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15 novembre 2018 4 15 /11 /novembre /2018 03:55

« Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. (…) Et ça, ça me touche profondément ! » (Emmanuel Macron, le 14 novembre 2018, sur TF1 à Toulon).


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Comme de nombreux Français prêts à manifester, voire à bloquer les routes le 17 novembre prochain, le Président de la République Emmanuel Macron s’est déclaré à la fois "impatient" et "en colère". Mais pas pour les mêmes raisons que les "gilets jaunes".

Après avoir dit au conseil des ministres qu’il fallait respecter et écouter les futurs protestataires du 17-novembre, Emmanuel Macron a accordé une interview d’une trentaine de minutes au journaliste Gilles Bouleau sur TF1 à 20 heures ce mercredi 14 novembre 2018, dans un cadre très régalien puisque les deux hommes étaient à bord du porte-avions De Gaulle à Toulon.

Au cours de cet entretien très attendu à cause du "vent de révolte" qui se prépare trois jours plus tard, Emmanuel Macron n’a pas beaucoup parlé de la taxation des carburants si ce n’est pour placer devant leurs contradictions ceux qui faisaient partie des anciennes majorités, que ce fussent LR ou PS, et qui avaient décidé les mêmes hausses des taxes sur les carburants. L’actuelle majorité n’a fait que poursuivre cet "élan" sans pour autant dire qu’en 2022, le supplément de taxes serait d’environ 15 milliards d’euros pour les caisses de l’État, soit à peu près l’équivalent de la taxe d’habitation amenée à être totalement supprimée la même année…

La colère, Emmanuel Macron l’a ressentie contre lui-même (j’interprète le "contre lui-même" mais à qui d’autre pourrait-il s’en prendre ?) sur un point essentiel qui faisait son "nouveau monde", qui faisait le cœur de sa campagne présidentielle : « Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. ». C’est un constat amer et très lucide, et cela ne manque pas de panache. Ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n’auraient avoué un tel diagnostic.

_yartiMacron2018111403

Pour autant, il n’entend pas modifier sa ligne politique. Sa cohérence est là, et s’il admet préférer avoir de bons sondages, il refuse de gouverner en fonction de ces sondages. Un discours souvent entendu. De mauvais sondages, c’est prévisible depuis trente ans lorsqu’on est au pouvoir, il n’y a là aucune surprise.

Mais « ce divorce m’inquiète », divorce entre dirigeants et peuples, car il n’a pas lieu seulement en France mais aussi en Europe voire ailleurs. Pour Emmanuel Macron, ce sera son travail d’Hercule numéro un, retrouver la confiance du peuple. Pour lui, l’essentiel est formé de trois points. Il faut que les Français sentent : « qu’on les considère, qu’on les protège, qu’on leur apporte des solutions ».

Cette déclinaison en trois temps (écoute et respect, protection et sécurité, solutions) devrait se faire, selon lui, en se confrontant en permanence au terrain. En envoyant les directeurs d’administration centrale sur le terrain avant de pondre un décret ou un arrêté.

Cette franchise a un but, montrer que le Président de la République n’est pas si déconnecté que l’on croit des Français. C’était aussi le but de son "itinérance mémorielle" où il a pu rencontrer les Français, visiter les entreprises, connaître les initiatives pour redynamiser le tissu industriel national.

C’était le volet "colère", exprimé en seconde partie. Sur le volet "impatience", qu’il a développé dans la première partie de son intervention, il est possible qu’il ne soit pas à la même longueur d’ondes que ses concitoyens. Que signifie "impatience" ? Impatience parce que les réformes tardent à être concrétisées ? Ou impatience parce que ces réformes tardent à porter ses fruits, ou du moins, les fruits attendus ?

Toujours est-il que la vision de la France et des réformes reste claire dans sa tête si ce n’est dans la tête de ses compatriotes. La transformation en profondeur de la France restera progressive et lente, et l’on ne pourra pas la juger avant la fin de son mandat, selon lui (refusant de donner, comme son imprudent prédécesseur, une date pour l’éventualité de l’inflexion de la courbe du chômage).

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Cinq grands chantiers ont été cités par Emmanuel Macron dans son agenda. Ce sera ses points de repère et je me réjouis qu’il n’ait pas cité la réforme des institutions à laquelle il ne semble même plus croire lui-même.

Le premier chantier est la réforme de l’État : le rendre plus efficace, plus simple, plus rapide. C’est sans doute la plus ambitieuse des réformes car elle nécessite beaucoup d’imagination et d’innovation. Et elle est très anxiogène pour les fonctionnaires. La réforme de la SNCF a donné un aperçu social.

Le deuxième chantier est connu, c’est la réforme des retraites. Elle est politiquement casse-cou, mais elle est assez claire dans les esprits. Il n’y a pas besoin d’imagination, plutôt de persuasion sur l’intérêt et l’utilité d’une telle réforme.

Le troisième chantier est à mon avis socialement et historiquement le plus important et s’il arrive à l’achever, ce sera certainement la réalisation la plus grande de son quinquennat : prendre en compte la dépendance, c’est-à-dire, en faire un nouveau pilier de la protection des Français. Nicolas Sarkozy avait souhaité déjà la faire en 2010 mais n’en a pas eu l’occasion financière avec la grave crise de l’euro. François Hollande a refusé de la prendre en compte car elle nécessitait de trouver de nouvelles sources de financement.

Le quatrième chantier est également casse-cou pour le Président de la République, c’est celui de permettre à l’islam d’être une religion compatible avec la République française. Faut-il modifier la loi de 1905 ? En proposer une autre spécifiquement pour les musulmans ? Le sujet est ultra-sensible et s’il n’est pas présenté correctement le ou les buts à atteindre, autrement que le vague "vivre ensemble", il y a des risques d’une incompréhension de tous les bords.

Enfin, le cinquième chantier est la souveraineté de la France et de l’Europe. Les tweets ironiques de Donald Trump quelques heures plus tôt (qui se moquent des sondages bas et des 10% de demandeurs d’emploi) ont permis de montrer le grand calme "olympien" du locataire de l’Élysée : comme la France et les États-Unis ont toujours été des amis et des alliés qui se respectent mutuellement, et ont travaillé dans les situations parfois les plus difficiles, il n’est pas question pour Emmanuel Macron de prendre en considération ces tweets et donc, de les commenter. C’est tout à son honneur mais aussi à celui de la France que de ne pas alimenter une polémique qui ne serait qu’une dispute de cour de récréation ("don’t feed the troll", dit-on).

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La souveraineté européenne passe forcément par une armée européenne et Emmanuel Macron est heureux de pouvoir dire qu’il n’est plus le seul, en Europe, à la proposer : sans beaucoup de bruit médiatique en France, la Chancelière allemande Angela Merkel a également soutenu cette idée très ambitieuse lors de sa venue à Strasbourg, devant les députés européens, le 13 novembre 2018. Un moyen de montrer que le couple franco-allemand n’est pas qu’une vitrine à visée de politique intérieure.

"Gilet jaune", il ne l’est probablement pas malgré sa colère et son impatience. Emmanuel Macron cherche avant tout à ne pas être à la tête d’un pays complètement bloqué. Un blocage le samedi sera économiquement moins paralysant qu’un jour de la semaine. Il reste qu’il ne faut pas que le blocage perdure. Pas sûr qu’il ait convaincu les 17-novembards


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron, futur "gilet jaune" ?
Le Mouvement du 17-novembre.
Discours du Président Emmanuel Macron le 11 novembre 2018 à Paris.
10 et 11 novembre 2018 : la paix, cent ans plus tard.
Emmanuel Macron et le Vel’ d’Hiv’.
Dossiers de presse à télécharger sur les célébrations de 1918.
La Grande Guerre, cent ans plus tard.
Maréchal, vous revoilà !
Texte intégral de l’allocution du Président Emmanuel Macron le 16 octobre 2018.
Emmanuel Macron : la boussole après les horloges.
Les nouveaux ministres dans le détail (16 octobre 2018).
Les étagères de l’Élysée.
La Cinquième République.
La réforme des institutions.
L’affaire Benalla.
La démission de Gérard Collomb.
La démission de Nicolas Hulot.
La démission de François Bayrou.
Emmanuel Macron et l’État-providence.
Emmanuel Macron assume.
Édouard Philippe, invité de "L’émission politique" sur France 2 le 27 septembre 2018.
La France conquérante d’Édouard Philippe.
Le second gouvernement d’Édouard Philippe du 21 juin 2017.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe du 17 mai 2017.
La relance de l’Europe à la Sorbonne.
Discours d’Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017.
Programme 2017 d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
Audit de la Cour des Comptes du quinquennat Hollande (29 juin 2017).
Pourquoi voter Bayrou ?
Les élections sénatoriales de 2017.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.

_yartiMacron2018111405




http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181114-macron.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/emmanuel-macron-futur-gilet-jaune-209586

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/11/14/36868015.html


 

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16 octobre 2018 2 16 /10 /octobre /2018 21:11

« Je crois à ce projet que j’irai porter auprès de vous, j’ai confiance en vous, en nous, en notre patrie. » (Emmanuel Macron, le 16 octobre 2018).


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Après avoir rendu public le remaniement du second gouvernement d’Édouard Philippe le matin, le Président Emmanuel Macron a prononcé une allocution télévisée de douze minutes ce mardi 16 octobre 2018 à 20 heures (texte intégral bientôt ici). Il avait le don d’ubiquité puisqu’au même moment, il prononçait un discours à l’Institut du Monde Arabe aux côtés de son président, Jack Lang, ancien Ministre de la Culture, et du nouveau titulaire du poste, Franck Riester. C’était donc un enregistrement.

C’est clair que la journée a été consacrée à un nouveau départ de la communication présidentielle après trois mois de trou d’air, depuis, en fait, le début de l’affaire Benalla (juste après la victoire au football de l’équipe de France).

Et là, sur la forme, grand étonnement : je m’aperçois que le budget de l’Élysée a été réduit de manière drastique au point de ne pas pouvoir remplacer une ampoule pour éclairer le Président de la République. Plus sérieusement, laisser une fenêtre avec des carreaux derrière la tête du Président n’est pas très conseillé (les bons photographes savent qu’il faut éviter des verticales et des horizontales pour réussir un portrait). Même la table, immense, réfléchissante, pouvait laisser croire à une distance avec les Français. Mais c’était peut-être justement voulu.

L’autre source d’étonnement, toujours sur la forme, c’est l’absence de prompteur. C’est probablement plus authentique mais peut-être moins professionnel : lire souvent ses papiers, du reste avec une écriture manuscrite et souvent raturée, pourrait faire croire à un manque de moyens : la dernière "secrétaire" de l’Élysée a-t-elle été licenciée ? ou est-elle partie à la retraite ? Bref, cela fait un peu bricoleur, artisan, et difficilement compatible avec la communication du chef d’État de la septième puissance du monde. C’est peut-être toujours voulu, pour mettre sur la forme le fond du message qui se voudrait un message d’humilité et de proximité.

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Allocution présidentielle digne de "l’ancien monde", assurément (communication verticale), mais allocution nécessaire. Cette forme de communication est très rare avec Emmanuel Macron, utilisée principalement pour les vœux présidentiels. Et c’étaient peut-être des vœux un peu en avance, le souhait de gagner la bataille de l’Europe qui fera rage le 26 mai 2019.

L’allocution était nécessaire et c’était ce que son prédécesseur François Hollande n’a jamais fait, s’adresser directement aux Français, hors des journalistes, pour donner du sens à l’action, surtout lorsque les Français n’y comprennent plus rien. Il avait donné du sens lors de son grand discours au Congrès à Versailles le 9 juillet 2018, sur un nouvel État-providence. Et puis, l’affaire Benalla est arrivée. Il fallait donc revenir au-devant des Français. Il aurait dû le faire beaucoup plus tôt.

L’humilité, c’est l’un des messages de la soirée, mais pas le principal. Il a reconnu qu’il avait eu des paroles parfois déplacées : « Par ma détermination et mon parler vrai, j’ai pu déranger ou choquer certains ; j’entends les critiques. ». Il n’a pas présenté des excuses à ceux qui auraient pu être choqués, mais en disant cela, il a compris qu’il fallait qu’il respectât un peu mieux les Français quand il leur parlait. Ces erreurs de communication présidentielle (les petites phrases pi des selfies incontrôlés qui anéantissent en une minute des semaines de préparation d’un déplacement ou d’un plan pour l’avenir) sont d’autant plus stupides que sur le fond des réformes, Emmanuel Macron peut se vanter d’avoir une petite majorité des Français d’accord avec sa politique. Autre mea culpa : « Je sais qu’il y a de l’impatience et je la partage, mais le temps que nous prenons est celui de nos institutions. ». Et aussi : « Je sais toutes les blessures de notre vieux pays, ses doutes, ses peurs et ses colères aussi. ».

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Autre message, celui d’une situation grave, dramatique. Emmanuel Macron a dramatisé la situation internationale. En Europe. Il a dramatisé l’essor et surtout, l’organisation d’un nationalisme …européen. Pas un "nationalisme européen", mais un "nationalisme national" à l’échelon européen, ce qui fait un peu oxymore (et prouve la vacuité du concept d’ailleurs, si ce n’est racoler des électeurs par un populisme) : la Hongrie, l’Italie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, l’Autriche, la Suède, l’Allemagne… Il n’a pas cité ces pays, dont les situations politiques intérieures sont très différentes, mais il les a fortement pensés.

Ce message est clair : il veut lutter contre le nationalisme par un autre mot en –isme : par le progressisme. C’est, finalement, le mot qu’il revendique le plus facilement. Les progressistes contre les nationalistes. Mais ce clivage risque d’être un tantinet trop simpliste voire dangereux pour la démocratie elle-même. C’est le clivage LREM vs RN. Pourtant, il existe d’autres forces politiques. En cherchant à continuer le duel présidentiel de 2017, il y a risque d’aider les nationalismes à gagner.

D’ailleurs, les propos à ce sujet ont été pessimistes : « L’Europe bascule presque partout vers les extrêmes (…). Je ne m’y résous pas. ». Si la France ne reste pas une puissance mondiale, il y a risque de devenir « des somnambules du monde qui va ». Mais il croit à un renouveau : « Je sais que l’esprit profond du peuple français a toujours été de ne pas se soumettre. ». Et se veut le leader, en Europe, de l’idée de progrès : « Je crois dans notre capacité à porter cette voix française qui est tant attendue en Europe et dans le monde. ».

Pourtant, il a cherché à être optimiste sur la situation intérieure, en faisant une sorte d’incantation qui, à mon avis, sera peu convaincante pour les Français : « Progressivement, votre quotidien va s’améliorer car votre gouvernement est sur la bonne voie. ». Toutefois, en ajoutant : « Aucune amélioration individuelle n’est possible ni durable si notre nation n’est pas plus forte. ».

Pas d’inflexion dans le choix des réformes : « Il n’y a aujourd’hui ni tournant, ni changement de cap ou de politique. ». Et Emmanuel Macron s’est lui-même trompé en parlant d’un "nouveau gouvernement" puisque ce n’est qu’un remaniement et pas un changement de gouvernement : « Ce que je demande à ce nouveau gouvernement, c’est de poursuivre les transformations dont notre pays a besoin. ». Pas changement parce que l’objectif est ceci : « Je n’ai pour ma part qu’une boussole, c’est la confiance que vous m’avez donnée en mai 2017. ». La boussole après les horloges.

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Le message principal de cette intervention est pourtant ailleurs. Il est dans un changement de méthode. Il a dit sa foi aux corps intermédiaires, aux "forces vives" de la nation, citant les associations, mais surtout les élus locaux, et plus précisément les maires. Cette volonté de mieux écouter les élus locaux est un véritable correctif par rapport à ses dix-sept premiers mois de mandat. Et un challenge personnel.

Beaucoup de responsables de l’opposition ont, ces derniers mois, martelé sur le thème du fossé entre les élus locaux, les (fameux) "territoires", et l’Élysée (au point de tout mélanger et de politiser la sécurité routière à propos des 80 kilomètres par heure). C’est sans doute aussi la justification de la nomination de Jacqueline Gourault à ce ministère essentiel pour regagner la confiance du "terrain". Faire confiance au dialogue avec les élus.

Comme un salarié dans une entreprise, le Président de la République a passé son entretien d’évaluation. Comme son patron, ce sont ses électeurs, il s’est autoévalué. Parmi les "points forts", il y a sa capacité à réformer. Il y a aussi son volontarisme qui change des velléités de son prédécesseur. Et parmi ses "besoins de développement", deux points essentiels qu’il a évoqués au cours de cette allocution : les petites phrases inutilement choquantes qu’il ne devrait plus dire, et ses rapports avec les élus locaux. Manifestement, les signaux d’alerte ont été entendus, et le voici à corriger le tir. C’est certainement la grande force d’Emmanuel Macron, celle d’apprendre toujours (et il a encore beaucoup à apprendre de la vie politique) et donc, de se corriger le cas échéant. Personne, avant lui, ne l’avait fait à l’Élysée. Face à l’image d’arrogance qu’il a lui-même développée involontairement, voilà une preuve de véritable humilité…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 octobre 2018)
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Pour aller plus loin :
Texte intégral de l’allocution du Président Emmanuel Macron le 16 octobre 2018.
Emmanuel Macron : la boussole après les horloges.
Les nouveaux ministres dans le détail (16 octobre 2018).
Les étagères de l’Élysée.
La Cinquième République.
La réforme des institutions.
L’affaire Benalla.
La démission de Gérard Collomb.
La démission de Nicolas Hulot.
La démission de François Bayrou.
Emmanuel Macron et l’État-providence.
Emmanuel Macron assume.
Édouard Philippe, invité de "L’émission politique" sur France 2 le 27 septembre 2018.
La France conquérante d’Édouard Philippe.
Le second gouvernement d’Édouard Philippe du 21 juin 2017.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe du 17 mai 2017.
La relance de l’Europe à la Sorbonne.
Discours d’Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017.
Programme 2017 d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
Audit de la Cour des Comptes du quinquennat Hollande (29 juin 2017).
Pourquoi voter Bayrou ?
Les élections sénatoriales de 2017.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.

_yartiMacron2018101605


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8 octobre 2018 1 08 /10 /octobre /2018 04:24

« Vous avez demandé quel était le sens de l’action qui serait poursuivie en matière de sécurité : ce sera le même que depuis seize mois. Le Président de la République a fixé un cap. Ce cap est tenu et le sera fermement. » (Édouard Philippe, le 3 octobre 2018 au Palais-Bourbon).



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Cela ressemble à un rendez-vous annuel. Le Premier Ministre Édouard Philippe a été l’invité de l’émission politique "L’émission politique" (bonjour la créativité !) présentée par Léa Salamé sur France 2 le jeudi 27 septembre 2018. La précédente invitation avait eu lieu l’année dernière, le 28 septembre 2017.

Le chef du gouvernement n’a pas été très gentil avec les journalistes de l’émission car lorsqu’on lui a demandé s’il se rappelait le taux de "convaincus" à la fin de l’émission, non seulement il a dit ne pas s’en souvenir mais la réponse laissait nettement entendre qu’il s’en moquait un peu, de ces enquêtes d’opinion après émission. Et il n’a pas vraiment tort. À quoi sert cette "séquence" d’un quart d’heure sur un pseudo-sondage à la fin d’une émission déjà interminable si ce n’est pour donner du travail aux journalistes et sondeurs ? Car les sondés ont déjà dû regarder l’émission politique, donc, déjà, sont peu représentatifs de l’électorat qui n’est pas prêt, majoritairement, à regarder toutes les émissions politiques (souvent inutiles pour se faire une idée).

Donnons cependant les résultats : le 28 septembre 2017, à la fin de l’émission, Édouard Philippe aurait convaincu 52% des sondés qui regardaient l’émission. Un an plus tard, et la popularité en berne, il aurait convaincu… 47% des sondés. Léa Salamé voyait un fléchissement de sa capacité à convaincre. Édouard Philippe était beaucoup plus positif et pertinent : 52% ? 47% ? L’essentiel, selon lui, c’est qu’il avait réussi à convaincre une moitié des téléspectateurs, ce qui lui paraissait déjà pas mal. Et il a raison. Dans ce genre de sondage, 47% et 52%, c’est le même ordre de grandeur. À la télévision, ils se gardent bien d’indiquer l’intervalle d’incertitude qui, proche de 50%, doit être assez large (Rappelons, même si cela n’a rien à voir, que l’intervalle d’incertitude des radars pour mesurer la vitesse est de 5%, ce qui est une belle prouesse technique).

C’est donc avec ce sentiment partagé mais plutôt positif qu’il faut comprendre Édouard Philippe. Inconnu de la plupart des Français (mais très connu déjà du milieu politique), Édouard Philippe avait été nommé à Matignon un peu à la surprise générale. Il faut dire que même le nouveau Président de la République Emmanuel Macron n’avait pas trop l’idée de l’identité de son futur Premier Ministre lors de la campagne présidentielle. D’abord gagner, on verra ensuite. Édouard Philippe répondait à tous les critères : il devait provenir de LR, d’abord, puisque le PS était déjà écrasé, il fallait écraser l’autre parti gouvernemental, et quoi de plus facile que le diviser en mettant un des siens à la tête du gouvernement, donc, à la tête de la majorité (et pas de l’opposition). L’opération a plutôt mal fonctionné, puisque la grande majorité des députés LR sont restés dans l’opposition.

Édouard Philippe, proche du candidat Alain Juppé, n’aurait jamais espéré être le Premier Ministre de ce dernier. Probablement un ministre important mais pas Premier Ministre. L’offre d’Emmanuel Macron était donc inespérée pour une existence politique. Et puis, raisonnablement, qui pourrait refuser Matignon ? (François Bayrou peut-être ?). La compétence technique d'Édouard Philippe est incontestable. Ce serait même un petit handicap pour s'exprimer clairement aux Français, comme on a pu l'entendre à la matinale de France Inter le 20 septembre 2018, au cours de laquelle le Premier Ministre a été incompréhensible, dans son langage technocratique, pour expliquer pourquoi 300 000 retraités annoncés ne verraient finalement pas l'augmentation de la CSG en 2019.

L’autre caractéristique du Premier Ministre idéal d’Emmanuel Macron, c’était qu’il le fallait certes compétent, prêt à gouverner efficacement, mais aussi sans ambition présidentielle. C’est-à-dire, ne faisant aucune ombre au Président. Donc, pas Bruno Le Maire qui, à l’Économie, fait un peu comme Vincent Peillon à l’Éducation nationale sous François Hollande, c’est-à-dire est dans une sorte d’autonomie ministérielle sans trop s’occuper des autres affaires du pays. Pas Manuel Valls, non plus. Plutôt comme Jean-Pierre Raffarin, à savoir, peu connu avant d’être Premier Ministre et avec un lien d’allégeance très fort envers le Président de la République. Surtout quand l’objectif rêvé n’est pas l’Élysée (la Présidence du Sénat pour Jean-Pierre Raffarin, par exemple, sans succès d’ailleurs).

D’autres Premiers Ministres avaient leur existence politique propre avant d’être nommés Premiers Ministres : Manuel Valls, certes, mais aussi Dominique de Villepin, Jean-Marc Ayrault, Alain Juppé, François Fillon, etc. Cependant, l’expérience d’Édouard Balladur et de Raymond Barre, entre autres, a montré que lorsqu’on mettait les pieds à Matignon, irrésistiblement, l’envie de l’Élysée se faisait sentir.

Revenons à Édouard Philippe et saluons un résultat du sondage de fin d’émission qui pourrait être étonnant. Des sondés ayant regardé l’émission du 27 septembre 2018, 60% considéreraient qu’Édouard Philippe a l’étoffe d’un homme d’État. Cela pourrait paraître énorme, surtout avec l’impopularité qui a atteint le pouvoir exécutif depuis le début de l’été, mais c’est très intéressant et significatif. L’impopularité tombe sur les personnalités et pas sur leur politique. Une majorité des sondés semblent toujours favorables aux réformes économiques et sociales mises en place depuis un an et demi. En revanche, les gens semblent moins tolérer les écarts de langage du Président de la République.

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Dans l’émission, lors d’une "séquence intimité" (reportage dans son bureau à Matignon), Édouard Philippe avouait qu’il n’avait (encore) aucune ambition présidentielle : déjà qu’il devait diriger le gouvernement, ce n’est pas une mince affaire. Car s’il y a bien une fonction exténuante en France, c’est bien celle de Premier Ministre, le job le plus épuisant du pays. Raymond Barre avait demandé à Valéry Giscard d’Estaing de quitter Matignon en octobre 1979 après avoir été hospitalisé plusieurs jours pour surmenage (après plus de trois ans de pouvoir, et Robert Boulin faisait figure de favori pour le remplacer).

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ferait que la mise en place d’un régime purement présidentiel, sans Premier Ministre (François Hollande a prôné la suppression de la fonction le 28 août 2018, de manière totalement irresponsable, mais heureusement, qui l’écoute encore ?), conduirait à un épouvantable échec institutionnel : les leviers réels et opérationnels du pouvoir sont à Matignon et pas à l’Élysée. L’Élysée impulse et inspire, mais c’est Matignon qui agit et décide. Ancien ministre de Jacques Chirac, Hervé Gaymard a estimé, sur LCP le 6 octobre 2018, que le fait qu’il existe des conseillers communs à l’Élysée et à Matignon était un gage de cohérence et de bonne gouvernance pour éviter les faux pas et les incohérences au sommet du pouvoir.

Édouard Philippe agit, personne ne pourra dire le contraire. C’est en cela que la répartition des responsabilités entre Président de la République et Premier Ministre depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron paraît être exemplaire. Édouard Philippe a une réelle autonomie d’action, évidemment, toujours dans le cadre de la politique proposée par Emmanuel Macron qui, lui, a été élu au suffrage universel direct sur un programme donné. Édouard Philippe a par exemple voulu la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes à deux fois une fois sans séparateur central malgré la forte impopularité et les mécontentements que cela pouvait susciter. Il a voulu l’abandon du projet d’aéroport de Nantes-Notre-Dame-des-Landes malgré sa ratification lors d’un référendum local. Il a voulu le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu malgré les doutes présidentiels publics.

La marge de manœuvre d’Édouard Philippe dans la politique intérieure, et particulièrement dans le champ économique et social, est d’autant plus grande qu’Emmanuel Macron se consacre aux sujets européens et internationaux, dans un monde en pleine effervescence avec des acteurs difficiles à cerner (Theresa May, Matteo Salvini, Viktor Orban, Donald Trump, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Bachar El-Assad, Kim Jong-Un, etc.).

La démission du dernier Ministre d’État "survivant" nommé le 16 mai 2017, le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb (après celles de François Bayrou et de Nicolas Hulot), le 3 octobre 2018, a fragilisé le Président Emmanuel Macron mais, paradoxalement, a semblé fortifier le Premier Ministre Édouard Philippe. D’une part, parce que Gérard Collomb n’avait pas caché publiquement qu’il avait fait partie des "recruteurs" d’Édouard Philippe, ce qui affectait l’autorité même du Premier Ministre sur son Ministre de l’Intérieur. D’autre part, depuis le 18 septembre 2018 et l’annonce de Gérard Collomb sur sa future démission pour cause de municipales à Lyon (pourtant dans encore un an et demi !), la situation gouvernementale n’était plus tenable, sans compter le malaise et l’absence de solidarité de Gérard Collomb dans l’affaire Benalla.

Prenant très froidement et rapidement les pouvoirs Place Beauvau, le 3 octobre 2018, Édouard Philippe est devenu Ministre de l’Intérieur, poste qu’un chef du gouvernement pouvait souvent cumuler avec ses fonctions de Président du Conseil sous la Troisième République (par exemple, Aristide Briand du 24 juillet 1909 au 27 février 1911 et du 21 janvier 1913 au 18 mars 1913). Un moyen de prendre du temps pour trouver le successeur de Gérard Collomb.

Et ses nouvelles fonctions de Ministre de l’Intérieur, Édouard Philippe les a à cœur. Dès la séance de l’après-midi du 3 octobre 2018 de questions au gouvernement, il a rendu hommage aux forces de l’ordre qui ont arrêté Redoine Faïd la nuit précédente : « Une quarantaine de fonctionnaires de police qui, en trois mois, ont fait preuve d’une énergie, d’un professionnalisme et d’une ténacité admirable pour arrêter un évadé redoutablement dangereux en prenant des risques pour leurs personnes et en faisant en sorte que cette opération se déroule de la meilleure des façons. Au-delà de ce succès, ce qui m’a frappé, chez ces femmes et ces hommes que j’ai rencontrés, c’est leur calme. Cet engagement permanent, cette conscience professionnelle, cet amour du service, cette remarquable compétence et ce calme conservé en toutes circonstances nous disent quelque chose et, d’une certaine façon, nous obligent. ».

Le moment le plus important de sa prestation télévisée du 27 septembre 2018 fut son débat avec le président de LR, Laurent Wauquiez. Étrange duel entre deux membres originaires du même parti. Édouard Philippe a montré toujours de la hauteur de vue tandis que l’intervention de Laurent Wauquiez était pitoyable dans son obsession sur l’immigration. Ne réduire toute la politique nationale qu’au seul sujet de l’immigration est une faute énorme de la part d’un homme qui aspire à gouverner.

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Ce que Laurent Wauquiez n’a visiblement pas compris, c’est que copier les idées de l’extrême droit n’a aucune efficacité électoralement. Comme disait Jean-Marie Le Pen, il vaut toujours mieux l’original que la copie. La ligne Buisson a montré d’ailleurs ses limites en 2012 avec l’échec de Nicolas Sarkozy : on ne peut gagner une élection en convainquant l’extrême droite que si l’on ne perd pas ses électeurs centristes. C’est ce qu’avait réussi très habilement Nicolas Sarkozy en 2007 mais pas en 2012. Pendant sa campagne présidentielle, François Fillon avait un discours beaucoup plus habile et cohérent que Laurent Wauquiez, qui n’éloignait pas les électeurs de centre droit tout en restant lepenocompatible sur les affaires régaliennes.

Se revendiquant toujours "de droite", Édouard Philippe pourrait aisément se reconnaître dans une "droite progressiste", en ce sens qu’il s’est montré ouvert sur des sujets sur lesquels il était beaucoup plus réticents auparavant, comme sur la "PMA pour tous" (sujet sur lequel je reviendrai probablement et qui promet de beaux débats dans les mois à venir).

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Ce n’est d’ailleurs pas un mystère : Emmanuel Macron voudrait faire du clivage actuel de la vie politique française une opposition entre les "progressistes" et les "populistes" ou "souverainistes". Un clivage qui ne définit pourtant pas les clivages économiques et sociaux alors que l’emploi reste toujours la priorité numéro un du peuple français (avec raison).

Durant toute cette longue émission du 27 septembre 2018, Édouard Philippe s’est affirmé politiquement. Il a rejeté l’idée qu’il y a un an, c’était plus facile que maintenant. Certes, l’impopularité est arrivée, mais il y a un an, beaucoup de journalistes se demandaient comment le gouvernement allait concilier les contraires (le fameux "en même temps"). Il s’est aussi affirmé vis-à-vis du Président de la République. Sans se dire "collaborateur", il a admis bien sûr que le Président était "le patron", mais a rajouté aussi qu’il n‘était pas son "ami". Et il lui a même balancé une petite menace voilée en disant qu’il aimait beaucoup Le Havre, la ville dont il était le maire du 24 octobre 2010 au 20 mai 2017, se laissant implicitement la possibilité d’y retourner comme Gérard Collomb a voulu retourner à Lyon.

Ce que j’ai apprécié aussi dans cette émission politique, c’est qu’Édouard Philippe n’a pas mentionné la réforme des institutions. Pendant deux heures et demi d’interview, ne pas évoquer ce qui, en vitrine, est encore considéré comme une priorité gouvernementale, me rassure : je pense que l’intérêt de la France est de renoncer à cette réforme visant à faire des élections biaisées avec un mode de scrutin bancal particulièrement dangereux tant pour la représentativité populaire (il ne fera pas mieux représenter les petits partis politiques, au contraire), que pour l’efficacité de la démocratie. Je doute d’ailleurs qu’Édouard Philippe soit un ferme défenseur de cette réforme qui va à l’encontre des principes traditionnels de la Cinquième République, car cette réforme aura pour effet de renforcer le pouvoir des partis et de réduire les pouvoirs du Parlement.

La Ministre de la Justice Nicole Belloubet s’est permis ce calendrier le 3 octobre 2018 devant les députés : « Le gouvernement souhaite que l’examen de cette réforme globale intervienne dans les meilleurs délais, avec le temps et la sérénité nécessaires. L’automne ne le permet pas, en raison de l’examen des textes budgétaires, mais dès cet hiver, nous aurons l’occasion de reprendre ce qui constitue un engagement fort du gouvernement devant les Français. ». En d’autres termes, la discussion a été reportée à janvier 2019. Le mieux est l’abandon pur et simple.

Édouard Philippe a-t-il l’étoffe d’un homme d’État ? Assurément. En seize mois d’exercice du pouvoir, il l’a prouvé. Il est un vrai chef du gouvernement, capable de prendre fermement des décisions (hors de toute pression) et capable aussi de se conformer au schéma traditionnel de la Cinquième République. Son talon d’Achille, c’est le même que celui de Raymond Barre entre 1976 et 1981 : avec ce dernier, Édouard Philippe est le seul Premier Ministre de la Cinquième République à n’avoir pas d’appartenance à un parti politique. Le moment venu, cela pourrait lui être un handicap fatal, celui de ne pas contrôler le parti majoritaire…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 octobre 2018)
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Pour aller plus loin :
La Cinquième République.
La réforme des institutions.
L’affaire Benalla.
La démission de Gérard Collomb.
La démission de Nicolas Hulot.
La démission de François Bayrou.
Emmanuel Macron et l’État-providence.
Emmanuel Macron assume.
Édouard Philippe, invité de "L’émission politique" sur France 2 le 27 septembre 2018.
Édouard Philippe, invité de "L’émission politique" sur France 2 le 28 septembre 2017.
La France conquérante d’Édouard Philippe.
Édouard Philippe, nouveau Premier Ministre.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe du 17 mai 2017.
Le second gouvernement d’Édouard Philippe du 21 juin 2017.
La relance de l’Europe à la Sorbonne.
Discours d’Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017.
Programme 2017 d’Emmanuel Macron (à télécharger).
Le Président Macron a-t-il été mal élu ?
Audit de la Cour des Comptes du quinquennat Hollande (29 juin 2017).
Pourquoi voter Bayrou ?
Les élections sénatoriales de 2017.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.

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https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/edouard-philippe-l-etoffe-d-un-208347

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4 octobre 2018 4 04 /10 /octobre /2018 04:02

« C’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. Alors, il faut à nouveau assurer la sécurité dans ces quartiers. » (Gérard Collomb, le 3 octobre 2018 à Paris).



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Nouvelle semaine surréaliste pour le Président Emmanuel Macron qui n’est plus maître d’aucune horloge. Après François Bayrou et Nicolas Hulot, son troisième Ministre d’État l’a lâché. C’était d’ailleurs prévisible qu’il ne pourrait pas aller jusqu’en juin 2019. Malgré le rejet présidentiel de la démission, le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a finalement démissionné dans la nuit du mardi 2 au mercredi 3 octobre 2018. La passation de pouvoirs a eu lieu en début de matinée le 3 octobre 2018, place Beauvau, avec le Premier Ministre Édouard Philippe qui a été chargé d’assurer l’intérim du Ministre de l’Intérieur en attendant son remplaçant.

Édouard Philippe lui a bien fait comprendre son agacement, lui qui n’était au courant de rien. La veille encore, à la séance de questions au gouvernement, il avait été incapable de dire aux députés de l’opposition pourquoi Gérard Collomb était absent et malgré tout, il devait le défendre face aux demandes de démission. Confusion totale. Résultat, Gérard Collomb a attendu un quart d’heure devant son ministère l’arrivée du Premier Ministre.

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La passation fut très rapide. Édouard Philippe était pressé, devait aller à l’Élysée, il avait un rendez-vous avec le Président puis le conseil des ministres. Pendant que Gérard Collomb parlait, Édouard Philippe, droit et raide, attendait avec un certain énervement visible par le mouvement de ses doigts. Poignée de main on ne peut plus glaciale : les regards ne se croisaient pas. Ou à peine.

Qui pour succéder à Gérard Collomb ? Évitons les plaisanteries, comme proposer Yann Moix (il a un avis sur la police) …ou encore Manuel Valls (expérimenté). Imaginons celui qui voulait l’être sous François Hollande, François Rebsamen… ou son double bourguignon, beaucoup plus macrocompatible, François Patriat (le président du groupe LREM au Sénat, rescapé du destin). Ou Julien Dray, qui, un moment, s’était préparé à la fonction. Ou Martine Aubry qui découvre enfin (le 28 septembre 2018) qu’il y a des problèmes à Lille, Laurent Fabius (qui n’a pas ce ministère dans sa collection). Ou Richard Ferrand pour libérer encore une fois le perchoir ? Ou alors Frédéric Péchenard (il est du métier), ancien directeur général de l’UMP, maintenant proche de Valérie Pécresse et vice-président LR du conseil régional d’Île-de-France. Encore Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, François Bayrou, Jean-Louis Borloo (pour appliquer son plan banlieue), François Baroin (déjà à ce poste), Christophe Castaner (mais responsable de LREM)… On a même parlé de Jean-Yves Le Drian et de Christian Estrosi, mais les deux ont déjà rejeté l’idée. Dans les supputations, on parle aussi du surdoué de la Macronie, celui qui pourrait même succéder à Édouard Philippe à Matignon, à savoir Gérald Darmanin, mais il a une réforme du prélèvement à la source à assurer…

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Ce qui a été sans doute le plus surréaliste de la journée, ce fut la déclaration d’adieu de Gérard Collomb. Une déclaration qu’on a du mal à imaginer venant d’un ministre sortant après seize mois d’exercice de la fonction. Il semble découvrir seulement aujourd’hui que la situation de certaines banlieues est catastrophique, alors que cela fait plus de vingt ans que le problème est là.

L’islamisme radical qui prendrait la place de la République : « Monsieur le Premier Ministre, si j’ai un message à faire passer… Je suis allé dans tous ces quartiers, les quartiers nord de Marseille, au Mirail à Toulouse, à la périphérie parisienne, Corbeil, Aulnay, Sevran. C’est que la situation est très dégradée. Et le terme de reconquête républicaine prend dans ces quartiers tout son sens. Parce que, oui, aujourd’hui, c’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. Alors, il faut à nouveau assurer la sécurité dans ces quartiers. Mais je crois qu’il faut fondamentalement les changer. Quand les quartiers se paupérisent, se ghettoïsent, il ne peut y avoir que des difficultés. Et donc, nous avons souvent parlé avec monsieur le préfet d’Île-de-France, je crois vraiment que dans la périphérie parisienne, on ne peut plus continuer à travailler communes par communes. Il faut une vision d’ensemble pour recréer de la mixité sociale. Parce que, aujourd’hui, on vit côte à côte et je le dis toujours, moi, je crains que demain, on vive face à face. Et donc, nous sommes en face de problèmes immenses. ».

S’il y avait bien un mot qui pourrait caractériser son action de ministre, ce serait l’impuissance. L’impuissance à ne pas avoir assuré son autorité au sein d’un ministère qui nécessite justement autorité. L’impuissance d’un ancien maire de Lyon qui n’a jamais aspiré qu’à le redevenir, dont l’esprit n’a jamais été qu’à Lyon et très rarement à Paris. Cela n’empêche pas quelques résultats, comme l’arrestation d’un évadé en cavale (qui se cachait sous une burqa quand il sortait à Creil) ou des interpellations dans une enquête sur des attentats. Mais c’est aussi l’autorité du Président de la République qui est mise en défaut quand autant de ministres quittent ainsi le navire gouvernemental.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 octobre 2018)
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Pour aller plus loin :
La démission de Gérard Collomb.
Gérard Collomb se prend-il pour le Président de la République ?
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Richard Ferrand.
L’affaire Benalla.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe.
Le deuxième gouvernement d’Édouard Philippe.
La réforme des institutions, côté Place Beauvau.

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https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gerard-collomb-la-desertion-d-un-208235

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28 août 2018 2 28 /08 /août /2018 09:08

« Abandonnez ceux qui s’abandonnent eux-mêmes ! » (Shakespeare, 1623).


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C’est officiel et une grande surprise. Nicolas Hulot (63 ans), numéro trois du gouvernement d’Édouard Philippe, Ministre d’État, Ministre de la Transition écologique et solidaire depuis le 17 mai 2017, a annoncé sa démission dans la matinale de France Inter ce mardi 28 août 2018. Il n'en avait parlé à personne ! Nul doute que cette information devienne l’événement de la semaine en cette future rentrée des classes (dans quelques jours). Pour France Inter, ce scoop est un bon moyen d’inaugurer sa nouvelle grille de la rentrée et son studio refait à neuf (sa rentrée était ce lundi 27).

Le populaire Nicolas Hulot veut-il quitter le gouvernement à cause de l’impopularité croissante ? Les couleuvres qu’il a déjà avalées lui remontent-elles désormais à l’estomac ? C’est toujours un étonnement pour moi d’observer ces postures de démission. Il y a de vraies démissions et des fausses démissions.

Les vraies démissions, c’étaient avec des vrais hommes politiques de caractère. Par exemple, Michel Rocard, quand il a démissionné le 4 avril 1985, c’était immédiatement après avoir appris que François Mitterrand voulait imposer le scrutin proportionnel aux élections législatives de 1986 pour de pures raisons politiciennes. Il n’a pas attendu une heure. Il a réagi immédiatement, en conformité avec ses convictions. Par exemple, Jean-Pierre Chevènement, un habitué du genre, qui a démissionné trois fois, le 22 mars 1983 (avec l’ensemble du deuxième gouvernement de Pierre Mauroy) de la Recherche et Industrie (défavorable à l’ouverture européenne), le 29 janvier 1991 de la Défense (opposé à l’intervention contre l’Irak en 1991), et le 29 août 2000 de l’Intérieur (opposé à l’idée d’écrire dans la Constitution qu’il existe un peuple corse). Trois démissions, trois convictions plus fortes que l’ambition et le confort du maroquin. Par exemple, celle, historique et sans précédent sous la Ve République, de Jacques Chirac de Matignon le 25 août 1976 était, elle aussi, celle d’une conviction et d’une stratégie gaullistes très affirmées pour détrôner Valéry Giscard d’Estaing.

Les fausses démissions, ce sont les postures. Par exemple, Christiane Taubira, je considère pourtant qu'elle fut l’une des rares "révélations" politiques du quinquennat de François Hollande (avec Bernard Cazeneuve), a démissionné le 27 janvier 2016 avec un mauvais tempo. En décembre 2015, elle avait pourtant cosigné le projet de loi pour retirer la nationalité française aux terroristes. Elle a claqué la porte du gouvernement en janvier 2016 pour cette raison, mais pourquoi a-t-elle donc signé le projet de loi ? Par amour du pouvoir ?

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Nicolas Hulot aurait tellement eu des raisons de démissionner depuis quinze mois qu’on se demande toujours ce qu’il est allé faire dans cette galère. Probablement a-t-il accepté à Emmanuel Macron ce qu’il avait refusé à François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac parce qu’il pensait qu’une ère nouvelle était venue en 2017, un nouveau monde. Il fallait beaucoup de naïveté pour le croire. Je ne regrette pas du tout mon vote Macron au second tour de l’élection présidentielle, mais mon expérience d’observateur de la vie politique m’a toujours dit que ceux qui promettent un nouveau monde doivent toujours s’attendre à subir un jour la déception de leurs électeurs. Et heureusement ! Le monde est complexe et le transformer, le réformer, oui, mais en douceur, pas à la hussarde !

Personne ne regrettera Nicolas Hulot. Personnellement, j’ai compris la valeur politique de Nicolas Hulot, que j’apprécie beaucoup par ailleurs, le 13 avril 2011 à Sevran, le jour de l’annonce de sa candidature à la primaire des écologistes pour l’élection présidentielle de 2012 : il était nul, archinul sur la forme, aucun charisme, à mon grand étonnement pour ce grand communiquant télévisuel pourtant inégalable, comme s’il provenait des profondeurs de la IIIe République en ignorant ce qu’était la télévision. J’imagine que ce fut sans doute le trac qui l’a desservi mais c’est clair que face à Vladimir Poutine, à Kim Jong-Un, à Donald Trump, il y a besoin de personnalités fortes capables d’affirmer encore la puissance de la France face aux plus grandes gueules du monde, ce que notre actuel Président Emmanuel Macron parvient à faire même s’il y a encore peu de résultats.





Ce n’est pas Nicolas Hulot qui importe dans sa démission, mais le trou qu’il laisse au sein de ce gouvernement qui souffre terriblement de l’absence de poids lourds politiques, après déjà l’éviction de François Bayrou, Marielle de Sarnez et Richard Ferrand (qui, lui, n’est cependant pas vraiment un "poids lourds" !) le 21 juin 2017.

L’obligation d’un nouveau remaniement ministériel pour cette rentrée sociale qui s’annonce très combative va donc ouvrir la boîte de Pandore : faut-il juste remplacer le Ministre de la Transition écologique ou d’autres ministres qui, pour une raison ou une autre, ne tiennent pas assez la route par rapport aux tâches assignées, par exemple, Nicole Belloubet à la Justice ou encore Françoise Nyssen à la Culture, qui, malgré le soutien du Premier Ministre Édouard Philippe, aura maintenant du mal à se faire respecter à cause de cette affaire d’extension du siège de son entreprise sortie publiquement le 21 août 2018 ?

Tous les journalistes attendent dès la première année d’un mandat présidentiel le fameux "tournant" du quinquennat. C’est une aberration journalistique. Il n’y a jamais eu de tournant. Ni chez François Hollande qui a toujours prôné une politique de l’offre dès le début (mais qui l’a plombée avec une surimposition massive), et ni même chez François Mitterrand (Jacques Delors avait demandé une pause dès octobre 1981 et François Mitterrand de toute façon se souciait peu de l’argent des contribuables). Cet épisode sera au contraire l’occasion pour Emmanuel Macron de persévérer dans sa volonté de réformer. La question, c’est : pourra-t-il encore réformer contre les Français au lieu de réformer avec les Français ?

L’ex-présentateur vedette à la marque très lucrative n’était pas dans la même dimension. Le premier rat a quitté le navire, mais le navire ne coule pas encore. Le capitaine n’est pas celui d’un pédalo. Il s’agit maintenant de nommer de vrais politiques.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 août 2018)
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Pour aller plus loin :
Nicolas Hulot en 2018.
Nicolas Hulot en 2011.
Édouard Philippe.
Patrick Strzoda.
Alexandre Benalla.
Emmanuel Macron et l’État-providence.
Emmanuel Macron assume.
La réforme des institutions.
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180828-nicolas-hulot.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/nicolas-hulot-en-vacances-de-la-207174

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28 août 2018 2 28 /08 /août /2018 08:51

Nicolas Hulot, numéro deux du gouvernement, a annoncé sa démission sur France Inter ce matin du 28 août 2018.

Sylvain Rakotoarison

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31 juillet 2018 2 31 /07 /juillet /2018 05:06

« La vérité habite un puits, mais sans les porteurs d’eau, elle y resterait. » (Eugène Labiche, 1852).



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Décidément, Patrick Strzoda n’a pas eu de chance. Il est un peu comme ce commissaire de police à quelques mois de la retraite qui ne veut surtout pas se retrouver en charge d’un meurtre mystérieux. Pas de vague. Pour lui, c’est fichu ! Le 5 juillet 2018, à l’âge de 66 ans, ce haut fonctionnaire au service de l’État avait fait prévaloir ses droits à la retraite pour le 6 octobre 2018. Pas de chance, le 18 juillet 2018 au soir, une affaire épineuse, l’affaire Benalla, lui est tombée dessus. Lui, car il est au cœur du "système", comme directeur de cabinet du Président de la République depuis le 14 mai 2017.

Ce préfet issu de l’ENA, comme la plupart des préfets, a eu une carrière prestigieuse. Sous-préfet de Saint-Jean-de-Maurienne à l’âge de 35 ans, en charge ensuite des jeux olympiques d’Albertville en 1992, puis sous-préfet d’Arles en 1995, puis, après d’autres responsabilités, préfet des Hautes-Alpes en 2002, des Deux-Sèvres en 2004, puis après encore d’autres responsabilités, préfet des Hauts-de-Seine en 2009, de Corse en 2011, de Bretagne en 2013. Patrick Strzoda fut ensuite nommé en avril 2016 directeur de cabinet du Ministre de l’Intérieur Bernard Cazenave, un poste essentiel en pleine période des attentats, ministre qu’il a suivi à Matignon comme directeur de cabinet du Premier Ministre en décembre 2016 jusqu’à cette nomination à l’Élysée lorsque Emmanuel Macron fut élu, son bâton de maréchal.

Comme directeur de cabinet du Président de la République, c’est lui qui est le responsable des collaborateurs de l’Élysée, à la fois le directeur des ressources humaines et le responsable administratif, et également celui qui contribue à l’organisation et aux organigrammes. Évidemment, c’est un poste stratégique et donc, nécessairement, il est en première ligne pour mieux comprendre les faits dans l’affaire Benalla.

À partir du 23 juillet 2018, deux commissions d’enquête parlementaires se sont constituées, issues chacune de la commission des lois des deux assemblées, Assemblée Nationale et Sénat. Celle de l’Assemblée Nationale, présidée par Yaël Braun-Pivet, députée LREM des Yvelines, a terminé ses auditions le 27 juillet 2018 dans la polémique, puisque le corapporteur de la commission, Guillaume Larrivé, député LR, a suspendu sa participation dès lors que la présidente a refusé d’entendre d’autres collaborateurs de l’Élysée.

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Heureusement, il y a encore au travail la commission d’enquête du Sénat, présidée par Philippe Bas, sénateur LR de la Manche, ancien ministre du 2 juin 2006 au 15 mai 2007, et surtout, ancien Secrétaire Général de l’Élysée sous Jacques Chirac du 8 mai 2000 au 8 mai 2002 (et ancien Secrétaire Général adjoint de l’Élysée du 13 septembre 2000 au 8 mai 2002). C’est dire si Philippe Bas, très courtois dans son leadership, connaît parfaitement le fonctionnement de l’Élysée, au point de lâcher lors d’une audition que c’était la première fois qu’il entendait parler de "chefferie" à l’Élysée ("chefferie" pour parler de la responsabilité du chef de cabinet, du chef de cabinet adjoint et de leur dizaine d’adjoints, dont Alexandre Benalla, sur l’organisation des événements avec le Président de la République).

La commission d’enquête du Sénat a décidé de prendre son temps (six mois) et d’écouter toutes les personnes susceptibles d’apporter un élément précis. Ce qui est intéressant dans les auditions des hauts fonctionnaires (au Sénat ou à l’Assemblée Nationale), c’est que leurs réponses ne sont peut-être pas satisfaisantes, mais elles sont toujours très précises et très argumentées. On est loin des discours politiques flous et simplificateurs. Là, c’est le détail qui est discuté et leur formation (ENA ou autres grandes écoles) se justifie.

Sans alimenter l’overdose sur l’affaire Benalla, et sans m’intéresser au sort d’Alexandre Benalla lui-même (je ne suis ni juge ni enquêteur), il y a néanmoins un détail qui m’interpelle un peu. Il s’agit du droit du travail, ou plutôt, du droit de la fonction publique puisque l’Élysée n’est pas une entreprise de droit privé mais un organisme public.

Au contraire de Patrick Strzoda, par exemple, qui est un haut fonctionnaire, Alexandre Benalla était ce qu’on pourrait appeler dans l’enseignement un "vacataire", c’est-à-dire un agent contractuel. Or, en tant que directeur de cabinet, c’est Patrick Strzoda qui fut son recruteur et son directeur, même si son responsable hiérarchique direct était le chef de cabinet (précisons juste qu’il faut bien différencier les fonctions de directeur de cabinet et de chef de cabinet, en sachant que dans certains pays étrangers, les fonctions de "chef de cabinet" sont celles du "directeur de cabinet" en France ; et différencions aussi le titre de "chef de cabinet adjoint" qui est le bras droit du chef de cabinet, de "l’adjoint au chef de cabinet" qui est en dessous hiérarchiquement du chef de cabinet adjoint).

Premier collaborateur de l’Élysée à avoir été auditionné par les parlementaires, Patrick Strzoda a été écouté par la commission de l’Assemblée Nationale le 24 juillet 2018. Il a affirmé que c’était lui, et lui seul, qui a sanctionné Alexandre Benalla, avec une mise à pied de quinze jours du 3 au 22 mai 2018 (ou du 4 au 18 mai 2018, les 19 au 21 mai étant le week-end de la Pentecôte). On a parlé de "sanction", de "mise à pied" et de "suspension". Il paraît apparemment établi qu’Alexandre Benalla n’a pas mis les pieds à l’Élysée pendant cette période. Cette sanction a montré que, même si elle pouvait être considérée comme trop faible, que l’Élysée a réagi dès qu’il a connu les faits reprochés du 1er mai 2018.

Patrick Strzoda a par ailleurs précisé qu’il a pris lui-même l’initiative et la décision de la sanction, sans en référer au Président de la République qui était en déplacement à l’autre bout de la planète, après une visite en Nouvelle-Zélande, il se rendait en Nouvelle-Calédonie et était attendu à Ouvéa, dans une rencontre très sensible. On peut donc être bien convaincu que les errements d’Alexandre Benalla étaient à mille lieues des préoccupations présidentielles.

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Évidemment, certains parlementaires enquêteurs allaient donc demander la fiche de paie d’Alexandre Benalla du mois de mai voire du mois de juin 2018. Une fiche de paie, c’est quelque chose qui fait foi, qu’on ne peut pas falsifier, qui se retrouver dans plusieurs organismes sociaux. C’est donc un document neutre doté de la force brutale de la vérité. C’est sans doute pour cette raison que lorsque Patrick Strzoda a été auditionné par les sénateurs le lendemain après-midi, le 25 juillet 2018 (dont on peut télécharger la vidéo ici), il a de lui-même précisé qu’Alexandre Benalla avait reçu la totalité de son salaire de mai (et également de juin) 2018 (je rajoute juin car pour des raisons comptables, il est possible que des ajustements aient lieu sur la situation du mois précédent la période du bulletin de paie).

Être mis à pied et garder son salaire, voici une sanction… un peu légère ! Comme haut fonctionnaire, Patrick Strzoda n’affirme jamais rien sans argument juridique. Il a déclaré que le salaire correspondant aux quinze jours de suspension serait retiré des reliquats de congés payés de l’année 2017 au moment du solde de tout compte à la fin de la procédure du licenciement. Pour se justifier, il a invoqué le décret n°86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État pris pour l’application de l’article 7 de la loi n°84-15 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État.

Ce décret est intéressant et permet de comprendra la réalité et la nature de la sanction.

L’article 43 de ce décret (modifié par le décret n°2007-338 du 12 mars 2007) indique ainsi : « En cas de faute grave commise par un agent non titulaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité définie par l’article 44. ».

L’autorité définie par l’article 44 (modifié par le décret n°2007-338 du 12 mars 2007) est décrite ainsi : « Le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité ayant le pouvoir de procéder au recrutement. ». Pour le cas Benalla, Patrick Strzoda était donc bien son autorité disciplinaire.

L’article 43 poursuit ainsi : « L’agent non titulaire suspendu conserve sa rémunération et les prestations familiales obligatoires. (…) L’agent non titulaire qui, en raison de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l’alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charge de famille. ».

Notons ici qu’Alexandre Benalla a été "rétabli" (après sa période de suspension) bien avant qu’il y ait eu des poursuites pénales (il a été placé en garde-à-vue le 20 juillet 2018 et mis en examen le 22 juillet 2018). A priori, le décret montre qu’une suspension hors poursuites pénales ne donne lieu à aucune retenue de salaire (donc le retrait des quinze jours serait même illégal dans l’esprit de ce décret).

L’article 43-1 du décret (modifié par le décret n°2007-338 du 12 mars 2007) donne les raisons possibles d’une sanction : « Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent non titulaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, est constitutif d’une faute l’exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal. ».

Et enfin, l’article 43-2 du décret (modifié par le décret n°2014-364 du 21 mars 2014) décrit l’échelle des sanctions : « Les sanctions disciplinaires susceptibles d’être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : 1° l’avertissement ; 2° le blâme ; 3° l’exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée (…) ; 4° le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. ».

On voit donc qu’on nage en pleine confusion sémantique depuis le début de l’affaire : il y a une différence juridique entre "suspension" (interdiction de se rendre sur les lieux de travail mais pas de retrait de salaire) et "sanction disciplinaire" (suspension avec retenue de salaire).

Or, le dispositif qu’a décrit Patrick Strzoda est une sorte de mélange entre les deux : une suspension mais avec une retenue de ses jours de congés que l’agent n’a pas pu prendre en 2017. Or, cette retenue se fait lors du licenciement. Mais le 2 ou 3 mai 2018, lorsque la "sanction" a été prise, il n’était pas question de licenciement (la procédure de licenciement n’a été activée que le 20 juillet 2018, avec, pour justification juridique, les poursuites pénales). Ce qui signifie qu’à l’origine, il n’était nulle question de retenue de salaire. Avec cette compréhension, on peut avoir une certaine raison de penser que dans ces conditions, la "sanction" était extrêmement faible et que cette décision misait sur un étouffement de l’affaire.

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Même avec la retenue sur les jours de congé, la "sanction" prise signifierait au pire à quinze jours de vacances payées avec date forcée. Payées, puisque le reliquat des vacances de 2017 correspond à des jours de congé payé. En clair, le niveau de sanction était dans tous les cas d’interprétation peu à la hauteur des fautes commises le 1er mai 2018.

Imaginez-vous sur votre lieu de travail, imaginez qu’il y a des visiteurs ou des clients râleurs qui viennent voir un de vos collègues, et imaginez que vous les tabassiez en dehors de tout État de droit. Quelles seraient les conséquences sur votre emploi ? Il y a peu de chance que votre employeur, dans ces conditions, vous garde… Alexandre Benalla, non, on lui a dit de prendre des vacances immédiatement et pendant quinze jours (car ce qu’a expliqué Patrice Strzoda aux sénateurs, cela signifie exactement cela).

Quant à l’autre volet de la sanction, à savoir la rétrogradation de l’emploi d’Alexandre Benalla, elle aussi est sujette à réflexion. Ses attributions semblent avoir en effet été réduites, mais les agents officiellement chargés de la sécurité du Président de la République ne font en principe jamais la différence entre déplacement public et déplacement privé, or, cette distinction semble avoir été faite pour justifier certaines activités d’Alexandre Benalla après sa période de suspension.

Ce sont ainsi ces "petites incompréhensions", des détails, qui ont des raisons d’intriguer les parlementaires. Les députés, majoritairement du parti du Président, ont abandonné clairement leur rôle d’investigation, mais les sénateurs, très méthodiques, ne lâcheront rien. J’ai donc confiance en cette commission présidée par Philippe Bas pour aller au bout de la compréhension de cette affaire, dans sa globalité et dans les détails. Avec bien sûr la courtoisie et le calme habituels des sénateurs qui montrent, une fois de plus, leur utilité dans la respiration démocratique de notre pays.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Audition de Patrick Strzoda au Sénat le 25 juillet 2018 (vidéo à télécharger).
Patrick Strzoda.
Alexandre Benalla.
Emmanuel Macron et l’État-providence.
Emmanuel Macron assume.
La réforme des institutions.
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180725-benalla-strzoda.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/patrick-strzoda-et-le-code-du-206538

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/31/36598581.html



 

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29 juillet 2018 7 29 /07 /juillet /2018 05:50

Le directeur de cabinet du Président de la République Patrick Strzoda, préfet, est venu répondre aux interrogations de la commission d'enquête sénatoriale sur l'affaire Benalla l'après-midi du mercredi 25 juillet 2018.

Cliquer sur le lien pour télécharger la vidéo (fichier .mp4) :
http://videos.senat.fr/senat/2018/07/encoder3_20180725142055_2_630000_8112000.mp4

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180725-benalla-strzoda.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180725-video-strzoda-senat.html

 

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22 juillet 2018 7 22 /07 /juillet /2018 05:17

C’est le dixième anniversaire de la dernière révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Aujourd’hui, l’exécutif cherche à bouleverser les institutions : « Qui change aisément est faible ou veut tromper. » (Voltaire, 1732).


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À cause de l’affaire d’État qu’est le Benallagate, le gouvernement vient de suspendre la discussion dans l’Hémicycle du projet de loi constitutionnelle ce dimanche 22 juillet 2018 en fin de matinée. Les circonstances ne permettaient plus la poursuite des débats dans des conditions de sérénité minimale.

Je vais donc ici évoquer l’affaire concernant le (désormais ancien) collaborateur de l’Élysée Alexandre Benalla qui a éclaté le 18 juillet 2018 à la suite d’une information du journal "Le Monde". Depuis lors, la classe politique et médiatique est en émois, et probablement avec raison. Il faut évidemment rester très prudent avec les nouvelles informations qui sortent avec une grande fréquence, mais on ne peut être qu’étonné, pour ne pas dire scandalisé, par cette affaire, qui a plusieurs strates de compréhension, toutes aussi scandaleuses les unes que les autres.

Cette affaire politique promet de faire un beau feuilleton de l’été avec rebondissements comme les médias en raffolent : le chargé de mission auprès du chef de cabinet de l’Élysée, qui avait un accès permanent à l’Assemblée Nationale (inutilement puisque le Président de la République n’a pas le droit de s’y rendre) et des privilèges insensés (rémunération élevée, voiture, appartement), avait été licencié par le ministre Arnaud Montebourg dès la première semaine en tant que chauffeur car il voulait fuir après avoir provoqué un accident de la circulation. Il devait se marier le 21 juillet 2018 à Issy-les-Moulineaux mais le mariage a été annulé puisqu’il était encore en garde-à-vue prolongée.

Parmi les informations confirmées qui stupéfient, je retiendrai surtout celle-ci, symbolique : sa nomination totalement gratuite de lieutenant-colonel de réserve de la gendarmerie affecté au cabinet du directeur général de la gendarmerie, sur recommandation de l’Élysée en 2017. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec un vrai lieutenant-colonel la gendarmerie, Arnaud Beltrame

Une réflexion effrayante peut aussi traverser l’esprit sur le danger qu’un tel personnage au comportement "louche" peut peser sur la propre personne du Président de la République. Cette implantation au cœur même du pouvoir suprême en France, depuis le quinquennat de François Hollande (à l’origine chargé par le PS de la protection de Martine Aubry) pourrait faire penser au pire des cauchemars terroristes. En effet, on peut se souvenir par exemple que la Premier Ministre indienne Indira Gandhi a été assassinée par deux de ses propres gardes du corps (de religion sikhe). La protection du Président de la République est normalement sous la responsabilité de personnes hautement qualifiées et sévèrement sélectionnées pour éviter toute menace physique. En court-circuitant une telle procédure, l’Élysée peut mettre à découvert et donc en danger le responsable de plus stratégique de l’État. On se rappelle d’ailleurs qu’un scandale avait éclaté lors du quinquennat de François Hollande qui était mal protégé notamment par des militants socialistes incompétents (un coup de feu avait été tiré par erreur de l’Élysée le 10 avril 2015)… En termes de transparence et d’exemplarité, il paraît désormais nécessaire de clarifier et de codifier strictement la protection présidentielle.

Cette affaire m’a fait penser aussi à la brutalité du député (alors LREM et ancien socialiste) des Français de l’étranger M’Jid El Guerrab qui avait frappé, le 30 août 2017 à Paris, deux fois avec un casque à moto le secrétaire de la fédération du PS des Français de l’étranger (il fut mis en examen le 2 septembre 2017).

Cependant, je suis assez mal à l’aise avec le principe désormais très ordinaire du lynchage médiatique et internautique. Une personne dont le nom n’était connu que des initiés sort de l’anonymat par ses erreurs, fautes, infractions, voire délits (la justice le dira) et la voici en haut d’une pique hors de tout jugement équitable. Personnellement, je ne connais pas Alexandre Benalla, tout ce que j’ai lu de lui ne m’encourage pas à apprécier sa personnalité (c’est un euphémisme) et je souhaite dans tous les cas qu’il réponde de ses actes devant la justice de la République, mais je me moque un peu de son devenir, je n’ai ni haine ni besoin de vengeance ni non plus envie de le défendre ou protéger. Je sais qu’il ne fait pas partie des "penseurs" de la politique, encore moins de la philosophie, pas plus des artistes, même ultra-contemporains (j’utilise ce terme bidon pour dépasser mes propres références et goûts esthétiques), et donc que l’histoire, si elle devait retenir quelque chose de lui, ne retiendrait que cette pitoyable affaire.

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Ce qui m’intéresse, en revanche, c’est le Président de la République, car il a une fonction publique essentielle dans notre République, et c’est la conséquence que peut avoir cette affaire sur sa propre crédibilité politique qui me paraît importante.

La manière dont le pouvoir exécutif a géré la communication dans cette affaire depuis le 18 juillet 2018 est assez ahurissante et montre à l’évidence un certain amateurisme voire une certaine naïveté sans doute aveuglée par un orgueil et un mépris plus contreproductifs qu’utiles. Il y a une quarantaine d’années, un autre avait fait la même erreur, c’était Valéry Giscard d’Estaing qui avait refusé de réagir à chaud sur l’affaire des diamants de Bokassa. La mauvaise image qui l’a poursuivi tout au long de la fin de son septennat l’a grandement handicapé pour sa potentielle réélection.

Chaque heure de silence présidentiel supplémentaire qui passe depuis le 18 juillet 2018 sur cette affaire enfonce un peu plus la situation du Président de la République dans une société où l’immédiateté et la réactivité sont devenues reines. On peut affirmer sans risque de se tromper que la personne responsable de la communication présidentielle à l’Élysée ne montre pas une compétence extraordinaire depuis le début du quinquennat (avec des fautes invraisemblables comme rendre publique volontairement la vidéo de la réflexion élyséenne sur le coût des aides sociales).

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Il fallait suivre les débats à l’Assemblée Nationale, en séance publique, les 19 et 20 juillet 2018. Il faut se rappeler que le gouvernement a imposé aux députés un régime de surmenage complètement insensé : il leur a imposé le travail également le samedi et le dimanche pour tenter, probablement en vain, d’atteindre l’objectif du Président Emmanuel Macron de terminer la discussion en première lecture du projet de loi constitutionnelle avant la trêve estivale, c’est-à-dire à la fin de la session extraordinaire actuelle. Commencée le 10 juillet 2018, cette discussion est forcément longue car on ne révise pas la Constitution à la légère. Or, en malmenant ainsi les députés, le gouvernement discrédite complètement l’objectif affiché mais déjà peu crédible d’un renforcement des droits du Parlement.

Tout porte à croire, au contraire, que la réforme des institutions proposée, comme je l’ai déjà évoqué précédemment, vise plutôt à renforcer les prérogatives du gouvernement sur les droits du Parlement. Pour preuve, le contrôle de l’ordre du jour dont une partie avait été "parlementarisée" grâce à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par Nicolas Sarkozy, promulguée il y a juste dix ans. Avant 2008, le gouvernement avait le contrôle de tout l’ordre du jour alors que depuis 2008, une semaine par mois est réservée à la discussion des propositions de loi, donc émanant des députés (y compris de l’opposition). En permettant au gouvernement de court-circuiter ce temps parlementaire par de nouvelles procédures d’urgence, le projet de loi constitutionnelle a pour but de réduire la marge d’action des parlementaires, au contraire de ce qui est proclamé.

Or, cette discussion s’entrechoque avec la réalité du pouvoir révélée par l’affaire Benalla. Environ 820 personnes travaillent pour l’Élysée, certaines (comme l’était Alexandre Benalla) absentes des organigrammes officiels et pourtant rémunérées très grassement (parfois le double d’un député de base). Trop de députés ? ou trop d’obscurs conseillers présidentiels surpayés ? Rappelons la consigne d’Emmanuel Macron lors de la formation du gouvernement : limiter le nombre des membres de cabinet de chaque ministre incité à travailler directement avec les administrations dont il a la charge. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.

Les députés de la majorité sont aujourd’hui bien embarrassés car ils ont compris le scandale, le double ou triple scandale d’État. Ils sont loyaux mais en même temps, ils ne peuvent laisser leur capacité de jugement dans un tiroir. Le plus embarrassé est évidemment François de Rugy, le Président de l’Assemblée Nationale, qui dirige actuellement les débats en séances publiques. Après s’être opposé très fermement à la constitution d’une commission d’enquête, il a finalement s’y résoudre quelques heures plus tard. En première ligne dans cette affaire, le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb va être écouté par la commission d’enquête au Palais-Bourbon le lundi 23 juillet 2018 dans la matinée, et par la commission d’enquête au Sénat le lendemain.

Inutile de dire que la réforme des institutions a pris du plomb dans l’aile, d’autant plus que voulant profiter de l’aubaine, Jean-Luc Mélenchon voudrait convaincre ses collègues de l’opposition, et en particulier ses anciens camarades socialistes qu’il n’a jamais cessé de combattre depuis près d’une dizaine d’années, de déposer une motion de censure (son groupe parlementaire n’est pas suffisant pour pouvoir déposer une telle motion). Pas sûr que les députés LR soient prêts à s’allier avec la France insoumise pour la circonstance qu’ils auraient ensuite beaucoup de mal à justifier auprès de leurs électeurs dans leur circonscription.

De toute façon, cette affaire a fait éclater l’agenda des parlementaires. Il était donc peu probable que le projet de loi constitutionnelle fût adopté par les députés avant la rentrée d’automne où attendront également de nombreux autres projets importants et moins importants. C’était donc sagesse de la part du gouvernement d’avoir suspendu les discussions sur le projet de loi constitutionnelle ce dimanche 22 juillet 2018.

Notons par ailleurs qu’un consensus avec la majorité sénatoriale paraît très largement compromis aujourd’hui. L’affaire Benalla, en elle-même, n’a pas une importance historique (l’histoire a été émaillé de ces personnages troubles et troublants proches du pouvoir suprême). Mais elle a révélé que le nouveau monde n’est pas plus nouveau que l’ancien. Pas plus exemplaire que l’ancien. Pas plus inaltérable que l’ancien. L’expression était d’une prétention presque naïve, la même que tous les nouveaux gouvernants, celle de croire qu’avant eux, c’était l’horreur et la débauche, et qu’après eux, ce sera la morale et l’efficacité. Cette prétention n’est pas nouvelle (François Mitterrand l’avait déjà dit, ces institutions sont dangereuses …sauf quand c’est moi qui est à leur tête, ou encore Jack Lang qui parlait de passage de la nuit à la lumière lors de son arrivée au pouvoir). Elle surprend toujours essentiellement par sa sotte naïveté.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 juillet 2018)
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Pour aller plus loin :
Alexandre Benalla.
Emmanuel Macron et l’État-providence.
Emmanuel Macron assume.
La réforme des institutions.
Protégeons la Ve République !

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11 juillet 2018 3 11 /07 /juillet /2018 03:31

« Notre action est un bloc ! Elle est une cohérence ! Il n’y a pas, d’un côté, une action intérieure, et, de l’autre, une action extérieure ; c’est la même action. S’adressant aux Français ou s’adressant au monde, c’est le même message : nous protéger et porter nos valeurs. Il n’y a pas, d’un côté, une action économique, et, de l’autre, une action sociale ; c’est le même trait, la même finalité : être plus forts pour pouvoir être plus justes. C’est, au fond, l’affirmation et la proposition du projet français pour le XXIe siècle. » (Emmanuel Macron, le 9 juillet 2018 à Versailles). Seconde partie.


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Après avoir évoqué les conditions du discours présidentiel au Congrès de Versailles, je reviens sur le fond de ce discours du Président Emmanuel Macron prononcé le 9 juillet 2018 devant les parlementaires français (qu’on peut lire dans son intégralité ici).

Le discours était long (une heure trente) et sans doute mal placé dans le calendrier en raison des attentions footballistiques (euphorisantes), mais il est resté encore un grand discours présidentiel, bien structuré, d’une qualité élevée du langage, et surtout, chose fréquente chez Emmanuel Macron, qui replace sa politique dans une vision politique, qui donne du sens à son action, ce qui était rare pendant les trente dernières années (avant 2017). Il a confirmé beaucoup de réformes à venir, parfois très importantes (retraites, formation professionnelle, assurance-chômage, etc.) mais sans en donner beaucoup de précisions.

On ne s’étonnera donc pas que ce discours soit à la fois un justificatif de l’année écoulée et une présentation des prochaines années. Lorsqu’Emmanuel Macron a expliqué : « Je sais que je ne peux pas tout, je sais que je ne réussis pas tout. », la phrase (que j’ai citée dans son contexte en début du précédent article) a, à mon sens, était mal interprétée par de nombreux éditorialistes. En effet, le Président de la République ne faisait pas du tout "amende honorable", reconnaissant ses erreurs, mais au contraire confirmait sa ténacité, il suffit de savoir écouter la suite : « J’ai le devoir de ne pas laisser le doute détourner ma pensée et ma volonté. ». Cette dernière phrase est très claire, il n’y a aucune inflexion dans l’action présidentielle (quoi qu’en pensent les journalistes enfermés dans leur microcosme qui veulent toujours une inflexion à un moment du premier mandat présidentiel). En clair, comme tout Président, il peut douter, mais il fera comme s’il ne doutait pas. C’est plus subtil que le "droit dans mes bottes" d’un certain Alain Juppé, mais le résultat reste le même. Avec plus de succès que ce dernier.

Pour rappeler sa vision, Emmanuel Macron a insisté sur la cible de sa politique : pas les plus riches (il n’a pas dit ce qu’il avait dit en avril 2018, à savoir que les riches n’avaient pas besoin de lui pour s’enrichir) mais tous les Français et il a répété de nombreuses fois cette « peur du déclassement ».

L’introduction était intéressante car il a rappelé toutes les peurs de ses compatriotes. De Gaulle avait dit à Alger en 1958 qu’il avait compris. Emmanuel Macron a dit à Versailles qu’il n’a pas oublié.

N’a rien oublié : « Je n’ai rien oublié des peurs et des colères, accumulées pendant des années (…). Je n’ai pas oublié la peur du déclassement pour soi-même et pour ses enfants ; la rage devant l’impuissance publique ; le pays qui se sent coupé en deux, non pas seulement entre partis opposés mais, plus grave encore, entre sa base et son prétendu sommet (…) ; l’impression du citoyen d’être ignoré, méprisé et surtout, de ne pas voir, de ne plus voir, où nous devons et pouvons aller ensemble ; la colère, enfin, née de la fin des ambitions collectives comme des ambitions familiales et personnelles. Je n’ai rien oublié de ces colères ni de ces peurs. Rien ! La peur aussi de l’autre, des grands changements, du fracas du monde (…). Je n’ai pas oublié, je n’oublie pas et je n’oublierai pas ! ».


Une vision nationale

Toute la vision macronienne de la société réside dans cette expression qui pourrait presque être un slogan : « Étre plus forts pour pouvoir être plus justes. ». Ainsi, Emmanuel Macron ne veut plus d’action sociale qui viserait à aménager la vie des personnes les moins aisées en les laissant dans leur précarité mais une action qui viserait à les sortir de leur précarité et ainsi ne plus avoir besoin d’aides sociales. Et de dire un peu plus tard : « Je l’affirme devant vous, représentants de la nation, la force de notre économie, quand nous l’aurons pleinement retrouvée, sera le socle même de notre projet de société et du projet de justice qui est au cœur de ce que je veux porter au nom de la France. ». Et aussi : « Nous voulons renouer avec une croissance durable, mais aussi promouvoir une croissance partagée. ».

Une telle ambition s’est aussi exprimée à la fin du discours (en conclusion) de cette manière : « Vous l’avez compris, je souhaite renouer avec ce projet français que nous avons perdu de vue trop longtemps par frilosité ou par confort intellectuel. (…) Ce projet ne peut se déployer que si nous en finissons avec ce renoncement où nous nous sommes enfermés depuis quarante ans, qui voudrait que la France ne soit qu’une puissance moyenne. Cette idée nous a étouffés et meurtris. Je crois, moi, que la France a les moyens de devenir de nouveau une puissance du XXIsiècle. Pour mener ce projet, nous partons du réel. Nous ne nous alourdirons pas d’idées préconçues, de clivages recuits, d’idées surannées. Le progrès, la dignité de l’individu, la force juste de la République sont nos boussoles et nous suffisent. Notre seule idéologie, c’est la grandeur de la France, n’en déplaise à certains, et ce que nous construisons, n’en déplaise aux adeptes de l’immédiat, nous le faisons pour aujourd’hui, mais aussi pour demain, c’est-à-dire pour la jeunesse, pour qu’elle grandisse dans un pays où elle puisse choisir sa vie, ressentir pleinement cette appartenance qui fait la force d’une peuple et contribuer librement à ce projet qu’on appelle nation. C’est une sorte de patriotisme nouveau, réinventé, vivifié que nous sommes en train de construire. ».

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C’est une vision très ambitieuse et très idéaliste de la société. Elle se tient intellectuellement. Elle change complètement le paradigme des cinquante dernières années. Et disons-le clairement : elle est la première (et la seule) réponse intellectuelle et politique à la crise économique et sociale structurelle que connaissent la France, mais aussi l’Europe et même le monde, depuis le premier choc pétrolier en 1973 et depuis la globalisation des échanges commerciaux.

Cette ouverture économique, qui est un fait et pas une idéologie (que ceux qui prônent une idéologie nationaliste et protectionniste soient cohérents avec eux-mêmes et n’achètent plus que français, vêtements, nourriture, objets électroniques, films, musiques, etc.), doit être acceptée sous condition de faire appliquer les règles, en particulier fiscales : « Poursuivre aussi notre effort pour que ce développement industriel se déploie dans un cadre européen loyal. C’est pourquoi la France (…) soutiendra la proposition de la Commission Européenne de créer une taxe sur le chiffre d’affaires des géants du numérique qui, aujourd’hui, ne paient pas d’impôts dans nos pays. ». Taxer spécifiquement les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), c’est aussi prendre le risque de poursuivre la guerre commerciale avec les États-Unis.

Cette vision d’une politique qui encourage la prospérité économique pour mieux redistribuer ensuite, Emmanuel Macron la voit aussi comme une lutte contre les inégalités, au contraire des caricatures qui collent à son action : « Toutes les sociétés qui ont propagé l’idée que la prospérité devait nécessairement se traduire par des inégalités croissantes le paieront, je le crois, au prix fort. ». En avril 2018, il disait ne pas croire à la théorie du ruissellement. Pourquoi continuer à lui projeter cette théorie alors que lui-même n’y croit pas et le dit clairement ?

Dans son diagnostic, ce ne sont pas les inégalités des revenus qui sont les plus criantes mais les inégalités des chances dans la vie : « Il y a une voie française vers l’inégalité, qui progresse depuis plus de trente ans. Il ne s’agit pas, comme chez nombre de nos voisins, d’une inégalité de revenus, même si elle existe. Non, ce qui s’est installé avant tout en France, ce sont les inégalités de destin. Selon l’endroit où vous êtes né, la famille dans laquelle vous avez grandi, l’école que vous avez fréquentée, votre sort, le plus souvent, scellé. ».

Et de préciser ses priorités : « C’est cela qui m’obsède : le modèle français de notre siècle, le réel modèle social de notre pays doit choisir de s’attaquer aux racines profondes des inégalités de destin, celles qui sont décidées avant même notre naissance, qui favorisent insidieusement les uns et défavorisent inexorablement les autres. Sans que cela se voie, sans que cela s’avoue. ».


Un nouveau contrat social

Les phrases sans doute les plus importantes du discours sont celles-ci : « Le modèle français que je veux défendre exige que ce ne soient plus la naissance, la chance ou les réseaux qui commandent la situation sociale, mais les talents, l’effort et le mérite. Oui, à mes yeux, le cœur même d’une politique sociale, celle que nous devons porter, n’est pas d’aider les gens à vivre mieux la condition dans laquelle ils sont nés et dans laquelle ils sont destinés à rester, mais de les aider à en sortir. ».

Et à partir de là, Emmanuel Macron a décliné les mesures visant cet objectif : « Le pilier premier de la politique sociale à laquelle je crois est l’émancipation de chacun, qui libère du déterminisme social et qui s’affranchit des statuts. » (au passage, un clin d’œil aux derniers grévistes de la SNCF). Ce qui signifie l’éducation, la formation (et apprentissage) et la culture.

Dans les réformes à venir, Emmanuel Macron a notamment évoqué celle de l’assurance-chômage, en rappelant qu’elle n’est plus financée par les salariés mais par les entreprises et par les contribuables (c’est la conséquence de l’augmentation de la CSG et la baisse des cotisations salariales).

Ce que veut faire Emmanuel Macron, c’est déconnecter la protection sociale de l’emploi, car ce système, qui existe depuis la Libération, n’est plus satisfaisant quand plusieurs millions d’actifs n’ont pas d’emploi. Il faut donc, selon le Président de la République, adapter le modèle à la situation de crise que connaît la France depuis une trentaine d’années : « Le progrès social, s’il découle de l’émancipation individuelle et de la capacité de chacun à se hisser au sein de la société grâce à l’école, au mérite et au travail, passe aussi par un élan collectif qui vise à assurer la dignité de chacun. C’est cela, la solidarité nationale. ».

Cette solidarité est aujourd’hui bancale : « La Sécurité sociale devait être universelle, et nous voyons partout des pans entiers de notre population trop peu ou trop mal couverts, qui renoncent aux soins ou qui n’y ont pas accès. Elle devait répondre aux angoisses les plus profondes de l’existence, et nous sommes aujourd’hui laissés seuls, ou presque, face à des risques majeurs, comme celui de la perte d’autonomie, et des retraites incertaines. Elle devait susciter la confiance, et nous voyons, au contraire, complaisamment agitée par ceux qui n’ont que le mot "assistanat" à la bouche, la défiance la ronger. » (au passage : une pique contre Laurent Wauquiez, qui avait amorcé sa notoriété politique sur sa lutte contre l’assistanat).

Emmanuel Macron connaît le sens des mots et pour la première fois depuis des décennies, un responsable politique a utilisé l’expression "État-providence" dans un sens positif et pas pour le fustiger : « La priorité de l’année qui vient est simple : nous devons construire l’État-providence du XXIsiècle. Ce sera un État-providence émancipateur, universel, efficace, responsabilisant, c’est-à-dire couvrant davantage, protégeant mieux et s’appuyant sur les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. ».

La raison d’une nouvelle construction : « L’État-providence du XXsiècle était conçu pour une société du plein-emploi. La détention d’un travail, et d’un travail continu, permanent, pérenne, est ainsi devenue le sésame pour accéder à la solidarité nationale. Dans une société frappée par le chômage de masse et par l’intermittence des parcours professionnels, ce sésame a perdu de sa valeur ; il est devenu une redoutable barrière. Notre solidarité, dans son fonctionnement, est devenue statutaire. Elle s’est attachée aux carrières, aux secteurs d’activité. Elle ne répond plus aux règles d’une économie de l’innovation et de la compétence. Nous devons protéger nos concitoyens non selon leur statut ou leur secteur d’activité, mais de manière plus juste, plus universelle. ».

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Son ambition : « Je veux (…) redonner corps à la République contractuelle à laquelle je crois, celle qui permettra de jeter les bases d’un nouveau contrat social pour ce siècle, par une discussion avec l’ensemble des partenaires sociaux mais aussi des élus. ». L’expression "nouveau contrat social" n’est pas nouvelle et paraît même surannée ; elle avait été déjà utilisée par Edgar Faure lorsqu’il a publié ses propositions pour l’avenir en …1973 ("Pour un nouveau contrat social", éd. Seuil) !

Parmi les réformes à ce sujet pour 2019, les retraites, qui devront prendre en compte l’irrégularité des parcours, l’assurance-chômage. Mais aussi : « La solidarité nationale se traduit, enfin, dans l’aide que nous devons, de manière inconditionnelle, aux plus fragiles. ». À savoir : les enfants en danger ou maltraités, les personnes en situation de handicap, les personnes en situation de pauvreté, et enfin, les personnes en situation de dépendance : « Ce que nous avons vu émerger ces dernières années, c’est un nouveau risque social, auquel nous serons tous et toutes confrontés. Une partie de l’angoisse que j’entends nos concitoyens les plus âgés exprimer n’est pas seulement de l’angoisse pour eux-mêmes et leur retraite, elle concerne aussi ce qu’ils vont devenir ou ceux dont ils ont souvent la charge. Il nous faut donc construire pleinement le financement et l’organisation de ce nouveau risque social. Nous ne pouvons plus longtemps l’ignorer, faire semblant ! Nous devons venir au secours des familles, organiser les choses différemment, répondre aussi aux besoins personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, qui font le travail admirable que je décrivais. ». Le Président Nicolas Sarkozy avait, lui aussi, voulu ériger ce cinquième pilier de la Sécurité sociale, mais la crise de l’euro en 2010 l’en avait finalement dissuadé.


Vers un concordat avec l’islam ?

Au-delà des thèmes économiques et sociaux, Emmanuel Macron a évoqué aussi la sécurité, les religions et en particulier l’islam et la culture. Pour l’islam, il a déclaré souhaiter un accord entre les musulmans et l’État pour conforter la compatibilité entre l’islam et la République : « Dès l’automne, nous clarifierons cette situation, en donnant à l’islam un cadre et des règles garantissant qu’il s’exercera partout de manière conforme aux lois de la République. Nous le ferons avec les Français dont c’est la confession et avec leurs représentants. L’ordre public, la civilité ordinaire, l’indépendance des esprits et des individus à l’égard de la religion ne sont pas de vaines paroles en France, et cela impose un cadre rénové, une concorde retrouvée. Cette démarche avait été différée au nom de cette idée que tout se vaut et qu’au fond, notre pays n’est qu’un assemblage chaotique de traditions et de cultures. Sur ce terrain n’ont grandi que l’insécurité morale et l’extrémisme politique. Il est temps pour la République de se ressaisir de la question culturelle et de considérer de nouveau comme de son devoir de faire émerger non une culture officielle, mais une culture partagée. ».

Cette démarche est cependant très sensible. Nicolas Sarkozy avait tenté de la mener sans succès. Elle peut se heurter aussi à tous les partisans de "l’ultra-laïcité" qui voudraient que l’État ne s’occupe en aucun cas des religions (pas d’interdiction, pas de différenciation, mais pas de réglementation). La France a pourtant une belle expertise dans cette capacité à unir les citoyens au-delà de leur religion, grâce à son expérience parfois mouvementée des relations entre la République et l’Église catholique qui ne furent pas toujours au beau fixe mais qui ont pu s’apaiser grâce notamment à la loi du 9 décembre 1905. Cette expertise devrait donc être utilisée avec l’islam.

Toujours sur la culture française : « Nous ne voulons pas une culture officielle, mais une culture française plurielle et vivante, qui puisse continuer à s’épanouir et à rayonner. Nous voulons continuer à produire un imaginaire français. ».


Un clivage européen entre nationalistes et progressistes ?

Emmanuel Macron a évoqué la crise européenne des réfugiés en affirmant clairement : « Jamais la France n’acceptera les solutions de facilité que d’aucuns proposent, qui consisteraient à organiser des déportations à travers l’Europe, pour aller mettre dans je ne sais quels camps, à ses frontières, en son sein ou ailleurs, les étrangers qu’on ne voudrait pas. ».

Sur ce terrain européen, Emmanuel Macron a imprudemment placé le clivage entre les nationalistes et les progressistes, et cette affirmation a même été applaudie par …Marine Le Pen à la fin de l’intervention présidentielle : « Au sein de cette Europe, la France fait entendre sa voix, avec un projet clair, celui que j’ai présenté en octobre dernier à la Sorbonne [en fait, le 26 septembre 2017], celui d’une Europe plus souveraine, plus unie, plus démocratique, celui d’une Europe qui sera portée par une coalition de volontés et d’ambitions, et non plus paralysée par l’unanimisme et capturée par quelques-uns. Mais il faut aussi le dire clairement, la frontière véritable qui traverse l’Europe est celle aujourd’hui qui sépare les progressistes des nationalistes. Nous en avons pour au moins une décennie. Ce sera difficile, mais le combat est clairement posé. Il sera au cœur des enjeux des élections européennes de 2019, qui appartiennent à ces scrutins qui sont aussi des tournants. ».

J’ai écrit "imprudemment" car celui qui a fait exploser, l’an dernier, le système bipartisan de la classe politique (ni droite ni gauche) a curieusement dressé une nouvelle bipolarité. Or, la démocratie signifie qu’un jour ou l’autre, "l’autre camp" sera forcément au pouvoir. En faisant des nationalistes un "camp" à part entière (à la grande joie du FN/RN), Emmanuel Macron a donné le sentiment que celui-ci aurait vocation à devenir un jour majoritaire, ce qui est, à mon sens, très casse-cou politiquement. Comme toute bipolarisation, elle oblige les "ni nationalistes" "ni progressistes" à choisir entre deux "non convictions" au lieu de suivre leur propre voie. On peut imaginer la raison : ce clivage était celui du second tour de l’élection présidentielle de 2017 et a souri à Emmanuel Macron. Mais rien ne garantit qu’il lui sourira encore en 2022. Banaliser un tel clivage pourrait donc mettre la République en danger… Sinon l’Europe dès 2019.


Redonner du sens à l’action politique

Ce discours politique d’Emmanuel Macron est vraiment novateur et ambitieux depuis une trentaine d’années. C’est en mettant des mots aux maux français que le chef de l’État peut expliquer sa politique et peut avoir des chances de réussite. Dans toutes ces explications, aucun diktat américain (les USA de Trump deviennent de plus en plus hostiles), aucun diktat européen (le mal est d’abord français), seulement une réflexion approfondie de la situation sociale, économique et morales de la France et les pistes pour nous redresser collectivement.

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C’est par un tel discours qu’Emmanuel Macron peut bénéficier du monopole des modérés et des raisonnables dans l’échiquier politique. Car ni à droite (LR), ni à gauche (PS), aucun parti ne réussirait aussi bien à sortir de son microcosme politicien pour reprendre de la hauteur de vue et replacer l’action dans un cadre historique que le fait Emmanuel Macron.

C’est pour cette raison, en ce qui me concerne, et malgré plusieurs réticences voire oppositions (notamment sur la réforme des institutions), je reste fier d’avoir voté pour Emmanuel Macron au second tour, pas par défaut mais par adhésion à son projet de société réfléchi et volontaire. Rendez-vous en fin de quinquennat pour y observer ses premiers fruits.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Construire un nouvel État-providence.
Discours du Président Emmanuel Macron le 9 juillet 2018 au congrès de Versailles (texte intégral).
Vous avez dit hyperprésidentialisation ?
Le Président qui assume.
Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017.
François Hollande au Congrès de Versailles le 16 novembre 2015.
Nicolas Sarkozy au Congrès de Versailles le 22 juin 2009.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Réforme Macron des institutions (4) : la totalité du projet gouvernemental.
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Non à la suppression des professions de foi !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180709-macron-congres-2.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/emmanuel-macron-au-congres-2018-2-205930

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/11/36553367.html


 

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