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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 07:21

Parce qu’il reste encore assez populaire, beaucoup imaginent voire espèrent la nomination du Ministre de l’Intérieur à la tête du gouvernement. Pourtant…


yartiValls2014A01Telle l’Arlésienne des quinquennats, la sirène du remaniement ministériel revient au plus fort à quelques jours des élections municipales. La cause ? Deux "affaires" qui, la semaine dernière, devaient plomber l’opposition mais qui, par un effet boomerang, sont revenues en pleine figure du gouvernement.

Principalement en cause, le fait d’avoir mis sur écoute l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Pas par le fait du gouvernement, mais d’un juge. La réaction initiale du gouvernement a été de nier qu’il était au courant. À un an du début de l’affaire Cahuzac, cela rend particulièrement fragile le gouvernement de Jean-Marc Ayrault après vingt et un mois de (dys)fonctionnement.

D’ailleurs, le 6 mars 2014 sur BFM-TV, Jean-Marc Ayrault lui-même plaidait pour un "gouvernement resserré"… avec cette interrogation en retour : pourquoi ne pas y avoir pensé dès juin 2012 ? Fallait-il donc autant récompenser tous les hiérarques dociles du parti socialiste ? Les écologistes feront-ils partie de la prochaine équipée ?


Des rumeurs récurrentes

Du coup, plusieurs noms sont régulièrement cités pour la succession du Premier Ministre (les médias s’amusent comme ils peuvent) : le Président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone soigne son image et laisse entendre qu’il est disponible. Si Martine Aubry se fait très silencieuse sur la scène nationale, élections municipales lilloises obligent, ainsi que le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, intervention en Centrafrique oblige, l’hypothèse de Christiane Taubira a fait long feu avec les derniers rebondissements des affaires et semble en processus de départ de la Place Vendôme (peut-être pour un autre ministère ?). Le sénateur de Tullins, André Vallini, semblerait en bonne place pour devenir Garde des Sceaux. Avec mérite.

En revanche, deux autres noms ("nouveau") sont arrivés dans les belles hypothèses journalistiques, l’actuel Ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius, très présent médiatiquement avec la crise ukrainienne, qui ne dédaignerait pas revenir à Matignon exactement trente ans après y être entré avec le titre (ronflant) du plus jeune chef du gouvernement de l’histoire de la République (à 37 ans), et l’actuel Ministre du Travail, Michel Sapin, très proche du Président François Hollande, qui pourrait former un tandem de choc avec Pascal Lamy à Bercy, ancien directeur de cabinet de Jacques Delors à Bruxelles (mais son lapsus du 13 mars 2014 sur Europe 1 a beaucoup ému dans les chaumières : « On va continuer à s’occuper des enquêtes de Nicolas Sarkozy ! » [en parlant des affaires judiciaires]).


Le risque d’être contredit demain…

Mon propos aujourd’hui serait d’évoquer l’hypothèse qui est quand même donnée avec la plus grande probabilité, sans doute parce que c’est la seule personnalité socialiste encore populaire, à savoir l’actuel Ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

Il est toujours assez hasardeux de se livrer à des spéculations, de dire ce qu’il pourrait se passer ou ne pas se passer, car l’avenir pourrait aisément les démentir, les faits restant têtus (mais qui a donc dit cela ? enfin, je sais, laissons-le là où il est). D’un autre côté, si on ne prend pas de risque, à quoi bon faire des analyses ? Je ne suis pas madame Soleil mais je peux proposer quand même mon modeste raisonnement.

Alors, je me risque à dire que l’hypothèse de Manuel Valls à Matignon serait très peu réaliste, même si elle plaît aux médias parce que le principal concerné est très médiatique (au point de supplanter le Président de la République dans la couverture de certains événements).


1. Le sort de Jean-Marc Ayrault

Pour prendre sa place, il faudrait qu’elle soit vacante. Or, il n’est pas sûr du tout que Jean-Marc Ayrault quitte Matignon à court terme.

Même s’il est du même profil que François Hollande (donc, peu complémentaire), à savoir n’ayant jamais eu d’expérience ministérielle, de la même génération, très attaché aux subtilités du PS et positionné à la fois au centre gauche sur le fond mais "socialiste sectaire" sur la forme (n’hésitant à cliver pour bien montrer son appartenance très artificielle à la gauche), Jean-Marc Ayrault a des atouts non négligeables : il est d’abord loyal et fidèle ; il ne cultive aucune ambition présidentielle ; son avenir suivra le même sort que celui de François Hollande ; son manque de charisme est plutôt un avantage flatteur pour un Président de la République qui manque, lui aussi, cruellement, de charisme.

Sur le plan gouvernemental et politique, on imagine mal un nouveau Premier Ministre avant les élections européennes du 25 mai 2014 qui promettent une catastrophe électorale pour le PS. Tant qu’à user un Premier Ministre, autant l’amener jusqu’au bout de l’épuisement. C’était ce qu’avait fait le Président Jacques Chirac en maintenant le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin jusqu’à l’échec du référendum du 29 mai 2005, après avoir survécu des élections régionales en mars 2004 et européennes en juin 2004 relativement éprouvantes. Notons qu’en mars 2015 auront lieu des élections très importantes encore, régionales et départementales (nouvelle appellation des cantonales) qui seront les dernières (hors référendum) avant l’élection présidentielle de 2017.

Par ailleurs, loin d’être maladroit, Jean-Marc Ayrault avait réussi à gagner quelques mois de prolongation en lançant une profonde réforme fiscale (qui semble heureusement oubliée) et François Hollande a relancé l’action de ce gouvernement avec cette (nouvelle) expression magique, "pacte de responsabilité" qui pourrait durer jusqu’à l’été prochain.

Donc, premier obstacle : rien ne dit que la place est libre. Après tout, malgré les rumeurs permanentes, François Fillon a duré tout le temps du quinquennat.


2. Ministre de l’Intérieur

Manuel Valls est à l’Intérieur un bon héritier de toute une série de "premiers flics de France" que la République a connus, comme Michel Poniatowski, Charles Pasqua, Gaston Defferre, et bien sûr, Nicolas Sarkozy. À savoir, qu’il agit comme ministre avec des intérêts très partisans.

En clair, sa mauvaise foi et son sectarisme politicien ne sont plus à démontrer, et si c’est de bonne guerre, cela reste regrettable si l’on pense que la politique doit être consacrée au service de l’intérêt général. Ainsi, la publication des statistiques officielles de la participation aux "manifs pour tous" contre le mariage gay n’a trompé personne, avec un coefficient correcteur de 20 ou 30 ! L’excessif est insignifiant. Les déclarations visant à faire de ceux qui sont contre le mariage gay de dangereux extrémistes intégristes semblent, là encore, aussi crédibles que la désinformation russe sur la nature extrémiste du nouveau pouvoir ukrainien.

Plus grave, le charcutage électoral que les préfets viennent de finaliser ces dernières semaines, en redécoupant tous les cantons de France, a de quoi inquiéter (avec des incohérences à la fois démographiques et intercommunales). Là aussi, dans la grande tradition des Ministres de l’Intérieur.


3. Est-il de gauche ?

Une étude rapide de popularité montre que Manuel Valls est populaire parce que des personnes qui ne sont pas à gauche se reconnaissent en lui. Bien sûr sa personnalité volontaire et dynamique joue à fond dans une société médiatique où les qualités personnelles font office de projet politique, mais ce n’est pas la seule raison.

Manuel Valls se veut, lui aussi, intraitable sur la sécurité et (eh oui, en Hollandie, on place les deux sujets dans le même chapitre), l’immigration. Ce qui lui fait dire quelques déclarations assez polémiques parce que généralisantes sur les gens du voyage. Les statistiques sur la délinquance ne paraissent pas beaucoup l’aider dans cette revendication de fermeté.

Autre positionnement qui a beaucoup d’importance en Hollandie : Manuel Valls est l’un des fermes partisans des institutions de la Ve République et de son principe naturel, à savoir la monarchie élective, faute d’homme providentiel. En ce sens, il se distingue beaucoup de son seul rival présidentiel à gauche de sa génération, à savoir Arnaud Montebourg, ancien (très ancien) partisan d’une VIe République aussi floue qu’insipide (devenue presque une marque commerciale). En se présentant à la primaire socialiste en 2011, Manuel Valls avait donc avant tout répondu à sa conception présidentialiste de la démocratie et si son score fut assez décevant (6%, avant-dernier sur six), il est sans doute celui qui, à ce jour, a le plus profité politiquement de l’élection de François Hollande.


4. L’homme le moins bien informé de France

L'hebdomadaire "Le Point", peu soupçonnable de complaisance en faveur de Jean-François Copé, s’est amusé à publier le 13 mars 2014 un article assez peu élogieux : "Manuel Valls, l’homme qui ne savait jamais rien !".

Et d’énumérer les nombreuses affaires où, bien que Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls avait confié n’avoir jamais rien su avant les journaux. Que ce soit pour la maîtresse cinématographique du Président, partageant un appartement à 100 mètres de la place Beauvau, ou pour les écoutes téléphoniques que ses propres services ont réalisées sur Nicolas Sarkozy, c’était ignorance totale. Pareillement pour son collègue du Budget Jérôme Cahuzac dont on apprend ces derniers jours qu’il aurait eu un compte bancaire à l’Île du Man qui aurait fait transiter trois millions d’euros en dehors des voies fiscales.

Michel Sapin a essayé tant bien que mal de le défendre le 13 mars 2014 : « On peut être Ministre de l’Intérieur sans être pervers. On n’est pas tous obligé d’être à l’image de quelqu’un qui s’appelle Nicolas Sarkozy. (…) Parce que Nicolas Sarkozy adorait avoir sur son bureau toutes les écoutes téléphoniques du monde, il faudrait que tous les autres Ministres de l’Intérieur soient aussi pervers que lui, mais non ! ». Sans aucune crédibilité.

Car de nombreux témoignages démentent l’ignorance du Ministre de l’Intérieur, comme celui de Martine Monteil, l’ancienne directrice centrale de la police judiciaire, qui a expliqué le 13 mars 2014 sur Europe 1, répondant à la question "Est-il possible que le Ministre de l’Intérieur n’en soit pas immédiatement informé ?" : « Assez peu ! C’est assez peu crédible. (…) [Christian Lothion, l’actuel directeur] a été un de mes sous-directeurs, il a été directeur régional pour la direction centrale. (…) Lui-même, lorsqu’il avait une affaire sensible, faisait remonter l’information vers son directeur central, vers moi. C’est quelque chose qui s’est toujours fait, sans pour autant lui poser de questions très indiscrètes, et si j’en avais posé, il était libre de ne pas répondre. ».


5. Les limites du vallsisme

Les limites sont vite atteintes sous contrainte. Sous stress, comme on dit dans des expérimentations scientifiques. Par exemple, lorsqu’il s’agit de répondre aux questions (elles aussi) polémiques de l’opposition au cours des séances aux questions au gouvernement, le Ministre de l’Intérieur peut créer quelques remous qui sont allés au-delà de sa pensée.

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Les limites ne concernent pas seulement la forme. Elles concernent aussi le fond. Manuel Valls, qui a vocation (revendiquée par sa participation à la primaire) à s’emparer de tous les sujets politiques, reste assez discret sur thèmes économiques et sociaux. Il peut, certes, rappeler qu’il était favorable à la TVA sociale et que c’est finalement ce choix qui a été décidé, après la suppression de celle décidée par la majorité précédente. Mais il n’a pas porté beaucoup d’éléments de langage concernant le cher "pacte de responsabilité" aussi creux qu’un outil hollandien peut l’être.


6. Sa popularité, son seul atout maître

Personnalité encore la plus populaire à gauche, avec le futur ancien maire de Paris Bertrand Delanoë (et futur ministre ?), Manuel Valls subit toutefois une relative érosion après ses initiatives contre le supposé humoriste Dieudonné en janvier dernier.

La popularité de Manuel Valls serait un moyen pour François Hollande de redonner une impulsion à son action présidentielle. Mais ce n’est pas forcément dans son intérêt. Fin observateur des septennats de François Mitterrand dont il essaie d’imiter la réelle habileté, François Hollande ne peut pas oublier l’épisode où Laurent Fabius, mascotte des sondages en 1985, faisait de l’ombre à un Président vieilli, usé, et très impopulaire.

Du reste, Matignon serait-il dans l’intérêt de Manuel Valls ? Là encore, on ne refuse pas Matignon, s’évertuent à dire ses différents locataires, parfois avec amertume, mais c’est un poste casse-cou où l’on reçoit plus de coups que de récompenses.

Pour rappel, Dominique de Villepin, qui fut très populaire grâce à son passage au Quai d’Orsay, est devenu l’un des Premiers Ministres les plus impopulaires de l’histoire, avec une quasi-insurrectionnelle dans les banlieues en novembre 2005 et surtout, la réforme du CPE (contrat premier emploi) qui avait provoqué de nombreuses manifestations au printemps 2006 (réforme qui a finalement été abandonnée).

Or, si la popularité de Manuel Valls venait à s’effondrer, François Hollande n’aurait plus aucun joker pour la fin de son quinquennat (à part, bien sûr, l’hypothétique reprise qui "inverserait" la courbe du chômage). En ce sens, "l’utilisation" de Manuel Valls se résumerait au tir d’un pistolet à un coup.


7. Trop social-libéral ?

La réalité politique commanderait plutôt à François Hollande de choisir, le cas échéant, un Premier Ministre qui rééquilibrerait, par son image, le balancier vers son côté gauche. Cela ne changerait pas, en principe, la politique menée par l’Élysée, ce serait plus une révolution de palais comme l’Italie vient d’en connaître une avec l’avènement fulgurant de Matteo Renzi, et cela lui permettrait de respirer un peu.

Or, qui serait susceptible de gauchiser son gouvernement sans infléchir sa politique ? Martine Aubry, Claude Bartolone, Arnaud Montebourg, mais certainement pas Manuel Valls jugé déjà, à gauche, comme positionné trop à droite.

D’ailleurs, la seule réelle possibilité d’un gouvernement dirigé par Manuel Valls, ce serait dans le cadre négocié d’une réelle alliance entre les socialistes et les centristes. François Bayrou n’avait pas hésité, à l’époque de la campagne présidentielle de 2012, que Manuel Valls était Bayrou-compatible. Mais hélas pour le PS, à force de refuser cette alliance centriste, le MoDem a fini par abandonner et par rejoindre l’UDI et l’opposition du centre droit.

La seule réelle possibilité de retrouver Manuel Valls à Matignon serait donc dans le cas où, désespéré par les sondages chaque jour en décroissance (comment peut-on descendre aussi bas ?), François Hollande renoncerait à demander aux François le renouvellement de son mandat en 2017. Là aussi, ce serait sans précédent dans l’histoire politique. Mais si l’on admettait cette hypothèse, alors, il serait envisageable que Manuel Valls soit propulsé à Matignon pour défendre au mieux les couleurs socialistes, dans l’action gouvernementale puis, à l’élection présidentielle.


Peu probable

En conclusion, je crois (je m’avance donc un peu imprudemment) que l’hypothèse de Manuel Valls à Matignon ne tient pas vraiment la route. Elle ne serait qu’une solution de dernière chance qui serait d’ailleurs très difficile à "vendre" à l’intérieur même du parti socialiste.

Et puis, tant qu’à prôner la parité homme/femme, la défense des femmes dans les lieux de pouvoir, pourquoi ne pas nommer une femme à Matignon ? Avez-vous remarqué le nombre de têtes de liste hommes parmi les candidats socialistes aux municipales, ainsi que le nombre d’hommes chez les présidents socialistes de conseil général ou régional ? La parité partout, sauf au premier poste ? François Hollande connaît pourtant bien la question, puisque son ancienne compagne aurait pu se retrouver à sa place…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 mars 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Manuel Valls et son ambition présidentielle.
Manuel Valls à la primaire socialiste.
Manuel Valls et les institutions de la République.
Valls-Bayrou, même combat ?
Et la Corse dans tout cela ?
Et les gens du voyage ?
Les Premiers Ministres possibles de 2012.
Remaniement ministériel.

yartiValls2014A03
 

 

 

 http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/manuel-valls-bientot-a-matignon-149337 
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10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 07:23

Essai de réponse avec Emmanuel Todd et le regretté Guy Carcassonne.


yartiFHdictaA01Voici l’interrogation récurrente de nombreux citoyens français en proie aux doutes et aux désillusions : vivons-nous sous une dictature ? Le fait même de pouvoir m’interroger à voix haute sur ce sujet, publiquement, me laisse entendre qu’en tout cas, on ne m’a pas encore enlevé la liberté d’expression. On pourra me toujours rétorquer : pour combien de temps encore ? d'où l'expression "dictature rampante". Mais le sérieux nécessite d’analyser les faits, uniquement les faits, et pas les hypothèses alarmistes ni a contrario, les supputations optimistes.


Deux évolutions sociologiques contradictoires

Dans la société d’aujourd’hui, il y a deux évolutions simultanées qui se croisent, l’une allant vers plus de démocratie, l’autre vers plus de surveillance.

La technologie d’Internet avec le web 2.0 permet à l’évidence une floraison d’expressions libres de chaque citoyen. Que ce soit sur des blogs, des plateformes communautaires ou encore des commentaires à des articles de presse, mais aussi dans des émissions à la télévision ou à la radio où la participation du public est de plus en plus souvent sollicitée, les citoyens ont nettement plus d’occasion de faire connaître leurs opinions personnelles (sur tout et souvent sur rien) que dans les années 1980 par exemple, époque de la pseudo-libération de l’audiovisuel.

Mais parallèlement à ce mouvement de liberté d’expression, la technologie a permis aussi une plus grande capacité à l’État ou même à des entreprises privées de surveiller chaque fait et geste des citoyens, que ce soit dans ses communications GSM, sa géolocalisation GPS, ses activités Internet, ses nombreux fichages informatiques (fisc, sécurité sociale, etc.), les capacités d’analyses ADN, la surveillance satellite, les caméras de surveillances partout dans les espaces publics (métro, autoroutes, établissements publics et privés), les radars, voire les portiques pour l’écotaxe, sans parler de tous les sites Internet qui encouragent la délivrance d’informations privées, lieu, date et heure de chaque événement personnel (Facebook, Twitter etc.), toutes ces installations concourent à élaborer une sorte de surveillance permanente et oppressante de chaque citoyen qui peut l’amener à l’autocensure et au bridage par peur d’un Big Brother bien plus monstrueux que celui imaginé par Orwell en 1948.

Cela dit pour l’évolution de la société et des modes de vie. La plupart du temps, c’est avec la complicité active du surveillé que cette surveillance est mise en place : ainsi, toutes les données fournies à des entreprises privées, ne serait-ce que les questionnaires publicitaires, ou même les bons de garantie de biens d’équipement où le vendeur du magasin vous demande téléphone, email et même la date de naissance. Libre à chacun d’accepter de les donner, ou de donner les vraies.


Une évolution institutionnelle de plus en plus favorable aux citoyens

Qu’en est-il sur le plan institutionnel, puisque qui dit dictature dit moyens institutionnels pour empêcher les libertés ?

Sur le plan juridique, nul doute que nos libertés publiques sont mieux protégées qu’il y a une cinquantaine d’années. Non seulement le bloc de constitutionnalité devient un élément majeur de validation ou invalidation de certaines lois par le Conseil Constitutionnel, mais la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit une véritable révolution juridique (article 61-1 de la Constitution), voire des bombes à retardement à répétition, avec la possibilité, pour chaque citoyen, de saisir le Conseil Constitutionnel d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), mesure applicable depuis le 1er mars 2010, plongeant toutes les lois, y compris celles déjà promulguées et appliquées, dans une possible remise en cause afin de mieux garantir les principes constitutionnels.

De plus, la possibilité d’aller chercher gain de cause, lorsque toutes les voies judiciaires françaises sont épuisées, auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme, donne une piste supplémentaire contre la puissance de l’État. En 2011, par exemple, la France a été condamnée vingt-trois fois pour avoir enfreint la Convention européenne des droits de l’Homme (depuis 1959, il y a eu plus de six cents condamnations !).


Les vieux réflexes ont la vie dure

Certes, certains observateurs avisés voient quelques manœuvres institutionnelles visant à réduire nos libertés. Le principe même de légiférer par ordonnances, comme l’envisageait le Président François Hollande le 12 mars 2013 à Dijon, est par exemple très contestable (et invraisemblable) pour un chef de l’Exécutif qui est majoritaire au Parlement et qui ne peut invoquer d’urgence un an après le début de son mandat : si c’était si urgent, pourquoi n’a-t-il pas agi dès son arrivée au pouvoir ? Et la volonté d'engager la confiance du gouvernement pour faire adopter le "pacte de responsabilité" ne va pas favoriser non plus le débat parlementaire.

De même, lorsque la Ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, souhaite encadrer la liberté d’expression sur Internet, il y a un risque réel de vouloir contrôler toute l’expression qui s’y répand, mais il faut bien comprendre parallèlement que l’antisémitisme ou le refus d’admettre la Shoah, pour ne prendre que ces deux sujets, ne sont pas des opinions mais des délits.


L’élection présidentielle directe, clef de voûte de la démocratie française

La réalité est que l’élection présidentielle au suffrage universel direct est l’acte majeure de notre démocratie et même si elle provoque est effets pervers, en particulier dans une personnalisation à l’extrême du débat public, basée sur des jeux d’ambitions personnelles, elle reste pourtant largement plébiscitée par le peuple (haro donc sur ceux qui voudraient la remettre en cause, comme les promoteurs d’une éventuelle VIe République dont l’expression ne signifie pas grand chose sur son contenu), si l’on en juge par la forte participation électorale aux deux tours dont elle bénéficie : 79,5% et 80,4% en 2012 ; 83,8% et 84,0% en 2007 ; 71,6% et 79,7% en 2002 ; 78,4% et 79,7% en 1995 ; 81,4% et 84,4% en 1988 ; 81,1% et 85,9% en 1981 ; 84,2% et 87,3% en 1974 ; 77,6% et 68,9% en 1969 ; 84,8% et 84,3% en 1965.

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Comme on le voit, la participation a toujours été entre 80 et 85% sauf dans deux cas bien identifiés où elle est descendue autour de 70% : second tour de 1969 entre Georges Pompidou et Alain Poher (la gauche n’avait plus de candidat) et premier tour de 2002, en raison d’une démobilisation des électeurs de Lionel Jospin, ce qui a permis l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour (et ces électeurs démobilisés se sont finalement mobilisés au second tour).


Favoriser les contre-pouvoirs

Le vrai souci n’est donc pas le caractère antidémocratique de nos institutions (elles sont démocratiques puisque c’est bien le peuple qui choisit ses gouvernants, avec une forte participation), mais la capacité de rendre l’exercice du pouvoir acceptable même par ceux qui s’étaient opposés aux nouveaux gouvernants élus, ou que ceux qui y avaient adhéré ne soient pas trop déçus par rapport à leurs attentes en raison d’un fort décalage entre les discours de campagne et les discours d’après-élections.

En ce sens, une démocratie moderne est une démocratie qui renforce les contre-pouvoirs et les pouvoirs de contrôle. Ce fut le sens de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui donne aux parlementaires une plus grande capacité d’initiative des lois (l’évolution est favorable même si elle reste timide).

Le principal écueil, renforcé par la mise en place du quinquennat ratifié par le référendum du 24 septembre 2000, c’est l’allégeance que vouent les parlementaires de la majorité à l’Exécutif, notamment parce que depuis 2002, les députés sont élus quelques semaines seulement après l’élection présidentielle, donnant au Président élu une totale puissance sur les investitures des candidats à sa future majorité.


Attention aux fausses bonnes mesures

Certaines mesures de modernisation des institutions n’aident d’ailleurs pas forcément à éviter l’allégeance des parlementaires vis-à-vis du pouvoir exécutif (l’Élysée ou, en cas de cohabitation, Matignon).

C’est la thèse notamment du sociologue Emmanuel Todd, exprimée entre autres sur France 5 le 26 avril 2013 (dans l’émission "C dans l’air"). Selon lui, les lois supposées de moralisation de la vie politique, poussées par l’affaire Cahuzac, ne feraient que renforcer la toute puissance élyséenne.

En effet, en imposant la publication du patrimoine des parlementaires, on les discréditerait un peu plus en instaurant une suspicion sur toute la classe politique. Ces soupçons a priori de risques d’enrichissement personnel pourraient en effet se cumuler avec la subjectivité de la valorisation d’un bien immobilier ; tant qu’il n’a pas été vendu, c’est difficile de donner une valeur potentielle totalement abstraite en dehors de son prix réel d’acquisition.

Cette théorie cependant ne tient pas beaucoup la route, car l’absence de contrôle et de transparence renforce au contraire les supputations et croyances négatives, tandis qu’un contrôle fiable et sincère peut renforcer la confiance que peut avoir le peuple en ses élus. C’est tout le combat du député centriste Charles de Courson, par exemple.

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En revanche, l’autre argument d’Emmanuel Todd me paraît beaucoup plus solide. La loi contre le cumul des mandats, qui vient d’être définitivement adoptée par les députés le 22 janvier 2014 (en troisième lecture !), risque d’affaiblir un peu plus les parlementaires vis-à-vis du pouvoir exécutif en renforçant leur allégeance.

Sans capacité de rebondir grâce à un autre mandat que leur mandat parlementaire, il sera encore plus difficile, quand on est dans la majorité, de s’opposer à certaines mesures du gouvernement sans prendre le risque de ne plus rien être, en cas de perte d’investiture aux élections législatives suivantes. Tandis qu’un parlementaire qui jouit également d’un mandat local a plus de poids politique face aux dirigeants de la majorité et peut plus se permettre de ne pas adopter la ligne officielle et d’y apporter une contribution originale hors d’un esprit partisan et manichéen (voir l’exemple de Georges Frêche).

Emmanuel Todd a évoqué également la nomination des directeurs de cabinet des ministres qui est rarement décidée par les ministres mais souvent imposée par l’Élysée. Il a conseillé par conséquent de mieux tracer les carrières des hauts fonctionnaires, en particulier des inspecteurs généraux des finances, dans les ministères et éventuellement dans les grandes entreprises, pour éviter toute collusion entre le service de l’État et les intérêts privés.

Parmi d’autres propositions de la moralisation de la vie politique, l’ancien candidat à l’élection présidentielle François Bayrou avait proposé le 25 février 2012 la réduction du nombre de parlementaires. Or, si cette mesure peut trouver l’adhésion d’une large frange de la population, elle est particulièrement démagogique et contreproductive si l’on souhaite renforcer le contrôle parlementaire sur l’exécutif. Vu la masse de décisions prises par l’Exécutif, les 577 députés ne sont pas de trop pour réaliser des rapports de contrôle sur différents sujets, il faudrait juste renforcer les pénalités contre les parlementaires "paresseux" qui ne s’investissent pas pleinement dans leurs fonctions de législateur et de contrôleur.


L’avis de Guy Carcassonne (1951-2013)

C’est finalement le constitutionnaliste Guy Carcassonne qui me paraît proposer la meilleure vision de la situation actuelle de nos institutions. C’était d’ailleurs l’une de ses dernières contributions, dans un documentaire sur les monarques sous la Ve République diffusée sur Arte le 21 mai 2013 et qui a été récemment rediffusé sur LCP.

Je dis "l’une des dernières" car malheureusement, Guy Carcassonne a subitement disparu le 26 mai 2013 à Saint-Pétersbourg à 62 ans (il avait deux jours de plus qu’Emmanuel Todd). Sa disparition a suscité une vive émotion dans les milieux politiques et universitaires. Héritier intellectuel du doyen Georges Vedel, Guy Carcassonne, universitaire chevronné, ancien conseiller de Michel Rocard à Matignon au début des années 1990, membre du comité de consultation pour la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, était avant tout un grand défenseur de la Ve République, seul régime capable à la fois de stabilité et d’efficacité d’une part, et de démocratie et de liberté d’autre part. Il militait pour une revalorisation de l’influence du Parlement pour compenser la prééminence élyséenne et pour une réduction de l’inflation législative qui fait de la loi une réponse impuissante à la colère ressentie à la suite d’un fait divers.

Et qu’a constaté Guy Carcassonne ? Que le Président de la République sous Georges Pompidou avait bien plus de pouvoirs que sous Nicolas Sarkozy et François Hollande.

Le constitutionnaliste l’a affirmé en mettant en avant sept raisons.

1. Il n’y avait pas autant d’Europe et les politiques monétaires, commerciales, etc. étaient décidées au niveau national et pas communautaire comme maintenant.

2. Il n’y avait pas de décentralisation qui a transféré de nombreuses décisions du gouvernement vers des collectivités locales (c’est le cas, par exemple, des permis de construire).

3. Il n’y avait pas d’autorité indépendante qui limite le pouvoir exécutif, en particulier le Conseil Constitutionnel qui a pris beaucoup plus d’influence en trente ans, la CNIL, et dans beaucoup de domaines spécifiques.

4. L’audiovisuel était sous contrôle direct du gouvernement et il n’y avait pas d’autorité indépendante dans ce domaine (le CSA).

5. Il n’existait pas de réseau Internet qui permet aujourd’hui de donner d’autres visions du monde, d’autres perspectives, d’autres informations, même si certaines peuvent paraître farfelues, mensongères voire haineuses. Cette multiplicité d’informations et de contre-informations renforce évidemment la transparence de l’exercice de l’État et oblige les gouvernants à plus de moralité et d’intégrité.

6. Il n’y avait pas une telle dette publique, en constante croissance depuis plus de trente ans à cause de mesures clientélistes inconsidérées des gouvernements qui se sont succédés durant cette période, et cette dette réduit évidemment les marges de manœuvre de l’Exécutif actuel voire le place sous la tutelle des créanciers. Notons qu’à part François Bayrou dès 2002, il n’y a pas eu beaucoup de responsables politiques qui ont alerté les Français sur ce phénomène jusqu’à la crise de la dette souveraine en 2010.

7. Enfin, il n’y avait pas une telle indépendance de la justice, je dirais presque, une telle audace de la justice que maintenant, qui a abouti par exemple à la condamnation exceptionnelle d’un ancien Président de la République (Jacques Chirac) ou à la mise en examen (maintenant abandonnée) d’un autre ancien Président de la République (Nicolas Sarkozy). Cela aurait été une situation impensable il y a à peine quinze ans et sur le plan des principes, c’est une avancée considérable de l’État de droit : même son magistrat suprême n’est pas à l’abri des lois dont il était lui-même le garant. Ce qui pourrait être normal en théorie est devenu un exploit en pratique.


Alors, sommes-nous vraiment sous une dictature ?

La liberté parfaite n’existe pas, ne serait-ce que parce qu’elle est contraire à la liberté des autres : une société doit se donner un cadre juridique du vivre ensemble pour que chacun puisse y trouver de quoi s’épanouir dans sa vie, dans ses buts, dans ses idées, dans ses projets.

Comme la démocratie est toujours loin d’être parfaite, il reste quantité de manières de l’améliorer, de la renforcer, par petites touches, mais aussi par la vigilance des citoyens et des lanceurs d’alertes.

Et puis, tout compte fait, le meilleur moyen de savoir si la France est une dictature, ce serait par exemple de le demander à un habitant du Zimbabwe ou à un habitant de Corée du Nord… Un nivellement par le bas ? Peut-être pas. On ne prendra jamais mieux conscience de la chance que nous avons que lorsque nous l’aurons perdue : à chacun de nous de faire que la démocratie soit vivante, sans attendre que les autres le fassent à notre place.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 février 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Nicolas Sarkozy dictateur ?
Dictature de la pensée unique.
Transgressions présidentielles.
Une (vraie) dictature européenne.
François Hollande.
Le bloc de constitutionnalité.
Révision du 23 juillet 2008.
Cumul des mandats.
Moralisation de la vie politique.
Affaire Cahuzac.
Guy Carcassonne.

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http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/en-france-vivons-nous-sous-une-147788

 

 





 

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10 décembre 2013 2 10 /12 /décembre /2013 07:01

Deux soldats français sont tombés à Bangui.
Après le Mali, la France intervient militairement en Centrafrique.


yartiLeDrian01Le Président de la République François Hollande a prévu de se rendre à Bangui dès la fin de l’hommage mondial rendu à Nelson Mandela ce mardi 10 décembre 2013 à Soweto. Selon les premiers sondages, les Français seraient majoritairement hostiles à cette nouvelle opération.

La France redevient-elle la police de l’Afrique ? Peut-être, toujours à sur demande d’États assiégés par des rebelles et toujours avec la bénédiction du Conseil de sécurité de l’ONU (qui, pour l’intervention centrafricaine, a été votée jeudi dernier, le même jour que la mort de Nelson Mandela).

Derrière toutes les opérations militaires françaises (retrait d’Afghanistan, intervention au Mali et à Bangui), François Hollande a pu s’appuyer sur un homme qui n’est pas souvent sur l’avant-scène de la politique politicienne, qui ne fait pas beaucoup de vague mais qui semble accomplir un travail peu critiqué, le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian.

Alors que le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a maintenant atteint l’impopularité historique record de Dominique de Villepin, et après plusieurs mois de contestation à la fois interne et externe (manque d’autorité, absence de leadership etc.), Jean-Yves Le Drian fait désormais partie du cercle très fermé des premiers-ministrables de François Hollande.

Beaucoup d’observateurs donnent Jean-Marc Ayrault partant avant les municipales (ce qui est cependant peu probable, d’autant plus que le lancement de sa réforme fiscale lui a donné quelques mois de respiration supplémentaires). Comme à l’époque de François Fillon, l’hyperprésidentialisation commencée sous Nicolas Sarkozy et largement poursuivie par François Hollande laisse le Premier Ministre sur le bord du chemin des décisions (quand il y en a). Ce n’est cependant pas nouveau, et la conception de De Gaulle était déjà de ne faire du Premier Ministre que le premier des ministres. C’est donc régulièrement que les rumeurs de remaniement se propagent, sans pour autant aboutir à leur concrétisation, comme dans le précédent quinquennat.

Le premier premier-ministrable cité dans les sondages est évidemment le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Pourtant, rien ne dit qu’il serait aussi populaire à Matignon que Place Beauvau, d’autant plus que c’est l’unique atout présidentiel qu’il préférerait "utilisé" en vue de sa réélection. Dominique de Villepin fut lui aussi un ministre très populaire au Quai d’Orsay mais terriblement impopulaire à Matignon et comme Manuel Valls, il n’avait pas beaucoup d’expérience dans la gestion des affaires économiques et sociales.

L’autre personne fréquemment citée et qui paraissait dans la logique politique d’une majorité socialiste, c’est la maire de Lille Martine Aubry, à l’expérience ministérielle incontestable et capable de leadership quand elle a été (plus ou moins) "élue" à la tête du PS (entre 2008 et 2012). Il semblerait néanmoins qu’il y ait une incompatibilité personnelle entre elle et celui qui pourrait la nommer (qu’elle a accusé de vouloir empapaouer).

Quant aux autres  noms qui circulent, ils ont souvent pour but de renforcer leur poids politique en audience interne, c’est le cas par exemple du Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone (pas assez germanocompatible) ou du Ministre des Finances Pierre Moscovici (trop germanocompatible).

Le gouvernement actuel est essentiellement une équipe de sexagénaires (Jean-Marc Ayrault, Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian, Michel Sapin, Marylise Lebranchu, etc.) récompensés par un ancien premier secrétaire d’un parti qui a été longtemps dans l’opposition (dix ans), complétée par quelques très jeunes pour abaisser la moyenne d’âge.

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Plutôt discret en dehors des questions qui dépendent de son portefeuille, Jean-Yves Le Drian cumule un certain nombre d’atouts, dont le principal est sa proximité amicale avec François Hollande.

Breton avant tout, et très attentif à la révoltecontre l’écotaxte sur laquelle il était réticent, Jean-Yves Le Drian a des origines modestes et catholiques (ses parents étaient ouvriers) et il a milité aux Jeunesses étudiantes chrétiennes (JEC) à l’époque dirigées par Henri Nallet, futur ministre de François Mitterrand. Il s’est engagé au PS à la suite de son militantisme au sein de l’UNEF et d’un discours de François Mitterrand à Rennes pour la campagne présidentielle de 1974.

N
atif de Lorient, c’est donc très naturellement qu’il est devenu adjoint au maire socialiste de Lorient en mars 1977 à qui il succéda dès 1981 à l’âge de 34 ans. Entre temps, Jean-Yves Le Drian avait été élu député du Morbihan en mars 1978 à l’âge de 30 ans (reprenant la succession du député socialiste sortant). Il fut donc un élu national très jeune à l’instar de son voisin de Saint-Herblain et de Nantes Jean-Marc Ayrault, mais avec une différence de taille : il était un héritier, pas un conquérant.

Peu présent sur la scène nationale, il s’est investi surtout localement : maire de Lorient du 4 juillet 1981 au 30 mars 1998, puis, après avoir quitté la mairie pour respecter la loi sur le cumul des mandats et mettre toutes ses forces dans la région Bretagne comme leader de l’opposition, il fut élu deux fois président du Conseil régional de Bretagne du 28 mars 2004 au 29 juin 2012, instance où il siège toujours comme simple conseiller régional dans l’optique de retrouver éventuellement la présidence de la région en mars 2015.

Quant à son mandat de député, ses électeurs l’ont reconduit cinq fois, avec un échec en mai 1993 (forte poussée de la droite et du centre droit) et il a renoncé à sa circonscription en juin 2007 pour ne se consacrer qu’à sa région après avoir été réélu une dernière fois en juin 2002 d’extrême justesse (à 0,4% voix près).

C’est comme élu breton local qu’il avait été nommé furtivement Secrétaire d’État à la mer dans le gouvernement d’Édith Cresson (du 18 mai 1991 au 2 avril 1992), sans avoir été maintenu dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.

Lorsque François Hollande est élu au sommet de l’État, c’est sans surprise qu’il obtint le Ministère de la Défense le 16 mai 2012. Comme un bâton de maréchal. La consécration pour lui.

Il était un proche du Président depuis plus d’une dizaine d’années avec qui il travaillait sur les questions de défense. Sa discrétion et sa capacité de négociation lui ont permis de faire adopter la difficile loi de programmation militaire pour la période 2014 à 2019, entérinant pourtant la perte de 34 000 militaires dans les effectifs des armées, ce qui ne le rend donc pas très populaire.

Il a aussi montré sa capacité de décision en changeant radicalement le système de paie dans les armées qui était très défectueux (c’est un logiciel différent des autres ministères, et ce sujet va encore polluer les relations internes pour au moins deux ans).

Par contraste avec beaucoup de ses collègues ministres très en dessous du "niveau", Jean-Yves Le Drian a donc montré depuis dix-neuf mois sa très grande solidité à un poste-clef, d’autant plus clef que les troupes françaises sont engagées au Mali et au Centrafrique, bien que le ministre reconnaisse volontiers qu’il connaît mal d’Afrique.

Le Sommet franco-africain de l’Élysée des 6 et 7 décembre 2013 a d’ailleurs montré à quel point la présence de la France pour protéger certains États africains est appréciée mais hélas, la France ne semble pas en profiter économiquement, se désengageant progressivement des investissements en Afrique alors que ce continent est probablement l’avenir de la croissance mondiale dans les décennies à prochaines. D’autres puissances ne s’y sont pas trompées, en particulier asiatiques.

Un proche de Jean-Yves Le Drian dit de lui : « Il a une solidité naturelle, qui s’impose. Il est incontestable techniquement et politiquement, mais il ne vous écrase pas. Et il ne se force pas à être sincère. ».

Cependant, je doute qu’à 66 ans, Jean-Yves Le Drian à Matignon puisse relever le défi de redonner une vision à la France et un nouvel élan aux Français : il ne serait qu’un bon notaire pour gérer les affaires de l’État sans polémique …mais sans éclat.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 décembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Un remaniement pour bientôt ?
Quel Premier Ministre pour François Hollande ?
Le Mali.
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Manuel Valls.
Martine Aubry.

yartiLeDrian03
 



 http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-yves-le-drian-premier-144888 

 

 

 



 

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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 07:56

Le film "Quai d’Orsay", sorti dans les salles le 6 novembre 2013, apporte deux heures de succulence cinématographique aux passionnés de la vie politique. Un nouvel aspect de la …Comédie humaine.


yartiQuaidOrsay01C’est un beau cadeau d’anniversaire pour les 60 ans de Dominique de Villepin (né le 14 novembre 1953), devenir une personnalité légendaire du cinéma français. Le réalisateur aux cinq Césars Bertrand Tavernier lui a offert l’audace de raconter sa pratique du pouvoir.

Le cinéaste avait dû relever deux défis en voulant tourner "Quai d’Orsay", une histoire basée sur le fonctionnement d’un cabinet ministériel, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du Ministère des Affaires étrangères (situé au quai d’Orsay) lorsque Dominique de Villepin en était le titulaire (entre le 8 mai 2002 et le 30 mars 2004). Un période épique pour la personnalité politique qui ne se renouvellera certainement plus si l’on en croit le sondage BVA publié par "Le Parisien" le 24 novembre 2013 : 75% des sondés ne voudraient pas de lui comme candidat à l’élection présidentielle de 2017.


Les challenges de Bertrand Tavernier

Le premier défi était d’être fidèle à la bande dessinée dont le film devait s’inspirer, tout en prenant sa part de créativité. Au contraire d’un livre où l’interprétation d’un réalisateur est plus large, adapter une bande dessinée au cinéma est plus délicat car la mise en scène est déjà établie.

Le second pari, c’était aussi de décrire le moins ennuyeusement possible une atmosphère qui n’est pas très connue du grand public (la vie folle dans un cabinet ministériel) et qui n’est pas si ancienne que cela, puisque la période date d’environ onze ans (le scénario commence au début de l’été 2002 et finit avec le discours au Conseil de sécurité de l’ONU prononcé le 14 février 2003). Ce qui signifie que tous les acteurs brossés dans cette histoire sont non seulement encore en vie mais pour beaucoup, encore en fonction.

Par ailleurs, c’est toujours très délicat de réaliser des films sur des épisodes politiques récents, ou plus ou moins récents : que ce soit sur Charles De Gaulle, Georges Pompidou, et même François Mitterrand, voire Nicolas Sarkozy, peu voire aucun ne sont à la bonne mesure, tombant soit dans une hagiographie obséquieuse, soit, à l’inverse, dans une caricature difficilement crédible.

C’était donc tout l’art de Bertrand Tavernier d’avoir réussi là où beaucoup avaient échoué. Globalement, cela fait un film de presque deux heures (113 minutes exactement) de très bonne facture, croustillant d’anecdotes et de sketchs parfois humoristiques, avec un rythme soutenu qui est très en phase avec les cadences ministérielles.


Un ministre incontrôlable

Le cabinet du ministre doit en effet sans arrêt gérer des urgences, tout en devant circonscrire également le maître des lieux, à savoir Alexandre Taillard de Vorms (qui n’est donc autre que Dominique de Villepin), bouillonnant visionnaire des relations internationales, exigeant, mais fluctuant, à la fois sincère, authentique mais aussi de mauvaise foi ou distrait.

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Dans sa description dans la bande dessinée d’origine, son mode d’emploi est ainsi expliqué : « Taillard, il emmène ses ennemis dans un monde parallèle pour les vaincre. Un monde dans lequel il est le plus fort, là où personne ne comprend ses règles. (…) Tu te pointes devant lui, tu lui parles du budget, par exemple, il te répond : "Ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est l’avenir du monde". C’est l’arme de l’irréel. Il invente trois ou quatre concepts sans trop savoir ce qu’il va dire. Il répète ça partout jusqu’à ce que tout le monde en soit persuadé, sans comprendre exactement ce que ça veut dire. Y compris lui. Il t’élève au-dessus de toi-même et tu perds tes repères. Lorsque tu es au-dessus de ton business, les enjeux te dépassent… Tu ne sais plus pourquoi tu te bats. Tu es à poil. …Là, il te tue. Il ne parle jamais au niveau des gens. Il doit toujours être au-dessus. Il nous a dit un jour : "Une bonne négociation, c’est quand les mecs en face ont la berlue". Ce qui est dingue, c’est que ça marche. Il subjugue. [Ce n’est pas du vent, son truc]. Il y croit. Derrière ça, il défend de vraies idées. (…) Il malmène les gens mais fait bouger les choses. Et c’est efficace. Il sait que la technostructure est derrière lui. Il tend l’élastique au maximum. Il sait que les gens vont le rattraper. Il monte en température, il sait que des gens sont contre lui et vont essayer de le contrer. Il évacue le problème réaliste. Il le laisse aux autres. (…) Il sait bien qu’on ne peut pas [tout] dire en diplomatie… et que Claude, par exemple, trouvera une formulation. ».

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Claude, c’est Claude Maupas, alias Pierre Vimont, devenu par la suite ambassadeur de France à Washington et depuis le 25 octobre 2010, le numéro deux de la "diplomatie européenne" auprès de Catherine Ashton, autrement dit, précisément, le secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure. Dans l’histoire, il est le directeur de cabinet du ministre, la pièce maîtresse décrite comme un caractère complètement opposé à celui du ministre : calme, posé, arrondissant les angles, diplomate, consensuel. C’est un homme à la fois désabusé, coulant, liquide presque, las, mais aussi extraordinairement efficace en cas de crise majeure. Ancien élève de l’ENA comme le ministre, il le tutoie comme il tutoie les membres du cabinet ; il est l’intermédiaire entre le sommet et la base.


La bande dessinée

Mais justement, rappelons d’abord le matériau de base, à savoir, la bande dessinée dont le premier tome est sorti le 7 mai 2010 et le second le 2 décembre 2011. L’initiateur de l’aventure, c’est Abel Lanzac, le héros de l’histoire (pour la BD), esquissé sous les traits d’Arthur Vlaminck, qui est allé chercher le dessinateur Christophe Blain pour réaliser l’ouvrage.

C’est l’histoire d’un jeune normalien qui est recruté par le Ministre des Affaires étrangères pour s’occuper des "langages", à savoir rédiger les discours et autres éléments de langage du ministre. Or, s’occuper de l’essence même de la parole ministérielle n’est pas de tout repos avec un ministre planant dans un "monde parallèle", des membres de cabinet parfois féroces entre eux, avec des luttes de pouvoir et d’influence entre le cabinet et les directions des grandes administrations… de quoi casser un couple qui supporterait mal le travail le dimanche, le travail en pleine nuit et sous tension !


Le mystérieux scénariste Lanzac

Abel Lanzac est un pseudonyme qu’il a voulu garder secret (pour sa carrière de diplomate ?) jusqu’à ce que le second tome ait été récompensé par le prix du meilleur album (le Fauve d’or) au 40e Festival d’Angoulême le 3 février 2013. Certains avaient imaginé que l’ancien ministre (à l’époque en exercice) Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon entre le 31 mai 2005 et le 15 mai 2007, se cachait derrière Abel Lanzac, ce qui lui vaut une apparition furtive dans le film de Bertrand Tavernier, furtive et anachronique puisqu’il joue un député félicitant le ministre de son intervention à l’Assemblée Nationale alors que l’histoire se passe lorsqu’il était encore membre de cabinet dudit ministre.

Mais le scénariste de la BD avait dû démentir à la sortie du second tome (dans "L’Express" du 2 décembre 2011) : « Ce n’est un mystère pour personne : au Quai, Bruno Le Maire n’était pas la plume mais la superplume, celui qui supervisait le processus chaotique conduisant à l’élaboration des discours. Or tous les membres du cabinet ont progressivement été obligés par le ministre de rédiger des discours, des langages ou des tribunes. Bruno est une personne à part et un ami intime. (…) Nous entretenons une amitié très forte, qui n’a rien à voir avec la politique. Dans cette bande dessinée, Bruno n’est pas incarné par un personnage, mais sa présence irradie tout l’album. ».

Il s’agit en fait d’Antonin Baudry, polytechnicien (X-Pont) et normalien (une double casquette qui en fait un superdiplômé) mais pas énarque, qui est devenu, de 2005 à 2007, le conseiller pour les questions d’économie et de culture internationales du Premier Ministre, de 2007 à 2010, conseiller culturel à Madrid, puis depuis 2010, conseiller culturel à New York.

Son objectif avec cette bande dessinée : « J’ai voulu y montrer les relations au travail : comment les décisions se prennent, le mélange de professionnalisme et de rapports humains, comment l’affectif joue dans les décisions au sein d’un cabinet où l’on est en permanence les uns sur les autres, comment s’entrecroise une négociation diplomatique, qui aboutit sur des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, avec le travail quotidien. ».

La bande dessinée est donc succulente, à la fois par son graphisme très rythmé (plus agréables à voir qu’à entendre, les portes qui claquent et les feuilles qui volent au passage du ministre), et par son sujet très original et la description très convaincante d’un ministre hors normes.


Les personnages du film

Quand j’ai entendu parler de l’idée du film et que l’on pensait à Thierry Lhermitte pour Alexandre Taillard de Vorms, j’ai été un peu inquiet, le trouvant un peu trop "gentil" et surtout, peu "impressionnant" par rapport au personnage qu’on voulait lui prêter, même s’il a déjà joué le rôle d’un ministre (assez opportuniste) dans le film "Promotion canapé" [de Didier Kaminka, sorti le 10 octobre 1990]. Finalement, je l’ai trouvé étonnamment bon dans ce rôle, crédible, montrant ainsi un grand talent de comédien loin des clichés et de ses rôles habituels, même s’il lui manquait un peu d’ossature dans les épaules pour mieux terrifier ses interlocuteurs.

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Le conseiller langages, Arthur Vlaminck, joué par Raphaël Personnaz, réussit à faire rentrer le spectateur dans ce monde spécial de la diplomatie avec un regard candide. Il lui manque cependant d’un peu d’imagination "border line" par rapport à la BD et son fou rire avec Claude Maupas lorsqu’ils mettent des citations d’Héraclite à la sauce aux anchois, n’est pas trop crédible dans le film. De plus, mais c’est visiblement volontaire, il se fait voler la vedette par le ministre (dans la BD, c’est le personnage principal).

Quand j’écris "candide", c’est pour se rappeler la phrase dite dans la BD par le directeur de cabinet lorsqu’il accueille ce nouveau conseiller : « Vous êtes le seul, ici, à avoir un cerveau à peu près fonctionnel. Les nôtres sont déjà sévèrement endommagés. ».

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Dans l’ensemble, tous les personnages sont bien joués, avec de très bon acteurs, même s’il est assez dommage que l’âge n’est pas du tout en rapport avec la réalité. Ce sont des jeunes en général qui travaillent dans les cabinets ministériels, pas des vieux routards qui n’ont plus l’aptitude à faire des nuits blanches pour les beaux yeux de leur ministre.

Ainsi, le "dircab" Claude Maupas, qui devrait avoir 53 ans, est joué tout en douceur par l’impressionnant Niels Arestrup qui a onze ans de plus (et cela s’en ressent, peut-être pour caricaturer à l’extrême la lassitude et l’épuisement).

Certains conseillers sont aussi joués par de très bons acteurs mais un peu âgés qui pourraient presque bénéficier de leur retraite dans l’administration, comme Stéphane Cahut, le conseiller Moyen-Orient, joué par le très imposant Bruno Raffaelli (63 ans), et même des quinquagénaires là où l’on imaginerait plutôt des trentenaires, Thierry Frémont (51 ans) dans le rôle de Guillaume Van Effentem, le conseiller Amérique, qui n’hésite pas à chanter des chansons paillardes tout fort dans les couloirs, et Thomas Chabrol (50 ans) dans le rôle de Sylvain Marquet, le conseiller Europe, d’autant plus que ce dernier partage des affinités musicales avec Arthur Vlaminck (27 ans). Même le ministre est trop âgé : Thierry Lhermitte a 61 ans alors que Dominique de Villepin avait seulement 49 ans à l’époque.

L’histoire se déroule essentiellement au Ministère des Affaires étrangères, tournée dans les vrais lieux du pouvoir où l’on reconnaît la fameuse salle de réunion avec une verrière en demi-cercle (visible aussi dans la BD). Endroit majestueux fait de hauts plafonds, lustres et luxe, qui contraste parfois avec les conditions assez étriquées et spartiates dans lesquelles végètent les conseillers du cabinet (bureaux exigus, couloirs très étroits etc.).


Le film supplante la bande dessinée

Le film est très proche de la bande dessinée, sauf dans des petits détails factuels, comme remplacer le Moldave (dans la BD) par le Croate (dans le film) ou encore le Norvégien (dans la BD) par le Danois (dans le film). Le film est également plus exact en parlant de "la" Ministre de la Défense au lieu "du" ministre. D’ailleurs, il n’y a pas que Michèle Alliot-Marie qui en prend pour son grade, il y a aussi Jean-Pierre Raffarin (le film évoque le projet de création de France 24, la BD n’en fait pas état), Jacques Chirac préoccupé par la disparition d’un ours en pleine crise internationale, et même, subliminalement, Nicolas Sarkozy lorsqu’il est évoqué le Ministre des Finances (même si à l’époque, il était à l’Intérieur).

Le film est meilleur que la bande dessinée pour les deux éléments suivants.

Le premier, c’est de faire arriver Alexandre Taillard de Vorms à la manière d’un dinosaure de Jurassic Park, en entendant comme des pas, de bureaux en bureaux, avant d’atteindre son but (portes qui claquent, feuilles qui volent). Cela fait un bel effet au cinéma.

Le second, au niveau du scénario, améliore la romance amoureuse entre Arthur et Marina (très élégamment jouée Anaïs Demoustier) en faisant vivre Marina dans son école primaire (elle est ici institutrice), ce qui permet d’évoquer le risque d’expulsion de la famille d’un écolier (la BD n’en parle pas ; ce sujet arrive très à-propos quelques semaines après l’affaire Leonarda). Dans le film, Marina est une vraie fiancée prête à tous les sacrifices tandis que dans la BD, rien n’est vraiment clair, les rapports sont plus distendus, dans le second tome, on croit même qu’Arthur a perdu sa copine à cause de son travail trop prenant.

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Dans le casting, la prestation (certes brève) de la charmante Jane Birkin (quasi-silencieuse) est excellente. Elle joue le rôle de Molly Hutchinson (au patronyme régulièrement écorché par les conseillers), une vieille romancière britannique ou américaine qui a eu le Prix Nobel de Littérature (serait-elle Doris Lessing qui vient de disparaître le 17 novembre 2013 ?), incapable d’en placer une devant la déferlante verbale du ministre.

Très fidèle à la bande dessinée pour ce sujet aussi, le film décrit sans complaisance ce petit monde qui gravite autour du ministre sans aucun titre officiel, que ce soit le père du ministre, qui a libre accès à tous les bureaux du ministère (Xavier de Villepin, 87 ans, fut un sénateur centriste très influent et a même présidé la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, qu’il a voulu quitter lorsque le "fiston" est arrivé au "Quai"), ou quelques littérateurs verbeux, notamment un "poète", Hector Marlier, égocentrique, narcissique, vaniteux et orgueilleux, qui n’a pour ambition que placer quelques-unes de ses citations plates dans les discours du ministre (« Au fait, Alexandre, pour ma légion d’honneur, ça avance ? Tu sais bien que pour moi, ça n’a aucune importance. C’est juste pour savoir… ») et surtout, un "ami philosophe", Jean-Paul François, que le ministre va même jusqu’à emmener dans ses déplacements officiels et qui, dans la bande dessinée, a terriblement les traits d’un …Bernard-Henri Lévy avec une phraséologie qui pourrait faire penser à Edgar Morin (sur la complexité).


La bande dessinée supplante le film

En revanche, je regrette quelques éléments de la BD qui ne transparaissent pas dans le film. Et d’abord, sans doute un choix des auteurs du film (les deux auteurs de la BD sont les scénaristes du film), le fait que le film se base sur les deux tomes de la bande dessinée à la fois, alors qu’il y aurait eu de quoi faire deux films avec ces deux tomes.

Cela a pour conséquence de faire l’impasse sur la réalité diplomatique de la situation internationale. Dans la bande dessinée, on suit le lent cheminement vers le fameux discours du 14 février 2003 au Conseil de sécurité : Dominique de Villepin fait d’abord un discours à l’assemblée générale de l’ONU (en septembre 2002) et rencontre le Secrétaire d’État américain (son homologue) Colin Powel (Jeffrey Cole dans la BD, très intéressante relation avec le ministre français, totalement absente dans le film, ce qui enlève du sel au scénario).

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Sont également passées à la trappe les séquences de la BD qui montrent comment convaincre tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU avant de convaincre les États-Unis (Russes, Chinois, etc.) et le plus coriace n’est autre que …le Syrien ! Sans ces scènes, on ne peut pas vraiment comprendre l’histoire politique qui est racontée et le dénouement final (le discours du 14 février 2003) arrive dans le film un peu comme un cheveu sur la soupe, au contraire d’un film comme "Le Discours d’un roi" [de Tom Hooper, sorti le 2 février 2011] dont le discours final (lui aussi historique, le 3 septembre 1939) est un leitmotiv qui progresse jusqu’à l’apothéose.

Cocasse aussi (uniquement dans la BD) est le voyage en Russie pour retrouver l’homologue russe avec qui le ministre français parle en espagnol au grand dam des conseillers et des interprètes qui ne comprennent plus rien aux conversations, avec, en cerise sur le gâteau, pour montrer le caprice de la star, la colère ministérielle pour éviter (en vain) de prendre un petit avion pour se déplacer.

De même, la scène de retrouvaille entre Arthur et sa compagne Marina dans l’hôtel diplomatique à New York est absente alors que cet épisode doit être très courant pour les membres des délégations : il faut adopter une ruse de Sioux pour faire entrer une personne qui n’est pas de la délégation. Peut-être que le film n’a pas pris cette scène qui va à l’encontre de la relation plus fusionnelle du couple dans le film (dans la BD, Marina semble avoir quitté définitivement Arthur à cause de son retour trop tardif dans la chambre d’hôtel ; Arthur lui ayant dit avant de la quitter : « Bon. Je vais régler définitivement le problème de la paix dans le monde. Avant neuf heures. »).

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Autre considération que le film n’expose pas (au contraire de la BD), et qui est un élément descriptif digne d’intérêt dans la vie d’un cabinet ministériel, ce sont les petites trahisons entre conseillers, par ambition ou même par jeu, cette ambiance de cour auprès du ministre, la mise à l’index parce qu’on se prend quelques jours de vacances au Nouvel An pour renouer avec sa fiancée, etc. qui pimentent l’ambiance de stress et d’urgence que peuvent ressentir les collaborateurs du ministre : « Je vais pas me faire virer… Je vais devenir un put**n de fantôme dans ce cabinet... Je suis grillé. Je suis pas grillé, je suis mort. Personne ne me le dira en face. Je n’aurai même pas de reproches. D’ailleurs, personne ne me dira plus rien. On ne me donnera plus d’infos. On se f**tra complètement de tout ce que je pourrai dire. Put**n, je n’ai pas envie de vivre ça. ». La course à l’annonce d’informations (déjà connues) du ministre est également assez éloquente.

Enfin, la truculente séquence vacance du ministre a été, elle aussi, occultée dans le film, ce qui enlève, là aussi, un épisode comique. Alexandre Taillard de Vorms est montré dans la BD en vacances dans un Club Méd en Martinique, appelant son "dircab" trente à quarante fois par jour pour lui faire part de toutes les idées qui lui passent dans la tête pendant qu’il harangue spontanément la foule de touristes sur une plage antillaise, en particulier en reprenant le concept de nouvelle frontière de Kennedy.


Acteur …et auteur des événements politiques

Marina est, dans le film comme dans la bande dessinée, le personnage neutre et normal, le regard de l’extérieur, bon sens et étonnement, bref, le spectateur lui-même. Ses interrogations sont pertinentes et amènent le spectateur à mieux comprendre ce qu’est le pouvoir politique, pas seulement du vent.

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À un juger par ce dialogue. Dans le film, Marina conclut à un moment d’une conversation : « Ton ministre est un acteur ! » mais Arthur lui répond : « Non, car il refuse mes textes. ». Autrement dit, un responsable politique, c’est effectivement un comédien, mais qui écrit lui-même sa comédie.

J’encourage par conséquent tous ceux pour qui la vie politique est passionnante, ou du moins intéressante, ainsi que les curieux des relations professionnelles en général, de regarder ce film "Quai d’Orsay" et même, si possible avant, de lire la bande dessinée d’origine qui reste, malgré tout le talent et le mérite de Bertrand Tavernier, une référence très précieuse et originale du fonctionnement des institutions politiques.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 novembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Dominique de Villepin.
Le discours du 14 février 2003 (texte intégral).
Le philosophe du ministre.
Nouvelle frontière.

yartiQuaidOrsay07 



 
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/thierry-lhermitte-de-villepin-star-144244

 

 

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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 00:04

Véritable séisme dans un canton communiste (le conseiller général sortant est le maire PCF de Brignoles). C'est l'une des dernières élections cantonales puisque la réforme prévoie qu'en 2015, les conseillers généraux (désormais appelés départementaux) seront élus en binômes hommes/femmes sur des cantons redécoupés (à la hache).


Principaux enseignements :

2/3 des électeurs ne se sont pas déplacés.
40% pour le FN.
15% seulement pour le PS-FdG.
1/4 des électeurs seulement pour la gauche.


Premer tour Cantonale partielles du 06/10/2013

Brignoles.

Inscrits : 20 728
Abstentions : 13 815 (66,7%)
Votants : 6 913
Blancs et nuls : 185
Exprimés : 6 728

Laurent Lopez (FN) 2 718 voix (40,4 %) qualifié pour le 2e tour
Catherine Delzers (UMP) 1 397 voix (20,8 %) qualifiée pour le 2e tour

Laurent Carratala (PCF) 981 voix (14,6 %) soutenu par PS, soutient la candidate UMP au 2e tour
Jean-Paul Dispard 612 voix (9,1 %) FN-dissident, ancien candidat du FN, soutient la candidate UMP au 2e tour
Magda Igyarto-Arnoult (EELV) 598 voix (8,9 %)
Christian Proust (DVD) 422 voix (6,3 %) UMP-dissident


SR


 

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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 07:06

Neuf jours après les déclarations polémiques de Manuel Valls sur les "Roms", François Hollande célèbre à grandes pompes la Constitution de la Ve République sans en rappeler les principes fondateurs.


yartiExecut55ans01Il est des silences qui veulent tout dire. Le Président de la République François Hollande a attendu huit jours pour réagir face aux propos très discutables de son très populaire Ministre de l’Intérieur Manuel Valls tenus sur France Inter le 24 septembre 2013 sur « ces populations » qui « ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres » et qui « ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ».


Stigmatisation en dehors du sarkozysme

Ces déclarations, qui ne sont pas sans rappeler le très sécuritaire discours de Grenoble prononcé le 30 juillet 2010 par le Président Nicolas Sarkozy, ont suscité bien des interrogations et des contestations à gauche, par des répliques d’autres ministres, comme Cécile Duflot et Benoît Hamon, un racadrage du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault lui-même, mais aucune réaction du chef de l’État.

Mon opinion sur ces déclarations rejoint complètement celle d’un blogueur très fréquenté sur la toile. Les 77% d’opinions favorables détectées par un sondage n’y changeront rien : il est très malsain de s’en prendre à une population de 20 000 personnes, qu’on englobe avec un seul et unique caractère, sans prendre en compte les différences individuelles et le mérite de certains à vouloir justement s’intégrer dans la société française, comme le montre l’exemple de Cristina Dimitru (sur la photo, reçue au Sénat) ou de Linda Mihai, qui ont eu, chacune, la médaille d’or du meilleur apprenti de France, respectivement en 2012 et en 2010.

yartiExecut55ans03

Sur la forme, cette polémique montre aussi qu’il n’y a plus besoin de Nicolas Sarkozy et de ses stigmatisations suggestives pour continuer à aider le FN dans la banalisation de ses idées : Arnaud Montebourg dès le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, et Manuel Valls cet automne sont capables d’agiter l’épouvantail de l’immigration de la même manière.


Quand l’indécision sert l’intérêt électoral

Le problème à gauche, c’est que c’est Manuel Valls qui est à l’origine de ces propos, qu’il est parmi les personnalités les plus populaires du pays (et c’est rare), et c’est probable qu’il les a tenus pour la même raison que Nicolas Sarkozy, par démagogie et électoralisme. En clair, par ambition. La gauche pourrait d’ailleurs n’avoir plus que Manuel Valls dans les deux prochaines décennies comme unique espoir de maintien ou retour au pouvoir dans le cas d’une future défaite.

Mais la non réaction de François Hollande me paraît bien plus grave que cet électoralisme. Certes, il a besoin de son seul ministre populaire dans une période de forte impopularité (lui-même découvre les gouffres mitterrandiens avec 23% seulement d’opinions favorables), un premier ministrable, un atout essentiel pour son quinquennat, mais en refusant de donner son point de vue, il cautionne ces déclarations


"Je vous demande de vous arrêter !"

Pire. On attendait qu’au conseil des ministres du 2 octobre 2013, il fasse enfin clore la polémique en donnant son propre sentiment et en exerçant son autorité. C’était vain. Il n’a fait que réprimander son (pauvre) Premier Ministre en lui demandant de rendre un peu plus solidaires ses ministres dans leurs communications, alors qu’il lui aurait suffi d’un mot pour siffler la fin de la récréation.

Soit dit en passant : ce n’est pas la première fois, en seize mois, que François Hollande doit faire les gros yeux à ses ministres pour manque de coordination. Pour l’instant, seule Delphine Batho en a fait les frais. Elle n’avait pas le poids politique de Manuel Valls ou d’Arnaud Montebourg.

Résultat, Jean-Marc Ayrault a envoyé le soir même un email à tous les ministres pour leur demander l’attendre l’autorisation de Matignon avant de communiquer avec les médias et la presse. Tous les ministres sauf Michel Sapin ont fait volte-face, provoquant l'hilarité générale avec des mots d’ironie plus ou moins bien perçus, dont ceux de Manuel Valls.

yartiExecut55ans04

Ce sont les "Guignols de l’Info" qui ont le mieux représenté la situation le 3 octobre 2013 sur Canal Plus en faisant de Jean-Marc Ayrault le standardiste de Manuel Valls. C’était cette même impression de penser que le chef, c’était Manuel Valls et pas Jean-Marc Ayrault, ressentie lors de la séance de questions au gouvernement qui a suivi ce conseil des ministres. Un député UMP avait demandé explicitement les explications de Manuel Valls mais c’est Jean-Marc Ayrault qui a répondu (d’habitude, le Premier Ministre répond aux députés de la majorité et laisse un sous-ministre le soin de répondre aux députés de l’opposition).


La Constitution a 55 ans

Et pourtant, la polémique, qui a bien du mal à s’étioler car sans arrêt raviver par les moyens technologiques moderne de communication (comme un tweet incendiaire du compagnon de Cécile Duflot), aurait pu trouver son issue par le haut le 3 octobre 2013, avec la célébration, avec un jour d’avance, du cinquante-cinquième anniversaire de la promulgation de la Constitution de la Ve République, en s’exprimant sur deux éléments phares : d’une part, sur les principes républicains, qui rejettent tout communautarisme et toute exclusion basée sur la simple appartenance à une population, d’autre part, sur la méthode, sur les relations au sein de l’exécutif.

Le Président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré, fils de celui qui fut l’auteur du texte fondamental, avait en effet donné à François Hollande l’occasion d’un discours dans un cadre luxueux devant 205 ministres et anciens ministres présents (sur 384 encore en vie), dont Manuel Valls, Christiane Taubira, Édouard Balladur, Lionel Jospin, Dominique de Villepin, Bruno Le Maire, Jean-François Copé, Pierre Moscovici, etc.

yartiExecut55ans02

Au lieu de tenir des propos forts sur le sujet, François Hollande s’est contenté de lire un texte sans saveur, qui ne mangeait pas de pain. Il a juste rappelé que les institutions actuelles étaient un peu ambiguës et que c’était parfois une force (serait-il le promoteur de la logique floue ?) et qu’il avait toujours été opposé à l’idée d’une VIe République. Ayant très tôt renoncé à réviser la Constitution, il a seulement annoncé le dépôt du projet de loi prévu par la révision du 23 juillet 2008 sur le référendum d’initiative populaire (qui ne vas pas très loin dans les possibilités des citoyens à se saisir d’un sujet, en raison des conditions très contraignantes).


Le silence ambigu provoque forcément les couacs

Ce silence présidentiel sur des sujets essentiels (l’essentiel n’est pas les "Roms" mais comment le gouvernement les "traite" en sachant tenir deux impératifs antagonistes ; au fait, qui a parlé du "problème Roms" faisant sémantiquement penser à un autre "problème" en 1940 ?) est la véritable marque de François Hollande, noyé dans le consensuel et l’indécision, ayant trop peur de trancher entre les différents courants du gouvernement qu’il confond encore trop avec le comité directeur du PS.

Nul doute que les ministres les plus audacieux n’hésiteront pas à continuer à profiter de ce manque d’autorité et à participer encore un peu plus au cafouillage médiatique d’un pouvoir incapable de fixer une vision d’avenir pour le peuple.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 octobre 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Meilleure apprentie de France, est-ce un gage d’insertion ?
Une réflexion remarquable sur les "Roms" (1er octobre 2013).
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Manuel Valls.
Discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy (30 juillet 2010).
Hollande et Sarkozy, même facilité sur l’immigration.
Morale molle et ambitions dures.
Révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
La Ve République a 55 ans.
Pourquoi les ambitieux gagnent.

yartiExecut55ans05


http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-republique-du-couac-ou-du-non-141769

 

 

 

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9 juillet 2013 2 09 /07 /juillet /2013 07:39

Serez-vous réellement sûrs, électeurs, de voir siéger les candidats à qui vous aurez confié votre voix ? À partir de 2017, peut-être plus… Zoom sur la cuisine électorale du PS.


yartiFauxNez01Il y a cinq mois, je craignais qu’une mesure très politicienne fût mise en œuvre par le gouvernement socialiste, et ma crainte était fondée : la mesure a été officiellement adoptée par les députés dans la soirée tardive du jeudi 4 juillet 2013.

C’est en fait l’article 3 du projet de loi organique visant à "l’interdiction du cumul des fonctions exécutives locales avec les mandats de député, sénateur ou représentant au Parlement Européen", présenté par le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls et qui a été approuvé par les députés. Le vote solennel de l’ensemble du projet de loi organique aura lieu en séance publique ce mardi 9 juillet 2013 à 16h15.

Cet article concerne la manière dont les parlementaires seraient remplacées en cas de renoncement à leur mandat parlementaire pour privilégier leur mandat dans un exécutif local : « (…) Les députés dont le siège devient vacant (…) sont remplacés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée Ntaionale par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet. ». Pareillement pour les sénateurs élus au scrutin majoritaire.

Rappelons que le principe essentiel de ce projet, qui faisait partie du programme du PS et que François Hollande a accepté sans grand enthousiasme de reprendre dans son projet électoral (lui-même était cumulard, député et président du Conseil général de Corrèze, et avant mars 2008, député-maire de Tulle), c’est d’interdire le cumul d’un mandat de parlementaire et d’un mandat d’exécutif local, que ce soir président de conseil général ou régional, maire ou éventuellement vice-président ou adjoint dans ces structures.

Mon propos ici n’est pas d’apprécier la pertinence de cette interdiction. Elle est demandée par les Français et elle concourrait à une meilleure clarification du rôle de l’ensemble des acteurs politiques.

La loi serait applicable à partir de la première élection suivant le 31 mars 2017, c’est-à-dire que s’il y avait par exemple une dissolution et des élections législatives anticipées avant 2017, les députés pourraient encore cumuler jusqu’en 2020 (prochaines municipales) ou 2021 (prochaines élections régionales ou départementales). On voit dans ce calendrier un grand enthousiasme dans sa mise en œuvre.

Je ne reviendrai pas non plus sur l’aspect assez démagogique de ce projet (le cumul des mandats est très impopulaire) qui coûterait à la collectivité nationale un peu plus cher que la situation actuelle (en raison du plafonnement des indemnités électives, encore que cela se discute, vu la manière de redistribuer le surplus des indemnités…) ni sur un aspect à prendre en compte, à savoir que les députés vont être encore plus godillots qu’actuellement (pourtant, ils le sont déjà bien assez), puisqu’ils n’auront que leur parti comme seule légitimité politique, le seul qui puisse les investir, alors que les "grands élus locaux" ont une légitimité autre, locale, ce qui leur donne plus de force pour s’opposer à l’Exécutif le cas échéant (on suivra avec attention les débats au Sénat où l’un des plus fidèles hollandiste, François Rebsamen, qui a raté d’être Ministre de l’Intérieur, va guerroyer jusqu’au bout pour garder son double mandat de sénateur-maire de Dijon).

Je veux reprendre mon alarme de février pour insister de nouveau sur ce qui pourrait apparaître comme un détail de la loi mais qui n’en est en fait pas du tout un.

Il s’agit de la manière de remplacer un parlementaire qui aurait décidé de renoncer à son mandat de parlementaire pour se consacrer à son mandat d’exécutif local. Dans la législation actuelle, il y aurait une élection partielle ou le suivant de liste siégerait (selon le mode de scrutin).

La règle (constitutionnelle) des suppléances de députés est très claire : élu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, le député est en fait associé, au moment de sa candidature (et de l’élection) à un suppléant. Pour les sénateurs et les députés européens, la situation est la même, soit par suppléance pour les sénateurs de départements peu peuplés, soit par suivant de liste dans le cas de scrutin à la proportionnelle.

Ce suppléant devient automatiquement parlementaire lors de deux seuls cas, imprévisibles (ou quasiment) : en cas de décès ou en cas de nomination au gouvernement (en raison du principe de séparation des pouvoirs, un ministre ne peut rester parlementaire). Une loi organique a aussi prévu le cas où un parlementaire est en mission confiée par le gouvernement ; si la durée dépasse six mois, le parlementaire doit démissionner définitivement de son mandat.

Jusqu’à la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le suppléant restait en fonction jusqu’à la fin de la législature lorsque son député était ministre et qu’il avait quitté le gouvernement entre temps. Pour que l’ancien ministre retrouvât son siège, il fallait alors que le suppléant démissionnât de son mandat et provoquer une élection partielle (un événement que doivent aujourd’hui avoir en horreur les hiérarques du Parti socialiste).

Depuis 2008, c’est le contraire qui prévaut : le suppléant doit obligatoirement laisser le siège à l’ancien député titulaire qui a exercé des fonctions gouvernementales puis exclu du gouvernement. Si l’ancien ministre refuse de reprendre son mandat (ce fut le cas de Jérôme Cahuzac, mais aussi de Christine Boutin en 2010), il y aura une élection partielle. Sinon, comme Delphine Batho dans quelques jours, l’ancien ministre reprend son siège sans nouvelle élection.

À l’origine, la loi organique adoptée par le Parlement le 11 décembre 2008 consécutivement à la révision du 23 juillet 2008 prévoyait qu’en cas de refus, par l’ancien ministre, de reprendre son siège, le suppléant pouvait garder définitivement son siège, mais le Conseil Constitutionnel avait censuré la mesure pour cette raison : « En autorisant ainsi le député ou le sénateur ayant accepté des fonctions gouvernementales à conférer un caractère définitif à son remplacement, ces dispositions ont méconnu le deuxième alinéa de l’article 25 de la Constitution qui ne prévoit, dans ce cas, qu’un remplacement provisoire. » (c’est la décision n°2008-572DC du 8 janvier 2009 du Conseil Constitutionnel).

Pendant la discussion en séance le 4 juillet 2013, plusieurs députés ont ainsi tenté en vain d’amender le texte pour retirer ce remplacement automatiquement, et sans quitus électoral, par le suppléant.

Jean-Luc Laurent (PS) n’a pas hésité d’ailleurs à mettre les pieds dans le plat : « La proposition de renforcement des cas dans lesquels on s’abstiendrait d’organiser des élections partielles n’a en effet pas lieu d’être. La législation actuelle est suffisante à nos yeux, et l’élection partielle ne doit pas être considérée comme une gêne ou un obstacle : elle constitue au contraire une respiration démocratique légitime et nécessaire, qui doit demeurer pour les cas non prévus dans le code actuel. ».

Daniel Fasquelle (UMP) a été un peu plus polémique : « Je ne vois pas pourquoi on devrait avoir peur des élections partielles… ou plutôt, je comprends trop bien que certains craignent aujourd’hui des élections partielles ! Je veux également mettre en garde mes collègues contre le risque de non-conformité à la Constitution de cette disposition. ».

Jean-Christophe Lagarde (UDI), qui a aussi défendu l’interdiction stricte du cumul des indemnités (amendement n°359), en a profité pour mettre les points sur les i : « Nous savons très bien que le suppléant n’est pas le candidat réellement choisi par nos électeurs au moment où nous nous présentons. De plus, ceux-ci n’ont pas nécessairement à l’esprit, lorsque nous nous présentons à une élection parlementaire, que nous sommes susceptibles de quitter notre mandat. Nous allons donc potentiellement changer jusqu’au cinquième d’une assemblée sans repasser devant le corps électoral ! C’est aujourd’hui possible lorsque l’on devient ministre ou que l’on disparaît ; reconnaissez que le nombre de cas est alors bien plus limité. Mais avec les élections municipales, les élections départementales et les élections régionales, on peut changer jusqu’à 20% ou 25% d’une assemblée : cela me paraît de nature à attirer l’attention du Conseil Constitutionnel. (…) La composition des assemblées élues risque de changer de façon très importante. Vous pouvez me rétorquez que les suppléants sont élus en même temps que les titulaires et que les gens le savent. Foutaise ! La plupart des électeurs sont évidemment incapables de citer le nom du suppléant de leur député. Il s’agit là d’un problème démocratique : il serait préférable de retourner devant les électeurs. Après tout, qu’auriez-vous à craindre ? ».

Jean-Frédéric Poisson (UMP) a ainsi résumé la tentative du gouvernement à éviter les élections partielles : « Ces deux cas sont connus [décès ou acceptation d’une fonction de parlementaire en mission, qui est une fonction exécutive, d’une durée supérieure à six mois] ; le problème est que vous en inventez un troisième ! Ces deux cas existants dans la loi organique [actuelle] tiennent d’une certaine façon soit à la mort du titulaire, soit à la mort des institutions, c’est-à-dire, à l’atteinte de la séparation des pouvoirs : voilà de quoi traite la loi organique. (…) En créant une hypothèse supplémentaire tenant au cumul des mandats, (…) le cas que vous créez n’entre en conflit ni avec la capacité d’exercer le mandat, ni avec la séparation des pouvoirs. De ce fait, je prétends que le nouveau cas de remplacement définitif n’est pas conforme à l’esprit de la Constitution, laquelle ne consacre en cette circonstance qu’un remplacement temporaire. ».

yartiFauxNez02

Celui qui s’est opposé le plus solidement à cette disposition, c’est l’ancien ministre radical de gauche Roger-Gérard Schwartzenberg, universitaire et juriste chevronné (il a été le directeur de thèse de Jean-Louis Debré, l’actuel Président du Conseil Constitutionnel), en ces termes :

« Cet article 3 modifie très profondément les règles de remplacement des parlementaires, puisqu’il prévoit notamment qu’en cas de démission pour incompatibilité ceux-ci seront remplacés par leur suppléant.

Actuellement, conformément à l’article 25 de la Constitution, la loi organique ne prévoit que cinq cas dans lesquels ce remplacement par le suppléant intervient. Le premier cas, et le plus simple, est le décès ; puis viennent la nomination au Gouvernement, la désignation comme défenseur des droits, etc. En dehors de ces cas, si un député décide de renoncer à son mandat de parlementaire, il ne peut être fait appel à son suppléant pour le remplacer : une élection partielle doit être organisée.

En revanche, l’article 3 du présent projet de loi organique prévoit que, désormais, un parlementaire se trouvant en situation de cumul et choisissant d’opter pour sa fonction locale sera remplacé par son suppléant.

Cette nouvelle disposition paraît doublement inopportune. D’une part, il paraît difficilement envisageable de changer les règles relatives au remplacement des députés en cours de législature. En 2012, les électeurs ont voté pour qu’un candidat déterminé, le candidat titulaire, siège à l’Assemblée Nationale, et non pour qu’y siège le candidat suppléant, qui ne bénéficie peut-être pas au même degré de leur confiance.

Il serait bien sûr excessif de parler de tromperie, mais il s’agirait, en tout cas, d’un choix imposé et non d’un choix librement consenti. Cette atteinte à la liberté de choix des électeurs pourrait poser problème devant le Conseil Constitutionnel, à qui les lois organiques sont soumises avant leur promulgation.

D’autre part, et l’étude d’impact le souligne, ces nouvelles règles de remplacement seraient établies pour éviter l’organisation d’un grand nombre d’élections partielles. Il y a là une sorte de volonté d’évitement du suffrage universel, qui n’est guère conforme à la démocratie. Il importe, au contraire, de donner la parole aux électeurs et de ne pas esquiver les élections partielles, qui leur permettent de s’exprimer entre deux consultations générales. »

Comme on le voit dans les différents arguments développés par certains députés même de la majorité, il y aurait un réel fait antidémocratique à permettre au suppléant, sans nouvelle consultation électorale, de devenir définitivement parlementaire parce que le titulaire aurait préféré conserver son mandat local.

Ce serait aussi le meilleur moyen de tromper les électeurs qui penseraient élire une personnalité et qui aurait finalement à sa place une autre personnalité que ceux-ci n’auraient peut-être jamais élue.

Évidemment, en dehors du déficit démocratique, c’est la méthode et les procédés du PS qui sont à mettre en cause : la carrière d’un élu socialiste (cela a notamment été le cas pour Jean-Luc Mélenchon) est assez classique. D’abord salarié dans des instances locales (comme Delphine Batho), puis élu au niveau local, puis élu au niveau national.

Cette mesure qui ferait élire des faux-nez, voire des prête-noms (le baron local étant un "produit d’appel" pour faire gagner le siège à son parti qu’il abandonnerait ensuite à un apparatchik dévoué), est une véritable insulte à la vie démocratique.

Le projet de loi organique sera probablement adopté ce mardi après-midi au Palais-Bourbon, mais il est possible que la défection non seulement d’élus radicaux de gauche mais aussi d’élus socialistes mette en difficulté le gouvernement dans le vote au Sénat.

Enfin, il est probable, comme l’ont imaginé les différents députés qui sont intervenus sur le sujet le jeudi soir, que cette mesure sera invalidée par le Conseil Constitutionnel.

Cette discussion parlementaire a donc été une bonne illustration de la gouvernance de cet exécutif incapable d’intérêt général et qui pourrait se résumer à ce que décrivait le député François Vercamer (UDI) dans la discussion : « Le fond de l’affaire, c’est que vous ne faites que de l’affichage et que vous n’avez absolument pas envie de traiter le problème ! ».

Affichage, avez-vous dit ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (9 juillet 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Harlem Désir : touche pas à mon poste ! (18 février 2013)
François Hollande.
Le ministre Manuel Valls.
Valls et les institutions.
Claude Bartolone.
Jean-Christophe Lagarde.
L’amour du PS pour les élections partielles.
Voulons-nous vraiment moraliser la vie politique ?
De la difficulté d’être honnête en politique…

yartiFauxNez03

 

 

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bientot-des-candidats-faux-nez-aux-138395

 

 

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2 juillet 2013 2 02 /07 /juillet /2013 18:23

François Hollande a mis fin aux fonctions de la Ministre de l'Écologie Delphine Batho, convoquée à Matignon cette après-midi, qui a critiqué le budget préparé par le gouvernement pour 2014, ce mardi matin sur RTL.

SR

 

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26 juin 2013 3 26 /06 /juin /2013 21:30

(verbatim)

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180515-cahuzac.html


Commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du gouvernement et des services de l’état, notamment ceux des ministères de l’économie et des finances, de l’intérieur et de la justice, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du gouvernement


Mercredi 26 juin 2013
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 22
Présidence de M. Charles de Courson, Président
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jérôme Cahuzac

M. le président Charles de Courson. Mes chers collègues, depuis près de deux mois, notre commission d’enquête entend le témoignage de personnes qui ont joué un rôle dans le déclenchement ou la gestion par les services de l’État de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Cahuzac ». Il était logique qu’elle entende également le principal intéressé.

Je tiens cependant à souligner que l’objet de nos travaux est de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État dans la gestion de cette affaire et que, comme la garde des Sceaux l’a rappelé dans son courrier adressé au président Claude Bartolone le 9 avril 2013, notre enquête « ne doit pas conduire à mener des investigations sur des aspects relevant de la compétente exclusive de l’autorité judiciaire et des services de l’État ayant pu intervenir à [sa] demande dans ce dossier ». Je vous demande donc de respecter ces principes lorsque vous poserez des questions à M. Jérôme Cahuzac ; à défaut, je me verrais dans l’obligation de vous les rappeler.

(M. Jérôme Cahuzac prête serment)

M. le président Charles de Courson. Si cela vous convient, je vais vous laisser vous exprimer

M. Jérôme Cahuzac. Monsieur le président, je n’ai pas de déclaration liminaire à faire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avant de poser mes questions à M. Jérôme Cahuzac, je voudrais revenir sur ce que vient de dire le président de notre commission.

Le champ de nos investigations est strictement limité par le principe de la séparation des pouvoirs, en vertu duquel il est interdit aux travaux d’une commission d’enquête de porter sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires, aussi longtemps que celles-ci sont en cours. L’ouverture par le parquet de Paris, le 8 janvier dernier, d’une enquête préliminaire, puis, le 19 mars, d’une information judiciaire, enfin l’annonce le 2 avril de la mise en examen de M. Jérôme Cahuzac interdisent à notre commission de s’intéresser au volet judiciaire de cette affaire.

C’est pourquoi, depuis le début de nos travaux, j’ai axé nos investigations sur trois questions principales : les services de l’État disposaient-ils, avant le 4 décembre 2012, d’éléments matériels qui auraient permis de caractériser une fraude fiscale de la part de M. Jérôme Cahuzac ? Après la révélation de l’affaire, les services du ministère de l’économie et des finances ont-ils procédé aux vérifications nécessaires avec la diligence requise et convenait-il d’y procéder ? Des membres de l'exécutif ou leurs collaborateurs ont-ils été informés de la véracité des faits allégués par Mediapart avant les aveux du 2 avril et si oui, y a-t-il eu des tentatives d’entrave à l’exercice de la justice ? Il est évident que toute question qui s’éloignerait de ces trois axes excéderait le champ d’investigation de la Commission d’enquête.

J’en viens à mes questions.

Monsieur Cahuzac, pouvez-vous préciser le rôle que vous avez joué dans la rédaction de l’instruction connue sous le nom de « muraille de Chine », datée du 10 décembre 2012 ? Qui en a pris l’initiative ? A-t-elle été scrupuleusement respectée ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai pas eu l’initiative de cette disposition. Je crois que le mérite en revient au directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard, lequel m’en a informé via ma directrice de cabinet, Mme Amélie Verdier ; j’ai immédiatement donné mon accord pour que toutes les dispositions permettant l’érection de cette « muraille de Chine » puissent être prises dans les meilleurs délais. Si j’ai bonne mémoire, j’ai signé les instructions à cet effet le 10 décembre.

M. Alain Claeys, rapporteur. En avez-vous parlé avec M. Pierre Moscovici ?

M. Jérôme Cahuzac. Non, je n’ai pas parlé de ce principe avec Pierre Moscovici. L’instruction que je donnais avait pour conséquence mon déport immédiat et systématique de toutes les questions relatives à cette affaire. En conséquence, le ministre de l’économie et des finances en avait dorénavant la charge.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous informé le ministre de l’économie et des finances que l’administration fiscale vous avait adressé un formulaire « 754 », afin d’obtenir des informations sur les comptes et les avoirs que vous auriez détenus à l’étranger ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai informé personne que j’avais reçu ce formulaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. M. Bruno Bézard a indiqué, lors de son audition du 28 mai, que vous aviez « tenté d’entrer dans le débat sur la demande d’assistance administrative et de voir par exemple comment cette demande était rédigée ». Il vous avait répondu que cela était impossible, et vous n’aviez pas insisté. Est-ce exact ?

M. Jérôme Cahuzac. Oui. Cet échange n’a duré que quelques secondes. J’ai su – car je crois que le texte de la convention le prévoit – par mes avocats suisses qu’une demande était soit en cours, soit faite. J’en ai dit quelques mots à M. Bruno Bézard, qui m’a répondu qu’il n’était pas envisageable que je puisse m’en mêler ; je lui ai donné raison et ne lui en ai plus jamais reparlé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand et par qui avez-vous été informé de cette démarche ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai pas souvenir de la date précise, mais ce sont mes avocats suisses qui m’en ont informé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous confirmez donc que vos avocats ont eu connaissance de cette demande ?

M. Jérôme Cahuzac. Forcément, puisqu’ils m’en ont informé.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous demandé à vos avocats d’évaluer les probabilités de succès de cette démarche ?

M. Jérôme Cahuzac. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je n’ai pas eu de relations très suivies avec mes avocats suisses. Cela ne fait pas partie des questions que j’ai pu leur poser.

M. Alain Claeys, rapporteur. Est-ce que vos avocats ou vous-même avez été avertis par les autorités suisses – ou par d’autres – du contenu de leur réponse du 31 janvier ?

M. Jérôme Cahuzac. Pas du contenu précis, mais du sens de la réponse, oui. J’ai appris par mes avocats suisses qu’il revenait de la Confédération helvétique une réponse négative aux questions posées.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous avez donc été informé et de la démarche, et du contenu général de la réponse ?

M. Jérôme Cahuzac. J’ai en effet été informé de la démarche et du sens de la réponse – si j’ai bonne mémoire, une dizaine ou une quinzaine de jours après.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous informé, directement ou indirectement, le Journal du Dimanche, ou d’autres journalistes, du contenu de cette réponse ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai parlé à personne du contenu de la réponse.

M. Alain Claeys, rapporteur. Avez-vous une idée de l’identité de la personne qui l’a fait ?

M. Jérôme Cahuzac. Je me suis longuement demandé qui avait pu faire cette démarche dont je ne jugeais pas à cet instant qu’elle pouvait m’aider. Je n’ai pas de réponse.

M. le rapporteur. La prochaine question peut être aux frontières du champ d’investigation de notre commission d’enquête et de celui de la procédure judiciaire en cours ; à vous de voir ce que vous pouvez répondre. Notre commission se demande pourquoi les autorités suisses ont répondu par la négative à la question posée par l’administration fiscale française sur l’existence d’un compte à l’UBS de 2006 à 2012. L’une des explications pourrait être un transfert des avoirs du compte à d’autres dates ou à d’autres établissements que ceux dont a parlé la presse. Pourriez-vous préciser ce point ?

M. Jérôme Cahuzac. Votre question se situe en effet aux frontières de la procédure judiciaire et des travaux de votre commission.

Il me semble que les personnes que vous avez précédemment auditionnées ont évoqué deux possibilités : la première est que la banque UBS aurait menti – ce qui me paraît peu plausible, vu les risques que cette banque encourrait ; la deuxième est que la banque UBS a dit la vérité, à savoir que je ne disposais pas de compte à l’UBS durant la période visée par la demande française.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous vous êtes entretenu avec M. Rémy Garnier le 26 octobre dernier, à l’occasion d’un de vos déplacements à Villeneuve-sur-Lot. Depuis quand le connaissiez-vous ?

M. Jérôme Cahuzac. Je l’ai rencontré pour la première fois il y a un peu plus d’un an : il était venu assister à une réunion publique que j’avais organisée dans le cadre de la campagne législative. Je ne l’avais jamais vu auparavant.

Je l’ai revu une deuxième fois, à sa demande : il avait pris rendez-vous. Il faut dire qu’au cours de cette réunion publique, j’avais pris l’engagement de le recevoir s’il le souhaitait. Durant quelque trois quarts d’heure, il m’a exclusivement parlé de son dossier administratif et des procédures qu’il avait engagées contre son administration. Je pense qu’au bout de ce temps, nous n’avions pas examiné le quart ou même le cinquième des actions en cours ! J’ai dû lui dire que je ne pouvais pas rester plus longtemps. Lorsque je l’ai raccompagné, il m’a dit qu’il souhaitait qu’en tant que ministre, je demande à l’administration que j’avais sous ma responsabilité de cesser toute procédure à son encontre et de reconnaître le caractère erroné des actions engagées contre lui. Je lui ai indiqué que je ne pourrais pas faire cela. Il m’a regardé et a dit : « Dommage ! ». Ce n’est que plus tard que j’ai compris le sens de ce propos.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelle suite avez-vous donné à cet entretien ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’y ai pas donné suite. Comme je l’avais dit à M. Garnier, je ne voyais pas comment, au seul motif qu’une personne habitait dans ma circonscription, je pourrais demander à une administration de faire fi de toutes les procédures engagées contre lui – je ne porte pas de jugement sur leur légitimité. Il m’a indiqué qu’il allait en justice ; je lui ai fait remarquer que, pour restaurer ou laver son honneur d’agent du fisc, cette dernière était mieux placée que son ministre de tutelle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Connaissiez-vous avant la publication du premier article de Mediapart l’existence du mémoire en défense rédigé par M. Garnier en juin 2008 et son contenu ?

M. Jérôme Cahuzac. À aucun moment je n’avais eu connaissance de ce mémoire. Mais, puisque vous m’interrogez sur mes relations avec M. Rémy Garnier, peut-être un bref rappel historique serait-il utile.

Entre 1997 et 2002, je suis député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Les dirigeants de France Prune viennent un jour me signaler qu’ils font l’objet d’une vérification fiscale qui se conclut par deux demandes de redressement : l’une au titre de l’impôt sur les sociétés, l’autre au titre de la taxe professionnelle.

Après avoir étudié les deux dossiers – ce qui m’a pris dix à quinze jours, car ils étaient complexes –, je les rencontre à nouveau. Je leur indique que le dossier relatif à l’impôt sur les sociétés me paraît plaidable, que je comprends les risques économiques pour leur entreprise si d’aventure les mises en recouvrement étaient opérées et que je me ferai leur porte-parole auprès du cabinet du secrétaire d’État au budget afin de voir comment les choses pourraient s’arranger. Il me semble n’avoir fait là que mon travail de parlementaire. En revanche, pour ce qui est de la taxe professionnelle, je réponds aux dirigeants de France Prune que l’affaire me paraît sérieuse et que je ne suis pas techniquement en mesure de plaider l’annulation de la procédure.

Sur le premier dossier, le secrétaire d’État au budget donne gain de cause à la coopérative à une condition : que celle-ci modifie radicalement ses structures juridiques et commerciales, de sorte que plus jamais à l’avenir il n’existe d’ambiguïtés susceptibles d’occasionner une procédure fiscale. France Prune a tenu ses engagements.

Quant au contentieux relatif à la taxe professionnelle, la coopérative a décidé de contester en justice les conclusions de M. Rémy Garnier et elle a obtenu gain de cause.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quand avez-vous pris connaissance du mémoire en défense de M. Garnier ?

M. Jérôme Cahuzac. Dans les jours qui ont suivi la publication de l’article de Mediapart. Lorsque je reçois M. Fabrice Arfi le mardi matin 4 décembre, il m’indique ne pas comprendre pourquoi – je le cite de mémoire – « Éric Woerth a reçu en 2008 un courrier de Rémy Garnier l’informant que je disposais d’un compte non déclaré à l’étranger ». Dans l’après-midi, je demande à M. Éric Woerth s’il a reçu un tel courrier. Il m’assure du contraire, soulignant que si tel avait été le cas, il aurait immédiatement diligenté une enquête.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous vous êtes adressé directement à M. Éric Woerth ?

M. Jérôme Cahuzac. Oui, je suis allé le voir après la séance des questions au Gouvernement.

Comme il n’a pas souvenir de ce courrier et qu’il n’y a aucune trace d’enregistrement, je me demande de quoi il peut s’agir. C’est alors que les services « retrouvent », non pas un courrier ni un rapport, mais un mémoire adressé par M. Rémy Garnier à sa hiérarchie afin de contester les décisions administratives dont il fait l’objet. Ce mémoire comprend une douzaine de pages, dont une m’est consacrée ; d’autres sont dédiées à certains de ses collègues : il en accuse un d’avoir sous-estimé la valeur d’un bien reçu par héritage en Dordogne, un autre de ne pas avoir payé à temps la taxe professionnelle sur un bien détenu à Agen, un troisième de déduire de ses revenus ses frais de transport lors même qu’il « pratique le covoiturage » ; il affirme des choses très désagréables pour sa hiérarchie et certains de ses collègues, mettant en doute à l’occasion leur honorabilité. En ce qui me concerne, il m’accuse de disposer d’une villa à Marrakech, d’un appartement à La Baule et d’un compte non déclaré à l’étranger, sans jamais apporter le moindre commencement de preuve, ces assertions étant introduites par des propositions du type « j’ai ouï dire que… », « on m’a dit que… » ou « je crois savoir que… ». Je ne découvre ce mémoire que dans les jours qui suivent l’article princeps de Mediapart.

M. Alain Claeys, rapporteur. Selon vous, ce mémoire avait-il été porté à la connaissance de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ?

M. Jérôme Cahuzac. C’est elle qui a reçu ce mémoire, mais j’ignore à quelle sous-direction il a été adressé et qui a pu le lire. Je n’ai pas eu l’impression que beaucoup l’avaient fait.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comment avez-vous appris l’existence de l’enregistrement détenu par M. Michel Gonelle ?

M. Jérôme Cahuzac. Le jour où Mediapart a décidé de le mettre en ligne. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant.

M. Alain Claeys, rapporteur. Vous n’avez donc aucune idée de la personne qui l’a remis à Mediapart ?

M. Jérôme Cahuzac. Comme vous, je n’ai aucune preuve me permettant d’affirmer que tel ou tel aurait remis cet enregistrement. À la lecture des comptes rendus des précédentes auditions, il me semble que seules deux personnes peuvent l’avoir fait : M. Michel Gonelle ou M. Jean-Louis Bruguière. Tous deux vous ont déclaré sous serment n’y être pour rien. M. Gonelle a même ajouté qu’il n’avait pas souhaité en faire état auparavant afin de ne pas « pervertir » le débat politique. Soit.

M. Alain Claeys, rapporteur. Est-il exact que M. Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République, vous aurait informé le 15 décembre du contenu de l’entretien téléphonique qu’il avait eu le jour même avec M. Michel Gonelle ?

M. Jérôme Cahuzac. Il m’a informé d’un contact téléphonique – le contenu, je n’en suis pas certain, mais la date est exacte.

M. Alain Claeys, rapporteur. Que lui avez-vous répondu ?

M. Jérôme Cahuzac. Que voulez-vous que je lui réponde ? J’ai pris acte de ce qu’il m’indiquait, et nous avons convenu que la démarche était curieuse et que si M. Gonelle avait des choses à dire, il devait saisir en priorité la justice.

M. Alain Claeys, rapporteur. À compter de l’ouverture de l’enquête préliminaire, le 4 janvier, le parquet général a informé la chancellerie de l’avancement des investigations. Avez-vous eu des contacts avec la garde des Sceaux ou avec son cabinet à ce sujet ?

M. Jérôme Cahuzac. Jamais.

M. Alain Claeys, rapporteur. De même, les policiers chargés de l’enquête préliminaire ont rendu compte de l’avancée de leurs investigations. Avez-vous eu des contacts avec M. le ministre de l’intérieur ?

M. Jérôme Cahuzac. Des contacts avec mes anciens collègues, j’en ai eu, mais pas à ce sujet.

M. le président Charles de Courson. Quelques questions complémentaires.

Pourquoi ne pas avoir répondu au formulaire 754 ? Avez-vous informé Pierre Moscovici de cette non-réponse ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai informé Pierre Moscovici, ni que j’avais reçu le formulaire, ni que je n’y avais pas répondu.

Pourquoi ne pas y avoir répondu ? Il y a tout de même deux tabous que je n’ai pas transgressés. Premièrement, contrairement à ce qui a été écrit, je n’ai jamais juré sur la tête de mes enfants ne pas détenir de compte. Deuxièmement, il m’a semblé impossible de mentir par écrit à l’administration dont j’avais la charge.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous transféré votre compte chez Reyl & Compagnie durant la période 2006-2012 – puisque vous avez dit au rapporteur que vous aviez fermé votre compte à l’UBS avant 2006 ?

M. Jérôme Cahuzac. Monsieur le président, je n’ai pas dit cela. J’ai indiqué au rapporteur qu’il n’y avait que deux solutions possibles – en me gardant bien, car cela empiéterait sur les prérogatives de l’autorité judiciaire, de préciser laquelle me semblait la bonne.

Quant à la question que vous me posez, je suis au regret de vous dire qu’elle me semble empiéter sur l’information judiciaire en cours. Je ne peux donc pas vous répondre.

M. le président Charles de Courson. Certains ont reproché à l’administration fiscale de ne pas avoir formulé la demande d’assistance administrative de manière plus large, en faisant porter l’interrogation non seulement sur l’UBS, mais aussi sur Reyl & Compagnie. Si vous nous confirmiez que vous aviez bien détenu entre 2006 et 2012 un compte dans cet établissement, cela signifierait que si la demande avait été élargie, elle aurait peut-être reçu une réponse positive. Monsieur Cahuzac, aviez-vous, oui ou non, un compte chez Reyl & Compagnie entre 2006 et 2012 ?

M. Jérôme Cahuzac. Je comprends votre raisonnement, monsieur le président, mais j’espère qu’à votre tour vous comprendrez que je ne peux pas répondre à cette question.

M. le président Charles de Courson. Pourriez-vous alors répondre à cette autre question : à quelle date le compte a-t-il été transféré, soit depuis UBS, soit depuis Reyl & Compagnie, vers une filiale à Singapour du même établissement ?

M. Jérôme Cahuzac. Je suis contraint de vous faire la même réponse, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Vous rendez-vous compte qu’en refusant de répondre à cette question, vous mettez notre commission d’enquête en difficulté, puisque l’une des questions que nous nous posons est de savoir pourquoi l’administration fiscale n’a pas saisi les services fiscaux de Singapour pour leur demander si vous y possédiez un compte ?

M. Jérôme Cahuzac. J’ai lu avec attention les comptes rendus des auditions des responsables d’administrations fiscales. Il m’a semblé que leurs réponses étaient assez convaincantes ; manifestement, elles ne vous ont pas convaincu, et je le regrette.

M. le président Charles de Courson. Je prends acte que vous ne répondez pas à ces questions.

Il nous a été dit que vous auriez effectué au moins un déplacement en Suisse à la fin 2009 ou au début 2010. Pourriez-vous préciser la date et l’objet de ce ou de ces déplacements ?

M. Jérôme Cahuzac. Je le souhaiterais, mais je ne le peux pas, monsieur le président – pour les mêmes raisons que précédemment.

M. le président Charles de Courson. Monsieur Cahuzac, vous avez déclaré que pour un déplacement au moins vous aviez pris vos billets de train à l’Assemblée nationale – autour du 20 octobre, semblerait-il. Le confirmez-vous ?

M. Jérôme Cahuzac. Il m’a semblé lire dans un précédent compte rendu que vous aviez la certitude que je m’étais déplacé en février 2010 ; s’agirait-il, maintenant, d’octobre 2009 ?

M. le président Charles de Courson. Nous savons – vous l’avez reconnu publiquement – que vous avez fait au moins un déplacement en Suisse, mais nous ignorons quand. De manière à éclairer la commission, pouvez-vous, monsieur Cahuzac, nous préciser la date du ou des voyages que vous avez effectués en Suisse à la fin 2009 ou au début 2010 ?

M. Jérôme Cahuzac. Je vais tenter de vous répondre en veillant à ne pas empiéter sur l’information judiciaire en cours. Je comprends que vous ayez moins le souci que moi du respect de cette information judiciaire, mais j’espère que, réciproquement, vous comprendrez que j’y sois particulièrement attentif.

Il a été dit – j’ignore par qui – que des déplacements en Suisse avaient été organisés afin de ne pas compromettre mon éventuelle élection à la présidence de la Commission des finances. Or, à la date que vous indiquez, Philippe Seguin n’était pas décédé et Didier Migaud n’avait pas encore été nommé à la Cour des comptes ; si cette date était la bonne, j’aurais disposé d’une capacité d’anticipation surprenante !

M. le président Charles de Courson. Vous n’êtes donc pas allé en Suisse ?

M. Jérôme Cahuzac. C’est tout ce que je peux répondre, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Vous avez publiquement reconnu début avril que vous aviez un compte à l’UBS. Pourriez-vous nous indiquer si vous aviez d’autres comptes, soit comme titulaire, soit comme mandataire ?

M. Jérôme Cahuzac. Il ne me semble pas avoir jamais dit ou écrit que j’avais un compte à l’UBS.

M. le président Charles de Courson. Vous n’aviez donc pas de compte en Suisse ?

M. Jérôme Cahuzac. Ce n’est pas ce que je viens de dire. Vous me demandez de confirmer que j’ai dit ou écrit le 2 avril que j’avais un compte à l’UBS. Or, je n’ai rien dit ou écrit de tel.

M. le président Charles de Courson. Vous avez dit « à l’étranger ».

M. Jérôme Cahuzac. Ce n’est pas la même chose, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Si vous entendez par là que vous aviez un compte à Singapour, il faut le dire à la Commission, et préciser quand ce compte a été transféré de la Suisse vers Singapour, puisque cela conditionne une partie de nos conclusions concernant l’efficacité de la mise en œuvre de la convention fiscale franco-suisse !

M. Jérôme Cahuzac. Votre question, formulée sur un ton affirmatif, me prêtait des propos que je n’ai pas tenus ; maintenant, vous évoquez le nom, non plus d’une banque, mais d’un pays. Or, je n’en ai cité aucun le 2 avril. Et tout ce qui concerne la chronologie de cette affaire sera réservé aux juges d’instruction Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke.

M. le président Charles de Courson. Merci de cette non-réponse.

Quel rôle M. Stéphane Fouks a-t-il joué dans votre communication durant toute cette période ? L’aide qu’il vous a apportée était-elle gratuite ou rémunérée ? Dans ce dernier cas, s’inscrivait-elle dans le cadre du contrat signé par le ministère de l’économie et des finances et celui du budget avec l’agence Havas Worldwide ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le président, je vous informe que nous venons de recevoir du ministre de l’économie et des finances le texte des conventions qui liaient cette agence de communication au ministère, ainsi que les factures qui lui ont été payées.

M. le président Charles de Courson. Avez-vous eu le temps d’examiner ces documents ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Rapidement – mais nous en reparlerons ultérieurement.

M. Jérôme Cahuzac. M. Stéphane Fouks n’a joué aucun rôle dans ma communication. D’abord, aux termes du contrat signé entre le ministère et l’agence, ce n’était pas lui qui était chargé de cette mission. Ensuite, il était un ami très proche ; ne lui ayant pas dit la vérité, je vois mal comment il aurait pu m’aider dans ma communication ! M. Fouks n’a joué aucun rôle institutionnel dans cette affaire.

M. le président Charles de Courson. Ni lui, ni aucun autre membre de l’agence ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’en ai rencontré aucun à cette occasion.

M. le président Charles de Courson. La parole est à M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur Cahuzac, je vous ai interrogé le 5 décembre dans l’hémicycle. Vous m’avez alors répondu que vous n’aviez pas de compte en Suisse. Ce mensonge a eu des conséquences considérables, tant dans l’opinion publique que sur le fonctionnement de nos institutions. Aujourd’hui, le regrettez-vous ?

Vous auriez dit également, en visant François Hollande : « C’est moins grave de mentir pendant quinze secondes devant 577 députés que depuis un an sur l’état de la France ». Confirmez-vous avoir tenu ces propos ?

Comment expliquez-vous que l’Élysée, informé le 15 décembre par Michel Gonelle, qui vient confirmer les révélations de Mediapart, n’ait pas réagi autrement que par un coup de fil de M. Zabulon renvoyant M. Gonelle à l’institution judiciaire ?

Comment expliquez-vous qu’après les révélations de la fin janvier, quand on annonce à la suite d’une enquête en Suisse que vous n’avez pas de compte, l’Élysée ne réagisse pas ? Pensez-vous que la question posée à la Suisse avait été orientée dans le but de vous blanchir ?

Les dysfonctionnements sont aujourd’hui avérés. Le problème est de savoir pourquoi ils ont eu lieu : s’agit-il d’une simple négligence, d’une forme d’inconscience, ou a-t-on voulu délibérément « sauver le soldat Cahuzac », et avec lui le général Hollande ? Il existe des rumeurs faisant état d’autres comptes et de liens avec le financement de partis politiques. Sont-elles exactes ? Cela pourrait expliquer l’attitude du général Hollande depuis le 15 décembre… (Exclamations sur les bancs de gauche.)

M. Alain Claeys, rapporteur. Monsieur Fasquelle, jusqu’à présent, les réunions de notre commission se sont toujours déroulées dans de bonnes conditions, et chacun a pu s’exprimer à sa guise. Mais si vous souhaitez parler du Président de la République, nommez-le par sa fonction !

M. Daniel Fasquelle. Laissez-moi finir !

M. le président Charles de Courson. Monsieur Fasquelle, je vous demande d’être concis et de respecter les institutions de notre République.

M. Daniel Fasquelle. Mais je les respecte, monsieur le président ! Il s’agissait d’une simple formule ; je parlais, bien entendu, du Président de la République : nul besoin de se crisper sur ce point…

Monsieur Cahuzac, on peut lire cette semaine dans la presse que le compte était alimenté par des chèques et qu’il y a eu des retraits – alors que vous aviez dit qu’il était dormant. Qu’en est-il exactement ?

M. le rapporteur. Pour être le plus scrupuleux possible, je précise que lorsque nous l’avons auditionné, M. Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République, nous a déclaré qu’à la suite de l’appel téléphonique de M. Gonelle, il avait informé le secrétaire général de l’Élysée et le Président de la République. La réponse de ce dernier, telle que M. Zabulon nous l’a transmise, aurait été : « Si M. Gonelle a des documents, qu’il les transmette à la justice ». Pour votre information, ni la Présidence de la République ni notre commission ne disposent des documents que M. Gonelle devait transmettre.

M. Jérôme Cahuzac. Monsieur le député, ayant déjà exprimé par écrit le 2 avril le sentiment que j’éprouvais, il ne me semble pas indispensable de me répéter – ce qui n’enlève rien à la sincérité de ce sentiment.

Quant aux raisons pour lesquelles je vous ai menti, eh bien c’est tout simplement parce que dans les heures précédentes, j’avais déjà menti au Premier ministre et au Président de la République !

S’agissant des faits qui concernent l’Élysée, je ne crois pas avoir qualité pour les interpréter, et encore moins pour les juger ou les expliquer.

Quant à vos autres questions, soit elles relèvent clairement de la procédure judiciaire et je ne peux vous répondre, soit elles comportent des critiques à l’encontre de l’administration fiscale et je les crois injustes : l’administration fiscale a fait tout ce qu’elle pouvait, sans jamais m’en informer, et en conscience ; il me semble que les propos que M. Bézard et ses collaborateurs ont tenus devant vous étaient convaincants. Je pense qu’ils ont bien agi et qu’il leur était difficile, sinon impossible, de faire davantage – non pas que des instructions leur auraient été données en ce sens – mais eu égard aux textes en vigueur, notamment ceux qui régissent les relations entre la France et la Confédération helvétique.

Quant aux faits entrant dans le périmètre de la procédure judiciaire en cours, comme votre rapporteur l’a rappelé dans son propos liminaire, je ne peux pas les aborder devant vous. Je comprends votre déception, peut-être votre frustration ou votre agacement, mais je ne peux pas le faire.

De même, je ne peux pas élever de protestations concernant les présupposés factuels inclus dans certaines de vos questions. Je voudrais donc qu’on n’applique pas pour autant l’adage « Qui ne dit mot consent ». Vous voudrez bien considérer, mesdames et messieurs les députés, que mon abstention ne vaut pas approbation du libellé des questions. Le silence m’est imposé par ma situation judiciaire.

Mme Cécile Untermaier. Après l’annonce le 5 décembre par Mediapart de l’existence d’un enregistrement, vous avez porté plainte en diffamation contre le site d’information, mais en n’utilisant pas la bonne procédure, ce qui a nécessité une requalification. Avez-vous été conseillé en la matière ? Avez-vous eu un contact à ce sujet avec la garde des Sceaux ou ses services ?

Vous avez évoqué un entretien avec le Président de la République et le Premier ministre. Pensez-vous que vos dénégations concernant l’existence du compte ont convaincu les intéressés ?

M. Jérôme Cahuzac. S’agissant de la procédure en diffamation, je n’ai eu personnellement aucun contact ni avec la garde des Sceaux, ni avec ses collaborateurs. Deux procédures ont successivement été engagées, la première n’ayant pas été considérée comme valable. Je crois que mes avocats avaient pris contact avec les services du procureur et que la première procédure avait été engagée sans qu’on leur signale qu’elle était erronée. Il s’agit d’un travail assez classique entre les avocats et les services du procureur – mais je ne peux vous en dire davantage car je ne me suis guère occupé de la question.

Quant à ce que vous qualifiez d’« entretien », je me suis contenté de répondre à M. Daniel Fasquelle que j’avais menti à l’Assemblée nationale quelques heures après avoir menti au Président de la République et au Premier ministre.

Mme Cécile Untermaier. Et les avez-vous sentis convaincus par vos propos ?

M. Jérôme Cahuzac. Madame la députée, il est compliqué de faire référence à un sentiment à tant de semaines de distance. Il semble – je ne m’en félicite pas, au contraire, j’ai plutôt tendance à le regretter amèrement – que j’aie pu mettre dans mes dénégations une force de conviction qui en a convaincu plus d’un.

M. le président Charles de Courson. Quand ce contact a-t-il eu lieu ?

M. Jérôme Cahuzac. Quelques heures avant les questions au Gouvernement, donc le mercredi 5 décembre.

M. Georges Fenech. Vous aviez un mois pour répondre au formulaire 754, et vous ne l’avez pas fait, pour la raison que vous avez donnée. C’est à partir de là que votre ministre de tutelle, M. Pierre Moscovici, décide d’interroger la Suisse par le canal administratif. Il s’agit d’une démarche étonnante, et sans précédent, comme nous l’a confirmé le procureur de Paris, M. François Molins, lors de son audition ; en effet, en application du principe de la séparation des pouvoirs, lorsque la justice enquête, l’administration ne peut faire de même de son côté.

M. le président Charles de Courson. Cher collègue, nous avons examiné ce point : en droit, c’est possible ; le procureur nous a simplement dit qu’il n’existait aucun précédent, et qu’il n’y avait eu aucune concertation entre la DGFIP et lui-même sur cette affaire.

M. le rapporteur. J’ajoute qu’à la suite de l’audition du procureur, M. Bruno Bézard a écrit à la Commission. Nous vous donnerons ultérieurement connaissance du contenu de cette lettre.

M. Georges Fenech. Même s’il n’y a pas d’impossibilité légale, il y a quand même des principes – et la séparation des pouvoirs en est un. D’ailleurs, souvenez-vous de ce qu’Edwy Plenel avait déclaré ici même : le tort de Bercy est d’avoir diligenté une enquête administrative en parallèle d’une action judiciaire.

Chacun sait que la question posée, sous l’autorité de Pierre Moscovici, par l’administration française aux autorités suisses était mal formulée ; la preuve en est que la justice obtiendra, elle, une réponse positive, alors que l’administration était en train de blanchir M. Cahuzac – à tel point que le procureur de Paris nous a confié qu’à la lecture de l’article du Journal du Dimanche, il a eu des doutes sur la réalité de ce compte en Suisse.

Monsieur Cahuzac, après le 14 janvier, date d’expiration du délai de renvoi du formulaire 754, le ministre de l’économie et des finances vous a-t-il informé qu’il allait directement interroger la Suisse malgré l’existence d’une enquête judiciaire en cours ? Dans cette hypothèse, vous a-t-il soumis le contenu et le libellé de cette question ? Votre réponse est importante, car elle nous permettra de déterminer si le ministre de l’économie et des finances a cherché délibérément à vous blanchir ou commis une imprudence.

M. Jérôme Cahuzac. M. Pierre Moscovici ne m’a jamais informé de cette procédure. A fortiori, il ne m’a pas communiqué les termes de la demande formulée par l’administration française à son homologue helvétique.

M. Sergio Coronado. Je vais essayer de poser une question à laquelle M.Cahuzac pourra répondre ! Après la publication de l’article de Mediapart qui révélait que vous déteniez depuis de longues années un compte à l’étranger, pourquoi ne pas avoir démissionné pour mieux assurer votre défense ? Auriez-vous jugé que la fonction que vous occupiez vous permettait de vous protéger et d’avoir un œil sur les enquêtes en cours et les investigations de l’administration puisque vous saviez que les allégations de Mediapart étaient vraies ?

M. Jérôme Cahuzac. Comme je l’ai indiqué, à la suite de cet article princeps, une décision est prise qui me déporte systématiquement de toutes les questions relatives à l’affaire. Elle m’est presque immédiatement suggérée par l’administration, via ma directrice de cabinet, et j’y donne mon accord sans délai. Je ne crois donc pas que vos suppositions soient fondées.

Quant à mes sentiments sur les décisions que j’ai pu prendre, peut-être accepterez-vous que je les garde pour moi.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur Cahuzac, vous avez récemment déclaré : « Je suis le bouc émissaire idéal de toutes les turpitudes politiques ». Que voulez-vous dire par là ? Faut-il sous-entendre qu’il existerait des ramifications de nature politique à votre affaire, qui pourraient conduire la Commission d’enquête à élargir ses investigations ?

Mediapart a publié un certain nombre d’informations le 4 décembre et M. Zabulon a indiqué que l’Élysée était au courant dès le 15 décembre. Pourquoi être resté au Gouvernement jusqu’au 19 mars 2013 ? Cela pouvait-il servir vos intérêts personnels ou ceux de votre famille politique ?

La Commission pour la transparence financière de la vie politique vous a-t-elle interrogé sur votre situation fiscale ou patrimoniale ?

M. Jérôme Cahuzac. Vous faites référence à ce qui est présenté comme une interview, mais je n’ai pas le souvenir d’en avoir donné une ces derniers jours. Quant à l’expression « bouc émissaire », peut-être a-t-elle été utilisée, non pas de façon générale ou à propos de cette affaire, mais à l’occasion de l’élection législative partielle dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Il peut sembler excessif de faire porter la responsabilité des résultats de cette élection à une seule personne.

Je répète que si je suis resté au Gouvernement, ce n’est évidemment pas pour me protéger, puisque, m’étant déporté quasi immédiatement de cette affaire, je n’ai plus eu autorité sur l’administration dès lors que celle-ci s’intéressait à moi.

M. le président Charles de Courson. Vous avez pourtant déclaré sur Le Monde.fr : « Je suis le bouc émissaire de toutes les turpitudes politiques » !

M. Jérôme Cahuzac. C’était à l’occasion de l’élection législative partielle – qui ne me semble pas être le sujet de votre commission d’enquête.

M. le président Charles de Courson. Mais qu’entendez-vous par « turpitudes » ? Voilà ce que souhaiterait savoir notre collègue – comme beaucoup d’autres qui ont découvert avec étonnement ces propos dans la presse.

M. Jérôme Cahuzac. Pas davantage que d’avoir accordé une interview à Europe 1, je n’ai eu conscience de donner une interview au Monde.fr, monsieur le président.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Quid de la Commission pour la transparence financière de la vie politique ?

M. Jérôme Cahuzac. Comme tout élu, j’ai eu à transmettre un document à cette commission. Dès lors que ce document était « incomplet » – si vous me permettez cet euphémisme –, je me suis efforcé de le compléter.

M. le président Charles de Courson. Qu’est-ce à dire ? Que vous avez écrit une lettre pour dire : « J’ai oublié telle et telle chose » ?

M. Jérôme Cahuzac. Je ne crois pas avoir employé l’expression : « j’ai oublié ». J’ai tenté de faire état de la totalité de mon patrimoine auprès de cette commission.

M. le président Charles de Courson. Vous avez donc rédigé une lettre complémentaire ?

M. Jérôme Cahuzac. Dans la pratique, cela a pris cette forme, oui.

M. le président Charles de Courson. Quand était-ce ?

M. Jérôme Cahuzac. Après mes aveux.

M. le président Charles de Courson. Et pourquoi avoir fait cela ?

M. Jérôme Cahuzac. Je l’ai cru nécessaire.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Quel est votre sentiment aujourd’hui sur cette affaire ? Avez-vous le sentiment d’avoir été « lâché » ?

M. Jérôme Cahuzac. La situation est suffisamment difficile pour que je ne me livre pas à l’étalage de mes sentiments personnels. J’espère que vous le comprendrez.

M. Alain Claeys, rapporteur. En tant qu’ancien ministre du budget, quel regard portez-vous sur la convention fiscale entre la France et la Suisse ?

M. Jérôme Cahuzac. Les statistiques vous ont été données par le directeur général des finances publiques : le nombre de réponses positives obtenues dans le cadre de l’entraide administrative est extraordinairement faible.

M. le président Charles de Courson. Si j’ai bonne mémoire, il y a eu quatre réponses pour 450 saisines.

M. Jérôme Cahuzac. J’avais en tête une proportion de l’ordre de 6 %.

M. le président Charles de Courson. Il y a eu 6 % de réponses, mais qui n’ont permis de détecter que quatre affaires. Mais poursuivez.

M. Jérôme Cahuzac. J’ignore ce que vous attendez de moi ; je connais comme vous le pourcentage incontestablement très faible de succès dans ce type de démarche.

M. le président Charles de Courson. Pour être précis, M. Bruno Bézard a dit : « Au 15 avril 2013, les autorités françaises avaient formulé 426 demandes de renseignement au sujet des banques suisses. Nous n’avons reçu que 29 réponses, soit 6,5 % du total, les autres demandes étant jugées non pertinentes par nos collègues suisses. L’administration fiscale a jugé que six d’entre elles seulement étaient satisfaisantes. »

M. Jean-Marc Germain. Avez-vous reçu une lettre de relance de la part de l’administration fiscale lorsque celle-ci a constaté que vous n’aviez pas rempli le formulaire 754 dans le délai imparti ?

Avez-vous une explication sur la raison pour laquelle MM. Michel Gonelle et Jean-Louis Bruguière n’ont pas saisi la justice au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ? M. Bruguière n’a pas été très clair, mais il a évoqué une conception de la politique qui lui faisait interdiction de l’utiliser ; M. Gonelle a fait état de sentiments partagés, d’un mélange de crainte et de respect à votre endroit. Qu’en pensez-vous ?

L’existence d’un compte non déclaré à l’étranger et la crainte, depuis 2001, qu’elle puisse être révélée à l’opinion publique ont-elles eu une influence sur l’exercice de vos fonctions publiques, notamment en tant que président de la Commission des finances ou ministre du budget ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai reçu aucune lettre de relance.

M. le président Charles de Courson. Et le directeur général des finances publiques ne vous en a pas parlé ?

M. Jérôme Cahuzac. Je ne suis pas certain que lui-même ait su que ce formulaire m’avait été envoyé.

M. le président Charles de Courson. Sur ce point, il nous a répondu.

M. Jérôme Cahuzac. Quoi qu’il en soit, je n’ai reçu aucune lettre de relance et personne ne m’en a parlé.

Concernant la mise en œuvre de l’article 40, M. Jean-Louis Bruguière a fait état de sa considération pour le débat politique pour justifier le fait qu’il n’ait ni écouté, ni, a fortiori, donné cet enregistrement à la justice ; dont acte.

J’ai cru comprendre, en lisant le compte rendu de son audition, que M. Michel Gonelle avait avancé deux arguments pour justifier le fait qu’à aucun moment il n’ait jugé bon de saisir un procureur de cette situation : le premier, que vous avez repris, est qu’il craignait une réponse politique de ma part ; le second, qu’il souhaitait garder au débat politique une certaine dignité. Sachez que nous n’avons peut-être pas la même conception du débat politique. Et pour bien mesurer la valeur des propos que M. Gonelle a pu tenir devant votre commission, je voudrais rappeler quelques faits qui, s’ils sont ignorés à Paris, sont bien connus à Villeneuve-sur-Lot et dans le Lot-et-Garonne.

Tout d’abord, M. Michel Gonelle avait par le passé procédé à un enregistrement audio à l’insu de la personne qui s’exprimait ; il a ensuite fait écouter le document à un tiers, ce qui a provoqué dans les années 1980 une crise politique au sein de la municipalité de Villeneuve-sur-Lot et des élections anticipées. Cela procède-t-il d’une conception élevée du débat politique ?

Ensuite, je crois que c’est lui qui, en 2006, a saisi le procureur de Paris, après avoir reçu, m’a-t-il dit, une lettre anonyme m’accusant d’employer de façon non déclarée une salariée en situation irrégulière. Cela était exact : avec mon épouse, nous avions croisé une jeune femme dans une détresse rare et nous avions décidé de l’aider, d’abord en lui permettant de vivre, ensuite en acquittant pour elle des frais d’avocat afin de régulariser sa situation – ce qui fut fait, par suite de quoi un contrat à durée indéterminée a été signé. Cette démarche m’a valu à la fin 2007 une procédure devant le tribunal correctionnel de Paris, lequel m’a déclaré coupable tout en me dispensant de peine et d’inscription au casier judiciaire. Là encore, cela procède-t-il d’une conception élevée du débat politique ?

Quant à la transmission de l’enregistrement, il s’en est lui-même expliqué : il l’a fait passer à un ami qui l’a fait passer à un autre ami, à la suite de quoi une procédure compliquée a été conduite au sein de l’administration fiscale, mais n’a débouché sur rien. Depuis que j’ai appris ces faits – car je les ignorais –, il m’est arrivé de regretter qu’ils n’aient pas débouché à cette époque.

Quant à mon action comme président de la commission des finances, je l’ai conduite sous le contrôle de plusieurs parlementaires qui siègent désormais à vos côtés, monsieur le député. Je ne crois pas qu’ils aient jamais eu le sentiment que mes actes ou mes paroles soient restés, si peu que ce soit, en arrière de la main, bien au contraire. Les faits sont là.

Si vous faites référence à certaines accusations qui, à ma connaissance, ne sont pas susceptibles de donner lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire – la supposée protection dont aurait bénéficié mon frère lorsque j’étais président de la commission des finances –, je peux vous répondre très simplement : le scandale au sujet de la liste de HSBC Private Bank Suisse a éclaté à un moment où mon frère n’exerçait aucune responsabilité au sein de HSBC Private Bank France. Les services de Bercy s’étaient saisis de cette affaire et le procureur Éric de Montgolfier enquêtait sur elle depuis déjà bien longtemps avant qu’il arrive à HSBC. De plus, à ce jour, HSBC Private Bank France n’a nullement été incriminée. Je n’ai pas protégé mon frère : il n’y avait pas à le faire. On a tenté de le salir, c’est douloureux pour moi.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le 4 décembre 2012, Mediapart a fait les révélations que nous connaissons. La veille, en séance publique, nous avions examiné un projet de loi de finances en nouvelle lecture et nous avions bien senti qu’il y avait un problème. Du 3 décembre 2012 au 19 mars 2013, différentes procédures ont été engagées : les services fiscaux vous ont adressé le formulaire numéro 754 ; vous vous êtes déporté de tous les sujets ayant trait à cette affaire au moyen de la fameuse « muraille de Chine », sur laquelle il y aurait beaucoup à dire ; l’administration centrale a interrogé les autorités helvétiques. Comme beaucoup de Français, j’ai le sentiment d’un certain flottement dans le fonctionnement de l’État et de l’ensemble des ministères entre ces deux dates. Le 19 mars, avez-vous démissionné de votre propre initiative ou le Président de la République vous a-t-il demandé de le faire ?

M. Jérôme Cahuzac. Comme tous mes collègues, j’ai participé, le 19 mars, à la séance des questions au Gouvernement, au cours de laquelle je n’ai pas été interrogé. Lorsque je suis sorti de l’hémicycle à seize heures ou peu après, un de vos collègues m’a alors dit avoir été interrogé par des journalistes sur une nouvelle enquête que la justice aurait lancée contre moi et m’a demandé de quoi il retournait. Je n’ai pas compris ce dont il me parlait. En consultant ensuite mon téléphone portable, j’ai appris que le procureur de la République de Paris avait ouvert une information judiciaire contre moi. J’ai immédiatement compris que ma situation au sein du Gouvernement devenait intenable. J’ai cherché à joindre le Premier ministre, qui était en déplacement. Lorsque nous sommes parvenus à entrer en contact, je lui ai indiqué que j’allais remettre immédiatement ma démission du Gouvernement.

Il m’est arrivé de penser que les plus hautes autorités de l’État avaient peut-être été informées de la décision du procureur avant qu’il ne publie son communiqué et, donc, que je l’apprenne. Je suppose, dès lors, que le Président de la République et le Premier ministre étaient déjà arrivés à la même conclusion, évidente, que moi. Comme leur charge le leur impose, ils ont dû se demander très vite qui nommer pour me remplacer. Je vous fais part là non pas d’une information précise, mais d’une impression, que les faits postérieurs ont plutôt confirmée. J’ai essayé de faire en sorte que ma démission se déroule de la manière la plus correcte possible.

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous avez dit que le Président de la République et le Premier ministre vous avaient interrogé sur l’existence d’un compte et que vous aviez démenti de manière catégorique, avant de répondre à M. Fasquelle lors de la séance des questions au Gouvernement le 5 décembre. Votre ministre de tutelle, M. Moscovici, vous a-t-il posé la même question, ce jour-là ou un autre ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai pas employé le qualificatif « catégorique ». J’ai indiqué tout à l’heure à M. Fasquelle que j’avais menti à la représentation nationale quelques heures après avoir menti au Président de la République et au Premier ministre. Je n’ai plus en mémoire le moment précis où M. Moscovici et moi avons abordé cette affaire mais, je suis sûr que, pas plus qu’au Président de la République et au Premier ministre, je ne lui ai dit la vérité.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je reviens sur le terme « bouc émissaire » : signifie-t-il que vous vous sentez aujourd’hui une victime, compte tenu de l’évolution du dossier ?

M. Jérôme Cahuzac. Si je suis une victime, madame la députée, je le suis de moi-même, et de personne d’autre.

M. Jean-Pierre Gorges. Je vais essayer – ce n’est pas facile – de poser des questions qui n’empiètent pas sur l’enquête judiciaire.

En 2010, une primaire est organisée au sein du parti socialiste pour désigner le successeur de M. Migaud à la présidence de la commission des finances. Vous êtes, à ce moment-là, dans une dynamique politique intéressante, mais vous êtes conscient que votre situation peut nuire à votre carrière, en particulier si vous obtenez ce poste. Avez-vous envisagé alors de retrouver une virginité fiscale ? Avez-vous essayé de le faire ? En effet, si l’affaire Cahuzac se résume à un compte en Suisse avec 600 000 euros non déclarés, vous l’avez payé bien cher et la France aussi ! Dans ce cas, il conviendrait d’ailleurs de tourner la page rapidement. Ou bien, comme certains le prétendent, la situation était-elle à ce point complexe que vous n’aviez plus de porte de sortie ?

Le site Mediapart – dont on se demande comment il a pu obtenir l’enregistrement, M. Gonelle déclarant ne pas le lui avoir remis et M. Bruguière disant l’avoir détruit – évoque un scénario selon lequel vous vous apprêtiez, dans une période budgétaire difficile, à tailler dans le vif, notamment dans le budget de la défense, qui serait passé, selon l’une des hypothèses, de 1,5 à 1 % du PIB. Cela aurait déplu à une certaine catégorie de personnes, qui seraient intervenues. Or, aujourd’hui, de manière assez étonnante, le budget de la défense dérape. D’autre part, M. Bruguière nous a indiqué que son directeur de campagne lors de l’élection qui vous a opposés tous les deux en 2007 était un général en retraite – nous avons d’ailleurs prévu de l’auditionner. Avez-vous eu des contacts avec lui ? A-t-il pu être informé de votre situation à ce moment-là ou ultérieurement ?

À ce stade de l’enquête, seules vos déclarations constituent une preuve que vous avez détenu un compte à l’étranger. Vous avez souhaité participer à la rédaction de la question adressée aux autorités suisses afin d’obtenir une réponse convenable. Si vous aviez effectivement été chargé de ce dossier, quelle question leur auriez-vous posée afin que la situation de M. Cahuzac soit connue ?

M. Jérôme Cahuzac. La désignation du candidat socialiste à la présidence de la commission des finances a fait l’objet non pas d’une primaire au sein du parti, mais d’un vote au sein du groupe parlementaire.

Pour le reste, vous me demandez de vous livrer et, à travers vous, à la France entière, des sentiments – souvent de honte –, des craintes, des peurs qui ont pu m’agiter. Permettez-moi, monsieur le député, de les garder pour moi. En faire état ne vous satisferait en rien, ni ne faciliterait le travail du rapporteur.

M. Jean-Pierre Gorges. Avez-vous eu des relations avec le directeur de campagne de M. Bruguière ? Il a également pu être informé de votre situation par M. Bruguière lui-même.

M. Jérôme Cahuzac. Aucun élément ne me permet de penser, premièrement, que M. Bruguière ait écouté l’enregistrement ; deuxièmement, qu’il en ait parlé à d’autres personnes ; troisièmement, qu’il l’ait évoqué en particulier avec son directeur de campagne, général de réserve ; quatrièmement, que celui-ci aurait pu m’en parler.

M. le président Charles de Courson. Vous n’avez donc pas eu de contacts avec le directeur de campagne de M. Bruguière ?

M. Jérôme Cahuzac. J’ai naturellement eu des contacts avec lui lorsque M. Bruguière et moi nous sommes opposés lors des élections législatives de 2007, notamment à l’occasion d’un débat entre les deux tours, mais ils ont été très brefs et superficiels. J’ai débattu avec M. Bruguière, non avec son directeur de campagne.

M. Jean-Pierre Gorges. Quelle question auriez-vous posée aux autorités suisses afin de clore, enfin, l’affaire Cahuzac ?

M. Jérôme Cahuzac. Je vous réponds moins dans mon intérêt propre que dans celui de l’administration fiscale, à laquelle on fait, je le répète, un procès très injuste : au regard des informations dont elle disposait objectivement, elle ne pouvait pas mieux poser la question que la façon dont elle l’a effectivement fait. Les accusations portées contre elle, notamment par M. Plenel, sont excessives et injustes.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Je reviens, monsieur Cahuzac, sur votre réaction le 4 décembre 2012 et les propos que vous avez tenus au Président de la République et au Premier ministre. Que leur avez-vous dit « les yeux dans les yeux » ce jour-là ? Que vous ont-ils répondu précisément ?

M. Jérôme Cahuzac. De mémoire, j’ai employé l’expression « les yeux dans les yeux » non pas avec le Président de la République et le Premier ministre, mais avec un journaliste célèbre – j’espère qu’il me le pardonnera un jour. Je leur ai menti à tous les deux. J’ai eu le sentiment qu’ils prenaient acte de mes propos.

M. le président Charles de Courson. Vous avez eu le sentiment qu’ils vous croyaient ?

M. Jérôme Cahuzac. Ils ont pris acte de mes propos.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. En avez-vous parlé à nouveau avec eux avant le 19 mars ?

M. Jérôme Cahuzac. Avec le Président de la République, nous nous sommes vus souvent lors de réunions ou de séminaires de travail. Le sujet a-t-il été abordé au cours d’une conversation personnelle à l’une de ces occasions ? Je ne le crois pas ; en tout cas, je n’en ai pas le souvenir.

Avec le Premier ministre, nous n’avons jamais abordé le fond de l’affaire. Dans la mesure où une question avait été posée et qu’une réponse y avait été donnée, j’imagine qu’il estimait, comme le Président de la République, que l’affaire était réglée entre nous. En revanche, constatant, comme beaucoup d’ailleurs, que l’affaire m’affectait – c’est le moins qu’on puisse dire –, il me demandait régulièrement, de manière compréhensible d’un point de vue humain, si cela allait. Je lui répondais que, bien sûr, cela allait.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Qu’avez-vous dit exactement au Président de la République et au Premier ministre le 19 mars ? Que vous ont-ils répondu ? Quelle conclusion en avez-vous tirée ?

M. Jérôme Cahuzac. Comme je l’ai indiqué, l’information judiciaire étant lancée, nous avons jugé, d’un commun accord ou en tout cas par un raisonnement simultané, que mon appartenance au Gouvernement n’était plus possible. J’ai dit au Premier ministre que je devais démissionner. Il m’a dit que c’était effectivement le cas. Nous n’avons pas de désaccord. Les seuls points que nous avons abordés, dans ces circonstances évidemment peu plaisantes, ont été des détails pratiques : l’heure à laquelle la lettre de démission devait parvenir ; le moment où le communiqué devait être publié. Ce sont là des questions classiques lorsqu’un membre du Gouvernement doit, pour une raison ou une autre, présenter sa démission au Président de la République, sous couvert du Premier ministre.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Avez-vous éprouvé, pendant tout ou partie de la période sur laquelle porte la commission d’enquête – c’est-à-dire à partir du 5 décembre 2012 –, un sentiment relatif ou absolu d’immunité, tenant au fait que vous déteniez des informations sur la situation fiscale de personnalités de l’opposition ? Avez-vous pensé que vous étiez protégé par la possession de telles informations ? Dans l’affirmative, quand avez-vous cessé de le penser ?

M. Jérôme Cahuzac. Les informations fiscales dont je disposais ne concernaient qu’un nombre très limité de cas les mêmes que ceux auxquels j’avais été amené à m’intéresser lorsque j’étais président de la commission des finances.

Je tiens d’ailleurs à apporter quelques précisions à cet égard. Se saisir spontanément d’un dossier fiscal et se plonger dans son étude seul – le secret fiscal ne pouvant, selon moi, être partagé – n’est pas la chose la plus intéressante, ni la plus excitante que j’ai faite en qualité de président de la commission des finances ou de ministre délégué chargé du budget : je n’ai jamais eu le goût d’entrer dans la vie privée des gens.

J’ai cependant eu à le faire, pour une raison simple : lorsque le ministre de l’économie et des finances ou le ministre du budget du gouvernement Fillon étaient interrogés par des parlementaires de l’opposition sur tel ou tel cas et qu’ils répondaient qu’ils ne comprenaient pas leur suspicion, qu’ils agissaient sous le contrôle du président de la commission des finances, élu de l’opposition, lequel avait tout loisir de vérifier la véracité de leurs propos, j’étais évidemment obligé de le faire. J’entendais d’ailleurs toujours cette réponse-là avec un grand déplaisir : cela signifiait que j’allais à nouveau devoir examiner un dossier. Fort heureusement, les cas n’ont pas été si nombreux.

Lorsque j’ai été nommé ministre délégué chargé du budget, j’ai emporté avec moi les dossiers que j’avais eu à connaître en tant que président de la commission des finances et les ai déposés dans un coffre. Lors de la passation de pouvoirs avec Bernard Cazeneuve, j’ai ouvert le coffre, lui en ai donné la combinaison et lui ai indiqué que ces dossiers étaient désormais à sa disposition.

J’entre dans ces détails pour bien préciser les choses : à aucun moment je n’ai pensé que la connaissance de la situation fiscale de tel ou tel pouvait constituer un levier pour je ne sais quelle fin ou quel but.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous avez confié à M. Terneyre, professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, une mission d’évaluation de la vente de l’hippodrome de Compiègne, dans laquelle M. Woerth est mis en cause. Vous lui aviez d’ailleurs déjà demandé d’autres travaux. Il a conclu dans son rapport à la légalité de la cession, alors que plusieurs autres experts parvenaient à des conclusions inverses. Pourquoi avez-vous demandé ce rapport, alors même que la Cour de justice de la République était saisie de l’affaire ?

M. Jérôme Cahuzac. Certains ont considéré cette demande de rapport comme la preuve d’une collusion entre un ancien ministre du budget, M. Woerth, et moi-même. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, M. Woerth n’a été destinataire d’aucun courrier de dénonciation me concernant. D’autre part, lorsque j’ai estimé, en ma qualité de président de la commission des finances, que le comportement de M. Woerth ne me paraissait en rien répréhensible dans l’affaire Bettencourt, je l’ai dit non pas parce que j’aurais eu à lui adresser un quelconque remerciement pour je ne sais quelle complaisance à mon égard, mais parce que je le pensais. Bien que je lise peu ou pas la presse ces dernières semaines, j’ai d’ailleurs cru comprendre que le parquet était sur le point de renoncer à toute incrimination à l’encontre de M. Woerth dans l’affaire Bettencourt.

Lorsque j’étais ministre délégué chargé du budget, un syndicat de l’Office national des forêts (ONF) m’a adressé un recours hiérarchique, me demandant de prononcer l’illégalité de la vente. Je connaissais un peu ce dossier, et beaucoup estimaient que la vente était probablement litigieuse. La Cour de justice avait effectivement été saisie. Une autre procédure avait été engagée à l’encontre d’agents de l’administration.

Trois solutions s’offraient à moi : ne pas répondre, mon silence valant décision ; donner une suite favorable à ce recours ; y donner une suite défavorable. Il ne m’a pas paru correct de ne pas répondre et de laisser les choses se décider dans le silence. J’ai donc indiqué à mes collaborateurs que je souhaitais répondre et leur ai demandé des éléments à cette fin. L’analyse de la direction des affaires juridiques a conclu que je devais plutôt donner une suite favorable à ce recours hiérarchique, mais que les conséquences de cette décision seraient d’une redoutable complexité sur le plan administratif : pour litigieuse qu’elle fût, la cession avait créé des droits. Je pouvais dès lors donner une réponse défavorable, mais telle n’était pas la solution que je privilégiais : il m’avait semblé, comme parlementaire, que cette vente était effectivement litigieuse, et je n’avais guère changé d’avis comme ministre.

À ce point de mon raisonnement, il m’a été suggéré de demander une étude juridique au professeur Terneyre. Contrairement à ce que certains journalistes ont pu dire, celui-ci était non pas un professeur anonyme d’une obscure faculté, mais un expert faisant autorité en droit administratif, consulté par de nombreuses collectivités territoriales sur des problèmes administratifs compliqués et connu pour les solutions satisfaisantes qu’il y avait apportées. En outre, il m’avait été présenté par un ami alors très proche, dans lequel j’avais toute confiance. Je n’avais donc aucune raison de rejeter la proposition qui m’était faite, bien au contraire. Lorsque j’ai demandé cette étude au professeur Terneyre, j’étais convaincu qu’elle conclurait que je devrais donner une suite favorable au recours hiérarchique. Il se trouve qu’elle a conclu que je devais le rejeter. Or, il eût été absurde de demander un rapport et de ne pas suivre sa conclusion. J’ai donc rejeté le recours.

Le syndicat de l’ONF a contesté ma décision devant la juridiction administrative. Mais il a été considéré comme dépourvu d’intérêt à agir, et sa requête a été rejetée pour une raison de forme.

M. Christian Eckert. Avez-vous conclu, à un quelconque moment, un accord avec vos prédécesseurs au poste de ministre du budget, en particulier avec M. Woerth, afin de vous protéger ou de cacher des informations contenues dans tels ou tels dossiers fiscaux, ou sur certaine liste ? La presse évoque souvent la possibilité d’une telle collusion. Mme Bechtel vient d’ailleurs d’évoquer le rapport sur la vente de l’hippodrome de Compiègne.

Sur le dossier HSBC, j’ai moi-même usé, en tant que rapporteur général, des prérogatives dont vous disposiez en qualité de président de la commission des finances. Je présenterai prochainement un rapport sur le sujet devant ladite commission.

M. le président Charles de Courson. C’est en effet là une question grave.

M. Jérôme Cahuzac. Ces rumeurs sont sans fondement. Vous pouvez, tout comme le président Gilles Carrez, avoir accès à ce qu’on appelle la « liste HSBC ». Il vous est donc assez simple de vérifier ce qu’il en est.

M. Gérald Darmanin. À entendre les différentes personnes auditionnées par cette commission d’enquête, y compris vous, nous avons l’impression que cette affaire a été très peu évoquée au sein du Gouvernement et des services de l’État depuis le 4 décembre, alors que toute la France ne parlait que de cela. Votre directrice de cabinet nous a déclaré qu’elle vous avait interrogé une fois et que l’affaire n’avait jamais été abordée en réunion de cabinet. Elle ne l’a pas davantage été au sein du cabinet de M. Moscovici, ni au cours des réunions de directeurs de cabinet à Matignon.

Vous avez dit que le Président de le République et le Premier ministre vous avaient posé une question de confiance le 5 décembre – détenez-vous ou non un compte ? – et que vous aviez menti en leur répondant par la négative. M. Le Borgn’ vous a demandé s’ils vous avaient posé à nouveau la question, mais vous n’avez pas été très précis dans votre réponse : ils vous auraient juste demandé si cela allait. Au fur et à mesure du feuilleton qu’ont constitué les révélations et les publications de documents ou de témoignages par Mediapart, le Président de la République, le Premier ministre ou votre ministre de tutelle vous ont-ils à nouveau clairement interrogé sur l’existence de ce compte ?

M. Jérôme Cahuzac. Je suis évidemment un peu « juge et partie », s’agissant du travail des journalistes de Mediapart, que vous semblez apprécier. Pour ma part, je suis convaincu que la vérité a éclaté moins grâce à leur action qu’à celle des services du procureur. Si vous vous donnez la peine de relire les articles, vous constaterez que les journalistes n’ont fait que répéter pendant des semaines ce qu’ils avaient dit d’emblée. Mediapart estimait disposer d’un faisceau de trois éléments de preuve, dont je ne peux malheureusement pas parler. Le procès montrera ce qu’ils valaient en réalité.

Dans la mesure où l’enquête a été menée par les services du procureur – qui ont, je le dis objectivement et sans aucune amertume, très bien travaillé –, je ne juge pas choquant qu’aucun membre du Gouvernement n’ait évoqué l’affaire avec moi : le procureur et ses services n’avaient pas à en parler à d’autres. Quoi qu’il en soit, ni la garde des Sceaux ni le ministre de l’intérieur ne m’ont jamais rien dit. Je ne peux naturellement pas savoir ce qu’ils auraient éventuellement pu dire à d’autres.

M. Charles de Courson. Je rappelle que c’est M. Plenel qui a saisi la justice.

M. Thomas Thévenoud. Mme Dalloz a fait allusion à des « flottements », nous nous interrogeons pour notre part sur des « dysfonctionnements ». Or, il aura suffi de 117 jours – entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 – pour que la vérité éclate dans cette affaire. On voudrait qu’il en fût ainsi d’autres affaires politico-judiciaires.

Vous nous avez fait part d’un élément nouveau, monsieur Cahuzac : votre rencontre avec M. Woerth. Vous avez déclaré avoir parlé directement avec lui du rapport de M. Garnier. Pouvez-vous préciser la date et le contenu de cet entretien ? A-t-il eu lieu avant l’ouverture de l’enquête préliminaire le 4 janvier ? M. Woerth vous a-t-il répondu immédiatement ou ultérieurement ? A-t-il dû faire appel à ses souvenirs ?

M. Jérôme Cahuzac. Même si je cherchais à voir M. Woerth, je l’ai rencontré de manière fortuite, après une séance de questions au Gouvernement. Je l’ai interrogé non pas sur le rapport de M. Garnier, mais sur un courrier que celui-ci lui aurait adressé pour me dénoncer comme titulaire d’un compte non déclaré à l’étranger. Ce sont les journalistes de Mediapart qui m’avaient parlé d’un tel courrier ; nous savons désormais que leur affirmation était, à tout le moins, très imprécise. M. Woerth m’a répondu dans l’instant et très clairement qu’il n’avait jamais reçu de courrier de cette nature et que, si tel avait été le cas, il aurait immédiatement lancé une enquête me concernant. Notre conversation a dû avoir lieu au tout début du mois de décembre.

M. Thomas Thévenoud. Après le 4 décembre ?

M. Jérôme Cahuzac. Après ma rencontre avec les journalistes de Mediapart, qui m’ont affirmé que M. Woerth avait reçu un courrier de M. Garnier.

M. le président Charles de Courson. Était-ce avant ou après le 4 décembre ?

M. Jérôme Cahuzac. J’ai rencontré les journalistes de Mediapart le matin du mardi 4 décembre. C’était donc l’après-midi soit du 4, soit du 5 décembre, après la séance des questions au Gouvernement.

M. le président Charles de Courson. C’est donc le jour même ou le lendemain de la publication des révélations par Mediapart.

M. Thomas Thévenoud. Je propose, monsieur le président, que la commission d’enquête auditionne M. Woerth afin de vérifier ces informations auprès de lui.

Pour prolonger la question de M. Le Borgn’, avez-vous eu des contacts directs sur cette affaire avec le Président de la République, le Premier ministre ou un autre membre du Gouvernement entre le 19 mars et le 2 avril ?

M. Jérôme Cahuzac. Depuis ma démission du Gouvernement, je n’ai eu aucun contact avec le Président de la République.

S’agissant du Premier ministre, j’ai reçu un jour un coup de téléphone de Matignon sur mon portable. Je ne sais plus si c’était entre le 19 mars et le 2 avril ou après cette date – cette période est un peu troublée pour moi. On m’a indiqué que le Premier ministre souhaitait me parler. J’étais, naturellement, à sa disposition. Je l’ai alors entendu me dire : « Allô, Bernard ? » Je lui ai répondu que j’étais non pas le nouveau ministre délégué chargé du budget, mais l’ancien. Il s’est alors excusé de sa méprise. C’est, je crois, le seul contact que j’ai eu avec lui après le 19 mars.

M. Hervé Morin. Je suis étonné moi aussi par la passivité des autorités de l’État : entre les mois de décembre et de mars, elles n’ont pas essayé d’en savoir plus. Le directeur de cabinet de M. Moscovici dit ne s’être jamais intéressé à l’affaire. Ni le Président de la République ni le Premier ministre ne vous en ont parlé. Le patron de la direction centrale du renseignement intérieur n’a mené aucune enquête. C’est en quelque sorte un hommage rendu à la force de votre parole, monsieur Cahuzac !

Selon M. Gonelle, l’industrie pharmaceutique a financé beaucoup d’associations ou de manifestations culturelles et sportives dans votre ville ou votre circonscription. À quelle date vos relations, notamment de conseil, avec l’industrie pharmaceutique s’arrêtent-elles ?

M. Jérôme Cahuzac. L’accusation – ou plutôt l’affirmation, dans la mesure où cela n’a rien d’illégal – selon laquelle l’industrie pharmaceutique aurait financé « beaucoup d’associations ou de manifestations culturelles et sportives » est imprécise au point d’être erronée. Deux laboratoires pharmaceutiques ont financé de manière tout à fait transparente, l’un un club de rugby à quinze, l’autre un club de rugby à treize. J’ai bien eu conscience, à l’époque, que cela pouvait agacer certains de mes opposants. Après ma défaite aux élections législatives en 2002, ces sponsorings ont d’ailleurs été arrêtés. Considérez-vous que l’aide apportée sous forme de subventions par deux laboratoires pharmaceutiques à des clubs de ma circonscription constitue « des relations avec l’industrie pharmaceutique » ? Si tel est le cas, ces relations ont cessé en 2002.

M. Charles de Courson. De quels laboratoires s’agissait-il ?

M. Jérôme Cahuzac. Le laboratoire Pierre Fabre pour le club de rugby à quinze, le laboratoire UPSA, installé à Agen, pour le club de rugby à treize. Ces financements revêtaient un caractère on ne peut plus officiel et public. Ils étaient assez appréciés des dirigeants des clubs.

M. Hervé Morin. À quelle date avez-vous mis fin à vos fonctions de conseil de l’industrie pharmaceutique ?

M. Jérôme Cahuzac. J’ai cessé de conclure des contrats avec l’industrie pharmaceutique à partir de mon élection comme député en 1997. De mémoire, les derniers contrats ont été purgés en 1998. Ma société de conseil est en sommeil depuis 2002.

M. le rapporteur. Notre commission se pose une question centrale : le travail de la justice a-t-il été entravé ? M. Morin dit qu’il ne s’est rien passé entre les mois de décembre et de mars. Or, je souhaite rappeler quatre dates : le 16 janvier 2012, M. Gonelle a remis l’enregistrement à la police ; le 24 janvier, le laboratoire a indiqué au procureur que l’enregistrement n’était pas trafiqué et pouvait permettre une comparaison de voix ; le 18 mars, les experts de la police technique et scientifique ont transmis leur rapport sur l’enregistrement à l’autorité judiciaire ; le lendemain, le parquet a ouvert une information judiciaire. J’en retire un enseignement : à partir du moment où la justice a été saisie de cette affaire, elle a fait son travail et n’a pas été, jusqu’à preuve du contraire, entravée.

M. Charles de Courson. La question de M. Morin ne concernait pas le fonctionnement de la justice.

M. le rapporteur. J’ai bien entendu. Je réagissais à la remarque selon laquelle rien ne s’était passé. Nous pourrions au moins nous mettre d’accord sur le fait que la justice a pu travailler correctement. Nous en débattrons ultérieurement.

M. Hervé Morin. Je ne conteste pas que la justice a fait son travail. Toutefois, je trouve assez curieux que personne ne se soit préoccupé davantage d’une affaire aussi lourde de conséquences pour le fonctionnement de l’État.

M. Jérôme Cahuzac. Je reviens sur ma réponse précédente : mes derniers contrats avec l’industrie pharmaceutique ont été purgés en 1998 ou en 1999. Les faits sont trop anciens pour que je m’en souvienne précisément. Bien que la question de M. Morin n’entre pas de manière évidente dans le champ de la commission d’enquête, je ne m’abrite pas derrière la procédure judiciaire en cours et m’efforce d’y répondre.

M. Hervé Morin. Ma question a un lien avec la commission d’enquête : elle concerne les conflits d’intérêts, dont nous avons débattu pendant trois jours et trois nuits la semaine dernière à l’Assemblée nationale.

M. Christian Assaf. Entre le 4 décembre et le 19 mars, à qui vous êtes-vous ouvert : amis, membres de votre famille, avocats, journalistes, collègues, collaborateurs ? À qui avez-vous avoué détenir un compte à l’étranger ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai dit la vérité à personne : ni à mes amis, ni à mes collègues, ni à mes collaborateurs. C’est ainsi. En particulier, je ne l’ai pas dite à mon avocat, qui était aussi un ami et a donc été en droit de s’en formaliser de manière assez vigoureuse, ce que je dois désormais assumer, avec tout le reste.

M. Christian Assaf. Compte tenu de vos déclarations devant la représentation nationale au tout début du mois de décembre et des propos que vous avez tenus au début de la présente audition, selon lesquels il y a deux tabous que vous n’auriez pas transgressés pendant toute la durée de l’affaire – « je n’ai jamais juré sur la tête de mes enfants » ; « il m’a semblé impossible de mentir par écrit à l’administration dont j’avais la charge » –, qu’est-ce qui peut empêcher notre commission de mettre en doute vos déclarations de ce jour ?

M. Jérôme Cahuzac. Je pense que vous avez davantage que moi la réponse à cette question.

M. le président Charles de Courson. À la différence des mensonges prononcés dans l’hémicycle, ceux qui le sont devant notre commission d’enquête peuvent faire l’objet de sanctions pénales, à l’initiative du président. Je ne manquerais pas de faire usage de cette prérogative dans le cas où nous considérerions que l’une des personnes auditionnées nous a menti.

M. Philippe Houillon. M. Cahuzac étant venu avec l’intention de ne pas répondre aux questions de la commission, leur intérêt s’émousse.

Les éditions Robert Laffont ont déclaré que vous alliez publier, à la rentrée de septembre, un livre donnant votre version de l’affaire qui porte votre nom. Est-ce exact ?

M. Jérôme Cahuzac. Je ne crois pas que les éditions Robert Laffont aient dit cela, mais je ne veux pas vous contredire, monsieur le député. Quoi qu’il en soit, si j’ai bien l’intention d’écrire un ouvrage, je n’ai signé aujourd’hui de contrat avec aucun éditeur. J’imagine donc mal que les éditions Robert Laffont puissent affirmer que tel serait le cas. Ceux qui ont diffusé cette information ont cru possible d’indiquer le montant d’un à-valoir sur les droits d’auteur. Ce montant est farfelu.

M. Philippe Houillon. Je prends note que, d’une part, vous n’avez signé aucun contrat, mais que, d’autre part, vous avez le projet – c’est naturellement votre droit – de donner votre version de l’affaire dans un livre. Cependant, en quoi seriez-vous autorisé à le faire dans un livre et non pas devant notre commission d’enquête ? Vous répétez sans cesse que vous ne pouvez pas répondre en raison de la procédure judiciaire en cours. Or, cela est inexact : aux termes de l’article 11 du code de procédure pénale, la personne mise en examen n’est tenue à aucune forme de secret ; elle a même le droit de mentir !

M. Jérôme Cahuzac. Vous semblez préjugez, monsieur le député, de ce que je souhaite écrire dans ce livre. Si je parviens à mener ce projet à terme, j’espère que vous serez un de mes lecteurs et que vous changerez alors d’avis.

M. Philippe Houillon. Le livre sera sans intérêt par rapport aux questions que nous nous posons ?

M. Jérôme Cahuzac. Alors, je vous l’offrirai, vous n’aurez pas à l’acheter.

M. Hugues Fourage. Monsieur Cahuzac, M. Gonelle parle de l’existence de votre compte depuis plusieurs années. Pourquoi cette affaire a-t-elle éclaté en 2012 et non pas lorsque vous étiez président de la commission des finances ? Avez-vous une explication à ce sujet ?

M. Jérôme Cahuzac. Je n’ai que des hypothèses. Si j’en crois les déclarations faites sous serment, l’enregistrement a été réalisé à la fin de l’année 2000 et n’a été finalement rendu public qu’à la fin de l’année 2012. Entre-temps, de nombreuses élections se sont déroulées à Villeneuve-sur-Lot, comme ailleurs : municipales, cantonales, législatives. Des propos tenus par l’administration fiscale, je retiens qu’il y aurait eu plusieurs tentatives d’activer ou de réactiver cette affaire : en 2001, en 2006, peut-être même en 2011 ou en 2012. Je regrette sincèrement qu’elles n’aient pas abouti plus tôt. Cela vous aurait évité d’avoir à constituer cette commission d’enquête, monsieur le président ! Mais c’est ainsi : personne n’en a parlé publiquement jusqu’à la publication du premier article de Mediapart signé par Fabrice Arfi, le 4 décembre 2012. Pourquoi à ce moment-là ? Incontestablement, si l’on examine la chronologie des faits de novembre 2000 à décembre 2012, l’affaire a éclaté au moment où elle devait faire le plus mal.

M. le président Charles de Courson. Vous avez reconnu publiquement détenir un compte à l’étranger. Pourriez-vous expliquer son montage juridique à la commission ? D’après les réponses de la DGFIP, plusieurs montages pourraient expliquer l’inefficacité de la procédure engagée dans le cadre de la convention fiscale franco-suisse : le compte omnibus – un chargé d’affaires ouvre un compte comprenant plusieurs sous-comptes dont les détenteurs ne sont pas identifiables – et le système plus sophistiqué du trust.

M. Jérôme Cahuzac. Je ne vous en dirai rien, monsieur le président. Je dois ces réponses d’abord aux deux juges d’instruction, quelle que soit l’interprétation de M. Houillon. Cela étant, d’un point de vue général, les explications fournies par les responsables des différents services fiscaux de Bercy m’ont semblé intéressantes, voire convaincantes : telle qu’elle a été formulée, la demande d’entraide administrative permettait d’éviter que de tels artifices juridiques ne masquent la vérité.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est pas ce que nous a dit l’adjoint du directeur général des finances publiques. Il a formulé les trois hypothèses que vous avez rappelées tout à l’heure : soit la banque UBS a menti – et vous partagez l’opinion que ce soit très peu vraisemblable ; soit un montage juridique a empêché d’identifier le compte – d’où la question que je vous ai posée.

Ce point intéresse la commission d’enquête au regard des conclusions qu’elle rendra sur l’efficacité de l’administration fiscale. La commission a été troublée que l’on trouve un compte à votre nom deux mois après la réponse négative des autorités suisses. Vous ne voulez donc pas répondre à cette question et aider ainsi la commission ?

M. Jérôme Cahuzac. Vous ne posez pas de question, vous faites un constat – l’administration helvétique a fait une réponse négative à l’administration française – et vous vous étonnez qu’il ne soit pas compatible avec la vérité révélée in fine. Quand elle sera connue, la procédure judiciaire fournira une explication qui n’est probablement pas celle à laquelle vous faites référence, monsieur le président.

M. le président Charles de Courson. Ce n’est qu’une hypothèse. Je constate que vous ne répondez pas.

Reconnaissez-vous que la voix sur l’enregistrement réalisé à la fin de l’année 2000 et détenu par M. Gonelle est bien la vôtre ?

M. Jérôme Cahuzac. Je ne l’ai moi jamais reconnue. La police technique et scientifique a estimé que c’était ma voix à 60 %.

M. le président Charles de Courson. Et vous ? Le confirmez-vous ou l’infirmez-vous ? Vous avez fait des déclarations peu claires à ce sujet.

M. Jérôme Cahuzac. J’aimerais, monsieur le président, que l’on ne confonde pas la période antérieure au 2 avril et celle qui l’a suivie. Je vous donne acte que les propos que j’ai pu tenir avant le 2 avril n’ont pas toujours été convaincants, encore qu’ils semblent l’avoir été pour beaucoup. Depuis le 2 avril, les choses ont changé. Je n’ai tenu aucun propos sur cet enregistrement depuis cette date et n’ai pas l’intention d’en tenir, tant que la justice n’aura pas fait toute la lumière sur cette affaire.

M. le président Charles de Courson. Vous ne voulez pas répondre. Pourtant, d’après ce que le procureur a déclaré à la commission, l’enregistrement est la pièce qui l’a convaincu d’ouvrir une enquête préliminaire, puis une information judiciaire. Reconnaissez-vous, oui ou non, qu’il s’agit bien de votre voix sur l’enregistrement qui a été à l’origine de toute cette affaire ?

M. Jérôme Cahuzac. La police technique et scientifique a identifié ma voix à 60 %. C’est tout ce que je peux vous dire.

M. le président Charles de Courson. Et vous, à combien ?

M. Jérôme Cahuzac. À 60 %.

M. Daniel Fasquelle. Vous n’avez pas répondu à l’une de mes questions. Est-il exact que vous ayez prononcé la phrase suivante : « Il est moins grave de mentir quinze secondes devant 577 députés que depuis un an sur l’état de la France… » ?

En outre, avez-vous renoncé à la vie politique ? On vous a prêté des intentions de retour à l’Assemblée nationale et de participation à l’élection législative à Villeneuve-sur-Lot.

M. le président Charles de Courson. Ces questions sortent du champ de notre commission d’enquête.

Je vous remercie, mes chers collègues, de votre forte participation à cette séance – plus des deux tiers des membres de la commission étaient présents – et des nombreuses questions que vous avez posées.


Source : www.assemblee-nationale.fr/

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20130626-audition-cahuzac.html


 

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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 06:51

Variantes : où est le compositeur ? où sont les partitions ? où sont les musiciens ? où sont les auditeurs ? etc. (pour les instruments, prière de prendre la "boîte à outils").


yartiInternat01Le Président de la République va tenir sa seconde conférence de presse jeudi. L’occasion de retracer une vision et de clarifier le flou qui a caractérisé son laborieux début de quinquennat.

Gouverner la France en temps de crise semble être devenu un art si difficile que bien peu semblent désormais y arriver avec succès. Un an après son investiture à l’Élysée, le 15 mai 2012, François Hollande a déjà dépassé tous les records d’impopularité que son prédécesseur avait pourtant atteints.

Parmi les maladresses qu’on lui reproche régulièrement, il y a le manque total de cohésion gouvernementale. Cela est même devenu un marronnier journalistique, cette idée récurrente de montrer quelques contradictions entre ministres. Chaque jour apporte son lot. Le désespoir de François Hollande est sans doute que son meilleur Premier Ministre possible, à savoir Jean-Marc Ayrault, manque à l’évidence d’aura médiatique pour ne pas dire d’autorité médiatique.

Meilleur possible car loin d’être un mou, Jean-Marc Ayrault semble solide dans ses résolutions, et il a le double avantage de n’avoir aucune ambition présidentielle (un peu comme Jean-Pierre Raffarin en 2002) et d’avoir travaillé en bonne connivence avec François Hollande depuis 1997, l’un comme premier secrétaire du PS et l’autre comme président du groupe PS à l’Assemblée Nationale.

Son très proche ami Michel Sapin, par ailleurs Ministre du Travail, avait confirmé récemment qu’il y aurait certainement un remaniement ministériel pour rendre l’action gouvernementale encore « plus efficace que maintenant ».

Cette nécessité de changement avait d’ailleurs été confirmée par le Président de la République lui-même dans son interview à "Paris-Match" le 8 mai 2013 avec ces deux petites phrases anodines : « Le remaniement viendra en son temps. (…) Personne n’est protégé dans le gouvernement, personne n’a d’immunité. ».

Observateur scrupuleux de la vie politique depuis un quart de siècle, François Hollande serait alors bien inspiré d’aller vite, à partir du moment où il a annoncé ce remaniement, sous peine de voir se développer au sein de ses ministres un climat excessivement exécrable.

Son prédécesseur avait essuyé une semblable mésaventure en annonçant un peu trop tôt à l’avance, en juin 2010, qu’il comptait changer de gouvernement. À l’époque, les rumeurs allaient bon train pour envisager un remplacement de François Fillon par Jean-Louis Borloo à Matignon. Nicolas Sarkozy voulait cependant attendre l’adoption définitive de la réforme des retraites défendue par Éric Woerth, ce qui a fait qu’en novembre 2010, la majorité de l’époque s’était beaucoup divisée dans l’anxieuse incertitude des destins individuels.

Pour François Hollande, l’heure a peut-être sonné car il voulait probablement attendre l’adoption définitive de la loi de sécurisation de l’emploi, ce qui vient de se produire avec le vote de la loi au Sénat ce mardi 14 mai 2013. Autre opportunité : selon "Le Canard enchaîné" du 15 mai 2013, la Cour d’appel de Paris pourrait annuler la mise en examen de Martine Aubry, ce qui la rendrait disponible pour un éventuel rôle gouvernemental.

Une semaine avant, le Président de la République avait cependant jugé opportun de reculer en disant que le remaniement n’était pas encore d’actualité.

Pourtant, tout milite pour un remaniement de fond en comble, même si celui-ci ne pouvait pas se dérouler à chaud avec l’affaire Cahuzac (affaire dont on n’entend presque plus parler, comme si une info chassait une autre).

yartiInternat05

Le principal boulet de ce gouvernement est la guéguerre que se livrent depuis un an Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg à Bercy. Tout est bon pour médiatiser leurs dissonances (BPI, Mittal, Dailymotion etc.). De plus, avoir sept ministres dans les domaines économiques n’aide pas à une vision claire de la politique économique quand le titulaire principal n’est pas un poids lourd de la politique.

Deux personnalités importantes du PS viennent d’ailleurs d’ajouter leur grain de sel pour dire qu’il fallait repenser sérieusement Bercy, deux personnalités qui, implicitement, se posent donc en candidates à la reprise de Bercy.

Ségolène Royal avait demandé le 13 mai 2013 une "restructuration" de Bercy pour en finir avec les "zizanies" entre les ministres des dossiers économiques. C’était sans doute un petit coup de griffe à Arnaud Montebourg qu’elle avait puni en pleine campagne présidentielle en le suspendant pendant un mois de ses fonctions de porte-parole parce qu’il avait osé plaisanter ironiquement le 18 janvier 2007 sur Canal Plus : « Ségolène Royal n’a qu’un seul défaut. C’est son compagnon [François Hollande] ! ».

Laurent Fabius a été encore plus clair le 14 mai 2013 sur RTL : « J’ai dirigé Bercy dans le passé [entre le 28 mars 2000 et le 6 mai 2002] et c’est vrai que Bercy a besoin d’un patron. Là, vous avez plusieurs patrons et quelle que soit la qualité des hommes et des femmes et leur degré d’entente, je pense qu’une coordination plus forte serait utile. Mais c’est quelque chose qui est maintenant partagé par tout le monde et j’imagine que s’il y a un remaniement, probablement avant la fin du quinquennat, cette question sera traitée. ».

Certains évoquent la possibilité d’une nomination de Pascal Lamy comme futur Ministre de l’Économie et des Finances. À 66 ans, l’ancien commissaire européen terminera son second mandat de directeur général de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) le 31 août 2013. Il a suivi la même formation que François Hollande (HEC et ENA) et a une compétence largement reconnue internationalement.

Dans tous les cas, les jours de Jean-Marc Ayrault à Matignon ne semblent pas encore comptés et François Hollande pourrait aussi se reposer sur l’efficacité de trois de ses ministres : Michel Sapin, dont la fiabilité hollandienne est à toute épreuve, Christiane Taubira, dont la défense du mariage des couples homosexuels a été saluée même par l’opposition, et Manuel Valls, dont la popularité et les thèmes sécuritaires rognent sur l’UMP (même si les émeutes du Trocadéro du 13 mai 2013 l’a sensiblement affaibli dans sa crédibilité).

Le nombre très élevé de ministres n’est pas allé dans le sens de la cohérence mais c’était plus dans le choix très hollandien de la synthèse de tous les courants du parti socialiste. Le manque de notoriété de la plupart des ministres après un an d’exercice est assez symbolique de leur inutilité : la fonction ministérielle est une fonction politique et pas administrative (la France a l’une des administrations les plus performantes au monde) et dans cette fonction politique, il y a cette nécessité de communication pour expliquer aux citoyens la politique suivie. Beaucoup de cabinets ministériels font encore preuve d’amateurisme.

François Hollande avait cru manier sa grande habileté politique en nommant le leader creux de la démondialisation à l’Industrie, comme pour le frotter aux réalités économiques tout en préservant dans l’électorat la part altermondialiste. Maintenant qu’il a perdu à peu près tout cet électorat, François Hollande devrait être affranchi de cette dépendance partisane pour ne constituer qu’un gouvernement homogène et réellement resserré dont la priorité serait uniquement l’emploi.

Dans un sondage pour iTélé et "Le Huffington Post" publié le 14 mai 2013 (à télécharger ici), la grande majorité des sondés ne serait pas opposée à un remaniement. Au contraire, ils jugent l’actuel gouvernement très défavorablement (pour 76%), composé de personnes incompétentes (pour 70%), avec une ligne floue et mouvante (pour 69%) et refusent le modèle de société prôné par ce gouvernement (pour 71%).

Mais le sondage est encore plus cruel pour les ministres puisqu’il n’y a que trois ministres dont au moins 20% des sondés souhaiteraient le maintien dans le prochain gouvernement, à savoir Manuel Valls (pour 38%), Arnaud Montebourg (pour 23%) et Christiane Taubira (pour 21%).

La relative popularité d’Arnaud Montebourg, dont l’excitation verbale n’hésite pas à s’élancer aux frontières du populisme, rend l’équation hollandienne plus compliquée que prévu : François Hollande aura politiquement du mal à renvoyer purement et simplement Arnaud Montebourg du gouvernement. Il va donc devoir lui trouver un portefeuille où sa logorrhée n’aura plus aucune nuisance sur l’économie nationale (éducation ? justice ? défense ?).

Pour le reste, le déficit de notoriété de la plupart des ministres serait peut-être une aubaine pour le Président de la République : dix-sept ministres n’ont même pas 10% de soutien, leur éviction passerait ainsi inaperçue !

Mais heureusement, on ne gouverne pas avec les sondages…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 mai 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Sondage sur les ministres (YouGov du 14 mai 2013 à télécharger).
Un gouvernement pléthorique et incohérent.
C’est la faute des autres.
Union nationale en France ?
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Laurent Fabius.
Manuel Valls.
Christiane Taubira.
Michel Sapin.
Arnaud Montebourg.
Vincent Peillon.
Pierre Moscovici.

(Les dessins proviennent des Shadoks de J. Rouxel).





 

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gouvernement-hollande-ayrault-ou-135838

 

 

 

 

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