(dépêches)
Maurice Druon, écrivain et homme politique
LE MONDE | 15.04.09 | 15h52 • Mis à jour le 16.04.09 | 08h50 Réagissez (2)
Nécrologie
L'écrivain et homme politique Maurice Druon est mort, mardi 14 avril à Paris, à quelques jours de ses 91 ans. Rendu célèbre par sa saga historique Les Rois maudits, il avait été, en 1973-1974, le dernier ministre des affaires culturelles de Georges Pompidou. Pendant plus de quatorze ans, il fut le secrétaire perpétuel de l'Académie française, où il avait été élu en 1966. Il en était le doyen d'élection.
Né à Paris le 23 avril 1918, il n'a pas connu son père, Lazare Kessel, membre de la Comédie-Française, qui se tire une balle dans le coeur sans l'avoir reconnu. L'enfant n'apprendra la vérité sur cette brusque disparition, qu'il croyait due à la grippe espagnole, qu'à l'âge de 18 ans. Ce qui le plonge dans une "affreuse crise d'angoisse et une hantise du suicide", confiera-t-il dans le premier volet de ses Mémoires, L'aurore vient du fond du ciel (Plon/Fallois, 2006).
Sa mère, qui épouse un notaire du Nord, René Druon, dont il prend le nom à 7 ans, l'a moins marqué que ce père adoptif, qui lui transmet cet "amour de la France" qui équilibre l'ascendance russe ("des juifs des steppes, qui étaient en fait des Khazars convertis") dont son oncle, l'écrivain Joseph Kessel (1898-1979), incarne jusqu'à la démesure l'énergie dionysiaque.
Une enfance paisible en Normandie, à La Croix-Saint-Leufroy, des études secondaires au lycée Michelet à Vanves, un deuxième prix au concours général en 1936, et, sitôt le baccalauréat en poche malgré un grec fragile et une faiblesse irrémédiable en maths, l'entrée à la faculté des lettres de Paris, puis à l'Ecole libre des sciences politiques (1937-1939).
Mais, parallèlement, chez son oncle et mentor Jef Kessel, "ce faussaire dans le genre d'Homère", le jeune Maurice croise les as de l'Aéropostale, Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry et Henri Guillaumet, des musiciens tziganes et des bacchantes en rupture de cabaret russe. Sur le fil, toujours, entre une effervescence déstabilisante et le prudent enracinement dans les valeurs traditionnelles, puisqu'il tient "l'anarchie pour aussi haïssable dans le verbe que dans la société". D'où des premiers pas littéraires, encouragés par l'oncle Jef, sous le signe d'un classicisme sans états d'âme.
Officier de cavalerie à l'école de Saumur, Maurice Druon participe en 1940 à la campagne de France. Il évoquera l'épisode dans son premier roman, La Dernière Brigade (1946). Démobilisé, il demeure en zone libre et fait représenter au Grand Théâtre de Monte-Carlo une pièce en trois actes, Mégarée, en 1942. La même année, il s'engage dans les rangs de la France libre, gagne clandestinement Londres, via l'Espagne et le Portugal, devient l'aide de camp du général François d'Astier de la Vigerie, puis pour la BBC travaille avec son oncle au programme "Honneur et patrie".
C'est là que les deux hommes composent, sur une musique d'Anna Marly, le texte du Chant des partisans, appelé à devenir l'hymne des mouvements de résistance au nazisme (1943). Chargé de mission pour le Commissariat à l'intérieur et à l'information, il devient, en 1944, correspondant de guerre auprès des armées françaises jusqu'à la fin du conflit.
Avec le retour de la paix, Maurice Druon se consacre à la littérature. Ouvrant une trilogie intitulée La Fin des hommes, son roman Les Grandes Familles - chronique cynique et sévère de la grande bourgeoisie d'affaires, obtient le prix Goncourt en 1948. Suivront La Chute des corps, puis Rendez-vous aux enfers.
L'homme est lancé. Une collaboration théâtrale avec son oncle (Le Coup de grâce, 1953), un autre roman (La Volupté d'être, 1954), et l'aventure des Rois maudits. Six volumes, parus chez Del Duca entre 1955 et 1960, retracent les conflits politiques et sentimentaux des cours royales de France et d'Angleterre à la veille de la guerre de Cent Ans. Du Roi de fer au Lis et le lion, la saga est le fruit d'un singulier travail d'atelier, auquel participent notamment Gilbert Sigaux, José-André Lacour et Edmonde Charles-Roux. Avec fair-play, Druon remercie du reste dans sa préface ces nègres de haut vol. Le succès est considérable. Au point que deux adaptations pour le petit écran en seront proposées, par Claude Barma (1972), puis Josée Dayan (2005).
Du conte pour enfants, Tistou les pouces verts (1957) à la veine du roman mythologique : Alexandre le Grand (1958), Les Mémoires de Zeus (1963-67), tout réussit à Maurice Druon, qui obtient le prix Pierre de Monaco "pour l'ensemble de son oeuvre" dès 1966 et entre en décembre de la même année à l'Académie française à 48 ans.
"CONQUÉRIR"
Le benjamin de la vénérable institution y remplace, au 30e fauteuil, l'écrivain Georges Duhamel. C'est à un autre Duhamel, Jacques, qu'il succède bientôt au ministère des affaires culturelles dans le second cabinet Messmer (1973-1974). Gaulliste historique et champion de l'ordre, Druon va mettre la même combativité à menacer les directeurs de théâtre jugés subversifs ("Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir") qu'à enrayer la tentation de certains académiciens à ouvrir le dictionnaire des "immortels" à la modernité.
Cette ligne conservatrice, hautaine et implacable provoque une vive polémique avec les milieux culturels, choqués par la rupture manifeste avec la voie d'ouverture prônée par Jacques Duhamel. Ils organisent le 13 mai 1973 une procession funèbre en mémoire de feu la liberté d'expression. Sans surprise, Druon n'est pas reconduit, sitôt l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, dans le gouvernement que dirige Jacques Chirac. Mais il ne déserte pas le champ politique et se fait élire député (RPR) de Paris en mars 1978.
C'est toutefois du côté de la Coupole qu'il va désormais s'investir prioritairement, prônant l'accueil des écritures francophones, tout en pourfendant les projets de réforme de l'orthographe comme les néologismes en vogue.
Elu secrétaire perpétuel de l'Académie le 7 novembre 1985, en remplacement de Jean Mistler, démissionnaire, il usera de toute son influence pour freiner la moindre évolution de l'institution. Il est d'abord un adversaire farouche de l'entrée des femmes sous la Coupole, mais il ne pourra empêcher l'élection de Marguerite Yourcenar (1903-1987) en 1980. Il saura toutefois se faire une alliée d'Hélène Carrère d'Encausse, hostile à la féminisation du lexique, pour finalement lui abandonner son poste le 7 octobre 1999.
Admis à l'honorariat le 1er janvier 2000, le vieil académicien ne désarme pas cependant. Celui qui choisissait, en 1994, interrogé sur son mot préféré lors de la célébration du tricentenaire du Dictionnaire, le martial "conquérir", s'offre un nouveau baroud en tentant d'interdire la Compagnie à Giscard d'Estaing. Il n'a pas pardonné la trahison envers le général de Gaulle lors du référendum d'avril 1969. Contre ce "Brutus sans grandeur, mais non sans vanité", Maurice Druon mobilise confrères et médias, sans hésiter sur les moyens : "Un ancien ami de Bokassa peut-il succéder à Léopold Sédar Senghor ?", ironise-t-il à l'automne 2003.
Il perd aussi cette bataille-là. Il ne s'assagit pas pour autant et tente encore, à l'été 2007, d'obtenir de son "successeur", Christine Albanel, qu'on reconstruise face au Louvre les Tuileries à l'identique, barrant la perspective de l'Etoile. Un rêve réactionnaire dont il n'aura pas vu la réalisation.
Philippe-Jean Catinchi
Dates clés
23 avril 1918
Naissance à Paris.
1942
S'engage dans la Résistance.
1943
Paroles (avec Joseph Kessel) du "Chant des partisans".
1948
Prix Goncourt pour "Les Grandes Familles".
1955-1960
"Les Rois maudits".
1958
"Alexandre le Grand".
1963-1967
"Les Mémoires de Zeus".
1966
Prix Pierre de Monaco "pour l'ensemble de son oeuvre"
Benjamin, à 48 ans, de l'Académie française.
1972 (puis 2005)
Adaptations pour la télévision des "Rois maudits".
1973-1974
Ministre des affaires culturelles de Georges Pompidou.
1985-1999
Secrétaire perpétuel de l'Académie française.
14 avril 2009
Mort à Paris.
L'académicien Maurice Druon est mort
LE MONDE | 14.04.09 | 21h35 • Mis à jour le 15.04.09 | 10h30
L'écrivain et homme politique Maurice Druon est mort, mardi 14 avril à Paris, à quelques jours de ses 91 ans. Rendu célèbre par sa saga historique Les Rois maudits, il avait été, en 1973-1974, le dernier ministre des affaires culturelles de Georges Pompidou. Pendant plus de quatorze ans, il fut le secrétaire perpétuel de l'Académie française, où il avait été élu en 1966. Il en était le doyen d'élection.
Né à Paris le 23 avril 1918, il n'a pas connu son père, Lazare Kessel, membre de la Comédie-Française, qui se tire une balle dans le cœur sans l'avoir reconnu. L'enfant n'apprendra la vérité sur cette brusque disparition, qu'il croyait due à la grippe espagnole, qu'à l'âge de 18 ans. Ce qui le plonge dans une "affreuse crise d'angoisse et une hantise du suicide", confiera-t-il dans le premier volet de ses Mémoires, L'aurore vient du fond du ciel (Plon/Fallois, 2006).
Sa mère, qui épouse un notaire du Nord, René Druon, dont il prend le nom à 7 ans, l'a moins marqué que ce père adoptif, qui lui transmet cet "amour de la France" qui équilibre l'ascendance russe (" des juifs des steppes, qui étaient en fait des Khazars convertis") dont son oncle, l'écrivain Joseph Kessel (1898-1979), incarne jusqu'à la démesure l'énergie dionysiaque.
Une enfance paisible en Normandie, à La Croix-Saint-Leufroy, des études secondaires au lycée Michelet à Vanves, un deuxième prix au concours général en 1936, et, sitôt le baccalauréat en poche malgré un grec fragile et une faiblesse irrémédiable en maths, l'entrée à la faculté des lettres de Paris, puis à l'Ecole libre des sciences politiques (1937-1939).
Mais, parallèlement, chez son oncle et mentor Jef Kessel, "ce faussaire dans le genre d'Homère", le jeune Maurice croise les as de l'Aéropostale, Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry et Henri Guillaumet, des musiciens tziganes et des bacchantes en rupture de cabaret russe. Sur le fil, toujours, entre une effervescence déstabilisante et le prudent enracinement dans les valeurs traditionnelles, puisqu'il tient "l'anarchie pour aussi haïssable dans le verbe que dans la société". D'où des premiers pas littéraires, encouragés par l'oncle Jef, sous le signe d'un classicisme sans états d'âme.
Officier de cavalerie à l'école de Saumur, Maurice Druon participe en 1940 à la campagne de France. Il évoquera l'épisode dans son premier roman, La Dernière Brigade (1946). Démobilisé, il demeure en zone libre et fait représenter au Grand Théâtre de Monte-Carlo une pièce en trois actes, Mégarée, en 1942. La même année, il s'engage dans les rangs de la France libre, gagne clandestinement Londres, via l'Espagne et le Portugal, devient l'aide de camp du général François d'Astier de la Vigerie, puis pour la BBC travaille avec son oncle au programme "Honneur et patrie".
C'est là que les deux hommes composent, sur une musique d'Anna Marly, le texte du Chant des partisans, appelé à devenir l'hymne des mouvements de résistance au nazisme (1943). Chargé de mission pour le Commissariat à l'intérieur et à l'information, il devient, en 1944, correspondant de guerre auprès des armées françaises jusqu'à la fin du conflit.
Avec le retour de la paix, Maurice Druon se consacre à la littérature. Ouvrant une trilogie intitulée La Fin des hommes, son roman Les Grandes Familles – chronique cynique et sévère de la grande bourgeoisie d'affaires, obtient le prix Goncourt en 1948. Suivront La Chute des corps, puis Rendez-vous aux enfers.
L'homme est lancé. Une collaboration théâtrale avec son oncle (Le Coup de grâce, 1953), un autre roman (La Volupté d'être, 1954), et l'aventure des Rois maudits. Six volumes, parus chez Del Duca entre 1955 et 1960, retracent les conflits politiques et sentimentaux des cours royales de France et d'Angleterre à la veille de la guerre de Cent Ans. Du Roi de fer au Lis et le lion, la saga est le fruit d'un singulier travail d'atelier, auquel participent notamment Gilbert Sigaux, José-André Lacour et Edmonde Charles-Roux. Avec fair-play, Druon remercie du reste dans sa préface ces nègres de haut vol. Le succès est considérable. Au point que deux adaptations pour le petit écran en seront proposées, par Claude Barma (1972), puis Josée Dayan (2005).
Du conte pour enfants, Tistou les pouces verts (1957) à la veine du roman mythologique: Alexandre le Grand (1958), Les Mémoires de Zeus (1963-67), tout réussit à Maurice Druon, qui obtient le prix Pierre de Monaco "pour l'ensemble de son œuvre" dès 1966 et entre en décembre de la même année à l'Académie française à 48 ans.
Le benjamin de la vénérable institution y remplace, au 30e fauteuil, l'écrivain Georges Duhamel. C'est à un autre Duhamel, Jacques, qu'il succède bientôt au ministère des affaires culturelles dans le second cabinet Messmer (1973-1974). Gaulliste historique et champion de l'ordre, Druon va mettre la même combativité à menacer les directeurs de théâtre jugés subversifs (" Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir") qu'à enrayer la tentation de certains académiciens à ouvrir le dictionnaire des "immortels" à la modernité.
Cette ligne conservatrice, hautaine et implacable provoque une vive polémique avec les milieux culturels, choqués par la rupture manifeste avec la voie d'ouverture prônée par Jacques Duhamel. Ils organisent le 13 mai 1973 une procession funèbre en mémoire de feu la liberté d'expression. Sans surprise, Druon n'est pas reconduit, sitôt l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, dans le gouvernement que dirige Jacques Chirac. Mais il ne déserte pas le champ politique et se fait élire député (RPR) de Paris en mars 1978.
C'est toutefois du côté de la Coupole qu'il va désormais s'investir prioritairement, prônant l'accueil des écritures francophones, tout en pourfendant les projets de réforme de l'orthographe comme les néologismes en vogue.
Elu secrétaire perpétuel de l'Académie le 7 novembre 1985, en remplacement de Jean Mistler, démissionnaire, il usera de toute son influence pour freiner la moindre évolution de l'institution. Il est d'abord un adversaire farouche de l'entrée des femmes sous la Coupole, mais il ne pourra empêcher l'élection de Marguerite Yourcenar (1903-1987) en 1980. Il saura toutefois se faire une alliée d'Hélène Carrère d'Encausse, hostile à la féminisation du lexique, pour finalement lui abandonner son poste le 7 octobre 1999.
Admis à l'honorariat le 1er janvier 2000, le vieil académicien ne désarme pas cependant. Celui qui choisissait, en 1994, interrogé sur son mot préféré lors de la célébration du tricentenaire du Dictionnaire, le martial "conquérir", s'offre un nouveau baroud en tentant d'interdire la Compagnie à Giscard d'Estaing. Il n'a pas pardonné la trahison envers le général de Gaulle lors du référendum d'avril 1969. Contre ce "Brutus sans grandeur, mais non sans vanité", Maurice Druon mobilise confrères et médias, sans hésiter sur les moyens : "Un ancien ami de Bokassa peut-il succéder à Léopold Sédar Senghor?", ironise-t-il à l'automne 2003.
Il perd aussi cette bataille-là. Il ne s'assagit pas pour autant et tente encore, à l'été 2007, d'obtenir de son "successeur", Christine Albanel, qu'on reconstruise face au Louvre les Tuileries à l'identique, barrant la perspective de l'Etoile. Un rêve réactionnaire dont il n'aura pas vu la réalisation.
Philippe-Jean Catinchi
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23 avril 1918 : Naissance à Paris
1942 : S'engage dans la Résistance
1943 : Paroles (avec Joseph Kessel) du Chant des partisans
1948 : Prix Goncourt pour Les Grandes Familles
1955-1960 : Les Rois maudits
1958 : Alexandre le Grand
1963-1967 : Les Mémoires de Zeus
1966 : Prix Pierre de Monaco "pour l'ensemble de son œuvre"
1966 : Benjamin, à 48 ans, de l'Académie française
1972 (puis 2005): Adaptations pour la télévision des Rois maudits
1973 -1974 : Ministre des affaires culturelles de Georges Pompidou
1985-1999 : Secrétaire perpétuel de l'Académie française
14 avril 2009 : Mort à Paris
Maurice Druon, un seigneur des lettres est mort
Étienne de Montety
15/04/2009 | Mise à jour : 09:26 | Commentaires 102 | Ajouter à ma sélection
Maurice Druon, chez lui en mai 2008. Crédits photo : Le Figaro
L'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie française est décédé à l'âge de 90 ans. Il était l'auteur du «Chant des partisans» et de la série romanesque «Les Rois maudits».
Dans son Journal, le critique Matthieu Galey fait de Maurice Druon le portrait suivant : «Superbe, solaire, heureux et portant beau. À 37 ans, voici un homme qui a su tirer profit de sa timbale Goncourt. Un contrat mirifique lui assure 800 000 francs par mois contre un certain nombre de feuilletons historiques.»
Nous sommes en 1955. Druon est alors le roi de Paris. Il le restera longtemps : écrivain, élu à l'Académie française, homme politique (ministre et député), couvert de décorations, il fut durant un demi-siècle un authentique personnage de la vie publique française.
Élu de Paris, il avait affirmé un jour : «Je possède un tiers de l'Arc de triomphe. Impossible de sortir de l'indivision.» La formule est belle. Parlait-il du XVIIe arrondissement, dont il fut le député (et qui partage l'Étoile avec le VIIIe et le XVIe) ou de lui-même ? Car Maurice Druon était amateur de capes et d'épées, de grande histoire, de personnages picaresques. Volontiers théâtral, portant canne et chapeau, il s'honorait d'une généalogie complexe et prestigieuse, posée sur plusieurs continents. Arrière-petit-neveu du poète Charles Cros, et surtout propre neveu de Joseph Kessel et pour mieux dire son fils spirituel, il avait rejoint à Londres en 1942 le général de Gaulle, un homme à sa mesure dont il fit un jour la description suivante : «Haut, droit, dans son uniforme et les leggings, il m'apparut comme un chevalier du Moyen Âge, majestueux et déterminé .»
Il y avait chez lui du capteur de gloire comme il y a des capteurs solaires. Il était revenu de la Deuxième Guerre mondiale auréolé d'un prestige aux rayons multiples : en 1939, il avait adressé au directeur de France Soir, Pierre Lazareff, un article intitulé «J'ai vingt ans et je pars». Et il tint parole. Quelques mois plus tard, il était sur la Loire aux côtés des cadets de Saumur et chargea l'ennemi avec une authentique bravoure. Replié avec sa troupe du côté de Bordeaux, il campa dans une propriété ; chez Montaigne, assurait-il, dont il put contempler à loisir la fameuse tour, pendant que la République s'écroulait. Il vécut ainsi la débâcle la plus littéraire qui soit.
Druon était ainsi, à la fois dans l'action et dans la représentation. En 1943, se trouvant à Londres avec son oncle prestigieux Jeff Kessel (Druon est le patronyme de son père adoptif), il composa un hymne, le «Chant des partisans», qui devient dans la Résistance un chant de marche, d'espoir et de bravade. «Ami, entends-tu». Une Marseillaise FFL. Ce refrain, composé par Anne Marly, mit le feu aux maquis, galvanisa les énergies : br />
À partir de 1944, on retrouva Druon en Alsace et en Allemagne comme correspondant de guerre. Il écrivit La Dernière Brigade, inspiré par son expérience d'officier de cavalerie.
Le triomphe des «Rois maudits»
En 1948, son roman Les Grandes Familles fut couronné par le prix Goncourt. Maurice Druon devint alors une figure de premier plan de la scène intellectuelle et publique française, qu'il ne quittera jamais plus. Son atelier littéraire, dirigé par Edmonde Charles-Roux et qui utilisait le talent de fines plumes, telles celles de Matthieu Galey ou Pierre de Lacretelle, faisait peut-être sourire les bas-bleus mais rencontra un succès jamais vu depuis Alexandre Dumas. Les Rois maudits fit un triomphe et la fortune de leur auteur. Druon fut plébiscité par des millions de lecteurs. Écoutons une nouvelle fois Galey, aux premières loges pour observer le phénomène : «Entre un appel de son éditeur anglais, les confidences interminables d'une comtesse italienne - une emmerderesse me chuchote-t-il en couvrant l'appareil de sa main gauche -, les questions d'un journaliste de la radio et le rituel coup de fil chez Del Duca pour savoir où en sont les ventes aujourd'hui, J'ai vite compris que sa vie était un enfer, qu'il n'avait jamais une minute à lui, qu'il faudrait trois secrétaires au lieu de deux.»
Son œuvre est abondante, diverse. On y trouve du roman, du théâtre (il fut représenté au Français), de l'essai politique, de la biographie (Alexandre le Grand), des Mémoires. Et même du conte pour enfants : Tistou les pouces verts. Il était disert, brillant, inattendu. Galey raconte qu'il tenait à ce qu'un des épisodes des Rois maudits se passât à Avignon l'été 1327 pour la seule raison que c'est l'année où Laure a rencontré Pétrarque. Pareil détail signe un auteur.
Le mot qui résume Maurice Druon, par quelque sens qu'on le prenne, c'est l'engagement : engagement militaire quand le sort du pays le requérait, engagement politique, au service de ses idées. Cela passa, puisque tel était son tempérament, par de jolies passes d'armes, par voie de presse le plus souvent. Nommé par Pierre Messmer ministre des Affaires culturelles en 1973, il se singularisa par de courageuses prises de position contre les abus du monde culturel. Une de ses déclarations est restée célèbre : «Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir. » Il devint la bête noire de toute une profession (on ne parlait pas encore à l'époque d'intermittents du spectacle). Les conformistes l'exécraient. Il n'en avait cure, jouant volontiers les provocateurs mais s'élevant également avec vigueur contre la féminisation abusive des titres, et plus largement contre l'appauvrissement de la langue française. Il prit mille fois part au débat public, et souvent de façon tonitruante, d'une voix de bronze, au risque de se laisser enfermer dans la caricature.
«Le Malraux de Pompidou»
Ses combats et l'âme qui les menait valaient mieux que cela. Paul Morand note dans son journal : «À l'Académie, Druon, mon voisin, et moi batifolions sur les verbes “délasser” et “délacer” ; aujourd'hui, il se réveille ministre de la Culture. C'est le Malraux de Pompidou.» On ne saurait mieux décrire la formidable énergie qui animait le personnage.
Le Figaro lui ouvrit souvent ses portes pour y accueillir ses chroniques sur le bon français, quelque tribune pour fustiger l'usage approximatif de la langue par un ministre, quelque opinion sur les sondages ou la réforme des institutions. On lui prête un mot malheureux à l'annonce de la candidature de Marguerite Yourcenar à l'Académie française en 1980, qui annonçait l'ouverture de l'institution aux femmes : «D'ici peu vous aurez quarante bonnes femmes qui tricoteront pendant les séances du dictionnaire.» Il affectionnait volontiers le rôle de gardien du Temple, que ce soit celui du gaullisme, de la France ou de l'Académie.
Ses dernières charges firent quelque bruit. Toujours l'Académie : en 2003, par une vigoureuse tribune dans Le Figaro Littéraire, il s'éleva contre l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, vidant ainsi une querelle vieille de trente ans, lorsque VGE obtint le soutien de Jacques Chirac, affaiblissant ainsi le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Plus tard, Druon s'en prit encore à François Bayrou, s'attirant de la part de ce dernier une magnifique réplique, cinglante et enlevée, l'un et l'autre prouvant que la polémique permet souvent de donner le meilleur de soi-même. Il n'y a pas de grands hommes, il n'y a que de grandes querelles, n'est-ce pas ?
Maurice Druon avait été élu en 1966 à l'Académie française au fauteuil de Georges Duhamel. Il servit cette institution, dont il fut, durant plus de dix ans, le secrétaire perpétuel. Sa carrière exceptionnelle dissimulait une blessure, et sous l'abondance de titres et de reconnaissances qui définit sa vie, on trouvait le désir ardent de recouvrir la dépouille tragique de son père Lazare Kessel (tragiquement disparu à sa naissance) d'un linceul d'honneurs et de respectabilité.
Il paraît qu’il faut parler de Maurice Druon
15 avril 2009 - par Pierre Assouline
Oui, il faut absolument en parler si l’on croit les commentaires de plusieurs intervenautes sur ce blog, et la plupart de nos confrères des grandes gazettes. L’immortel vient de mourir à 90 ans à l’issue d’une vie bien remplie. Mais encore ? Un résistant de la première heure, sans aucun doute, courageux et intrépide, mais on en connaît d’autres et qui ne l’ont jamais ramenée. Celui qui fut longtemps l’invité permanent à la cour du roi du Maroc n’aimait rien tant que les honneurs et les décorations.
Oublions le ministre des Affaires culturelles, qui a notamment marqué son maroquin par une formule demeurée fameuse : «Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir.” Ne détestant ni le panache, ni la polémique, ni la provocation, cet homme d’engagements aimait s’exprimer par des formules, énoncées le plus souvent avec une solennité et une pompe destinées à faire oublier à quel point elles étaient creuses le plus souvent. Avec cela réactionnaire, conservateur, passéiste comme on n’ose même plus l’être à droite. Quoi d’autre ? Le personnage. Personnellement, il m’insupportait par son incarnation caricaturale de Sacha Guitry (voix de bronze, pose permanente, canne et chapeau ostentatoires) lequel était déjà sa propre caricature. A ceci près que Guitry avait vraiment de l’esprit et une oeuvre, une vraie. Celle de Druon ?
Ses admirateurs la ramènent toujours au Chant des partisans, alors que l’hymne national de la Résistance doit autant à Anna Marly qui en avait composé la musique qu’à son oncle Joseph Kessel qui en avait écrit les paroles avec lui ; un chant très russe d’inspiration, comme l’étaient Anna et Joseph. Quand ce n’est Le Chant des partisans, c’est Les Grandes familles (Goncourt cuvée 1948), qui doit d’avoir survécu dans quelques mémoires grâce à l’interprétation magistrale qu’en fit Jean Gabin à l’écran, et surtout Les Rois maudits. Or on sait bien ce que cette saga, qui fit les beaux soirs de l’ORTF, doit à la négritude. Celle-ci est évoquée désormais sous la jolie métaphore d’”atelier littéraire”, dont un article informé du Figaro nous rappelle qu’il était composé notamment d’Edmonde Charles-Roux, Mathieu Galey et Pierre de Lacretelle, auxquels il faut ajouter Gilbert Sigaux et José-André Lacour.
Quoi d’autre ? Il aimait les femmes qui le lui rendaient bien, il montait à cheval en avant, calme et droit jusque dans ses derniers temps et croyait volontiers ceux qui voyaient en lui un seigneur. Fallait-il vraiment rendre hommage à cet écrivain ? A la réflexion, non.
15 avril 2009 Publié Actualité | Lien permanent | Alerter
Maurice Druon est mort (2)
mercredi, avril 15, 2009
Je regretterai qu'il n'ait pas pu publier le quatre tomes programmés de ces mémoires car le premier était bien plaisant.
Je pense également à deux de ses citations :
«Il y a en France deux partis de gauche, dont un se nomme la droite.»
Cela correspond exactement à mon analyse de la politique en France et les agissements du gouvernement Sarkozy en confirment chaque jour la pertinence.
«François Bayrou : personnage secondaire et qui le restera.»
Cette définition lui avait valu une réplique cinglante de l'offensé. Je n'aime pas Bayrou, mais il faut bien reconnaître qu'il est le dernier polticien à écrire français correctement et avec style. Une polémique Druon-Bayrou, ça a plus de gueule qu'une polémique Royal-Sarkozy.
La réponse de Bayrou était plus dans l'air du temps, plus charmeuse, voire plus démagogue, mais je pense que c'était Druon qui avait raison.
Enfin, sa lutte contre la féminisation inappropriée de la langue française, bien que d'arrière-garde pour les avant-gardes, était de pur bon sens.
Ceux qui disent la ministre ou, encore plus horrible, la maire (de Lille), montrent trois choses :
> un goût d'égout, car existe-t-il plus disgracieux que «la maire» ?
> une ignorance crasse de la langue française. «Le ministre» n'indique pas plus le sexe du titulaire que «la sentinelle» n'indique les tendances homosexuelles des militaires en guérite.
> un sexisme réel bien qu'inconscient. Insister pour dire «la ministre» suppose que le sexe du ministre a une importance (1).
Cependant, ces calembredaines de féminisation des noms de fonction ont une grande utilité : c'est un filtre à cons rapide, efficace et peu couteux.
Tout journal écrivant «la ministre» se retrouve immédiatement au panier (cas de plus en plus fréquent du journal Le Monde), tout bonimenteur radiophonique souffrant de cette tare a la chique coupée illico presto.
De plus, il me plaît qu'après la charge des cadets de Saumur, à laquelle il participa avec Michel Debré, il se soit réfugié à Montaigne, dans la propriété de Michel (2).
Enfin, certains auteurs de merde commencent déjà à cracher sur sa tombe (3), ce qui prouve qu'il dérange encore.
(1) : quand le ministre est DSK, son sexe a une importance : il le met n'importe où et ça fait des histoires. Mais c'est un autre problème.
(2) : si vous ne le savez pas encore, apprenez que les amateurs de Montaigne forment une étrange confrérie, des fils invisibles les lient à travers l'espace et le temps, des goûts communs.
(3) : Pierre Assouline est le parfait petit scribouillard degôche, petit soldat de la bien-pensance.
Publié par fboizard à l'adresse mercredi, avril 15, 2009
Libellés : actualité, littérature
feu monsieur Sébile
Maurice Druon vient de remettre son âme à Dieu. Il aura beaucoup rendu service à la langue française, notamment en contribuant à redonner vie à un mot bien oublié, sébile (illustration ci-contre), qu’il avait employé dans des circonstances controversées. Au mitan des seventies, alors qu’il était ministre de la culture de Pompidou, il avait vilipendé les “intellectuels de gauche”, accusés par lui d’avancer portant d’une main la sébile (pour les subventions) et, de l’autre, le cocktail Molotov (pour la subversion), ce qui avait beaucoup plu à l’électorat conservateur.
La sébile est une petite coupe destinée à recevoir des piécettes.
M. Druon, qui était sans doute féru d’Antiquité classique, n’aura pas manqué de se munir d’une obole pour payer son passage à Charon.
avril 2009 Publié La langue korrecte | Lien permanent | Alerter
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