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Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009
Compte rendu intégral
Première séance du mardi 17 mars 2009
Débat et vote sur la déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, faite en application de l’article 49, alinéa 1, de la Constitution sur la politique étrangère, le débat et le vote sur cette déclaration.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, durant ces derniers mois, notre politique étrangère et notre politique de défense ont fait l'objet de plusieurs débats au sein de cette assemblée. Nous avons débattu à trois reprises de la question afghane, et vous avez dû, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, vous prononcer sur la prolongation de nos opérations militaires extérieures.
Sous l'impulsion du Président de la République, le domaine dit autrefois « réservé » est devenu plus ouvert et plus partagé. Nous l'avons voulu ainsi parce que les frontières entre les affaires intérieures et extérieures sont de plus en plus imbriquées.
Je rappelle respectueusement à l'opposition que par le passé le pouvoir régalien du Président s'affirmait pleinement, et François Mitterrand l'a utilisé sans réserve. De son soutien à l'installation des missiles Pershing américains en République fédérale d’Allemagne à l'interruption brutale de nos essais nucléaires en 1992, de l'intervention au Tchad en 1983 à celle en ex-Yougoslavie en 1992, jamais le vote de votre assemblée ne fut sollicité.
M. Henri Emmanuelli. Vous oubliez la guerre du Golfe !
M. François Fillon, Premier ministre. Seul notre engagement en Irak, en 1990, fit l'objet d'un vote de confiance, mais, vous le reconnaîtrez, il intervint alors même que les hostilités étaient déjà engagées.
M. Henri Emmanuelli. C’est faux !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les députés, ce bref rappel du passé nous dispense d’avoir à écouter les leçons de démocratie que certains se plaisent à nous donner aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Parce que notre politique étrangère et de défense est l'affaire de la nation, me voilà devant vous,…
M. Henri Emmanuelli et M. Jean-Paul Lecoq. Mal à l’aise !
M. François Fillon, Premier ministre. … sollicitant la confiance de la majorité pour servir une certaine idée de la France dans le monde. Car oui, ce débat ne peut se résumer à la seule question de l'OTAN, qui ne constitue qu'un des volets de notre diplomatie et de notre sécurité.
Si l'Alliance atlantique était autrefois une réponse des démocraties face à la menace soviétique, et de ce fait l'un des symboles idéologiques et militaires de la guerre froide, elle n'est désormais qu'une structure parmi d'autres. Elle n'est plus et elle n'est pas l'expression d'une politique globale !
En 1966, notre retrait de l'organisation, au paroxysme des tensions entre l’Est et l’Ouest, constitua un choc. Mais en 2009, notre retour ne constitue qu'un ajustement qui, de ce fait, ne provoque aucun émoi dans le concert des nations.
Notre pleine participation aux structures de l'Alliance n'est qu'un moyen parmi d'autres de placer notre pays en capacité de répondre aux défis de notre temps.
La France n'est grande, mesdames et messieurs les députés, que lorsqu'elle est grande pour le monde. C'est ainsi : notre nation s’est toujours investie d'une responsabilité universelle et les circonstances géopolitiques en élargissent aujourd’hui les horizons.
L'interdépendance des enjeux sécuritaires, économiques, écologiques constitue la césure historique avec le XXe siècle. Elle est la conséquence de la disparition de la bipolarité d'hier, de l'extension de l'économie de marché et du développement accéléré des technologies de l'information et de la communication. Cette interdépendance signe la fin du monopole de la puissance et du progrès si longtemps détenu par les seuls Occidentaux. La spectaculaire émergence de la Chine et de l'Inde est le point saillant de ce rééquilibrage politique et économique.
Ce monde globalisé et complexe ne rend que plus légitime et plus nécessaire notre vocation internationale. En son nom, nous croyons à l'égale dignité des nations et à la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Face aux tyrannies, nous sommes l'avocat des droits de l'homme.
Devant l'uniformité rampante, nous défendons de Dakar à Québec la diversité des héritages culturels et linguistiques.
Face aux tentations hégémoniques, nous opposons la légalité internationale et le multilatéralisme.
Devant les grands enjeux actuels, nous militons en faveur d'une mondialisation réorganisée, plus équilibrée et mieux maîtrisée.
Cet universalisme français prolonge la défense de nos intérêts nationaux.
N'en déplaise aux esprits angéliques qui négligent les rapports de forces et aux idéalistes qui prophétisent la fin des nations, la France demeure une puissance qui a des objectifs propres.
Ces objectifs, nous les orchestrons de façon collective. Nos intérêts se conjuguent avec ceux de l'Europe. Ils s'articulent avec ceux de nos alliés les plus fidèles dont font partie les États-Unis, mais aussi avec ceux de nos partenaires qui entretiennent des relations de confiance avec nous.
Au Maghreb, au Proche-Orient, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Russie, il y a des grands peuples avec lesquels nous partageons une estime réciproque qui s'enracine dans les profondeurs de nos mémoires et de notre histoire.
La promotion de nos valeurs et de nos intérêts constitue notre permanence politique. Elle est servie, mesdames, messieurs les députés, par notre indépendance. Notre nation ne reçoit d'ordre de personne ! (Approbations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Elle doit être libre de décider par elle-même et pour elle-même. L'autonomie de notre politique est complète tant sur le plan stratégique, avec notre force de dissuasion nucléaire qui protège nos intérêts vitaux, que sur le plan diplomatique.
M. Jean-Paul Lecoq. Jusqu’à quand ?
M. François Fillon, Premier ministre. De notre engagement armé en Yougoslavie à celui en Afghanistan, de notre refus catégorique de nous associer à la seconde guerre en Irak à l'initiative franco-égyptienne en faveur de Gaza, la France agit et agira toujours selon ses convictions.
Lorsque nous relançons le dialogue avec la Syrie, tant critiquée sur certains de ces bancs, ou avec la Libye, lorsque nous demandons, avant la conférence de Bali, des engagements contraignants de réduction des émissions de CO2, lorsque nous prenons l'initiative d'intervenir dans la crise entre la Russie et la Géorgie, nous décidons et œuvrons selon nos vues.
Cette indépendance de ton et d'action qui est la marque de la France, s'inscrit dans notre choix résolu de la solidarité.
Solidarité d'abord avec l'Union Européenne pour laquelle tous les présidents de la République se sont engagés de façon continue, avec un objectif identique : faire de l'Europe, non pas seulement un espace économique, mais une véritable force politique.
Sous la conduite de Nicolas Sarkozy, la présidence française de l'Union aura révélé l'Europe sous un jour nouveau. Oui, mesdames et messieurs les députés, l'Europe peut influer et peser sur les affaires du monde ! L’Europe a un destin singulier dès lors qu'elle s'en saisit avec courage. L'Europe mérite, avec le traité de Lisbonne, une organisation institutionnelle plus stable. La France a la conviction que l'Europe ne peut rester un géant économique sans prétendre au premier rang diplomatique et militaire.
Solidarité ensuite avec nos alliés, notamment nos alliés américains. De la crise de Cuba à la première guerre en Irak, de la crise des euromissiles au 11 septembre 2001, la France ne s'est jamais départie de son amitié à l'égard du peuple américain.
La France, alliée mais pas vassale, fidèle mais insoumise, toujours fraternelle mais jamais subordonnée : voilà la nature de notre relation avec l'Amérique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
L'Amérique est une puissance globale, et la sagesse comme les réalités géopolitiques nous commandent de juger sa diplomatie sur ses actes et non pas sur ses intentions. L'amitié ne se confond pas avec la naïveté. L'élection du président Obama ouvre pourtant des perspectives que nous devons saisir. Je note d’ailleurs que la gauche a applaudi à tout rompre cette élection américaine, mais qu’elle n'hésite pas à marquer sa défiance vis-à-vis de l'Amérique dès lors que l'on évoque l'Alliance atlantique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Roland Muzeau. C’est vous qui regrettez Bush !
M. François Fillon, Premier ministre. Entre fascination et appréhension, il existe pourtant une voie pragmatique pour renouveler les instruments et les objectifs de la relation franco-américaine et de la relation euro-américaine.
Plusieurs sujets cruciaux réclament une nouvelle dynamique commune.
Il y a d'abord l'Iran.
Notre devoir absolu est d'éviter la contagion nucléaire. Pour cela, nous devons défendre le régime international de non-prolifération.
Nous avons renforcé les sanctions du Conseil de sécurité et poursuivi notre offre de dialogue avec Téhéran. Aujourd'hui, les États-Unis nous rejoignent sur cette approche ferme mais ouverte. Il semble qu'ils convergent vers l'idée que nous défendons depuis longtemps d'un dialogue franc et direct avec Téhéran.
Avec la Corée du nord, la crise iranienne a fait ressurgir la question nucléaire qui est aggravée par le développement des missiles balistiques de moyenne portée.
La question nucléaire doit être résolue par le partage encadré du nucléaire civil. Elle doit l'être aussi par une attitude responsable de la part de ceux qui détiennent la dissuasion. Dans cet esprit, nous demandons aux États-Unis comme à la Chine de ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, comme nous l'avons fait nous-même il y a onze ans.
Nous soutenons la relance d'une négociation entre les États-Unis et la Russie, afin d'aboutir, de part et d'autre, à une dissuasion strictement minimale.
Nous souhaitons enfin l'ouverture sans délai de la négociation d'un traité d'interdiction de la production des matières fissiles pour les armes nucléaires.
Il y a aussi l'Afghanistan.
J'ai défendu ici même la nécessité de l'engagement de la France dans ce pays, qui fut la base arrière du terrorisme international.
M. Roland Muzeau. On voit ce que cela donne !
M. François Fillon, Premier ministre. Je veux ici saluer la mémoire du caporal Belda, du 27e bataillon de chasseurs alpins, qui a trouvé la mort au cours d'un accrochage dans la province de Kapisa, samedi dernier.
Mesdames, messieurs les députés, le courage et le professionnalisme de nos soldats font l'honneur de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Sécuriser l'Afghanistan, reconstruire ses infrastructures, réconcilier le peuple afghan, transmettre aux autorités légitimes les moyens d'exercer la pleine souveraineté de cet État : voilà notre stratégie. Pour tout cela, nous voulons rompre avec une gestion exclusivement militaire de la crise afghane. Il faut une approche politique d'ensemble et il semble que les États-Unis y soient désormais sensibles.
II y a enfin, avec nos partenaires américains, le sujet central de la lutte contre le changement climatique.
Sous l'impulsion de la France, l'Union européenne est parvenue à un accord très ambitieux. Mais l'Europe ne peut agir seule. Les États-Unis semblent enfin prendre, avec la nouvelle administration, la mesure de leurs responsabilités vis-à-vis des prochaines générations. Avec le sommet de Copenhague, il va falloir passer cette année aux décisions et aux actes.
Cette solidarité de la France s'exprime aussi avec l'espace méditerranéen.
Le projet de l'Union pour la Méditerranée marque notre ambition de dessiner les contours d'une étroite collaboration euro-méditerranéenne. Nous voulons désavouer et désarmer ceux qui en appellent au choc des civilisations. Nous refusons la logique des fanatiques. Nous refusons de nous laisser enfermer dans des schémas manichéens. Entre l'Occident et l'Orient, la France est et restera une médiatrice.
M. Jean-Paul Lecoq. C’est mal parti !
M. François Fillon, Premier ministre. En toute indépendance et malgré les critiques, nous avons repris le dialogue avec Damas, parce que nous croyons que la Syrie peut apporter une contribution importante à la paix dans la région.
Elle l'a montré au Liban, avec la conclusion de l'accord de Doha. Elle peut nous aider à convaincre le Hamas de faire le choix de la raison, c’est-à-dire celui de la réconciliation interpalestinienne et de la négociation avec Israël.
Dès le premier jour de la crise de Gaza, le Président de la République française a cherché une issue au conflit, dans un esprit d'équilibre et de justice. Cette crise et son bilan dramatique montrent qu'il n'y aura pas de solution militaire à ce conflit.
La France affirme qu'Israël doit pouvoir vivre en paix, dans des frontières reconnues, et que la Palestine doit pouvoir vivre libre, en jouissant de sa pleine souveraineté.
M. François Sauvadet. Très bien.
M. François Fillon, Premier ministre. Dans cette région, seul le courage des compromis politiques permettra de sortir de l'impasse. C’est dans cet esprit que le Président de la République a proposé de tenir au printemps un sommet de relance du processus de paix.
Solidarité aussi de la France avec l'Afrique.
Nous croyons en l'avenir de cet immense continent meurtri. C'est pourquoi nous demeurons l'un des principaux pourvoyeurs d'aide publique au développement.
Nous nous sommes engagés au Darfour en sécurisant les camps à l'est du Tchad. Nous avons amené, avec Bernard Kouchner, nos partenaires européens à nous appuyer dans la mise en œuvre de l'EUFOR, la plus grande opération militaire de l'Union européenne. Signe de son succès, les Nations unies viennent de prendre le relais de cette force européenne.
Solidarité enfin avec l'Organisation des Nations unies.
Pour la France, le droit international est l'expression d'une morale universelle. II est la source d'un ordre légal face à la violence.
En l'espace d'un demi-siècle, les interventions successives de l'ONU ont couvert les échecs de la Société des nations. Pour autant, la France estime que la gouvernance internationale, issue de l'après-guerre, ne répond que très partiellement aux enjeux d'aujourd'hui.
Nous soutenons le processus de réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et militons en faveur de son élargissement. Nous avons proposé les premiers l'extension du G8 en G14. Nous avons joué un rôle moteur dans la réforme des droits de vote au sein du FMI.
Enfin, nous nous faisons sans cesse les avocats d'une meilleure représentation de l'Afrique au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale.
Avec l'Union européenne, la France a pris la tête des efforts pour bâtir une véritable régulation financière internationale.
M. Pierre Forgues. Hors sujet !
M. François Fillon, Premier ministre. Nous voulons corriger les causes de la crise actuelle. Le Conseil européen du 19 mars définira une position européenne pour le sommet du G20 à Londres le 2 avril.
La France exigera des changements clairs en matière financière : régulation des hedge funds et des agences de notation, encadrement des rémunérations, réforme des normes comptables, lutte contre les centres offshore.
Mesdames, messieurs les députés, s'il est une leçon que nous devons retenir du général de Gaulle, c'est bien celle qui consiste à ne jamais regarder l'avenir avec les yeux du passé. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La politique étrangère, c'est une action pour un idéal à travers des réalités. Ces réalités sont changeantes. Dès lors, rien n'est plus contre-productif et plus dangereux que de sacraliser le statu quo. Nous ne devons jamais hésiter à ajuster et rénover nos politiques dès lors que les faits et nos buts nous le recommandent.
À cet égard, la gauche a l'art d'être en retard d'une révolution stratégique. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) En 1966, elle s'opposa violemment à la décision du général de Gaulle de nous retirer des structures intégrées de l'OTAN. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.) Cette décision trahissait aux yeux de l'opposition d'alors : « une position hargneuse à l'égard de nos alliés américains et une sorte de poujadisme aux dimensions de l'univers ».
M. Roland Muzeau. Précisez qui vous citez !
M. François Fillon, Premier ministre. Ce prétendu « poujadisme » d'hier est devenu votre code de bienséance d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Henri Emmanuelli. Vous n’êtes pas dans votre rôle !
M. François Fillon, Premier ministre. Puis, la gauche s'opposa frontalement à notre force de frappe, et ce n'est qu'en 1978 que les socialistes acceptèrent du bout des lèvres notre dissuasion nucléaire, et cela après le parti communiste. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.) Enfin, je n'ose citer les terribles hésitations de certains de nos hauts responsables devant la chute du mur de Berlin et la réunification allemande.
M. Jean-Louis Bianco. C’est honteux !
M. François Fillon, Premier ministre. À cet instant, l'Europe échappait à l'ordre binaire auquel ils s'étaient accoutumés, mais auquel de Gaulle n'avait pu, lui, se résoudre.
M. Henri Emmanuelli. Guignol !
M. François Fillon, Premier ministre. Il est toujours piquant de voir l'opposition faire appel aux mannes du gaullisme, elle qui le combattit sans relâche !
Quarante ans après les faits, voir la gauche célébrer un héritage qu'elle a tellement contesté, c’est assez heureux mais finalement très conformiste. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
M. Henri Emmanuelli. C’est dur de trahir !
M. François Fillon, Premier ministre. Atlantiste quand il fallait être gaulliste, attentiste lorsqu'il convenait d'être réactif, nostalgique lorsqu'il s'agit d'être pragmatique : la gauche ne s'est jamais distinguée par son audace stratégique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Il y a dix-huit ans de cela,...
M. Roland Muzeau. Vous étiez alors séguiniste !
M. François Fillon, Premier ministre. ...je publiais dans un journal du soir une tribune, peut-être un peu provocante, en faveur du retour de la France dans l'OTAN.
Avec la chute du mur Berlin, j'estimais que nous devions profiter de l'occasion pour rééquilibrer l'Alliance au profit de l'Europe et convaincre nos partenaires de renoncer à la tutelle américaine.
À la lecture de cette tribune, le Président Mitterrand m'invita à venir m'entretenir de ce sujet avec lui.
Je garde en mémoire son verdict : «Vous voyez, me dit-il, nous avons eu tellement de mal à faire venir les Américains en Europe, qu'il ne faut rien faire qui puisse les en faire partir. » À l’évidence, François Mitterrand ne voulait pas d'une initiative qui aurait risqué d'entraîner le désengagement des Américains.
II ne m'appartient pas de juger de l’analyse d'un homme dont la pensée reflétait toute une époque, mais aussi toutes les ambivalences d'une posture oscillant entre indépendance et alliance, défiance et attirance à l’égard des États-Unis.
M. Henri Emmanuelli. Vous utilisez les morts !
M. François Fillon, Premier ministre. En revanche, il me revient de souligner que les termes du débat ont radicalement changé. Notre sécurité ne se joue plus à nos frontières et le spectre de la destruction mutuelle assurée ne pèse plus sur notre continent. La bipolarité d'antan a laissé place à la multiplicité des acteurs et à la dissémination des risques. La France et l'Europe ne sont plus menacées d'envahissement. Leur sécurité n'est pas pour autant acquise.
De nouvelles menaces exacerbées par les conflits en cours au Proche et Moyen-Orient ont surgi : le terrorisme global qui instrumentalise et détourne l'islam, la prolifération des armes de destruction massive.
L'URSS est devenue la Russie et s'est ralliée à l'économie de marché. L'empire soviétique disloqué, ses États satellites se sont libérés et ont rejoint l'Union européenne et, pour certains d'entre eux, l'Alliance atlantique.
Les États-Unis ont retiré 80 % de leurs forces de notre continent qu'ils ne jugent plus comme une priorité au regard des intérêts que recouvrent l'Asie et le Moyen Orient.
L'ONU, je l'ai dit, s'est renforcée et l'Europe s'est affermie. À la lisière de toutes ces transformations, l’OTAN n'est plus l'organisation dont certains parlent.
Il y a quarante ans, le général de Gaulle se retirait d'une organisation compacte, dressée face au pacte de Varsovie, et exclusivement dirigée par les États-Unis. Depuis, c'est la notion de coalition d'États volontaires à participation variable qui s'est imposée au détriment des schémas rigides de la guerre froide.
En 1966, mesdames et messieurs les députés, la logique des blocs réglait la géopolitique mondiale.
Rester dans les structures intégrées de l'OTAN, c'était aliéner les choix politiques de la France à cette logique binaire que le général de Gaulle voulait justement transcender.
En 1966, les États-Unis imposaient la doctrine de la riposte graduée à l'OTAN et ils n'y prévoyaient aucun partage des responsabilités. Rester dans les structures intégrées, c'était prendre le risque de nous retrouver engagés dans des conflits qui n'étaient pas les nôtres.
En 1966, il y avait 26 000 soldats américains sur le sol français, et aucune perspective de réorganisation de l'Alliance.
En 1966, la France disposait, depuis deux ans, d'armes nucléaires opérationnelles et notre stratégie de dissuasion et d'action nous portait à repenser les termes de notre autonomie.
Cette autonomie ne fut cependant jamais conçue comme une marque de neutralité ou de défiance vis-à-vis de l'Alliance atlantique dont nous sommes toujours restés membres.
Du reste, à peine le retrait décidé, nous confirmons par plusieurs accords notre volonté de continuer à travailler avec l'OTAN – l'accord Ailleret-Lemnitzer en 1967 et l'accord Valentin-Ferber en 1974.
En 1983, se tient à Paris un Conseil atlantique, ce qui constituait une première depuis 1966. En 1991, la France participe à la rédaction du nouveau concept stratégique de l'Alliance. Dans les années 1990, nous sommes de toutes les opérations en Bosnie, où la France, pour la première fois, participe à une opération de l'OTAN.
À partir de 1993, toujours sur décision de François Mitterrand, le chef d'état-major des armées est autorisé pour la première fois à intervenir au comité militaire de l'OTAN, sur les questions de maintien de la paix. À partir de 1994, il y est autorisé sur l'adaptation des structures de l'Alliance, sur la coopération avec l'Est et sur la non-prolifération.
Mme Élisabeth Guigou. Pourquoi changer, alors ?
M. François Fillon, Premier ministre. En 2004, plus d'une centaine de Français sont affectés aux commandements de Mons et Norfolk. Aujourd'hui, nos troupes sont engagées avec l'OTAN au Kosovo et en Afghanistan. Nous sommes le quatrième contributeur de l'OTAN en termes de forces et nous sommes présents dans quasiment tous les comités de l'OTAN.
M. Jérôme Lambert. Cela suffit.
M. François Fillon, Premier ministre. Insensiblement, les faits et la volonté politique recréaient donc notre participation croissante aux structures de l'OTAN. II s'agit aujourd'hui de franchir une dernière marche.
Cette dernière marche, prétend l'opposition, affaiblira notre indépendance, ce qui est naturellement faux. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il faut avoir peu confiance en la France pour penser un instant qu'elle puisse être ligotée par sa présence dans un comité.
M. Jean Michel. Si !
M. François Fillon, Premier ministre. Et c'est, au surplus, bien mal connaître le fonctionnement de l'OTAN.
Depuis la déclaration d'Ottawa de 1974, rien ni personne ne vient contester l'autonomie de notre stratégie nucléaire qui n'est pas négociable.
Chacun sait que la participation à l'OTAN n'entraîne aucune automaticité politique et que les décisions du Conseil atlantique sont prises à l'unanimité.
M. Roland Muzeau. Dans ces conditions, pourquoi changer ?
M. François Fillon, Premier ministre. Dois-je rappeler que l'Allemagne a refusé de s'engager en Irak aux côtés des Américains et que la Turquie a refusé de leur servir de base arrière pour ce même conflit ?
Dois-je souligner que même dans le cadre de l'Article V de l'Alliance, qui concerne la défense collective en cas d'agression d'un de ses membres, chaque nation décide des moyens qu'elle entend employer ?
M. Henri Emmanuelli. Dans ces conditions, pourquoi revenir dans le commandement intégré ?
M. François Fillon, Premier ministre. Nous conserverons l'indépendance de notre dissuasion nucléaire et notre liberté d'appréciation sur l'envoi de nos troupes. Nous ne placerons pas de contingent en permanence sous commandement allié en temps de paix.
Ces trois principes sont du reste posés par le livre blanc, et personne au sein de l'Alliance n'a trouvé à les contester.
Et puis j'invite ceux qui jouent sur la corde nationale à aller dire, les yeux dans les yeux, à Angéla Merkel, Gordon Brown ou José Luis Zapatero, que leurs nations ne sont pas souveraines dans leurs choix ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est pourtant la vérité !
M. François Fillon, Premier ministre. En réalité, la question de l'indépendance et de l'autonomie qu'agite l'opposition n'en est pas une. La vraie question, me semble-t-il, est la suivante : pourquoi prendre cette décision maintenant et pour quoi faire ?
Pourquoi maintenant ?
Nous sommes là au cœur d'un des principes clés de la politique étrangère : l'art d'utiliser les circonstances. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Quatre événements nous poussent à réinvestir l'OTAN : premièrement, la présidence française de l'Union européenne, qui a redonné du sens à l'action politique et à l'autonomie diplomatique de l'Europe, comme l'a montré la crise géorgienne ; deuxièmement, l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui doit servir de levier pour accentuer l'efficacité et le rayonnement de l'Union européenne ;…
M. Daniel Garrigue. Il n’y a aucun lien !
M. François Fillon, Premier ministre. …troisièmement, l'arrivée d'une nouvelle administration américaine, dont il faut saisir au plus vite les potentialités, avant que les habitudes ne reprennent le dessus ; (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) quatrièmement, la redéfinition du concept stratégique de l'OTAN, qui date de 1999.
M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas sérieux.
M. François Fillon, Premier ministre. Voilà les circonstances qui militent en faveur d'une initiative française.
Que voulons-nous faire dans l'OTAN et que voulons-nous faire de l'OTAN ?
M. Maxime Gremetz. La Guerre ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. François Fillon, Premier ministre. C'est la seconde question qui importe.
Notre nation entend faire partager ses convictions. Pour la France, l'OTAN doit d'abord être un instrument de défense destiné à la protection de ses membres. Elle doit être avant tout une alliance militaire, fondée sur des valeurs communes, et non une sorte de fer de lance occidental agissant partout et sur tout.
M. Maxime Gremetz. Un bloc !
M. François Fillon, Premier ministre. En dehors de cela, elle est au service du droit international et ne peut être l'outil d'un interventionnisme unilatéral.
Un député du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. C’est ridicule !
M. François Fillon, Premier ministre. Nous voulons défendre la règle du consensus au Conseil atlantique dont dépend la prise en compte de nos positions. Nous voulons alléger et simplifier les structures actuelles. Nous voulons, dans le cadre des accords Berlin Plus, donner à l'Union européenne le pouvoir d'utiliser réellement les moyens de l'Alliance. Nous voulons, en réinvestissant l'OTAN, permettre à notre pays d'influer plus largement sur la définition des stratégies et la conduite des opérations. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous voulons en particulier, mesdames et messieurs les députés, que la Russie soit traitée en partenaire. C'est à Paris, en mai 1997, que fut signé, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, l'acte fondateur sur la coopération et la sécurité mutuelles entre l'OTAN et la Russie.
La France, avec son partenaire allemand, croit à la nécessité de respecter la Russie.
M. Jean-Paul Lecoq. En plaçant des missiles en Pologne ?
M. François Fillon, Premier ministre. Cette grande nation européenne doit être amenée à contribuer aux équilibres du monde. Depuis le XVIIIe siècle, ce pays immense a toujours été au centre des équilibres européens. Comme avec les États-Unis, nous avons des liens particuliers avec le peuple russe qui, par deux fois, en août 1914 et en 1944, contribua à sauver la France. Le dialogue et la collaboration avec Moscou sont parfois difficiles mais ils sont indispensables. Ils ne peuvent en aucun cas se limiter au seul face à face avec les États-Unis. La France et l'Europe doivent y prendre toute leur place.
Nos relations avec la Russie ne doivent pas être bousculées par des élargissements précipités de l'Alliance atlantique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est du reste dans cet esprit que nous nous sommes opposés, avec l’Allemagne, aux décisions qui prévoyaient ces élargissements lors du dernier Conseil atlantique. En retour, la Russie doit respecter l'indépendance des pays qu'elle a elle-même acceptée. Nous avons en partage la stabilité et la sécurité de notre continent. Nous sommes communément menacés par les risques de dissémination nucléaire et par le développement des armes balistiques de moyenne portée. Face à cette menace potentielle, c'est ensemble, c'est-à-dire avec la Russie, que nous pourrions imaginer un système de défense anti-missile compatible, étant entendu que, pour la France, cela ne saurait jamais être qu'un complément à la dissuasion nucléaire et en aucun cas une alternative.
De l'Atlantique à l'Oural, c'est ensemble que nous devons définir un nouveau pacte de sécurité continental !
Mesdames et messieurs les députés, la France prend toute sa place dans l'OTAN pour donner à l'Europe de la défense sa véritable dimension.
M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas sérieux !
M. François Fillon, Premier ministre. Pourquoi l'Europe reste-t-elle encore en ce domaine, et malgré les progrès accomplis, bien en deçà de ce qu'elle devrait être ?
La raison en est simple, et elle n'est pas nouvelle – chacun la connaît – : pour nos principaux partenaires européens, un pas de plus vers l'Europe de la défense a toujours été considéré comme un pas en arrière dans l'OTAN. Les Européens ne veulent pas avoir à choisir entre l’Europe de la défense et la protection que les Américains, à travers l’Alliance atlantique, leur apportent. Cette crainte inhibe les initiatives. Nous voulons la dissiper.
Nous voulons stopper ce jeu à somme nulle qui consistait à monter l'Europe de la défense contre l'OTAN et l'OTAN contre l'Europe de la défense. Nous voulons sortir l'Europe de cette impasse en allant convaincre nos partenaires là où ils sont, c'est-à-dire à l'OTAN ! Et il est difficile de dire, comme je l’ai entendu tout au long de cette matinée, que notre pleine participation à l’OTAN va affaiblir l’Europe de la défense alors même que l’ensemble des pays de l’Union européenne salue la décision que nous venons de prendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Mme Élisabeth Guigou. Cette décision, au contraire, va tuer l’Europe de la défense !
M. Maxime Gremetz. Quelle arrogance !
M. François Fillon, Premier ministre. Pour audacieuse qu'elle soit, cette décision n'est pas totalement inédite.
En 1990, alors que le débat sur l'architecture européenne post-guerre froide battait son plein, François Mitterrand s'interrogea sur la façon de résoudre la triple équation que nous avons décidé de trancher : comment réconcilier le statut particulier de la France et sa participation croissante dans les activités de l'Alliance ? Comment peser sur les évolutions de l'institution atlantique ? Enfin, comment, du même coup, faire émerger une défense européenne digne de ce nom ? Le Président Mitterrand tenta de résoudre cette équation, sans y parvenir.
Entre 1995 et 1997, Jaques Chirac lança, très officiellement, une initiative destinée à replacer la France dans l'OTAN avec, pour contrepartie, l'attribution du commandement de la zone sud et le renforcement du pilier européen de défense. L'initiative, on le sait, échoua.
Aujourd'hui, le Président de la République renouvelle les termes de cette ambition, avec la conviction que les conditions s'y prêtent et qu'il faut agir maintenant.
Elles s'y prêtent car les États-Unis reconnaissent enfin l'utilité et la légitimité d'une Europe de la défense plus solide.
M. Roland Muzeau. Tu parles !
M. François Fillon, Premier ministre. Elles s'y prêtent car l'Europe prend chaque jour un peu plus ses responsabilités.
M. Jean-Louis Bianco. Sans rien obtenir en échange !
M. François Fillon, Premier ministre. Sous la présidence française de l'Union européenne plusieurs décisions ont été actées sous l’impulsion d’Hervé Morin. Une direction de la planification civile et militaire sera créée au mois de juin prochain. Elle disposera d'une composante déployable. Des projets capacitaires à géométrie variable, tels que la création d'une flotte de transport aérien stratégique et le lancement d'un programme de satellites d'observation militaire, sont lancés.
Les vingt-trois opérations civiles ou militaires, que nous menons avec les autres pays de l’Union européenne en ce moment même, prouvent que l'Europe est en mesure de faire entendre sa voix et sa force.
C'est le cas dans le Golfe d'Aden face aux pirates. Je tiens à noter que ce sont la France et l’Europe qui, les premiers, ont pris l’initiative d’intervenir pour mettre un terme aux pratiques moyenâgeuses qui rendent le trafic maritime dangereux dans cette région. C'est le cas au Tchad où nous avons permis le retour de 40 000 réfugiés.
M. Jean-Paul Lecoq. Démonstration est donc faite qu’il n’y a pas besoin de l’OTAN !
M. François Fillon, Premier ministre. C'est le cas en Géorgie où l'Europe surveille la situation. Et ce pourrait être enfin le cas pour sécuriser les frontières de Gaza.
Au cœur de toutes ces opérations, il y a la France, qui est bien décidée à donner à l'Union européenne l'audace qui lui fit, par le passé, trop souvent défaut.
M. Henri Emmanuelli. Pourquoi changer, alors ?
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, je connais les critiques de l'opposition et je les crois peu convaincantes.
Notre indépendance et notre autonomie, dit-elle, seront réduites.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai.
M. François Fillon, Premier ministre. J'ai répondu à cette contre-vérité qui ignore le fonctionnement de l'Alliance atlantique.
En toute hypothèse, le destin de la France ne se décide pas dans des comités !
M. Pierre Gosnat. Ni à Paris !
M. François Fillon, Premier ministre. D'autres dans l'opposition prétendent que notre réintégration, dont ils conviennent qu'elle est déjà très largement engagée, serait inutile. Mais si elle est, comme ils le disent, inutile, notre pleine participation à l'OTAN n'a donc pas la gravité qu'ils tentent par ailleurs de démontrer ! J'ai répondu qu'il fallait sortir du statu quo pour provoquer au sein de l'Alliance et de l'Europe une nouvelle donne.
En mal d'arguments solides, l'opposition évoque enfin la question du symbole. C'est un argument que je ne balaye pas d'un revers de main. Notre histoire est traversée de symboles.
Quarante ans après la décision de 1966, que nous soyons encore là à évoquer l'héritage du général de Gaulle soulève en moi une fierté et une immense gratitude pour l'homme du 18 juin. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Maxime Gremetz. Mais vous l’enterrez une deuxième fois !
M. François Fillon, Premier ministre. Mais toute sa vie, le Général s'est défié des situations acquises. Les circonstances dictent les actes. Les actes doivent anticiper les situations de demain et non reproduire celles d'hier. Seuls comptent le rang et l'intérêt de la France. Or rien n'est plus contraire à notre rayonnement que la nostalgie.
M. Henri Emmanuelli. Vous confondez nostalgie et trahison !
M. François Fillon, Premier ministre. La donne géopolitique ayant changé, nous prenons l'initiative ! Nous la prenons en Europe, à l'ONU, au G20 et dans l'Alliance atlantique. Nous sommes en mouvement, l'opposition est à l'arrêt. Nous regardons le monde, l'opposition s'observe. Nous tentons de saisir le cours de l'Histoire, l'opposition tente vainement de la freiner.
Pour tous les peuples qui se font une certaine idée de notre République, la France reste la France, avec son exigence de vérité et son exigence de grandeur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
M. Maxime Gremetz. Soumission !
M. Henri Emmanuelli. Vous vous couchez !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, en son nom, et selon les termes de l'article 49, alinéa 1, de la Constitution, j'invite le Parlement à honorer le Gouvernement de sa confiance. (Les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent le Premier ministre.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
(M. Marc Laffineur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président
M. Jean-François Copé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, après le vote sur l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan en septembre 2008, après le vote sur le maintien de nos soldats en opérations extérieures en janvier 2009,…
M. Pierre Gosnat. Au service des Américains !
M. Jean-François Copé. …nous voici appelés une nouvelle fois à voter en conscience sur une décision dont la dimension symbolique – et probablement historique – n’a échappé à personne. D’abord parce qu’elle est une nouvelle illustration du changement institutionnel en cours.
M. Maxime Gremetz. Vous ne respectez même pas la Constitution !
M. Jean-François Copé. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à 1966. Lorsque le général de Gaulle a décidé le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN, il l’a fait par une lettre au président américain, le Parlement français n’ayant eu son mot à dire que parce que l’opposition avait déposé une motion de censure.
En 2009, la représentation nationale est totalement impliquée dans le long processus de rénovation de nos relations avec l’OTAN. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Henri Emmanuelli. Nous n’avons pas le choix !
M. Jean-François Copé. Il y a eu l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, avec un débat ici même en juin, puis des consultations parlementaires nombreuses et approfondies – le groupe UMP ayant par exemple reçu le conseiller diplomatique et le chef d’état-major particulier du Président de la République. Enfin, nous en débattons ici même avant d’émettre un vote décisif. (« Mais non ! » sur de nombreux bancs du groupe GDR.)
J’étais un partisan résolu d’un engagement de la responsabilité du Gouvernement devant notre Assemblée.
M. Maxime Gremetz. Pas sur cette question !
M. Jean-François Copé. Je salue donc cette décision car elle marque, selon la formule que vous avez employée le 22 septembre dernier, monsieur Fillon, « la fin du domaine réservé ». Ce geste correspond à l’esprit et à la lettre de notre nouvelle Constitution.
M. Maxime Gremetz. Vous avez peur du peuple et de votre majorité !
M. Jean-François Copé. Ce n’est pas la IVe République non plus que la VIe, mais la Ve bis : un régime dans lequel le Président de la République est chargé de l’essentiel mais dans lequel le Parlement, expression de la souveraineté nationale, prend toute sa part aux grands débats et, le cas échéant, par un vote.
M. Jean-Paul Lecoq. C’est faux !
M. Jean-François Copé. C’est dire, mes chers collègues, que ce vote, aujourd’hui, est de très grande importance, qu’il crée un précédent.
M. Jean-Paul Lecoq. Pas un précédent démocratique en tout cas !
M. Jean-François Copé. Cette nouvelle responsabilité nous oblige et commande que nous parlions franchement. Aussi, au nom du groupe UMP, vous livrerai-je ma conviction et mon cheminement personnel sur cet enjeu majeur.
D’abord, notre retour dans le 39e comité de l’OTAN, celui des plans de défense, est souvent présenté comme une pièce d’un puzzle cohérent et à juste titre.
M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-François Copé. Je concentrerai mon propos sur cette décision. Ne tournons pas autour du pot : l’OTAN est le cœur du débat qui nous mobilise aujourd’hui. (« Mais non ! » sur quelques bancs du groupe GDR.) Comme en toutes circonstances, la seule question qui vaille est celle de l’intérêt de la France. En conscience, ma réponse est simple.
M. Henri Emmanuelli. Parlons-en, de votre conscience !
M. Jean-François Copé. Il est dans notre intérêt de reprendre toute notre place dans le commandement de l’OTAN. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
M. Maxime Gremetz. De Gaulle avait fait une erreur ?
M. Jean-François Copé. Nous sommes aujourd’hui dans la situation ubuesque…
M. Henri Emmanuelli. Nous n’avons pas le choix !
M. Jean-François Copé. …où nous subissons tous les inconvénients d’un engagement de poids dans les structures de l’Alliance sans en avoir aucun avantage.
Prenons l’exemple de l’Afghanistan : 3 400 de nos soldats sont engagés dans cette mission, sur le terrain. Nous avons même le commandement de la région de Kaboul. Pourtant, ne participant pas au commandement militaire au niveau stratégique, la France n’est pas associée à la préparation de décisions essentielles destinées à assurer le succès de l’opération. Qui peut soutenir que c’est normal ? (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Qui peut dire sérieusement qu’il trouve normal que nous soyons le quatrième contributeur en hommes, le cinquième en moyens financiers, sans être partie prenante de la définition de la stratégie au plus haut niveau ?
M. Gérard Bapt. Ça ne changera rien !
M. Jean-François Copé. Rien que pour cette raison, je suis partisan d’assumer toutes nos responsabilités. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Ma conviction est claire : si nous acceptons d’envoyer des soldats lorsque notre intérêt est en jeu, nous devons avoir le droit de participer aux décisions stratégiques sur leur emploi. C’est pour moi un devoir à l’égard des hommes et des femmes qui risquent leur vie pour la France.
Je le dis avec d’autant plus de vigueur que, comme mes collègues, j’ai étudié cette question sans a priori.
M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-François Copé. Je me suis forgé une conviction : comme pour beaucoup de Français, le 7 mars 1966 faisait pour moi figure de date mythique.
M. Maxime Gremetz. Vous faites preuve d’atlantisme !
M. Jean-François Copé. À l’école, on nous présentait presque cet événement comme la naissance de l’indépendance nationale. Nous finissions d’ailleurs par apprendre, par un raccourci, que la France était sortie de l’OTAN. La vérité est que nous ne l’avons jamais quittée. En effet, dès 1967, nous avons entamé une longue marche pour affirmer davantage notre participation à l’Alliance.
Je vous invite à lire l’ouvrage de Pierre Lellouche (Exclamations ironiques sur les bancs des groupes SRC et GDR), très documenté, qui montre très justement ce qu’il en est de l’histoire des relations entre la France et l’OTAN. Ainsi, dans l’intérêt de la France, François Mitterrand puis Jacques Chirac ont travaillé à un rapprochement progressif. Si Jacques Chirac avait finalement refusé que la France revienne pleinement dans le commandement de l’Alliance, c’est parce qu’il estimait que deux conditions n’étaient pas remplies.
La première concernait le partage des responsabilités au sein du commandement. Il y avait à l’époque un blocage de nos alliés américains. Les temps ont changé et bien des réticences sont tombées. La seconde condition, c’était l’avancée de la défense européenne. Là aussi, la situation a évolué et le malentendu est levé puisque, pour la première fois, il y a un an, les États-Unis ont reconnu explicitement cette avancée au sommet de l’OTAN à Bucarest.
Quant aux Européens, ils ont très clairement exprimé, dans le traité de Lisbonne, que défense européenne et OTAN constituaient les deux piliers d’une même stratégie.
Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse et de vous faire part de notre surprise en apprenant que les députés socialistes avaient choisi Laurent Fabius comme porte-voix pour ce débat. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – « Et alors ? » sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Vous grognez, mais au moins, cette fois, c’est pour quelque chose. Surprise aussitôt transformée en impatience ! M. Fabius va sans doute nous dire, comme il l’a fait dans les médias, que la défense européenne est sa nouvelle obsession et que notre implication renforcée dans l’OTAN la rendrait impossible. Nous brûlons d’impatience, à droite, de comprendre comment il va l’expliquer sans rire, lui qui s’est opposé à toutes les avancées récentes de la défense européenne,…
M. Jean-Louis Bianco. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-François Copé. …en votant d’abord « non » au traité constitutionnel puis « non » au Traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Au demeurant, soyons justes, cette incapacité à surmonter les clivages partisans pour reconnaître l’intérêt de la nation est un problème constant à gauche depuis plusieurs années. En effet, à gauche, vous êtes systématiquement contre et, dans le meilleur des cas, nous avons droit à l’abstention. Cela, même quand le consensus serait possible : « non » au traité de Lisbonne, « non » à la réforme des institutions, « non » à l’envoi de renfort en Afghanistan,…
M. Henri Emmanuelli. « Non » au paquet fiscal !
M. Jean-François Copé. …et, aujourd’hui, je crains que vous ne soyez défavorable à la réintégration du commandement intégré de l’OTAN.
Quand, à droite, nous nous trouvions dans l’opposition, nous avions une autre conception de l’intérêt national et nous avions voté, avec la majorité de gauche, en faveur de l’envoi de troupes en Afghanistan et de l’ensemble des décisions européennes. Il est des moments où nous assumons le fait que l’intérêt de la France est bien supérieur aux clivages partisans dont vous ne savez jamais vous défaire. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Sans vouloir aggraver mon cas, j’ai tout de même constaté que vous avez enfin accepté le principe de la dissuasion nucléaire en 1978. Je ne désespère donc pas de vous voir un jour nous rejoindre sur les positions que nous défendons aujourd’hui qui répondent à l’intérêt de la France.
M. Jean-Marc Roubaud. Il serait temps !
M. Jean-François Copé. Si la décision sur l’OTAN était incompatible avec le renforcement de la défense européenne, je l’affirme en conscience : je ne l’aurais pas acceptée. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Vingt-trois États membres de l’Union européenne sont membres de l’OTAN, dont l’ensemble des anciens pays de l’Est sans lesquels nous ne pourrons pas construire de défense européenne. Eux qui ont vécu le traumatisme de l’histoire ont quelques bonnes raisons de trouver dans l’OTAN une première explication de leur présence au sein de l’Europe. Nous devons nous montrer pragmatiques et constants. La réintégration de l’OTAN est une étape essentielle dans la construction de la défense européenne de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Pierre Gosnat. Où est l’ennemi ?
M. Jean-François Copé. J’en viens rapidement aux objections à la démarche que nous appelons de nos vœux. Au sujet de l’indépendance de la France, je trouve vraiment choquant d’entendre que notre pays remettrait en cause son indépendance face aux États-Unis, alors même que le système de décision est individuel et qu’un pays comme l’Allemagne a refusé de participer à la guerre en Irak,…
M. Henri Emmanuelli. Parce que nous étions là !
M. Jean-François Copé. …tout en étant présent au sein des instances de l’OTAN. De la même manière, l’approche de la gauche est choquante car cette même gauche qui nous explique qu’Obama est l’homme de la situation,…
M. Roland Muzeau. Pour vous, c’était Bush, n’est-ce pas ?
M. Jean-François Copé. …passe son temps à expliquer – posture bien française à gauche et parfois ailleurs – que si les États-Unis sont contents, c’est mauvais, et s’ils sont mécontents, c’est bien. Cette approche n’est ni juste ni fausse mais totalement décalée par rapport à la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Enfin, la France perdrait sa vocation diplomatique spécifique...
M. Pierre Gosnat. C’est déjà le cas !
M. Jean-François Copé. …en intégrant le 39e comité de l’OTAN. Je me fais pour ma part une autre idée du message universel de la France. Il ne se banalisera pas parce qu’elle entrera au sein du 39ecomité.
M. Roland Muzeau. Le message de la France est déjà banalisé !
M. Jean-François Copé. Ce sera en revanche le cas si elle renonce à ce à quoi elle croit profondément depuis des décennies. Nous sommes convaincus, à l’UMP, que la France a bien des messages à délivrer au monde.
En outre, notre présence au sein de l’OTAN permettra justement la rénovation de cette institution qui en a bien besoin, et nous permettra d’assumer, partout où le monde l’exige, les valeurs universelles de notre pays.
M. Jérôme Bignon. Très juste !
M. Jean-François Copé. Il est donc dans l’intérêt de la France d’intégrer le 39ecomité de l’OTAN et de montrer par là que nous sommes pragmatiques, que nous savons regarder l’avenir – première condition de l’aptitude d’un homme d’État au commandement.
Tant pis si la gauche a du retard,…
M. Henri Jibrayel. Hou !
M. Jean-François Copé. …mais nous devons assumer cette décision dans l’intérêt de la France et des valeurs universelles que nous servons. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Fabius.
M. Laurent Fabius. Monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite, monsieur le Premier ministre, commencer mon propos en formulant à votre égard un compliment. Je trouve qu’il faut beaucoup de talent – et vous en avez – pour exposer pendant une demi-heure les raisons qui justifient, selon vous, la réintégration de la France dans le commandement militaire de l’OTAN, sans aborder les trois contradictions majeures qui faussent ce débat.
La première, évidente, est chronologique. Vous affirmez que ce débat est décisif ; sauf que la décision a déjà été prise et rendue officielle par le Président de la République la semaine dernière. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Jean-Michel Boucheron. Eh oui !
M. Jean-François Copé. Sauf si l’on ne vote pas la confiance !
M. Laurent Fabius. Je relève une contradiction de procédure ensuite. On nous dit que nous appliquons la Constitution, le Gouvernement engageant sa responsabilité. Il y aurait eu d’autres possibilités. Certains pensent que sur une affaire aussi essentielle, il aurait fallu consulter la population. Depuis la révision constitutionnelle, aux termes de l’article 50-1, il aurait également été possible, pour le Gouvernement, de faire une déclaration pouvant donner lieu à un vote mais sans que sa responsabilité ne soit engagée. Or, si vous choisissez d’engager aujourd’hui la responsabilité du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, nous avons bien compris que ce n’était pas seulement sur la question de la réintégration de l’OTAN mais, plus généralement, sur votre politique étrangère.
M. Frédéric Lefebvre. Les deux sont liées !
M. Laurent Fabius. Vous auriez ainsi quelque difficulté à assumer votre attitude – troisième contradiction. En effet, si je vous ai bien entendu, vous soutenez, comme le Président de la République, que cette décision, au fond, ne change rien. Ne faisons-nous pas déjà partie de 38 comités sur 40 ? Ne nous contenterions-nous pas d’interpréter une partition qui existe déjà ?
Mais si c’était le cas, mes chers collègues, alors pourquoi ces déclarations officielles du Président de la République ? Pourquoi cet engagement de responsabilité ? Pourquoi la nouvelle position de la France est-elle la question centrale du soixantième anniversaire de l’OTAN ? Pourquoi, dans tellement de chancelleries à travers le monde, qui jusqu’ici n’avaient pas été particulièrement enclines à aider l’indépendance de la France, se réjouit-on de cette nouvelle position ?
Et surtout, mes chers collègues qui vous en prenez à la gauche, pourquoi un Premier ministre issu de vos rangs fustige-t-il cette décision en disant – le terme est peut-être excessif, mais c’est le sien – qu’elle risque de nous faire passer « sous les fourches caudines d’un pays étranger » ? C’est un Premier ministre UMP qui parle ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Et si l’on m’objecte que ce point de vue reflète une tendance particulière, je rappellerai qu’un autre Premier ministre, qui a plus de retenue,…
M. Henri Emmanuelli. À Bordeaux !
M. Laurent Fabius. …s’interroge publiquement, avec une retenue qui n’a d’égale que sa cruauté.
M. Bernard Deflesselles. Il y a d’autres Premiers ministres. Pourquoi ne les citez-vous pas ? Il y a M. Raffarin, par exemple.
M. Laurent Fabius. Comme vous sentez très bien cela, monsieur le Premier ministre, vous changez de registre et vous nous dites en substance : c’est une décision fondamentale, et j’en apporte les justifications. Je voudrais me situer sur ce terrain, car c’est effectivement la question principale.
Mais auparavant, une précision, tout de même. Vous nous avez parlé de politique étrangère, et c’est normal : les choses sont liées. Je n’ai pas le temps, à cette tribune, de dresser le bilan détaillé de la politique étrangère de M. Sarkozy. Mais enfin, si j’en av
Mme Françoise de Panafieu. C’est déjà beaucoup !
M. Laurent Fabius. …ce qui, incontestablement, est moins bon, je pense aux palinodies absolument incompréhensibles sur nos relations avec la Chine ; ce qui est proprement incongru, je pense aux déclarations sur le Québec ; et ce qui est carrément mauvais, je pense au scandaleux discours de Dakar sur « l’homme africain » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR), je pense à la difficulté d’établir des relations stables avec nos voisins européens, je pense aussi, et ce n’est pas une petite affaire, à notre absence de ce continent du futur qu’est l’Asie et du Pacifique, alors que c’est là que se jouera l’avenir dans bien des domaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J’en viens aux justifications que vous avancez, monsieur le Premier ministre.
La première, nous l’avons tous entendu, c’est le contexte international, et ce à partir d’un raisonnement qui relève d’une pratique que M. le Président de la République affectionne, celle des fausses évidences. On nous dit : écoutez, la décision prise par le Général de Gaulle, c’était il y a quarante-trois ans ; depuis, le monde a changé ; donc, il faut changer.
C’est vrai que le monde a changé. Personne ici n’ira contester que l’URSS n’existe plus, que le Pacte de Varsovie n’existe plus,…
M. Pierre Lellouche. Et vous étiez pour le désarmement unilatéral, rappelez-vous !
M. Laurent Fabius. …que l’Europe s’est développée, que les pays émergents sont apparus. Bien sûr, le monde a changé. Mais il ne s’agit pas de disserter sur les changements du monde, il s’agit de savoir si l’occurrence de ces changements et la vision qu’en a la France doivent nous amener ou pas à changer de position sur nos relations avec l’OTAN.
Et là, nous sommes en complet désaccord. Vous avez évoqué la décision du Général de Gaulle, à laquelle il est tout à fait exact que les socialistes – et d’autres, d’ailleurs – étaient opposés. Mais quels sont les fondements de la décision qu’il a prise en 1966 ? Ils résident en ceci que, dans un regard anticipateur, il était opposé au monde bipolaire, et appelait de ses vœux un monde multipolaire. C’est ce que nous, socialistes, groupe SRC, nous voulons faire aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et vous êtes complètement à contre-courant, alors même que ce monde multipolaire est en vue, de vous raccrocher à la logique des blocs et de faire en sorte que l’alpha et l’oméga de votre position soit la défense de l’OTAN, la défense de « l’Occident ». Nous n’acceptons pas ce concept, qui est dangereux, parce qu’il est à la base de tensions dans le monde. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Pierre Lellouche. C’est n’importe quoi !
M. Laurent Fabius. Le contexte international, c’est la première justification. Elle ne vaut pas.
La deuxième, ce sont les fameuses « contreparties ». Je veux m’y arrêter un instant, si toutefois on veut bien, sinon m’entendre, du moins m’écouter.
Vous nous dites, monsieur le Premier ministre : il y a des contreparties militaires. Les ministres nous ont parlé en commission, et j’imagine que vous n’allez pas le démentir, du fait que nous seraient « promis », si nous réintégrons le commandement militaire, un commandement à Norfolk, en Virginie, et un autre à Lisbonne. Et je vois le ministre des affaires étrangères qui approuve.
Tous les spécialistes de ces questions, et il y en a de nombreux dans cet hémicycle, savent que ces commandements – comment dire, pour ne vexer personne ? – ne sont pas les commandements majeurs.
M. Bernard Deflesselles. C’est faux ! C’est une contrevérité !
M. Laurent Fabius. Et d’ailleurs, si je devais avancer une preuve irréfutable de ce que j’avance, je rappellerais que le Président Chirac, qui avait lui-même examiné la possibilité de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN,…
M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Mitterrand aussi.
M. Laurent Fabius. …avait exigé des contreparties. Mais celles proposées, les commandements de Norfolk et Lisbonne, ne pouvaient suffire.
M. Bernard Deflesselles. Non ! Vous mélangez tout !
M. Patrick Ollier. C’est faux !
M. Laurent Fabius. Si vous contestez cela, M. le Premier ministre pourra nous répondre tout à l’heure.
Je voudrais savoir si ces commandements sont bien les mêmes qu’avait demandés – en vain – le Président Chirac, ou bien si vous avez simplement abaissé les demandes de la France.
Il y a un domaine fort important que vous n’avez pas abordé, monsieur le Premier ministre, et qui pourtant devrait tous nous intéresser, mes chers collègues, je veux parler des contreparties industrielles. Ce sujet est très souvent abordé dans les milieux spécialisés. On nous dit : si nous réintégrons le commandement militaire, nous allons obtenir des marchés qui, jusqu’à présent, étaient réservés aux Américains.
J’aimerais que ce raisonnement soit exact, mais je crains qu’il ne le soit pas. La France détient un certain nombre de marchés, qui représentent beaucoup d’emplois, et ce non seulement parce que ses matériels sont excellents, mais aussi parce que sa diplomatie est spécifique. À partir du moment où nous serons banalisés dans l’OTAN, je crains fort que nous cesserons de les obtenir.
Et puis, il y a une troisième contrepartie, qui n’est pas la moins importante. On nous dit : actuellement, vous ne pesez pas dans la définition du futur de l’OTAN ; réintégrez le commandement militaire, et vous pèserez. C’est une contrepartie en termes d’efficacité.
Je crois qu’il y a là une erreur complète dans la logique. Vous ne nous dites pas : d’abord, pesons sur le futur de l’OTAN, définissons la stratégie, et ensuite nous verrons comment nous devrons réintégrer. Vous nous dites : d’entrée de jeu, soyons à 100 % dans l’OTAN, et nous verrons ensuite quel sera le futur.
Dans votre exposé, monsieur le Premier ministre, il y avait beaucoup de questions précises dont les réponses ne l’étaient pas. Nous aimerions tous savoir quels sont les pays nouveaux que vous accepterez ou que vous n’accepterez pas comme pays membres. Vous avez cité l’Ukraine, la Géorgie. Combien de temps votre position durera-t-elle ? Mais l’on parle d’autres pays, situés en Asie ou ailleurs.
M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas une logique de bloc, alors ! Il faudrait savoir !
M. Laurent Fabius. Nous aurions aussi aimé que vous nous disiez quelle gouvernance vous prévoyez. Nous aurions aussi aimé que vous nous disiez, au-delà d’une pétition de principe, ce que vous acceptez en termes de localisation géographique. Car enfin, la réalité, c’est que le pacte atlantique et l’action de l’OTAN, initialement conçus d’une manière strictement défensive, et uniquement sur l’Europe, nous font agir aujourd’hui jusqu’en Afghanistan, et jusqu’à nous préoccuper de l’environnement.
Bref, nous avons le sentiment que votre deuxième justification, celle qui met en avant les contreparties, n’est pas pertinente, elle non plus.
Et la troisième, on y a fait allusion en souriant, c’est tout simplement la question de la défense européenne.
M. Frédéric Lefebvre. Ah ? Ça vous intéresse ?
M. Laurent Fabius. Mais bien sûr ! Ça nous intéresse tous !
Et là, il est un mot que vous n’avez pas employé, monsieur le Premier ministre, mais vos ministres l’ont fait en commission. Il nous ont dit : il faut faire un « pari ». Si la défense européenne n’avance pas, c’est parce que nous n’avons pas réintégré le commandement de l’OTAN. Donc, parions, et les choses vont avancer.
D’abord, je vous mets en garde : en matière de sécurité, je me demande s’il faut faire des paris. C’est une première question.
M. Roland Muzeau. Les paris, ils les perdent tous !
Mais la deuxième question est la suivante. Il y a un juge de paix, pour ceux qui connaissent ces sujets, un juge de paix absolu. Cela fait des années et des années que nous avons une controverse avec les Américains, avec les Britanniques, sur la question d’un état-major massif au niveau européen. Avez-vous avancé sur ce point ? Pouvez-vous nous dire que vous avez des garanties qui vous permettraient d’engager ce pari avec une chance de le gagner ?
D’autre part, lorsque vous parlez de la défense européenne, le raisonnement s’inverse totalement. On sait que dans toute une série de pays de l’Est, on est opposé à la constitution d’une défense européenne. À partir du moment où la France – qui défend, jusqu’ici, un pilier européen – se sera elle-même ralliée à une intégration de l’OTAN, croyez-vous sincèrement, monsieur le Premier ministre, que les pays de l’Est, et d’autres, vont défendre ce concept que la France elle-même aura d’une certaine manière, à leurs yeux, abandonné ? Croyez-vous qu’ils engageront les dépenses militaires nécessaires ? Nous ne le croyons en aucun cas. Vous nous dites que la réintégration dans le commandement militaire va encourager la défense européenne, vous risquez au contraire de la tuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je veux ajouter deux ou trois arguments qui mériteraient d’être examinés.
D’abord, une question absolument incontestable se pose, celle du consensus. Il n’y a pas beaucoup de terrains de consensus, en France, et vous-même, monsieur le Premier ministre, vous brocardez la gauche en disant : il faudrait le consensus, il faudrait le consensus. Mais alors que le consensus existait jusqu’ici sur ce terrain, et depuis des décennies, c’est vous-même, monsieur le Premier ministre, et vous, mesdames et messieurs de l’UMP, qui faites en sorte qu’il ne puisse plus exister. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous nous dites : l’Amérique change. Et vous, comme M. Copé, avez cité M. Obama. Nous sommes, comme vous, j’en suis sûr, ravis de l’élection de M. Obama, et très admiratifs de ces premiers pas. Mais enfin, nous devons à l’histoire de rappeler que ce n’est pas avec M. Obama que M. Sarkozy a décidé la banalisation de la position de la France, c’est avec le peu regretté Président Bush. Et il ne faudrait pas réinterpréter l’histoire aux fins de justification d’une décision contestée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Frédéric Lefebvre. C’est vraiment n’importe quoi !
M. Laurent Fabius. Il y a bien sûr la question très importante de l’indépendance. Pour qu’il n’y ait pas de faux débat, j’écarte tout de suite la question de savoir si, oui ou non, nous abandonnons notre indépendance nucléaire. Il n’en est pas question. Et dans les textes, juridiquement, nous conservons totalement notre indépendance nucléaire, de même que nous conservons la possibilité d’engager ou non nos troupes.
Mais l’indépendance, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs de l’UMP, ce n’est pas simplement une question juridique. C’est une question de volonté, et une question pratique. Au moment de la deuxième guerre d’Irak, qui peut croire que si nous avions réintégré le commandement militaire de l’OTAN, la France aurait pu – car si l’on parle de l’Allemagne, elle n’était pas à la tête de ce mouvement –, avec la vigueur qu’elle a suscitée, prendre la tête d’un mouvement qui était juste et qui a fait école partout dans le monde ? Nous aurions été dans l’incapacité pratique et politique de le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Dominique Dord et M. Patrick Ollier. Ce n’est pas vrai !
Mme Claude Greff. Mensonge !
M. Laurent Fabius. Bien sûr que si ! Vous le contestez parce que cela vous touche. Je le répète, l’indépendance n’est pas simplement une question juridique, c’est une question pratique. Et si la France avait été banalisée et alignée sur la décision des Américains, il aurait été absolument impossible de prendre la tête de ce juste combat. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Reste, évidemment, la question de l’influence. Comme cela a été souligné, l’influence, c’est une question de symboles. On peut dire : les symboles, ça ne compte pas. Si, ça compte énormément. Nous savons tous que les hommes et les femmes agissent, et parfois même donnent leur vie pour des symboles.
M. Franck Gilard. Ça ne risque pas de vous arriver ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Laurent Fabius. Ne vous rapetissez pas, monsieur. C’est suffisant, comme vous êtes.
Parmi les symboles qui expliquent que la France soit plus que la France, qu’elle soit plus grande que sa population et que sa superficie, il y a le fait qu’à travers l’histoire, et depuis des décennies, quelle que soit la diversité de ses gouvernements, elle a toujours défendu un certain nombre de causes, un certain nombre de valeurs, a toujours été fidèle à un certain nombre de principes. Et parmi ces principes, il y a le fait que si nous avons toujours été fidèles en amitié avec les Américains, nous avons toujours refusé d’être alignés sur les décisions américaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Que vous le vouliez ou non, au Proche et au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, en Russie, en Afrique, si l’on sait demain que la France est rentrée dans le rang, et c’est ainsi que votre décision sera considérée (« Mais non ! » sur les bancs du groupe UMP. – « Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC), cela portera tort à son influence. Vous aurez beau le contester, nous le verrons dans les faits.
Dès lors, nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, que le Parlement de la République soit saisi chaque annéed’un rapport exposant aussi précisément que possible ce que nous aura rapporté ou ce que nous aura coûté, en termes de défense européenne et de défense nationale, de politique étrangère et de politique de sécurité, la décision que vous vous apprêtez à prendre.
M. Jean-François Copé. Mais enfin !
M. Laurent Fabius. Ainsi, nous aurons un état précis qui mettra fin aux querelles que je suis en train d’entendre.
M. Dominique Dord. Les faire naître plutôt !
M. Frédéric Lefebvre. Et comme cela, M. Fabius aura son rapport !
M. Laurent Fabius. Pour terminer, je ferai, comme chacun d’entre nous, référence au général de Gaulle, avec qui je n’ai pas eu de conversation, à la différence de vous qui en avez eue avec le Président Mitterrand. En 1958, le général de Gaulle a écrit un mémorandum au Président Eisenhower et au Premier ministre McMillan. En homme qui aimait les mots et qui connaissait leur force,…
M. Henri Emmanuelli. Il savait écrire, lui !
M. Jean-François Copé. Quelle comparaison scandaleuse !
M. Laurent Fabius. …il dit, un peu plus tard, dans ses « Mémoires d’espoir », à propos de ce texte : « Dès 1958, je hisse les couleurs ». Aujourd’hui, la question est de savoir si nous pourrons continuer à hisser les couleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Pas simplement les couleurs des Français, mais les couleurs des Européens et celles de tous les peuples du monde qui sont attachés, comme nous, comme vous, mes chers collègues, à la liberté, à l’égalité, à la paix, au développement et à l’indépendance des peuples.
Avec le Président de la République, vous nous dites que cette décision nous apportera un plus : nous pensons que c’est illusoire. Qu’il n’y a aucun risque : nous pensons qu’il y a des risques. Que ce sera autant d’indépendance et plus d’influence : nous vous mettons en garde, nous pensons que ce sera vraisemblablement moins d’indépendance et, en tout cas, moins d’influence.
M. Jean-François Copé. Faux !
M. Laurent Fabius. C’est la raison pour laquelle, monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons pas vous suivre, car ce serait contraire à notre conception de l’intérêt de la France. (Mmes et MM. les députés du groupe SRC et quelques députés du groupe GDR se lèvent et applaudissent longuement. – Les autres députés du groupe GDR applaudissent.)
à suivre...
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