ministère comme avant ?

Pour faire une analogie, lorsque la journaliste politique Michèle Cotta avait accepté des fonctions de gestion voire de régulation avec ses nominations, par le Président François Mitterrand, d’abord comme présidente directrice générale de Radio France, puis comme Présidente de la Haute Autorité de l’audiovisuel (l’ancêtre du CSA), elle n’imaginait pas ses difficultés au bout de ces fonctions : elle n’analysait plus, elle ne commentait plus, au contraire, elle réglementait ses propres anciens collègues, et cela a été assez difficile de retrouver son ancienne casquette, celle qu’elle a toujours préférée et qu’elle continue de porter même à 83 ans, à savoir de chroniqueuse politique.

Évidemment, si Éric Dupond-Moretti a pris beaucoup de risques à accepter sa mission, c’est parce qu’il y a aussi trouvé un intérêt, et probablement à partir d’une certaine naïveté : la possibilité, réelle, concrète, de pouvoir changer les choses, d’avoir accès à des manettes.

En se rendant à l’Assemblée Nationale, Éric Dupond-Moretti a donc quitté sa zone de confort et est entré dans l’inconnu. Les tribunaux, il connaît assez bien, il connaît les jeux de rôles, les emphases des avocats, du procureur, les effets de manche, les retournements des jurés, les procédures du juge. Tout cela, il connaît, mais devant les plus de cinq cents députés, le revoici jeune adolescent, inquiet et perplexe, ne sachant pas comment réagir.

D’ailleurs, dès sa première intervention, répondant à une première question, Éric Dupond-Moretti fut victime de chahuts de la part de députés de l’opposition. Eh oui, la Chambre des députés, c’est aussi un théâtre, avec ses règles et ses jeux de rôle, ce n’est pas particulièrement intelligent, mais ce sont les mœurs parlementaires. Et encore, dans le passé, c’était beaucoup plus "physique" qu’aujourd’hui. Dès que le président de séance, Richard Ferrand, lui a donné la parole, il s’est retrouvé dans un brouhaha permanent.

Éric Dupond-Moretti a dû alors dire, au lieu même de saluer le président de séance et les députés, en répondant à des interpellations : « Vous avez raison, nous ne sommes pas au spectacle et je vais répondre à la question que m’a posée M. le député. ». La question qu’Antoine Savignat avait posée au nouveau ministre était aussi simple que polémique : « Monsieur le ministre, vos actions futures seront-elles en adéquation avec vos déclarations passées, ou pas ? ».

La réponse : « Vous savez tous que, lorsqu’on est un avocat pénaliste libre, on n’a pas la même parole que lorsqu’on représente l’État. Cela n’échappe à personne. Avez-vous toujours dit la même chose ? Il est vrai que j’ai dit, un jour, que je n’accepterai pas cette tâche, il doit y avoir une dizaine ou une quinzaine d’années. »… puis sont survenus des rires de députés LR, à quoi le ministre a répliqué : « Je vous en prie. Cette première est déjà compliquée pour moi. J’ai un sens aigu du contradictoire et du respect de la parole de l’autre. J’aimerais que vous me laissiez au moins m’exprimer. Monsieur le député, on ne juge pas des hommes sur des a priori, vous me jugerez sur ce que j’ai fait, quand je l’aurait fait. Quand on est au café du commerce, on ne s’exprime pas comme un avocat. Quand on est avocat, on ne s’exprime pas comme un ministre. Moi, au café du commerce, je ne porte pas la cravate, mais j’en mets une pour venir à l’Assemblée. ».

La cravate (qui n’est plus obligatoire désormais dans l’hémicycle, depuis juin 2017), comme signe de la transmutation de maître Dupond-Moretti ! Nul doute qu’il a toujours sacralisé les fonctions politiques (ce qui est rare de nos jours) et qu’il se sent très petit dans son nouveau costume de ministre.

Il faisait presque office de fayot qui se victimisait, lorsque, devant tant d’exclamations des députés, il a pleurniché : « Je vais vous répondre… Les interruptions sont-elle décomptées, monsieur le président ? ». Et Richard Ferrand, impitoyable (et le sourire dans le coin de la bouche) : « Elles ne sont pas décomptées, monsieur le ministre. On souffre en silence. Il serait bon, toutefois, que je ne sois pas obligé de faire un nouveau rappel à l’ordre. Cela fait déjà le troisième ! ».

Et Éric Dupond-Moretti de reprendre le fil de sa réponse : « Ma parole a été celle d’un homme libre. Ma parole sera celle d’un ministre de ce gouvernement. Je remercie le Président de la République et le Premier Ministre de la confiance qu’ils m’accordent. Je veux travailler avec vous tous, députés de la majorité comme députés de l’opposition. Encore un mot : je sais que c’est possible, parce que l’idée qu’on se fait de la justice, l’idée, monsieur le député, qu’on se fait de la justice, vous me l’accorderez, transcende les clivages. ».

Bien que certains députés aient souligné que son temps de parole était déjà achevé, il a pu quand même évoquer le fond : « J’ai vécu la commission d’enquête parlementaire chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau : à ma gauche, il y avait, si vous me permettez ce mauvais jeu de mots, les députés Alain Marsaud, Philippe Houillon, André Vallini, dont les sensibilités politiques étaient différentes. Cette commission a débouché sur quatre-vingt-deux propositions : nous pouvons tous travailler ensemble. Voilà ma réponse ! ».

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Lors d’une seconde question, plus bienveillante (posée par un député de la majorité), Éric Dupond-Moretti a gardé un peu plus ses moyens : « Mes priorités sont celles que j’ai évoquées hier. Nous voulons une justice de proximité. Cela a un sens et j’ai déjà évoqué plusieurs pistes : l’enquête préliminaire, sa durée, la présomption d’innocence, les violations du secret de l’enquête. Ma méthode, monsieur le député, est très simple (…). Nous sommes des amoureux du contradictoire. J’ai besoin de vous dans cette fonction pour me guider et aussi pour la contradiction que vous m’apporterez. Rien n’est plus important que le contradictoire, qu’il s’agisse d’une décision de justice ou d’une décision politique. Voilà quelle sera ma méthode auprès des magistrats, de l’ensemble du personnel de mon administration et de tous ceux qui voudront me rencontrer. Ma porte est ouverte, vous n’aurez pas à la forcer. Elle l’est aux parlementaires de la majorité comme à ceux de l’opposition. Je l’ai dit tout à l’heure : après l’affaire d’Outreau, les responsables politiques de toutes sensibilités sont parvenus à adopter, si ma mémoire est exacte, quatre-vingt-deux propositions. C’est donc que cela est possible, et c’est ce que je ferai. ».

L’ouverture d'esprit du ministre est comme dans une chronologie d’il y a trois ans avec le Président Emmanuel Macron, le "en même temps", à droite et à gauche, le refus des clivages politiques artificiels, pour faire progresser l’intérêt général (Éric Dupond-Moretti est plutôt considéré comme de gauche, il avait apporté il y a quelques années son soutien à la candidature de Martine Aubry tant à la mairie de Lille en 2008 qu’à la primaire du PS en 2011).

Toutefois, Éric Dupond-Moretti pourrait aussi décevoir. C’est le cas avec la loi de bioéthique pour laquelle il ne s’est pas du tout impliqué (et semble, comme Jean Castex, sans opinion sur la PMA), alors que le ministre de la justice fait partie des trois ministres concernés par ce projet de loi, avec celui des solidarités et de la santé et avec celle de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

En revanche, sur les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, au risque d’empiéter sur les compétences de sa collègue Barbara Pompili, Éric Dupond-Moretti a déjà donné son avis sur le crime d’écocide : pas question de l’instituer, mais il serait plutôt question d’introduire un délit réprimant les atteintes majeures à l’environnement.

Il l’a envisagé le 22 août 2020 à Pantin, lors des Journées d’été des écologistes, où il était l’invité d’une table ronde organisée par EELV et animée par Sandra Regol et Julien Bayou, respectivement secrétaire nationale adjointe et secrétaire national de EELV : « Je mettrai en place une infraction qui reprend tout ce qui est pollution de l’eau, de l’air… Pas un crime. Le crime, c’est une définition particulière en droit » mais un « délit qui réprimera les atteintes majeures à l’air, l’eau et le sol ».

En participant à cette rencontre avec les écologistes (« J’ai répondu à une invitation républicaine. Je suis heureux d’être ici. »), Éric Dupond-Moretti était courageux et a voulu solder les comptes de ses petites phrases anciennes contre les écologistes et contre les femmes (il a pu apparaître comme sexiste ou machiste dans le passé).

Dans la préface d’un livre sur la chasse, il avait évoqué les "ayatollahs", mais dans son esprit, ce n’était pas seulement des extrémistes écologistes, c’était « chez les chasseurs aussi ». Et il a expliqué : « Noël Mamère a dit qu’il n’était pas un ayatollah vert qui pratiquait la chasse et la corrida avec modération. (…) Le chasseur, ce n’est pas qu’un beauf, assassin, alcoolique et macho. Les ayatollahs de l’écologie ont pu le dire. ». À cette occasion, il a affirmé : « Je suis contre la chasse à la glu parce que ce n’est pas une chasse sélective. (…) Mais on ne peut pas jeter l’anathème sur tous ceux qui la pratiquent. Ce sont souvent des anciens. On peut avoir une appréhension différente [sur la façon de chasser] suivant ses racines. ».

Sur les femmes aussi, Éric Dupond-Moretti a montré un grand sens de l’ouverture et a pu rassurer : « J’ai dit que le mouvement MeeToo allait libérer la parole des femmes et que c’était positif. J’ai demandé que les femmes soient mieux accueillies par la police quand elles viennent porter plainte pour violences conjugales, j’ai même dit que les salauds devaient être condamnés (…). En revanche, j’ai dit que la toile ne pouvait pas être le réceptacle de ces plaintes. ». Il a aussi annoncé qu’il mettrait en place le bracelet électronique anti-rapprochement (« On attend un avis du Conseil d’État début septembre. Dès qu’on l’a, je le mets en route. ») ainsi que la généralisation d’une expérience à Amiens : « L’institut médico-légal (IML) va voir la victime. Ainsi, elle sent qu’on est derrière elle. C’est mieux que d’avoir, elle, à aller à l’IML. ».

Avocat depuis le 11 décembre 1984, souvent craint par les juges et appelé "Acquittator" (initialement "Acquittador") pour avoir obtenu près de 150 acquittements dans sa carrière d’avocat (un record en France), appelé aussi "Ogre du Nord" (il a officié jusqu’en 2016 à Lille) pour son franc-parler qui n’est pas sans rapport avec son origine familiale modeste (pourfendeur de "l’entre-soi" et de l’irresponsabilité de certains magistrats), Éric Dupond-Moretti a multiplié polémiques et déclarations tonitruantes au cours de sa carrière.

Entre son soutien à la corrida, son refus d’avoir la Légion d’honneur ou d’entrer dans la franc-maçonnerie (alors qu’il en avait la possibilité), sa volonté d’interdire le FN (en mai 2015), sa défense des policiers injuriés par Jean-Luc Mélenchon lors de la perquisition chez lui (en septembre 2019) et sa participation à la défense internationale de Julian Assange (en février 2020), il a aussi dernièrement (le 20 février 2020) proposé la fin des pseudonymes sur l’Internet : « Il faut interdire toute communication sur les réseaux sociaux qui ne serait pas signée. L’anonymat libère un tas de lâches qui peuvent dire toutes les conneries du monde. ».

Nul doute que le passage d’Éric Dupond-Moretti au Ministère de la Justice ne laissera personne indifférent, ni les juges, ni les justiciables…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Éric Dupond-Moretti, le ténor intimidé.
Barbara Pompili, "l’écolo" de service.
François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIsiècle ?
Secrétaires d’État du gouvernement Castex : des nouveaux et des partants.
Nomination des secrétaires d’État du gouvernement Castex I.
Gérald Darmanin, cible des hypocrisies ambiantes.
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 16 juillet 2020 au Sénat (texte intégral).
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 15 juillet 2020 à l’Assemblée Nationale (texte intégral).
La déclaration de politique générale de Jean Castex le 15 juillet 2020.
Interview du Président Emmanuel Macron le 14 juillet 2020 par Léa Salamé et Gilles Bouleau (retranscription intégrale).
Emmanuel Macron face aux passions tristes.
L'enfant terrible de la Macronie.
Composition du gouvernement Castex I.
Le gouvernement Castex I nommé le 6 juillet 2020.
Jean Castex, le Premier Ministre du déconfinement d’Emmanuel Macron.
Discours du Président Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne pour le climat le 29 juin 2020 à l’Élysée (texte intégral).
Après-covid-19 : écologie citoyenne, retraites, PMA, assurance-chômage ?
Édouard Philippe, le grand atout d’Emmanuel Macron.
Municipales 2020 (5) : la prime aux… écolos ?
Convention citoyenne pour le climat : le danger du tirage au sort.
Les vrais patriotes français sont fiers de leur pays, la France !
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
Retraites : Discours de la non-méthode.
La réforme de l’assurance-chômage.
Emmanuel Macron explique sa transition écologique.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200708-dupond-moretti.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/eric-dupond-moretti-le-tenor-226637

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/10/38422750.html




 

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