« Quand j’entends des voix qui s’élèvent, et dans ces périodes électorales, il est normal que des sensibilités s’expriment, que la vie démocratique vive, qu’on puisse exprimer des convictions différentes pour que les citoyens puissent faire leur choix. Mais il y a des choses que, de là où je suis, je ne peux accepter, c’est qu’on insulte celles et ceux qui risquent leur vie pour protéger la nôtre. Et donc, oui, pour qu’une Nation soit unie, et que la République soit debout, nous devons absolument défendre nos gendarmes comme nos policiers, et je voulais aujourd’hui, avec vous, assurer (…) l’ensemble des forces de sécurité intérieure de ma fidèle reconnaissance et de celle de toute la Nation. » (Emmanuel Macron, le 9 juin 2022 à Puycelsi).
Paradoxalement, alors que Marine Le Pen avait gagné dans beaucoup de territoires à l’élection présidentielle, son parti RN a renoncé à espérer la victoire aux élections législatives. Elle connaît trop la logique institutionnelle implacable pour nourrir cet espoir et a réduit son ambition à la seule création d’un groupe RN à l’Assemblée Nationale, ce qui serait historique avec le scrutin majoritaire à deux tours.
Au contraire, Jean-Luc Mélenchon, pourtant arrivé troisième à la présidentielle, croit que son heure est venue. Ne soyons pas Nupes, il fait croire que son heure serait venue alors que, évidemment, ce n’est pas le cas. Pourtant, en enclenchant l’union de la gauche, une union arrogante qui humilie ses partenaires socialistes et écologistes (Olivier Faure et Julien Bayou seront un jour comptables de cette dérive idéologique pour quelques plats de lentilles), Jean-Luc Mélenchon a enclenché une dynamique tout à fait inédite pour des élections législatives consécutives à l’élection présidentielle.
Profitant d’un flottement palpable du côté de la majorité présidentielle mais aussi du côté de ses rivaux d’extrême populisme, le RN, FI veut croire à une victoire qui serait de même nature que celle de Lionel Jospin en juin 1997. Heureusement, les responsables de la majorité présidentielle ont réagi, certes tardivement, et le Président de la République Emmanuel Macron lui-même, dans un discours ce jeudi 9 juin 2022 à Puycelsi, dans le Tarn, a réagi vertement aux tweets odieux de Jean-Luc Mélenchon qui associaient la police à des tueurs ("la police tue"). La réalité, c’est que le gourou de la Nupes a apporté de l’eau au moulin d’Emmanuel Macron en montrant que la majorité est sensible aux thèmes régaliens et défend les forces de l’ordre, ce qui est pour le gouvernement une divine surprise après les incidents violents au Stade de France.
Dans les sondages, s’il y a trois blocs, le bloc d’extrême droite est trop divisé pour représenter une alternative (division qui risque à Éric Zemmour d’être battu dans le Var, ce qui serait mérité pour ce parachutage très politicien). Ensemble (LREM, MoDem, Horizons, etc.) représenterait environ 25%-27% des intentions de vote, la Nupes à peu près l’équivalent, le RN autour de 20%, LR autour de 12% et Reconquête autour de 5% des intentions de vote.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, et comme à l’élection présidentielle, le paysage électoral n’est pas éclaté, ni dispersé, mais il est notable que les partis de gouvernement sont très mal représentés à l’exception du macronisme actuel : face à lui, deux gros blocs d’extrémisme, dont l’un s’est constitué avec des partis de gouvernement qui se sont politiquement suicidés (il faut insister sur le fait que ni les responsables du PS ni ceux d’EELV n’ont condamné le tweet de Jean-Luc Mélenchon sur la police : il faudra s’en souvenir à l’avenir).
L’enjeu est ainsi, toujours aussi paradoxal alors que les Français sont très axés à droite voire à l’extrême droite, poussé vers la gauche et même l’ultra-gauche, avec le clivage : Macron ou Mélenchon, la majorité ou la Nupes. Et toujours aussi paradoxalement après une élection présidentielle qui avait répondu à la question : pour ou contre Emmanuel Macron ?, les élections législatives ne vont pas continuer à répondre à cette question pourtant légitime (pour donner une majorité au Président réélu), mais à cette question nouvelle, inédite : pour ou contre Jean-Luc Mélenchon ?
Selon ce que vous répondrez, vous aurez un comportement électoral qui favorisera ou défavorisera l’accession possible même si très improbable de Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Et là, comme au premier tour de l’élection présidentielle, le vote utile a son intérêt car c’est au premier tour que tout se décidera : la forte abstention annoncée (plus de 50% des inscrits), comme en juin 2017, ne laissera pas beaucoup de place aux triangulaires voire aux quadrangulaires au second tour des élections législatives. Le clivage étant ce qu’il est, le vote utile restera pour la majorité ou pour Mélenchon. En se dispersant, les voix anti-mélenchonistes feront nécessairement le jeu de la Nupes.
Cela signifie que pour Les Républicains et leurs alliés centristes (UDI et Les Centristes), cela sera aussi compliqué qu’à la présidentielle, car toute voix LR va mettre en difficulté la majorité présidentielle face à la Nupes. Cela signifie que c’est également compliqué pour le RN, qui garde encore une forte audience dans les sondages, car toute voix pour le RN bénéficiera finalement à la Nupes.
Le maire incontrôlable de Béziers Robert Ménard (qui votera pour sa femme Emmanuelle Ménard, députée sortante indépendante) a d’ailleurs déjà annoncé la couleur dans une tribune publiée dans "Le Figaro" le 10 mai 2022 (il y a un mois) au titre très évocateur : « Une majorité pour Macron, moindre mal face au danger que représente Mélenchon » et qui commence ainsi : « Jean-Luc Mélenchon a raison : nous vivons un moment politique décisif. Sous nos yeux, la gauche française est en train de s’unir sous l’égide d’un parti clairement antieuropéen et ouvertement communautariste. Anachronique, dramatique, suicidaire. L’événement est considérable. Le danger est palpable. Car la dynamique est du côté de la France insoumise et de ses alliés. La comparaison avec une droite en ruines et sans véritable projet est très inquiétante. Ne prenons surtout pas à la légère cette nouvelle force dirigée par le verbe néfaste mais talentueux du tribun aux hologrammes. Face à cette situation, il y a urgence. Urgence à faire bloc. Les sociaux-démocrates, les centristes, les droites, toutes les droites responsables, les élus indépendants attachés à nos libertés doivent s’unir. ».
Une chose que Robert Ménard a du mal à encaisser, c’est que dans le programme de la Nupes, rien n’est analysé à propos de la guerre en Ukraine qui a pourtant remis en cause tout l’équilibre de la paix en Europe. Mais il a aussi critique durement Marine Le Pen et Éric Zemmour qui ne sont pas plus clairs sur le sujet : « Nous ne voulons pas non plus d’un pays dirigé par ces patriotes de pacotille qui fantasment sur Poutine ou sur Pétain. Car cette droite confite de nostalgie est un repoussoir qui n’a aucune chance de remporter un jour la majorité des suffrages. Une impasse idéologique. Un désastre politique. ».
La Nupes et Ensemble seraient donc au coude à coude. Un sondage alarmant a fait frémir les responsables de la majorité, il s’agit du sondage de l’IFOP Fiducial pour LCI publié le 8 juin 2022 qui donnait des indications en sièges à l’issue du second tour et dont la conclusion laisse entendre qu’Emmanuel Macron aurait de grands risques de ne pas retrouver de majorité absolue. Celle-ci est de 289 (sur 577 sièges). Les estimations de l’IFOP sont les suivantes : seulement 250 à 290 sièges à la majorité présidentielle, 195 à 230 sièges à la Nupes, 40 à 55 sièges à LR, 20 à 45 sièges au RN.
Ne pas avoir de majorité absolue n’est pas une situation nouvelle : en juin 1988, François Mitterrand n’avait pas eu non plus de majorité absolue. Mais avec un seul siège manquant : Michel Rocard a dû ainsi négocié le soutien de quelques députés pour différents projets et surtout, a pu utiliser 28 fois l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, alors que maintenant, son emploi est limité à une fois par session (plus le budget). Dans une pareille situation, l’affaire serait donc beaucoup plus compliquée pour le pouvoir.
C’est pour cela que cela a encouragé le Président Emmanuel Macron à prendre la parole juste avant les élections législatives, ce jeudi 9 juin 2022 à Puycelsi. Il n’a pas hésité, à l’instar de ses prédécesseurs, et notamment de Valéry Giscard d’Estaing, à mobiliser les électeurs et à leur demander de faire le bon choix : « C’est la mise en œuvre du projet que j’ai défendu durant la campagne présidentielle et qui nécessite, comme le commandent nos institutions, une majorité forte et claire à l’Assemblée Nationale, majorité qui doit refléter parfois des différences, mais qui doit permettre au pays que ce projet soit mis en œuvre. C’est pourquoi (…) je veux alerter aussi les Françaises et les Français sur l’importance du choix qu’ils ont devant eux dès le 12 juin prochain. Si l’élection du Président de la République est cruciale, l’élection des députés est décisive. (…) Les semaines qui viennent sont un instant grave que nous traversons et qui n’a rien à voir avec des temps ordinaires qui pourraient en quelque sorte justifier une forme d’indifférence., de relativisme, oserais-je dire d’aquabonisme, comme j’entends parfois. ».
Et d’enfoncer le clou sur le projet des partis extrémistes : « Alors, je vais être clair avec vous. Face à ce contexte hanté par l’incertitude, les extrêmes, aujourd’hui, proposent d’ajouter la crise à la crise en revenant sur les grands choix historiques de notre Nation. Revenir sur les alliances qui, comme l’OTAN, assurent la sécurité collective et protègent les peuples, en proposant, de quelques extrêmes qu’il s’agisse, de mener des alliances, je dois le confier, quelque peu baroques dans le moment où je parle, avec la Russie qui massacre les civils en Ukraine. Remettre en cause l’Europe, elle, qui nous a protégés pendant la covid. L’Europe, sans laquelle nous n’aurions pas eu de vaccins, nous qui n’en produisions pas alors sur notre sol. Notre Europe qui assure la paix dans cette partie du continent, qui contribue à nous protéger de ce grand dérèglement. Les extrêmes proposent quoi ? Pour les uns, de ne plus appliquer les traités et donc de considérer que ce serait en quelque sorte une association dans laquelle on choisit ses règles. Pour les autres, de ne plus en payer les cotisations. (…) Dans les deux cas, c’est une sortie de l’Europe. Ils proposent, les uns et les autres, les deux extrêmes, de remettre en cause nos institutions qui, face à la covid comme face à la guerre, ont démontré leur efficacité. Ils proposent, les uns et les autres, de fragiliser l’unité du pays qui nous a permis de faire face aux crises et nous permettra de tenir. Il faudrait préférer ou l’affrontement classe contre classe, ou religion contre religion, ou origine contre origine, alors que la force de notre pays, c’est celle de la République. Citoyennes, citoyens, avec des différences d’origine, de classe, de philosophie, certains qui croient et d’autres qui ne croient pas, mais des droits et des devoirs à tenir et un commun qui nous lie. Et les mêmes, les deux extrêmes, dans une confusion inédite dans notre histoire politique, remettent en cause la liberté d’entreprendre, le soutien à l’investissement, la compétitivité et l’attractivité, au fond, le choix même de notre indépendance agricole, économique et énergétique, quand on parle de renoncement des uns au nucléaire ou de la sortie complète des renouvelables chez les autres. ».
Et d’embrayer sur la politique économique qu’il entend mettre en œuvre dans son second quinquennat. Après avoir cité Jean Jaurès, élu du Tarn : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire, c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho de notre âme, de notre bouche et de nos mains, aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. », Emmanuel Macron a poursuivi son discours ainsi : « Je suis convaincu que nous sommes un peuple courageux. Les Français courageux, et donc aimant la vérité et sachant qu’on ne bâtit aucun idéal sans partir du réel, les Français ne céderont rien à l’extrémisme, d’où qu’ils viennent. Rien à ceux qui, par leurs déclarations, leurs contestations parfois de la légitimité de l’élection, s’éloignent du champ républicain. Je suis convaincu que face à ceux qui veulent opposer et diviser, cliver, les Français choisiront l’unité et le rassemblement, qu’ils choisiront ce dépassement des clivages que je défends depuis le premier jour. ».
Et de conclure : « C’est pourquoi, à mes yeux, dès le 12 juin, il faut suivre la voie de la cohérence, de la compétence et de la confiance. Dès le 12 juin, faisons, en conscience, le choix solide de la clarté républicaine sans concession, sans rien retrancher. Dès le 12 juin, faisons le choix de l’avenir, de la bienveillance et de l’ambition. Au fond, de l’espoir. Parce que la République qui nous protège et nous a tant protégés, aujourd’hui, c’est à nous de protéger et de la choisir. ».
Ce discours présidentiel, à quelques heures de la fin de la campagne électorale, était ainsi très combatif et très efficace. Sur le fond, le Président de la République ne s’écarte pas de ses prédécesseurs pour demander le "bon choix" avec le clivage "moi ou le chaos". Et en juin 2022, le chaos a un nom, il s’appelle Jean-Luc Mélenchon…
« Tout Bleu peut en cacher un Rouge et vice-versa, gare, ne vous reposez pas à l’aveuglette sur des vues de l’esprit. » (Fred Vargas, 2003).
Nous sommes à quelques jours du premier tour des élections législatives (dimanche prochain !) et imperturbablement, les médias sont à autre chose, la guerre en Ukraine, l’augmentation de l’essence, les violences au Stade de France, le drame avec des policiers, etc. Certes, quelques postures politiques ont des finalités électorales, mais comme pour l’élection présidentielle, peu de débats ont eu lieu, peu de sujets ont été débattus à cette occasion électorale. Les restrictions de l’égalité du temps de parole sont telles que les médias préfèrent ne plus rien faire.
Il est vraisemblable que le Président Emmanuel Macron n’a pas cherché à aller vite ni dans la formation du gouvernement, ni dans le début de la campagne électorale. En affirmant le 4 juin 2022 dans la presse régionale qu’il comptait bien rendre applicable dès l’été 2023 la réforme des retraites, probablement qu’il a perdu quelques dizaines de sièges de députés. C’est donc courageux d’annoncer clairement la couleur, mais il peut ne pas obtenir de majorité à cause de cela.
Pendant des semaines, tout le terrain politique a été laissé à Jean-Luc Mélenchon : Marine Le Pen s’est même payé le luxe de prendre deux semaines de vacances, et reste convaincue que le RN n’aura pas de majorité, tandis que le gourou bolivarien de FI a réussi un coup de bluff incroyable, celui de créer une alliance électorale improbable et artificielle avec le PS, EELV, le PCF et quelques autres groupuscules de gauche. Si bien que la création de la NUPES est la seule nouveauté politique depuis l’élection présidentielle. Même la nomination de la nouvelle Première Ministre Élisabeth Borne ainsi que de son gouvernement n’a pas eu le même écho médiatique.
Déjà, certains résultats ont eu lieu dans les circonscriptions des Français de l’étranger car le premier tour s’y est déroulé avec une semaine d’avance, le 5 juin 2022 (pour permettre de faire campagne entre les deux tours, en raison des déplacements à faire, l’électorat étant très dispersé géographiquement). Ainsi, on a appris que l’ancien Premier Ministre Manuel Valls (avec l’étiquette LREM) a été éliminé dès le premier tour dans la 5e circonscription, à savoir le Portugal, l’Espagne et Monaco. Arrivé en troisième position, il a été très largement devancé par le candidat de la NUPES et le député LREM sortant.
Malgré l’explosion du paysage politique, ce sont des blocs politiques qui s’affrontent à ces élections législatives. Le bloc de la majorité présidentielle Ensemble rassemble LREM (devenu Renaissance), le MoDem, Horizons, Agir, le parti radical, ainsi que les deux mouvements macronistes de gauche, Territoires de progrès et En commun. La NUPES est l’alliance de gauche radicalisée à laquelle se sont soumis EELV et le PS. L’union de la droite et du centre regroupe LR, l’UDI et Les Centristes. Enfin, il y a les partis d’extrême droite, le RN ainsi que Reconquête, du polémiste Éric Zemmour. On peut noter aussi que Les Patriotes et Debout la France sont présents et unis dans les circonscriptions, sur le thème dépassé de la crise sanitaire.
Si le RN et Reconquête étaient unifiés, les trois pôles de la vie politique seraient de nouveau valorisés par les sondages puisque Ensemble, la NUPES et RN+R font autour du quart de l’électorat chacun, avec donc un handicap pour le RN qui, seul, ne fait qu’autour de 21% d’intentions de vote. En fait, ces données sont trompeuses car le parti de Marine Le Pen conserve globalement son électorat du premier tour de la présidentielle, ce qui est inédit dans l’histoire électorale. En 2017, le FN avait obtenu à peine plus que la moitié des voix de la présidentielle. De plus, un sondage donnerait Marine Le Pen gagnante dès le premier tour dans sa circonscription avec 51%, mais c’est sans compter sur la probable forte abstention.
La NUPES devançait Ensemble au mois de mai, mais l’écart s’est resserré voire inversé à une semaine du premier tour. Même devant Ensemble, la NUPES ne devrait en principe pas obtenir la majorité absolue. En revanche, Jean-Luc Mélenchon aura réussi à dominer toute la gauche par la tendance communautariste qui acte le suicide de la gauche de gouvernement. Son récent tweet "La police tue" provoquera sans doute un léger déplacement de voix en faveur de la majorité présidentielle.
Passons rapidement sur le mode de scrutin : le scrutin actuel a permis l’arrivée de nouveaux mouvements dans la vie politique, à tel point que les deux principaux (PS et LR) vont être ultraminoritaires dans la prochaine législature et que les trois pôles sont très récents au Parlement. L’idée d’instaurer un scrutin proportionnel avec prime majoritaire ne serait pas favorable à Emmanuel Macron : en effet, si la NUPES devançait même de quelques voix Ensemble, la prime majoritaire lui permettrait d’avoir la majorité absolue alors qu’elle ne représenterait que le quart de l’électorat.
Plus généralement, le scrutin actuel permet à la France d’être gouvernée, même avec une majorité relative. Les mélenchonistes qui justifient la demande d’un scrutin proportionnel au nom de la disproportion entre pourcentages de voix et nombres de sièges sont les mêmes qui jugeraient légitime Jean-Luc Mélenchon à Matignon si ce rapport de forces favorisait la NUPES. Certes, LREM et le MoDem ont obtenu à eux deux, au premier tour du 11 juin 2017, 32,3% des suffrages exprimés (soit 15,4% des inscrits) et 350 sièges sur 577 (soit 60,7% des sièges), mais aucun mélenchoniste n’a considéré illégitime l’élection de Jean-Luc Mélenchon dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône où il n’avait obtenu que 14,2% des inscrits au premier tour (34,3% des exprimés) et 20,0% des inscrits au second tour (59,8% des exprimés). Les procès en illégitimité sont donc à variation de principe selon qu’ils concernent les FI ou pas.
Sur le plan des candidats, regardons quelques statistiques. 6 293 personnes sont candidates dans les 577 circonscriptions, soit une moyenne de 11 candidats par circonscription. En zone urbaine, ce nombre est donc plus proche de 15 que de 10. Pourquoi un tel nombre alors que la plupart n’ont absolument aucune chance d’obtenir un siège ? Pour certains, bien sûr, ce sont des candidatures de témoignage, comme Lutte ouvrière toujours très militante, ou encore, plus novateur, le parti animaliste qui tend à s’implanter un peu partout sur le territoire national (si j’ai bien compris son affiche électorale, c’est un canard qui est candidat).
Mais pour la plupart des micro-partis, c’est bien l’appât du gain qui motive les candidatures. Quand j’écris appât du gain, disons l’appât d’avoir des moyens pour payer une permanence et des administratifs pour faire vivre un parti au niveau au moins national. En effet, si un mouvement réussit à obtenir au moins 1% dans au moins 50 circonscriptions (il faut donc au moins 50 candidats), alors il pourra bénéficier du financement public des partis politiques, à savoir 1,64 euro par voix obtenue et par an pendant cinq ans. En d’autres termes, chaque électeur vaut 8 euros 20 pour le parti choisi par lui, et il faudrait rajouter, si d’aventure des candidats étaient élus, 37 400 euros par an et par siège gagné (à condition d’avoir 49 autres candidats avec au moins 1% des voix par ailleurs). C’est par un calcul d’apothicaire (que je crois mal analysé) que le parti socialiste a vendu son âme à FI pour quelques plats de lentilles.
De même, ne sont pas candidats notamment les députés élus en 2017 ou sortants (en exercice à ce jour) suivants : Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet, François de Rugy, Jean Lassalle, Christian Jacob, Brune Poirson, Bruno Bonnell, Serge Letchimy, Benjamin Griveaux, Francis Chouat, Christelle Dubos, Jean-Michel Fauvergue, Mounir Mahjoubi, Hugues Renson, Jean-Louis Touraine, Alain Tourret, Pacôme Rupin, Albane Gaillot, Matthieu Orphelin, M’jid El Guerrab, Bruno Joncour, Gilles Carrez, Gérard Cherpion, Jean-Pierre Door, Charles de La Verpillière, Guy Tessier, Jean-Luc Reitzer, Laëtitia Remeiro Dias, Thierry Solère, Rémi Delatte, Régis Juanico, François-Michel Lambert, Sébastien Nadot ; ni notamment les ministres en exercice suivants : Bruno Le Maire, Éric Dupond-Moretti, Sébastien Lecornu, Agnès Pannier-Runacher et Christophe Béchu.
L’enjeu principal est de savoir si la majorité présidentielle pourra renouveler la performance de 2017, à savoir conserver la majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Les projections laissent entendre que oui, même si la possibilité d’une majorité relative n’est pas à exclure, ce qui n’est pas nouveau dans le fonctionnement des institutions. Cela s’était déjà passé en juin 1988. Il est vrai qu’entre-temps, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le nombre de 49 alinéa 3 est désormais limité au vote du budget et à un autre texte par session parlementaire (Michel Rocard avait été le recordman de l’utilisation du 49 alinéa 3, 28 fois, entre 1988 et 1991).
En sachant que les cas de triangulaires seront très rares à cause de l’abstention, le vote utile devrait également faire son apparition pour ce scrutin au premier tour : ceux qui ne veulent ni d’un extrémisme de droite de repli sur soi ni d’un extrémisme de gauche irresponsable et communautariste n’auront donc pas beaucoup de choix s’ils veulent voire leur vote compter. L’effet de tripolarisation du paysage politique apparu au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 devrait donc certainement se poursuivre aux élections législatives.
« L’objectif, c’est que Jean-Luc Mélenchon va de nouveau dire qu’il n’a pas pu l’emporter comme il l’a fait le soir du premier tour et que donc, il faut regarder vers l’élection présidentielle de 2027. Alors que le programme de la NUPES est le problème principal. » (François Hollande le 1er juin 2022 sur BFM-TV).
Ah, François Hollande, quel malheur que d’être un ancien Président de la République et de vouloir encore peser dans le débat politique. Son grade lui ouvre tous les médias, et c’est heureux, mais pour dire quoi ? Il reste enfermé à jamais dans l’échec de son quinquennat, même pas capable de tenter de se faire réélire. À ce titre, il est complètement différent de tous ses prédécesseurs et successeur de la Cinquième République. Alors, que vaut sa parole politique ? Rien, mais personne ne le lui dit, par politesse.
Il n’est même pas candidat aux élections législatives, comme il en avait esquissé l’envie. En fait, il avait l’envie de reprendre du service, un peu comme Valéry Giscard d’Estaing qui, après 1981, a refait toute une carrière politique sans arriver néanmoins à reconquérir l’Élysée ou à officier à Matignon comme il l’aurait rêvé (renouveler le mythe de Raymond Poincaré), mais aussi en reprenant la présidence de l’UDF, ce qu’avait fait aussi en 2015 son prédécesseur direct Nicolas Sarkozy redevenu président de l’UMP puis de LR. François Hollande, il rêvait de redevenir premier secrétaire du PS, le sauveur d’un PS aujourd’hui transformé de friches industrielles, ce navire en ruine qui a échoué en dehors de Paris. Mais même cette coquille vide lui a échappé, se donnant à Frère Méluche.
Sa réponse à sa non-candidature en 2017, c’est de dire qu’il ne voulait pas la désunion de la gauche. Terrible aveu car sa candidature aurait donc divisé : lui, le Président de la République en exercice, il aurait divisé son camp ! Quel manque d’esprit politique. Au final, en 2017, il a lâché son parti tant aimé, qu’il a tant chéri et tant dirigé, le parti socialiste, en déliquescence (nommée Benoît Hamon puis Anne Hidalgo), laissant le terrain libre à Jean-Luc Mélenchon qui l’a occupé prestement, en 2017 et plus encore, idéologiquement en 2022. On n’ose même pas connaître les sentiments qui agitent l’ancien locataire de l’Élysée lorsqu’il pense à Olivier Faure !
Ce matin du mercredi 1er juin 2022 sur BFM-TV et RMC, François Hollande était l’invité d’Apolline de Malherbe et est revenu sur l’accord du PS avec FI : selon lui, le programme de la NUPES n’est pas applicable, il a chiffré son coût à plus de 300 milliards d’euros. Pour lui, ce n’est pas sérieux et c’est un leurre. Jean-Luc Mélenchon n’a aucune intention de gouverner. Il sait qu’il ne gagnera pas les élections législatives, qu’il ne voulait pas de majorité (sinon, il n’aurait pas placé dans 350 circonscriptions un candidat FI pour représenter la NUPES). Il voudrait juste se préparer pour encore 2027, préempter l’espace à gauche.
François Hollande soutient donc les candidats socialistes dissidents qui se présentent et qui refusent le programme de la NUPES. En particulier, dans sa circonscription. Mais perspicace, la journaliste lui a demandé ce qu’il ferait s’il n’y avait pas de candidat socialiste dissident, qui aurait-il soutenu, le candidat NUPES ou le candidat LREM ? Et sans très clairement le dire, François Hollande a admis qu’il voterait pour le candidat de la NUPES, afin qu’il y ait une opposition, alors qu’il venait de dire que son programme était catastrophique : « Quand on est de gauche, on vote à gauche. Il y a quand même l’union qui doit être forcément choyée [ou soignée ?]. ».
Je ne comprends pas très bien le message, d’autant que la NUPES voudrait détricoter ce qu’il avait lui-même fait durant son quinquennat (loi Travail, CICE, etc.) alors que tous ses amis ont fait le choix de soutenir clairement Emmanuel Macron qui lui-même était son conseiller économique, secrétaire général adjoint de l’Élysée puis Ministre de l’Économie et des Finances : son Premier Ministre Manuel Valls, ses ministres Jean-Yves Le Drian, Marisol Touraine, ses amis Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Chevènement, tous ont fait le choix du macronisme face au populisme mélenchonien. Seule, pour des raisons d’obscurs mais vains calculs, Ségolène Royal a fait le choix inverse.
Heureusement, son expérience élyséenne lui permettait de se hisser hors des eaux troubles de la mare politicienne pour s’élever sur des sujets internationaux, et en particulier sur la guerre en Ukraine. BFM-TV arbore depuis lundi 30 mai 2022 un petit bandeau noir en signe de deuil, car leur journaliste Frédéric Leclerc-Imhoff (32 ans) a été tué à la suite d’un bombardement près de Lysichansk, alors qu’il était dans un convoi humanitaire. Les Russes ont réagi cyniquement en l’accusant d’avoir été un mercenaire.
François Hollande s’est donc permis de faire la leçon au Président Emmanuel Macron en le pressant d’aller à Kiev. Emmanuel Macron, qui a rappelé encore la vieille à Cherbourg qu’il s’y rendrait seulement si c’était utile. L’ancien Président considère que la France y est attendue et que le temps presse. En fait, si les Ukrainiens souhaitent recevoir Emmanuel Macron avant le 30 juin 2022, ce n’est pas seulement pour recevoir la France mais aussi l’Union Européenne dont la France préside le Conseil. Cependant, en période électorale, Emmanuel Macron n’a pas voulu s’y rendre pendant la campagne présidentielle et à quelques jours des élections législatives, on pourrait encore reprocher ce qui apparaîtrait comme un électoralisme.
Le plus intéressant était évidemment son analyse de la situation en Ukraine et en Russie. Selon lui, Vladimir Poutine a testé les démocraties occidentales avant d’envahir la Crimée. Il a insisté sur les mensonges de Vladimir Poutine, tant sur ce journaliste tué et les populations civiles ukrainiennes tuées que sur les crimes commis en Syrie. En effet, il avait alerté la "communauté internationale" sur la ligne rouge franchie par Bachar Al-Assad en employant du gaz contre ses opposants en septembre 2013. Il voulait donc une intervention internationale mais le Président américain Barack Obama avait refusé de s’impliquer, et finalement, on a laissé faire.
Ainsi, Vladimir Poutine a compris que les États-Unis ne lèveraient pas le petit doigt s’il annexait la Crimée, ce qu’il a fait dès mars 2014. Pour François Hollande, le lien de causalité est évident : « Il faut arrêter les dictateurs au moment où ils craignent pour leur propre pérennité. En l’occurrence, là, en 2013, Vladimir Poutine était en position de faiblesse. Bachar Al-Assad pouvait tomber. Le fait qu’il y ait eu des armes chimiques était la preuve de cette faiblesse. Eh bien, la non-réaction, je voulais, au nom de la France, frapper la Syrie, pas la Syrie en tant que nation ou la population syrienne, mais le régime syrien, le fait que Barack Obama s’y soit opposé, ait préféré finalement admettre qu’une ligne rouge pouvait être franchie. La conséquence, cela a été, un an plus tard, l’intervention de Vladimir Poutine en Ukraine, en 2014. ».
Et d’expliquer cette causalité : « Vladimir Poutine ne connaît que le rapport de force. Donc, il a interprété cette non-réaction comme une faiblesse, ce qui est d’ailleurs vrai, et à partir de là, cela lui permettait de violer le droit international. ». Il a ainsi prôné l’Europe de la défense, mais en complément de l’OTAN : « Pour être respecté, pour avoir une parole politique forte, il faut avoir des moyens militaires. ».
Actuellement, François Hollande s’ennuie. Emmanuel Macron devrait donc lui trouver du boulot… Pourquoi pas émissaire de paix en Ukraine ?
« Le marchandage entre la France insoumise, les Verts, les socialistes et les communistes (…) : cet accord est dominé par des intérêts strictement électoraux puisqu’il s’agit, d’un côté, d’adouber un chef, le lider maximo Jean-Luc Mélenchon, et de l’autre, d’échanger des convictions contre des circonscriptions. Cette dimension politicienne de l’opération lui donne un caractère plutôt minable. » (Jean-Louis Bourlanges, "Le Figaro", le 4 mai 2022).
Quand on parle de capitulation ou de bérézina, pense-t-on au PS ou pense-t-on à la Russie ? Peut-être aux deux. Le jeudi 5 mai 2022, le député MoDem des Hauts-de-Seine Jean-Louis Bourlanges était l’invité d’Élizabeth Martichoux à la matinale de LCI, pour évoquer la situation en Ukraine (il est le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale depuis le 27 janvier 2021, à la suite de la disparition de Marielle de Sarnez), et il en a profité pour donner son commentaire indigné sur l’accord stupéfiant entre le PS et FI.
J’apprécie beaucoup Jean-Louis Bourlanges depuis une quarantaine d’années. Il a toujours su relever le niveau du débat politique national. Mais ce côté intellectuel l’a probablement défavorisé au point de n’avoir jamais été ministre alors qu’il aurait été l’un des plus méritants. Il a eu peu de mandats politiques et son élection comme député des Hauts-de-Seine en juin 2017 était nouvelle pour lui qui n’avait pas encore été parlementaire national. À 75 ans, après de nombreuses hésitations et poussé par Emmanuel Macron autant que par ses amis, il a finalement accepté de se représenter aux élections législatives de juin 2022 pour second mandat. Il avait pourtant envisagé de prendre sa retraite (n’imaginant pas être député encore à ses 80 ans), mais au-delà des très pressantes sollicitations de ses amis, il trouve aussi que la période est très riche et cruciale dans les relations internationales dont il est un spécialiste reconnu.
L’étiquette du MoDem n’était pourtant pas une évidence, puisque, parmi les soutiens de la candidature de François Bayrou à l’élection présidentielle de 2007, il avait refusé d’adhérer au nouveau parti de ce dernier, le MoDem. À l’origine gaulliste, issu dans sa jeunesse étudiante de l’UJP (Union des jeunes gaullistes), il s’était rapproché de l’UDF mais s’était retrouvé orphelin de parti en 2007, refusant la ligne "ni-ni" de François Bayrou (il avait voté pour Nicolas Sarkozy au second tour en 2007) : « Entre l’UMP, le MoDem et le Nouveau centre, les enfants de l’UDF n’ont le choix qu’entre une reddition, une secte et un camp de réfugiés. ». Il a ainsi osé participer (seul) au congrès fondateur du MoDem pour dire qu’il n’y adhérerait pas. Finalement, embarqué dans l’aventure macronienne de 2017, il a préféré se rallier à la "secte" au gourou retiré qu’à la reddition directe sous la bannière de LREM (cette fois-ci).
Ce n’était pas la première fois qu’il était un électron libre dans les structures du centre droit, puisqu’en 1988, après l’échec de la droite à l’élection présidentielle, il avait fait "fureur" en publiant "Droite, année zéro" (chez Flammarion) qui était une très sévère critique de Jacques Chirac, de la cohabitation et de la droite en général : « À cette France nouvelle, idéologiquement libérale-socialiste et politiquement insatisfaite, la droite n’a offert depuis des années que le spectacle de ses contradictions : coincée entre la nostalgie paléo-libérale de l’État fainéant et la tradition technocratique de l’État tout puissant, elle souffre aujourd’hui d’une profonde crise d’identité. Pour surmonter sa défaite, il lui faut d’abord inventer un libéralisme démocratique qui soit moins tourné contre la puissance publique que contre l’abus de pouvoir sous toutes ses formes. Il lui faut surtout faire pénétrer ce libéralisme, c’est-à-dire le respect des différences, le partage du pouvoir, la religion du droit, dans sa propre maison et en finir avec ce mélange indigne d’anarchie clanique et de soumission administrative qui lui tient lieu de culture politique. ». Oserais-je dire que cette analyse reste encore d’actualité ?
Réflexions et analyses profondes, sens de la formule, Jean-Louis Bourlanges avait donc tout pour devenir un grand politique. IEP, agrégation de lettres, ENA, Cour des Comptes, le haut fonctionnaire s’est essayé à quelques tentatives électorales : il a été élu conseiller municipal de Dieppe de mars 1983 à mars 1989, conseiller régional de Haute-Normandie de mars 1986 à mars 1998, et son mandat qui l’a caractérisé, c’est celui de député européen, puisqu’il y a été élu et réélu de juin 1989 à décembre 2007, sur la liste menée par Simone Veil en juin 1989, celle menée par Dominique Baudis en juin 1994, celle menée par François Bayrou en juin 1999, puis en juin 2004 (le scrutin s’étant régionalisé, il fut la tête de liste du Nord-Ouest). Il fut appelé pour prendre la tête de liste aux élections municipales de Rouen en mars 2001, mais finalement, il s’est désisté et ce fut le centriste Pierre Albertini qui l’a remplacé (et a été élu).
Centriste et européen, Jean-Louis Bourlanges a une stature intellectuelle qui le rend exceptionnel dans la classe politique, fin connaisseur tant des relations internationales que de la politique intérieure française et des finances publiques (il est l’un des rares parlementaires à maîtriser la loi de finances). Président de la section française du Mouvement européen entre1995 et 1999, il s’est beaucoup investi au Parlement Européen, prenant de nombreuses responsabilités, en particulier : président de la commission du contrôle budgétaire d’avril 1993 à juillet 1994 et président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures.
Sur le plan national, le Président Nicolas Sarkozy l’a nommé parmi les membres du Comité Balladur pour la réforme des institutions. Pendant une dizaine d’années, il est resté à l’écart de la vie politique active, autour de 2010, pour des raisons familiales, préoccupé avant tout par la santé de son épouse.
Jean-Louis Bourlanges, par son expérience et par ses observations, est donc régulièrement invité sur les plateaux de télévision pour proposer ses analyses toujours passionnantes de la vie politique et internationale. Le 4 mai 2022, a été publiée une longue interview dans "Le Figaro" au titre très évocateur : « La capitulation des gauches devant Mélenchon est une bérézina idéologique ». Et il a enfoncé le clou le jeudi 5 mai 2022 sur LCI.
Ayant eu encore un peu de respect pour le parti socialiste, Jean-Louis Bourlanges a pourfendu l’accord complètement scandaleux que ce parti a passé avec Jean-Luc Mélenchon : « Cet accord (…), c’est absolument minable. Cela se résume très simple. Je troque mes convictions contre des circonscriptions. Et je troque toutes mes convictions contre quelques circonscriptions. En plus, c’est un marchandage qui est idiot. ». Idiot car Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier Ministre. Par conséquent, cette opération NUPES est un véritable leurre.
Mais Jean-Louis Bourlanges y a vu aussi un changement historique, le PS refusant désormais de redevenir un parti de gouvernement : « Les choix fondamentaux des socialistes ont été mis en cause à travers cet accord, les choix qui sont faits depuis la guerre. C’est un socialiste, Ramadier, qui a écarté les communistes au moment de la guerre froide. Ce sont les socialistes qui ont signé le Traité de Rome. Guy Mollet qui a signé le Traité de Rome. C’est François Mitterrand qui a animé avec force le combat contre les fusées russes avec ce fameux discours de Bonn de1983. Qui ont été constamment fidèles à l’Alliance atlantique, à la construction européenne et à l’économie de marché, à condition que l’économie de marché soit corrigée par de profondes mesures de redistribution. C’est tout cela qui, d’un trait de plume, pour quelques circonscriptions, quelques plats de lentilles vraiment dérisoires, qui est mis en cause. Donc, je comprends vraiment l’indignation de Cazeneuve, Cambadélis et de quelques autres qui disent : mais que fait-on de notre héritage ? ».
Il a réfuté l’idée que les socialistes ne représentaient que le score de leur candidate Anne Hidalgo dont, par ailleurs, il n’appréciait pas la politique à Paris : « Ce n’est pas 1,7. En réalité, une grande partie de l’héritage social-démocrate avait été captée par Emmanuel Macron. (…) Il n’est pas le fossoyeur [du PS], il est le clarificateur, ce que Hollande n’a pas été. Hollande voulait tenir dans le même attelage des chevaux allant dans des directions différentes. (…) Et il a cassé là-dessus, c’est pour cela qu’il ne pouvait pas se représenter, car il ne pouvait plus tenir son attelage. (…) De Mendès France, François Mitterrand, à Michel Rocard, Jacques Delors, et, du côté vert, Dany Cohn-Bendit, ont tous choisi le camp de la modernisation, de façon un peu tortueuse pour Mitterrand évidemment, mais le camp de la modernisation, le camp de l’Europe, le camp de la sécurité collective avec nos alliés, le camp du refus de la dictature, et c’est cela qui est bradé pour rien. ».
De plus, Jean-Louis Bourlanges a souligné que Jean-Luc Mélenchon, qu’il a qualifié de lider maximo du néopoutinisme, n’a pas du tout l’intention d’aller à Matignon puisqu’il ne table que sur 200 circonscriptions éligibles par sa coalition, soit loin de la majorité absolue : « Je dis que dans l’esprit même de Mélenchon, les calculs électoraux qui sont les siens démentent son projet politique affirmé. ».
Également historien à ses heures perdues, après avoir cité Tacite et Thucydide, le député centriste a fait la comparaison avec l’élection présidentielle de 1969 : « [Mélenchon] considère que toute défaite est une promesse de victoire différée. (…) Jacques Duclos, qui a fait, en tant que représentant du parti communiste en 1969, un score comparable à celui de Mélenchon, n’a jamais imaginé, lui, qu’il serait chef d’État ni Premier Ministre de Pompidou ! ».
Et peut-on parler de capitulation et de bérézina pour la guerre en Ukraine ? Et pour quel camp ? En tout cas, Élizabeth Martichoux avait évidemment interrogé Jean-Louis Bourlanges dès le début de l'interview sur Vladimir Poutine et la sécurité en Europe (LCI semble d’ailleurs être devenue une chaîne carrément ukrainienne !). En particulier, il a dit se méfier du Président russe : « Je crois qu’il faut toujours se méfier de Vladimir Poutine, qui est un personnage dominé (…) par son orgueil, par la certitude ou l’idée d’avoir fait un mauvais choix et le refus absolument de se l’admettre, le reconnaître lui-même, avec tous les risques de surenchères que cela implique. ». En d’autres termes, Jean-Louis Bourlanges fait partie de ceux qui prennent avec sérieux les risques d’extension de la guerre au-delà de l’Ukraine voire la menace nucléaire.
Car la fierté de la Russie ne peut accepter une défaite sur le terrain ukrainien : « Plus les Russes sont en situation de faiblesse, plus les Russes sont dans l’impasse, plus ils brandissent une menace d’extension du conflit. Face à cela, je pense qu’il faut faire preuve de sang-froid, de modération. Le Président Theodore Roosevelt disait, au début du siècle dernier, qu’il fallait parler doucement et avoir un gros bâton. ». Pour le président de la commission des Affaires étrangères, Joe Biden est le "gros bâton" et la France (ou l'Europe) devrait être le "parler doucement".
Pour Jean-Louis Bourlanges, c’est Vladimir Poutine qui a encouragé l’Europe à rester unie sous protection américaine : « Qui aurait jamais douté, en tout cas, pas moi, que la sécurité fondamentale de l’Europe restait exercée par la protection américaine, et que notre souci depuis une dizaine d’années, c’est de voir que les Américains se désintéressaient de l’Europe, ne considéraient plus la Russie comme une menace et ne s’intéressaient qu’à la Chine ? Et Poutine, de façon extrêmement inopportune selon ses propres intérêts, a ramené les États-Unis à cette préoccupation fondamentale depuis la guerre froide, depuis la fin de la guerre. ».
Mais il n’y a pas de vassalisation des pays européens dans l’OTAN, et c’est même à cause de cela que c’est un modèle dont ne veut pas Vladimir Poutine : « L’alliance occidentale est une alliance de peuples libres qui mutualisent leurs forces, évidemment avec un pays qui a des moyens militaires et financiers beaucoup plus importants que les autres. ».
Marioupol est devenue une ville fantôme, tout est détruit. L’armée russe est comme un rouleau compresseur qui tue tout le monde et qui détruit tout : « Chaque fois que les Russes gagnent en Ukraine un centimètre du territoire, c’est un centimètre de désert en plus. ». C’est le désert russe.
Bien sûr que les sanctions des Européens contre la Russie coûtent aussi aux Européens. Jean-Louis Bourlanges, gaulliste à l’origine, aime bien citer De Gaulle sur l’effort : « Le Général De Gaulle disait : "le salut exige la victoire, mais le succès coûte l’effort". Si nous croyons que les forces européennes, occidentales, peuvent se dispenser de tout effort pour gagner cette confrontation vis-à-vis de la Russie, préserver leur indépendance, sauver l’unité de l’Union Européenne, assurer la sauvegarde et la liberté de l’Ukraine, s’ils pensent le faire sans effort, ils se trompent. ».
Avant la nomination du nouveau gouvernement, en analysant deux sujets d’actualité très prégnants, l’accord de la NUPES derrière Jean-Luc Mélenchon et la guerre en Ukraine, Jean-Louis Bourlanges a bien sûr utilisé son intelligence et son sens du raisonnement, mais aussi ses émotions et sa passion, son droit à l’indignation, à propos d’une certaine idée qu’il se fait et de l’Europe en proie aux menaces de Vladimir Poutine, et de la gauche complètement décomposée idéologiquement par Jean-Luc Mélenchon qui l’a incroyablement humiliée.
« Nous voulons faire élire des députés dans une majorité de circonscriptions, pour empêcher Emmanuel Macron de poursuivre sa politique injuste et brutale (RSA sous condition de travail gratuit et retraite à 65 ans) et battre l’extrême droite. (…) Le Premier Ministre serait issu du plus grand groupe à l’Assemblée, soit Jean-Luc Mélenchon. » (FI et le PS, le 4 mai 2022).
Après un accord avec les écologistes le 2 mai 2022, un accord avec les communistes le 3 mai 2022 (un accord sur un autre programme que la veille !), les apparatchiks de France insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon, ont signé un accord avec les socialistes du PS ce mercredi 4 mai 2022. Sur encore un autre programme ? L’accord devra être ratifié au conseil national du PS qui aura lieu le 5 mai 2022 à 19 heures. Au conseil national du 20 avril 2022, le PS avait donné mandat à ses négociateurs de préparer un accord avec FI par 160 voix pour, 75 contre et 10 abstentions.
Pour dire clairement, on sent le parfum de la puanteur des combinaisons politiciennes de l’époque révolue de la Quatrième République, une atmosphère opaque de cuisine électorale qui ne fait pas honneur à la politique et encore moins à FI, mais c’est probablement un avant-goût du programme sur les institutions que ce parti voudrait mettre en place sous la dénomination "sixième république". On croit rêver car FI continue encore la fuite en avant en engageant des négociations maintenant avec… les dirigeants du NPA, le parti de Philippe Poutou.
Autant dire que le PS n’est plus le PS. D’ailleurs, dès le 3 mai 2022, l’ancien (et dernier) Premier Ministre socialiste Bernard Cazeneuve avait mis en garde ses camarades du PS : si le PS conclut un accord avec FI, alors, ce sera sans lui, il quittera le PS.
C’est aussi ce que vient de dire l’ancien Ministre de l’Agriculture, actuel maire du Mans, Stéphane Le Foll le 3 mai 2022 aux "4 Vérités" sur France 2 : il envisage sérieusement de quitter le PS si cet accord esit ratifié, insistant sur le fait que la perspective d’une victoire de la gauche aux élections législatives « est une fable, un leurre ». Il est prêt à prendre la tête des dissidents qui resteraient en lice dans certaines circonscriptions malgré l’accord. Ancien premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis a aussi appelé à refuser cet accord.
L’ancien Président François Hollande, un peu responsable de l’état dans lequel se trouve aujourd’hui son parti et qui avait prévu de relancer le PS après les législatives sous sa bannière, va être obligé benoîtement de quitter aussi le PS qui lui est devenu complètement étranger. Pourtant, c’était encore récent, il y a juste dix ans, c’était le hollandisme triomphant, avec un PS qui n’avait jamais été aussi fort de toute l’histoire de la République depuis que le courant socialiste existe, y compris à l’époque faste de François Mitterrand : à l’époque, le PS détenait ou contrôlait la majorité des grandes villes, la majorité des départements, la majorité des régions, la majorité absolue au Sénat depuis septembre 2011 (une première historique, qui ne s’est pas renouvelée en 2014), et avec l’élection de François Hollande au printemps 2012, l’Élysée, Matignon, la grande partie du gouvernement et la majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Il est invraisemblable d’avoir dilapidé ce si fort capital institutionnel en quelques années au point de ne même pas avoir osé se représenter à sa réélection en 2017.
Qui est Olivier Faure ? Serait-ce un cheval de Troie du trotskisme le plus archaïque ? Premier secrétaire du PS depuis le 29 mars 2018, réélu à la tête du PS le 18 septembre 2021 à Villeurbanne, il dirige un parti qui vient d’accepter de revenir sur les lois qu’il avait lui-même présentées, défendues et adoptées, et, le pire, c’est qu’il a accepté de faire du Viktor Orban sur la scène européenne, à savoir de refuser des directives européennes si cela ne lui convenait pas !
Le PS est un parti qu’on fui depuis 2017 : certains vers le macronisme (Jean-Yves Le Drian par exemple, et bien d’autres encore jusqu’à maintenant) ; certains comme Benoît Hamon, pourtant représentant officiel du PS à l’élection présidentielle de 2017, vers un parti nouvellement créé qui se moque du monde par son nom inclusivé, Générations (qui a aussi eu un accord aux législatives avec FI) ; d’autres vers les écologistes (comme Delphine Batho, la ministre renvoyée, qui a récupéré une coquille vide, Génération Écologie) ; et maintenant, le dernier carré des fidèles se fond dans le mélenchonisme.
Pendant ce temps, Emmanuel Macron essaie de ramasser à la petite cuillère quelques bonnes cavalières, comme Valérie Rabault, présidente du groupe PS à l’Assemblée Nationale, qui a annoncé qu’elle avait été contactée pour Matignon et qu’elle avait refusé. Mélenchon à Matignon n’est finalement plus si invraisemblable que ça !!
En tout cas, Jean-Luc Mélenchon a atteint l’objectif qu’il s’était fixé quand il a quitté le PS en 2008, alors qu’il doit tout au PS, son mandat de sénateur de 1986 à 2009, ses mandats locaux, en particulier de numéro deux du conseil général de l’Essonne. Cet objectif, c’était de tuer le PS, et le PS, toujours aussi vaillamment, l’a devancé ! Il s’est suicidé ce 4 mai 2022.
Car sur le plan du programme, c’est une reddition complète, une déroute idéologique : SMIC à 1 400 euros nets, blocage des prix de première nécessité, abrogation de la loi El-Khomri, planification écologique, abrogation des lois contre le séparatisme, "sixième république", retraite à 60 ans pour tous (« avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles »). Objectif également a été fixé de « mettre fin a cours libéral et productiviste de l’Union Européenne et construire un nouveau projet au service de la bifurcation écologique et solidaire ». Bref, le PS, l’ex-énorme parti gouvernemental hégémonique, se range dans la case d’un groupuscule gauchiste anticapitaliste et irresponsable. À 1,7%, c’est son destin !
Quand Olivier Faure avait fait le déménagement de la rue de Solferino à Ivry, pour des raisons financières, il avait argumenté sur le fait qu’il fallait se rapprocher de ses électeurs. Conclusion, les journalistes ne se déplacent même plus à ce siège décidément trop éloigné de la vie parisienne, et maintenant, le premier secrétaire songe à redéménager pour revenir à Paris intra muros. Le problème, c’est qu’il ne peut plus se rapprocher de ses électeurs, ils seront maintenant introuvables.
Quand on parle de Paris, on se dit alors : mais qu’en pense Anne Hidalgo, la stoïque candidate du PS ? Eh bien, rien, et elle a bien insisté, enfin, son entourage : elle n’a pas l’intention d’avoir une seule chose à dire sur le sujet, elle n’a « pas l’intention de sortir de son silence » et préfère « se concentrer sur Paris ». On sait cependant qu’elle n’est pas contente du tout que sa protégée Lamia El Aaraje (ex-députée invalidée) ne soit pas retenue pour l’investiture dans la 15e circonscription de Paris qui sera dévolue à… la militante FI Danielle Simonnet. Se braquer toute la fédération du PS de Paris n’est peut-être pas productif, mais en 2022, combien encore de batillons parisiens dans le parti ? Climat de faillite.
Et cela donne une idée de la nature des accords que négocie FI : en fait de programme, ce parti s’en moque. Si c’était si long, c’était parce qu’il fallait discuter des 577 circonscriptions. En fait, les discussions, qui ont duré deux jours et deux nuits, n’ont porté que sur 70 circonscriptions. Rappelons que le PS est le parti de gauche qui a le plus de députés sortants (28) mais qui a fait le score le plus faible (excepté le NPA quasi-équivalent).
C’est ni plus ni moins de la cuisine électorale, ce qu’il y a de plus nauséeux dans la pratique politique et qui encourage l’abstention. Et c’est là, la contradiction : le principal adversaire de FI, c’est l’abstention. Parce que arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle, le parti de Jean-Luc Mélenchon risque de se retrouver aussi, dans la plupart des circonscriptions, en troisième position. Or, pour atteindre le second tour, en troisième position, il faut au moins 12,5% des inscrits, soit, avec une abstention équivalente à 2017, entre 25% et 30% des suffrages exprimés. Autant dire qu’à l’exception de quelques dizaines de circonscriptions bien ancrées à gauche, l’alliance appelée NUPES : Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale a peu de chance d’arriver au second tour.
Une grande cérémonie d’investiture aura lieu à Aubervilliers le 7 mai 2022, pour acter l’absence de candidat FI dans 100 circonscriptions au profit de EELV (dont 30 gagnables), 70 au profit du PS et 50 au profit du PCF (dont 16 gagnables). Les négociateurs du PS ont estimé que leur parti avait été bien servi au regard des 1,7% de la présidentielle, sans pourtant prendre en compte que le PS est un parti très bien implanté qui a su encore être victorieux dans beaucoup de municipalités en 2020 et de conseils régionaux en 2021. Ces négociateurs du PS ont oublié de comprendre que les 22% de Jean-Luc Mélenchon sont venu d'un vote utile et que le vrai mélenchonisme électoral ne valait que 10% à 12%.
Comme disait Stéphane Le Foll, c’est un leurre d’imaginer un gouvernement Mélenchon, c’est un ballet des Nupes (c’est facile, j’ai déjà lu ce jeu de mots), mais Jean-Luc Mélenchon s’en fiche, son truc, c’était de tuer le PS, qu’il ait capitulé sans condition à ses pieds, et l’avenir de la gauche ne pourra ainsi plus passer par le PS, car il n’existera plus, tout le monde l’a fui, d’une manière ou d’une autre. De là à construire un nouveau mouvement avec plein d’espérance pour les années 2030, on peut légitimement en douter quand on le voit discutailler avec le PCF et NPA, symboles résiduels d’un siècle qui n’en finit plus de se consumer en France…
« Notre peuple, bien qu’aient été sauvées son intégrité et son indépendance, bien qu’il ait su s’éviter à lui-même les grandes convulsions intérieures, bien qu’il ait repris son labeur avec courage au milieu des ruines, éprouve parfois une sorte de doute amer et s’interroge avec quelque angoisse sur ce que sera l’avenir. » (De Gaulle, le 7 avril 1947 à Strasbourg).
Il y a soixante-quinze ans, le 7 avril 1947 à Strasbourg, devant l’hôtel de ville, De Gaulle, alors ancien Président du Conseil, a prononcé un discours qui a jeté les bases du Rassemblement du Peuple Français (RPF), un "rassemblement" ou un "mouvement" politique qui ne se voulait pas être un "parti" car son premier objectif était de dénoncer le "régime des partis" dans lequel la Quatrième République avait conduit la France.
De Gaulle créant un parti politique, c’était un scoop alors qu’il s’était toujours refusé à en créer, au nom de l’unité nationale (il représentait la France, pas une partition de la France). La plupart des résistants se sont retrouvés au sein du nouveau parti démocrate-chrétien, le MRP (Mouvement républicain populaire), comme Maurice Schumann, Louis Terrenoire et Edmond Michelet, au sein du parti radical, comme Jacques Chaban-Delmas et Michel Debré, et, pour les résistants communistes, au sein du PCF, qui fut, à la Libération, avec le MRP, l’un des deux partis les plus forts électoralement.
Le 21 janvier 1946, De Gaulle a quitté la direction du gouvernement, considérant que les partis venaient de sombrer dans les divisions politiciennes. En particulier, le divorce a eu lieu avec le MRP, mouvement qui soutenait le régime parlementaire, alors que De Gaulle, au contraire, souhaitait un exécutif fort, qu’il a décrit lors d’un célèbre discours à Bayeux le 16 juin 1946. Il pensait qu’il allait être rapidement rappelé au pouvoir, mais le jeu politique l’a emporté et s’est déroulé sans lui, marginalisé. Après une première tentative ratée de référendum, la Quatrième République est née laborieusement de combinaisons politiciennes et d’un référendum approuvé le 13 octobre 1946 par lassitude (seulement par 9 des 25 millions d’électeurs). Le 10 novembre 1946 enfin, furent élus les premiers députés de la Quatrième République.
De Gaulle s’est alors muré dans un silence pendant tout l’hiver et le 30 mars 1947, il est réapparu à Bruneval pour prononcer un premier discours à l’occasion d’un monument commémorant la Résistance où il a affirmé envisager la création d’un mouvement politique qu’il a confirmé le 7 avril 1947 à Strasbourg : « La Constitution en vertu de laquelle tous les pouvoirs publics procèdent dans leur source et reposent dans leur fonctionnement d’une manière directe et exclusive sur les partis et sur leur combinaison, cette Constitution a été acceptée par 9 millions d’électeurs, rejetée par 8 millions, ignorée par 8 millions, mais elle est entrée en vigueur. On voit, maintenant, ce qu’elle donne. Il est clair que la France n’a pas, à sa tête, à l’heure qu’il est, un État dont l’efficience, l’autorité soient à la hauteur des immenses problèmes qui se posent à elle. (..) Nous zigzaguons sur une route bordée de précipices. Faudra-t-il donc que nous demeurions indéfiniment dans cet État ruiné, exaspérant, où des hommes qui travaillent à une même tâche opposent organiquement leurs intérêts et leurs sentiments ? (…) La République que nous avons fait sortir du tombeau, où l’avait ensevelie le désespoir national, la République, dont il faut qu’elle se confonde maintenant avec notre rénovation. La République sera l’efficience, la liberté et la concorde ou bien elle ne sera rien que désillusion et impuissance (…). Il est temps que se forme et que s’organise le rassemblement du peuple français. ».
Son discours à Strasbourg a donc marqué un véritable retour politique de De Gaulle, alors que la veille, il avait célébré à Strasbourg le second anniversaire de la libération de l’Alsace qui avait été annexée par l’Allemagne dès 1940.
La création formelle du RPF a eu lieu le 14 avril 1947, suivie d’une conférence de presse de De Gaulle, entouré de Jacques Soustelle et du capitaine Guy, le 24 avril 1947 à la salle de la Maison de la Résistance, rue François-Ier à Paris, une salle beaucoup trop petite pour accueillir la myriade de journalistes venus l’écouter présenter le RPF : « Je déplore de choquer peut-être certaines de nos habitudes et de nos traditions, fort souvent très respectables, mais je constate que dans la France telle qu’elle, étant donné les partis tels qu’ils sont, ceux-ci ne peuvent pas fournir à ce sentiment commun le cadre nécessaire ; ils ne peuvent pas créer le sentiment nécessaire pour appuyer une politique déterminée. ».
Dans son communiqué le 14 avril 1947, De Gaulle a affirmé à la presse : « Pour marcher droit vers son but, il faut que la nation soit guidée par un État cohérent, ordonné, concentré, capable de choisir et d’appliquer impartialement les mesures commandées par le salut public. Le système actuel, suivant lequel des partis rigides et opposés se partagent tous les pouvoirs, doit donc être remplacé par un autre où le pouvoir exécutif procède du pays et non point des partis, et où tout conflit insoluble soit tranché par le peuple lui-même. Cela, chaque Français le sent. Aujourd’hui est créé le Rassemblement du peuple français. J’en prends la direction. Il a pour but de promouvoir et de faire triompher, par-dessus nos divisions, l’union de notre peuple dans l’effort de rénovation et la réforme de l’État. J’invite à se joindre à moi, dans le rassemblement, toutes les Françaises et tous les Français qui veulent s’unir pour le salut commun, comme ils l’ont fait hier pour la libération et la victoire de la France. ».
Les quatre grands axes du RPF étaient ainsi présentés : réforme constitutionnelle, anticommunisme, troisième voie économique avec l’alliance capital-travail (ce fut la participation), enfin, souveraineté française dans les territoires d’Outre-mer, ce qui voulait dire concrètement la lutte contre l’influence soviétique en Afrique. L’idée était de rassembler politiquement tous les gaullistes et de contrôler, organiser et guider ce qu’était le gaullisme.
Le RPF était structuré avec des fédérations départementales, et le patron était le secrétaire général, poste confié à Jacques Soustelle le 14 avril 1947 qui précéda Louis Terrenoire en 1952 et Jacques Foccart en 1954. Parmi les adhérents du RPF, on retrouvait des expérimentés comme des très jeunes : Jacques Baumel (président du groupe UDSR avant le RPF), René Capitant, Jean Charbonnel, Robert Poujade, Jean Royer, Jacques Debû-Bridel, Roger Frey, Jacques Chaban-Delmas, Christian Fouchet, Léon Noël, Edmond Michelet, André Malraux, etc. Le trésorier était le normalien René Fillon, oncle de François Fillon et fondé de pouvoir chez Rothschild qui a introduit Georges Pompidou à cette banque.
Ce fut une grande réussite, car la création du RPF répondait à une forte attente d’une partie des Français. Un demi-million de Français ont adhéré au RPF en quelques mois, le mouvement est devenu un parti de masse, composé surtout de classe moyenne et beaucoup plus féminisé que les autres partis (car il y a eu beaucoup de femmes résistantes). Il y a eu à la fois des maurrassiens (Pierre de Bénouville par exemple), des modérés et des républicains de gauche comme Jacques Soustelle, René Capitant, André Malraux, etc.
Il est assez rare que se forment des partis politiques ex nihilo, émanant surtout de son fondateur. À ma connaissance, il n’en a eu que deux qui ont su s’imposer dans le paysage politique depuis la Libération, le RPF (qui a donné ensuite l’UNR, l’UDR, le RPR, l’UMP et LR) et En Marche fondé par Emmanuel Macron le 6 avril 2016 à Amiens (qui a donné LREM), qui tous les deux, ont réussi à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée Nationale (en 1968, 2002 et 2007 pour l’un, 2017 pour l’autre). Le mouvement Reconquête lancé par Éric Zemmour le 5 décembre 2021 à Villepinte pourrait en être un troisième, mais reste à connaître son audience électorale réelle dans le pays, car sinon, on pourrait aussi compter de nombreux micro-partis personnels qui ont également été créés depuis une cinquantaine d’années, mais sans influence déterminante dans la vie politique.
Les débuts du RPF furent prometteurs : dès les élections municipales des 19 et 26 octobre 1947, ce fut un raz-de-marée pour les gaullistes, recueillant 40% des suffrages, gagnant de nombreuses grandes villes dont Paris (Pierre De Gaulle), Marseille, Lille, Strasbourg, Grenoble, Bordeaux (Jacques Chaban-Delmas), Renne, Nantes, Angers, Besançon, Le Mans, Tours, Le Creusot, etc., souvent au détriment des communistes. Ce qui a montré une organisation très efficace et une implantation généralisée sur tout le territoire (au contraire de LREM qui a toujours peiné dans les élections locales depuis 2017).
Mais les partis du "système" (de la Troisième force : SFIO, radicaux, MRP, CNIP) ont réagi avec efficacité contre le RPF en faisant voter la réforme électorale (loi des apparentements du 9 mai 1951) qui avait pour but de casser les dynamiques électorales du RPF et du PCF. Et effectivement, les élections législatives du 17 juin 1951 furent un échec pour les gaullistes et les partis de la Troisième force ont pu gagner une majorité de 402 sièges au lieu des 301 qu’ils auraient dû obtenir avec l’ancien mode de scrutin. Résultat, deuxième force du pays avec 21,8% (derrière le PCF à 25,9%), le RPF n’a obtenu que 121 sièges sur 626 et n’a pas pu réellement peser (l’objectif du RPF était de faire élire 200 députés).
Les crises politiques qui se sont succédé après ces élections ont provoqué des divisions au sein des gaullistes. Jacques Soustelle fut même pressenti pour diriger un gouvernement de coalition mais y renonça à cause du refus de De Gaulle, mais d’autres députés RPF (vingt-sept députés dont Édouard Frédéric-Dupont) ont quand même soutenu Antoine Pinay lors de son investiture de Président du Conseil le 8 mars 1952. D’autres députés RPF se sont éloignés de De Gaulle pour d’autres raisons. Les élections municipales des 26 avril et 3 mai 1953 furent une défaite pour les gaullistes qui ont perdu la plus grande partie des villes conquises en 1947 (le nombre de suffrages est passé de 40% à 10% !), perdant notamment Paris, Marseille (Gaston Defferre élu maire), Châlons-sur-Marne, etc.
L’échec aux municipales de 1953 a démobilisé De Gaulle qui a redonné leur liberté aux députés RPF ; eux-mêmes ont créé le groupe des Républicains sociaux jusqu’en novembre 1958. Pour De Gaulle, l’échec provenait des élus de droite qui n’avaient plus peur du PCF (réduit) et donc, qui pensaient pouvoir se passer de De Gaulle et aller à la soupe. Pour d’autres, c’était l’hétérogénéité du recrutement des adhérents du RPF qui a provoqué les profondes divisions (comme plus tard pour LREM, le RPF acceptait la double appartenance avec un autre part, mais les autres partis refusaient cette double appartenance). Le RPF fut mis en sommeil officiellement le 13 septembre 1955 mais tous les réseaux du RPF ont servi à préparer le retour politique de De Gaulle en mai 1958.
Le journal "La Croix" du 14 avril 2017 a retrouvé dans ses archives les déclarations de De Gaulle au cours de sa conférence de presse du 24 avril 1947, où il confirmait que sur seulement 40 départements structurés, des centaines de milliers d’adhésions étaient déjà arrivées. Les journalistes ont posé de nombreuses questions dont certaines étaient très intéressantes.
Sur la politique américaine, De Gaulle a expliqué : « [Je l’ai] rencontré tout de suite après la libération de la France et [connaissais] ses sentiments. Le Président Truman demeure fidèle à la politique traditionnelle américaine qui consiste à défendre la liberté même hors du nouveau monde, à soutenir partout le droit des peuples et des individus à disposer d’eux-mêmes. La tradition américaine s’apparente à la tradition française. À Strasbourg presque en même temps que le Président Truman et, bien sûr, sans que nous ne nous soyons concertés, j’ai tenu un langage qui n’était pas sans analogies avec le sien. ».
Sur le fait qu’il n’ait pas voulu proposer "sa" propre Constitution à Libération, De Gaulle a confié : « Je dois vous faire une confession publique. En août 1944, je n’ai pas cru devoir ouvrir moi-même une controverse constitutionnelle. Souvenez-vous. Nous étions en guerre contre l’Allemagne et le Japon. On s’est même battu contre le Japon jusqu’en septembre 1945, c’est-à-dire jusqu’à la veille des élections pour l’Assemblée Constituante. Je comptais sur la raison et la réflexion de mes concitoyens pour parvenir peu à peu à un régime démocratique bien organisé. Je suis intervenu plus tard, quand le débat s’est trouvé ouvert. Je ne suis pas surpris que nous ne soyons pas arrivés à une situation définitive, puisqu’il avait fallu cinq ans dans une période beaucoup moins troublée pour élaborer la Constitution qui devait d’ailleurs être révisée plusieurs fois. ».
Sa démission en janvier 1946 : « Quand je n’ai plus senti derrière moi ce rassemblement actif, je m’en suis allé, car je n’aurais plus servi à rien. ».
Les accusations de pouvoir personnel : « On parle beaucoup à mon propos de plébiscite, de pouvoir personnel. Il faudrait s’entendre sur les mots. Il y avait plébiscite en France quand un homme, après avoir pris le pouvoir, faisait ratifier cette conquête par le peuple. Moi, je suis revenu d’Égypte et je n’ai pas étranglé la République. Si être pour le pouvoir personnel, cela veut dire que l’on doit prendre pour soi toutes les responsabilités de la tâche à laquelle on s’est attelé, alors oui, je suis pour le pouvoir personnel. ».
Accusé à l’époque d’être un nouveau général Boulanger, De Gaulle a finalement prononcé des mots (la dernière citation) que pourrait aujourd’hui prononcer Emmanuel Macron dans sa manière de gouverner la France. En d’autres termes, Emmanuel Macron a été l’enfant idéalisé d’un De Gaulle qui recherchait avant tout l’efficacité dans la défense de la souveraineté de la France. Reste à savoir si le peuple suivra, car pour De Gaulle, cela n’a été qu’épisodiquement…
« Les journalistes sont, pour les politiques, des ustensiles à manipuler avec précaution et répugnance : des gens à renifler jusque dans les poubelles et à prononcer des jugements injustes, forcément injustes. Dès que nous avons tourné les talons, nous faisons les frais de cette haine recuite que nous suscitons. Les pisse-vinaigre, tout ce qui scribouille, c’est nous. » (Philippe Alexandre, 2011, éd. Plon).
L’éditorialiste politique Philippe Alexandre fête ce lundi 14 mars 2022 son 90e anniversaire. C’est l’occasion de proposer quelques unes des réflexions de ce journaliste qui a commencé sa carrière dans "Combat", le journal de Camus. Il est, avec Alain Duhamel, l’un des deux journalistes politiques qui connaissent probablement le mieux les mécanismes de la Cinquième République. Certes, il y en a beaucoup d’autres, comme Michèle Cotta, Christine Clerc, Catherine Nay, etc. mais eux deux ont une connaissance très marquante et passionnée des institutions et une connaissance aiguë des acteurs qui les ont fait fonctionner pendant plus d’une cinquantaine d’années.
À la différence d’Alain Duhamel plutôt consensuel, qui dirait plutôt "oui" à ses interlocuteurs, Philippe Alexandre est plutôt le rebelle, celui qui dirait "non", qui fustige tous les responsables politiques d’autant plus qu’ils ont du pouvoir. À tel point d’ailleurs que Philippe Alexandre était craint par toute la classe politique pour son sens de la formule, lui qui, chaque jour, apportait sa ration de fiel du matin sur RTL d’avril 1969 (la démission de De Gaulle) à juin 1996 (en pleine impopularité du gouvernement Juppé). La station de radio indépendante a eu de nombreuses pressions contre son chroniqueur maison mais elle l’a toujours protégé comme si c’était sa pépite. La "victime" pour qui il a eu la dent la plus dure fut sans aucun doute Martine Aubry, attaquée avec virulence pour ses 35 heures (ce qui lui a valu un pamphlet coécrit avec Béatrix de l’Aulnoit sorti en 2002).
Son CV, il est un peu spécial : « En politique, les rares qui subsistent sont confinés dans l’anonymat. Dans le journalisme, c’est pareil. Je me flatte d’être l’un des derniers à n’être pas passé ni par une école spécialisée ni par Science Po. J’ai publié mon premier article à 19 ans et j’ai appris mon métier grâce à des rédacteurs en chef qui me faisaient recommencer huit fois un entrefilet et me disaient : "Finalement, c’est la première version qui est la bonne". Quant à la politique, je l’ai apprise sur le tas, dans les congrès ou les corridors, en observant des maîtres comme il n’y en a plus, les Edgar Faure, Defferre ou Chaban-Delmas. » (2011).
Parmi ses nombreux ouvrages (écrits seuls ou coécrits), Philippe Alexandre a marqué, au-delà de cette diatribe contre la fille de Jacques Delors, par la publication en 1969 chez Fayard de son livre sur mai 1968 ("L’Élysée en péril : les coulisses de mai 68"), par "Paysages de campagne" (chez Grasset) qui retrace la campagne présidentielle de 1988 et par son "Dictionnaire amoureux de la politique" sorti en 2011 chez Plon. Ses derniers ouvrages sont soit autobiographiques ("Ma tribu plus que française" en 2017 chez Robert Laffont) soit biographiques ("Clementine Churchill, la femme du Lion" en 2015 chez Tallandier et "Thomas Cook, l’inventeur des voyages" en 2018 chez Robert Laffont).
Ce chroniqueur à l’aise autant à l’oral (RTL), à la télévision (France 3, "Dimanche soir" avec Christine Ockrent et Serge July) qu’à l’écrit (par exemple, au "Bien public" de 2007 à 2009) n’a jamais voulu entrer dans le paradigme des journalistes copains des politiques pour pouvoir garder ses distances et son indépendance même psychologique avec le monde politique. Je propose ici quelques échantillons issus de ses différents ouvrages ou chroniques.
I. De "L’Élysée en péril : les coulisses de mai 68" (Fayard)
1. Portrait d’un Valéry Giscard d’Estaing, alors jeune espoir : « En 1968, Giscard est la bête noir du Premier Ministre. Il a été, jusqu’en 1966, le plus jeune ministre des finances depuis Poincaré en 1894. C’est un aristocrate gourmé, au crâne en forme d’œuf, fasciné par l’Amérique et par Kennedy. Il a été écarté du gouvernement pour avoir affiché, avec une insolente candeur, ses ambitions présidentielles. Depuis, les écrans de la télévision sont pratiquement fermés au benjamin des "grands premiers rôles" de la politique française. Mais, élu président de la commission des finances de l’Assemblée, il darde un œil vigilant sur Pompidou. » (1969).
2. Les gaullistes jusqu’en 1967 : « La porte est ouverte à tout le monde : aux libéraux, aux jacobins, aux maurrassiens et aux socialistes. De Gaulle lui-même s’accommode de ces contradictions. Chemin faisant, des compagnons s’égarent, d’autres rejoignent le cortège. La petite troupe n’a pas de chef ; seulement un guide. » (1969).
II. De "Plaidoyer impossible pour un vieux Président abandonné par les siens" (Albin Michel)
3. Récupération : « En politique comme en spéculation, on pratique souvent la méthode du coucou, en s’installant dans un nid abandonné. » (1994).
III. Du journal "Le Bien Public" (chroniques)
4. L’Europe dans la crise financière : « S’il n’y a pas d’Europe quand le monde tremble, quand donc y en aura-t-il une ? » (26 septembre 2008).
5.Barack Obama, précurseur du futur Emmanuel Macron : « L’élection de Barack Obama a fait vieillir en une nuit notre façon de faire de la politique : chez nous, c’est une microsociété inamovible qui tient les affaires du pays en pratiquant effrontément le copinage et le népotisme. » (6 novembre 2008).
6. Sur Dominique Strauss-Kahn, scandale sexuel version 2008 : « La vie politique française est une espèce de feuilleton dont les ingrédients sont le dérisoire, l’absurde et parfois, le comique d’alcôve. » (20 octobre 2008).
7. Sur la décision du gouvernement de raser les maisons en "zone noire" du littoral à la suite de la tempête Xynthia : « La quasi-totalité de nos conflits sociaux tourne autour de cette incapacité à dialoguer de bonne foi et de bonne intelligence. Le gouvernement lui-même propose souvent le débat lorsque sa décision est déjà arrêtée. » (16 avril 2010).
8. Sur Daniel Bouton et le scandale de la Société Générale et la perte de 4,9 milliards d’euros par un trader (Jérôme Kerviel) : « À la Société Générale, ce président forcément brillantissime est entouré d’un régiment d’énarques ayant presque tous à leur actif d’aussi belles carrières de hauts fonctionnaires. Qu’un employé de la banque ait pu "frauder" (ne faudrait-il pas dire détourner) une telle somme au nez de tant de grosses têtes laisse pantois. Plainte a été déposée, naturellement, contre l’auteur de ce "casse" du siècle. Mais M. Bouton et son état-major sont coupables de catastrophiques négligences. En toute société développée, ce devrait être sévèrement sanctionné. » (25 janvier 2008).
IV. Du "Dictionnaire amoureux de la politique" (Plon)
9. Sur François Mitterrand et la folie des grandeurs : « Depuis qu’ils sont désignés par le peuple tout entier, et oints des saintes huiles républicaines, nos Présidents sont sujets à la folie des grandeurs. Leur fera-t-on l’injure de dire que la grandeur du pays leur importe moins que la leur propre, celle qui se mesure au nombre de lignes que leur consacreront les livres d’histoire ? C’est sans doute pour s’assurer une place intangible dans la mémoire du peuple que nos chefs de l’État s’emploient, à nos frais, à inscrire dans la pierre ou plutôt le béton, leur souvenir. » (2011).
10. Les ministres écrivains et les écrivains ministres : « Écrire ? C’est publier qu’il faut lire. Les politiques estiment que toute carrière un tant soit peu d’envergure exige la signature d’un livre qui fera briller le nom de l’auteur dans les librairies. (…) Les écrivains font rarement de bons politiques : Maurice Druon et Max Gallo n’ont pas été des ministres particulièrement efficaces et se sont bien gardés de confier à la postérité le récit de leurs passages respectifs au gouvernement. Mais dans notre République, sans une œuvre pour orner votre curriculum vitae, comme la cerise sur le gâteau, vous serez considéré comme un butor, un plouc, et ne mériterez pas la considération de vos électeurs. Donc il faut publier, et peu importe le jugement de la critique : on comptera le nombre de vos bouquins vendus comme préfigurant celui des suffrages que vous obtiendrez. » (2011). Évoquait-il par anticipation le polémiste et candidat Éric Zemmour ?
11. Changement de paradigme avec le smartphone : « Le portable ne garantit pas plus le secret que jadis les lettre cachetées sous Richelieu. Comme chez le commun des mortels, il provoque déjà dans le monde politique des malentendus, des brouilles, des divorces Il véhicule toute sortes de fables, de mensonges et de calomnies. Un jour, peut-être, déclenchera-t-il des guerres. » (2011).
12. Le verbe haut : « Les hommes politiques, du moins les bons, ont le goût et l’art des mots, savent qu’un mot qui fait mouche vaut cent fois le plus savant discours. » (2011).
13. La vérité en politique : « Dans la vie publique, mentir est une obligation : c’est beaucoup moins dangereux que de parler vrai. » (2011).
14. Les velléités de retrait de la vie politique (en exemple, Alain Juppé) : « Chez un politique d’un peu d’assurance, le renoncement à la vie publique, à sa pompe et à ses œuvres, n’est jamais pris au sérieux. » (2011).
J’oserais ajouter et conclure que les velléités de retraite chez les éditorialistes politiques non plus, ne sont jamais prises au sérieux. Bon anniversaire, monsieur Philippe Alexandre !
« S’il se dégage que c’est à moi qu’il reviendra de tenir le gouvernail, de prendre les rênes, de me bander les muscles (…) et de tenir pour qu’on avance ensemble (…), oui, je serai là. » (Christiane Taubira, le 26 septembre 2021 sur France Inter).
Il y a de l’ego dans la phrase citée, surtout qu’elle est mise en valeur sur son site Internet, mais quel candidat n’a pas d’ego démesuré pour vouloir diriger un pays de 67 millions de Français, toujours en crise et jamais contents ? On peut dire que la dite "primaire populaire" a fait un chouette cadeau d’anniversaire à Christiane Taubira qui fête ce mercredi 2 février 2022 ses 70 ans, âge symbolique, peut-être un tantinet trop avancé pour une aventure présidentielle, mais elle a encore une forme suffisamment dynamique pour porter un projet national.
Parlons d’abord de cette étrange "primaire populaire". Une sorte d’OVNI de la vie politique. Il faut souligner que lorsqu’on se donne un adjectif, c’est toujours que celui-ci n’est pas évident. Populaire, qu’est-ce que cela veut dire ?
C’est une initiative privée provenant d’un groupe non (médiatiquement) identifié (un collectif ? qui se veut transparent) dont certains membres sont d’origines politiques diverses mais tous "de gauche", et si l’on suit l’idée de départ, ils voulaient organiser une véritable primaire avec tous les candidats de gauche avant l’été 2021 puis à l’automne 2021. C’est une sorte de start-up politique avec deux horizons, un horizon technique, construire un outil de choix d’un candidat (c’est à la fois de l’informatique et de la politique, voire de la philosophie), et un horizon politique, faire parvenir un candidat de gauche au second tour, étant donné que dans les sondages, le total des candidats de gauche ferait autour de 25%, faible, mais suffisant pour franchir l’obstacle du premier tour.
L’objectif politique est confondant de naïveté, mais qui dit que la naïveté n’est pas efficace ? La naïveté, c’est de croire qu’on peut rassembler Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Anne Hidalgo autour d’un même programme politique alors qu’ils ne sont d’accord sur rien. Mais cette naïveté politique résulte d’une forte colère politique, que peuvent aussi ressentir des personnes comme moi, placées au centre droit et qui supportent peu la phraséologie de gauche, et qui sont écœurées d’entendre depuis quatre jours l’hésitation de la nièce entre sa tante et l’homme qui exprime le mieux ses propres idées, avant qu’on les farcît de semaines et de semaines de l’épopée zemmourienne.
Comme si le débat public devait être préempté par la guéguerre entre Marine Le Pen et Éric Zemmour. À eux deux, selon les sondages actuels, ils ne représenteraient même pas un tiers de l’électorat : laissons la place aux autres ! Ce sont pourtant bien les médias qui mettent artificiellement en scène ce débat factice, qui, je le pense, va profiter à Marine Le Pen, devenue gentille éleveuse de minous, victime du méchant Zemmour prêt à lui débaucher ses meilleurs cadres pour des illusions postprésidentielles.
L’objectif technique prête aussi à discussion. J’ai cru comprendre, dans une interview, que l’inscrit qui voudrait voter devenait décliner sa carte bancaire, pas pour payer quelque chose mais pour être sûr de son identité. Cela a refroidi quelques participants potentiels. Je sais que les organisateurs ont assuré qu’ils ne conservaient pas les données bancaires, mais voter en présentant en guise de carte d’électeur sa carte bancaire me fait toujours froid dans le dos. Mais avec une telle exposition médiatique, je doute toutefois de l’hypothèse d’escroquerie financière.
En revanche, je ne doute pas du biais du mot "primaire" et de la règle de vote (le jugement majoritaire) qui empêche un recomptage. En effet, dans une élection ordinaire, les suffrages exprimés sont le total des suffrages de chaque candidat, un moyen simple de retrouver ses petits et certains assesseurs se sont arraché les cheveux à retrouver les bons chiffres (au même titre qu’on fait ses comptes : le passif doit être égal à l’actif au centime près). Ici, impossible de faire ces vérifications élémentaires (qu’on pourrait dire inutiles puisque le vote est électronique), parce que l’électeur a plusieurs droits de vote. Effectivement, le total des voix de tous les candidats ne fait pas 100% mais beaucoup plus. Cette complexité rend douteuse la conclusion du vote.
En somme, l’électeur ne vote pas, il annote, il pondère, il qualifie : il donne à chaque candidat une note de 1 à 5 et c’est celui qui a le plus de bonnes notes qui gagne. Cette méthode, qui permet d’éliminer un candidat très clivant et détesté mais qui serait le meilleur relativement aux autres moins clivants, reste douteuse dans sa philosophie : à la fin, on vote pour un homme ou une femme à l’élection présidentielle, et on sait bien que les personnes ne sont jamais interchangeables.
Alors, la "primaire populaire", c’est l’idée que si les appareils sont incapables de se rassembler, alors cela doit venir de la base, d’où l’adjectif "populaire". Le problème, c’est que la base, c’est n’importe qui et que le peuple, c’est tout le monde. Bref, tous les candidats, dès lors qu’ils représentent au moins un certain nombre d’électeurs (des centaines de milliers ? le seuil à définir), peuvent se revendiquer "populaires". Heureusement d’ailleurs.
Deux ou trois innovateurs politiques sont-ils "le peuple" ? Certainement pas, mais depuis novembre 2021, il faut bien constater qu’il y a eu une forte mobilisation jusqu’à 466 895 inscriptions (en peu plus en fait, mais il y a eu des suppressions), c’est-à-dire quasiment un demi million. C’est très important si l’on compare aux inscrits de la primaire écologiste de septembre 2021 ou au congrès LR de décembre 2021. Mais cela reste faible en part électorale. Insistons : cette "primaire" est née d’une manière plus que douteuse, sans savoir s’il y a une véritable sincérité (très naïve) ou simplement une manipulation politicienne classique (et il faudra alors en définir l’intérêt).
J’ai écrit "start-up" volontairement, car les créateurs de l’initiative ont réussi à lever des fonds, plusieurs centaines de milliers d’euros, ce qui leur a permis de salarier des personnes dans cette aventure (au 21 janvier 2022, ils ont collecté 1 000 344 euros par les dons de 22 535 personnes).
On pourrait presque dire, finalement, qu’ils ont créé un parti ex nihilo, basé sur la technique et sur la colère de l’absence d’unité de la gauche. C’est clair que c’est original, inédit et surtout, il est difficile d’en penser quelque chose avant encore trois ou quatre jours. En effet, jusqu’en novembre 2021, on pouvait soit se moquer de cette démarche soit en être indifférent, mais maintenant que des centaines de milliers de Français ont participé, c’est moins évident de faire comme s’il ne s’était rien passé. Reste donc les sondages, toujours ces sondages, pour savoir si cela va faire bouger les lignes.
Les cadres de cette primaire ont cherché à faire converger aussi les programmes de gauche, ce qui reste mission impossible, mais je constate que le slogan de cette primaire est la même double priorité que celle de Yannick Jadot : l’écologie et la justice sociale. Déjà utilisée par Anne Hidalgo pour la mairie de Paris, cette formule bientôt ne voudra rien dire. Même à la droite extrême, on serait d’accord avec ces deux préoccupations. Bref, ça ne mange pas de pain, mais n’a rien d’un "délimitateur" de la gauche.
Quatrième et dernier vice d’origine, après l’origine de la démarche (sincérité ou manipulation), le choix douteux du mode de scrutin et l’absence réelle de synthèse programmatique (dont quasiment tout le monde se moque pour aller voter à l’élection présidentielle), c’est le choix des candidats à cette primaire.
Il semblerait qu’il eût fallu des parrainages pour être en situation de postuler. C’était probablement trop tard, mais hier, j’ai tenté ma chance (a posteriori) chez Christiane Taubira et, sans le vouloir en fait, en mettant une adresse email qui n’a même pas été validée, j’ai fait incrémenter le nombre de "parrains" (son site affiche fièrement ce dimanche : "72 429 signatures". Parmi lesquelles la mienne, sans le savoir (heureusement en anonyme). Je crois cependant savoir (là encore, cela ne m’intéresse pas assez pour rechercher plus loin) que les initiateurs ont finalement abandonné l’obligation d’un seuil de parrainages.
Ainsi, plusieurs candidatures se sont présentées : Christiane Taubira (assez tardivement, le 15 janvier 2022), mais aussi, toujours prêt à partir, le candidat permanent à tous les râteliers, Pierre Larrouturou, qui a réussi à se faire élire (enfin) député européen sur la liste du PS, après être allé un temps chez EELV, et encore avant il était à l’UDF et au RPR (dans les années 1990) pour faire du lobbying sur la durée du temps de travail, il a, depuis deux ou trois élections présidentielles, cherché à obtenir les fameux parrainages des maires pour se présenter ; une ancienne adjointe socialiste de la ville de Rennes, Charlotte Marchandise ; et une étudiante quasi-anonyme qui est devenue la "cancre" utile de cette consultation. On voit, l’offre était réduite et l’issue évidente. Depuis 1848, et quoi qu’en dise Lamartine, c’est la notoriété qui l’emporte sur l’adhésion populaire dans une élection uninominale : on ne vote jamais pour un inconnu, on vote toujours si on a des arguments en faveur du candidat ; ce serait le véritable défi de Valérie Pécresse si d’aventure elle se retrouvait au second tour face à Emmanuel Macron.
Pour que cette primaire ait une signification politique, les organisateurs ont donc fait leur "marché" de candidats et ont rajouté Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, François Ruffin, Clémentine Autain et Gaël Giraud (jésuite et économiste, une personnalité hors du commun). Ils ont renoncé à inscrire sur la liste des candidats les trois derniers cités dans la mesure où ils n’ont jamais eu l’intention d’être candidats à l’élection présidentielle de 2022. En revanche, ils ont maintenu les trois premiers candidats sous prétexte qu’ils le sont effectivement.
Le problème, c’est que ces trois candidats ont refusé catégoriquement de participer à cette primaire, eux-mêmes, pour certains, désignés déjà par une (autre) primaire. En obligeant des personnalités à être candidates contre leur volonté, la question se pose sérieusement sur la sincérité du scrutin. Un avocat a même affirmé l’illégalité de cette primaire (dans une tribune au JDD le 15 janvier 2022) car cette primaire ne serait pas une primaire mais un sondage, puisqu’il y a un choix non voulu entre plusieurs personnalités. Or, les sondages sont très strictement encadrés par une réglementation rigoureuse sur le choix de la méthodologie.
Les organisateurs rejettent cette notion de sondage (leur avocat a fait lui aussi une tribune au JDD le 17 janvier 2022) car ceux qui ont voté n’ont rien d’un échantillon représentatif (et de quoi ? puisqu’il n’y a pas que des candidats de gauche, dans la vraie vie). Je ne sais pas s’il y aura une tournure judiciaire dans la suite posthume de cette primaire, mais il est certain que la nature de ces presque 500 000 inscrits pose question, au moins par curiosité : ne sont-ils que des cadres CSP+ un peu bobo sur les bords, ou certains viennent-il vraiment des milieux "populaires", ici au sens "défavorisés" ?
De plus, la candidature de Fabien Roussel (j’y reviendrai) n’a pas été retenue, ce qui ne l’a pas beaucoup ému puisqu’il n’y prêtait aucune attention, mais cela reste étonnant. Dans son FAQ, les organisateurs ont indiqué qu’entre le 11 juillet et le 11 octobre 2021, ils ont fait sélectionner dix candidats, cinq hommes et cinq femmes, par les 130 000 premiers inscrits (les signataires à leur appel). Comme il en restait au final seulement sept, son absence ne s’explique pas plus, si ce n’est sur un point de son programme : le candidat communiste est favorable à l’énergie nucléaire.
Comme je l’exprime dès le début de cette article, rien ne concourt à rendre les résultats de cette primaire, solides et sérieux pour la suite. Mais on peut croire à un effet magique. La politique, c’est souvent de la magie. Comment expliquer une cristallisation sur un thème ou un candidat et une indifférence sur un autre ? C’est souvent les caprices du temps, effet de mode, ou au contraire, précurseur, ou encore plein d’autres éléments absolument impossibles à déterminer exactement (quand on achète le véhicule le plus innovant techniquement seulement pour sa belle carrosserie, cela peut désarmer les plus compétents des raisonneurs).
Car Christiane Taubira est un "animal politique", et il n’y en a plus beaucoup sur la place publique. Jean-Luc Mélenchon en est un aussi, bien sûr.
Le scrutin a eu lieu du jeudi 27 janvier 2022 à 10 heures au dimanche 30 janvier 2022 à 17 heures 05, pendant lequel 392 738 inscrits ont pris part au vote, soit 84,1% (entre nous, il ne faut pas chercher à comprendre pourquoi 15% de personnes qui ont fait la démarche de s’inscrire n’ont finalement pas voté : elles n’avaient peut-être pas de carte bancaire ?).
Donc, ce dimanche 30 janvier 2022 à 19 heures 12, ce qui devait arriver arriva. Après une introduction longue et laborieuse des organisateurs, la "présidente de la haute autorité de contrôle du vote de la primaire populaire" (ouf), Clara Gérard-Rodriguez est venue à la tribune dévoiler les résultats, et là, terreur ! j’avais l’impression de me retrouver en école primaire dans une distribution des bulletins. Chaque candidat avec un qualitatif "passable", "assez bien". Il manquait juste pour Anne Hidalgo "peut mieux faire".
Impossible, pour le coup, de donner un "chiffre" (élu à 66% par exemple) puisque les totaux dépasseraient les 100%. C’est donc sur un drôle de tableau d’honneur que les résultats ont été "déployés". Et vraiment sans surprise, Christiane Taubira est la première en ligne, avec la mention Bien+ (elle rate de peu le Très Bien, pourtant voulu par 49,4% des votants). Il est communiqué : « 67% des votants et des votantes ont jugé sa candidature au moins "Bien" pour faire gagner l’écologie et la justice sociale". ».
Au-delà de cette infantilisation à ne pas connaître la réalité des adhésions des candidats, il y a quand même une surprise, ou plutôt une humiliation, puisque Pierre Larrouturou a réussi à obtenir une meilleure "note" que la candidate socialiste Anne Hidalgo. En revanche, le fait que Yannick Jadot soit arrivé devant Jean-Luc Mélenchon est logique puisque beaucoup de militants écologistes croyaient au principe de cette primaire (rappelons que Sandrine Rousseau s’était engagée à être candidate à cette primaire-là aussi).
Comme prévu, donc, Christiane Taubira a gagné le droit de faire le rassemblement à gauche et pas le droit d’être candidate en plus des autres. Mais sans doute que là est l’incompréhension entre cette initiative (dont je ne sais que penser) et l’ambition de Christiane Taubira qui s’est servie de cette primaire comme d’un simple tremplin pour "légitimer" sa candidature, et vu le nombre de ses "électeurs", elle est bien plus "légitimée" que ses désormais rivaux de gauche.
Dans sa réaction dans la soirée, Christiane Taubira a fait de l’humour involontaire en disant, comme si elle avait réellement gagné contre ses rivaux de gauche : « Je prendrai l’initiative d’appeler les autres candidats. » et elle les a cités : Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Fabien Roussel. Cela fait résonner une autre démarche, celle de l’ancien candidat Arnaud Montebourg qui s’est filmé en train de téléphoner aux autres candidats de gauche pour faire l’union et il tombait systématiquement sur un répondeur…
Écoutez le discours de Christiane Taubira du 30 janvier 2022 ! Elle savait qu’elle allait gagner, bien sûr, mais son discours montre qu’elle est une candidate beaucoup plus talentueuse qu’Annie Hidalgo et que Yannick Jadot. Dans la forme, d’abord, puisque non seulement elle a une éloquence indiscutable (ce qu’elle partage avec Jean-Luc Mélenchon), aussi sur l’expression, elle utilise des subjonctifs imparfaits (à ma connaissance, il n’y avait que Raymond Barre et Jean-Marie Le Pen à le faire), et elle utilise de nombreuses références littéraires ou historiques.
Nous en arrivons au fond. On peut croire que c’est de la mégalomanie, mais elle a situé son action dans la lignée de Jean Jaurès mais aussi de Léon Gambetta, de Léon Blum, de Pierre Mendès France et de François Mitterrand (elle ne cite pas les deux autres socialistes qui sont arrivés par eux-mêmes au pouvoir Lionel Jospin et François Hollande). C’est curieux d’y inclure Gambetta qui, aujourd’hui, serait placé à droite même si à l’époque, il faisait partie de la "gauche républicaine". Il n’est pas une référence habituelle à gauche depuis un siècle et demi. Dans le discours, il y a eu beaucoup d’autres références plus nombreuses, en particulier Gisèle Halimi et Robert Badinter.
Christiane Taubira n’a rien dit de très particulier mais elle l’a bien dit et même mieux, elle a montré qu’elle pouvait redonner de la fierté et du rêve à une gauche déboussolée. Comme en 2002 (il est faux de dire qu’elle a fait échouer Lionel Jospin, j’ai déjà évoqué ce sujet ici), Christiane Taubira ne prendra probablement pas de voix aux autres candidats de gauche, mais trouvera plus concrètement ses soutiens parmi les abstentionnistes de gauche et aussi, dans une moindre mesure, chez certains électeurs de "gauche morale" qui étaient acquis à Emmanuel Macron.
D’ailleurs, depuis un mois et demi qu’elle se retrouve dans les sondages, elle n’a pas vraiment fait baisser Anne Hidalgo, et à peine les deux autres. Selon les sondages, son capital de voix est proche soit d’Anne Hidalgo (autour de 3%-4%) soit de Yannick Jadot (autour de 5%-6%). Je serai très curieux des semaines prochaines sur ses intentions de voix mais, aussi étonnant et "magique" (!) que cela puisse paraître, je pense qu’elle va bénéficier d’une montée dans les sondages. On sous-estime beaucoup que de nombreux électeurs de gauche nourrissent une véritable "dévotion" pour l’ancienne garde des sceaux. Son discours me paraît très efficace, même s’il reste creux, aussi creux que les principes mis en avant par les organisateurs de la "primaire populaire", écologie et justice sociale, et une troisième pour la route : démocratie renouvelée. Bienvenue en année 2022 !
« Nous disposons aujourd’hui de vaccins pour nous protéger du covid-19. Ils donnent l’espoir de mettre fin à la pandémie, mais seulement s’ils sont accessibles à tous et si nous travaillons ensemble. Se vacciner (…) est un acte d’amour. Et contribuer à faire vacciner la majorité des gens est un acte d’amour : amour de soi, amour de la famille et des amis, amour de tous les peuples. L’amour est aussi social et politique. (…) Il est universel, toujours débordant de petits gestes, de charité personnelle capable de transformer et d’améliorer les sociétés. Se vacciner est un moyen simple mais profond de promouvoir le bien commun et de prendre soin les uns des autres, particulièrement des plus vulnérables. » (Message du pape François, le 18 août 2021).
Et voilà encore une année qui ne finit pas très bien. On se plaît à changer d’année en pensant au mieux du futur, et puis, on se rend compte à la fin que c’était-mieux-avant. Trêve de déprimitude, la fin de l’année 2021 s’achève comme elle a commencé, avec un mot à la bouche, covid-19.
J’ai relu ce que j’écrivais il y a juste un an, le 31 décembre 2020, et je pourrais faire le même exercice : le nombre de décès par covid-19 par exemple, il a doublé en France en un an, mais il a triplé dans le monde. Cette s@loperie de coronavirus, il n’y a pas d’autre mot, était accompagnée dès le début d’un autre mal, le complotisme aigu.
Désormais, la situation est claire. Certains complotistes se sont tus, soit qu’ils sont morts ou qu’ils ont failli mourir, soit qu’ils ont compris qu’on ne doit pas dire n’importe quoi quand un phénomène mondial vole la vie de plus de 5,4 millions d’êtres humains, nombre probablement sous-estimé et s’approchant de 10 à 15 millions. Dire n’importe quoi peut influencer le comportement d’autrui et peut provoquer des morts qui auraient pu être évitées. D’autres complotistes sont toujours en activité, je veux dire par là qu’ils continuent partout où ils peuvent à proférer des sottises qui peuvent coûter la vie de ceux qui les lisent ou écoutent. Je me dis que pour eux, tant mieux, ils en ont encore réchappé et ils sont encore bien vivants, et c’est ce que je souhaite à tout le monde. Mais pour ces derniers, je doute que l’année 2022 leur réserve un avenir radieux. Le véritable tsunami épidémique que subit la France depuis deux semaines (ainsi que principalement le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Espagne et l’Italie) ne va pas offrir l’insouciance d’avant il y a deux ans qu’on pourrait regretter avec nostalgie : la pandémie est bien là et tout est encore possible.
Les centaines de milliers de nouveaux cas par jour (au 29 décembre 2021, en une semaine, 2% de la population parisienne a été contaminée ; concrètement, plus de 3% de la population nationale est contaminée, car cela peut durer plus d’une semaine), ce sont des chiffres gigantesques, vertigineux. La vague est plus forte qu’en mars 2020 dont il était difficile de mesurer l’ampleur car il n’y avait pas de tests (à ce jour, près de 190 millions de tests ont été faits en France, soit 3 tests par habitant en moyenne). À ce jour, près de 10 millions de Français ont été au contact avec le virus et 1,6 million doivent actuellement être isolés pour ne pas faire circuler le virus.
L’entourage est forcément touché, et les complotistes qui ne sont soi-disant pas touchés, directement ou indirectement, tant mieux pour eux mais ils doivent vivre au fond d’une caverne. C’est ce qu’a affirmé le Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale le 29 décembre 2021 : les personnes non-vaccinées auront du mal à échapper à la contamination.
Et oui, il existe le vaccin. Il y a un an, on le savait déjà mais on avait peur de son absence d’acceptation. Au 30 décembre 2021, 52 798 871 Français se sont fait injecter au moins une dose de vaccin contre le covid-19 ; 51 678 653 ont un schéma vaccinal complet (au sens des deux doses) ; et 23 059 934, soit plus de 30% de la population, ont déjà eu leur dose de rappel (troisième dose) qui est seule efficace contre le variant omicron après six mois de deuxième dose pour "rebooster" (comme on dit) le système immunitaire. C’est une grande réussite des Français (du gouvernement, mais aussi des collectivités territoriales et aussi de tous les Français qui ont compris l’enjeu et qui ont joué le jeu). Non seulement nous avons finalement eu une excellente organisation (aujourd’hui, on peut se faire vacciner sans rendez-vous dans beaucoup de lieux), mais on a su traiter les informations pour qu’elles restent à la fois confidentielles et utilisables, ce qui était deux injonctions paradoxales.
La vaccination réduit d’un facteur de 5 à 10 le risque de contamination et de transmission, et prévient des formes graves. J’évoque encore d’un mot sur les complotistes : la vaccination n’est pas seulement une protection individuelle mais aussi collective. Il ne s’agit pas de faire la morale, ce n’est pas l’objet, chacun a sa morale et il en fait ce qu’il veut avec sa conscience, mais il s’agit de protéger les autres. C’est la raison du code de la route. Il y a désormais un code sanitaire, un ensemble de règles pour réduire au maximum la circulation du virus, et il a deux composantes : les gestes barrières et la vaccination. La vaccination évite les formes graves et donc, réduit l’occupation des lits de réanimation qui pourraient être indispensables aux patients d’autres pathologies, c’est donc bien chacun de nous qui profitera de la vaccination massive, personne n’est pas l’abri d’un besoin en réanimation. Personne n’est à l’abri d’un accident ou d’une maladie.
La différence aussi avec les autres pathologies, c’est que lorsqu’on est admis en réanimation pour covid-19, on n’y reste pas un ou deux jours, mais en moyenne trois semaines, parfois dix semaines. Ceux qui osent utiliser l’argument pécuniaire avec le coût des vaccins feraient mieux de faire un autre calcul : 111 892 personnes ont été admis au total en réanimation pour cause de covid-19 depuis le début de la pandémie au 30 décembre 2021 ; le coût (seulement) financier d’une journée de réanimation est de 3 500 euros et la durée moyenne du séjour est de trois semaines. Cela donne environ un coût de plus de 8 milliards d’euros. Évidemment, il y a d’autres coûts, humains par exemple puisqu’il y a entre 20% et 50% de patients en réanimation qui, hélas, ne s’en sortent pas. Sans compter ceux qui aurait vécu s’ils avaient été opérés à temps pour une autre pathologie (cancer, greffe, etc.).
Bref, la vaccination est l’arme la plus redoutable contre le virus car elle freine la circulation du virus et elle empêche à 90% les formes graves. C’est là l’aspect optimiste de cette fin d’année et début de l’année 2022 : la vaccination a prouvé, depuis le début de l’été 2021, qu’une population bien vaccinée réduit le nombre de décès et d’admissions en réanimation. Avec ce tsunami omicron, on n’a pas encore la certitude qu’effectivement, les réanimations et les décès (dont la cause pour le moment est principalement le variant delta) ne vont pas être trop impactés par la poussée d’omicron.
En ce début d’année 2022, on ne parlera pas encore du rebond économique (en particulier l’emploi qui est à son taux d’avant la crise de 2008), à cause de la préoccupation sanitaire, et peut-être aussi parce que le rebond sera impacté par le variant omicron ; on ne parlera encore pas des bouleversements climatiques car on ne peut pas à la fois faire de l’urgence et faire du long terme, surtout quand les décisions à prendre seraient contradictoires (par exemple, retour aux petites bouteilles d’eau individuelles en plastique au détriment des carafes en verre en entreprises) ; on ne parlera pas non plus de la construction européenne et de la nécessité historique de fédérer une défense commune indépendante des Américains (d’autant plus que le Royaume-Uni était l’une des deux puissances militaires de l’Europe avec la France).
Mais on parlera quand même de politique, et heureusement, puisqu’il y a une élection présidentielle dans trois mois, c’est-à-dire, maintenant ! Au-delà du problème d’une campagne sous covid-19 (il faudra bien définir un modus vivendi démocratique), les thèmes de la campagne vont probablement impacter sur le choix final des électeurs. Tous les candidats ne sont pas encore connus, mais il y a la levée de l’inconnue LR, avec la désignation de Valérie Pécresse qui serait déjà qualifiée pour le second tour (de quoi rendre l’élection plus incertaine), il y a la certitude désormais de la candidature du polémiste Éric Zemmour et manque seulement la candidate socialistes, Anne Hidalgo susceptible de laisser la place à Christiane Taubira. Il serait temps que tous les candidats soient connus pour connaître leur projet présidentiel.
Le débat parlementaire qui s’engagera à partir du 3 janvier 2022 sur le passe vaccinal sera intéressant comme preuve de responsabilité nationale des candidats à l’élection présidentielle. Depuis quelques élections, le clivage devient liberté vs sécurité. Ce sera le cas encore cette fois-ci, mais peut-être pas comme certains le pensent.
Ceux qui sont obsédés par la sécurité intérieure, la lutte contre la criminalité (je recommande de lire les statistiques des homicides en France : en 2019, il y en a eu 970, très peu par rapport aux victimes de la route et surtout, aux victimes du covid-19) et qui "oublieraient" (par démagogie) d’être responsables pour résister au coronavirus auraient ouvertement perdu le sens des proportions, le sens des réalités et des priorités.
Mais ceux qui sont soi-disant obsédés par la liberté avant toute chose ne sont pas plus responsables : la liberté lorsqu’on est intubé dans un service de réanimation, voire lorsqu’on est à la morgue, elle est toute relative. La santé est bien la première des libertés. Plus la santé flanche, plus l’autonomie flanche, plus la liberté est une réalité qui s’éloigne. La liberté du patient mais aussi la liberté de son entourage immédiat.
Alors, c’est ce que je souhaite à nous tous, soyons libres, soyons d’abord en bonne santé, et faisons tout pour le rester, en nous protégeant et en protégeant les autres : bonne année 2022 !