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15 juillet 2019 1 15 /07 /juillet /2019 03:04

« La faim, cette coquine, fait souvent faire aux beaux esprits des choses qui ne sont pas sur la carte. » (Cervantès, 1602).



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Cela fait près d’une semaine que le numéro deux du gouvernement, François de Rugy, Ministre d’État, Ministre de la Transition écologique et solidaire (insistons sur solidaire) est dans la tourmente. Le 10 juillet 2019, le site Mediapart, motivé par une sorte de messianisme démagogique et par un marketing commercial, a commencé à sortir des "affaires" concernant cette personnalité politique.

Commençons clairement par deux remarques préalables. J’apprécie peu la méthode moderne qui veut qu’on jette en pâture un certain nombre d’informations (parfois d’ordre privé) et que les personnes ciblées soient lynchées sur la place publique. Certains pourraient dire que parfois, certaines personnes l’ont bien mérité (Dominique Strauss-Kahn, Jérôme Cahuzac, etc.), mais il y a une sorte de puanteur journalistique à vouloir se substituer à la justice. Je n’insisterai pas sur la fonction de ramasse-poubelles de certains médias.

Et pour François de Rugy, les informations données étaient connues de très peu de personnes, d’un entourage très proche. Ce lynchage médiatique paraît plutôt injuste. Je ne dis pas qu’aucune enquête préliminaire ne sera pas ouverte à la suite de ces quelques révélations (ce serait même étonnant, le parquet national financier semble aujourd’hui assez réactif avec ce que la presse publie, et c’est peut-être tant mieux, cela mériterait une réflexion approfondie qu’il ne s’agit pas d’entamer ici), mais les faits qu’on lui reproche sont plutôt dérisoires par rapport à ses responsabilités nationales.

Aujourd’hui, on préfère parler des menus du ministre à discuter de sa politique nucléaire, de sa politique fiscale (qui a fait sortir les gilets jaunes sur des ronds-points), etc. C’est étonnant, alors qu’il y a probablement tant de choses, sur le fond, qui pourraient être, sinon critiquables, du moins discutables. C’est dans cette discussion sur le fond qu’on améliore les projets de loi. Pas en parlant des bouts de gras. Cela ne veut pas dire qu’il faut fermer les yeux sur les excès et les abus, mais éviter la démesure des réactions.

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Ces deux remarques dites, parlons de cette "affaire". A priori, rien d’illégal n’a été commis. Mais le politique n’a rien à voir avec le juridique. Le politique, c’est de convaincre les citoyens que ses actes sont en accord avec la morale du moment. Or, la morale du moment ne passe plus rien. S’il faut trouver une faute pour François de Rugy, c’est au moins cette imprudence couplée d’une négligence, dans le meilleur des cas.

Imprudence car un dîner à dix ou trente convives, de nos jours, ne restera jamais privé : les smartphones, les réseaux sociaux (quand je pense qu’une amie s’amuse à envoyer au monde entier le moindre dessert quand je partage un dîner au restaurant avec elle), il y en aura bien un, de convive, qui lâchera l’information dans la montagne géante des informations sans intérêt, illisibles et égocentriques de l’Internet. Sauf que, lorsqu’est impliquée une personnalité très en vue, il y a des chances pour qu’une personne malintentionnée puisse en faire une exploitation peu valorisante.

Négligence car l’Hôtel de Lassay, le siège de la Présidence de l’Assemblée Nationale, est connu pour sa bonne chère et son luxe quasiment intégré dans ses murs. Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, qui présida pendant quinze ans la Chambre, avait porté une attention très particulière à la cave de ce haut lieu. Mais déjà bien avant lui, le Duc de Morny, petit-fils de Talleyrand et demi-frère de Napoléon III, ancien stratégique Ministre de l’Intérieur, qui a présidé le Corps législatif du 12 novembre 1854 à sa mort, le 10 mars 1865, avait déjà fait de ce lieu un palais très confortable sous le Second Empire, que la République s’était empressée de préserver au nom du respect de l’État.

Cent cinquante ans plus tard, on imagine donc que le personnel chargé de l’intendance a naturellement vocation à proposer le meilleur du luxe possible à ses hôtes, sans consignes contraires. Autrement dit, le luxe par défaut. La négligence, ce serait de ne pas avoir donné la consigne d’un peu plus de sobriété. Cette négligence est d’ailleurs d’autant plus étonnante que non seulement François de Rugy n’a pas l’image d’un homme à paillettes qui brûle tout ce qu’il touche, mais qu’il a fait de la transparence et de l’intégrité son credo au perchoir.

Au point, par exemple, de supprimer la "réserve parlementaire" des députés, ce qui a eu pour conséquence une forte baisse de certains budgets municipaux et la fin de certains projets associatifs (il aurait suffi de généraliser et rendre obligatoire ce que certains députés avaient déjà fait d’eux-mêmes, à savoir publier chaque année comment ils avaient dépensé leur réserve à l’euro près). Je reviendrai sur sa "défense" plus bas, mais indiquons que François de Rugy a évoqué certaines animosités provenant de son action de transparence au perchoir. Notons que cette transparence, le Président de l’Assemblée lui-même en est exempté.

L’étonnant, c’est qu’il y a plus de transparence dans le budget de fonctionnement de l’Élysée que de l’Hôtel de Lassay. Un député est capable de savoir combien de repas ont été livrés à l’Élysée, mais pas à la Présidence de sa propre assemblée. Au-delà de ces problèmes de contrôles comptables, il y a aussi un problème d’ordre philosophico-constitutionnel (également évoqué lors de l’affaire Benalla), la sacro-sainte séparation des pouvoirs.

De toute façon, la contestation des frais de bouche fonctionne toujours excellemment. C’est de la démagogie pure, mais cela choque sincèrement les citoyens qui comparent l’utilisation de l’argent public, c’est-à-dire, des contribuables, donc le leur, avec leur propre budget. Déjà en 1825, Jean-Anthelme Brillat-Savarin écrivait joyeusement : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. » !

La tarte à la crème dans une campagne municipale, c’est de regarder le budget champagne de la municipalité sortante. Pas la peine de le connaître, cela choquera toujours. Pourtant, pour les cérémonies minimales (14 juillet, 11 novembre, 8 mai, vœux, etc.), peut-on se passer de champagne lors d’une réception ? Le total est toujours "exorbitant" en comparaison du budget d’un ménage. Tout est une question de modération.

L’histoire récente a montré un certain nombre d’exemples de même nature, traités de manière différente.

Par exemple, en juin 1995, entre les deux tours des élections municipales, Jean Tiberi, maire par intérim et candidat à la lourde succession de Jacques Chirac à Paris, a été "sali" parce que ses enfants habitaient dans des logements sociaux de la ville de Paris alors qu’ils étaient eux-mêmes propriétaires et recevaient des revenus locatifs.

De plus, Alain Juppé, qui venait d’être nommé Premier Ministre après une bataille interne au RPR particulièrement destructrice (rivalité entre Jacques Chirac et Édouard Balladur à l’élection présidentielle) et qui se présentait à la mairie de Bordeaux, encore adjoint sortant à la mairie de Paris, a été lui aussi épinglé par "Le Canard Enchaîné" en juin 1995 pour avoir réduit de 1 000 francs le loyer de son fils logé dans un appartement de la ville de Paris, qui fut rénové aux frais de la municipalité avec des travaux coûtant 381 000 francs.

À l’époque, pour ces deux élus parisiens, il n’y a eu aucune poursuite judiciaire. En revanche, l’image d’Alain Juppé en a pris un coup, après une campagne présidentielle basée essentiellement sur la "fracture sociale" et avant la réforme de la sécurité sociale qui, quelques mois plus tard, a engendré la dernière grève massive de l’histoire sociale du pays.

C’était en 1995, la première loi sur le financement politique datait de 1988, et l’on revenait de loin avec des scandales politico-financiers de l’ère de François Mitterrand (affaire Carrefour du Développement, etc.). Ce n’est pas avec l’élection de l’ovni Emmanuel Macron que la moralisation de la vie politique est devenue un impératif civique et même électoral. Dès les années 2000, ce qui pouvait être encore admis en 1995 ne l’était plus.

Ainsi, un scandale a éclaté lorsque, le 16 février 2005, "Le Canard Enchaîné" (suivi ensuite par les journaux "Libération" et "Le Parisien") a révélé la grandeur de l’appartement de fonction du jeune ministre Hervé Gaymard, l’enfant précoce de la Savoie (comme Michel Barnier), nommé très récemment, le 29 novembre 2004, Ministre de l’Économie et des Finances (pour remplacer Nicolas Sarkozy élu président de l’UMP), pour sa famille de huit enfants, loué par l’État à 14 000 euros par mois pour 600 mètres carré, sans compter des travaux coûteux pour un total de 58 894 euros (loyers et travaux), du même ordre de grandeur que les seuls travaux de l’appartement de fonction de François de Rugy.

Hervé Gaymard n’a tenu que neuf jours, après des déclarations contradictoires et confuses, et a dû démissionner le 25 février 2005. Depuis cette date, même si aujourd’hui, il est encore président du conseil départemental de la Savoie, il n’a plus aucune influence sur le débat national alors qu’il était l’un des jeunes espoirs du chiraquisme (avec François Baroin). Il a d’ailleurs remboursé les frais engagés par l’État pour son appartement comme il s’y était engagé.

"Le Canard Enchaîné" du 9 mars 2005 a également révélé la location d’un coûteux appartement de fonction (240 mètres carré à 5 500 euros par mois selon "Libération" du 11 mars 2005) pour le Ministre délégué au Budget Jean-François Copé qui a su mieux se défendre, sans jouer au père la vertu, et a réussi à éviter la démission.

Un peu plus récemment, toujours aussi dérisoire (et moins grave que ce qui est aujourd’hui reproché à François de Rugy), le Secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale Christian Blanc a dû démissionner le 4 juillet 2010 du gouvernement de François Fillon après la révélation, par "Le Canard Enchaîné" du 16 juin 2010, de l’achat de cigares sur fonds ministériels, soit 12 000 euros en dix mois. Cette affaire arrivait au pire moment puisqu’un ministre très important, Éric Woerth, était mis en cause dans l’affaire Bettencourt (à tort si l’on en croit le tribunal correctionnel de Bordeaux qui l’a relaxé).

Après n’avoir voulu rembourser que la part de sa consommation personnelle (soit 3 500 euros), et sur injonction du Premier Ministre, Christian Blanc a remboursé la totalité, et après sa démission, s’il a retrouvé automatiquement son mandat de député pour les deux dernières années de la législature, il a quitté ensuite la vie politique. J’insiste, la somme en cause, 12 000 euros, est dérisoire par rapport à ce qui est en jeu avec François de Rugy.

Sous François Hollande, c’était son conseiller très important de l’Élysée, Aquilino Morelle qui était épinglé par une enquête de Mediapart révélée le 17 avril 2014, sur une suspicion de conflit d’intérêts et sur le fait qu’il faisait payer par l’Élysée le cirage de ses trente paires de chaussures de luxe, faites sur-mesure. Il avait « fait privatiser un salon de l’hôtel Marigny afin de se faire cirer les chaussures seul au milieu de cette pièce toute en dorures » (ce qu’a contesté l’intéressé). Il a été poussé à la démission dès le lendemain.

Je peux citer aussi l’exemple de Michèle Alliot-Marie, même si c’est une affaire très différente des précédentes puisqu’elle n’a rien à voir avec l’argent public, mais avec les valeurs. Voici l’une des personnes qui détient le record de longévité au gouvernement, et pour une femme, l’une de celles qui a occupé le plus de postes régaliens (Défense, Intérieur, Justice, Affaires étrangères), et surtout, dont les actions ont toujours été définies selon le filtre : comment serais-je perçue ? Voulant un sans-faute, aucune affaire, dans l’optique hypothétique d’arriver un jour à Matignon (2004, 2005, ou 2010).

Et voici qu’elle n’a rien compris au Printemps arabe (peu de monde a compris à l’époque) et qui a pédalé dans la semoule pendant six semaines. Le 11 janvier 2011, soit trois jours avant la fuite de Ben Ali, elle a osé déclarer devant les députés français vouloir proposer « le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier » pour réprimer la révolution démocratique tunisienne. La révélation, par "Le Canard Enchaîné" du 26 janvier 2011, de ses vacances tunisiennes du nouvel an alors que les manifestations étaient déjà nombreuses, a achevé sa crédibilité de chef de la diplomatie française, et sa démission, retardée jusqu’au 27 février 2011, est devenue inéluctable.

En revanche, je n’évoque pas Jérôme Cahuzac qui fut au cœur d’une affaire beaucoup plus grave (et qui a été condamné), ni même celle qui concerne François Fillon, qui n’a pas encore été jugé mais le verdict de l’élection présidentielle fut de toute façon le plus éloquent de tous les verdicts possibles. Il ressort qu’à partir des années 2000, non seulement faire payer par l’État (par les contribuables !) des prestations qui paraissent superflues voire inutiles pour le travail d’un haut responsable du pouvoir est choquant, mais qu’il est désormais entré dans les mœurs de démissionner.

En juin 2017, d’ailleurs, la simple mise en examen dans une affaire de collaborateurs parlementaires a coûté le retour de François Bayrou, nommé un mois auparavant Ministre d’État, Ministre de la Justice, ainsi que les ministères d’autres membres influents du MoDem (Sylvie Goulard, devenue entre-temps LREM, et Marielle de Sarnez).

Comme on le voit, la jurisprudence ministérielle ne plaide pas pour François de Rugy même s’il peut considérer que sa démission serait injuste. C’est le principe général des notes de frais : jusqu’à quel montant cela paraît-il déraisonnable ? Il ne me paraît pas déraisonnable que dans un dîner avec un homologue européen, par exemple, on serve du homard géant et des vins de haute qualité. C’est au contraire la manière d’honorer ses invités de marque, d’autant plus que la France doit quand même préserver son image de pays du luxe et de pays gastronomique.

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En revanche, s’il s’agit de profiter de sa position pour épater ses amis de longue date ou sa famille, ou faire son repas de mariage, c’est évidemment plus que contestable (même si ce repas était payé par l’intéressé : tout le monde ne peut pas se marier à l’Hôtel de Lassay, ce n’est pas un organisme de réception pour mariage, c’est un bâtiment officiel de la République). Le flou, ce sont  tous les invités entre les deux, ceux qui peuvent légitimement être honorés par une rencontre avec le Président de l’Assemblée Nationale. N’y a-t-il pas alors un équilibre à définir entre les homards géants et le plateau repas style club sandwich ? Probablement.

On est loin de la vertu de De Gaulle, qui payait lui-même ses notes d’électricité à l’Élysée et ses repas familiaux ! Pourtant, on ne peut pas dire qu’à l’époque de De Gaulle, la France n’honorait pas avec faste ses grands invités. Au contraire, toute la grandeur de la France était là, incarnée par De Gaulle, sans homard géant.

Ce qui est sûr, c’est que les révélations choquent les citoyens, surtout ceux qui ont du mal à terminer le mois. Car l’afflux d’informations, plus ou moins confirmées (là encore, la confusion n’aide pas la personne impliquée) scandalisent, autant par jalousie que par vertu. Par exemple, des travaux pour 63 000 euros, alors que son prédécesseur, Nicolas Hulot, plus sage, se considérant comme de passage, n’y voyait pas la nécessité. C’est le prix d’un appartement de province. Rien que le dressing (le rêve de toute épouse, serais-je tenté de dire avec une pincée de machisme que je retirerais immédiatement !), 17 000 euros, soit le prix d’une voiture neuve telle qu’on nous la vend dans les multiples publicités des soirées télévisées, est, lui aussi, choquant.

Comme dans le Pénélope Gate, François de Rugy semble aussi mal se défendre que François Fillon. La seule réaction acceptable aurait été de faire amende honorable : "oui, c’était cher, je ne m’en suis pas rendu compte, je présente mes excuses aux Français et je ferai attention pour les prochaines fois". Acceptable mais peut-être pas acceptée.

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Il faut dire que François de Rugy aura beaucoup de difficulté à surnager. Pourquoi ? Parce que déjà, le homard géant, c’est un super animal. Il est rouge, facilement identifiable et suffisamment original pour désormais l’associer systématiquement au ministre. La moindre mention de l’animal est une contestation d’opposant. C’est de bonne guerre. De plus, le mot lui-même permet de nombreux jeux de mots (le plus fréquent : "Homard m’a tueR", on peut en citer d’autres, comme "Homard, ô liesse ennemie"), en plus, il a des pinces, ce qui ouvre un nouveau champ de jeux de mots (le ministre s’est fait pincer). De plus, le patronyme du ministre se prête aussi aux jeux de mots. Les terminaisons en "-ard" et en "y" trouvent facilement des rimes.

Et le parcours politique lui donne peu d’alliés puisqu’il est connu comme un spécialiste de retournement de vestes : écologiste, il a sabordé le groupe écologiste à l’Assemblée Nationale le 17 mai 2016 pour rejoindre le groupe socialiste et devenir un vice-président de l’Assemblée, puis, en janvier 2017, il s’est présenté à la primaire du PS pour l’élection présidentielle et s’est même engagé à la télévision à soutenir dans tous les cas le candidat désigné, à savoir Benoît Hamon. Toutefois, quelques semaines après son échec à la primaire, il a rejoint …Emmanuel Macron et a rejoint son parti jusqu’à obtenir la consécration en se faisant élire au perchoir, faute de rivaux expérimentés au sein de LREM.

Plus concrètement, la manière de se défendre publiquement, tant dans la matinale du 10 juillet 2019 sur France Inter que chez Jean-Jacques Bourdin le 12 juillet 2019 sur BFM-TV, n’a pas été très convaincante. Et la convocation publique du Premier Ministre Édouard Philippe à Matignon le jeudi 11 juillet 2019, tandis qu’il était en déplacement à Niort, n’a pas montré une solidarité gouvernementale inconditionnelle.

Le 10 juillet 2019, François de Rugy a expliqué : « J’assume totalement qu’un Président de l’Assemblée Nationale, comme un ministre, rencontre de manière informelle lors de dîners des responsables d’entreprises, de la culture, de l’université. Je n’accepte pas qu’on nous attaque, moi et ma femme [la galanterie et la politesse auraient voulu se citer en dernier], nous n’avons rien à nous reprocher, ni elle ni moi. » (France Inter). Sur le fond, il a probablement raison, mais comment peut réagir le peuple quand il entend cela ? Comment être crédible quand on dit qu’on mange du homard géant dans le but de connaître la France réelle ? Le pire, ce fut la colère, sûrement sincère, exprimée le 12 juillet 2019 sur BFM-TV. C’est une inversion des rôles : c’est le peuple qui devrait être colère, pas lui.

Par ailleurs, ses déclarations ont été souvent confuses voire contradictoires. Les tweets, notamment, semés pendant des années, peuvent revenir à la figure comme un boomerang, dans le sketch éculé de l’arroseur arrosé.

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Le limogeage beaucoup trop rapide de sa directrice de cabinet, Nicole Klein, pourtant ancienne préfète de Loire-Atlantique respectée de tous, notamment pour sa gestion de l'évacuation de la zone de Notre-Dame-des-Landes, a donné également une idée sur sa manière de manager ses collaborateurs (du genre : "sauve-qui-peut, laissez-moi passer"), au point que la haut-fonctionnaire, traumatisée par cette disgrâce et d'habitude plus discrète, a eu besoin d'exprimer sa rancœur par médias interposés.

Le précédent de l’affaire Gaymard donne inéluctablement l’issue de cette affaire De Rugy : la démission, rapide ou laborieuse, mais cela paraît d’autant plus inévitable que, contrairement à Hervé Gaymard, François de Rugy ne bénéficie d’aucune troupe politique, d’aucun fidèle, d’aucun relais au sein de la majorité dont la plupart des députés LREM sont très inquiets de l’image donnée après la contestation des gilets jaunes. Ses collègues ministres se montrent très peu solidaires.

Cette image déplorable rejaillit sur toute la classe politique avec un fond d’antiparlementarisme et cette réflexion que décidément, tout le monde serait pourri, ce qui est pourtant loin d’être le cas. Plus on parle de homard, moins on parle de politique. Il faut raisonner en politique. La politique n’a jamais été juste ou injuste. Après tout, l’élection d’un candidat est parfois aussi injuste que sa défaite. Il y a des circonstances extérieures, un contexte, une "mode", de la chance (qui doit être accompagnée d’une audace pour être vraiment saisie), ou de la malchance au contraire, également des fautes de ses adversaires.

Politiquement, comment le Ministre de l’Écologie pourrait-il encore justifier ses taxes supposées écologiques mais réellement créées pour réduire le déficit public sur les vols aériens, sur le carburant des camions, etc. ? Comment pourrait-il être aujourd’hui crédible avec des homards en guise de rébellion ? C’est probablement injuste, mais la situation politique est ce qu’elle est. Les enjeux sont graves : la paralysie d’un des axes majeurs de l’action gouvernementale, et le risque de faire resurgir une crise des gilets jaunes encore plus violente dans son expression. Plus le Président Emmanuel Macron attendra, plus la crise débordera sur tout l’exécutif.

Le principe de réalité, ce n’est pas de craindre qu’un site Internet messianique puisse faire la peau d’un ministre, c’est de craindre que quelques homards mensuels paralysient non seulement la politique écologique du gouvernement, mais aussi la réforme de l’assurance-chômage et la réforme des retraites. Rappelons que l’été dernier, l’affaire Benalla a eu raison de la réforme institutionnelle


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 juillet 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François de Rugy et la République du homard géant.
François de Rugy et le bâton de maréchal du politicien manœuvrier.
Allocution de François de Rugy lors de son élection au perchoir (27 juin 2017).
Premier tour de la primaire socialiste du 22 janvier 2017.
Troisième débat de la primaire socialiste du 19 janvier 2017.
Deuxième débat de la primaire socialiste du 15 janvier 2017.
Premier débat de la primaire socialiste du 12 janvier 2017.
Programme de François de Rugy (à télécharger).
La primaire EELV de 2016 (premier tour).

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190710-francois-de-rugy.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-de-rugy-et-la-republique-216619

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/07/14/37499546.html





 

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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 17:25

« Rouler son rocher indéfiniment et attendre qu’il retombe en bas de la montagne. C’était le sens de son message : alors, comment va FI ? ça roule. » (Laurent Joffrin, "Libération" du 24 juin 2019).



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Faut-il se montrer publiquement arrogant contre le juge chargé de superviser son procès ? Faut-il le provoquer en criant à la justice politique afin de faire pression et de susciter sa clémence ? Quelle drôle de tactique de la terre brûlée qui soumet une justice agacée à la tentation de le sanctionner plus sévèrement que souhaitable ? Tactique aussi contreproductive politiquement que judiciairement. Drôle de défense, ou plutôt, défense carrément masochiste.

Le procès de Jean-Luc Mélenchon commence ce jeudi 19 septembre 2019 au tribunal correctionnel de Bobigny pour « menaces ou actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire » et « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ». Loin des affaires politico-financières : il est jugé, ici, pour avoir joué au caïd avec un procureur et des policiers lors de la perquisition du local de son parti le 16 octobre 2018.

Il faut rappeler ce que, durant ce demi-quinquennat du Président Emmanuel Macron, sont devenus politiquement Jean-Luc Mélenchon et son mouvement France insoumise (FI). On peut résumer simplement en citant deux résultats électoraux. Le 23 avril 2017 au premier tour de l’élection présidentielle : 19,6% (un peu plus de 7 millions de voix). Le 26 mai 2019 aux élections européennes : 6,3% (un peu plus de 1,4 million de voix). En deux ans, une perte sèche des deux tiers de l’électorat et la disparition de plus de 5,5 millions d’électeurs. Le principal responsable de cette dégringolade historique, forcément, c’est Jean-Luc Mélenchon, seul leader autorisé de FI.

On ne peut pas ne pas mettre en parallèle cette épopée avec celle de François Bayrou et de l’UDF/MoDem dix années plus tôt. Le 22 avril 2008 au premier tour de l’élection présidentielle, François Bayrou avait rassemblé plus de 6,8 millions d’électeurs, soit 18,7% des voix. Le 7 juin 2009 aux élections européennes, les listes du MoDem n’avaient obtenu que 8,5% des voix, même pas 1,5 million d’électeurs. Là aussi, plus de 5 millions d’électeurs avaient disparu en deux ans. François Bayrou voulait être considéré comme l’opposant numéro du Président Nicolas Sarkozy (comme Jean-Luc Mélenchon veut être considéré comme l’opposant numéro un d’Emmanuel Macron, titre que lui dispute Marine Le Pen avec de meilleurs arguments).

L’un comme l’autre (Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou) ont excellé pendant les campagnes présidentielles, mais ils ne s’intéressent guère qu’à cela. De parti, ils n’ont que leur leadership, bref, eux. Le MoDem a toutefois gagné l’élection présidentielle de 2017, mais sans François Bayrou. Ou plutôt, avec lui pendant seulement un mois, comme Ministre d’État, Ministre de la Justice.

Revenons à France insoumise. Actuellement, ce parti a 17 députés (sur 577), 1 sénateur (sur 348), 6 députés européens (sur 74) et 9 conseillers régionaux (sur 1 758). L’échec des élections européennes a formalisé en fait la désaffection électorale dont il est à la fois la victime et l’origine. Jean-Luc Mélenchon vit dans un autre monde que le monde réel. Peut-être un monde virtuel que l’Internet a renforcé, avec ses courtisans et ses détracteurs de salon.

Je voudrais m’arrêter sur deux interventions publiques de Jean-Luc Mélenchon après les élections européennes : celle du 23 juin 2019 et celle du 12 septembre 2019.

L’intervention du dimanche 23 juin 2019 s’est passée dans une salle du douzième arrondissement de Paris, dans l’après-midi. Il s’agissait d’une première réunion interne postélectorale, la convention nationale de France insoumise.

Insistons sur le caractère très particulier de ce parti : au contraire de tous les autres partis, j’insiste, tous les autres partis, France insoumise n’est pas une association déclarée. C’est plutôt une sorte de marque ou de franchise. L’absence de structure officielle évite tout acte de démocratie interne : il n’y a pas d’assemblée générale (pas de congrès), il n’y a pas de président de France insoumise, donc, il n’y a pas de désignation plus ou moins démocratique de ce président. Le seul titre "partisan" de Jean-Luc Mélenchon est président du groupe FI à l’Assemblée Nationale depuis le 27 juin 2017.

Il me semble que l’intervention de Jean-Luc Mélenchon n’était pas prévue. J’ai pu l’écouter en direct parce qu’elle était diffusée sur la chaîne BFM-TV (après, on osera encore dire que cette chaîne de télévision est partiale).

Mon sentiment, pendant toute sa longue (et inutile) intervention (inutile car il n’a rien dit de concret, il aime juste s’écouter parler, il n’avait rien préparé), c’était qu’il faisait de l’autonombrilisation. Et surtout, de l’autojustification sur l’absence de démocratie interne de son parti. Exemple particulièrement voyant : il a demandé à ce qu’un des membres (inutile de le citer) fût désigné "coordinateur national" devant une assemblée médusée. Désigné, mais sans vote. Juste parce qu’il a beaucoup bossé et que c’était normal.

C’était une véritable révolution du concept de la démocratie. On a connu le concept de "centralisme démocratique" qui était la version douce de la "dictature du prolétariat" au sein du parti communiste. Jean-Luc Mélenchon a inventé la démocratie de l’autoproclamation par autojustification. Cela en dirait beaucoup, si jamais il arrivait au pouvoir, de son respect des règles démocratiques …que je dirais, traditionnelles.

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Mais le plus sidérant n’était pas vraiment cela. C’était que Jean-Luc Mélenchon n’a fait que parler de cuisine interne, une sorte de cuisine moléculaire en ce sens qu’elle était en faible quantité. Le fond s’est évaporé. Volatilisé. En fait, le fond s’est évaporé, dans ses discours, depuis la fin de sa campagne présidentielle. Il avait eu pourtant de bonnes idées, des réflexions qui méritaient approfondissement, des approches même novatrices sur la mer, les océans…

Je suis très opposé à Jean-Luc Mélenchon. Il a un fond idéologique qui me fait plus peur qu’autre chose. J’apprécie peu son comportement avec ceux qui ne pensent pas comme lui (c’est-à-dire pratiquement tous les autres que lui, sauf quelques affidés), qui vise à renforcer les haines plutôt que la concorde, dans un contexte de forte tension sociale. Mais je lui reconnaissais deux grandes qualités, qualités que j’avais (modestement) "jugées" sur pièces personnellement.

D’abord, il pense par lui-même, et je lisais son blog depuis une petite quinzaine d’années. Je me demandais pourquoi il restait encore dans un PS qu’il critiquait tant, mais qui l’a tant nourri comme apparatchik (sénateur, président délégué de conseil général, etc.), la réponse étant dans mon interrogation, évidemment. Finalement, son indépendance d’esprit l’a emporté sur le confort personnel. Il a eu le courage de quitter le PS au moment du congrès de Reims (novembre 2008), et c’était courageux de sa part. Il a quitté une multinationale qui allait devenir "leader en son domaine" en 2012 (et qui, maintenant, a fait faillite !), pour créer sa petite entreprise, et il s’est présenté sur son nom propre avec des fortunes diverses depuis une dizaine d’années (succès et échecs).

Ensuite, il est aussi un admirable tribun. Quand j’ai écrit que j’ai pu "juger" sur pièces, c’était parce que j’ai assisté à l’un de ses meetings à Grigny, en terre communiste (merguez sur place !), dans un stade, pour sa campagne présidentielle, et il n’y a pas de doute, Jean-Luc Mélenchon est un véritable tribun, capable de s’enflammer pour tout et rien. Il a cité Victor Hugo et a fait glisser la larme aux yeux des quelques dizaines de présents (le stade était très clairsemé, c’était un dimanche après-midi très ensoleillé). C’est exaltant quand on veut croire en un destin politique, mais cela ne reste que du talent de forme, et pas de fond.

Je ne doute donc ni de son talent, ni de sa sincérité. Hélas, ce 23 juin 2019, à l’écoute de son discours, il fallait bien se rendre à l’évidence que l’étoile a pali. L’étoile du fond car la forme reste encore éclatante dans sa capacité d’indignation, mais là, on a affaire à un tribun qui n’avait plus rien à dire, alors que le mouvement des gilets jaunes s’était étiolé (et peine à redémarrer en septembre) et que la popularité d’Emmanuel Macron regrimpait.

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La seconde intervention de Jean-Luc Mélenchon que je veux ici évoquer, c’était sa rentrée politique en conférence de presse le jeudi 12 septembre 2019 dans l’après-midi à la Maison de l’Amérique latine.

Parlons d’abord de quelques semaines auparavant : il y a eu l’équivalent d’une université d’été de France insoumise où il était question du fonctionnement de ce parti. Pour les sympathisants, c’était probablement un moment crucial, surtout en pleine débâcle électorale (la patience est finie dans cette civilisation du zapping, quand un parti échoue, les rats quittent le navire pour aller vers des paquebots plus alléchants ou construire son propre pédalo). Or, pour ce moment essentiel de son mouvement, Jean-Luc Mélenchon était absent. Pourquoi ? Grand voyage en Amérique latine. Il aurait pu s’arranger avec son agenda, mais non, il était absent. Peu de respect pour ses derniers fidèles.

La conséquence, c’est qu’il a fait sa rentrée politique le lendemain de son retour. Et sa communication était particulièrement médiocre pour ne pas dire mauvaise, tant sur le fond que la forme (il semblait épuisé et lassé). Ce n’était pas les grands sujets d’actualité qui manquaient, mais non, il n’a quasiment pas parlé de la réforme des retraites (pourtant, c’est du social et le matin même, le Premier Ministre Édouard Philippe donnait quelques éléments clefs de la réforme au Conseil Économique, Social et Environnemental), ni de la PMA, ni de beaucoup de sujets mis dans l’actualité. Il a parlé de son voyage, et surtout, de sa convocation pour le procès du 19 septembre 2019.

Bref, il n’a fait que parler de son petit sort personnel, qui n’a d’intérêt que pour lui et ses proches, mais certainement pour la nation française, tout important se croit-il encore être (puisqu’il est la République). Toute son intervention a tourné (très médiocrement) autour de la justice qui serait politisée et qui les ciblerait, lui et son parti. Il n’a pas eu beaucoup de cohérence dans sa démonstration. Il a crié qu’il était le seul à avoir été perquisitionné, et quelques minutes plus tard, il a dit aux journalistes de demander à François Bayrou pour savoir quel effet cela faisait. Des responsables politiques perquisitionnés, il y en a eu des dizaines… et aucun ne s’est opposé au procureur, tout le monde a accepté cette initiative de la justice, …sauf Jean-Luc Mélenchon.

Le plus ennuyeux pour lui, dans sa démonstration, il n’a pas eu de chance, c’était que le matin même, le Président de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand, un très proche d’Emmanuel Macron, venait d’être mis en examen. La "justice aux ordres" n’avait plus beaucoup d’argument. Au contraire, c’était une justice totalement indépendante, peut-être trop indépendante pour certains, dont il s’agit aujourd’hui. Dernières preuves, l’incarcération du maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, depuis le vendredi 13 septembre 2019, jour où le nonagénaire nostalgique Jean-Marie Le Pen fut aussi mis en examen. Sans compter le calendrier du procès de François Fillon qui se télescope avec les prochaines élections municipales.

Il faut être atteint d’une sérieuse paranoïa politico-personnelle pour croire que Monsieur Mélenchon et son parti seraient les seuls visés par une justice qui, semble-t-il, a touché tous les partis, de gouvernement ou d’opposition. Ce serait presque de l’orgueil de celui qui se croit seul au monde, d’être opprimé ainsi. Orgueil voire vanité, car vouloir se comparer à Lula peut être très risible.

Dans son éditorial du 18 septembre 2019, Laurent Joffrin a constaté : « Il faudrait aussi, pour justifier les philippiques insoumises, produire des preuves, montrant, ou même suggérant, que la chancellerie, ou l’Élysée, sont intervenus dans cette procédure. Tout indice parfaitement absent du réquisitoire mélenchonien. Ainsi, l’un des principaux leaders politiques français, aux ardentes convictions républicaines, affirme sans preuve que la justice républicaine est aux ordres, qu’elle rend des services et non des jugements, qu’elle s’identifie aux mascarades judiciaires en vigueur dans les régimes tyranniques. C’est pousser très loin le bouchon rhétorique. » ("Libération").

D’ailleurs, si Jean-Luc Mélenchon a eu un traitement particulier, cela le fut à son bénéfice : pour s’opposer avec autant de violence à la perquisition, il aurait dû être en comparution immédiate, comme c’est le cas généralement pour les petits délinquants. Lui, il a eu presque un an pour se retourner, et même si sa réaction fut violente surtout psychologiquement contre des policiers, il est probable qu’il ne risque pas une grave condamnation.

Alors, pourquoi monter en épingle une telle affaire dans l’affaire, sinon pour politiser lui-même cette affaire, pour se victimiser, pour montrer qu’il est un rebelle pourchassé ? Mais ce scénario ne peut pas fonctionner, car nous ne sommes pas au Venezuela, nous sommes en France, dans une démocratie très imparfaite mais déjà très avancée, et il n’est pas le seul à être poursuivi par la justice. Le scénario n’a aucune crédibilité.

Cette violence, dont il était fier de montrer l’enregistrement (ce qui a fourni une preuve incontournable pour le juge !), elle n’a aucune justification, elle n’est pas là par passion politique comme il aimerait le faire croire, elle est là par la simple colère d’un aigri. Comment un homme qui ne sait pas se contrôler lui-même, pour son propre intérêt, pourrait-il contrôler une situation politique complexe si jamais, par malheur, il était aux responsabilités ? Comment pourrait-il discerner l’intérêt national alors qu’il ne distingue même pas son propre intérêt de justiciable ?

Oui, De Gaulle avait raison, la vieillesse est un naufrage…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean-Luc Mélenchon, à côté de la plaque !
Jean-Luc Mélenchon, le tribun qui tourne à vide.
L’imposture de Jean-Luc Mélenchon sur le Traité de Maastricht.
Grèce : la défaite de l’expérience Syriza.
Colère de François Ruffin sur le débat sur le handicap (le 11 octobre 2018).
Le Radeau de la Méluche.
Pourquoi Mélenchon est-il si confus pour le second tour ?
Marine Mélenchon et Jean-Luc Le Pen.
Premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril 2017.
Programme 2017 de Jean-Luc Mélenchon (à télécharger).
Deuxième débat télévisé du premier tour de l’élection présidentielle (4 avril 2017).
Présidentielle 2017 : l’unique débat à cinq.
Benoît Hamon, la "bête noire" de Jean-Luc Mélenchon ?
Jean-Luc Mélenchon, candidat autoproclamé aux amitiés mal assumées.
Pourquoi Mélenchon ne veut pas d'alliance avec Bayrou ?
Christian Schoettl attaque Jean-Luc Mélenchon.
Débat Mélenchon vs Attali et Apparu (25 avril 2013).
Débat Mélenchon vs Cahuzac (7 janvier 2013).
Débat Mélenchon vs Copé (17 novembre 2011).
Débat Mélenchon vs Marine Le Pen (14 février 2011).
Jean-Luc Mélenchon, allié objectif de Sarkozy (24 mars 2012).
Jean-Luc Mélenchon sur TF1 (5 mars 2012).

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190623-melenchon.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/09/19/37646289.html


 

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12 juin 2019 3 12 /06 /juin /2019 17:50

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Pour en savoir :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190612-edouard-philippe.html



Séance à l'Assemblée Nationale du 12 juin 2019 : discours du Premier Ministre Édouard Philippe, discours de Virginie Duby-Muller (LR) et vote de confiance

Assemblée nationale
XVe législature
Session ordinaire de 2018-2019

Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 12 juin 2019

Présidence de M. Richard Ferrand

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Déclaration de politique générale du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration de politique générale du Gouvernement faite en application de l’article 49, alinéa 1er, de la Constitution, le débat et le vote sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre. (Mmes et MM. les députés des groupes MODEM et LaREM se lèvent et applaudissent.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messiers les députés, voilà deux ans maintenant que nous gouvernons et il y a toujours urgence, peut-être davantage encore.

Urgence économique, comme le crient les salariés des usines de Belfort, d’Amiens ou d’ailleurs.

Urgence sociale, comme le crient nos concitoyens des territoires isolés, comme le disent les personnels hospitaliers.

Urgence écologique, comme le crient les jeunes Français à l’encontre des gouvernements et des entreprises qui n’en feraient pas assez.

Urgence politique : le 26 mai, l’extrême droite est arrivée en tête des suffrages en France. Comme dans beaucoup de démocraties occidentales, la radicalité politique, nourrie de l’obsession du déclin et de la peur de l’autre, structure désormais une part de notre vie démocratique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM – Exclamations sur plusieurs bancs des députés non inscrits.)

Cette urgence nous rassemble. C’est elle qui a conduit à l’élection du Président de la République. C’est elle qui donné une majorité au Président lors des élections législatives.

M. Pierre Cordier. Pas du tout !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. C’est elle qui a guidé votre vote de confiance au Gouvernement, il y a deux ans, pour conduire un intense agenda de transformation. Je ne reviendrai pas ici sur la longue liste des réformes que nous avons menées ; les Français n’attendent pas un bilan, encore moins un exercice d’autosatisfaction. Je veux simplement dire au Gouvernement et à la majorité que j’en suis fier et que je les remercie pour le travail accompli. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Le chômage est au plus bas depuis dix ans, l’investissement est au plus haut depuis douze ans (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM), nous connaissons la progression du pouvoir d’achat la plus dynamique depuis dix ans et la France bat des records d’attractivité. Cela nous donne des motifs d’espoir et une légitimité pour poursuivre le travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Nous n’avons eu de cesse, ces deux années durant, de tenir le cap fixé par le Président de la République. Celui que nous jugions nécessaire pour libérer les forces de notre pays et protéger ses citoyens, quitte, parfois, à prendre des décisions impopulaires ou à commettre des erreurs, et j’en prends évidemment ma juste part. Quelles qu’aient été les difficultés, l’essentiel des mesures annoncées dans ma précédente déclaration de politique générale sont aujourd’hui engagées. Cette fidélité à la parole donnée a forgé la légitimité de notre action.

En novembre dernier, nous avons rencontré la colère. Certains diront que nous l’avons, seuls, créée ; je ne le crois pas. Cette colère vient de loin et bien des démocraties l’ont ressentie sous des formes variées. Mais peu importe. C’est à nous, gouvernants, parlementaires, qu’elle était avant tout adressée. D’une certaine façon, elle nous rappelait à notre promesse de promouvoir le travail et de lutter contre les injustices. Nous avons pris des mesures puissantes pour répondre aux aspirations des Français et pour apaiser.

De cette période, qui m’aura profondément marqué – comme, je crois, chacun d’entre vous –, puis du Grand débat, qui a permis à des centaines de milliers de Français de se rendre dans leurs mairies ou dans des salles publiques pour dialoguer, travailler, réfléchir, le Gouvernement et la majorité entendent tirer la force d’un nouvel élan. C’est l’acte II du quinquennat (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM), une nouvelle étape qui marque une césure par un profond changement de méthode, mais qui va de pair avec deux impératifs : la constance et la cohérence, qui sont bien les seules choses que notre pays n’ait jamais tentées…

Constance et cohérence dans l’action. Notre pays a besoin de se transformer. Notre ennemi, ce n’est pas le mouvement, c’est le statu quo.

Constance et cohérence dans nos valeurs, ensuite. Nos valeurs, ce sont le patriotisme, l’attachement à la République, l’affirmation de l’idéal européen. C’est la quête de justice sociale, non pas celle qui se paye de mots, mais celle qui se vit au quotidien. C’est la valeur travail, cette idée simple que les solutions proviendront du travail et qu’il faut donc le récompenser.

C’est le dépassement des postures et des vieux clivages. Plus que jamais, notre pays a besoin de l’union des Françaises et des Français qui veulent agir, loin, bien loin, des logiques partisanes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) L’engagement partisan est évidemment respectable. Le général de Gaulle, qui n’aimait guère les partis politiques, avait tenu à ce que l’article 4 de la Constitution dispose qu’ils concourent à l’expression du suffrage universel. Les partis demeurent donc des acteurs centraux de la démocratie.

Je ne crois pas, pour ma part, que les cultures de gauche et de droite aient disparu. Il y a, dans notre pays, une culture de gauche, une culture de droite, une culture du centre. Le nier, ce serait oublier deux siècles d’histoire politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM _ M. Pancher applaudit.)

M. Pierre Cordier. Ah !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mais ces cultures suffisent-elles à structurer le débat ? Disent-elles quoi faire sur l’Europe, l’écologie, la politique méditerranéenne, la décentralisation ? Je ne le crois pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Le vrai sujet, aujourd’hui, n’est pas de savoir comment ressusciter la gauche ou sauver la droite. Le but est de parvenir, avec nos héritages, nos sensibilités, nos différences, à dépasser nos habitudes, pour nous rassembler, relever les défis de notre pays et de notre planète. Les maires savent combien la logique de rassemblement est puissante, et je salue tous ceux, d’où qu’ils viennent, qui sont prêts à nous rejoindre dans le soutien au Président de la République. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. Maxime Minot. C’est reparti !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous avons beaucoup fait depuis deux ans, mais il reste tant à faire !

Au cœur de l’acte II, il y a d’abord l’ambition écologique.

Plus personne, aujourd’hui, n’a le monopole du vert ; c’est aussi cela, le dépassement des anciens clivages. Je connais les soupçons me concernant. Je viens de la droite, j’ai travaillé dans une grande entreprise française du nucléaire et je suis élu d’une ville industrielle : je ne pourrais donc ni rien comprendre, ni rien faire. C’est faire peu de cas de ma culture politique, de mon expérience au Havre et de ces deux années de gouvernement.

Mais, oui, j’ai mis du temps, comme d’autres Français, à considérer que ces enjeux étaient aussi urgents que la défense de l’emploi ou la sécurité. Les jeunes nous bousculent, dans nos familles, partout dans le monde et en Europe. Partout, nous constatons les dérèglements climatiques, la pollution de l’air, des sols et des mers qui menacent notre santé et la biodiversité.

Je ne me ferai pas passer pour un autre : je ne suis pas un défenseur de la décroissance. Je crois dans la science. Je voudrais qu’elle ait plus de place dans le débat public et que nos décisions soient davantage éclairées par elle. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je sais ce que notre pays doit à son agriculture et la chance qu’il a de pouvoir compter sur des agriculteurs exigeants et passionnés. (Mêmes mouvements.) J’aime l’industrie, et je l’assume : j’admire ses salariés, ouvriers, techniciens et ingénieurs, qui produisent. Je crois en l’économie de marché régulée par le politique, en l’innovation et en la force de la croissance.

Je crois possible un nouveau modèle économique qui produise des richesses, donc de l’emploi, sans salir, sans contaminer, sans détruire, sans condamner ceux qui viendront après nous ou ceux qui vivent loin de nous. (Mêmes mouvements.) Et je crois qu’à chaque fois que nous créons une incitation financière publique, il faut s’interroger sur son efficacité réelle et songer à la façon dont les acteurs privés prendront, un jour, le relais. Il nous faut inventer un modèle économique où la sobriété énergétique, les transports propres, la saine alimentation, le recyclage progressent beaucoup plus vite que le taux de croissance. C’est ma conviction et je veux être jugé sur les actes. (Mêmes mouvements.)

Car ces douze prochains mois seront ceux de l’accélération écologique.

Le premier axe de notre plan de bataille est de rendre plus propre notre économie, et d’abord notre manière de produire notre énergie et de nous déplacer. C’est l’objet des deux projets de loi dont vous êtes saisis : le projet de loi d’orientation des mobilités et le projet de loi énergie-climat. Je souhaite qu’ils puissent être votés avant l’été. C’est ce gouvernement qui fermera la centrale de Fessenheim – avant la fin 2020 – et qui a proposé un chemin crédible pour réduire la part du nucléaire à 50 % d’ici à 2035, grâce au développement massif du renouvelable, notamment de l’éolien en mer.

En effet, en arrivant aux responsabilités, nous avons concrétisé et considérablement baissé les coûts de six appels d’offres qui étaient bien mal partis. Aujourd’hui, le projet au large de Dunkerque démontre que les coûts baissent encore plus vite lorsque les projets sont bien montés. Nous pourrons ainsi augmenter le rythme des futurs appels d’offres à un gigawatt par an. C’est une bonne chose pour le prix de l’électricité, pour notre industrie et pour notre planète ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Nous finaliserons, d’ici à la fin de l’année, les contrats de transition écologique à Gardanne, Saint-Avold, Cordemais et au Havre, où les centrales à charbon fermeront d’ici à 2022.

Le succès de la prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule moins polluant nous permet de doubler notre objectif : nous visons désormais 1 million de familles d’ici à la fin du quinquennat.

Nous donnerons une nouvelle orientation à notre politique hydroélectrique. En la matière, on ne régule pas seulement une production électrique, mais aussi des vallées et des régions entières. Nous respecterons le droit européen, mais nous n’accepterons pas le morcellement de ce patrimoine commun des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Enfin, nous négocierons avec la Commission européenne une nouvelle régulation du prix de l’électricité, pour que les Français bénéficient davantage de la stabilité et de la compétitivité que nous donnent nos investissements passés.

M. Pierre Cordier. C’est mieux qu’une augmentation de 6 % !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous voulons donner aux Français les moyens de se chauffer sans polluer ni payer toujours plus. Nous remettrons donc totalement à plat les aides existantes à la rénovation énergétique, qui sont d’une effroyable complexité et profitent en réalité aux ménages les plus riches. Nous transformerons donc le crédit d’impôt de transition énergétique en une aide plus massive, versée à ceux qui en ont le plus besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Reconnaissons-le, à part dans le logement social, nous ne disposons pas de leviers efficaces pour venir à bout des passoires thermiques qui plombent le climat et le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Inventons-les ensemble ! Je sais que les députés feront des propositions, et j’y suis ouvert. Nous en avons discuté avec Pascal Canfin.

M. David Habib. Et avec les ministres ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous devons, dans ce domaine, réussir à mobiliser les financements publics et privés, raisonner au-delà des normes et des obligations, même si elles sont nécessaires, réitérer le succès qu’un Jean-Louis Borloo a pu obtenir, en son temps, avec l’ANRU – Agence nationale pour la rénovation urbaine – puisque les problématiques et les complexités sont au fond assez comparables. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. André Chassaigne. Combien de logements ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le deuxième axe de notre plan de bataille, c’est la rupture avec le gaspillage. Nous devons en finir avec un modèle de consommation dans lequel les mines sont toujours plus profondes et les montagnes de déchets toujours plus hautes.

J’ai annoncé notre volonté d’en finir avec cette pratique scandaleuse qui consiste à jeter ce qui ne peut être vendu. Cette mesure constitue une première dans le monde. Elle figurera dans le projet de loi pour lutter contre le gaspillage qui sera l’une des trois priorités de la rentrée parlementaire en septembre. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Nous avons déjà validé la suppression des produits plastiques à usage unique les plus néfastes mais nous devons aller plus loin. Parce que l’État se doit d’être exemplaire, tous les produits en plastique jetable seront bannis de l’administration dès l’année prochaine. (Mêmes mouvements)

Je souhaite également que nous fixions un objectif de 100 % de plastique recyclé. Nous lancerons dans les prochains jours une grande concertation, avec les collectivités notamment, pour étudier la mise sous consigne de certains emballages. Les collectivités d’outremer pourront, si elles le souhaitent, en devenir des territoires pilotes.

La loi anti-gaspillage prévoira la possibilité d’imposer l’incorporation de plastique recyclé dans toutes les bouteilles en plastique à usage unique.

Enfin, j’ai noté la volonté de beaucoup de parlementaires d’élargir encore davantage l’interdiction du plastique à usage unique. Un amendement tendait ainsi à l’étendre aux boîtes en plastique mais nous avons considéré, ensemble, que nos industries en seraient déstabilisées et qu’il fallait le corriger. Son intention, toutefois, était louable et je vous proposerai, dans le cadre du projet de loi anti-gaspillage, des dispositions pour interdire progressivement les boîtes en plastique qui ne sont pas constituées de plastique recyclé. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

J’en viens à l’alimentation. Nous devons produire et manger mieux. Le Président de la République l’a réaffirmé, nous nous battrons en Europe pour garantir un budget de la PAC qui soit à la hauteur des besoins de la transition écologique, un budget qui protège nos agriculteurs et qui leur donne les moyens de produire autrement. Nous réorganiserons également notre police de l’alimentation pour apporter aux Français davantage de garanties sur ce qu’ils consomment.

Nous avons lancé avec succès une démarche nationale afin d’améliorer l’information concernant la qualité nutritionnelle des aliments et développer l’utilisation de nutri-score dans l’étiquetage des aliments. Nous la défendrons auprès de la Commission européenne et de nos partenaires afin de rendre le nutri-score obligatoire. (Mêmes mouvements.)

Un dernier mot à ce sujet : le bilan du Gouvernement en matière de prévention est, me semble-t-il, solide, aussi bien pour ce qui concerne le tabac, les  vaccinations que la sécurité routière. Agnès Buzyn m’a proposé d’ouvrir une nouvelle étape et de s’attaquer à l’obésité. Il s’agira d’un objectif national, pour l’école, la santé, le sport, l’agriculture, l’industrie. Je serai heureux d’accueillir les propositions parlementaires sur ce sujet. (Mêmes mouvements.)

Avec François de Rugy, le ministre d’État, je souhaite que les Français soient les premiers acteurs de la transition écologique.

La convention citoyenne pour la transition écologique et climatique constituera un moment de démocratie participative inédit. Elle permettra de proposer de nouvelles mesures dont elle définira le rythme et les financements. Elle rendra ses conclusions au début de l’année 2020. Le Gouvernement s’engage à traduire ces propositions en projets de loi, en mesures réglementaires voire, pour les plus puissantes, à les soumettre à référendum. (Mêmes mouvements.)

Le conseil de défense écologique s’assurera, pour sa part, de la mobilisation au plus haut sommet de l’État afin que l’écologie devienne une priorité pour l’ensemble de nos politiques publiques. Nous devons défendre aussi bien le climat que le pouvoir d’achat, la qualité de l’air que nos industries ou nos emplois. Nous avons là un nouvel « en même temps » à construire, qui appelle les mêmes dépassements : dépassement des oppositions entre les producteurs et les écologistes, dépassement de nos habitudes de consommation, dépassement des postures. Nous devons réussir à en faire l’affaire de tous. Nous devrons nous concentrer sur des résultats concrets qui concernent le quotidien des Français. Je ne veux pas être l’homme des effets d’annonce, mais je veux que nous soyons la majorité des engagements tenus. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Au cœur de l’acte II figurent l’ambition écologique mais aussi la justice sociale.

Au nom de la justice sociale, nous devons permettre à tous de travailler. Le chômage baisse au point d’atteindre son plus bas niveau depuis dix ans. Avec 93 000 emplois créés au 1er trimestre, les chiffres publiés encore ce matin par l’INSEE montrent que nous sommes sur la bonne voie. (Mêmes mouvements.)

Pour autant, nous n’en avons pas fini avec un chômage de masse qui enferme dans la précarité, lamine des familles et des territoires. Chaque période de chômage est une épreuve, une angoisse. C’est un combat de tous les jours pour celui qui y est confronté. C’est le combat central de mon Gouvernement car nous en avons fini avec la résignation et l’idée délétère que tout aurait été tenté contre lui.

Nous avons renforcé le dialogue social dans l’entreprise, pour mettre fin à la peur de l’embauche. Nous avons réformé la formation professionnelle et l’apprentissage pour développer les bonnes compétences en face des besoins. Nous avons lancé un plan pauvreté dont l’objectif central est la reprise d’activité. Nous devons à présent achever ce vaste mouvement de réformes et conduire, comme tous nos voisins l’ont fait, celle de notre assurance-chômage.

Avec la ministre du travail, Muriel Pénicaud, je présenterai la réforme mardi prochain, le 18 juin. Nous nous fixons plusieurs objectifs. Tout d’abord, nous voulons mettre fin au recours abusif aux contrats courts. La réforme du droit du travail a assoupli les règles applicables aux entreprises et renforcé leur sécurité, ce qui était nécessaire. En contrepartie – vous savez combien j’apprécie ce terme – elles devront recourir d’une manière plus responsable aux contrats courts qui empêchent les salariés de construire leur vie avec un minimum de sérénité. C’est pourquoi, dans les cinq à dix secteurs d’activité où ces contrats sont essentiellement signés, générant de la précarité, nous instaurerons un principe de bonus/malus sur les cotisations d’assurance chômage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Dans les autres secteurs, nous prendrons une mesure transversale pour décourager le recours aux contrats à durée déterminée d’usage.

Deuxième objectif : le travail doit toujours payer davantage que l’inactivité. C’est en général le cas. Dans la majorité des situations, les règles d’indemnisation sont bien pensées et elles continueront à s’appliquer. Mais il existe des cas où le montant de l’allocation mensuelle du chômage est supérieur au salaire mensuel moyen perçu. Nous devons y mettre fin.

Troisième objectif : l’indemnisation doit être dégressive pour les salariés qui perçoivent les salaires les plus élevés et qui sont en mesure de retrouver un emploi plus vite que les autres.

Quatrième objectif : dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage, nous souhaitons renforcer l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Vous le savez, le Gouvernement a regretté que les partenaires sociaux n’aient pu, par le dialogue, réformer eux-mêmes le régime d’assurance chômage mais nous continuons à penser qu’ils ont leur place dans la mise en œuvre de cette réforme,

comme dans la mise en œuvre de tout l’acte II.

En particulier, les nouvelles mesures d’accompagnement, pour lesquelles nous dégagerons de nouveaux moyens, ne doivent pas être pensées uniquement à Paris : les besoins ne sont pas les mêmes selon les bassins de vie et d’emploi. Les travaux que j’ai lancés autour de la mobilisation nationale et territoriale avec les partenaires sociaux devront permettre d’identifier les meilleures solutions et de donner une grande marge de manœuvre aux acteurs locaux. (Mêmes mouvements.)

Conformément aux engagements du Président de la République, cette réforme donnera accès à l’assurance chômage aux salariés démissionnaires ainsi qu’aux travailleurs indépendants. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Au nom de la justice sociale, le travail doit payer. Le Président de la République et moi-même, nous avons reçu cinq sur cinq, fort et clair, le message d’exaspération fiscale que les Français nous ont adressé. Ils ne veulent plus de mots mais des actes. Nous avons donc décidé une baisse d’impôts historique : au total, les impôts des ménages baisseront durant ce quinquennat de près de 27 milliards d’euros. (Mêmes mouvements.)

Je vous confirme que la taxe d’habitation sur les résidences principales sera intégralement supprimée pour l’ensemble des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Les 80 % de Français les plus modestes bénéficieront, dès ce mois de septembre, de la suppression du deuxième tiers de la taxe d’habitation et leur taxe sera intégralement supprimée en 2020. Pour les 20 % de Français restants, la suppression se déploiera tout au long des trois prochaines années.

Nous réformerons le financement des collectivités territoriales, en garantissant leur autonomie financière et le dynamisme de leurs ressources. Jacqueline Gourault et Gérald Darmanin reprendront les concertations avec les associations d’élus dès la semaine prochaine. Comme je m’y suis engagé, l’ensemble des mesures devra figurer dans le projet de loi de finances pour 2020 afin de garantir de la visibilité aux maires. Nous avons choisi de concentrer l’intégralité de la baisse de l’impôt sur le revenu annoncée par le Président de la République sur les classes moyennes qui travaillent. Le taux d’imposition de la première tranche de l’impôt sur le revenu, qui regroupe 12 millions de foyers, sera abaissé de trois points, ce qui représente un gain moyen par foyer de 350 euros soit, à ce niveau, un tiers de l’impôt en moyenne. C’est massif, clair et net. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Les 5 millions de foyers de la tranche suivante bénéficieront d’un gain moyen de 180 euros. L’effet de cette réforme pour les tranches suivantes sera neutralisé.

Ces baisses seront votées dans le projet de loi de finances pour 2020.

Soyons clairs : baisser les impôts de 5 milliards, en une fois, nous obligera à faire des choix pour contenir nos dépenses publiques. Certains opposent parfois ceux qui seraient attachés aux équilibres budgétaires à ceux qui feraient vraiment de la politique. Je crois profondément le contraire. La responsabilité politique impose d’appliquer des principes, de faire des choix tout en respectant le réel.

C’est le choix d’une grande nation, qui veut maîtriser son destin. C’est la marque des premiers ministres qui m’inspirent. Je pense à Pierre Mendès France et Georges Pompidou, à Michel Rocard et Alain Juppé. (« Et Jean-Pierre Raffarin ? » sur quelques bancs du groupe LR.)

M. Pierre Dharréville. Et Manuel Valls ? (Sourires sur les bancs du groupe GDR.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le réel, c’est souvent nos sous. Ceux des Français. Ceux que nous prenons pour financer nos politiques publiques ou la redistribution. Ceux de nos enfants, car les dettes que nous créons, ce sont nos enfants qui les rembourseront.

Le Président a, dans cette perspective, annoncé la révision de certaines niches fiscales et sociales. Nous nous concentrerons sur les niches anti-écologiques, les niches concernant les très grandes entreprises, les niches qui réduisent les droits sociaux des salariés, comme la déduction forfaitaire spécifique.

Dans chacun de ces secteurs, la concertation a montré que le changement était possible à condition d’être progressif. Nous avons appris de la taxe carbone, et nous mènerons donc ces réformes en laissant aux entreprises le temps de s’adapter. Bruno Lemaire et Gérald Darmanin indiqueront au début du mois de juillet les choix du Gouvernement.

Au nom de la justice sociale, encore, nous devons mieux associer les salariés aux résultats de l’entreprise, renouer avec l’idée gaullienne de participation.

La prime exceptionnelle de fin d’année qu’avait annoncée le Président de la République sera reconduite pour un an en 2020, sous le même régime défiscalisé dans la limite de 1 000 euros par bénéficiaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Afin de pérenniser cet élan, les entreprises devront, pour verser la prime exceptionnelle, adopter avant le 30 juin 2020 un dispositif d’intéressement au profit de leurs salariés. Nous les y aiderons, en simplifiant la conclusion des accords d’intéressement dans les PME, en les autorisant à tester ces accords pendant un an au lieu de trois, en mettant à leur disposition des accords-types opposables à l’administration.

Au nom de la justice sociale, enfin, nous devons renouer avec la méritocratie républicaine, avec l’égalité des chances.

Trop souvent, notre modèle social repose sur des politiques de compensation qui lissent les inégalités sans chercher à les réduire à la base. La France est l’un des pays les plus redistributifs au monde mais le déterminisme social y est le plus élevé. Les études PISA – programme international pour le suivi des acquis des élèves – montrent ainsi que l’influence du milieu social sur les performances scolaires figure parmi les plus élevées.

À cet égard, le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaires, mené par Jean-Michel Blanquer, restera comme l’une des grandes mesures de ce quinquennat. Nous irons encore plus loin dans le traitement des difficultés à la racine, en rendant l’école obligatoire dès 3 ans, en étendant l’effort de réduction du nombre d’élèves à la grande section de maternelle dans les zones les moins favorisées et en limitant à vingt-quatre élèves les classes de CP et de CE1 dans tout le territoire. (Mêmes mouvements.)

Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel ont également présenté, en début de semaine, après des mois de concertation, les contours d’un nouveau service public d’accueil des enfants souffrant de handicaps à l’école. Nous voulons en finir avec des systèmes qui bricolent des solutions pour les enfants en situation de handicap, qui font trop souvent leur rentrée après les autres enfants.

Nous poursuivrons la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, avec la réforme de Parcoursup, que Frédérique Vidal a conduite. Les jeunes Français choisissent désormais leur voie par vocation et non par défaut.

M. Fabien Di Filippo. Quel bluff !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette réforme que l’on disait impossible, elle est faite ; elle marche et elle est juste. On compte déjà 30 % de plus de boursiers dans les classes préparatoires parisiennes et les IUT ont admis 19 % de bacheliers technologiques en plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Renforcer notre modèle social, c’est en combler les failles, c’est l’adapter aux situations individuelles, c’est inventer de nouvelles solidarités. Je pense aux familles monoparentales qui se sont beaucoup exprimées durant le grand débat : logement, travail, fin de mois, garde d’enfants, tout est plus difficile quand on est seul. C’est pourquoi, dans le plan pauvreté, nous avons prévu l’ouverture de 30 000 places en crèche et la formation de 600 000 professionnels. Un service unique d’information des familles sera créé en 2020 pour connaître en temps réel les places de crèche et d’assistantes maternelles disponibles. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)



Enfin, dès juin 2020, le Gouvernement mettra en place un nouveau système pour protéger les personnes seules contre le risque d’impayé des pensions alimentaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Sur décision d’un juge, ou sur demande en cas d’incidents de paiement, les pensions seront automatiquement prélevées par la CAF pour être versées à leurs bénéficiaires et c’est la CAF qui déclenchera une procédure de recouvrement en cas d’impayé. Quand la vie est dure, que chaque euro compte, que chaque jour compte, il ne faut pas ajouter de l’inquiétude, de la tension, de la précarité et laisser les familles seules face à l’incertitude sur le versement des pensions. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Je pense à notre système de soins. Nous sommes tous choqués par ces images d’urgences saturées, de brancards qui s’empilent dans les couloirs, de professionnels qui enchaînent les heures et les patients. Agnès Buzyn a apporté des premières réponses la semaine dernière, pour mieux reconnaître l’engagement des professionnels et moderniser les locaux. Mais tout le monde sait que la situation des urgences traduit un mal plus profond encore.

Notre ambition est de transformer le système de santé, en ville comme à l’hôpital, pour mettre un terme aux crises qui minent la confiance des soignants et des patients. La loi présentée par Agnès Buzyn sera bientôt votée. C’est une grande loi de transformation. Le défi sera alors celui de l’exécution. Nous serons au rendez-vous. Pour l’heure, j’en appelle au sens des responsabilités – il est immense – de tous les professionnels de santé, publics et privés, pour se rassembler autour des directeurs d’ARS, afin de coordonner leur présence estivale et d’anticiper les points de tension à venir.

M. Fabien Roussel. Insupportable !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je pense également au combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes que mène le Gouvernement, avec Marlène Schiappa, dans les domaines de l’égalité salariale et de la lutte contre les discriminations et contre les violences. Je pense aux millions d’aidants qui arrêtent de travailler ou qui réduisent leur activité pour s’occuper d’un proche. Nous demanderons aux partenaires sociaux de se saisir de cette question et nous examinerons comment prendre en compte ces situations dans le calcul des retraites.

Je pense à tous ceux qui sont perdus face à la complexité de notre système d’aides sociales et pour lesquels nous sommes en train de préparer le futur revenu universel d’activité. La concertation a commencé : elle conduira à la présentation d’un projet de loi en 2020. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)

L’acte II, mesdames et messieurs les députés,… 

M. Fabien Di Filippo. Il n’y a pas d’acte II !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …c’est répondre au défi du vieillissement de la population. C’est l’un de nos grands défis de société. Certains parlent d’une révolution de la longévité. Même si nous n’avons pas rien fait depuis des années, nous avons trop tardé pour nous y confronter vraiment, non seulement parce que les budgets en jeu sont gigantesques, mais aussi peut-être par une forme de déni. Nous le voyons tous avec nos parents ou nos grands-parents : malgré le dévouement des soignants, des familles et des aidants, nous sommes mal préparés.

C’est notre regard qui doit changer, celui que nous portons sur la place des personnes âgées dans notre société et le rôle qu’elles peuvent y jouer. Nous devons entendre leur volonté de vieillir à domicile et ne pas privilégier une seule solution, entendre également les familles qui supportent une charge financière importante et qui, souvent, sont prises en tenaille entre leurs obligations d’enfants et celles de parents, voire de grands-parents. Nous devons entendre, enfin, les personnels, dont le métier doit être revalorisé.

La ministre des solidarités et de la santé présentera à la fin de l’année un projet de loi qui définira une stratégie et la programmation des moyens nécessaires pour prendre en charge la dépendance. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) Dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous enclencherons une première étape, avec des mesures favorisant le maintien à domicile et des investissements dans les EHPAD. Cela fait dix ans qu’on promet cette grande réforme de dignité et de fraternité : nous la conduirons et ce sera un autre grand marqueur social de ce quinquennat, peut-être un des plus importants. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

L’autre grand défi de notre génération, c’est l’instauration d’un système universel de retraites. Nous avons aujourd’hui quarante-deux régimes, qui assurent globalement un bon niveau de retraite : la France est un des rares pays où le niveau de vie des retraités est légèrement supérieur à celui du reste de la population. 

M. Pierre Cordier. Globalement...

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cependant, notre système n’est ni simple ni juste. Il pénalise les carrières courtes ou hachées. Ce constat est connu. S’y ajoutent des inquiétudes légitimes concernant son avenir et son financement. Le Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye a mené depuis janvier 2018 un intense travail de concertation. Il présentera au mois de juillet ses recommandations en faveur d’un système universel permettant à la fois de renforcer l’équité entre générations, la protection des plus fragiles et la confiance des Français.

Ce nouveau système, que nous mettrons en place de manière très progressive, reposera sur un principe simple : les règles seront les mêmes pour tous, c’est-à-dire qu’1 euro cotisé ouvrira les mêmes droits pour tous. Ce système sera aussi plus redistributif, car il réduira l’écart entre les pensions des plus modestes et celles des plus aisés et entre les pensions des hommes et celles des femmes. Il garantira enfin, comme le Président l’a demandé, que les personnes qui ont travaillé toute leur vie ne perçoivent pas moins de 85 % du SMIC. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Nous savons tous que ces principes sont justes mais qu’ils nécessitent des évolutions profondes. S’agissant des fonctionnaires, par exemple, dont les retraites sont calculées actuellement sur les six derniers mois hors primes, le nouveau mode de calcul, sur l’ensemble de la carrière et sur l’ensemble de la rémunération, devra nous conduire à revaloriser les profils de carrière de certaines professions, je pense en particulier aux enseignants.

Les mêmes règles pour tous, c’est vrai, cela signifie aussi la fin des régimes spéciaux (M. Saint-Martin applaudit), qui se fera très progressivement, sans modifier les conditions de départ des personnes qui ont déjà des projets pour leur retraite et en conservant l’intégralité des droits acquis. Ce qui compte, c’est la cible vers laquelle nos régimes vont converger ; pour aller vers cette cible, il faut du temps et de la souplesse. Nous nous en donnerons pour réussir cette transformation.

Enfin, le Président l’a affirmé, nous devons travailler plus longtemps. C’est la clé de la réussite du pays. Je vois bien que cela inquiète. Mais la réalité, c’est qu’il s’agit aussi d’une question de justice. Continuer à partir à la retraite deux ans plus tôt que l’âge moyen des autres pays européens, c’est demander à nos enfants de financer cet écart.

M. Éric Coquerel. Ce n’est pas vrai.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les Français sont d’ailleurs lucides : déjà, l’âge moyen de départ à la retraite est supérieur à l’âge légal, parce que nos compatriotes ont compris que, grâce à leur travail, ils pourraient bénéficier d’une meilleure pension, et ils ont raison.

M. Stéphane Peu. Aucun Français ne vous croira.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous maintiendrons donc la possibilité d’un départ à soixante-deux ans, mais nous définirons un âge d’équilibre et des incitations à travailler plus longtemps. Ainsi, chacun pourra faire son choix, en liberté et en responsabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Stéphane Peu. Aucune liberté, que de la contrainte !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. La condition pour que ce choix existe, c’est que le chômage recule : c’est la raison pour laquelle nous lancerons un grand plan pour améliorer les conditions et le niveau d’emploi des seniors.

Mme Frédérique Meunier. Quel hypocrite !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. L’acte II, c’est aussi répondre à un certain nombre de peurs, des peurs qui se sont exprimées durant le grand  débat et qui s’expriment depuis des années dans le débat public. Toutes reposent sur un sentiment de perte de contrôle : perte de contrôle sur les évolutions du monde, sur le progrès technologique, sur des menaces réelles ou ressenties, sur la violence.

Il existe plusieurs manières d’appréhender ces inquiétudes ou ces peurs. On peut les attiser pour en tirer profit. On peut les nier, pour éviter de se poser des questions difficiles. Je crois surtout qu’il faut les affronter, en montrant à nos concitoyens que, sur tous les sujets, la République a les moyens de garder le contrôle.

Garder le contrôle, c’est d’abord garantir l’ordre public pour tous et sur tout le territoire. Une de nos premières décisions a été de lancer un vaste plan de recrutement et d’équipements des forces de l’ordre et d’y accorder les moyens. Il y avait urgence : on partait de loin. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.) Une autre décision a été de concentrer les forces dans les quartiers de reconquête républicaine, où la délinquance et les incivilités avaient grimpé en flèche. Les premiers résultats sont là : en 2018, les vols avec armes ont baissé de 10 %, les cambriolages de 6 % et les vols de véhicules de 8 %.

Durant les douze prochains mois, notre priorité sera de combattre le trafic de stupéfiants qui gangrène des pans entiers de notre territoire, ce qui implique de harceler les points de vente, de neutraliser les échelons de distribution et de faire tomber les têtes de réseaux. Nous procéderons aux changements d’organisation nécessaires pour parvenir à ces résultats opérationnels.

M. Stéphane Peu. Mettez surtout des effectifs là où il en faut !

M. Pierre Cordier. On dirait que vous venez d’arriver au pouvoir : après deux ans, quel aveu d’échec !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’ai également demandé à Christophe Castaner un plan pour lutter contre la violence gratuite. Les Français n’en peuvent plus des coups de couteaux donnés pour un mauvais regard ou des batailles rangées entre bandes rivales. Nous ne devons plus rien laisser passer. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Maxime Minot. Parlons-en !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pour réussir, nous devrons finaliser les réformes que nos forces de l’ordre attendent depuis longtemps sur le temps de travail, sur les heures supplémentaires,…

Plusieurs députés du groupe LR. Vous ne les avez pas payées !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …sur la fidélisation dans les postes et les territoires. Pour traduire ces orientations, le ministre de l’intérieur et le secrétaire d’État engageront, dès cet été, la rédaction d’un livre blanc sur la sécurité intérieure ainsi que d’une future loi de programmation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Garder le contrôle, c’est maintenir une vigilance de tous les instants contre la menace terroriste, c’est continuer de fermer les lieux de culte radicalisés, c’est poursuivre l’expulsion systématique des ressortissants étrangers en situation irrégulière qui figurent au FSPRT, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Nous avons expulsé plus de 300 de ces étrangers en situation irrégulière signalés au FSPRT au cours des dix-huit derniers mois.

Plusieurs députés du groupe LR. Menteur !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Garder le contrôle, c’est aussi poursuivre les efforts de recrutement dans le renseignement : il y en aura 1 900 avant la fin du quinquennat.

Garder le contrôle, c’est enfin affirmer notre singularité et notre indépendance dans le monde, un monde qui est dangereux et qui va le rester, un monde où la France, inlassablement, cherche à porter la voix de la paix et de la stabilité, en continuant de promouvoir le multilatéralisme contre la loi du plus fort et en investissant dans l’aide au développement.

Au-delà des moyens en hausse que nous y consacrons, pour aller jusqu’à 0,55 % du PIB, c’est l’ensemble de notre dispositif qui doit être revu. Une mission est en cours et je sais que les commissions parlementaires ont fait de nombreuses propositions. Le Président de la République tiendra un conseil du développement en juillet et, à l’issue des rencontres du G7, cet été, Jean-Yves Le Drian préparera un projet de loi qui sera déposé au Parlement à l’automne et discuté en 2020.

La France doit également rester capable de se battre contre ses ennemis : en Syrie où la fin du califat territorial est une victoire, mais ne marque pas la fin de la menace, et au Mali, aux côtés de nos alliés. Je sais que vous vous associerez tous à l’hommage que je veux rendre à celles et à ceux qui risquent leur vie pour protéger la nôtre. Mes pensées vont à leurs familles, et plus particulièrement à celles qui ont été endeuillées cette année. (Mesdames et messieurs les députés se lèvent et applaudissent longuement.)

Conformément aux engagements du Président de la République, mon gouvernement a voulu donner les moyens à nos armées de nous défendre. Le 13 juillet dernier, le président a promulgué la loi de programmation militaire pour porter notre effort de défense progressivement à 2 % du PIB. C’est un effort massif, mais il s’agit, là aussi, d’être constant et cohérent.

Combattre les peurs du pays, montrer que nous gardons le contrôle, c’est avoir le courage d’affronter sans fausse pudeur certaines réalités, notamment concernant la pression migratoire.

Cette réalité, c’est un nombre de demandeurs d’asile qui a baissé de 10 % en Europe l’année dernière, mais qui continue d’augmenter, en France, d’environ 22 %.

M. Éric Ciotti. Eh oui ! On vous l’avait dit !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si nous voulons bien accueillir et bien intégrer ceux qui rejoignent notre pays, nous devons maîtriser ces flux migratoires. Ce combat est, évidemment, d’abord européen. Le Président de la République l’a annoncé : la France portera, dans les prochains mois, avec de nombreux partenaires européens, un projet de refondation complète de Schengen. Nous devrons également prendre nos responsabilités au niveau national. Le droit d’asile est un trésor. Nous y consacrons des moyens en forte hausse. C’est le prix de la fidélité à nos valeurs, mais c’est aussi pour cette raison que nous devons lutter avec fermeté contre les abus. Nous continuerons, évidemment, à offrir aux demandeurs d’asile des conditions d’accueil et de protection sociale conformes à nos principes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mais nous devons nous assurer que les demandeurs d’asile choisissent la France pour son histoire, pour ses valeurs, pour sa langue, et non parce que notre système serait plus favorable que celui d’un pays européen voisin. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et FI.)

Mme Elsa Faucillon. Arrêtez de dire cela, ce n’est pas ce qu’ils cherchent ! Vous parlez de l’Italie ?

M. Stéphane Peu. Demandez aux Grecs !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le fond de ma conviction, c’est que ces sujets devraient faire l’objet d’une harmonisation progressive dans l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Ces questions sont difficiles. Elles soulèvent les passions. Elles touchent aux fondements de notre souveraineté et de nos principes. Il est donc nécessaire d’en débattre de manière régulière et au grand jour avec le Parlement. C’est pourquoi, comme l’a annoncé le Président de la République, le Gouvernement organisera, chaque année, un débat au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration et d’asile. Le premier aura lieu au mois de septembre prochain. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Thibault Bazin. Avec un vote !

M. Dominique Potier. Comme Sarkozy !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Combattre les peurs, c’est aussi lutter contre l’islamisme et faire vivre la laïcité. Le Gouvernement accompagnera les musulmans dans la construction d’un islam où les croyants français exercent les responsabilités. Nous ne le ferons pas à leur place, mais nous leur donnerons les moyens, d’abord de combattre l’islamisme et les discours de haine sur les réseaux sociaux. Je salue la proposition de loi de Lætitia Avia, qui nous donnera les outils dont nous avons besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Ensuite, nous leur donnerons les moyens de réformer l’organisation du culte musulman.

Mme Elsa Faucillon. Organiser le culte ? C’est cela, la laïcité ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Des assises territoriales de l’islam de France ont eu lieu l’été dernier. Un large consensus s’est dégagé en faveur d’une structuration départementale. Il est important que des suites soient données à ces attentes. Enfin, l’islam de France doit recruter et former des imams en France, qui parlent le français, et mettre fin de manière progressive au système où beaucoup d’imams ou psalmodieurs sont choisis et rémunérés par des États étrangers. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

S’il faut des dispositions législatives pour garantir le respect de l’ordre public et renforcer la transparence du financement des cultes, en particulier quand ce financement est étranger, le Gouvernement vous les proposera, sans remettre en cause la loi de 1905 ni le libre exercice des cultes. (Applaudissementssur les bancs du groupe LaREM.)

Combattre les peurs, c’est remettre de la conscience dans la science, pour paraphraser une formule célèbre. C’est déterminer ce qui est permis et ce qui ne l’est pas dans des domaines où tout devient techniquement possible. Les états généraux de la bioéthique se sont achevés il y a un an. Le Parlement s’est également saisi de ces questions. Le projet de loi que le Gouvernement s’est engagé à préparer pour tirer les conclusions de ces travaux est prêt. Conformément aux engagements du Président de la République, il autorise le recours à la procréation médicalement assistée – PMA – pour toutes les femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, sur plusieurs bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs des groupes SOC, FI et GDR.)

Sur certaines questions, comme l’accès aux origines, le régime de filiation en cas de PMA avec tiers donneur, plusieurs options étaient possibles, et le Gouvernement a retenu celles qui lui semblaient les plus à même de permettre un débat apaisé.

M. Thibault Bazin. Lesquelles ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le projet de loi sera adopté en Conseil des ministres fin juillet et pourra être débattu au Parlement dès la fin septembre, juste avant la discussion budgétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM. – Plusieurs députés du groupe LaREM se lèvent et applaudissent.)

J’ai la chance d’avoir, dans mon gouvernement, trois ministres d’exception : une médecin, Agnès Buzyn ; une juriste, Nicole Belloubet ; une scientifique, Frédérique Vidal. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Les débats que vous avez eus avec elle, que j’ai eus avec elles, ont été de grande qualité. Je suis persuadé que nous pouvons atteindre une forme de débat serein, profond, sérieux, à la hauteur des exigences de notre pays. C’est mon ambition, en tout cas. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Combattre les peurs, enfin, c’est regarder l’avenir avec confiance, investir dans l’intelligence, renouer avec l’esprit de conquête. L’État, qui devrait raisonner en stratège pour le long terme, est trop souvent englué dans le court terme, dans la gestion politique à six mois, alors que des entreprises ou des collectivités territoriales déploient des plans d’action à dix ans, investissent, motivent leurs collaborateurs, cherchent, découvrent. Il faut, comme le Président nous y a invités, tracer une perspective collective de long terme pour notre pays, donner de la visibilité à chacun sur les objectifs de la nation, au moins à l’horizon de 2025 : bâtir un pacte productif ; rattraper notre retard en robotique, comme nous sommes en train de rattraper notre retard en numérique ; devenir le principal hub de l’intelligence artificielle en Europe (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM) ; devenir en tout point la nation la plus attractive, pour le tourisme, la santé, l’industrie. Offrons à la jeunesse des raisons de s’engager pour l’environnement, pour le développement, dans les territoires isolés, via le service national universel, que nous commençons à déployer cette année. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Définissons une nouvelle ambition pour la recherche et l’enseignement supérieur. Je vous saisirai d’un projet de loi de programmation et de réforme au printemps 2020. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Combattons les peurs, le repli, et défendons ce que le Président de la République a appelé « l’art d’être Français », c’est-à-dire aussi l’art tout court. Dans le domaine de la culture, nous poursuivrons, bien entendu, le déploiement du Pass culture. Nous réaffirmerons, dans le cadre du projet de loi audiovisuel, qui sera discuté au Parlement au tout début de 2020, le rôle de l’audiovisuel public dans la diffusion de la culture. (M. Studer applaudit.) Nous défendrons le patrimoine national, un patrimoine avec lequel, on l’a vu lors de la catastrophe de la cathédrale de Notre-Dame, les Français entretiennent un rapport fort et intime.

L’acte II se joue enfin dans la réforme de l’État, non pas au sens bureaucratique qu’on lui donne souvent, mais au sens qu’on lui donnait en 1935, ou en 1958, quand déjà, la République cherchait à renouer avec le peuple. J’ai déjà évoqué, devant vous, le « mur de défiance » qui s’est élevé, au fil des années, entre les Français et ceux qui les représentent, ou qui les administrent. J’ai aussi fait le constat avec vous du besoin de proximité et de participation qui s’est exprimé lors du grand débat. Nous ne répondrons pas à ces attentes avec de simples aménagements. C’est l’ensemble de l’action publique, « du sol au plafond », si vous me permettez l’expression, qu’il faut désormais transformer.

Il y a un an, nous avions présenté un projet de loi constitutionnelle et deux projets de loi complémentaires, organique et ordinaire. Les circonstances n’ont pas permis leur examen,… (Exclamations sur plusieurs bancs.)

M. David Habib. Quelles circonstances ? Benalla, c’est un nom qui vous fait peur ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …mais les discussions se sont poursuivies, en particulier avec le Sénat et avec son président. Les événements des derniers mois nous ont confortés dans notre conviction que ces textes étaient utiles, et le grand débat nous a permis de les enrichir. La garde des sceaux est prête à présenter, dès ce mois-ci, trois nouveaux textes en conseil des ministres. Ces textes reprennent le cœur des engagements du Président de la République, y compris l’inscription de la lutte contre le changement climatique à l’article 1er de notre Constitution. Ils sont recentrés sur trois priorités : les territoires, avec l’autorisation de la différentiation, l’assouplissement du cadre relatif à la Corse ainsi qu’aux outremers ; la participation citoyenne, avec un nouveau titre dans la Constitution, la transformation du Conseil économique social et environnemental – CESE – en conseil de la participation citoyenne, la possibilité de former des conventions de citoyens tirés au sort, la facilitation du recours au référendum d’initiative partagée, et l’extension du champ de l’article 11 ; la justice, enfin, avec l’indépendance du parquet et la suppression de la Cour de justice de la République.

En parallèle, des gestes ont été faits pour parvenir à un consensus avec le Sénat. Les dispositions relatives au fonctionnement des assemblées ont été retirées : nous avons considéré qu’il appartenait aux assemblées elles-mêmes de décider de leurs réformes. Les dispositions relatives au cumul des mandats dans le temps ont été assouplies pour en exclure les maires de communes de petite taille et prévoir une entrée en vigueur progressive. Le Président de la République a accepté de revoir sa proposition de baisse d’un tiers du nombre de parlementaires pour viser une réduction d’un quart, qui permet une juste représentation territoriale et l’introduction d’une dose significative de proportionnelle.

La réalité, aujourd’hui, c’est que nous sommes proches d’un accord sur le projet de loi constitutionnel, mais que ce n’est pas encore le cas sur le projet de loi organique, et en particulier sur la question de la réduction du nombre de parlementaires. Le Sénat a été très clair sur le fait qu’il n’y aurait d’accord sur rien s’il n’y avait pas accord sur tout. Nous allons donc continuer à chercher à nous rapprocher, mais nous ne mobiliserons pas du temps parlementaire pour, in fine, constater le désaccord du Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Nous ne renonçons pas à nos ambitions, qui, nous le pensons, sont conformes à la demande de nos concitoyens. Nous attendrons le moment propice et la manifestation de volonté du Sénat, qui, peut être, ne viendra qu’après le renouvellement de la Haute Chambre, en 2020. Nous pouvons aussi voter seulement la proportionnelle à l’Assemblée, sans changer le nombre de députés, et le Président de la République a la faculté d’interroger directement les Français sur la réduction du nombre de parlementaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Éric Straumann. Un référendum !

M. David Habib. Chiche !

M. Stéphane Peu. Un référendum, c’est une très bonne idée !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ma conviction est que nous ne devons pas résister au désir de changement exprimé par les Français.

Transformer l’action publique, c’est réformer nos administrations et notre service public, à Paris et sur le terrain. À la suite d’un long travail préparatoire, j’ai signé deux instructions qui remodèlent nos administrations, à Paris et sur le terrain. Dès janvier prochain, 95 % des décisions individuelles de l’administration seront prises au plus près de nos concitoyens, sur le terrain, et non plus à Paris. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Les services locaux seront renforcés, réorganisés pour plus de cohérence, les administrations centrales allégées et rendues plus agiles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Dans le même temps, nous achèverons d’ici à l’été l’examen de la loi de transformation de la fonction publique, et nous donnons plus de pouvoir aux managers.

M. Pierre Dharréville. C’est qui, les managers ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. La mission Thiriez démarre ses travaux sur la haute fonction publique, pour rénover profondément son recrutement, sa formation et la gestion des carrières. C’est un dossier déterminant pour l’État, parce que pouvoir bénéficier d’éléments bien formés et dévoués a toujours été essentiel à l’État et à la France. Je m’occuperai personnellement du fonctionnement, de la mise en œuvre et de l’application de cette réforme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Le service public, c’est une promesse républicaine, en particulier pour les territoires isolés, la ruralité, les quartiers, l’outre-mer.

M. Patrick Hetzel. Vous ne faites rien pour la ruralité !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le service public, ce sont des personnes, un accueil, un conseil. Quel que soit l’endroit où l’on habite, on doit pouvoir rencontrer un de ses représentants. C’est le sens de la création des maisons France Services que le Président de la République a souhaitée. Depuis plusieurs années, les maisons de service aux publics ont tenté d’apporter une première réponse. Certaines le font déjà remarquablement. Je l’ai vu récemment à Montmoreau, en Charente, mais reconnaissons ensemble que les maisons de service public sont très variées et proposent des niveaux de service très différents.

M. Thibault Bazin. Elles ne sont pas ouvertes partout !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous devons donc changer d’échelle et de logique, partir des besoins de nos concitoyens, dépasser les frontières des administrations, oublier que nous sommes ici l’État, là le département, et là encore la caisse primaire d’assurance maladie  ou la caisse d’allocations familiales. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Cela veut dire des choses simples, comme des horaires d’ouverture élargis, des agents polyvalents, formés, capables d’offrir immédiatement des réponses, d’accompagner vers la bonne porte d’entrée. Dès le 1er janvier 2020, nous aurons créé 300 maisons France Services pleinement opérationnelles et remplissant ces très exigeants critères et, d’ici à la fin du quinquennat, nous voulons en disposer d’au moins une par canton. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

J’aurai également le plaisir de signer avant le 14 juillet les contrats de convergence et de transformation avec les collectivités ultramarines, contrats qui mettent en œuvre nos objectifs de développement économique et social dans ces territoires, et qui s’inscrivent résolument dans la transition écologique. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.) Je veux redire à nos compatriotes ultramarins, comme je l’ai fait lors de ma première déclaration de politique générale, notre volonté de faire appliquer en toutes circonstances ce que j’ai appelé un « réflexe outre-mer ». Nous tiendrons nos engagements.



Transformer l’action publique, c’est, enfin, répondre à l’aspiration fortement exprimée dans le grand débat pour plus de simplicité et plus de proximité.

Un député du groupe LR. Eh bien, c’est réussi !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je suis favorable, pour ma part, à un nouvel acte de décentralisation,…

M. Patrick Hetzel. Et l’Alsace ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …mais je sais que cela prend du temps et que les positions des territoires sont moins unies que nous ne le voudrions tous. C’est bien normal, d’ailleurs, car notre système est devenu compliqué.

Ma conviction, c’est qu’il faut d’abord conforter les maires, qui sont plébiscités par nos concitoyens, pour répondre au sentiment de fracture territoriale. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

Je vous propose donc de procéder en deux temps. D’abord, en prenant des mesures pour favoriser l’engagement des maires. Ces mesures seront rassemblées dans un projet de loi que le Gouvernement présentera dès le mois de juillet et que je proposerai au Sénat d’examiner dès la rentrée. Ensuite, nous devrons nous accorder avec les élus et leurs représentants sur la meilleure méthode pour clarifier le fameux millefeuille territorial. Il faut aller vers des compétences clarifiées, des responsabilités accrues et des financements clairs, comme le Président de la République nous y a invités.

J’irai demain solliciter l’approbation de la politique du Gouvernement au Sénat. Mes prédécesseurs l’ont peu fait – et encore, seulement lorsque le Sénat était clairement dans la majorité. Convenez avec moi que c’est assez loin d’être le cas en ce qui concerne mon Gouvernement... J’irai donc demain au Sénat, sans penser en revenir avec une majorité, mais ce sera l’occasion pour le Gouvernement de détailler ce chapitre territorial de l’acte II. Le vote permettra à chacun de se prononcer, et à nous tous d’y voir plus clair. (Applaudissements  sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs des groupe LR, SOC et GDR.)

M. le président. Un peu de calme, je vous prie.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’ai appelé au dépassement pour relever les défis. Mais je reconnais que le Gouvernement aussi doit dépasser ses habitudes et ses inclinations, pour changer de méthode. (« Ah ! » et autres exclamations sur plusieurs bancs des groupes LR et GDR.) Le sentiment d’urgence nous a parfois conduits à prendre des décisions rapides et pas assez concertées. (« Vous le reconnaissez ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.) C’est toujours une erreur et, au final, cela fait perdre du temps.

En cette troisième année aux responsabilités, nous voulons faire évoluer notre manière de gouverner.

M. Stéphane Peu. Écoutez les oppositions !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous sommes et nous demeurerons des réformateurs, mais nous devons davantage associer les Français à la fabrique de nos décisions.

M. Thibault Bazin. Il était temps !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les transformations que nous avons engagées, beaucoup de nos concitoyens ont pensé que nous les faisions sans eux ; certains ont même cru que nous les faisions contre eux. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Stéphane Peu. Bien sûr, ils sont lucides !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je pense notamment aux retraités et aux Français des territoires isolés. C’est à nous de les convaincre que nous les faisons pour eux, à nous de changer de méthode pour les faire avec eux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

C’est le sens de la mobilisation nationale qui réunit sur les territoires élus, partenaires sociaux, associations et services de l’État pour identifier ce qu’on doit changer au service de l’emploi et de la transition écologique. C’est le sens aussi du développement d’une forme de démocratie directe, parce que le grand débat n’est pas une parenthèse, mais un besoin de fond de nos démocraties.  C’est, enfin, le sens de cette attention que nous devons porter à ce fameux « dernier mètre » qui sépare parfois une décision prise dans un bureau des Français, qui seuls comptent.

Changer de méthode, c’est aussi changer de ton. (« Ah ! » et autres exclamations sur les bancs du groupe LR.) Nous tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

La détermination, la conviction, la passion… (Exclamations persistantes sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, il arrive parfois qu’on invective le Premier ministre lorsqu’il s’exprime, peut-être pour essayer de lui faire perdre son calme. C’est peine perdue : je suis inénervable. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Interruptions sur les bancs du groupe LR.)

Changer de méthode, c’est changer de ton. La détermination, la conviction, la passion que nous mettons à défendre nos idées – qui ne sont pas identiques – ne devraient jamais nous conduire à l’arrogance, à l’agressivité, à la caricature. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – « Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.) Regardons avec lucidité notre scène politique et nos débats médiatiques : ils ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux. Je ne donne aucune leçon et je ne m’exonère d’aucune responsabilité dans ce domaine, mais nous avons de belles et vraies questions à traiter, qui méritent mieux que des raccourcis, des outrances ou des postures. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SOC et GDR.) Ces belles questions méritent, elles aussi, que nous dépassions nos vieilles habitudes,…

M. Laurent Furst. Où est Benalla ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …que nous nous écartions de ces partitions vieillies qui nous font jouer, mal le plus souvent, les mêmes rengaines fatiguées. Nous pouvons faire tellement mieux !

M. Stéphane Peu. Vous l’avez dit au Président de la République ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. La France, qui est souvent belle dans la tradition et la permanence, n’est jamais aussi grande que dans l’effort et le dépassement. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Dans le pays des Lumières, ce n’est jamais l’argument d’autorité qui doit prévaloir. Dans le pays des Lumières, on doute et on se respecte. (Applaudissements prolongés sur les mêmes bancs.)

Je ne me résigne pas au rétrécissement du débat public et je souhaite que nous portions ensemble l’espoir d’un ressaisissement, sans gommer nos différences.(Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

Il est un joli mot, qui vient de la rude et grave république romaine, mais qui semble parfois faire défaut dans nos démocraties : c’est celui de « civilité » – une civilité qui va au-delà de la politesse de façade et qui concerne, au fond, le respect que l’on doit à tout membre d’une même communauté. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Si vous le voulez bien, c’est, après le dépassement, le second terme que j’aimerais placer au cœur de notre projet. Pour marquer le respect que nous nous devons entre nous, membres du Gouvernement et Parlement, et que nous devons aux Français – la considération que chacun a le droit le plus fondamental de revendiquer. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Mesdames et messieurs les députés, notre feuille de route est claire pour l’année qui vient. Elle est dense. Mais notre vision pour le pays va bien au-delà d’une année de travail, aussi intense soit-elle. Nous souhaitons réconcilier la France avec elle-même.

Une députée du groupe LR. On finance comment ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Notre pays, qui a tout et que le monde envie, a perdu confiance. En tout cas, des millions de ses citoyens ont perdu confiance en lui.

Un député du groupe GDR. En vous, en tout cas !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette confiance, nous voulons la rebâtir, en  renouant avec l’idée de rassemblement, car notre pays a besoin d’unité et de respect, en renouant avec l’idée de puissance, gage de notre grandeur et de nos modes de vie, et en remettant l’humain au cœur de nos préoccupations.

Une France fidèle à elle-même, puissance industrielle, militaire et culturelle, une France travailleuse, solidaire et écologique, qui puise dans ce qu’elle produit la ressource de la justice sociale et qui ne vit pas au crédit de ses enfants ni de leur environnement.(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Mesdames et messieurs les députés, je me tiens devant vous pour tenir les engagements du Président de la République et mettre fidèlement en œuvre l’intégralité de ce que je viens de vous annoncer. Et j’ai l’honneur d’engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement que je dirige sur ce programme. (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM et MODEM se lèvent et applaudissent très longuement. – Quelques députés du groupe UDI et indépendants applaudissent également.)

(...)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller (LR).

Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le Premier ministre, je ne peux mettre en cause ni votre sincérité ni votre volonté de bien faire mais ce nouveau discours de politique générale, cette prétendue reprise en main de Matignon, ce pseudo-acte II de votre quinquennat fait surtout office d’un cache-misère un peu réchauffé sans aucune piste sérieuse de financement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)

M. Michel Herbillon. Elle a raison !

Mme Virginie Duby-Muller. Réchauffé car rien ne justifiait vraiment ce discours. Vous n’avez pas remanié votre Gouvernement et vous n’avez pas été renommé par le Président de la République. Réchauffé car rien n’a vraiment changé et les exercices de stand-up et d’autosatisfaction se poursuivent inlassablement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)

Aujourd’hui vous voulez surfer sur les résultats des élections européennes, que vous auriez bien tort de considérer comme un succès pour votre camp. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

Plusieurs députés du groupe LaREM. Et vous alors, pour votre camp ?

Mme Virginie Duby-Muller. La réalité est hélas beaucoup moins rose que vous ne voulez nous la présenter. La réalité, c’est que vous ne parvenez pas à redresser le pays et que vous avez profondément divisé les Français. La réalité, c’est que l’élection d’Emmanuel Macron avait incontestablement fait naître un espoir chez les Français mais ces derniers sont passés de l’espoir au doute, puis du doute à la déception.

La réalité c’est que l’enthousiasme suscité à vos débuts a été douché depuis deux ans. Douché par votre politique fiscale injuste et brutale, douché par les sidérantes révélations de l’affaire Benalla, douché par une arrogance et un mépris dont votre majorité n’aura jamais pu se départir, douché enfin et surtout par une crise sociale qui a fracturé profondément notre pays et dont vous êtes comptable aujourd’hui.

Plusieurs députés du groupe LR. Eh oui !

Mme Virginie Duby-Muller. Lors de votre premier discours de politique générale, en juin 2017, vous aviez sans conteste l’ambition résolue et vaillante d’un chef de gouvernement qui désirait réformer le pays mais qui voulait également exister face à un Président jupitérien qui venait de l’éclipser en convoquant le Congrès à Versailles. Vous sembliez animé des meilleures intentions et décidé à en finir avec les désastreuses années Hollande ! Vous aviez gagné les élections et votre légitimité était incontestable, ou plutôt, et il est intéressant de le préciser dans votre cas, monsieur le Premier ministre, vous les aviez gagnées juste après les avoir perdues !

À ce moment-là, nous ne pouvions présumer de ce que serait votre mandat et et c’est pour cela qu’une majorité des députés Les Républicains avaient fait le choix d’une abstention vigilante plutôt que de refuser totalement la confiance que vous nous demandiez en juin 2017. Nous n’avions pas été élus sur le même programme que la majorité, nous ne partagions pas sa vision pour la France mais nous espérions que sur certains sujets nous pourrions nous retrouver.

Deux ans plus tard, nous pouvons dresser le bilan de votre action et nous ne pouvons le cautionner car la réalité, c’est que vous avez confondu la transformation avec la communication. Vos réformes ont tardé à venir et nous avons fait peu à peu l’amer constat du décalage systématique entre les paroles et les actes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) Décalage permanent entre le volontarisme et l’ambition réformatrice de vos discours et la réalité décevante de vos actions et de vos mesures. Si Emmanuel Macron faisait vraiment une réforme à chaque fois qu’il annonçait une réforme, il serait sans doute l’un des plus grands réformateurs de la Ve République. Il est hélas très très loin de cela. C’est un brillant story-teller, un formidable communicant  ; c’est en revanche un piètre réformateur !(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Prenons quelques instants pour dresser le bilan de vos deux premières années de mandat. Monsieur le Premier ministre, la première loi d’un mandat est toujours extrêmement riche d’enseignements. Elle en dit long sur l’ambition d’une majorité. Elle permet de donner le ton du quinquennat, de porter une vision pour la France et d’insuffler une dynamique. Ce fut le cas en 2007 avec la loi dite TEPA du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, qui a permis de défiscaliser les heures supplémentaires, valorisant ainsi le travail et le mérite. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Ce fut également le cas en 2012 avec le « mon ennemi c’est la finance » de François Hollande, qui visait à mettre en place un égalitarisme dogmatique.

Mais vous, monsieur le Premier ministre, votre première loi fut extrêmement révélatrice de votre sens des priorités pour notre pays.Votre première loi ne fut pas un collectif budgétaire pour baisser les impôts, revaloriser le travail ou rétablir les finances publiques. Ce ne fut pas non plus une grande réforme structurelle pour améliorer la compétitivité des entreprises. Ce ne fut pas non plus une grande loi sociale pour améliorer le progrès dont vous nous parlez sans cesse, sans jamais vraiment nous expliquer du reste de quel progrès il s’agit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)

Votre première loi ne consista pas non plus à lutter puissamment contre le réchauffement climatique et pour la préservation de notre environnement, que vous érigez subitement en priorité des priorités, poussés avant tout, on l’aura compris, par les circonstances majoritairement électorales plutôt que par de profondes convictions.

Votre première loi fut plutôt consacrée à satisfaire une partie de l’opinion publique en stigmatisant les élus et en supprimant la réserve parlementaire, qui permettait aux élus d’épauler les projets et les associations de leur territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Au lieu de s’attaquer aux difficultés profondes et nombreuses de nos concitoyens, au lieu d’essayer de rendre notre pays plus juste, plus écologique, plus apaisé et plus compétitif, vous avez choisi de jeter quelques élus en pâture par pure démagogie, pour vous offrir une popularité à peu de frais.

M. Raphaël Schellenberger. De la politique politicienne !

Mme Virginie Duby-Muller. Cet épisode en disait long et la suite ne nous a pas rassurés. Plutôt que de vous attaquer à l’excès de dépenses publiques en menant des réformes structurelles ambitieuses, vous avez fait des économies de bout de chandelle extrêmement injustes, en rabotant de 5 euros les APL au détriment des plus modestes, en réduisant la prestation d’accueil du jeune enfant au détriment des familles.

Au lieu de défendre une fiscalité plus juste et plus supportable en baissant les impôts, vous avez augmenté comme jamais la CSG payée par les retraités (Applaudissements sur les bancs du groupe LR) avant de leur faire boire le calice jusqu’à la lie en désindexant les pensions de retraite de l’inflation, une première depuis 1945 ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Au lieu de défendre une écologie juste et positive, vous avez durement attaqué et stigmatisé tous ceux qui n’ont pas de solution alternative à la voiture, en particulier les ruraux et les périurbains, avec une hausse impossible à supporter de la fiscalité sur les carburants.

M. Damien Abad. C’est du racket !

Mme Virginie Duby-Muller. Bref, au lieu d’être le Gouvernement du pouvoir d’achat des Français, vous avez diminué leur pouvoir d’achat de 4,5 milliards d’euros au cours de la première année du quinquennat. Vous vous en êtes pris aux classes moyennes et au lieu de valoriser le travail, vous avez renchéri les dépenses de carburant des travailleurs.

Vous vouliez restaurer l’autorité de l’État mais celle-ci n’a cessé d’être bafouée par les casseurs, qui ont pris en otage le mouvement des gilets jaunes et créé le chaos semaine après semaine.

(À seize heures quarante-cinq, Mme Annie Genevard remplace M. Richard Ferrand au fauteuil de la présidence.)
Présidence de Mme Annie Genevard

vice-présidente

Mme Virginie Duby-Muller. C’est sûr qu’entre un ministre de l’intérieur qui juge la prison « criminogène » et un objectif de construction de prisons réduit de moitié par rapport à l’engagement de campagne, c’est mal parti pour lutter contre l’insécurité !

Vous vouliez mieux contrôler nos frontières, mais vous avez délivré un nombre record de titres de séjour en 2018. En deux ans, l’immigration légale a bondi de 11 %, ce rythme devant continuer de croître, de même que celui des demandes d’asile.

Vous prôniez une République exemplaire, aussitôt mise à mal par l’attitude de l’Élysée vis-à-vis de M. Benalla. Ces « qu’ils viennent me chercher ! » bravaches étaient particulièrement ridicules (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) Déjà, au tout début de quinquennat, le Président avait limogé par pur orgueil le général de Villiers, pourtant, lui, exemplaire.

Plusieurs députés LR. Eh oui !

Mme Virginie Duby-Muller. Emmanuel Macron disait refuser une « République des fusibles » mais pour sauver M. Castaner, il  n’a pas hésité à sacrifier le préfet Delpuech, dont le seul tort était de suivre les consignes de l’exécutif.

Plusieurs députés LR. Très bien !

Mme Virginie Duby-Muller. Enfin, au lieu de défendre et de promouvoir les territoires, ce Gouvernement s’est montré particulièrement centralisateur. Une telle politique imposée depuis Paris a culminé avec l’obligation uniforme d’appliquer les 80 kilomètres par heure.

Vous avez beaucoup parlé de pacte girondin mais, jusqu’ici, vous avez mené une politique recentralisatrice. Vous semblez vouloir évoluer de ce point de vue mais nous vous jugerons aux actes, à la fois sur la teneur de votre loi de décentralisation et sur le charcutage électoral que vous nous préparez. Si vous maintenez la proportionnelle et que vous éloignez les électeurs de leurs représentants dans des circonscriptions à taille inhumaine, alors, vous vous obstinerez dans une politique recentralisatrice et jacobine.

À ce stade, vous en conviendrez, le bilan de vos deux premières années est donc plus que contestable et nous interdit de voter la confiance. Bien évidemment, nous espérons votre succès pour les trois prochaines années car il serait celui de la France. Toutefois, il est de notre devoir d’opposants de vous alerter quand votre politique ne sert ni la grandeur de la France ni le bonheur des Français.

M. Sylvain Maillard. Merci à vous…

Mme Virginie Duby-Muller. À cet égard, n’allez pas croire que nous rejetons en bloc et par principe toutes vos lois, toutes vos mesures (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Sylvain Maillard. Oui… Cela, c’était avant, c’était l’acte I !

Mme Virginie Duby-Muller. C’est une accusation extrêmement simpliste et totalement mensongère qui ne résiste pas à l’examen des faits et dans laquelle nous ne pouvons accepter de nous voir enfermés. Si nous ne partageons pas votre vision de notre pays, si nous avons des divergences réelles et profondes concernant votre politique, nous savons parfaitement nous montrer constructifs et voter les mesures que vous prenez, qui vont dans le bon sens ou dont nous partageons l’objectif.

Certaines de vos propositions étaient judicieuses et nous saluons comme vous le travail de plusieurs de vos ministres, dont nous reconnaissons l’expertise technique. Ainsi, nous avons voté la loi travail ; nous avons voté la loi sur l’évolution du statut de la SNCF ; nous avons voté la loi de lutte contre les violences sexuelles ; nous avons voté la loi visant à mieux protéger les données personnelles de nos concitoyens ; nous avons voté la loi anticasseurs ; nous avons voté la loi de lutte contre la fraude fiscale et bien d’autres projets défendus par votre majorité.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes des supplétifs !

M. Fabien Roussel. Vous êtes de la même veine !

Mme Virginie Duby-Muller. Sur l’ensemble des projets et propositions de lois examinés par notre assemblée depuis le début de cette législature, nous avons voté 41 % de vos textes.

M. Jean-Paul Dufrègne. Normal, c’est un gouvernement de droite !

Mme Virginie Duby-Muller. Nous en avons rejeté 26 % et nous nous sommes abstenus sur 33 % d’entre eux.

M. Maxime Minot. Où est-il donc, notre sectarisme ?

Mme Virginie Duby-Muller. Toutes ces lois ne sont évidemment pas de la même importance mais avouez que ces chiffres tordent le cou à bien des idées reçues… (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. Chers collègues, laissez l’oratrice s’exprimer !

Mme Virginie Duby-Muller. De la même manière, durant les trois prochaines années de la législature, nous continuerons de voter sans état d’âme l’ensemble des textes qui iront dans le bon sens. Le procès en sectarisme que vous faites parfois aux députés Les Républicains, qui voteraient systématiquement contre les textes du Gouvernement, voire feraient de l’obstruction parlementaire, est donc absolument insupportable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Pour autant, nous sommes dans l’opposition et cela devrait vous inspirer le respect car dans un grand pays démocratique, une majorité a besoin d’une opposition, d’une opposition qui ne se laisse pas intimider par les menaces d’un de vos proches faisant grossièrement de certains de vos opposants de prétendus « ennemis de la République ».

Vous devriez également saisir la main que nous vous tendons. Or, vous la refusez en repoussant systématiquement les propositions de loi des Républicains. Vous rejetez même les textes transpartisans qui concernent pourtant des sujets concrets qui devraient nous réunir. À titre d’exemple édifiant, votre rejet incompréhensible de la proposition de loi d’Aurélien Pradié visant à favoriser l’inclusion des élèves en situation de handicap.

M. Sylvain Maillard. Elle était vide !

Mme Virginie Duby-Muller. C’est pourtant une question essentielle sur laquelle nous aurions dû nous retrouver en bonne intelligence, dans l’intérêt de ces enfants et de leurs familles (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Monsieur le Premier ministre, je connais votre goût du débat et votre respect du pluralisme. Vous savez que tout mandat repose sur un dialogue sain entre la majorité et son opposition et que l’une se nourrit de l’autre. De ce fait, il est incompréhensible que votre majorité ait eu recours, comme aucune jusque là, aux motions de procédure mettant brutalement un terme à l’examen de l’ensemble des propositions de loi de l’opposition sans même permettre le moindre début de débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Voilà une drôle de conception de la démocratie et de ce nouveau monde dont vous vous faites les chantres alors que, finalement, il est souvent pire que l’ancien !

M. Maxime Minot. Eh oui !

Mme Virginie Duby-Muller. Comme vous nous le faites parfois croire, il n’y a donc pas d’un côté les gentils députés constructifs et responsables de la République en marche et, de l’autre, les méchants députés de l’opposition des Républicains…

M. Sylvain Maillard. Tout de même… Cela se discute !

Mme Virginie Duby-Muller. …qui souhaitent l’échec du pays. Votre vision des choses est bien manichéenne.

Le Président de la République et vous-même n’aimez visiblement pas le Parlement, que vous voyez uniquement comme un gêneur, un contre-pouvoir inutile à l’exécutif, qui vous ferait perdre votre temps et qu’il faudrait mettre au pas. Vous dénigrez souvent l’attitude de l’opposition et en particulier celle des Républicains mais le Parlement, l’opposition – notamment Les Républicains – jouent un rôle crucial, quoi que vous en pensiez.

Avec mes 103 collègues, nous sommes tout à la fois des lanceurs d’alerte et des garde-fous. Voués à notre mandat, nous sommes systématiquement force de proposition sur bien des sujets et nous vous avons aidés à ne pas vous entêter et à reconnaître vos erreurs.

Ce fut le cas lorsque nous avons dénoncé votre trajectoire carbone affolante qui allait provoquer des hausses de taxes. Pendant deux débats budgétaires, pendant des centaines d’heures au Parlement, au cours de dizaines et de dizaines de séances de questions au Gouvernement, nous vous avons répété que c’était une folie et qu’il fallait y renoncer. Finalement, après vous être longtemps obstinés, face à la pression de la rue,  vous avez fini, penauds, par nous suivre en abandonnant ces hausses de taxes sur les carburants et en gelant votre trajectoire carbone.

M. Michel Herbillon. Vous auriez mieux fait de nous écouter d’emblée !

Mme Virginie Duby-Muller. Dès octobre 2017, nous nous sommes également élevés contre la hausse sans précédent de la CSG que vous vouliez imposer aux retraités. Là encore, vous vous êtes longtemps obstinés avant de revenir en partie sur les mesures prises.

Le schéma est toujours le même. Acte I : nous vous alertons sur les conséquences dangereuses d’une de vos mesures ; acte II : vous faites la sourde oreille et rejetez toutes nos remarques avec obstination –certainement êtes-vous « trop intelligents », comme l’a affirmé M. Le Gendre ; et, pour finir, acte III :  vous reconnaissez enfin qu’il y a un problème et vous suivez nos préconisations, mais trop tard et trop partiellement.

M. Maxime Minot. Eh oui !

Mme Virginie Duby-Muller. Ce fut le cas sur les 80 kilomètres par heure, que vous venez enfin d’aménager sans aller jusqu’au bout de la démarche, sur la désindexation des retraites, que nous critiquions à juste titre et que vous avez fini par abandonner – bien que seulement en partie – et, enfin, sur le rétablissement des heures défiscalisées et la baisse de l’impôt sur le revenu mais, là encore, partiellement.

Comme vous le voyez, notre rôle de parlementaires d’opposition n’est finalement pas si vain. Vous ne pouvez pas nier notre sens de l’intérêt général. Vous avez souvent fini par nous écouter. Si vous ne l’aviez pas fait si tard, vous auriez sans doute pu éviter une crise sociale de cette ampleur.

M. Michel Herbillon. Tout à fait.

Mme Virginie Duby-Muller. Alors, monsieur le Premier ministre, à l’avenir, n’hésitez pas à nous écouter ! Nos propositions sont sur la table et nous sommes constamment au travail.

Vous posez aussi souvent le bon diagnostic sur les handicaps et les maux dont souffre notre pays. C’est un bon début mais, hélas, vous ne prescrivez pas le bon remède. Vous semblez conscient du poids insupportable des taxes et des impôts qui étranglent nos compatriotes mais vous les augmentez toujours plus. Songez que depuis votre arrivée au pouvoir, le taux de prélèvements obligatoires a atteint le record historique de 45,3 % du PIB. Les entreprises et les ménages paient désormais plus de 1 000 milliards d’euros d’impôts, taxes ou cotisations par an.

Vous êtes conscient du péril que font peser les déficits et l’excès de dépense publique mais, depuis votre arrivée au pouvoir, celle-ci continue d’augmenter et la dette progresse au point de frôler les 100 % de la richesse nationale. Quant au déficit, il est l’un des pires de la zone euro et il se creusera en 2019 pour la première fois depuis dix ans.

Sur cette question de la responsabilité budgétaire, le Gouvernement a d’ailleurs renié tous vos engagements et promesses de campagne. Vous avez abandonné tous vos objectifs. Vous êtes pourtant conscients du retard de compétitivité dont souffrent nos entreprises mais vous n’engagez pas les réformes structurelles indispensables pour restaurer leurs marges et relancer l’activité et l’emploi.

À titre d’exemples, quelques chiffres sont particulièrement éloquents.

Depuis 2017, la croissance a reculé de 39 %, la production française a ralenti de plus de 30 %, les créations d’emplois ont été divisées par deux et le chômage a baissé de seulement 0,7 point depuis le début de votre action contre 1,3 dans la zone euro pendant la même période. Convenez que votre bilan n’est pas glorieux !

Aussi, considérant le piètre bilan des deux premières années de votre mandat, considérant votre sectarisme vis-à-vis de l’opposition et votre refus de nous écouter, considérant votre discours – qui ne nous a pas rassurés – considérant les risques que font peser les réformes que vous nous préparez, nous ne voterons pas la confiance que vous nous demandez.

Je souhaitais d’ailleurs rappeler à cet hémicycle l’origine du mot confiance. Étymologiquement, le verbe confidere ne renvoie pas à l’idée de donner sa confiance aveuglément, par discipline, avec des oeillères, au nom du parti unique. Le verbe confidere, bien au contraire, renvoie à l’idée de demander quelque chose à quelqu’un, espérant en retour une assistance solide. La confiance commence donc d’abord par celui qui demande.

Pour autant, projetons-nous sur cette deuxième partie de votre quinquennat, que nous vous souhaitons aussi réussie que vos deux premières années étaient ratées. Monsieur le Premier ministre, la pire des solutions serait de ne plus rien faire et d’abandonner toute velléité de réformes. Au contraire, il s’agit désormais de réformer vraiment et non de vous contenter d’annoncer des réformes. Le temps presse. Nous vous attendons sur cette grande loi de décentralisation pour redonner des pouvoirs de décision aux acteurs des territoires. Nous vous attendons pour une réforme courageuse et lisible des retraites, sur laquelle nous n’accepterons pas l’enfumage auquel vous vous livrez aujourd’hui. Les Français doivent savoir en toute transparence à quel âge et à quel taux ils pourront partir en retraite.

Nous vous attendons également sur une politique de baisse ambitieuse des dépenses publiques, seul moyen de baisser fortement et durablement les impôts qui pèsent sur nos compatriotes, en particulier sur les classes moyennes. À ce titre, nous sommes la seule formation politique à avoir mis des propositions sur la table pour faire en un an 20 milliards d’euros d’économies et pour en consacrer la moitié à des baisses d’impôts. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Nous attendons de votre part une grande fermeté en matière d’immigration.

Nous vous attendons aussi sur le sujet de la laïcité.

Je voudrais terminer par une adresse solennelle à propos des risques majeurs que fait peser la réforme constitutionnelle que vous venez de nous présenter. Outre le fait qu’elle n’est pas une priorité pour nos compatriotes, elle n’a d’autre ambition que de satisfaire un caprice présidentiel. La proportionnelle que vous appelez de vos vœux est un poison terriblement corrosif, d’autant plus redoutable qu’il est corrélé à une réduction du nombre de parlementaires, donc, à la création de circonscriptions gigantesques, éloignant les députés de leurs concitoyens.

Cette double réforme déstabilisera l’équilibre des pouvoirs hérité de la Ve République en affaiblissant le Parlement. Surtout, elle consacrera le pouvoir des partis, des appareils politiques, au détriment des territoires, desquels les élus devraient pouvoir tirer leur légitimité. Vous êtes en train de créer une assemblée avec deux catégories de députés : ceux qui auront un ancrage territorial à partir de leur circonscription, qui connaîtront leurs électeurs et le terrain ; ceux qui seront hors sol, inféodés à leur parti, dont ils seront éternellement redevables, quitte à accepter d’être caporalisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Patrick Hetzel. Les apparatchiks En marche !

Mme Virginie Duby-Muller. Quand on voit la façon dont vous avez mis les députés de votre majorité au pas, quand on voit les pressions et le chantage auxquels vous n’hésitez pas à recourir pour arrimer les élus locaux à votre cause, il y a de quoi être inquiet concernant l’allégeance à l’exécutif de la future chambre…

M. Patrick Hetzel. Le scandale d’un parlement godillot !

Mme Virginie Duby-Muller. Nous ne voterons donc pas la confiance mais nous avons, soyez en sûr, la France comme idéal et le Parlement comme bien commun. (Mesdames et messieurs les députés du groupe LR se lèvent et applaudissent.)
Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq, sous la présidence de M. Richard Ferrand.)

(...)

Mme Emmanuelle Ménard. Qu’attendez-vous, amis de droite, pour ouvrir les yeux ? Vous valez mieux. Vous incarnez cette France qui ne veut pas continuer à être déconstruite, comme le propose le Gouvernement.

Quant à vous, monsieur le Premier ministre, ne vous en déplaise, ce n’est pas parce que l’on n’est pas avec le Président Macron que l’on est contre la France : c’est même tout le contraire. (Applaudissements parmi les députés non inscrits.) 

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j’ai déjà parlé longuement depuis cette tribune, il y a quelques heures : je serai donc bref.

Je voudrais remercier tous les orateurs, en particulier le président Le Gendre et le président Mignola pour le soutien qu’ils ont apporté au Gouvernement. Je remercie aussi les autres présidents et orateurs des groupes d’opposition.

Vous avez exprimé vos différences, vos désaccords ; vous avez formulé des propositions ; vous avez indiqué votre exigence et votre détermination. Elles sont, à l’évidence, respectables dans une démocratie. Il est utile que nous puissions nous dire les choses, parce que c’est grâce à cela que nous pouvons avancer.

Puisque la question a été plusieurs fois évoquée – et je pense qu’elle l’est souvent – je voudrais dire à l’ensemble des orateurs que, bien évidemment, je respecte profondément leur qualité d’élu, et que je respecte chacun d’entre eux. Je crois qu’ils le savent et si par extraordinaire ils ne le savaient pas assez, je m’appliquerais à moi-même la consigne relative au dépassement que je proposais tout à l’heure, afin que ce soit dit encore plus clairement.

L’acte II que je vous ai présenté repose, je l’ai dit, sur un changement de méthode et sur le traitement de trois enjeux prioritaires : l’écologie, la justice sociale et un fonctionnement démocratique, non seulement pour ce qui concerne nos institutions, mais aussi dans le fonctionnement de l’État et dans notre capacité à faire vivre et rendre dynamiques nos territoires, dans le cadre d’une décentralisation bien plus claire.

J’ai essayé, mesdames et messieurs les députés, de présenter le plus clairement possible à la fois les mesures que nous préparions, la méthode que nous voulions utiliser et le calendrier que nous nous fixions. Certains attendent des actes, d’autres les redoutent. Au fond, je ne peux dire qu’une chose : c’est la détermination entière, complète, du Gouvernement à mettre en œuvre les mesures que j’ai indiquées, à appliquer la méthode que j’ai décrite, et à le faire en écoutant, mais en avançant. Ce n’est pas incompatible, et c’est indispensable. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. le président. Le débat est clos.
Vote en application de l’article 49, alinéa 1er, de la Constitution

M. le président. Le Premier ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement, je vais mettre aux voix l’approbation de sa déclaration de politique générale.

Le vote se déroulera dans les salles voisines de la salle des séances. Des bulletins de vote ont été placés dans vos pupitres.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Il est ouvert pour une durée de trente minutes. Il sera donc clos à dix-huit heures quarante-cinq.
Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures quarante-huit.)

M. le président. La séance est reprise.

Voici le résultat du scrutin sur la déclaration de politique générale du Gouvernement :

        Nombre de votants : 573
        Nombre de suffrages exprimés : 526
        Majorité absolue des suffrages exprimés : 264
                Pour l’approbation : 363
                Contre : 163

L’Assemblée nationale a approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ma grand-mère avait coutume de dire que les discours les moins longs sont les plus brefs : merci ! (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités.
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu
de la séance de l’Assemblée nationale
Serge Ezdra



Source : www.assemblee-nationale.fr

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190612-seance-assemblee-nationale.html
 

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20 mai 2019 1 20 /05 /mai /2019 21:29

« Nous ne sommes pas des communautés isolées qui s’éloignent les unes des autres. On n’a pas besoin d’être chrétien pour se savoir lié par cet héritage commun. J’ai été tellement touché que toutes les familles politiques et tous les Français, quels qu’ils soient, aient exprimé leur émotion, aient eu le cœur retourné au même instant devant cette cathédrale qui brûlait. Il faut que nous ayons la même émotion, la même inquiétude et la même espérance devant cette civilisation dont nous sommes les héritiers, cette histoire si belle, si grande et si menacée. Si menacée par ses ennemis de l’extérieur. (…) Mais si menacée par nos propres faiblesses, par nos propres démissions, par nos effondrements intérieurs. » (François-Xavier Bellamy, le 15 mai 2019 à Paris).


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S’il y avait une seule révélation personnelle, dans la campagne des élections européennes, il faudrait désigner le jeune professeur de philosophie François-Xavier Bellamy, tête de la liste Les Républicains aux élections européennes depuis le 29 janvier 2019. François-Xavier Bellamy (33 ans), adjoint au maire de Versailles depuis mars 2008, est un petit prodige de la pensée philosophique et de son expression auprès du grand public. Son sens politique a fait que son entrée un peu surprenante dans la scène politique nationale est un succès, au contraire de l’entrée de Raphaël Glucksmann qui achèvera probablement d’enterrer définitivement le Parti socialiste (avec ou sans élus). Au-delà de son discours structuré et cohérent, et de sa grande courtoisie, très rare dans les débats politiques, François-Xavier Bellamy apporte de la fraîcheur, du renouvellement et surtout, du sens et du fond dans le débat public.

Mon propos ici n’est pas de promouvoir sa liste qui pourrait comporter certaines personnalités LR, sortantes, qui, à mon sens, n’ont pas fait beaucoup avancer ou améliorer le fonctionnement des institutions européennes au cours de leurs mandats, mais de souligner, tout en les approuvant, les propos de François-Xavier Bellamy sur la très délicate situation de Vincent Lambert.

Ce lundi 20 mai 2019, malgré l’opposition d’une partie de la famille de Vincent (notamment ses parents), l’hôpital de Reims a arrêté l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert. Malgré l’opposition d’une partie de la famille, et aussi, malgré l’injonction du Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDH) qui a renouvelé sa demande le 17 mai 2019 de suspendre la décision de l’hôpital tant qu’il ne s’est pas prononcé sur le recours qui lui a été formulé. Par ailleurs, un peu dans le rôle de Ponce Pilate, le Défenseur des droits Jacques Toubon, a déclaré le 17 mai 2019 ne pas vouloir intervenir dans cette situation.

La mort programmée de Vincent Lambert, qui commence à scandaliser une grande partie de la population, prenant conscience de la réalité de cette situation choquante (Vincent n’est ni en fin de vie, ni malade, ni sous obstination déraisonnable, ni en souffrance nécessitant une urgence médicale), va-t-elle interférer dans le débat des élections européennes ? ou même dans l’isoloir ?

C’est possible, car le choix des électeurs se cristallise aux élections européennes justement dans les dix derniers jours de la campagne. Or, la responsabilité du gouvernement est grande dans l’encouragement à l’arrêt immédiat de l’alimentation et de l’hydratation. Agnès Buzyn a délibérément refusé de prendre en considération les demandes du CIDH malgré les engagements internationaux de la France à respecter ses recommandations.

Interrogée le 19 mai 2019 sur France 3, la tête de liste LREM Nathalie Loiseau a déclaré : « Le Président de la République ne veut pas aller à l’encontre de décisions de justice, il peut donner sa grâce à un condamné, ce qui est  très différent de ce que les parents de Vincent Lambert demandent. (…) Je me mets à la place de ses parents, je pense qu’ils vivent une tragédie, je pense que personne ne peut juger, que c’est très douloureux, que rien de tout cela n’est simple, mais je ne suis ni juge, ni médecin, donc, je n’ai pas à dire ce que je pense de cette affaire. ». Remarquons que Nathalie Loiseau a spontanément évoqué le droit de grâce du Président de la République, ce qui donne une association directe entre l’arrêt des soins confirmé par la justice française et une condamnation à mort.

François-Xavier Bellamy s’est lui aussi exprimé sur cette situation tragique, à deux reprises ces derniers jours.

Interrogé au "Grand Jury" le 19 mai 2019 par LCI, RTL et "Le Figaro", il a déclaré : « J’ai du mal à comprendre qu’on se précipite. » alors que Vincent Lambert vit sans souffrance depuis plus de dix ans, et a demandé l’intervention du Président Emmanuel Macron pour « qu’on se laisse le temps ». Pour lui : « Derrière Vincent Lambert, c’est la question de notre rapport à l’extrême dépendance qui se joue (…). Si nous entrons dans cette voie dangereuse qui consiste à dire qu’une vie dépendante, une vie fragile, une vie malade, ne mérite pas d’être vécue, alors nous allons construire un monde inhumain et c’est un enjeu majeur des années à venir.  ».

Interrogé par Nicolas Demorand et Alexandra Bensaid, François-Xavier Bellamy s’est exprimé également sur le même sujet au "Grand Entretien" de la matinale de France Inter ce lundi 20 mai 2019 (dont on peut télécharger la bande sonore ici).

La tête de la liste LR a précisé ses propos de la veille sur RTL. Il a expliqué que son intervention ne provenait pas de ses convictions religieuses (qui sont catholiques, il ne les a jamais cachées) mais qu’il fallait aborder la situation très complexe de Vincent Lambert avec raison et pédagogie, hors de toutes passions : « Ce n’est pas une affaire sur laquelle on devrait s’exprimer à partir de convictions religieuses. C’est une affaire qui suppose que notre raison à tous intervienne (…). C’est un débat d’une incroyable complexité. ».

C’est pourquoi il se garderait bien d’avoir un jugement ou une critique sur une des personnes touchées de près par la situation de Vincent, quelle que soit la position adoptée qu’il respecte. En revanche, il a été très sévère contre ceux qui veulent en profiter pour instrumentaliser Vincent et faire leur propagande en faveur de l’euthanasie : « C’est à ceux-là que j’en veux, des gens qui ont utilisé ce cas précis, ce cas infiniment douloureux pour faire la promotion de leur revendication politique en faveur de l’euthanasie. Ceux qui militent pour le droit à mourir dans la dignité, ce sont ceux qui commencent par déclarer indignes de vivre ceux qui ne correspondent pas à ces standards qui font que la vie mériterait d’être vécue. ». Je le fais très rarement, mais je me suis permis de souligner en gras l’idée essentielle de François-Xavier Bellamy.

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Pour François-Xavier Bellamy, la situation de Vincent, ce n’est pas celle d’une personne en fin de vie, ni celle d’un mourant, mais celle d’une personne extrêmement dépendante : « Mon sentiment profond, c’est qu’effectivement, ce qui se joue aujourd’hui, c’est le regard que nous portons sur la dépendance. Et ce regard que nous portons sur la dépendance, au fond, il est au cœur de débats politiques majeurs des années qui viendront. Nous vivons dans un monde où vit le culte de la performance, où être humain, c’est être agile, être habile, être rapide. Et nous avons ici le cœur d’une figure de l’humanité qui nous regarde en nous disant qu’elle est absolument dépendante et nous avons parfois la tentation de considérer que la vie absolument dépendante, c’est une vie qui n’est plus digne d’être vécue. ».

Et d’ajouter : « Il n’y a pas de vie indigne d’être vécue, et même une vie qui peut sembler inutile, je crois, est une vie profondément humaine. Nous avons tous été dépendants, nous le serons tous un jour, nous sommes tous d’ailleurs dépendants aujourd’hui de ceux qui nous entourent, et reconnaître que la vie humaine est faite de cette dépendance, c’est peut-être un enjeu majeur. ».

À une auditrice, étudiante en médecine, qui lui conseillait de faire d’abord neuf ans d’études de médecine avant de donner son avis sur le sujet, le philosophe a simplement répondu : « C’est une question qui nous concerne tous les citoyens, et permettez à un citoyen de s’impliquer sur cette question. ».

François-Xavier Bellamy a posé la question cruciale : « Je crois qu’aujourd’hui, la question qui est de savoir si c’est un acharnement thérapeutique est une question complexe. (…) La grande question est de savoir si cette alimentation est une thérapie, mais je crois que si l’alimentation est une thérapie, alors, c’est que nous sommes tous dans un état de grande maladie. (…) La question qui se pose à nous, c’est de savoir si la vie, c’est la force, si la vie, c’est la performance, si la vie, c’est l’affirmation de soi, ou bien, si la vie, c’est peut-être aussi parfois la dépendance et la fragilité qui nous ouvrent aussi à la relation aux autres. ». Le rapport des experts judiciaires de novembre 2018 concluait d’ailleurs sur le fait qu’il n’y avait pas d’obstination déraisonnable pour Vincent Lambert.

À une autre auditrice (et électrice potentielle), François-Xavier Bellamy a évoqué le témoignage poignant d’une miraculée : « J’ai été beaucoup marqué par la lecture d’un livre d’Angèle Lieby qui s’appelle "Une larme m’a sauvée". Angèle Lieby était dans un coma profond, dans un état pauci-relationnel, comme l’est Vincent Lambert aujourd’hui, et dans cet état, tout le monde pensait qu’elle était, on entend si souvent ce mot-là dans le débat aujourd’hui, qu’elle était un "légume". C’est-à-dire qu’au fond, sa vie était simplement une vie organique dépourvue de conscience. En fait, nous ne savons rien de ces états de conscience, et Angèle Lieby raconte dans ce livre (…) qu’elle sentait tout, qu’elle entendait tout, qu’elle pensait qu’elle était prisonnière de son corps, qu’elle ne pouvait pas réagir. Mais je crois qu’on applique le principe de précaution à notre environnement, et l’on a bien raison de le faire, peut-être qu’on devrait aussi parfois appliquer le principe de précaution à notre propre humanité. ».

Un extrait de ce témoignage : « Tout est noir. Je suis dans le noir. (…) J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je l’ignore également. Je sais seulement que je ne suis pas seule : j’entends quelqu’un à côté de moi. (…) En fait, c’est comme si l’hôpital m’était tombé sur le dessus… C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. » (Angèle Lieby, "Une larme m’a sauvée").

Je termine ici par un message désespéré de la famille de Vincent Lambert qui a donné rendez-vous ce lundi 20 mai 2019 dans la soirée devant le Ministère de la Santé : « Sans prévenir, ses parents, son frère David et sa sœur Anne, les médecins du CHU ont sédaté Vincent ce matin. Ils n’ont pas pu lui dire au revoir alors même qu’hier, Vincent pleurait parce qu’il avait compris qu’il ne les reverrait plus. La France met aujourd’hui en œuvre l’euthanasie d’un handicapé vivant. C’est un basculement de civilisation. » (20 mai 2019). Toutes mes pensées vont aujourd’hui à Vincent Lambert et à sa famille et proche.

NB. La cour d'appel de Paris a ordonné ce lundi 20 mai 2019 dans la soirée la reprise des traitements.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Grand Entretien de François-Xavier Bellamy à la matinale de France Inter le 20 mai 2019 (podcast).
François-Xavier Bellamy, la dignité et l’instrumentalisation de Vincent Lambert.
Vincent Lambert doit-il mourir ?
Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Réflexion du Père Bruno Saintôt, directeur du département Éthique biomédical aux facultés jésuites de Paris, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Déclaration de la Conférence des évêques de France sur la fin de vie le 22 mars 2018 (texte intégral).
Vincent Lambert, sa vulnérabilité et son droit à la vie bafoué.
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190520-francois-xavier-bellamy.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/05/20/37352804.html


 

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30 mars 2019 6 30 /03 /mars /2019 02:16

« Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, j’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée Nationale l’abolition de la peine de mort en France. » (1981).


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Ces quelques mots introductifs, pleins d’émotion, furent prononcés par Robert Badinter le jeudi 17 septembre 1981 dans l’hémicycle silencieux de l’Assemblée Nationale. Il venait d’être nommé, le 23 juin 1981, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, et fut chargé par le Président de la République François Mitterrand, élu le 10 mai 1981, de faire adopter l’abolition de la peine de mort.

Robert Badinter fête ce samedi 30 mars 2019 son 91e anniversaire. Il est né le 30 mars 1928 dans le 16e arrondissement de Paris. Il est d’abord un avocat, et c’est parce qu’il était avocat qu’il est devenu l’un des défenseurs les plus emblématiques de l’abolition de la peine de mort en France. Ce n’est qu’au début des années 1970 qu’il en a fait un combat personnel et professionnel. Avocat, il a sauvé, aux assises de Troyes, la tête de l’assassin Patrick Henry, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 20 janvier 1977 (en évoquant devant les jurés « le bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux »), mais auparavant, il n’avait pas réussi à sauver la tête de Roger Bontems, condamné à mort le 29 juin 1972 et exécuté le 28 novembre 1972. C’était la conception même de la peine de mort qu’il rejetait, que les condamnés soient coupables ou innocents.

Robert Badinter n’a pas l’approche très facile. Il fait partie de ces personnes à la gravité permanente au cœur, comme Simone Veil et d’autres. Il n’est pas dans la légèreté de l’être et de la vie. La cause ? Probablement la tragédie qui a traumatisé définitivement l’adolescent qu’il était : la Shoah. Son père fut arrêté à Lyon le 9 février 1943 et quitta le camp de Drancy le 25 mars 1943. Il n’est jamais revenu d’un camp d’extermination situé en Pologne. L’ado de 15 ans, son frère et leur mère se sont réfugiés à Chambéry jusqu’à la fin de la guerre pour fuir les persécutions antisémites.

Diplômé de lettres et de droit, une thèse sur le droit civil américain après un séjour à l’Université américaine de Columbia en 1949, également agrégé de droit, il fut à la fois avocat et professeur de droit. Grand bourgeois, marié d’abord avec une star du cinéma des années 1950, Anne Vernon (95 ans), puis avec la philosophe Élisabeth Bleustein-Blanchet (75 ans), fille du fondateur de Publicis dont il était le défenseur (le couple fait partie des plus grosses fortunes de France), Robert Badinter s’est senti politiquement proche de la social-démocratie (progrès social et respect du droit), admirateur de Pierre Mendès France et fidèle de François Mitterrand (dès les années 1960) qu’il a suivi par fidélité à la Convention des institutions républicaines (le club mitterrandien) puis au Parti socialiste.

Dans les années 1970, Robert Badinter embaucha Laurent Fabius pour l’aider à rédiger un ouvrage, et l’a recommandé chaudement à François Mitterrand. Après la victoire de la gauche, c’était donc normal que lui, l’un des deux avocats du nouveau Président, allât devenir un acteur majeur. Insistons cependant sur le fait qu’il n’avait aucune prédestination à devenir Ministre de la Justice.

Au contraire, le radical Maurice Faure, ancien compagnon de route de François Mitterrand sous la Quatrième République, avait été nommé Ministre d’État, Ministre de la Justice le 21 mai 1981, dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy, et cela aurait donc dû être ce dernier qui devait faire adopter l’abolition de la peine de mort. Dilettante et préférant rester tranquillement dans sa province, Maurice Faure a préféré démissionner au bout d’un mois, si bien que Robert Badinter fut le second choix de François Mitterrand pour ce poste hautement symbolique. D’ailleurs, François Mitterrand a mis longtemps avant d’être convaincu qu’il fallait abolir la peine de mort, lui qui refusa des grâces à l’époque de la guerre d’Algérie : « Il n’a pas été un militant de l’abolition, c’est sûr. Je ne me souviens pas d’avoir eu la moindre discussion philosophique ou morale avec lui à ce sujet. » ("L’Abolition", éd. Fayard, 2001).

J’ai évoqué deux avocats de François Mitterrand. L’autre avocat, c’était bien sûr Roland Dumas, qui a eu, lui aussi, une belle carrière ministérielle sous François Mitterrand. Selon un ami de l’ancien Président : « François Mitterrand avait deux avocats : Badinter pour le droit, Dumas pour le tordu. ».

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Ministre de la Justice du 23 juin 1981 au 19 février 1986, Robert Badinter fut nommé Président du Conseil Constitutionnel par François Mitterrand du 4 mars 1986 au 4 mars 1995. Lorsqu’il a été nommé à ce poste suprême dans l’échelle judiciaire française, son prédécesseur direct, Daniel Mayer, un ancien responsable socialiste et ancien résistant, nommé trois ans auparavant à la Présidence pour neuf ans, avait démissionné de son mandat de Président tout en restant simple membre, pour laisser la place à Robert Badinter, un arrangement voulu par François Mitterrand qui, après sa réélection et la nomination de Roland Dumas en 1995, lui aurait permis (sans les affaires judiciaires de ce dernier) de contrôler la Présidence du Conseil Constitutionnel pendant vingt et un ans, de 1983 à 2004, soit huit ans après sa disparition (en fait, Roland Dumas a dû démissionner en 2000).

Donc, une nomination entachée de suspicion de népotisme mitterrandien que Bertrand Le Gendre, dans un article du journal "Le Monde" le 21 février 1986, exprimait ainsi : « Partial, lui ? Le soupçon sera son fardeau, longtemps, quoi qu’il fasse. On ne dissipe pas une telle interrogation à coups d’affirmations, mais on peut questionner le passé, soupeser une action, évaluer un homme. Et se convaincre que le Président de la République a promu le moins politicien de ses ministres, le meilleur de ses amis et le plus scrupuleux de ses compagnons de routes. Une telle brassée d’éloges peut évidemment se lire autrement : ministre, ami du Président et fidèle de toujours. ».

Eh oui, Robert Badinter n’est pas un "politicien". Pour tout dire, il n’a jamais rien compris à la politique, aux compromissions entre la forme et le fond. Lui, le juriste rigoriste, l’incorruptible intellectuel, n’était pas du genre à faire des promesses d’après-banquet. Résultat, sa seule élection sur son nom, il l’a perdue aux élections législatives de mars 1967. Il a renoncé alors à faire de la politique, mais par François Mitterrand, ce fut la politique qui a fait du Badinter, au point qu’après les renonciations économiques de la gauche socialiste, il devenait une valeur morale permettant de redorer un PS en perte de vitesse électorale et en effondrement idéologique.

Ainsi, son seul siège électif, il l’a dû uniquement au PS et au scrutin proportionnel puisqu’il fut sénateur des Hauts-de-Seine pendant deux mandats, de septembre 1995 à septembre 2011 (candidat tête de liste élu le 24 septembre 1995 et réélu le 26 septembre 2004). Sénateur, Robert Badinter s’est illustré comme le seul socialiste à avoir défendu la loi qui interdisait le port de la burqa dans l’espace public, initiée conjointement par Nicolas Sarkozy (Président de la République) et Jean-François Copé (président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale).

Son action nationale la plus importante, Robert Badinter la fit pendant quatre ans et sept mois quand il était Place Vendôme, à la Justice. Là encore, il refusait de sombrer dans la démagogie qui voudrait qu’après chaque fait-divers émouvant, une nouvelle loi plus répressive soit proposée au parlement : « Les textes inutilement répressifs mais politiquement exploitables, je les refuserai toujours parce que ces textes impliquent le refus de rédemption, du salut toujours possible, parce qu’ils méconnaissent l’inspiration même du message judéo-chrétien sans lequel notre civilisation serait spirituellement morte. Et puis, socialement, ces textes expriment une certaine conception des "couches dangereuses" de la population, c’est-à-dire des marginaux, les jeunes sans travail, les déviants, et aussi certains immigrés, bref, tous ceux qu’il faudrait, au regard de leur dangerosité supposée, surveiller et inévitablement punir plus que les autres. Ce pessimisme humain et cette ségrégation sociale, je les refuse également. » (Interview au journal "Le Monde" au printemps 1983, cité par Bertrand Le Gendre).

Près d’un quart de siècle plus tard, il récidivait contre cette multiplication des textes. Dans "Le Monde" du 8 septembre 2007, Robert Badinter insistait sur le rôle de la justice : « La justice pénale doit impérativement prendre en compte les intérêts de la victime, assurer le respect de ses droits et de la réparation des préjudices subis. (…) Mais il faut rappeler que la justice pénale n’a pas pour mission d’être une thérapie de la souffrance des victimes. Elle a une fonction répressive, dissuasive et expressive, car elle exprime les valeurs de la société. Mais elle ne saurait avoir une finalité thérapeutique. Il existe des systèmes judiciaires, notamment anglo-saxons, qui n’admettent pas la victime comme partie dans le procès pénal, la réparation de son préjudice étant assurée par les juridictions civiles. (…) La multiplication des lois, sans chercher à s’assurer de leur efficacité, engendre un désordre législatif préjudiciable. Trop de lois nuisent à la loi. Quel bilan a-t-on fait de l’ensemble de ces textes ? Quelle a été l’efficacité de leurs dispositions ? On est entré dans un système où la loi devient un mode de communication politique. Mieux vaudrait s’assurer de sa mise en œuvre. ».

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On a souvent dit que Robert Badinter était la "conscience de la gauche". C’est par exemple à ce "titre" (très informel) qu’il a participé un colloque à la Sorbonne pour retracer la vie de Jean Jaurès lors du centenaire de son assassinat. Je trouve cette formulation un peu trop exclusive, car tout le monde s’en moque que la gauche ait une conscience ou pas. En revanche, une conscience nationale, une conscience de la France, assurément oui, il l’est, car juriste, il fut aussi, en même temps, historien et acteur de la République, et l’une des meilleures illustrations de la manifestation de cette conscience, c’est lorsqu’il a déclaré, lors du soixante-quinzième anniversaire de la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus célébré en grandes pompes à la Cour de cassation en octobre 1981 : « Chaque fois que renaît en France la vieille propension à subordonner le droit au pouvoir (…), l’affaire Dreyfus est rouverte. » (cité par Bertrand Le Gendre).

Robert Badinter l’a montré aussi lorsqu’il s’est fermement opposé à la rétention de sûreté. Au Sénat, il l’a exprimé ainsi lors de la séance du 30 septembre 2008 : « La rétention de sûreté, parce qu’elle quitte le terrain assuré des faits pour le diagnostic aléatoire de la dangerosité criminologique, ne peut que méconnaître les principes dans lesquels s’enracine la justice de liberté. En réalité, au nom d’un principe de précaution élargi à la justice criminelle, une décision de justice maintiendra en détention, dût-on qualifier celle-ci de "thérapeutique", des êtres humains auxquels aucune infraction n’est imputée, simplement de crainte qu’ils n’en commettent une nouvelle. Depuis le temps de la Révolution, on enseigne dans nos universités, je l’ai enseigné moi-même à des générations d’étudiants, et j’en tire fierté, que mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison. ».

Cette logique d’élimination de la rétention de sûreté existait évidemment avec la peine de mort. Dans son discours du 17 septembre 1981 devant les députés, Robert Badinter rappelait cette idée : « La vérité est que, au plus profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l’élimination (…). Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence. Au-delà de la justice d’expiation, apparaît donc la justice d’élimination, derrière la balance, la guillotine. L’assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et tout paraît si juste ! ».

Il a montré aussi sa défense des droits lorsqu’il a donné sa position sur la castration chimique des prédateurs sexuels (faisant référence à la loi n°2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive) : « La castration est une mutilation irréversible de l’homme contraire à nos valeurs et aux principes de notre droit. Ce dont on parle, c’est d’un traitement hormonal destiné à réduire la libido. Il ne peut être administré qu’avec le consentement du sujet et doit être réversible. » ("Le Parisien" du 22 novembre 2009).

Certes, Philippe Bilger, dans son blog, a un peu ironisé, le 7 janvier 2008, sur "saint Badinter" en écrivant sans ménagement : « Homme politique, il a fait des choix, les uns bons, les autres mauvais. De sa bouche ne sont pas sorties que des paroles d’Évangile. Mais il demeure paré d’une sorte d’impartialité absolue, comme un Sage qu’on ne devrait écouter que pétrifié de respect. Militant, il bénéficie du crédit qu’on attache à qui ne l’est pas. Intellectuel, il jouit de la considération qu’on offre à l’engagement. Jouant sur les deux registres, il campe une position inexpugnable. Confortable. Je regrette, mais, pour moi, il n’est pas saint Badinter. ».

Au-delà de la morale et du droit, Robert Badinter reste aujourd’hui encore une personnalité qui compte dans le paysage politique, toujours présente et pas seulement dans le domaine juridique, mais aussi dans le domaine économique et social. Ainsi, le Premier Ministre Manuel Valls l’avait chargé le 24 novembre 2015 d’une mission sur la réforme du code du travail. Le rapport Badinter du "comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail" a été remis à Matignon le 25 janvier 2016 (on peut le télécharger ici).

De même, il participe au débat public dans le domaine sociétal, puisque Robert Badinter, tout comme son épouse Élisabeth Badinter, s’oppose au principe de l’euthanasie autant qu’au principe de la peine de mort, pour la même raison : « Le droit à la vie est le premier des droits de l’homme (…) constituant l’un des fondements contemporains de l’abolition de la peine de mort. » (audition du 16 septembre 2008 devant la mission Leonetti).

Robert Badinter n’est pas un saint, évidemment, il peut faire des erreurs comme tout le monde, il peut se tromper comme tout le monde, mais au moins, ce qu’il dit est rigoureux, suit une ligne cohérente, celle du droit, n’est influencé ni par la politique, ni par la posture ni encore moins par la communication. En ce sens, sa parole garde sa valeur intellectuelle et morale dans ces temps accélérés et troublés où la pensée est désormais réduite à quelques mots sur Twitter, si ce n’est à un unique smiley…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

"La conscience de la gauche", article de Bertrand Le Gendre paru dans "Le Monde" le 21 février 1986.

Rapport Badinter sur les principes essentiels du droit du travail, le 25 janvier 2016 (à télécharger).
Débat parlementaire du 17 septembre 1981 sur l’abolition de la peine de mort (compte-rendu à télécharger).
Robert Badinter.
L’affaire Patrick Henry.
Robert Badinter et la burqa.
L’abolition de la peine de mort.
La peine de mort.
François Mitterrand.
François Mitterrand et l’Algérie.
Roland Dumas.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190330-robert-badinter.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/robert-badinter-une-conscience-213842

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/18/37188856.html




 

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12 mars 2019 2 12 /03 /mars /2019 03:32

« Je n’ai pas l’impression qu’il soit extrêmement honnête et je n’ai pas envie qu’il aille en prison. » (Geoffroy Lejeune, directeur de "Valeurs actuelles", le 11 mars 2019).



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Né bien après le début des aventures financières de Bernard Tapie, Geoffroy Lejeune, directeur de "Valeurs actuelles", reconnaissant qu’il n’y comprenait rien aux enjeux du (nouveau) procès qui a commencé ce lundi 11 mars 2019 au tribunal de grande instance de Paris, a exprimé sur LCI un sentiment contrasté qui pourrait être facilement partagé par un grand nombre d’observateurs malgré la haine ou la fascination qu’inspire l’ancien ministre de François Mitterrand.

Effectivement, Bernard Tapie est aujourd’hui un homme âgé, un vieillard, il a 76 ans, et il est très malade, il a deux cancers et il y a quelques mois, il a même arrêté ses traitements qui l’assommaient trop. Il n’est donc pas du tout un modèle de comportement pour les malheureuses personnes atteintes du même mal que lui, mais la loi Kouchner laisse l’entière décision au patient lui-même, c’est donc son droit le plus total de ne pas suivre les traitements prescrits, et cela le regarde, lui et les siens, mais j’insiste sur le fait qu’il ne doit pas être un exemple en la matière.

Le fait est qu’il tient. Encore. Il garde encore cette énergie folle qui en a fait un personnage atypique de l’histoire contemporaine. Il avait l’ambition de revenir sur scène (au théâtre donc) l’année dernière. Cette énergie débordante, cette soif de vivre lui a fait toucher un peu à tout, faute de n’être "rien" (au sens macronien du terme). D’abord la chanson, puis l’industrie. Une méthode Tapie rudement efficace pour lui (pas forcément pour l’industrie) : il rachetait des sociétés en liquidation, les assainissait et parfois, les faisait renaître. On a parlé de ses licenciements et de la vente des actifs, mais il fallait bien reconnaître que sans lui, c’était tout le personnel qui perdait son emploi parce qu’il aurait perdu son employeur.

Très vite, il a pu gagner largement sa vie et comme il n’était pas un homme prudent, il le montrait sans doute beaucoup trop, ce qui pouvait susciter des agacements sinon des jalousies. Il est devenu aussi animateur de télévision dans les folles années 1980 (émission "Ambitions"), au moment où le fric est devenu roi, la valeur suprême de la réussite sociale.

Il a cherché à acheter le château de Bokassa (1980), il a acheté quelques fleurons au franc symbolique, ensuite revendus plusieurs centaines millions de francs quelques années plus tard : La Vie claire (1980), Terraillon (1981), Look (1983), Testut (1983), Wonder (1984), Donnay (1988), etc. Il a eu quelques idées lumineuses (comme fabriquer des piles sans mercure ou adapter des fixations de ski aux pédales de bicyclette), mais généralement, les méthodes employées (pour acheter, redresser et revendre ses entreprises) pouvaient prêter à quelques critiques (au moins morales sinon juridiques).

Il a beaucoup touché au sport, cyclisme (La Vie claire) et football (Olympique de Marseille), et il a aussi été comédien, à la télévision, au théâtre et même au cinéma.

Comédien, sans doute est-ce le vrai métier des personnalités politiques dans ce grand théâtre qu’est la vie politique. Grande gueule, c’était un domaine qu’il ne pouvait pas laisser hors de sa portée. Et c’est cela qui lui a donné de fortes amitiés à gauche (dont Claude Bartolone), très étrangement, cette gauche fascinée par la réussite pécuniaire et le bagout, qui découvre l’argent et surtout, qui trouve en Bernard Tapie l’un des rares débatteurs efficaces face à …Jean-Marie Le Pen (qui, le 10 mars 2019, a confirmé pourtant que Bernard Tapie était bien venu le voir chez en mars 1993 pour que le candidat du FN sur sa circonscription restât au second tour, ce qui lui permettait d’être réélu). Interviewé le 28 janvier 1992 par Paul Amar sur FR3 (dans le cadre de la campagne des élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur), Bernard Tapie a déclaré, déclaration qu’il a toujours confirmée par la suite : « Celui qui (…) décide encore d’aller voter Le Pen, j’appelle ça un s@laud, et je continuerai jusqu’à la fin de mes jours à appeler ça un s@laud ! ».

Car Bernard Tapie a été élu député en 1988 à Marseille, à la surprise générale, avec quelques voix d’avance sur son concurrent UDF. Il a "épaté" François Mitterrand qui en a fait un ministre dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy (entre deux mises en examen). Réélu en 1993, Bernard Tapie fut téléguidé par le vieux Sphinx pour torpiller la liste de Michel Rocard aux élections européennes de juin 1994, résultat, il a fait jeu égal. L’élection présidentielle de 1995 approchait et un nouvel effet Coluche risquait de faire éclater la classe politique, d’autant plus que l’absence d’un candidat socialiste crédible (Michel Rocard dans les roses, Jacques Delors trop fatigué, Laurent Fabius touché par le scandale du sang contaminé) risquait de lui ouvrir un boulevard. Les élections municipales à Marseille en juin 1995 étaient également cruciales après l’ère de Gaston Defferre (mort en 1986) qui n’en finissait pas de se terminer : Bernard Tapie était parmi les plus crédibles maires potentiels (il ne fut pas candidat et Jean-Claude Gaudin, président du conseil régional de PACA et ministre délégué, a été élu).

Les ennuis judiciaires ont alors commencé pour Bernard Tapie acculé judiciairement à la démission de son siège de député le 5 septembre 1996, et cela fait plus de vingt-six ans qu’il s’entremêle dans ses démêlées judiciaires, avec des hauts et des bas (ruine complète, arbitrage favorable de plus de 400 millions d’euros, jugement qui l’a annulé, etc.). Avec l’argent de l’arbitrage, Bernard Tapie est devenu également un patron de presse à Marseille, si bien qu’il a aussi cherché à pousser Ingrid Levavasseur à créer sa propre liste des gilets jaunes aux prochaines élections européennes de mai 2019.

Bref, quand on regarde ce parcours chaotique de héros de roman de gare, on se dit que si le personnage n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer, tellement il a personnifié les années Mitterrand, autant sociologiquement que politiquement.

Et c’est à ce titre que François Hollande a fait une erreur de jugement. Ce "produit politique" de François Mitterrand, il a cru qu’il était un "produit" de Nicolas Sarkozy. François Hollande en a même fait un symbole du sarkozysme, à tort. Si bien que depuis 2012, Bernard Tapie subit un plein acharnement judiciaire, au nom de l’antisarkozysme affiché du pouvoir socialiste (faute de mener une politique de gauche, il fallait bien quelques symboles pour perpétuer les apparences et l’hypocrisie).

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Car de quoi s’agit-il ? D’un arbitrage considéré comme trop favorable à Bernard Tapie et trop défavorable à l’État. Or, l’État était en procès avec Bernard Tapie depuis une vingtaine d’années. Quand Bernard Tapie fut nommé ministre, il devait quitter son entreprise Adidas. Il a donc demandé au Crédit Lyonnais de trouver un nouvel acquéreur. Bernard Tapie a vendu Adidas le 15 février 1993 pour 2,1 milliards de francs, le Crédit Lyonnais a revendu Adidas pour 4,6 milliards de francs le 26 décembre 1994 et Adidas a été coté le 17 novembre 1995 à la Bourse de Francfort pour 3,3 milliards de Deutsche Mark, soit 11 milliards de francs.

Bernard Tapie s’est senti légitimement "trahi" par le Crédit Lyonnais qui était son mandataire. S’il ne peut pas se prévaloir de la plus-value entre la vente réelle et la cotation deux ans plus tard (l’entreprise a pu être valorisée entre-temps), l’option des 2,6 milliards de francs de plus-values obtenus par le Crédit Lyonnais était connue avant la cession et aurait donc dû revenir à Bernard Tapie lui-même. C’est cette différence de 2,6 milliards de francs qui est en litige encore actuellement. Bernard Tapie n’a pas longtemps attendu et a réclamé 229 millions d’euros au Crédit Lyonnais (qui allait disparaître en raison de sa faillite au profit de LCL) dès le 4 juillet 1995.

Après plus de vingt-deux années de procédures judiciaires, l’État a finalement préféré le principe de l’arbitrage, accepté également le 25 octobre 2007 par Bernard Tapie. Le 7 juillet 2008, le tribunal arbitral a donné raison à Bernard Tapie en condamnant le CDR (le Consortium de réalisation créé par l’État pour liquider le passif du Crédit Lyonnais) à lui verser 405 millions d’euros, dont 45 millions d’euros à titre de préjudice moral. Le montant principal du litige fut défini à 240 000 euros avec les frais et honoraires divers et les intérêts légaux comptés à partir du 30 novembre 1994 (c’est-à-dire 111 millions d’euros).

C’est le montant du préjudice moral (45 millions d’euros) qui est certainement le plus douteux, mais l’arbitrage favorable sur le fond à Bernard Tapie ne me choque pas même si cela fait intervenir juridiquement de nombreuses notions qui s’entrechoquent dans les interprétations diverses et variées. Cela a expliqué l’absence de contestation de la Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, à savoir Christine Lagarde (devenue directrice générale du FMI), le 28 juillet 2008, considérant que les chances que l’État puisse gagner son procès contre Bernard Tapie étaient très faibles (et très coûteuses) et qu’il fallait donc stopper définitivement cette affaire au plus vite.

Mais cet arbitrage a été finalement défait sous le quinquennat de François Hollande jusqu’aux deux arrêts de la Cour de cassation du 30 juin 2016 et du 18 mai 2017 qui ont définitivement annulé l’arbitrage de 2008 et qui imposent à Bernard Tapie de rembourser les 405 millions d’euros perçus (il faut remarquer que de cette somme, Bernard Tapie avait payé 11 millions d’euros à l’administration fiscale qui réclamait jusqu’à 120 millions d’euros au titre des bénéfices industriels et commerciaux). Ce qu’a retenu surtout la Cour de cassation et les précédents jugements, c’est qu’il y avait collusions entre Bernard Tapie et certains des arbitres du tribunal arbitral qui n’aurait donc pas pris sa décision de manière impartiale (j’ai hésité entre la forme conditionnelle et l’indicatif, le jugement dit que c’est à l’indicatif mais sans preuve formelle).

On peut comprendre pourquoi, depuis 1995, Bernard Tapie (qui a déjà fait de la prison en détention provisoire puis en condamnation ferme pendant plusieurs mois pour l’une de ses nombreuses autres affaires judiciaires) n’a plus aucune envie de revenir sur le terrain politique (il n’est de toute façon plus en état), parce qu’il est convaincu que c’est à cause de la politique, de ce qu’il représentait comme danger de préempter l’électorat du centre gauche et de la gauche, qu’il a été assommé par toutes ces mésaventures judiciaires.

Même s’il encourt aujourd’hui sept ans de prison, il y a peu de chance pour que Bernard Tapie, âgé et malade, retourne en prison. Son enjeu dans le procès qui s’ouvre, c’est son honneur et cet honneur a été mis à rude épreuve. Il a probablement été très à l’écart de certaines réglementations, mais sur le fond du sujet actuel, la vente d’Adidas, il a probablement raison : il se serait fait flouer par le Crédit Lyonnais, qui avait été déjà condamné pour le même genre de méthode aux États-Unis dans l’affaire Excutive Life. La justice américaine est beaucoup plus rapide et sévère. En France, c’est un peu différent car le Crédit Lyonnais était une entreprise publique. Juge et partie…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bernard Tapie : faut-il encore s’acharner sur cet homme ?
Aquarius : 630 vies humaines et les sales eaux.
Grandeur et décadence de Bernard Tapie.
"Un jour, un destin" rediffusée le 4 janvier 2011 sur France 2.
Bernard Tapie, victime ?

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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 03:36

« Ma nature m’avertit, mon expérience m’a appris, qu’au sommet des affaires, on ne sauvegarde son temps et sa personne qu’en se tenant méthodiquement assez haut et assez loin. » (Charles De Gaulle, 1954).


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La commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla a rendu ses conclusions le mercredi 20 février 2019. On peut y lire le volumineux rapport (à télécharger ici) présenté au cours de la conférence de presse du président Philippe Bas et des deux rapporteurs Jean-Pierre Sueur et Muriel Jourda (à écouter ici).

Sur le plan institutionnel, c’est probablement sans précédent qu’une des deux assemblées parlementaires ait rempli sa mission de contrôle de l’exécutif de manière aussi avancée. C’est d’ailleurs un bon point pour la démocratie, et il y aura un avant et un après affaire Benalla qui, dans ce registre, marque une seconde étape après la commission d’enquête sur la malheureuse affaire d’Outreau où les parlementaires (les députés cette fois-ci) avaient créé une commission d’enquête et auditionné le fameux "petit juge" qui avait commis tant de dégâts. Cette première étape était sans précédent, c’était la première fois que des parlementaires se saisissaient d’un sujet d’actualité brûlant pour faire de l’investigation, avec tous leurs pouvoirs de contrôle.

La réaction de l’Exécutif, pour l’instant, n’est pas à la hauteur de ce "pavé" dans la mare. Car le rapport explique surtout qu’on n’y comprend rien après les propos contradictoires des protagonistes de l’affaire. Que le rôle réel d’Alexandre Benalla est resté confus après toutes les auditions. Les premières réactions sont complètement à côté de la plaque.

Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, chargé en principe de faire le compte-rendu du conseil des ministres du 20 février 2019, a rejeté d’un revers de main le rapport en disant qu’il contenait plein d’erreurs, alors qu’il n’en avait même pas lu une seule ligne ! On est dans la pire langue de bois.

Quant au Premier Ministre Édouard Philippe, le visage buriné par la fatigue, d’habitude mieux inspiré, s’est cru obligé de faire une courte déclaration dans la cour de Matignon le jeudi 21 février 2019 pour faire état de sa "déception" et continuer avec la seule défense de l’Exécutif, à savoir la tarte à la crème de la sacro-sainte séparation des pouvoirs.

Et Édouard Philippe de poursuivre avec cette illogique réflexion institutionnelle : le gouvernement ne s’occupe pas des règles de fonctionnement des assemblées, il est donc normal que les assemblées ne s’occupent pas des règles de fonctionnement de l’Exécutif.

Personne n’a relevé mais pourtant, pour une personnalité si intelligente et si lucide dans le fonctionnement des institutions, on s’aperçoit que le pouvoir, s’il ne corrompt pas forcément (heureusement), rend parfois moins perspicace que d’habitude. Car enfin, c’est le rôle majeur et constitutionnel du Parlement, celui de contrôler l’Exécutif. Ses deux fonctions phares, ce sont légiférer et contrôler. Légiférer, souvent, c’est le gouvernement qui est à l’initiative. Contrôler, c’est la piste d’amélioration pour notre démocratie et la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 y a d’ailleurs contribué. La réforme des institutions voulue par le pouvoir actuel, au contraire, voudrait faire machine arrière, au point de vouloir limiter le droit d’amendement (qui est le dernier pouvoir réel du législateur quand il n’est pas lui-même à l’origine du texte de loi).

Il ne s’agit donc pas de comparer qui contrôle qui : l’Exécutif agit, et le Législatif contrôle celui qui agit, et il ne faut pas inverser les rôles. De plus, brandir l’invraisemblable pancarte de séparation des pouvoirs est une véritable tarte à la crème alors que c’est l’Exécutif qui est à la manœuvre dans l’ordre du jour des deux assemblées, c’est le gouvernement qui est à l’initiative de la grande majorité des lois votées par les parlementaires, et pourtant, ces derniers ne brandissent pas la sacro-sainte séparation des pouvoirs pour refuser de débattre des projets de loi (textes d’origine gouvernementale) au profit des seules propositions de loi (textes d’origine parlementaire). C’est ne rien comprendre aux institutions que de brandir cette séparation des pouvoirs. Il y a forcément des interactions.

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Enfin, dire cela, c’était sans compter la très grande compétence juridique du président de la commission d’enquête, Philippe Bas, ancien ministre et ancien Secrétaire Général de l’Élysée, et à mon sens, le plus apte, de tous les parlementaires, à occuper cette fonction de président d’une commission d’enquête sur le fonctionnement de l’État. Philippe Bas est le contraire d’un homme partisan. Il est d’ailleurs plutôt minoritaire dans son propre parti (LR) puisqu’il avait appelé à voter Alain Juppé en 2016 (comme du reste Édouard Philippe). Il a très mûrement réfléchi sur (déjà) le titre et l’objectif de sa commission d’enquête, ensuite, il a été très scrupuleux pour ne pas empiéter sur les enquêtes judiciaires en cours. On peut facilement en prendre conscience lors des auditions publiques, car cela lui arrivait d’annuler certaines questions de sénateur qui ne correspondaient pas aux buts de la commission ou qui n’étaient pas compatibles avec les enquêtes judiciaires en cours. En clair, Philippe Bas a très rigoureusement délimité les frontières de compétences de sa commission et les a tenues fermement, même auprès de sénateurs un peu trop empressés (dans leur opposition au gouvernement) et moins soucieux du contexte juridique.

L’Exécutif fait exprès de confondre une enquête sur le fonctionnement de l’Élysée et une enquête sur les décisions prises à l’Élysée : la commission d’enquête ns s’est absolument pas préoccupée de la nature des décisions politiques prises à l’Élysée, pas même de la nature des sanctions prises le 2 mai 2018 à l’encontre d’Alexandre Benalla, mais sur la manière dont elles ont été effectivement appliquées… ou pas.

La Ministre de la Justice Nicole Belloubet, qui est constitutionnaliste de métier et qui fut même membre du Conseil Constitutionnel, peut étonner quand on l’écoute après la publication du rapport, car elle paraît user d’une très grande mauvaise foi (je préfère cette option à l’option d’incompétence que son parcours empêche obligatoirement d’imaginer) quand elle dit qu’il n’aurait jamais dû y avoir d’enquête sur le fonctionnement de l’Élysée, alors qu’elle-même, en tant que garde des sceaux, avait donné son accord sur la formation d’une telle commission d’enquête en juillet 2019.

L’argument du Premier Ministre, repris par ses ministres, c’est que les parlementaires n’ont pas à dire ce que l’Élysée devrait faire pour s’organiser et recruter ses collaborateurs. Sauf qu’il y a une règle toute simple, celle de l’État de droit, et dans cette règle est incluse par exemple l’interdiction de tout conflit d’intérêts. Enfin, dans ce rapport sénatorial, ce ne sont pas les treize recommandations qui sont les plus importantes, treize recommandations d’un rapport qui peuvent être laissées ainsi, lettre morte, ce n’est pas première fois qu’un rapport qui préconise des choses ne serait pas suivi par le gouvernement, alors pourquoi débattre sur cela ? Ce ne sont que des suggestions. En quelques sortes, ces recommandations sont le prétexte de la commission d’enquête.

Mais les éléments les plus forts de ce rapport, c’est plutôt les constats, qu’il y a eu, au cœur même de l’Élysée, un chaînon faible pour la sécurité du Président de la République. Un individu qui jouissait d’une protection suprême (incompréhensible) et qui se permettait de venir dans les locaux présidentiels avec une arme à feu dans la poche, parfois en présence du chef de l’État, un individu aussi qui aurait eu des intérêts avec des clients privés étrangers (russes).

La gestion de l’affaire Benalla par le Président Emmanuel Macron a été particulièrement mauvaise. Non seulement elle a manqué de sens politique (on ne répond pas à un rapport d’enquête si politique par des arguties de technique juridique), ce qui n’est pas nouveau pour Emmanuel Macron (il était un extraterrestre du paysage politique, c’était d’ailleurs sa force en 2017), mais aussi manqué de sens de management, et pour quelqu’un qui voudrait gérer la France comme une start up, c’est plus étonnant.

Manque de sens de management : quand un collaborateur a fait n’importe quoi, on ne le protège pas, on le sanctionne voire on le licencie. Certes, dans les règles du code du travail mais de manière ferme, et on vérifie bien qu’il n’a plus les attributs de ses anciennes fonctions.

Manque de sens politique, c’est plus grave : dès le 2 mai 2018 le Président devait rompre tout lien avec Alexandre Benalla. Au lieu de cela, il a fanfaronné, se croyant intouchable, il a voulu rendre intouchable Alexandre Benalla en disant : Benalla = Macron, alors qui attaque Benalla attaque Macron. Le problème, c’est qu’en en faisant une affaire personnelle, Emmanuel Macron s’est imprudemment et très inutilement mis en danger politique majeur. Au point qu’après les nouvelles révélations sorties dans les  médias en décembre 2018, cette rupture a eu finalement lieu. Avec huit mois de retard. En pleine vigilance antiterroriste !

Reprenons le parallèle avec la gestion d’entreprise. Dans une entreprise normale, à une instance de régulation qui met en garde contre les risques que faisait encourir un employé, son patron devrait lui dire merci, la remercier de son avertissement salutaire, pour préserver la bonne marche de l’entreprise. Au lieu de refuser les constats et de croire qu’il se protège en réfutant le rapport.

En clair, la logique politique et fonctionnelle, qui aurait contribué à déminer politiquement le terrain, cela aurait été d’entrer dans le jeu des sénateurs, leur dire merci, les remercier d’avoir décelé parmi les collaborateurs de l’Élysée la présence d’un "faux jeton". Au contraire, le pouvoir exécutif se crispe, se croit attaqué (alors que le rapport n’attaque personne, il pointe juste les dysfonctionnements flagrants), et réfute la pertinence du rapport, sans aucun crédit, car la bataille, comme toute bataille en politique, reste celle de "l’opinion publique".

« Qu’ils viennent me chercher ! ».
Les sénateurs l’ont trouvé. À lui de leur répondre pour (enfin) désamorcer le volet politique de l’affaire et la laisser …au droit commun.

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Dans cette affaire, toutefois, Emmanuel Macron pourrait peut-être compter sur la bienveillance du Président du Sénat Gérard Larcher. En effet, le bureau du Sénat va devoir se prononcer sur des demandes provenant du rapport : signaler au procureur de la République des faux témoignages sous serment. Cela concerne cinq personnes, dont deux particulièrement sur la sellette, Alexandre Benalla et Vincent Crase, aujourd’hui en détention provisoire, et trois très hauts responsables de l’Élysée (en particulier Patrick Strzoda). L’enjeu personnel n’est pas mince : un risque de condamnation à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour chacun d’eux.

La réunion pour prendre cette décision ou pas aura lieu le 21 mars 2019, soit dans un mois, ce qui est long dans une affaire si médiatiquement accélérée. Pourquoi un temps si long pour cette question ? Parce que les groupes de la majorité sénatoriale sont divisés : ils ne sont pas tous d’accord sur la marche à suivre. Le groupe LR voudrait signaler les cinq personnes à la justice, quitte à provoquer le procès d’un Secrétaire Général de l’Élysée ou d’un directeur de cabinet, cela aurait un retentissement médiatique, politique et administratif sans précédent, et pénaliserait pour le pouvoir. Le groupe UDI, au contraire, plus conciliant, voudrait séparer le sort d’Alexandre Benalla et Vincent Crase, du sort des trois autres hauts fonctionnaires. Signaler le faux témoignage des deux premiers, sans signaler ceux des trois autres qui n’ont eu pour mission que de réduire au maximum la responsabilité présidentielle. Mais ce ne sont pas ces derniers qui ont cogné sur des manifestants.

Gérard Larcher serait plutôt favorable à ne faire aucun signalement et laisser la justice suivre son cours pour Alexandre Benalla et Vincent Crase. Il y a déjà eu un précédent pour faux témoignage sous serment dans une commission parlementaire, mais dans un contexte très différent. Le contexte de l’affaire Benalla est très politique et faire ce genre de signalement pourrait ouvrir la porte à des batailles plus judiciaires que politiques en cas de différend politique entre législatif et exécutif. À l’avenir, ce pourrait ne pas être sain. Savoir juste que ce levier existe mais ne pas l’exercer pourrait être juste une "bonne leçon".

C’est pourquoi la décision du bureau du Sénat du 21 mars 2019 sera importante. Importante personnellement pour cinq personnes clefs de cette affaire, et importante politiquement pour la poursuite du quinquennat d’Emmanuel Macron qui a bien d’autres sujets de préoccupation, notamment la crise des gilets jaunes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Affaire Benalla : un manque de sens politique ?
Vidéo de la conférence de presse de la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla le 20 février 2019 (à télécharger).
Affaire Benalla : l’attaque frontale des sénateurs.
Rapport de la mission sénatoriale sur l’affaire Benalla le 20 février 2019 (à télécharger).
Benalla en prison : vers la fin de l’impunité ?
Alexandre Benalla dans les traces de Jérôme Cahuzac.
Jérôme Cahuzac.
Audition de Jérôme Cahuzac le 26 juin 2013 (texte intégral).
Audition d’Alexandre Benalla au Sénat le 21 janvier 2019 (vidéo à télécharger).
Audition d'Alexandre Benalla au Sénat le 19 septembre 2018 (vidéo à télécharger).
Benalla vs Sénat : 1 partout.
Audition de Patrick Strzoda au Sénat le 25 juillet 2018 (vidéo à télécharger).
Patrick Strzoda et le code du travail à la sauce Benalla.
Exemplaire et inaltérable la République ?
Institutions : attention aux mirages, aux chimères et aux sirènes !

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23 février 2019 6 23 /02 /février /2019 03:28

« J’ai aimé Jean-Marie, j’ai détesté Le Pen. » (Yann Piat).


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Ce fut une véritable tragédie pour une femme de 44 ans et ses enfants (elle est née il y a à peine soixante-dix ans, le 12 juin 1949 à Saigon). En effet, il y a vingt-cinq ans, le 25 février 1994 à Hyères, dans le Var, Yann Piat fut sauvagement assassinée, les poumons transpercés de deux balles, lors du retour de sa permanence d’élue vers son domicile. Ce fut l’un des très rares cas d’assassinat de personnalité politique depuis le début des années 1980 en France (hélas pas le seul, notamment en Nouvelle-Calédonie).

Yann Piat s’appelait à sa naissance Yannick Marie (Piat fut le patronyme de son second mari en 1977) et était orpheline de père (ou plutôt, son père était inconnu). Sa mère était dans l’armée française en Indochine (où la fille est née) puis a milité à l’OAS en Algérie où elle a été incarcérée. Comme sa mère était une amie de Jean-Marie Le Pen, Yann Piat fut sa filleule. Les relations entre les deux n’étaient donc pas seulement politiques, elles étaient presque filiales.

En quelques sortes, le Front national est devenu la seconde famille de Yann Piat. Après avoir été secrétaire fédérale du FN dans les Landes, elle retourna dans le Var où elle avait passé son enfance, et, placée à la tête de la liste du FN dans le Var, elle fut élue députée du Var le 16 mars 1986 à l’âge de 36 ans, grâce au scrutin proportionnel mis en place par François Mitterrand. Elle ne fut pas la seule élue du FN puisque 35 candidats FN furent élus, ce qui leur a permis de créer un groupe politique à l’Assemblée Nationale présidé par Jean-Marie Le Pen (à l’époque, il fallait au moins 30 députés, maintenant, 15 suffisent). Pour l’anecdote, le nom exact des listes FN et du groupe FN était "Front national Rassemblement national".

Le gouvernement de Jacques Chirac (de la première cohabitation) a rétabli le scrutin majoritaire, si bien que la plupart des députés FN sortants furent battus aux élections législatives de juin 1988. La plupart : en fait, aucun …sauf Yann Piat qui fut la seule réélue du FN le 12 juin 1988 avec 53,7% des voix au second tour face à un candidat socialiste. Étant la seule élue du FN, elle n’a pas pu former de groupe politique et s’est assise parmi les non-inscrits dans l’hémicycle.

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Quelques mois plus tard, elle a vivement réagi lorsqu’elle a entendu Jean-Marie Le Pen faire son jeu de mot vaseux sur Michel Durafour alors ministre ("Durafour-crématoire"), prononcé le 2 septembre 1988 au Cap d’Agde, si bien qu’elle et son compagnon, le médecin François Bachelot, ancien député FN de 1986 à 1988 et ancien directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen pour l’élection présidentielle de 1988, furent exclus du FN en octobre 1988. François Bachelot, ancien membre du RPR, a rejoint CNI tandis que Yann Piat s’est rapprochée du PR (Parti républicain).

L’une des grandes qualités de Yann Piat, qui lui a sans doute permis d’être réélue, fut sa lutte sans complaisance contre la corruption. Elle fut même surnommée Yann d’Arc pour l’occasion. Elle enquêta au sein d’une commission parlementaire sur la pénétration de la mafia en France et elle a rapidement dénoncé des liens équivoques entre le milieu du grand banditisme et le paysage politique varois.

Il faut rappeler qu’à l’époque, il y avait, pas si loin, la mise en place d’une politique de lutte active contre la corruption en Italie (plus ou moins avec succès, avec l’opération Mains propres mais aussi avec des assassinats de juges dont Falcone). De plus, dans le Var, régnait politiquement un maître incontesté (on l’appelait le "parrain du Var"), Maurice Arreckx (1917-2001), maire de Toulon de mars 1959 à mars 1985, président du conseil général du Var de mars 1985 à mars 1994, député de mars 1978 à septembre 1986 et sénateur de septembre 1986 à septembre 1995.

Maurice Arrekx était le patron de l’UDF du Var, en tant que membre du Parti républicain, parti appartenant à l’UDF et présidé par François Léotard de 1982 à 1990 (secrétaire général puis président) et de 1995 à 1997 (et par Gérard Longuet de 1990 à 1995). François Léotard, député-maire de Fréjus, qui avait une activité politique nationale depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981 (et même une ambition présidentielle), avait renoncé à se mêler des affaires politiques du Var qui étaient laissées à Maurice Arreckx. À l’instar, par exemple, de Philippe Séguin, député-maire RPR d’Épinal, qui était actif au niveau national mais ne s’occupait pas des affaires politiques du département des Vosges (laissées à Christian Poncelet, également RPR, sénateur et président du conseil général des Vosges).

Quand j’écris "affaires", il s’agit bien des affaires politiques et de l’autorité politique, et en principe, en toute légalité. J’écris "en principe" car Maurice Arreckx fut justement par la suite arrêté et emprisonné en août 1994 puis de décembre 1987 à août 1998, condamné pour corruption à quatre ans de prison dont deux avec sursis par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en fin 1997.

Pourquoi Yann Piat s’est-elle rapprochée du PR alors qu’elle dénonçait des liens entre le milieu et la vie politique varoise dirigée par le PR ? Il faut imaginer aussi que les investitures de parti ont un sens (ou avaient un sens) pour les électeurs. Dans le Var, le parti dominant était le PR (entre 1988 et 1997, il y avait, sans compter Yann Piat, 5 députés PR sur les 7 que comptait le Var, le septième député était RPR). L’autre parti plus ou moins important dans le Var, dans l’opposition départementale, était le PS, laminé aux élections législatives de 1988 et de 1993.

En raison des consignes de Jacques Chirac et d’Alain Juppé (président et secrétaire général du RPR), le RPR était beaucoup plus ferme que le PR pour rejeter toute idée d’alliance avec le FN. C’était donc logique que, politiquement, Yann Piat, ex-FN, se tournât vers le PR pour trouver une nouvelle famille politique qui l’accueillerait.

Ce qui était moins logique, c’est qu’elle intégrait, au niveau départemental, une formation qu’elle accusait d’avoir des liens avec le milieu. Était-ce une ambition folle de vouloir assainir politiquement de l’intérieur un parti qu’elle pensait sali ? Ou était-ce simplement une téméraire imprudence ? C’est évidemment facile de se poser ces questions après son assassinat. Pensait-elle que le système varois provenait d’hommes et pas d’un parti ?

En tout cas, si elle voulait suivre une carrière "classique" d’élue, Yann Piat, députée de la 3e circonscription du Var (Hyères, Le Pradet, etc.), devait avoir une implantation locale. Elle a ainsi envisagé une candidature aux élections municipales à Hyères (environ 50 000 habitants) en 1995, et auparavant, elle voulait se présenter aux élections régionales de mars 1992 sur la liste UDF-RPR du Var (l’ensemble des listes de la région PACA était mené par Jean-Claude Gaudin, qui n’était pas encore maire de Marseille, mais président du conseil régional sortant).

Finalement, elle fut écartée de la liste UDF-RPR et elle renonça à monter une liste dissidente en échange de l’investiture de l’UDF et du RPR aux élections législatives de mars 1993. Ce fut ainsi que Yann Piat fut réélue députée du Var le 28 mars 1993, avec 42,4% des voix au second tour dans une triangulaire à laquelle participèrent un candidat divers droite (31,4%) et un candidat investi par le FN (26,2%). Il est à noter que Léopold Ritondale (1921-2008) était le maire PR d’Hyères depuis mars 1983 (mandat gagné face au maire sortant PS qui fut aussi l’opposant du second tour de Yann Piat en 1988) et qu’il a eu 74 ans aux élections municipales de 1995. Yann Piat aurait pu ainsi être sa successeure en le remplacement et mettant à la retraite (finalement, Léopold Ritondale est mort à 86 ans alors qu’il était encore maire, quelques jours avant les élections municipales de mars 2008).

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L’assassinat de Yann Piat a ému toute la classe politique, tant nationale que varoise, car c’est extrêmement rare qu’une personnalité politique soit assassinée (ce qui, d’ailleurs, peut être un des critères d’une démocratie avancée). Deux ans avant son assassinat, Yann Piat avait écrit une lettre où elle aurait mis en cause (sans aucune justification) trois personnalités politiques (Maurice Arreckx, Bernard Tapie et un ancien conseiller général) et deux membres du milieu (dont un "vrai parrain", Jean-Louis Fargette, assassiné en mars 1993 et proche de Maurice Arreckx au point que cela lui aurait coûté une carrière nationale).

Politique ou crapuleux ("ou" inclusif), cet assassinat a montré que Yann Piat gênait par sa présence politique et sa capacité à dénoncer les malversations dans la région de Toulon et d’Hyères. Il a même fait l’objet d’un film réalisé par Antoine de Caunes avec Karin Viard dans le rôle principal, diffusé le 16 avril 2012 sur Canal Plus.

Cet assassinat a fait aussi l’objet d’une enquête visiblement bâclée de deux journalistes qui ont publié en octobre 1997 chez Flammarion le témoignage d’un ancien militaire de la Direction du renseignement militaire qui a accusé presque nommément (avec des informations faciles à les identifier) François Léotard et Jean-Claude Gaudin ("Encornet" et "Trottinette"). Les deux élus nationaux du PR ont gagné leur procès contre les auteurs et l’éditeur pour diffamation et atteinte à leur honneur et ont obtenu le retrait des librairies du livre en question qui n’a pas été redistribué ensuite sans ce passage. Ces journalistes, lourdement condamnés par la justice, auraient été manipulés par ce militaire à la retraite.

Il a fallu attendre plus de vingt ans pour avoir le témoignage public de François Léotard, à l’époque de l’assassinat, Ministre d’État, Ministre de la Défense dans le gouvernement d’Édouard Balladur et l’un des plus fervents balladuriens. Dans l’émission "13h15 le dimanche" diffusé le 18 mars 2018 sur France 2, François Léotard a en effet déclaré que Jacques Chirac (concurrent d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995 mais qui, bien que vainqueur, avait gardé des rancœurs) l’avait convoqué avec Jean-Claude Gaudin au Fort de Brégançon pour leur dire qu’il n’était pas impliqué dans cette manipulation politique visant à les discréditer.

Totalement blanchi par la justice, François Léotard a affirmé ainsi : « Je pense que le milieu le plus élevé de la République était, à travers le Ministre de l’Intérieur de l’époque, tout à fait informé et peut-être à l’origine de cette démonstration de bêtise. (…) En tout cas, c’est une façon étrange de laisser faire. Étrange… ce qui est malheureusement conforme au personnage. » (entre 1995 et 1997, le Ministre de l’Intérieur était un fidèle chiraquien, Jean-Louis Debré, puis, sous la cohabitation avec Lionel Jospin, ce fut Jean-Pierre Chevènement). Au cours de la réunion au Fort de Brégançon : « C’était à la fois solennel et familier. Chirac nous avait convoqués pour expliquer que ce n’était pas lui. Je n’ai pas ouvert la bouche. C’était un mensonge. ».

Profondément secoué par cette fausse accusation et par un triple pontage coronarien, François Léotard, qui alors était président du PR et président de l’UDF, a définitivement abandonné la vie politique le 26 décembre 2001 après la mort de son frère Philippe Léotard (le 25 août 2001).

Le procès des assassins de Yann Piat a commencé le 4 mai 1998 devant les assises du Var et le verdict très lourd a été prononcé le 16 juin 1998 avec la condamnation des six auteurs et complices, dont le commanditaire (perpétuité, mort en 2010 d’une opération du cœur), le tireur (perpétuité, libéré après seize ans de détention, mort en 2013 d’une méningite foudroyante) et le conducteur de la moto (vingt ans de réclusion, libéré en 2007, mais de nouveau en prison quelques semaines plus tard à cause d’une agression à main armée et séquestration).

Au cours de ce procès, les vrais commanditaires de cet assassinat n’ont jamais été révélés. Le tireur a dit au juge qu’il se serait agi de voyous et d’hommes politiques mais qu’il ne voulait pas les dénoncer car ils étaient encore très puissants. Comme les deux premiers protagonistes de l’assassinat sont morts maintenant, ces noms risquent de ne jamais pouvoir être divulgués un jour. Comme dans l’affaire Robert Boulin


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Yann Piat.
Jean-Marie Le Pen.
Rassemblement national.
François Léotard.

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15 février 2019 5 15 /02 /février /2019 03:20

« Je ne suis pas du tout surpris qu’il soit ému. » (Édouard Philippe, 14 février 2019).



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Je reviens sur le départ de l’ancien Premier Ministre Alain Juppé de la vie politique pour se consacrer à son prochain mandat de membre du Conseil Constitutionnel. Où est passé le froid technocrate au pouvoir, droit dans ses bottes, à l’image à peine sensible aux souffrances sociales ? Voici un vieillard consensuel mais impuissant au bord de la crise de larmes, submergé par une émotion sincère qui laisse une impression de malaise, malaise parce que c’est toujours gênant d’assister à ce genre d’effusion, et malaise aussi parce qu’on pourrait se dire que l’homme a été mal "jugé".

L’émotion a débordé des yeux d’Alain Juppé lorsqu’il a prononcé ces phrases : « Je n’ai pas pris ma décision de gaîté de cœur. (…) C’est un arrachement que de me séparer de qui j’ai tant aimé, à qui j’ai tant donné et qui m’a tant donné en retour. ». Il a utilisé le verbe "aimer" comme Jacques Chirac l’a utilisé lors de sa dernière allocution télévisée, au moment de quitter le pouvoir (et la vie politique), le 11 mars 2007 : « Mes chers compatriotes. Vous l’imaginez, c’est avec beaucoup d’émotion que je m’adresse à vous ce soir. Pas un instant, vous n’avez cessé d’habiter mon cœur et mon esprit. Pas une minute, je n’ai cessé d’agir pour servir cette France magnifique. Cette France que j’aime autant que je vous aime. Cette France riche de sa jeunesse, forte de son historie, de sa diversité, assoiffée de justice et d’envie d’agir. Cette France qui, croyez-moi, n’a pas fini d’étonner le monde. ». Très pudique, Jacques Chirac avait refusé, dans un premier temps (de préparation), d’utiliser ce verbe si fort.

Dans les commentaires sur la déclaration du futur ex-maire de Bordeaux prononcée dans la matinée du 14 février 2019 (jour de la Saint-Valentin : « Avec Bordeaux et son peuple, nous sommes en quelque sorte un vieux couple. »), qu’on peut lire ici dans son intégralité, il faut rappeler au moins deux choses.

Premièrement, il est faux de dire qu’Alain Juppé prend sa retraite, il va au contraire être en charge de la lourde constitutionnalité des lois pendant neuf ans, donc jusqu’à l’âge de 82 ans : « Je souhaite continuer à servir notre pays et notre République dans un environnement plus serein. Le Conseil Constitutionnel m’en donne la chance. ». Deuxièmement, il est étonnant de l’entendre parler de "crève-cœur", de "pas de gaîté de cœur", d’un "arrachement", alors que rien, personne ne l’obligeait à prendre sa décision de se retirer immédiatement de la mairie de Bordeaux, du moins avant les élections municipales de mars 2020 (à ce propos, sa première adjointe Virginie Calmels, elle aussi, devrait se retirer de la vie politique).

Pour autant, son choix de quitter toute vie politique active, tout militantisme partisan, tout prosélytisme, non seulement il est respectable, d’autant plus respectable qu’Alain Juppé n’a de leçon de citoyenneté ou de civisme à recevoir de personne, après quarante années passées au service de l’État et des Français et avec son âge déjà canonique qui justifie un retrait sinon une retraite.

Son choix est également compréhensible et il l’a très clairement expliqué : « La vie politique est, comme toujours, un combat. J’ai aimé livrer ce combat et je l’ai fait pendant plus de quarante ans avec des bonheurs divers mais toujours avec passion. Aujourd’hui, l’envie me quitte tant le contexte change. ».

C’est intéressant d’employer ce mot "envie". Il l’avait déjà employé dans l’autre sens, pour convaincre les gens qu’il était bien motivé à se présenter à l’élection présidentielle de 2017, qu’il avait envie d’y aller, envie d’agir à la Présidence de la République (que les sondages lui apportaient alors sur un plateau d’argent). Il l’avait dit le 2 octobre 2014 dans l’émission "Des paroles et des actes" diffusée sur France 2.

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Cette déclaration avait d'ailleurs été précédée d’une précieuse aide de son mentor, Jacques Chirac, celui qui l’avait qualifié de "meilleur d’entre nous", dans "Le Figaro" le 1er octobre 2014 : « J’ai toujours su qu’Alain Juppé serait au rendez-vous de son destin et de celui de la France. (…) Peu de choses pouvaient me faire plus plaisir, pour moi-même, pour lui et surtout pour notre pays. ».

J’expliquais d’ailleurs à l’époque que la perspective d’une candidature en 2017 était plutôt rassurante : « Dans l’offre politique actuelle, Alain Juppé représente tout ce qui a manqué à la France depuis le départ de Jacques Chirac en 2007 : une autorité, une capacité à rassembler, une volonté de ne plus cliver mais au contraire de pondérer les aspérités d’une société à la cohésion sociale très fragile, une compétence, une expérience. J’ajouterais même, mais rien n’est jamais acquis dans le domaine affectif, une stabilité conjugale qui devrait ne regarder certes personne mais qui permettrait quand même d’en finir avec les ragots d’alcôves présidentielles qui viennent encore de faire la risée des médias étrangers. » (3 octobre 2014).

Et j’ajoutais toutefois : « La bataille de la primaire ouverte à l’UMP pour l’élection présidentielle de 2017 va être rude, car Alain Juppé ne sera pas seul : il y aura probablement en face de lui Nicolas Sarkozy, François Fillon et d’autres candidats (…). ». Eh oui, l’obstacle de la primaire n’a finalement pas été franchi, si bien qu’au second tour de l’élection présidentielle de 2017, ce furent des candidats qui n’ont pas été choisis par un primaire préalable qui se sont retrouvés en face des électeurs pour le match final.

Est-ce que cet échec d’Alain Juppé, ce fut une catastrophe pour la France ? Est-ce qu’avec Alain Juppé à l’Élysée en 2017, la France se serait mieux relevée, mieux rétablie ? Aurait-elle retrouvée son identité, sa fierté, sa confiance en l’avenir ? Aurait-elle pu éviter la crise des gilets jaunes ? Toutes ces questions, on ne pourra évidemment pas y répondre sans uchronie, mais aujourd’hui, je peux douter hélas d’une réponse positive, dans un sentiment de presque déception.

Pourquoi ? Parce qu’à l’évidence, Alain Juppé n’est plus l’homme de notre époque. Il est dépassé. Il n’y a d’ailleurs rien de critiquable à cela. Il est dépassé par les mœurs (notamment la nouvelle manière que prend le débat politique à coups de réseaux sociaux et de chaînes d’information continue). Il est dépassé aussi par la violence (qu’il a observée notamment dans sa ville de Bordeaux, l’une des plus "attaquées" par les "gilets jaunes violents", j’utilise cette expression pour ne pas les confondre avec la grande majorité des gilets jaunes pacifiques), violence tant réelle (matérielle, physique) que verbale (elle aussi inquiétante car elle crée un climat très angoissant, même s’il ne nous ramène pas forcément à la situation des années 1930).

Alain Juppé l’a reconnu très lucidement : « L’esprit public est devenu délétère. La montée de la violence sous toutes ses formes, verbales et physiques, le discrédit des hommes et des femmes politiques, réputés "tous pourris", la stigmatisation des élites dont un pays a pourtant besoin (pourvu qu’elles ne se reproduisent pas par cooptation mais qu’elles soient ouvertes à la société entière), bref dans ce climat général, infecté par les mensonges et les haines que véhiculent les réseaux sociaux, l’esprit public est difficile à vivre et lourd à porter. ».

Trop lourd à porter pour Alain Juppé qui (rappelons-le), s’était vu associer à "Ali Juppé" lors de la campagne de la primaire LR en 2016 parce qu’il avait appelé à une "identité heureuse", prêchant l’unité au lieu de la haine, visiblement plus porteuse électoralement.

Dans sa confession, on lui reprochera sans doute, et avec raison, qu’il n’est pas allé assez loin dans son diagnostic et que la classe politique dans son ensemble a sa part de responsabilité dans cette défiance généralisée (et pas du tout nouvelle, déjà dans les années 1980, les sondages étaient assez éloquents). Lui-même, faisant partie des élites, critiquant le "tous pourris", a personnellement sa part de responsabilité avec sa condamnation le 1er décembre 2004 à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité par la cour d’appel de Versailles dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, mais aussi, plus généralement, avec la langue de bois utilisée comme chef du RPR et de l’UMP de 1988 à 2004 (secrétaire général puis président du RPR, président de l’UMP).

À propos de sa condamnation, rappelons aussi que sa peine est purgée et que sa condamnation est donc "effacée". Son honneur, lui, ne fut jamais mis en cause, pas même par la justice, ce que confirme l’arrêt de la cour d’appel de Versailles le 1er décembre 2004 : « Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au Parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation des faits avérés. Toutefois, M. Juppé s’est consacré pendant de nombreuses années au service de l’État, n’a tiré aucun enrichissement personnel de ces infractions commises au bénéfice de l’ensemble des membres de son parti, dont il ne doit pas être le bouc émissaire. ». En d’autres termes, beaucoup pense qu’Alain Juppé a payé pour protéger le président du RPR de l’époque, à savoir, le Président en exercice en 2004, Jacques Chirac.

C’est pour cette raison qu’Alain Juppé se sent légitime à siéger au Conseil Constitutionnel : « C’est la clef de voûte de l’architecture institutionnelle de la République, le garant du respect de la Constitution et des libertés fondamentales, de l’État de droit, de l’égalité des citoyens devant la loi et devant l’impôt, de la fraternité aussi et de l’humanisme qui l’inspire. Je mesure l’honneur qui m’est fait de pouvoir y siéger. ».

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Cette déclaration peut décevoir ceux qui avaient eu confiance en lui. Peut-être avaient-ils projeté sur lui plus que ce qu’il ne pouvait donner et apporter à la vie politique ? Alain Juppé endosse ainsi la fin de l’ancien monde, celui d’avant 2007, celui où les discours politiques, dans leur grande majorité, restaient courtois et n’attisaient pas la haine. Ce monde où il s’agissait d’unir et de rassembler et pas de cliver et d’exclure. Peut-être était-il plus faible, plus fragile que prévu, que voulu, qu’imaginé ? Peut-être a-t-il été trop dépassé par l’explosion du paysage politique français, notamment en 2016-2017 où le dégagisme semble devenir le programme d’une grande partie de la population désabusée et méfiante de tout ce qui peut approcher le pouvoir de près ou de loin ?

Alain Juppé quitte la politique active au sommet finalement de ses idées politiques. Son "poulain" est aux commandes à Matignon, Édouard Philippe, qu’il a encouragé à accepter l’offre du Président Emmanuel Macron en mai 2017. Alain Juppé quitte aussi cette scène grâce à l’un des plus grands barons de la Macronie, Richard Ferrand.  Il la quitte sans s’occuper de la campagne des élections européennes alors que sa parole aurait eu de la force et de l’influence sur le débat politique.

En quittant ainsi les joutes politiques, il a su résumer la seule chose qu’il a vraiment comprise depuis plus de deux ans : « Place maintenant à la relève ! ». J’espère qu’il prendra le temps et aura l’énergie d’écrire ses mémoires (chose que Raymond Barre n’avait pas eu le courage, ni le temps, de faire). Car même en ayant raté la dernière marche du pouvoir, Alain Juppé a eu, dans l’histoire de France, l’une des destinées politiques parmi les plus honorables et les plus influentes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Et de cela, le citoyen que je suis ne peut que le remercier : « Bon vent ! ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alain Juppé et la fragilité des dépassés.
Discours d’Alain Juppé le 14 février 2019 à Bordeaux (texte intégral).
Alain Juppé, le meilleur-d’entre-nous chez les Sages.
Alain Juppé l’utralucide.
Déclaration d’Alain Juppé le 6 mars 2017 à Bordeaux (texte intégral).
François Fillon l’obstiné.
Le grand remplacement.
Liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle au 3 mars 2017.
Le programme d’Alain Juppé.
Alain Juppé peut-il encore gagner ?
Alain Juppé et le terrorisme.
L’envie d’Alain Juppé.
Alain Juppé, la solution pour 2017 ?
En débat avec François Hollande.
Au Sénat ?
Virginie Calmels.
Second tour de la primaire LR du 27 novembre 2016.
Quatrième débat de la primaire LR 2016 (24 novembre 2016).
Premier tour de la primaire LR du 20 novembre 2016.
Troisième débat de la primaire LR 2016 (17 novembre 2016).
Deuxième débat de la primaire LR 2016 (3 novembre 2016).
Premier débat de la primaire LR 2016 (13 octobre 2016).
L’élection présidentielle 2017.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190214-alain-juppe.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/alain-juppe-et-la-fragilite-des-212676

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/14/37101381.html



 

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14 février 2019 4 14 /02 /février /2019 11:38

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Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190213-alain-juppe.html
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190214-alain-juppe.html



Discours du maire Alain Juppé le 14 février 2019 à Bordeaux

C’est avec une profonde émotion que je m’exprime aujourd’hui devant vous.

Quitter cet Hôtel de Ville est pour moi un crève-cœur.

Comme vous le savez, j’ai accepté la proposition de Richard Ferrand, Président de l’Assemblée Nationale, de me nommer au Conseil Constitutionnel. C’est pour moi un honneur et je l’en remercie.

Mon entrée en fonction devrait se faire début mars après mon audition la semaine prochaine par la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, puis ma prestation de serment.

A cette date, j’aurai démissionné de tous mes mandats électifs -maire de la Ville et président de la Métropole de Bordeaux.

Je ne m’attendais nullement à cette proposition. J’ai dû me décider en 24 heures.

Pourquoi ai-je accepté ?

Depuis plusieurs semaines, j’ai, en moi-même, pris la décision de ne pas me représenter en mars 2020 à l’élection municipale. J’avais prévu de l’annoncer après les élections européennes, à la fin de mai prochain.

Deux raisons m’ont conduit à cette décision :

    La volonté de ne pas faire le mandat de trop.

Je suis fier du travail que j’ai accompli dans notre ville depuis près de 25 ans. Comme tout bilan, le mien peut prêter à critique.

Mais je suis heureux de l’attachement réciproque qui me lie aux Bordelais.

Il y a tant de choses à faire encore et j’ai tant de projets en tête !

Mais je sens aussi le besoin de renouvellement qui monte ici et là. Le temps est venu de nouveaux visages et de nouvelles équipes.

    J’ai aussi une raison plus personnelle.

La vie politique est, comme toujours, un combat.

J’ai aimé livrer ce combat et je l’ai fait pendant plus de 40 ans avec des bonheurs divers mais toujours avec passion.

Aujourd’hui l’envie me quitte tant le contexte change.

L’esprit public est devenu délétère.

La montée de la violence sous toutes ses formes, verbales et physiques, le discrédit des hommes et des femmes politiques -réputés « tous pourris »-, la stigmatisation des élites dont un pays a pourtant besoin (pourvu qu’elles ne se reproduisent pas par cooptation mais qu’elles soient ouvertes à la société tout entière), bref dans ce climat général, infecté par les mensonges et les haines que véhiculent les réseaux sociaux, l’esprit public est difficile à vivre et lourd à porter.

Je souhaite continuer à servir notre pays et notre République dans un environnement de travail plus serein. Le Conseil Constitutionnel m’en donne la chance. C’est la clef de voûte de l’architecture institutionnelle de la République, le garant du respect de la Constitution et des libertés fondamentales de l’Etat de droit, de l’égalité des citoyens devant la loi et devant l’impôt, de la fraternité aussi et de l’humanisme qui l’inspire. Je mesure l’honneur qui m’est fait de pouvoir d’y siéger.

Je n’ai pas pris ma décision de gaieté de cœur. Avec Bordeaux et son peuple, nous sommes en quelque sorte un vieux couple.

C’est un arrachement que de me séparer de qui j’ai tant aimé, à qui j’ai tant donné et qui m’a tant donné en retour.

Dans mon « dictionnaire amoureux » qui porte bien son nom, j’ai voulu faire partager les sentiments que j’éprouve pour « ma » ville, notre ville, ses hommes et ses femmes.

Je garderai en moi sa marque indélébile. Nous ne la quittons pas vraiment puisqu’Isabelle et moi y garderons une résidence.

Mais je ne jouerai pas à la statue du commandeur ! Place maintenant à la relève.

Nous ne sommes pas en monarchie et il ne me revient pas de désigner un « dauphin ».

Je réunirai cette semaine la majorité municipale puis la majorité métropolitaine. C’est collectivement que nous choisirons celui ou celle qui se présentera ensuite aux suffrages du Conseil Municipal et du Conseil de Métropole. J’ai pleine confiance dans le sens des responsabilités de celles et ceux que j’appelle encore mes équipiers.

J’ai pleinement confiance aussi dans l’avenir de notre ville, aujourd’hui injustement abimée (une pensée pour ceux qui souffrent) mais qui s’épanouira demain, attractive et fraternelle.

Bordeaux la belle – tout court – je te souhaite bon vent.

Alain Juppé, le 14 février 2019 vers 11h30, à l'Hôtel de Ville de Bordeaux.

Source : www.al1jup.com/

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190214-discours-alain-juppe-bordeaux.html

 

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