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7 octobre 2020 3 07 /10 /octobre /2020 03:48

« Je vous demande d’imputer ma mort à la Fédération de Russie. » (Irina Slavina, sur Facebook le 2 octobre 2020).


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C’est la consternation en Russie et chez les journalistes, russes et internationaux. Horrible drame. Tragique conclusion d’une démarche au service de ses compatriotes russes. La journaliste russe indépendante Irina Slavina s’est immolée par le feu le vendredi 2 octobre 2020 devant le quartier général de la police de Nijniy Novgorod. Elle avait 47 ans (née le 8 janvier 1973 dans la même ville, précédemment appelée Gorki pendant l’ère soviétique ; de son vrai nom Irina Viatcheslovovna Mourakhtaïeva née Kolebanova).

Évoquons rapidement le lieu avant les faits. Nijniy Novgorod est une ville russe qui m’est très chère et c’est une raison supplémentaire d’être très ému par cet acte si terrible. À mi-chemin entre Moscou et Kazan, la capitale du Tatarstan (peuple turc), elle est située entre l’Ouest et l’Est russes, entre l’Église orthodoxe et l’islam. J’ai souvenir d’avoir visité la belle mosquée où j’avais été accueilli par un responsable musulman d’origine turque qui m’avait expliqué toute l’histoire de l’islam dans cette partie de la Russie. Il y a évidemment aussi beaucoup d’églises orthodoxes. Une ville très grande (1,3 million d’habitants, la cinquième agglomération de la Fédération de Russie, après Moscou, Saint-Pétersbourg, Novossibirsk et Iekaterinbourg) et très étendue, mais avec encore l’esprit de village, à une nuit de la capitale russe par le train très poussif à couchettes, où j’ai rencontré d’ailleurs un très sympathique Azéri, physicien des matériaux reconverti dans le négoce de gaz et de pétrole (c’était plus rentable pour sa famille).

Une ville industrielle (longtemps très fermée, réputée pour ses usines d’automobiles et d’armement) à la confluence de la Volga et de l’Oka. J’ai souvenir d’avoir fait du jogging le long de l’Oka dans un parc très agréable, d’avoir fêté le 8 mai au feu d’artifice dans un bateau sur la Volga, fleuve qu’il faut traverser pour aller de la gare au centre de la ville. J’ai souvenir de ce grand marché couvert, de ce sentiment de liberté postsoviétique. Une ville très culturelle, très cultivée, des musées où les gardiens (et gardiennes) en surnombre éteignent les lampes après le passage des visiteurs, salle après salle, une université très importante où de nombreux étudiants d’origine africaine étudient, selon une vieille tradition issue de l’emprise soviétique en Afrique. Enfin une ville qui va fêter son 800e anniversaire dans quelques mois…

Comme je l’ai indiqué plus haut, Irina Slavina était une journaliste indépendante. Elle était la rédactrice en chef de Koza Press, journal en ligne qu’elle a créé en 2015 et dont la devise est : "Pas de censure. Pas d’ordre d’en haut". Opposante au pouvoir central en Russie, elle a sans arrêt été "harcelée" par les autorités qui auraient voulu fermer son site en ligne. Pourtant, la rédaction ne compte que quelques journalistes, mais il était lu avec appréhension par les autorités locales qui, parfois, doivent communiquer sur les sujets abordés, souvent fâcheux pour elles.

Elle ne manquait pas de courage car son idée était aussi de montrer que la flamme d’une certaine "résistance" était toujours présente. Ainsi, elle a organisé une marche en mémoire de Boris Nemtsov, premier gouverneur de l’oblast (région) de Nijniy Novgorod entre 1991 et 1997 et ancien Vice-Premier Ministre de Boris Eltsine en 1997-1998, qui a été assassiné le 27 février 2015 à Moscou, et comme la manifestation était interdite, elle a été condamnée à une lourde amende. Ce qui était matériellement catastrophique pour sa famille modeste.

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Elle a aussi été condamnée à des lourdes amendes pour avoir manqué de respect aux autorités sur Facebook, après avoir été scandalisée par l’apposition d’une plaque à Chakhounia, une petite ville à 200 kilomètres au nord-est de Nijniy Novgorod, à la mémoire de Staline à l’occasion du 140e anniversaire de la naissance du dictateur communiste. Ou encore pour avoir donné des informations sur un foyer de contamination au covid-19 provoqué par des scientifiques qui, contaminés, se baladaient allègrement dans les rues sans s’être isolés, sans s’être mis en quatorzaine. On a aussi reproché à Irina Slavina d’avoir assisté au forum Free people alors qu’elle y était présente comme simple journaliste et pas membre.

Probablement que la dernière action de harcèlement judiciaire a été celle de trop. Le 1er octobre 2020 à l’aube, en effet, la police a perquisitionné à son domicile, emportant les cahiers de notes, les ordinateurs et les smartphones, les siens et ceux de son mari et de sa fille, dans le cadre d’une enquête sur des opposants à Vladimir Poutine dans laquelle elle avait le statut de témoin. La journaliste indépendante a dénoncé cette perquisition sur Facebook en insistant sur : « Je suis [maintenant] sans moyens de production. ».

Le message complet du 1er octobre 2020 était le suivant : « Aujourd’hui, à 6 heures du matin, douze personnes sont entrées dans mon appartement à l’aide d’un chalumeau et d’un pied-de-biche : des agents du comité d’enquête russe, des policiers, des agents des unités d’élite, des témoins officiels. Mon mari a ouvert la porte. Moi, étant nue, je me suis habillée sous la surveillance d’une femme que je ne connaissais pas. Une fouille a été faite. Nous n’avons pas été autorisés à appeler un avocat. Ils cherchaient des brochures, des dépliants, des comptes "Russie ouverte", peut-être une icône avec le visage de Mikhaïl Khodorkovski. Je n’ai aucune de ces choses. Mais ils ont pris ce qu’ils ont trouvé : toutes les clefs USB, mon ordinateur portable, celui de ma fille, l’ordinateur, les téléphones (pas seulement le mien, mais aussi celui de mon mari), un tas de cahiers sur lesquels j’avais griffonné lors de conférences de presse. Je suis sans moyens de production. Je vais tout à fait bien. Mais May [un chien ?] a beaucoup souffert. Ils ne l’ont pas laissé sortir avant 10 heures 30. ». Pour elle, c’était une humiliation de trop.

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Pour protester contre ce énième harcèlement, à bout, la journaliste s’est suicidée le lendemain en mettant le feu à ses vêtements, torche vivante, sur un banc à la sortie de la station de métro Gorgovskaïa. Un homme a tenté en vain d’éteindre le feu avec son manteau avant qu’elle ne tombât au sol. Une vidéo de son calvaire a été prise et diffusée dans les réseaux sociaux. Pour elle, c’était le seul moyen de faire entendre sa petite voix dans le concert de la pensée "officielle" en Russie et d’attirer l’attention de la "communauté internationale". Le site Internet de la journaliste a été bloqué après son suicide. Un rassemblement pour honorer sa mémoire s’est organisé spontanément le soir même à l’emplacement de son atroce disparition et beaucoup de gens sont venus apporter des fleurs. Sa fille est venue sur place le lendemain en mettant cette affiche : "Pendant que ma mère brûlait vive, tu restais silencieuse".

Irina Slavina n’était pas la seule journaliste à avoir payé de sa vie son indépendance éditoriale. Je pense en particulier à l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa, il y a juste quatorze ans, le 7 octobre 2006. L’opposant Alexei Navalny, on soupçonne qu’il a été empoisonné par les services secrets russes, a protesté le jour même depuis Berlin contre cette "affaire montée de toutes pièces" dont a été victime Irina Slavina : « Son domicile a été perquisitionné, les portes ont été fracturées et les ordinateurs confisqués (…). Ils l’ont poussée au suicide. ». Opposant politique, Dmitri Gudkov a déclaré sur Instagram : « Au cours des dernières années, les responsables de la sécurité l’ont soumise à des persécutions sans fin en raison des ses activités d’opposition. ». Un autre opposant politique, Ilya Iachine sur Twitter : « Tous ces cas de policiers s’amusant, ces spectacles d’hommes cagoulés, ce n’est pas un jeu. Le gouvernement brise vraiment les gens psychologiquement. ».

Les proches d’Irina Slavina comptent déposer plainte contre la police pour pression conduisant au suicide. Ses collègues à Nijniy Novgorod ont décrit sa brillante personnalité, son courage exceptionnel, elle posait toujours les questions les plus embarrassantes aux autorités locales, si bien qu’elle s’est retrouvée sans emploi et a dû créer son propre journal : « Nijniy Novgorod a besoin de telles personnes, sinon nous nous enliserons dans le bourbier. ».

Dirigeant d’Agora, le groupe d’avocats russes qui défendaient Irina Slavina, Pavel Tchikov a expliqué : « Elle était poursuivie pour avoir publié et relayé une information considérée comme fausse par les autorités sur le coronavirus. Elle a également dû payer une amende pour avoir lancé un appel à une manifestation contre le pouvoir local. Et elle est accusée d’être membre de l’organisation "Russie ouverte", considérée comme une menace à l’ordre public. C’est un crime ici en Russie. (…) Elle pensait depuis quelque temps commettre une forme de suicide politique de protestation. L’été dernier, elle en avait déjà parlé sur son compte Facebook (…). Mais c’est l’aggravation de la situation, les pressions de plus en plus fortes sur elle depuis plus d’un an qui l’ont poussée à mettre fin à ses jours. Je n’ai aucun doute sur le fait que le gouvernement et les autorités sont responsables de son suicide. » (cité par France Culture le 3 octobre 2020). Une perquisition qui a été contestée aussi par Natalia Gryaznevitch, porte-parole du mouvement pro-démocratie "Russie ouverte" (fondé par Mikhaïl Khodorkovski), le 3 octobre 2020 sur BBC Moscou.

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L’enquête pénale en question portait aussi contre Mikhaïl Iosilevitch, dont l’appartement à Nijniy Novgorod a été perquisitionné le même jour que celui d’Irina Slavina. Proche d’Alexei Navalny, Mikhaïl Iosilevitch avait implanté en 2016 la version russe de la parodie de religion honorant le "Monstre en spaghetti volant" avec ses fidèles appelés "pastafariens". Une organisation supposée faire des réunions pour s’opposer aux autorités. Certains proches du pouvoir (dont un journaliste à forte audience) ont même lié stupidement le suicide de la journaliste à son appartenance supposée à cette "secte", alors que ce n’est pas une secte mais une parodie rationaliste dont le dogme est justement de ne pas avoir de dogme. En fait, il n’y aurait aucun point commun entre l’organisation parodique et le mouvement de Mikhaïl Khodorkovski si ce n’est une même salle de réunion occupée par l’une puis par l’autre.

N’oublions pas qu’en décembre 2010, le Printemps arabe a commencé par une personne qui s’est immolée par le feu…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Irina Slavina, le cauchemar par le feu.
Trotski.
Vladimir Poutine se prépare à un avenir confortable.
Anatoli Tchoubaïs.
Vladimir Poutine : comment rester au pouvoir après 2024 ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201002-irina-slavina.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/irina-slavina-le-cauchemar-par-le-227626

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/10/06/38574571.html












 

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21 août 2020 5 21 /08 /août /2020 03:08

« Des milliers et des milliers de penseurs et d’artistes isolés, dont la voix est couverte par le tumulte odieux des falsificateurs enrégimentés, sont actuellement dispersés dans le monde. De nombreuses petites revues locales tentent de grouper autour d’elles des forces jeunes, qui cherchent des voies nouvelles, et non des subventions. Toute tendance progressive en art est flétrie par le fascisme comme une dégénérescence. Toute création libre est déclarée fasciste par les stalinistes. L’art révolutionnaire indépendant doit se rassembler pour la lutte contre les persécutions réactionnaires et proclamer hautement son droit à l’existence. » ("Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant", juillet 1938).



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Il y a quatre-vingts ans, le 21 août 1940, est mort le révolutionnaire russe Léon Trotski (Lev Bronstein), à l’âge de 60 ans (né le 7 novembre 1879). Trotski a été assassiné par un agent de Staline à Mexico où il s’était exilé. Un coup de piolet la veille qui l’a blessé mortellement. L'assassin fut condamné au Mexique mais récompensé en URSS.

Trotski, créateur sanguinaire de l’Armée rouge, fut éliminé par Staline après la mort de Lénine : exclu du parti communiste d’Union Soviétique le 12 novembre 1927, déporté au Kazakhstan en 1928, expulsé d’URSS en février 1929, Trotski séjourna en Turquie de février 1929 à juillet 1933, puis en France de juillet 1933 à juin 1935, puis, de nouveau expulsé, il s’exila en Norvège de juin 1935 à décembre 1936 et fut ensuite accueilli par le Mexique qui lui proposa l’asile politique le 9 janvier 1937.

Dans un premier temps, il logea à Mexico chez le couple de peintres Diego Rivera et Frida Kahlo (avec qui il a eu une liaison). Diego Rivera, à l’époque très célèbre, fut un grand disciple de Trotski mais se brouilla avec lui en 1939. Le 3 septembre 1938, Trotski créa la IVe Internationale qui a donné naissance, par la suite, à toute une série de groupuscules crypto-révolutionnaires dans le monde, notamment en France (PCI, OCI, LCR, MPPT, PT, NPA, etc.).

Je propose ici d’évoquer la rencontre très surréaliste de Trotski avec …le roi du surréalisme, l’écrivain André Breton (1896-1966), venu le visiter à Mexico en juin et été 1938. André Breton était fasciné par Trotski depuis la publication du livre de ce dernier sur Lénine ("Lénine") en 1925. André Breton prôna en 1935 l’indépendance politique des artistes : « Les communistes ne pensent qu’à la littérature de propagande. Or, l’activité poétique, telle que la conçoit le surréalisme, ne peut subir un contrôle de ce genre ; Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire ont créé une sorte de déterminisme de la poésie qui rend impossible le souci de propagande. ». Une telle vision intellectuelle lui a valu quelques difficultés par la direction du PCF dont il était adhérent depuis 1927.

Au-delà de leur rencontre (qu’ils ont faite aux côtés et chez Diego Rivera et Frida Kahlo), André Breton et Trotski ont rédigé le "Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant" que Trotski refusa de signer car il pensait que seuls les artistes devaient signer ce genre de manifeste. Au départ, il ne comprenait d’ailleurs pas bien le mouvement surréaliste d’André Breton mais le courant entre les deux hommes a semblé être bien passé sur un double point commun, la révolution et l’internationalisme. L’idée du manifeste est venue de Trotski et sa rédaction a été l’objet de nombreuses et âpres discussions entre les deux hommes.

Ce manifeste a débouché sur la création de la Fédération internationale pour l’art révolutionnaire indépendant (FIARI) qui regroupa un grand nombre de personnalités parfois très différentes. On peut citer Trotski, André Breton, Diego Rivera, Gaston Bachelard, Jean Giono, Roger Martin du Gard, Maurice Nadeau, Michel Leiris, Léo Malet, Yves Allégret, Benjamin Péret, etc. (ce qui a entraîné la rupture d’André Breton avec Paul Éluard), un mouvement "marxiste libertaire", selon les mots du sociologue franco-brésilien Michael Löwy, proche du mouvement marxiste révolutionnaire et du surréalisme. Cette fédération n’a cependant pas duré très longtemps puisqu’elle a sombré avec le début de la Seconde Guerre mondiale. La victoire militaire de l’URSS empêcha sa recréation après la guerre.

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Qu’y avait-il dans ce manifeste rendu public en juillet 1938 ?

C’était un manifeste peut-être plus anarchiste que communiste. Il contenait seize points de "révolution surréaliste", certains très organisationnels et sans intérêt intellectuel. Il traduisait l’inquiétude tant du stalinisme, qui pourrait être vu comme une captation d’héritage du léninisme, que du nazisme dans une Europe proche de la guerre : « Jamais la civilisation n’a été menacée de tant de dangers qu’aujourd’hui. Les vandales, à l’aide de leurs moyens barbares, c’est-à-dire fort précaires, détruisirent la civilisation antique dans un coin limité de l’Europe. Actuellement, c’est toute la civilisation mondiale, dans l’unité de son destin historique, qui chancelle sous la menace de forces réactionnaires armées de toute la technique moderne. ».

Le manifeste proposait une tentative de définition de l’art, forcément révolutionnaire : « L’art véritable, c’est-à-dire celui qui ne se contente pas de variations sur des modèles tout faits mais s’efforce de donner une expression aux besoins intérieurs de l’homme et de l’humanité d’aujourd’hui, ne peut pas ne pas être révolutionnaire, c’est-à-dire ne pas aspirer à une reconstruction complète et radicale de la société, ne serait-ce que pour affranchir la création intellectuelle des chaînes qui l’entravent et permettre à toute l’humanité de s’élever à des hauteurs que seuls des génies isolés ont atteintes dans le passé. ». L’ambition des surréalistes trotskistes était donc gigantesque.

Même si le texte précisait bien : « Nous ne nous solidarisons pas un instant, quelle que soit sa fortune actuelle, avec le mot d’ordre "Ni fascisme, ni communisme". », l’équivalence entre nazisme et stalinisme était quand même acté : « Le fascisme hitlérien, après avoir éliminé d’Allemagne tous les artistes chez qui s’était exprimé à quelque degré l’amour de la liberté, ne fût-ce que formelle, a astreint ceux qui pouvaient encore consentir à tenir une plume ou un pinceau à se faire les valets du régime et à le célébrer par ordre, dans les limites extérieures de la pire convention. À la publicité près, il en a été de même en URSS au cours de la période de furieuse réaction que voici parvenue à son apogée. ».

Le stalinisme était évidemment considéré comme une perversion du communisme : « Si (…) nous rejetons toute solidarité avec la caste actuellement dirigeante en URSS, c’est précisément parce qu’à nos yeux, elle ne représente pas le communisme mais en est l’ennemi le plus perfide et le plus dangereux. ».

Dans le raisonnement, il semblait clair que les attaques allaient beaucoup plus contre Staline que contre Hitler : « Sous l’influence du régime totalitaire de l’URSS et par l’intermédiaire des organismes dits "culturels" qu’elle contrôle dans les autres pays, s’est étendu sur le monde entier un profond crépuscule hostile à l’émergence de toute espèce de valeur spirituelle. Crépuscule de boue et de sang dans lequel, déguisés en intellectuels et en artistes, trempent des hommes qui se sont fait de la servilité un ressort, du reniement de leurs propres principes un jeu pervers, du faux témoignage vénal une habitude et de l’apologie du crime une jouissance. L’art officiel de l’époque stalinienne reflète avec une cruauté sans exemple dans l’histoire leurs efforts dérisoires pour donner le change et masquer leur véritable rôle mercenaire. ». Les mots sont durs et tranchants, sans équivoque.

Le manifeste était cependant compréhensif : « Dans la période présente, caractérisée par l’agonie du capitalisme, tant démocratique que fasciste, l’artiste, sans même qu’il ait besoin de donner à sa dissidence sociale une forme manifeste, se voit menacé de la privation du droit de vivre et de continuer son œuvre par le retrait devant celle-ci de tous les moyens de diffusion. Il est naturel qu’il se tourne alors vers les organisations stalinistes qui lui offrent la possibilité d’échapper à son isolement. ». "L’agonie du capitalisme démocratique" resterait encore à prouver quatre-vingt-deux ans après…

Comme avec les précédents passages, le style est succulent et je ne sais pas si Trotski a beaucoup contribué à ce style qui paraît surtout celui d’André Breton, ou s’il a principalement apporté idées et raisonnements au manifeste : « L’art ne peut consentir sans déchéance à se plier à aucune directive étrangère et à venir docilement remplir les cadres que certains croient pouvoir lui assigner, à des fins pragmatiques, extrêmement courtes. Mieux vaut se fier au don de préfiguration qui est l’apanage de tout artiste authentique, qui implique un commencement de résolution (virtuel) des contradictions les plus graves de son époque et oriente la pensée de ses contemporains vers l’urgence de l’établissement d’un ordre nouveau. ».

Probablement que l’influence de Trotski était plus importante que celle d’André Breton dans le passage suivant, qui montrait l’apparente contradiction entre dictature et anarchisme : « Si, pour le développement des forces productives matérielles, la révolution est tenue d’ériger un régime socialiste de plan centralisé, pour la création intellectuelle, elle doit dès le début établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle. Aucune autorité, aucune contrainte, pas la moindre trace de commandement ! ».

Quelques-uns des raisonnements de ce manifeste concernant l’art sont encore aujourd’hui tout à fait admissibles, mais je reste toujours très étonné d’imaginer que des auteurs particulièrement doués, indépendants et subtils aient pu sombrer aveuglément dans le totalitarisme économique que leur proposait Trotski dès lors qu’il leur proposait parallèlement …l’indépendance et la liberté artistiques, qui étaient probablement les seuls points d’intérêt des surréalistes dans cette démarche (André Breton se souciait peu de l’économie politique).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
André Breton.
Rencontre surréaliste avec Trotski.
Trotski.
Vladimir Poutine se prépare à un avenir confortable.
Anatoli Tchoubaïs.
Vladimir Poutine : comment rester au pouvoir après 2024 ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200821-trotski.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/rencontre-surrealiste-avec-trotski-226560

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/08/18/38486134.html






 

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3 juillet 2020 5 03 /07 /juillet /2020 03:29

« L’acteur n’existe que dans le regard des autres. » (Michel Piccoli, septembre 2001).


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En janvier dernier, j’avais titré un article sur Vladimir Poutine ainsi : "Comment rester aux commandes de la Russie après 2024 ?". Je crois qu’aujourd’hui, on peut préciser : "Comment rester aux commandes de la Russie jusqu’en 2036 ?". Oui, 2036, cela fera 83 ans pour Vladimir Poutine, dont 36 au pouvoir, dont 32 à la Présidence de la Fédération de Russie. Et encore, après 2036, l’ancien agent du KGB pourra toujours demander à devenir sénateur à vie, histoire de ne pas se retrouver sans le sou pour ses (très) vieux jours. Explication.

Vladimir Poutine n’est pas du genre à être bling-bling, et donc, on l’imagine mal aimer les paillettes et la vénalité, s’accrocher aux luxuriants attraits de la fonction présidentielle. En revanche, on l’imagine bien aimer le pouvoir. Le pouvoir pour le pouvoir. Le pouvoir, avec le sexe et l’argent, est l’un des trois attributs de la puissance. Oserais-je rajouter masculine ou virile ? Parce qu’il y a aussi la création, les arts, les sciences, etc. qui sont d’autres sources de reconnaissance, de joie et d’épanouissement personnel. Peut-être pas de puissance ?

Et puis aussi le pouvoir pour la Russie. La popularité de Vladimir Poutine est réelle, et même si les élections peuvent prêter à quelques contestations, l’absence totale d’opposition politique, et surtout, d’incarnation personnelle de l’opposition, ainsi que la mainmise des médias, peuvent laisser sous-entendre que la démocratie a encore quelques étapes d’amélioration à franchir, il est incontestable que Vladimir Poutine jouit d’une confiance, du moins hors des deux grandes métropoles (Moscou et Saint-Pétersbourg), qui n’est pas fictive : Vladimir Poutine a redonné la dignité au peuple russe, à une période de délitement de l’URSS qui entraînait aussi un délitement de la Russie.

C’est d’ailleurs assez amusant d’observer que certains en France, en mal de maîtres, soutiennent Vladimir Poutine parce qu’ils sont communistes et qu’ils pensent que Vladimir Poutine incarne une sorte de résurgence de la puissance soviétique alors qu’en fait, il défriche une nouvelle Russie, à moins d’adapter la Russie tsariste aux impératifs démocratiques du nouveau millénaire. Il n’a en tout cas rien de communiste, ni dans son comportement, ni dans ses actes. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que l’ancien candidat à l’élection présidentielle François Fillon eût de très bonnes relations avec lui (il était probablement le "candidat de Moscou"), parce qu’il trouvait fascinante cette incarnation magistrale de la souveraineté de la Russie.

Quand Boris Eltsine, malade, se cherchait laborieusement un successeur, entre 1996 et 1999, et qu’il s’était finalement arrêté sur le nom d’un grand inconnu, Vladimir Poutine, il n’imaginait pas qu’il serait l’homme d’État d’aujourd’hui. Il imaginait plutôt un Président eltisino-compatible, prêt à rendre sa retraite la moins désagréable possible (judiciairement parlant). Il faut donc croire aujourd’hui que tout futur ancien Président de la Fédération de Russie cherche à s’aménager une retraite tranquille sinon dorée.

Oui, Vladimir Poutine cherche à incarner la Russie dans le fil de l’histoire, et ce fil est aussi un fil démocratique. Au cours du processus législatif, le 10 mars 2020, Vladimir Poutine, pour contrebalancer la portée de l’ultime amendement (voir le point 12 ci-après), a déclaré vouloir permettre une libre alternance politique : « À une époque où le pays a encore beaucoup de problèmes, mais que les domaines politiques, économiques et sociaux gagnent en stabilité interne, en maturité, lorsque l’État devient, bien sûr, plus puissant et difficile à se rendre vulnérable de l’extérieur, alors la possibilité d’un changement de pouvoir se pose, bien entendu. Il est nécessaire à la dynamique du développement du pays. (…) Nous devons penser avec vous aux générations à venir. ».

C’est assez paradoxal, car lorsque le 15 janvier 2020, Vladimir Poutine a déclaré : « Je suis convaincu que notre pays, avec son vaste territoire, sa structure nationale et territoriale complexe et une grande variété de traditions culturelles et historiques, ne peut pas se développer normalement et, je dirais, plus, exister simplement de manière stable sous la forme d’une république parlementaire. La Russie doit rester une république présidentielle forte. », on comprend assez vite que le modèle est tsariste avec une touche de république, un peu à l’instar du Second Empire, avec Napoléon III (qui fut le premier Président de la République française).

Son idée, le 15 janvier 2020, c’était de faire une nouvelle révision de la Constitution du 25 décembre 1993. Elle a été peu révisée et cette réforme institutionnelle semble être une sorte de testament politique pour Vladimir Poutine : il ne semble pas souhaiter quitter le pouvoir, mais il veut laisser une Russie gouvernable après lui. C’est-à-dire, qui puisse être dirigée et pas être enlisée dans des querelles d’héritiers.

Les mesures qu’il a proposées le 15 janvier 2020, après le processus législatif de la fin de l’hiver, auraient dû être soumises à un référendum prévu le 22 avril 2020 (date anniversaire de …Lénine !), mais la Russie était en pleine pandémie de coronavirus. Elle le reste encore : rien que la journée du 1er juillet 2020, il y a eu 216 décès dus au covid-19, ce qui fait déjà 9 536 en tout, et plus de 6 500 nouveaux cas détectés (il y a 222 000 cas encore actifs à ce jour). Ainsi, le pouvoir a décidé de repousser le référendum de deux mois et le faire sur une durée plus longue, du 25 juin au 1er juillet 2020, afin de permettre la distanciation physique, en encourageant aussi le vote par correspondance ou par Internet.

Les résultats définitifs ont été publiés ce jeudi 2 juillet 2020 : pour une participation de 67,88% (74 108 048 votants), il y a eu 77,92% de "oui" (57 743 820). Autant dire que ce n’est pas un référendum mais un plébiscite pour Vladimir Poutine.

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En fait, ce n’était pas un référendum, mais un "vote de tous les Russes" car la dénomination "référendum" ne correspondait pas, constitutionnellement, à cette consultation électorale. Un référendum aurait dû structurer la consultation en autant de questions que de mesures proposées, alors qu’ici, c’était un package, tout ou rien (De Gaulle a fait la même chose au référendum d’avril 1969). L’autre intérêt de ne pas faire de "référendum", c’était de ne pas avoir l’obligation d’un seuil minimal de participation qui aurait pu être gênant avec la pandémie. Le référendum du 12 décembre 1993 organisé par Boris Eltsine pour ratifier la nouvelle Constitution (58,4% de "oui") n’était pas non plus, officiellement, un "référendum" mais un "vote national".

Le vote du 1er juillet 2020 a correspondu à l’approbation d’un très grand nombre de mesures de révision de la Constitution dont l’adoption va sans doute donner l’appellation de "Constitution Poutine". Parmi les nombreux amendements proposés au vote, on retiendra certainement les suivants :

1. L’interdiction de dénigrer la "vérité historique" protégée par l’État russe, ainsi que les "défenseurs de la patrie". Ces notions juridiques sont tellement floues qu’elles ouvrent le champ d’une vraie entorse à la liberté d’expression.

2. Un rappel de la "foi en Dieu des Russes", l’État russe n’est donc pas laïque comme la France. Cet amendement montre que Vladimir Poutine n’a rien d’un communiste et que son modèle est plus tsariste que soviétique (même si le nouveau texte assume la période historique de l'URSS).

3. L’inscription dans la Constitution de l’interdiction de permettre le mariage de deux personnes de même sexe (la définition du mariage est précisée comme l’union d’un homme et d’une femme).

4. Hiérarchie des normes : la Constitution russe l’emporte sur les traités internationaux. Généralement, c’est l’inverse. En pratique, en France par exemple avec les traités européens, on fait des révisions constitutionnelles avant la ratification des traités.

5. Saisine de la Cour constitutionnelle par le Président de la Fédération de Russie pour un contrôle de constitutionnalité d’une loi. C’est le début d’une disposition essentielle dans la construction d’un État de droit, en vigueur en France depuis le 4 octobre 1958 et qui a été renforcée le 29 octobre 1974 par Valéry Giscard d’Estaing (saisine par des parlementaires) et le 23 juillet 2008 par Nicolas Sarkozy (QPC).

Évidemment, les amendements concernant l’organisation de l’exécutif et du législatif sont les plus importants.

6. Interdiction de se présenter à l’élection présidentielle si le candidat n’a pas vécu en Russie depuis au moins vingt-cinq ans (c’est-à-dire depuis 1999 pour la prochaine élection présidentielle de 2024). Cela signifie que toute personne qui s’est réfugiée à l’étranger pendant un moment sous la Présidence de Vladimir Poutine sera interdite d’élection présidentielle. Par ailleurs, un candidat ne doit jamais avoir eu une autre nationalité ni une carte de séjour dans un autre pays.

7. Interdiction pour les personnes occupant de hautes fonctions d’avoir une double nationalité, voire d’avoir une carte de séjour dans un pays étranger, voire de posséder un compte bancaire à l’étranger.

8. Inscription dans la Constitution de l’existence et des missions du Conseil d’État qui n’était jusqu’à maintenant qu’une instance consultative informelle visant à conseiller le Président de la Fédération.

9. La Douma d’État (équivalent de la chambre des députés) ratifie le choix du Président du gouvernement (équivalent de Premier Ministre), des Vice-Présidents du gouvernement et de certains ministres. Le Conseil de la Fédération (équivalent du Sénat) ratifie le choix d’autres ministres (Défense, Intérieur, Sécurité nationale). C’est une procédure proche de celle en cours aux États-Unis où chaque ministre est soumis au vote du Congrès américain.

10. Le Conseil de la Fédération prend de grands pouvoirs dans la nomination et l’éviction des procureurs et juges fédéraux, et même des membres de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême. On ne peut comprendre ce changement qu’avec le changement suivant (11).

Enfin, je termine par les deux mesures qui vont impacter directement l’avenir personnel de Vladirmir Poutine.

11. La composition du Conseil de la Fédération est un mélange entre les États-Unis et l’Italie. États-Unis : avec deux membres, appelés sénateurs, représentant chaque "sujet" (à savoir, chaque entité composant la Fédération de Russie ; aux États-Unis, chaque État envoie au Sénat fédéral deux représentants aussi). Italie : avec la possibilité de la nomination par le Président de la Fédération d’autres sénateurs (à la différence que le Président italien est limité à six sénateurs nommés ainsi, et à vie, qui correspondent à des personnalités ayant contribué au rayonnement de l’Italie). Par ailleurs, un ancien Président de la Fédération est membre de droit et à vie du Conseil de la Fédération (en d’autres termes, reprend la notion italienne de sénateur à vie).

Comme on le voit, cet amendement est crucial car cela signifie qu’avec les nominations présidentielles, le Conseil de la Fédération peut difficilement jouir d’une indépendance par rapport au Président dans la gestion de la justice fédérale (c’est peut-être la plus grosse "arnaque" de ces changements constitutionnels).

De plus, cela assure à Vladimir Poutine, également à Dmitri Medvedev (mais pas à Mikhaïl Gorbatchev) la possibilité de devenir sénateur à vie.

12. J’ai gardé pour la fin la plus grande mesure concernant Vladimir Poutine. Elle concerne évidemment la limitation à deux mandats présidentiels. Petit rappel de là où Vladimir Poutine en était. La "Constitution Eltsine", calquée sur la Constitution américaine, a prévu un mandat présidentiel de quatre ans avec interdiction de faire plus de deux mandats consécutifs. C’est exactement la règle américaine depuis la fin des mandats de Franklin Roosevelt.

Élu la première fois en mars 2000, réélu en mars 2004, Vladimir Poutine ne pouvait plus se représenter en mars 2008. À la surprise générale, au lieu de réviser la Constitution, il a rusé en proposant à un homme complètement dévoué, Dmitri Medvedev, de se présenter à sa place, si bien qu’il y a eu un mandat de quatre ans, entre mars 2008 et mars 2012, avec Dmitri Medvedev comme Président de la Fédération …et Vladimir Poutine comme Premier Ministre (Président du gouvernement). Cette habileté n’a échappé évidemment à personne.

Comme Premier Ministre, Vladimir Poutine a d’abord modifié la Constitution en rallongeant le mandat présidentiel de quatre à six ans, tout en gardant la limitation à deux mandats consécutifs. Cela lui permettait donc de diriger la Russie jusqu’en 2024. Effectivement, comme il pouvait de nouveau être candidat en mars 2012, il a été élu pour six ans, réélu en mars 2018 pour six ans encore, ce qui nous amène à 2024. Normalement, le mandat 2018-2024 devait être son dernier mandat, et la ruse de 2008 aurait été plus difficile à renouveler, car il lui faudrait alors attendre 2030 pour retrouver la possibilité de se représenter pour un nouveau mandat de six ans.

Vladimir Poutine a commencé à imaginer l’après-2024 dès le 19 décembre 2019, puis le 15 janvier 2020, et enfin, dans un processus de révision de la Constitution qui s’est terminée avec la validation par la Cour constitutionnelle de tous les amendements du "référendum" le 16 mars 2020. Il a laissé entendre que la limitation à deux mandats consécutifs pouvait être supprimée mais qu’il ne la proposerait pas.

En fait, c’est un amendement proposé in extremis qui a, au contraire, renforcé la contrainte de la limitation : en effet, la limitation à deux mandats consécutifs est confirmée mais sans possibilité de pouvoir ensuite faire un troisième mandat, même après une interruption. En clair, la Russie passe d’une limitation à deux mandats consécutifs à une limitation à deux mandats, sans plus de précision. Donc cet amendement aurait dû signer le retrait politique de Vladimir Poutine en 2024 (il aura 72 ans).

C’est là que joue toute l’habileté institutionnelle de Vladimir Poutine : cet amendement en fait contraindra surtout ses successeurs, mais pas lui-même (qui en est de toute façon à son quatrième mandat, cinquième si le mandat était resté à quatre ans) : cette mesure n’est applicable qu’à partir du candidat qui sera élu en 2024, c’est-à-dire que tous les mandats qui auront été exercés avant 2024 ne seront pas pris en compte dans cette limitation des mandats !

Résultat, avec cette réforme désormais largement ratifiée par la consultation du 1er juillet 2020, Vladimir Poutine pourra se représenter tout vierge d’ancienneté qu’il est en 2024, se faire élire pour un nouveau premier mandat de six ans, puis se faire réélire en 2030 pour un nouveau second mandat de six ans, ce qui nous conduit à 2036, où il aura 83 ans et pourra prétendre alors à une retraite bien méritée …comme sénateur à vie au Conseil de la Fédération, à moins qu’il souhaite utiliser la Présidence du Conseil d’État pour continuer encore à influencer la politique russe après 2036 ?…

Revenons précisément à ce que certains ont appelé un véritable "coup d’État" à Moscou. Cela s’est passé le 10 mars 2020 à la Douma d’État : le Parlement russe a présenté cet amendement et Vladimir Poutine, qui, jusqu’alors, avait toujours rejeté la possibilité d’être candidat en 2024, a approuvé la proposition en parlant du besoin de stabilité en Russie. L’amendement a été approuvé par 380 députés, et les 44 députés communistes ont voté contre (institutionnellement, les communistes sont l’opposition en Russie depuis 1992). Jeu de rôles hypocrite. Jeu de dupes.

L’avocat et l’un des opposants les plus exposés Alexeï Navalny a protesté contre cet amendement qui permttrait à Vladimir Poutine de rester au pouvoir plus longtemps que… Staline !

À l’évidence, la (vraie) démocratie russe, c’est-à-dire, la démocratie sincère, sans manœuvre et sans trucage institutionnels, attendra encore …seize ans !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vladimir Poutine se prépare à un avenir confortable.
Anatoli Tchoubaïs.
Vladimir Poutine : comment rester au pouvoir après 2024 ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200701-poutine.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/vladimir-poutine-se-prepare-a-un-225531

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16 juin 2020 2 16 /06 /juin /2020 03:26

« Je crois que ce fléau peut être qualifié de maladie la plus grave de la société russe contemporaine. Il est évident que ce problème est loin d’être résolu. J’ai réglé plusieurs problèmes, mais je vous avoue, je n’ai aucune idée de la manière d’éradiquer la corruption en Russie. » (Anatoli TchoubaÏs, le 30 mai 2013 sur la chaîne de télévision Russie-24).


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« C’est toujours la faute de Tchoubaïs ! ». Cette exclamation est une sorte de phrase culte en Russie depuis une trentaine d’années. Très impopulaire et très peu aimé par le peuple russe, Anatoli Tchoubaïs représente la descente aux enfers de l’honneur de la Russie. Il fête ses 65 ans ce mardi 16 juin 2020.

La raison de cette détestation ? Ce fut lui qui libéralisa l’économie, qui privatisa tous les grands groupes industriels russes autrefois propriété de l’État. Ce fut une période très noire pour les Russes car on bradait ainsi leur économie, permettant à des anciens de la nomenklatura communiste de se transformer en oligarques richissimes.

Journaliste spécialisé dans les affaires russes, David Satter a expliqué devant le Congrès américain la raison de cette impopularité : « Les réformateurs ont perdu leur popularité en Russie non pas parce qu’ils ont défendu la démocratie, mais parce qu’ils ont facilité la criminalisation de leur pays. » (le 7 octobre 1999 devant la commission des relations internationales de la Chambre des représentants, cité par l’économiste Jacques Sapir en décembre 2019 dans "Méthode, revue des Instituts frranco-russes", p.168).

Dans "Eurasia Daily Monitor" (volume 2, issue 119), le politologue norvégien Pavel K. Baev faisait déjà remarquer le 20 juin 2005, à propos du « seul survivant parmi les jeunes réformateurs » (Anatoli Tchoubaïs venait alors d’avoir 50 ans) : « Dans la vie politique russe, il n’y a aucun autre individu, sauf évidemment Vladimir Poutine, qui déclenche autant de réactions passionnelles qu’Anatoli Tchoubaïs. De nombreux Russes appauvris le tiennent personnellement pour responsable du programme de privatisations douteux du milieu des années 1990, tandis que les nouveaux entrepreneurs le louent comme principal architecte des réformes économiques. Dans la classe politique, il est très respecté comme "sauveur" de la campagne pour la réélection de Boris Eltsine en 1996. ».

Anatoli Tchoubaïs et Egor Gaïdar symbolisent en effet la chute du communisme soviétique et l’ouverture économique et financière de la Russie après plus de soixante-dix ans de régime étatiste et communiste. À l’époque, Boris Eltsine, devenu le premier Président élu de la Fédération de Russie (élu le 12 juin 1991), s’entourait de jeunes économistes libéraux trentenaires.

Après des études d’économie et d’ingénieur à l’Université de Saint-Pétersbourg (bien plus tard, il a été honoré comme docteur honoris causa de cette université), Anatoli Tchoubaïs y enseigna entre 1977 et 1990 tout en adhérant au PCUS en 1980. Il a fait partie des économistes dissidents (avec Egor Gaïdar) dès le début des années 1980 (avant puis pendant Gorbatchev) pour soutenir la perestroïka. En 1990, il a rejoint le nouveau maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak qui fut également le mentor politique de Vladimir Poutine (qui était adjoint au maire). Anatoli Tchoubaïs refusa d’être désigné président du soviet de Leningrad et préféra rester le bras droit du maire chargé de mettre en place une zone économique libre en 1991.

Le 11 novembre 1991 (un mois et demi avant l’effondrement total de l’URSS), Boris Eltsine nomma Egor Gaïdar Ministre des Finances et Anatoli Tchoubaïs Ministre des Privatisations. Anatoli Tchoubaïs n’avait que 36 ans et fut ainsi bombardé à la tête de l’équivalent russe de ce qu’est pour la France l’Agence de participation de l’État. Après son adoption par le Soviet Suprême de Russie le 11 juin 1991, le programme de privatisation par coupons devait être lancé le 19 août 1991, le jour du putsch à Moscou.

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Egor Gaïdar resta aux Finances jusqu’au 2 avril 1992 (tout en dirigeant le gouvernement). En 1993, après avoir cofondé un parti politique (présidé par Egor Gaïdar), Anatoli Tchoubaïs fut élu député de la Douma. Ensuite, Boris Eltsine le nomma dans le gouvernement de Viktor Tchernomyrdine comme Premier Vice-Premier Ministre (exactement : Premier Président du Gouvernement de la Fédération de Russie) du 5 novembre 1994 au 16 janvier 1996 (appliquant une politique de stabilité économique, ramenant l’inflation de 18% à 3%) et du 17 mars 1997 au 23 mars 1998, cumulant avec le Ministère de l’Économie et des Finances.

Anatoli Tchoubaïs est devenu ainsi l’un des hommes les plus influents de Russie des années 1990, pendant la période de Boris Eltsine. Après avoir quitté le gouvernement en 1996 pour diriger la campagne présidentielle de Boris Eltsine (alors qu’il n’était crédité que de 3% de cote de popularité, personne n’imaginait qu’il allait être réélu le 3 juillet 1996 avec 53,8% des voix), il fut nommé après la réélection chef de l’administration présidentielle (l’équivalent de Secrétaire Général de l’Élysée) de juillet 1996 à mars 1997 avant d’être rappelé au gouvernement en raison de la crise économique asiatique.

C’était une époque (entre 1997 et 1999) où Boris Eltsine, très malade et en fin de règne, se cherchait un successeur en nommant le pressenti à la tête du gouvernement : Viktor Tchernomyrdine, Sergueï Kirienko, Evgueni Primakov, Sergueï Stepachine, et enfin Vladimir Poutine. Parmi les dauphins possibles, il y avait également Boris Nemtsov, qui parallèlement à Anatoli Tchoubaïs, fut aussi Vice-Premier Ministre. Anatoli Tchoubaïs, détesté par la population russe, n’a jamais été envisagé comme un héritier crédible et resta toujours l’homme de l’ombre.

Anatoli Tchoubaïs quitta le gouvernement en 1998 après avoir été élu président du conseil d’administration du grand groupe industriel d’électricité (monopole public) RAO UES (United Energy System, en russe, EES) qu’il a présidé pendant dix ans, jusqu’au 1er juillet 2008. Pour avoir une idée de l’importance de cette entreprise (quatrième mondiale dans son secteur), en 2005, elle employait près de 600 000 personnes, et son chiffre d’affaires en 1994 était de près de 20 milliards de dollars.

Cette longévité est étonnante dans la mesure où les libéraux se sont retrouvés assez rapidement dans l’opposition au Président Vladimir Poutine, voire pourchassés par lui. Au contraire, Anatoli Tchoubaïs fut étrangement pouto-compatible tandis que Vladimir Poutine aurait pu le disgracier (ce qui aurait été très populaire). L’article d’Yves Bourdillon dans "Les Échos" du 3 novembre 2006 précise au détour d’une phrase : « Anatoli Tchoubaïs, dont la survie politique a de quoi surprendre puisqu’il n’a pas appartenu au KGB et est détesté par Poutine. Mais il détient un savoir-faire précieux quand il s’agit de limiter les coupures de courant… ». Le journaliste semble cependant oublier qu’Anatoli Tchoubaïs et Vladimir Poutine ont eu le même maître politique, Anatoli Sobtchak, à Saint-Pétersbourg, ce qui pouvait les rapprocher.

Pendant sa gouvernance, l’entreprise d’électricité a levé 30 milliards de dollars de fonds pour investir dans la construction de 130 nouvelles centrales électriques (produisant 30 000 MW) ainsi que 10 000 kilomètres de lignes de transmission et 60 000 kilomètres de ligne de réseau de distribution. Dans les revues spécialisées, Anatoli Tchoubaïs fut considéré comme un grand patron compétent, ayant réussi le passage d’un monopole d’État à une grande entreprise privée (en juillet 2008, ce fut la fin juridique de RAO UES).

Depuis le 22 septembre 2008, Anatoli Tchoubaïs est le directeur général de Rusnano, un fonds d’investissement d’État chargé d’investir dans les nanotechnologies en Russie (en 2010, près de 500 personnes ont collaboré pour Rusnano). En huit années, le fonds a été à l’origine du lancement de 100 projets d’investissements, près de 70 nouvelles usines et 30 nouveaux centres de recherche et développement, des collaborations avec notamment Gazprom et BP (avec BP, pour développer une technologie qui a pour objectif d’accroître la pression dans une couche de pétrole avec des nanoparticules polymères et donc accroître le taux d’extraction). En 2011, Anatoli Tchoubaïs fut également élu président du conseil d’administration de Rusnano.

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Lors d’un salon des nanotechnologies à Moscou en novembre 2013, Anatoli Tchoubaïs a précisé quelques-uns de ces projets innovants : « On est en train de construire une usine de production des protéines à partir de matières biologiques suivant une technologie russe protégée. Un autre secteur intéressant est celui de l’énergie où il existe un projet de production de gazole à partir de dioxyde de carbone grâce à des bactéries génétiquement modifiées. Il s’agit d’une technologie unique en son genre. Une usine pilote est en cours de construction. » (cité par Sputnik News le 30 novembre 2013).

Considéré désormais comme un expert en innovation technologie, Anatoli Tchoubaïs a ainsi participé au congrès sur les nouveaux matériaux le 13 novembre 2017 à Luxembourg, qu’il a lui-même sponsorisé, où le Premier Ministre luxembourgeois Xavier Bettel a rappelé en ouverture : « 70% de toutes les innovations produites sont basées sur une amélioration des propriétés des matériaux. ».

Le résultat a été que pendant les années 2000, loin d’être dans l’opposition, Anatoli Tchoubaïs a renforcé son influence sur l’économie russe, en devenant même l’un des oligarques les plus riches du pays (il serait milliardaire). En 2004, le "Financial Times" et Price Waterhouse Coopers l’ont désigné comme « the world’s 54th most respected business leader » (le 54e chef d’entreprise le plus influent du monde).

Le 17 mars 2005 près de Moscou, il a réchappé miraculeusement à un attentat qui le visait (bombe et deux hommes postés tirant sur lui avec fusil-mitrailleur, il n’a dû son salut qu’au blindage de sa voiture). Quelques mois plus tard, il figurait encore comme le 17e meilleur homme politique de la Russie (en mai 2005).

Très inquiet de l’évolution de l’économie mondiale en général et russe en particulier, Anatoli Tchoubaïs avait mis en garde contre l’arrivée de grandes difficultés avec la crise sanitaire, disant le 20 avril 2020 : « Le pic de la pandémie du covid-19 en Russie sera "déchirant" » en pronostiquant que ce pic serait en plateau jusqu’à la fin du mois de mai 2020. Un mois auparavant, le 20 mars 2020, il avait salué à la télévision les mesures prises par le gouvernement russe pour empêcher des dizaines de millions de pertes d’emploi grâce à un fonds national de protection sociale.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 juin 2020)
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Pour aller plus loin :
Anatoli Tchoubaïs.
Vladimir Poutine.

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18 janvier 2020 6 18 /01 /janvier /2020 03:30

« Je suis convaincu que notre pays, avec son vaste territoire, sa structure nationale et territoriale complexe et une grande variété de traditions culturelles et historiques, ne peut pas se développer normalement et, je dirais plus, exister simplement de manière stable sous la forme d’une république parlementaire. La Russie doit rester une république présidentielle forte. » (Vladimir Poutine, le 15 janvier 2020 à Moscou).


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Faut-il parler de révolution ? Peut-être pas révolutionnaire, mais historique, certainement, fut le discours du Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine prononcé le mercredi 15 janvier 2020 devant l’Assemblée Fédérale, qui regroupe la Douma d’État (Chambre basse) et le Conseil de la Fédération (l’équivalent du Sénat), un discours traditionnel chaque année. Tremblement de terre ? Certainement pas, mais grande surprise, à l’évidence puisque tout le monde a été étonné de ce discours, la "communauté internationale", bien sûr, mais aussi et surtout la classe politique nationale.

Rappelons l’histoire avant de parler de ce discours très important, et rappelons aussi l’ambition du "tsar" Poutine, celle de vouloir laisser son nom dans les livres d’histoire à l’égal des grands de la Russie éternelle, et pourquoi pas, Pierre le Grand ? Laisser un nom dans l’histoire, c’est très mégalomaniaque mais c’est assez courant dans l’histoire politique des peuples. Hannah Arendt expliquait d’ailleurs que c’était pour cette raison que les chefs d’État encourageaient les arts car l’art est plus intemporel que la vie politique (d’où les grands travaux d’architecture).

Vladimir Poutine, ex-agent du KGB, était complètement inconnu du grand public russe lorsqu’il fut nommé Premier Ministre (je garderai ce terme même si le terme exact est Président du Gouvernement de la Fédération de Russie) le 9 août 1999 par Boris Eltsine. À l’époque, c’était la valse des Premiers Ministres, Sergueï Stepachine, Evgueni Primakov, Viktor Tchernomyrdine, Sergueï Kirienko, en une seule année, Boris Eltsine avait nommé cinq chefs de gouvernement, tous plus ou moins pressentis comme futurs héritiers. Boris Eltsine était malade et cherchait à se retirer dans la plus grande douceur : ne pas avoir d’ennuis judiciaires ou politiques avec son successeur. Vladimir Poutine, 46 ans à l’époque, semblait "inoffensif", c’est-à-dire, un technocrate modèle, organisé, brillant, sans ambition politique proclamée.

On le sait depuis un certain temps, Poutine n’était pas un pape de transition puisqu’il est à la tête de la Russie depuis ce 9 août 1999, soit plus de vingt ans. Patiemment, progressivement, il a pris ses marques, a conquis ses territoires pour conquérir tout le pouvoir politique avec la grande force d’avoir anéanti toute opposition.

La Russie est-elle une dictature ? Non, à l’évidence non, mais est-elle une démocratie ? C’est difficile de répondre. Il n’y a jamais eu de démocratie pour le peuple russe. C’est une notion très récente, probablement installée avec la perestroïka et la glasnost de Mikhaïl Gorbatchev. Si l’on compare, les États-Unis sont une démocratie depuis plus de deux siècles. La France depuis un siècle et demi. Les démocraties ont besoin d’histoire pour s’affirmer, se perfectionner et même pour se définir.

Ceux qui comparent Poutine à Staline n’ont pas compris grand-chose aux institutions. Poutine est même un anticommuniste. Son principal opposant lors de ses premières élections présidentielles fut Guennadi Ziouguanov, le chef du nouveau parti communiste de Russie (qu’il serait vain de comparer à l’antique PCUS dissout en 1991). Un signe qui ne trompe pas : les références soutenues à la religion (orthodoxe) de Poutine, sa proximité avec son clergé. Et un autre signe, son admiration sans bornes pour Soljenitsyne. Poutine est un libéral en économie, il soutient le capitalisme et veut attirer les capitaux étrangers pour faire redémarrer l’économie russe trop souvent basé sur ses seules ressources énergétiques.

Poutine a même préservé et renforcé l’État de droit. C’est essentiel. Une démocratie doit se baser d’abord sur les textes. Ensuite, elle se base sur leur application par les hommes (et les femmes). Il y a encore des comportements peu démocratiques. Ainsi, on peut citer de nombreuses violations de la liberté d’expression et de la liberté de manifestation. Les médias russes sont quasiment tous à la botte du Kremlin. Si les opposants crédibles n’existent pas, c’est à cause de cette mainmise généralisée du pouvoir sur les médias. Il y a même pire avec l’assassinat d’opposants notoires (Boris Nemtsov, Anna Politkovskaia, etc.) ou des morts suspectes (Egor Gaïdar, Alexandre Litvinenko, Boris Berezovsky, etc.). Il manque encore beaucoup la sincérité dans cette démocratie, mais il faut compter qu’un pays ne peut pas s’improviser en démocratie sur un claquement de doigts. Cela n’empêche pas les gens de s’exprimer, cela n’empêche pas la présence d’organisations non gouvernementales qui aiguillonnent le pouvoir, font pression. Le régime actuel n’a rien à voir avec la dictature communiste d’il y a trente ans.

Le grand progrès d’aujourd’hui, c’est que l’autocratie de Poutine repose sur lui et pas sur un système voué à perdurer pour des siècles et des siècles comme c’était le cas avec la dictature communiste d’avant 1991. Poutine avait compris dès 1999 que les Russes avaient eu un sentiment d’humiliation avec Boris Eltsine, comme si la Russie était un nouvel eldorado prêt à être conquis par les méchants "Occidentaux" (considérer que les Russes ne seraient pas des "Occidentaux" est à mon avis une erreur tant de culture que de géostratégie, mais je comprends bien leur besoin de se différencier des Européens).

Dès 1999, grâce au vide politique, Vladimir Poutine a ramassé à la petite cuillère le pouvoir. Il fallait ce moment de pouvoir fort, qui a redonné cette fierté aux Russes et qui a replacé la Russie dans le jeu de la "communauté internationale", le jeu d’avant la Révolution russe, sans être un ennemi, mais sans être un vassal. Ce n’était pas facile. C’est la Russie le premier pays qui a soutenu les États-Unis lors des attentats du 11 septembre 2001. Poutine le premier chef d’État étranger à avoir appelé George W. Bush Jr. Même si c’est plus confus aujourd’hui, près de vingt ans plus tard, c’était le nouveau clivage international : les nations contre les terroristes islamistes. Vladimir Poutine a d’ailleurs voulu asseoir son autorité en déclenchant la 2e guerre de Tchétchénie le 26 août 1999, ce n’est pas un hasard. L’ennemi n’est plus américain mais l’islamiste.

Vladimir Poutine est devenu naturellement le dauphin de Boris Eltsine quand ce dernier a démissionné. Vladimir Poutine dirige donc la Russie depuis plus de vingt ans avec alternativement deux fonctions : Premier Ministre du 9 août 1999 au 7 mai 2000 et du 8 mai 2008 au 7 mai 2012, et Président de la Fédération de Russie du 31 décembre 1999 au 7 mai 2008 et depuis le 7 mai 2012. Pour cette dernière fonction, il a été élu et réélu au suffrage universel direct les 26 mars 2000, 14 mars 2004, 4 mars 2012 et 18 mars 2018.

Pourquoi parle-t-on de l’année 2024 ? Parce qu’en principe, Vladimir Poutine sera constitutionnellement conduit à quitter le pouvoir. Ce ne sera pas une "démission" mais une fin de mandat non reconductible. En 2000, et cela depuis 1993, le mandat présidentiel était de quatre ans, avec une limitation à deux mandats successifs. Comme aux États-Unis dont la Constitution fut prise pour modèle par Boris Eltsine. Vladimir Poutine préfère plutôt la Cinquième République française comme modèle constitutionnel.

En 2008, Vladimir Poutine ayant accompli deux mandats successifs, ne pouvait pas se représenter à l’élection présidentielle. Il aurait pu faire comme l’a fait récemment Xi Jinping ou même Hugo Chavez il y a un peu plus longtemps, à savoir changer le texte constitutionnel et faire sauter ce verrou juridique pour pouvoir se présenter une troisième fois de suite. C’est à cela qu’on peut comprendre que l’État de droit l’emporte sur la volonté autocratique en Russie.

Vladimir Poutine, au lieu de changer le texte, a plutôt rusé. Personne n’a été dupe mais la Constitution ratifiée par référendum le 12 décembre 1993, non modifiée sur ce point précis, a été respectée. Il a pris un prête-nom, Dmitri Medvedev, numéro deux du gouvernement de l‘époque, homme plutôt intelligent et même "libéral" (en politique comme en économie), un intello de Saint-Pétersbourg (la ville de Poutine), mais visiblement sans aucune personnalité.

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Homme loyal et fidèle, Dmitri Medvedev a été élu Président de la Fédération de Russie le 2 mars 2008 pour un mandat de quatre ans, gardant au chaud la place pour son prédécesseur qui, en attendant, est devenu chef du gouvernement. En 2012, Vladimir Poutine pouvait ainsi se représenter à nouveau à l’élection présidentielle pour une nouvelle série de deux mandats, mais par la loi constitutionnelle du 30 décembre 2008, il avait en revanche fait adopter une révision constitutionnelle pour allonger le mandat présidentiel à six ans. Son second mandat de six ans se termine ainsi le 7 mai 2024.

Entre-temps, le loyal et fidèle Dmitri Medvedev est devenu Premier Ministre, à partir du 8 mai 2012. Ce jeu d’alternance qui n’en était pas une, non seulement n’a dupé personne mais était particulièrement hypocrite. Personne, dans aucun pays, n’a usé de cette ruse institutionnelle pour se maintenir au pouvoir : soit on respectait l’esprit des textes et le dirigeant ne cherchait pas à rester en place, soit au contraire, on changeait les textes, parfois par un coup d’État, et on se maintenait au pouvoir manu militari (c’était le cas pour Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, il n’avait été élu le 11 décembre 1848 que pour un mandat de quatre ans non renouvelable immédiatement, il a préféré se faire proclamer Président à vie puis Empereur l’année suivante).

En 2024, Poutine aura 71 ans et ne semble pas prêt à quitter le pouvoir. Alors, comment va-t-il s’y prendre ? On pourrait imaginer qu’il refasse le coup de 2008, à savoir remettre Dmitri Medvedev à la Présidence et lui à la tête du gouvernement, mais pour une durée de six ans, ce serait un peu long pour attendre un prochain mandat présidentiel (Poutine aurait alors 77 ans en 2030). On pourrait imaginer aussi qu’il change la Constitution et fasse sauter ce verrou de limitation.

Ce 15 janvier 2020, on a pu comprendre que Poutine va changer très profondément la Constitution. Plus exactement, pas la changer, mais la modifier. C’est pour cette raison que quelques heures plus tard, Dmitri Medvedev, très impopulaire dans son pays, notamment en raison d’une réforme des retraites, a démissionné ainsi que son gouvernement : « Nous, en tant que gouvernement de la Fédération de Russie, devons donner au Président de notre pays les moyens de prendre toutes les mesures qui s’imposent. C’est pour cela (…) que le gouvernement dans son ensemble donne sa démission. ». Dmitri Medvedev a été immédiatement nommé Vice-Président du Conseil de Sécurité de Russie par Poutine (poste qu’il venait de créer).

Une nouvelle phase arrivait et il fallait donc de nouvelles loyautés. Dmitri Medvedev fut remplacé le jour même par un inconnu de la classe politique russe, Mikhaïl Michoustine (53 ans). Le nouveau chef du gouvernement est un technocrate, le patron du fisc russe depuis presque dix ans, depuis avril 2010 (il a fait augmenter nettement le taux de recouvrement des impôts). On imagine sans mal qu’il connaît donc la situation fiscale de tous les responsables politiques (au cas où).

Mikhaïl Michoustine a pris ses fonctions le jeudi 16 janvier 2020 après avoir reçu la confiance de la Douma d’État par 363 voix (contre zéro opposition).

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Revenons au discours de Vladimir Poutine le 15 janvier 2020.

Parmi les points abordés, la faible natalité russe (elle est dramatique) et des mesures incitatives pour la redresser (avec des avantages donnés dès le premier enfant). Mais le plus important fut la révision de la Constitution qu’il s’apprête à faire, qu’il considère très large et qu’il veut faire ratifier par le peuple lors d’un référendum : « Je juge nécessaire de soumettre au vote des citoyens du pays l’ensemble des révisions de la Constitution proposées. ». Gageons qu’il n’aura pas de mal à obtenir l’appui populaire, d’autant plus que beaucoup de mesures tendent à donner plus de pouvoir au Parlement au détriment du Président.

Il n’y a pas eu beaucoup de révisions de la Constitution depuis le 12 décembre 1993, quatre : le 30 décembre 2008 (prolongation de la durée du mandat présidentiel de quatre à six ans et du mandat de la Douma d’État de quatre à cinq ans), le 5 février 2014 (suppression de la Haute Cour d’arbitrage), le 21 mars 2014 (création de deux nouveaux sujets de la Fédération, la République de Crimée et Sébastopol) et le 21 juillet 2014.

Il ne faut cependant pas croire que toutes les mesures présentées vont dans le sens de plus de démocratie. Ainsi, Poutine veut rendre plus strictes les conditions pour être candidat à l’élection présidentielle russe en imposant l’obligation de résidence en Russie depuis au moins vingt-cinq ans et ne pas avoir une double nationalité ou un permis de séjour d’État étranger « non seulement au moment de leur participation à l’élection, mais également par le passé ». Si cet aspect ne concerne qu’un nombre très limité de candidats potentiels, comme il y a déjà un vide pour avoir un candidat d’opposition qui en a la stature et la capacité de rassemblement, accroître les contraintes rend encore plus difficile d’en trouver, surtout avec des mesures rétroactives en ce qui concerne des cartes de séjour dans des pays étranger. Lui-même, d’ailleurs, résidait en Allemagne de l’Est (à Dresde puis Berlin) lorsqu’il travaillait pour le KGB, d’août 1985 à février 1990, il devait nécessairement avoir un permis de séjour longue durée…

Autre mesure restrictive : l’interdiction aux gouverneurs (chefs des sujets de la Fédération), parlementaires, membres du gouvernement, juges d’avoir la double nationalité ou un permis de séjour permettant de résider de manière permanente dans un pays étranger : « L’idée, la mission du service public, c’est le service, et la personne qui choisit cette voie doit d’abord décider par elle-même qu’elle lie sa vie à la Russie, à notre peuple, et pas autrement, sans hésitations et arrière-pensées. ». Quid des ambassadeurs ?!

Poutine souhaite aussi, dans un élan nationaliste, transformer complètement la hiérarchie des normes en considérant la primauté du droit national sur le droit international : « Il est temps d’apporter à la loi suprême du pays certaines modifications qui garantiront directement la primauté de la Constitution russe dans notre espace juridique. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que les dispositions de la législation internationale et des traités, ainsi que les décisions des organes internationaux, peuvent s’appliquer sur le territoire de la Russie uniquement dans la mesure où elles n’entraînent pas de restriction des droits et libertés de l’homme et du citoyen, et ne contredisent pas notre Constitution. ».

Ce point mériterait un débat entre experts constitutionnalistes, car cela va à l’encontre de tout le droit international. Ainsi, les traités internationaux ont en principe une valeur juridique plus importante que le droit national. Vladimir Poutine semble sous-entendre (à tort) que la primauté du droit national sur le droit international favoriserait les droits de l’homme, mais la réalité est justement l’inverse : ce sont les conventions internationales (de très nombreuses) qui ont renforcé les libertés des citoyens des pays signataires. On peut citer les droits des enfants, et l’une des premières, les Accords d’Helsinki qui ont donné dans les années 1970 un cadre juridique aux revendications de "dissidents" soviétiques comme Andrei Sakharov.

Cela dit, les autres mesures renforcent plutôt la démocratie russe. Ainsi pour la limitation à deux mandats présidentiels successifs. Vladimir Poutine propose de supprimer le mot "successifs", ce qui empêcherait définitivement de faire comme il l’a fait puisqu’il a eu en tout quatre mandats (cinq si l’on compte que pour les deux derniers, il a augmenté de 50% leur durée), voire six si l’on prend en compte celui de Dmitri Medvedev : « Je ne considère pas cette question comme une question de principe, mais je suis d’accord avec cela. ».

Plus cruciale, la nomination du Premier Ministre : il souhaite que la Douma d’État ratifie non seulement la nomination du Premier Ministre mais aussi des ministres : « Je propose de modifier cela et de confier à la Douma d’État non seulement la concertation, mais aussi l’approbation de la candidature du chef du gouvernement de la Fédération de Russie, puis sur sa proposition (…), de tous les vice-premiers ministres et ministres fédéraux. ». Ces membres du gouvernement ne pourront plus être remplacés par le Président de la Fédération sans cette nouvelle procédure.

Cela n’est pas incompatible avec le maintien d’un régime présidentiel fort (voir en haut de l’article). Cela signifie que le pouvoir présidentiel de destitution du Premier Ministre et des ministres reste maintenu.

Poutine propose une autre mesure pour renforcer (en théorie) l’État de droit. Il s’agit de donner au Conseil de la Fédération (le Sénat) le pouvoir de destituer les juges des Cours suprême et constitutionnelle sur proposition du Président de la Fédération. En fait, il n’est pas sûr que l’important soit dans ce pouvoir de destitution de certains parlementaires mais plus dans la capacité du Président à proposer cette destitution, auquel cas cela signifierait au contraire un élargissement du pouvoir du Président à choisir ou limoger des juges suprêmes. Poutine justifie sa proposition ainsi : « Le système judiciaire, les Cours suprême et constitutionnelle, joue un rôle clef pour garantir la légalité et les droits des citoyens. Je souligne que non seulement le professionnalisme des juges, mais aussi leur crédibilité devraient être inconditionnels. La justice et le droit moral de prendre les décisions qui affectent la vie des gens ont toujours été d’une importance primordiale. La loi fondamentale ne doit consolider et protéger l’indépendance et les principes de leur subordination que par la Constitution et la législation fédérale. ».

De même, il souhaite adopter ce qui existe depuis une cinquantaine d’années en France, à savoir les contrôles de constitutionnalité des lois avant leur promulgation. La France est très en avance dans ce domaine (j’y reviendrai cette année). Il s’agit de vérifier que les parlementaires n’ont pas adopté dans leurs lois des dispositions qui seraient contraires à la Constitution (en France, on dirait plutôt au "bloc de constitutionnalité" dont peut faire partie, par exemple, une simple loi comme celle du 9 décembre 1905 sur la laïcité), en particulier au sujet des libertés publiques.

Avec les mots de Poutine : « Afin d’améliorer la qualité de la législation nationale, afin de mieux défendre les intérêts des citoyens, je propose de renforcer le rôle de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire de lui donner les moyens de vérifier à la demande du Président la conformité à la Constitution des projets de loi adoptés par l’Assemblée Fédérale avant leur promulgation par le Président. ».

Notons à cet égard que cette disposition n’est pas suffisante, et c’était quasiment la même inscrite en 1958 en France (au-delà du Président de la République, les présidents des deux assemblées pouvaient aussi demander ce contrôle de constitutionnalité). C’est le Président Valéry Giscard d’Estaing qui a étendu l’initiative du contrôle de constitutionnalité en permettant à l’opposition de saisir le Conseil Constitutionnel (et le Président Nicolas Sarkozy a fait encore beaucoup plus avec la QPC sur laquelle je reviendrai).

Enfin, Vladimir Poutine propose aussi d’inscrire dans la Constitution russe deux mesures déjà appliquées mais seulement par des lois simples : le salaire minimum et l’indexation des retraites. Salaire minimum : « J’estime nécessaire de consacrer directement dans la Constitution la disposition selon laquelle le salaire minimum en Russie ne peut pas être inférieur au minimum vital de la population active. ». Retraites : « Fixer dans la loi fondamentale les principes de retraites dignes. Cela signifie appliquer une indexation régulière des pensions de retraite. ».

Je ne peux pas m’empêcher de penser, parce qu’il est un habile homme politique qui connaît bien la vie politique intérieure d’autres pays, que Vladimir Poutine a proposé ces mesures économiques à inclure dans la Constitution dans un but de faire un double clin d’œil narquois : à l’Union Européenne qui va devoir négocier pour éventuellement instituer un salaire minimum européen (la partie n’est pas gagnée), et à la France elle-même, du moins au gouvernement français et au Président Emmanuel Macron, enlisés dans un pays paralysé par les grèves contestant la réforme des retraites et auparavant, par les gilets jaunes qui avaient protesté contre la désindexation des pensions de retraite en 2018.

Ces annonces ont surpris tout le monde, et surtout, ont pris de court tout le monde. Il est clair que ces modifications constitutionnelles ont pour objectif de préparer l’après-2024 et il est peu crédible d’imaginer que Vladimir Poutine puisse renoncer à son pouvoir ou à son influence sur un pays qui n’a connu, en vingt ans, qu’un seul leader sans aucune autre personnalité forte.

Certains ont imaginé qu’en quatre ans, Vladimir aurait encore le temps de faire cette Arlésienne que serait la réunion de la Russie et de la Biélorussie, avec un Président qui chapeauterait les deux pays. C’était le rêve du Président biélorusse Alexandre Loukachenko qui se voyait en nouveau Staline, mais l’idée que Vladimir Poutine puisse présider une confédération russo-biélorusse reste cependant peu réaliste et peu crédible.

En revanche, il y a une autre possibilité pour rester au pouvoir. Car j’ai oublié une autre proposition de révision constitutionnelle de Vladimir Poutine. Le 1er septembre 2000, il avait réuni dans une structure informelle, qu’il a appelée "Conseil d’État", un organe consultatif réunissant les chefs des sujets de la Fédération et les présidents des deux assemblées de l’Assemblée Fédérale, ainsi que les représentants du pouvoir central dans les districts fédéraux. Le Président de la Fédération est le Président du Conseil d’État.

Ce que veut Poutine, c’est constitutionnaliser l’existence de ce Conseil d’État : « À mon initiative, le Conseil d’État (…) a été réactivé. Au fil du temps, le Conseil d’État a démontré une haute efficacité. Ses groupes de travail assurent un examen professionnel, complet et de haute qualité des questions les plus importantes pour les citoyens du pays. Je crois qu’il serait approprié d’inscrire le statut et le rôle correspondant du Conseil d’État dans la Constitution de la Fédération de Russie. ».

Voici ainsi une piste pour conserver le pouvoir : que la Présidence du Conseil d’État ne soit plus attribuée au Président de la Fédération …mais à Vladimir Poutine lui-même. Avec des prérogatives qu’il aura rédigées minutieusement à l’occasion de cette révision de la Constitution.

Car de cette surprenante annonce, il y a deux interprétations. Les plus poutinolâtres, dont l’allégeance est un peu trop visible, vont y voir un acte exceptionnel de démocratie et l’idée que Poutine va laisser à ses successeurs une démocratie apaisée. Mais franchement, qui peut le croire raisonnablement ? Alors que Erdogan, Xi Jinping, Sissi, au contraire, ont installé durablement leur leadership dans un cadre constitutionnel qui les avantage ? Les plus réalistes se disent que Vladimir Poutine, suffisamment fin et habile pour rester dans le cadre de l’État de droit, va chercher une voie nouvelle pour conserver son pouvoir tout en quittant la Présidence de la Fédération. Ce n’est pas un hasard s’il veut réduire une partie des prérogatives présidentielles.

Poutine peut néanmoins observer d’autres modèles. Le premier est celui de Deng Xiaoping qui, jusqu’à la fin de sa vie, a toujours eu une grande influence sur le pouvoir mais n’a jamais eu de titre officiel si ce n’est la très stratégique présidence de la Commission militaire (en d’autres termes, le contrôle de l’armée).

Le deuxième est récent, il est au Kazakhstan, où le chef d’État a été longtemps classé numéro un parmi les dictateurs du monde. En effet, Noursoultan Nazarbaïev, patron du parti communiste kazakh au moment du délitement de l’URSS, a été Président de la République du Kazakhstan du 24 avril 1990 au 20 mars 2019 et le 20 mars 2019, il a laissé son poste sans pour autant renoncer au pouvoir en restant Président du Conseil de sécurité et "chef de la nation", titre obtenu par une révision de la Constitution en 2010 et une loi de 2018. Sa fille a été élue Présidente du Sénat et son neveu Vice-Président du Conseil de Sécurité. Cela tombe bien, Vladimir Poutine (actuel Président du conseil de Sécurité de la Russie) vient de nommer son fidèle Dmitri Medvedev Vice-Président du Conseil de Sécurité. "The Economist" considère qu’il est encore le leader du Kazakhstan.

Le troisième exemple, c’est Singapour. Lee Kuan Yan fut le père de l’indépendance, Premier Ministre de Singapour du 5 juin 1959 au 28 novembre 1990, mais il fut considéré, jusqu’à sa mort le 23 mars 2015, comme ayant une influence déterminante dans la vie politique (il fut "ministre senior" du 28 novembre 1990 au 12 août 2004 puis "ministre mentor" du 12 août 2004 au 21 mai 2011 quand le gouvernement était dirigé par son fils Lee Hsien Loong) : « Même sur mon lit de mort, même si vous êtes sur le point de m’enterrer dans ma tombe, si je sens que quelque chose ne va pas bien, je me lèverai. » (9 août 1988).

Le quatrième exemple, c’est la Corée du Nord, dont le chef d’État, Kim Jong-Un, officiellement "Dirigeant suprême de la République populaire démocratique de Corée" depuis le 17 décembre 2011, est en lien de subordination avec son grand-père, Kim Il-Sung, mort le 8 juillet 1994 certes, mais promu le 5 septembre 1998 "Président éternel de la République" par son fils Kim Jong-Il.

Le cinquième exemple, c’est la République islamique d’Iran dont le dirigeant effectif n’est pas le Président de la République élu au suffrage universel direct, mais le Guide suprême de la Révolution, placé à vie, Ali Khamenei depuis le 4 juin 1989.

Alors, Président du Conseil d’État, Président du Conseil de Sécurité, Président de la Commission militaire permanente, Chef de la Nation, Ministre mentor, Président éternel, Guide suprême… Dans un pays dont la longue tradition du siècle dernier fut de ne pas laisser le pouvoir au chef de l’État (pendant la dictature communiste), Vladimir Poutine n’a pas encore décidé quelle carte il va jouer avec cette révision constitutionnelle à enjeu politique majeur. Et dans tous les cas, cela concerne aussi la France et l’Europe, car l’avenir politique de la Russie aura nécessairement des impacts sur l’Europe et sur le reste du monde.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Poutine au pouvoir jusqu'en 2021 ?
Poutine : comment rester aux commandes de la Russie après 2024 ?
Youri Loujkov.
Egor Gaïdar.
Trotski.
Le Pacte germano-soviétique.
Ivan Tourgueniev.
Gérard Depardieu, ministre russe.
Andrei Gromyko.
Alexandre Soljenitsyne.
Nicolas II et les bolcheviks : massacre familial.
Le nouveau sacre de Poutine.
Dmitri Medvedev.
Youri Gagarine.
Katyn.
Karl Marx.
La Révolution russe.
Spoutnik.
Hannah Arendt.
Totalitarismologie du XXe siècle.
Mstislav Rostropovitch.
Raspoutine.
Léonid Brejnev.
La fin de l’URSS.
La catastrophe de Tchernobyl.
Trofim Lyssenko.
Anna Politkovskaia.
Vladimir Poutine a 60 ans.
L’élection présidentielle de mars 2008.
Mikhail Gorbatchev.
Boris Eltsine.
Andrei Sakharov.
L’Afghanistan.
Boris Nemtsov.
Staline.
La transition démocratique en Pologne.
La chute du mur de Berlin.
La Réunification allemande.
Un nouveau monde.
L’Europe et la paix.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200115-poutine.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/poutine-comment-rester-aux-220782

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/01/16/37946939.html






 

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16 décembre 2019 1 16 /12 /décembre /2019 03:02

« Si tu fais des réformes et attends des remerciements, tu ne comprends pas comment le monde est organisé. » (Egor Gaïdar).


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À la lecture de cette petite phrase qui se voulait ironique sinon cynique, on mesure à quel point Emmanuel Macron et Édouard Philippe sont dans l’incompréhension de l’organisation du monde, du moins, quand ils proposent de réformer le système des retraites en France. Cette phrase, si elle provient d’un grand réformateur, n’est pas celle d’un Français, mais d’un Russe. Il y a dix ans, le 16 décembre 2009, l’économiste Egor Gaïdar est mort à Odintsovo, dans la région de Moscou. Il est mort à l’âge de 53 ans (né le 19 mars 1956 à Moscou), donc plutôt jeune, beaucoup trop jeune, on pourrait dire, même si l’espérance de vie de son pays s’était effondrée depuis une trentaine d’années.

Egor Gaïgar est mort subitement le 16 décembre 2009, alors qu’il travaillait sur un livre pour enfants. Mort d’un œdème pulmonaire provoqué par une ischémie myocardique. Le Président de la Fédération de Russie de l’époque, Dmitri Medvedev, a poliment rendu hommage à l’économiste « audacieux, honnête et décisif » qui « a assumé la responsabilité de mesures impopulaires mais essentielles dans une période de changement radical ». Vladimir Poutine lui-même, à l’époque Premier Ministre, exprima son émotion : « La mort de Gaïdar est une lourde perte pour la Russie. (…) Nous avons perdu un véritable citoyen et patriote, une personne pleine d’esprit, un scientifique talentueux, un écrivain et un expert. (…) Il n’a pas esquivé ses responsabilités et il a "pris les coups" dans les situations les plus difficiles avec honneur et courage. ».

Pendant trois ans, Egor Gaïdar était-il malade ? Quoi ? Difficile à dire. Lors d’un déplacement à Dublin le 24 novembre 2006, pour présenter son livre "La Mort de l’Empire", il s’est effondré, fut hospitalisé d’urgence, inconscient quelque temps, puis rapatrié à Moscou. Une semaine plus tard, ses médecins ont évoqué un empoisonnement qui l’aurait rendu très gravement malade.

La veille de son "effondrement", le 23 novembre 2006, l’ancien espion russe Alexandre Litvinenko avait succombé à Londres (à l’âge de 44 ans), à la suite d’un empoisonnement au polonium 210. Alexandre Litvinenko fréquentait notamment l’homme d’affaires russe Boris Berezovsky, lui-même mort à 67 ans le 23 mars 2013 de manière assez troublante, pendu dans sa douche, à son domicile à l’ouest de Londres (la thèse du suicide a été retenue). D’autres sont morts assassinés, notamment Sergueï Iouchenkov, député du parti de Boris Berezovsky, le 17 avril 2003, et Boris Nemtsov, Vice-Premier Ministre de Boris Eltsine, le 27 février 2015, tous les deux opposants au pouvoir actuel.

Egor Gaïdar a contribué de façon déterminante à l’histoire de la Russie, lors de la dislocation de l’URSS. Il n’est pourtant pas beaucoup connu hors des frontières. Sa mort, me semble-t-il, est passée quasiment inaperçue en France, comme souvent lorsqu’il s’agit de politique intérieure de pays étranger. On ne s’intéresse vraiment qu’aux actualités de son pays. Je ne reproche rien aux médias français car les médias américains sont pires en ce qui concerne leurs connaissances des autres pays du monde. Le nombrilisme est une notion universellement partagée.

À l’époque, j’avais été fasciné par Egor Gaïdar. Quand j’écris "à l’époque", cela signifie : au moment de l’agonie définitive de l’URSS et du coup de grâce le jour de Noël 1991. Noël pour les catholiques, mais avec un décalage de plusieurs jours pour les orthodoxes (Noël est alors fêté en début d’année, pas en fin d’année).

Après le coup d’État militaire avorté (du 19 au 22 août 1991) et le courage politique mais aussi physique de Boris Eltsine, alors Président de la Fédération de Russie (mais ce pays n’était pas indépendant de l’Union Soviétique), le Président de cette dernière, Mikhaïl Gorbatchev, revenu au pouvoir (mais dissolvant le 6 novembre 1991 le PCUS dont il était le Secrétaire Général), n’avait plus aucune autorité politique et était de toute façon épuisé et dépassé par les événements. Et surtout, par Boris Eltsine qui, dès le 23 août 1991, plaçait ses hommes et prenait le pouvoir réel.

Le sujet crucial était la réforme du pacte qui liait l’ensemble des pays au sein de l’URSS, et tous ces pays voulaient plus d’autonomie voire leur indépendance (comme les Pays baltes dès 1990). Les putschistes (en particulier Guennadi Ianaev, autoproclamé calife à la place du calife), craignant une trop forte autonomie, étaient intervenus préventivement pour éviter la signature d’un nouveau traité (prévue le 20 août 1991).

Pour être précis, Boris Eltsine avait été élu le 29 mai 1990 Président du Praesidium du Soviet Suprême de la République socialiste fédérative soviétique (RSFS) de Russie, puis, élu le 12 juin 1991 par le peuple russe (une première), il est devenu le 10 juillet 1991, le premier Président de la RSFS de Russie. Or, Boris Eltsine, en tant que Président de cette "entité" russe, a signé le 8 décembre 1991 à Minsk, avec les Présidents des deux autres pays slaves de l’URSS, l’Ukraine (Leonid Kravtchouk) et la Biélorussie (Stanislaw Chouchtkievitch), le Traité de Minsk qui a créé la Communauté des États Indépendants (CEI), sur la dépouille de l’URSS puisque le traité a été confirmé avec huit autres États de l’ex-URSS le 21 décembre 1991 à Alma-Ata (actuellement Almaty), la capitale du Kazakhstan (seuls les trois Pays baltes et la Géorgie ont refusé d’adhérer à la CEI).

L’URSS est morte officiellement le 25 décembre 1991 et Boris Eltsine devenait le réel maître du Kremlin, mais il s’était déjà donné beaucoup de pouvoirs, avait la légitimité pour lui (élu par le peuple en juin) et s’était aussi autoproclamé Premier Ministre de la Russie le 6 novembre 1991 (jusqu'au 15 juin 1992).

Dès le 11 novembre 1991, Boris Eltsine a nommé Egor Gaïdar comme Ministre des Finances (ainsi que Vice-Premier Ministre à partir du 2 mars 1992). Ce poste était essentiel puisqu’il s’agissait, d’une part, de sauver en urgence l’économie russe (il fallait pouvoir nourrir tout le monde), d’autre part, la réformer en profondeur. Dès 1985, Egor Gaïdar, alors chercheur en économie, avait préparé un programme de réforme pour transformer l’économie soviétique comme l’économie hongroise, en la libéralisant. Lors de la perestroïka, il a rejoint rapidement le camp de Boris Eltsine et a quitté le PCUS.

À Egor Gaïdar fut donc chargée par Boris Eltsine l’immense tâche de réformer l’économie d’une Russie soviétique complètement ruinée et disloquée. Il fut donc Ministre des Finances, puis, du 15 juin 1992 au 15 décembre 1992, il fut nommé Premier Ministre, en quelques sortes, le premier Premier Ministre de la Russie indépendante et non soviétique (plus exactement, le Président du Conseil des Ministres de la Fédération de Russie). Il n’avait alors que 36 ans.

L’objectif était d’appliquer une thérapie de choc pour promouvoir une économie de marché. Le 1er janvier 1992, la monnaie fut libéralisée, le commerce extérieur fut libéralisé, de très nombreuses privatisations d’entreprises d’État ont été réalisées, très hâtivement, enrichissant ceux qu’on a appelés par la suite "les oligarques" et renforçant la colère des gens du peuple, d’autant plus que la libéralisation des prix (inflation de 2 600% !), l’augmentation des taxes, l’effondrement de l’épargne, ont appauvri de nombreuses personnes (renforçant l’alcoolisme et réduisant l’espérance de vie).

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Egor Gaïdar, lorsqu’il a été nommé Premier Ministre, s’était considéré comme un « kamikaze politique ». Il s’était simplement justifié ainsi : « Quelqu’un doit le faire. ». L’honnêteté d’Egor Gaïdar n’était pas à mettre en cause puisque lui-même ne s’était jamais servi (alors qu’il en aurait eu l’occasion). Il a d’ailleurs toujours vécu très modestement jusqu’à la fin de ses jours, sans avoir amasser aucune fortune personnelle, ce qui était très rare parmi les dirigeants politiques russes.

Mais son impopularité a eu raison de son pouvoir. Le 15 décembre 1992, il fut remplacé par l’insubmersible Viktor Tchernomyrdine à la tête du gouvernement russe, investi par le Congrès des députés du peuple le 14 décembre 1992 (ce dernier était auparavant Vice-Premier Ministre). Egor Gaïdar fut rappelé au pouvoir par Boris Eltsine en pleine crise constitutionnelle et fut nommé Vice-Premier Ministre du 17 septembre 1993 au 20 janvier 1994.

Une grave crise constitutionnelle a eu lieu en effet du 21 septembre 1993 au 4 octobre 1993. Depuis le début des réformes économiques, les députés de la Douma, majoritairement des anciens communistes, se sont opposés à l’action réformatrice du gouvernement, malgré l’approbation par 58,7% des voix (avec une participation de 64,2%) de l’action de Boris Eltsine et de ses réformes économiques lors du référendum du 25 avril 1993.

Le rejet du Congrès des députés du peuple du projet de référendum de Boris Eltsine pour approuver une nouvelle Constitution (qui fut adoptée le 12 juillet 1993) a conduit le conflit entre exécutif et législatif à un point de non-retour. Boris Eltsine a alors dissous le Congrès le 21 septembre 1993 (mesure anticonstitutionnelle), et l’a remplacé par la Douma d’État. Les députés, encouragés par le Président du Congrès Rouslan Khasboulatov, ont réagi le 22 septembre 1993 en démettant Boris Eltsine de ses fonctions et en le remplaçant par le Vice-Président de la Fédération de Russie (depuis le 10 juillet 1991) Alexandre Routskoï (ce dernier fut par la suite gouverneur de la région de Koursk du 23 octobre 1996 au 18 novembre 2000).

Ce problème de double légitimité s’est réglé très lourdement à l’arme lourde. Le 4 octobre 1993, Boris Eltsine a pris d’assaut le bâtiment parlementaire avec l’armée et des chars, l’a même incendié. Le bilan (officiel) fut très lourd, 187 personnes ont été tuées et 437 blessées. La nouvelle Constitution (de type régime présidentiel) fut approuvée par référendum le 12 décembre 1993 et le même jour, les élections législatives ont désigné la première Douma d’État (dans un contexte d’état d’urgence et de répression de la liberté d’expression).

Lors de ces élections législatives, Egor Gaïdar fut le leader du parti progouvernemental au point d’être le possible nouveau Premier Ministre, mais les résultats électoraux furent décevants pour le pouvoir : le parti de Vladimir Jirinovski (populiste) a obtenu 22,9% des voix, celui de Boris Eltsine mené par Egor Gaïdar seulement 15,51% suivi par le parti communiste dirigé par Guennadi Ziouganov avec 12,4%. Au total, le parti d’Egor Gaïdar n’a obtenu que 64 sièges sur 450, tandis que 130 députés "indépendants" furent élus. Egor Gaïdar a donc donné sa démission le 20 janvier 1994 et il n’est jamais retourné au pouvoir.

La mémoire d’Egor Gaïdar reste donc fortement impopulaire en Russie, car il a incarné la perte de puissance de la Russie, la perte du pouvoir d’achat et l’enrichissement d’une oligarchie dont Boris Berezovsky était un symbole. Parmi les plus critiques de cette politique menée par Egor Gaïdar, l’économiste libéral Grigori Yavlinsky, patron du parti Yabloko, député et candidat (malheureux) à plusieurs élections présidentielles, a fustigé notamment la méthode des privatisations et l’absence d’encadrement des prix qui a abouti à une paupérisation très forte de la population.

Mais certains de ses proches ont rappelé qu’à l’époque, Egor Gaïdar n’avait pas eu beaucoup le choix et qu’il avait sauvé la Russie d’un immense désastre humain et financier (famine et faillite). Lors de la mort d’Egor Gaïdar, le 16 décembre 2009, le journaliste Andrei Ostalski, de la BBC, a expliqué ainsi l’alternative : « Il n’y avait que deux solutions : introduire la loi martiale et un rationnement sévère, ou libéraliser radicalement l’économie. La première option signifiait remonter jusqu’au système stalinien de répression de masse. La seconde signifiait un colossal changement, un voyage, ou, plutôt, une course, à travers des eaux inexplorées avec un résultat imprévisible. ». C’était ce qu’a affirmé aussi Boris Nemtsov : « Il s’est tenu devant le choix d’une guerre civile ou de réformes douloureuses. Il a donné sa vie pour éviter la guerre civile. ».

Autre ancien Vice-Premier Ministre également, celui qui fut Ministre des Privatisations pendant cette période trouble (1991-1996), Anatoli Tchoubaïs a confirmé ces déclarations précédentes : « C’est la grande chance de la Russie d’avoir eu Egor Gaïdar lors des pires moments de son histoire. Au début des années 1990, il a sauvé le pays de la famine, de la guerre civile et de la désintégration. (…) Peu de personnes dans l’histoire de la Russie et dans l’histoire du monde peuvent être comparées à lui pour la force de leur intellect, la clarté de leur compréhension du passé, du présent et du futur, et pour leur volonté de prendre les décisions les plus difficiles mais nécessaires. ». [Anatoli Tchoubaïs, probablement encore plus impopulaire qu’Egor Gaïgar, est aujourd’hui l’un des hommes d’affaires les plus riches de Russie].

Symbole des privatisations outrancières et du retournement radical de l’économie russe, Egor Gaïdar a été le Vladimir Pravik de la Russie postsoviétique, cet officier pompier de 23 ans qui a réussi, avec ses collègues également héroïques, à éteindre l’incendie de la centrale nucléaire de Tchernobyl et qui est mort quelques jours tard par décomposition vivante des tissus en raison de la forte irradiation.


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Sylvain Rakotoarison (14 décembre 2019)
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Nicolas II et les bolcheviks : massacre familial.
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Trofim Lyssenko.
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6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 03:10

« Trotski était persuadé que toute difficulté, toute résistance pouvaient être surmontées par ce seul mot : "fusillez !" » (Boris Souvarine, 1979).



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L’un des deux principaux leaders de la Révolution russe, Léon Trotski, est né il y a cent quarante ans, le 7 novembre 1879 (quelques mois après Albert Einstein). Trotski a connu Lénine en 1900 et ce dernier était heureux de pouvoir l’intégrer dans son groupe révolutionnaire.

Lors de la Révolution russe, Trotski était opposé à la demande de paix séparée avec l’Allemagne voulue par Lénine pour poursuivre la guerre civile sans préoccupation extérieure, ce qui a entraîné la capitulation de la Russie (Traité de Brest-Litovsk signé le 3 mars 1918). Lénine préférait aussi que l’Allemagne se concentrât dans la guerre contre la France et le Royaume-Uni, tous les trois étant des puissances dites bourgeoises qui devaient être amenées à s’effondrer.

Après avoir dirigé le soviet de Petrograd (Saint-Pétersbourg) du 8 octobre 1917 au 8 novembre 1917, il fit partie du gouvernement de la nouvelle Russie soviétique d’abord comme Ministre des Affaires étrangères du 8 novembre 1917 au 13 mars 1918, puis comme Ministres des Armées et des Affaires navales du 13 mars 1918 au 15 janvier 1925. Il a fondé l’Armée rouge le 23 février 1918, qu’il a structurée avec cinq millions d’hommes. Le lieu du pouvoir n’était plus l’État mais le parti bolchevik, Trotski fut membre du bureau politique (politburo, l’instance dirigeante) du parti du 10 octobre 1917 au 23 octobre 1926.

Il y a eu une rivalité politique entre Lénine et Trotski : « Il nous arrivait d’avoir, Lénine et moi, de rudes heurts, car dans les cas où j’étais en désaccord avec lui sur une question grave, je menais la lutte jusqu’au bout. Ces cas-là, naturellement, se sont gravés dans toutes les mémoires, et les épigones en ont beaucoup parlé et écrit par la suite. Mais cent fois plus nombreux sont les cas où nous nous comprenions l’un l’autre à demi-mot, et où notre solidarité assurait le passage de la question au polituro sans débat. Cette solidarité, Lénine la prisait beaucoup. » (10 avril 1935). Du reste, sur le fond, les trois sanguinaires se rejoignaient : Lénine, Trotski et Staline.

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Mais il y a eu d’autres clivages internes. Lénine et Trotski, qui dénonçaient la "bureaucratisation" du régime, s’opposèrent alors à l’alliance entre Staline, Zinoviev et Kamenev. La mort de Lénine a laissé un boulevard à Staline et Trotski se positionna parmi ses opposants. Progressivement, Staline désamorça le danger Trotski. Ce dernier fut considéré comme un hérétique et a perdu le contrôle de l’armée.

En effet, lors de son affaiblissement par la maladie, puis sa mort, Lénine a laissé le pouvoir communiste entre trois courants, Trotski, considéré comme à l’aile "gauche" (révolution permanente), Boukharine, le théoricien, considéré comme à l’aile "droite". Trotski s’était rapproché (au début du stalinisme) de Grigori Zinoviev, patron du parti à Leningrad (Saint-Pétersbourg) et de Lev Kamenev, patron du parti à Moscou. Ces deux derniers furent fusillés le 25 août 1936 à Moscou sur ordre de Staline, jugés "traîtres" de la révolution. Pour rappel, le 10 octobre 1917, Zinoviev et Kamenev furent les seuls du comité central du parti bolchevik à s’être opposé à l’insurrection voulue par Lénine et qui allait précipiter la Russie dans une dictature bureaucratique sanglante pendant soixante-treize ans.

Entre ces deux ailes, Staline, bon stratège, a réussi à se faire considérer comme "centriste", homme permettant de réunir tous les courants, et ainsi, être soutenu par ces tendances. N’ayant pas montré une très vive intelligence, Staline pouvait faire croire qu’il était manipulable. En fait, dès qu’il a pris le pouvoir, Staline a tout fait pour le garder, au point d’éliminer tous les révolutionnaires historiques de 1917 afin de ne plus avoir aucun rival. L’échec de Trotski face à Staline proviendrait de la grande vanité du leader communiste qui ne se serait pas assez intéressé aux intrigues du pouvoir (c’est la thèse de l’historien britannique Robert Service, professeur à Oxford et à la British Academy). En outre, comme il contrôlait encore l’armée en 1921-1923, Trotski aurait pu rester au pouvoir par la force.

Dès 1925, on effaça la figure de Trotski sur les photos de la révolution. Cette grossière réécriture de l’histoire a fait plus tard quelques émules dans les dictatures du même acabit. Trotski fut exclu du parti communiste le 12 novembre 1927 et interné à Alma-Ata, au Kazakhstan, avant d’être carrément expulsé d’Union Soviétique en 1929. Trotski s’exila pendant onze ans, d’abord en Turquie de février 1929 à juillet 1933, puis en France de juillet 1933 à juin 1935 (près de Royan, puis à Barbizon, puis près de Grenoble), puis, expulsé par la France, il se réfugia en Norvège, et, après les purges staliniennes, en janvier 1937, il s’installa au Mexique, pays connu pour avoir exécuté son jeune empereur.

Durant son exil, Trotski a continué à faire de la politique et à écrire, a même créé la Quatrième Internationale (le 3 septembre 1938), a prôné l’entrisme dans les partis socialistes et sociaux-démocrates (notamment à la SFIO). Il fut assassiné par un agent de Staline à Mexico le 21 août 1940. Il avait écrit le 27 février 1940 : « Je mourrais révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste dialectique, et par conséquent athée intraitable. (…) La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence et en jouissent pleinement. ».

J’ai fait ici un résumé ici très très simplifié voire simpliste de la vie beaucoup plus complexe et dense de Trotski pour arriver à une curiosité de l’histoire politique de la France : en 2019, il existe encore des trotskistes ! En 2002, il y a même eu trois candidats à l’élection présidentielle qui se réclamaient du trotskisme, sans même inclure Lionel Jospin qui a timidement reconnu que dans sa jeunesse, il avait fait de l’entrisme trotskiste au PS (comme quelques autres cadres socialistes de l’époque). On ne reprochera cependant pas à Lionel Jospin d’être trotskiste puisque ce fut sous son gouvernement que la France a procédé le plus à des privatisations.

Ce qui est intéressant, c’est qu’en France, il y a une forte culture trotskiste, d’extrême gauche, qui s’est opposée, ainsi, à la puissance du Parti communiste français. Elle n’a pourtant jamais représenté beaucoup d’électeurs, même si parfois (au début des années 2000), il y a même eu une fièvre trotskiste, mais il y a toujours eu des militants zélés, des colleurs d’affiches efficaces (qui gagnent par ténacité la bataille nocturne des murs). Certaines personnalités politiques contemporaines sont très connues dans leur militantisme, je peux ainsi citer (sans exhaustivité) Alain Krivine, Daniel Bensaïd, Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Pierre Boussel, Daniel Gluckstein, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud et sauf pour un de ceux ici cités, tous ont été candidats à l’élection présidentielle.

En France, alors que le PCF gardait la voie officielle de l’URSS, donc stalinienne sous Staline et brejnévienne sous Brejnev, les "gauchistes", organisations trotskistes, voulaient défendre une voie alternative au communisme officielle d’origine soviétique.

C’est un fait qu’entre 1925 et 1940, Trotski n’était plus au pouvoir et a voulu influer sur le communisme international, notamment en voulant faire l’unité des ouvriers pour mieux combattre le fascisme des années 1930 : « Après "l’expérience" italienne, nous avons mille fois répété : ou le communisme ou le fascisme. Le passage effectif au socialisme devait fatalement montrer que le problème était infiniment plus complexe, plus délicat et plus contradictoire que ne l’avait prévu le schéma historique général. Marx a parlé de la dictature du prolétariat et de son dépérissement ultérieur, mais il n’a rien dit de la dégénérescence bureaucratique de la dictature. (…) L’alternative "socialisme ou esclavage totalitaire" n’a pas seulement un intérêt théorique, mais aussi une énorme signification agitative, car elle illustre de façon particulièrement probante la nécessité de la révolution socialiste. » (1939).

Le problème, c’est que Trotski, idéologue du marxisme et du communisme, n’était pourtant pas un enfant de chœur. Il ne vaut pas mieux que Staline (ni Lénine) sur la considération qu’il pouvait avoir de la valeur d’une vie humaine. En d’autres termes, il a assassiné autant que ses rivaux bolcheviks lorsqu’il était au pouvoir : « Si un révolutionnaire faisait sauter le général Franco et son état-major, on doute que cet acte puisse susciter l’indignation morale, même chez les eunuques de la démocratie. En temps de guerre civile, un acte de ce genre serait politiquement utile. Ainsi, dans la question la plus grave, celle de l’homicide, les règles morales absolues sont tout à fait inopérantes. Le jugement moral est conditionné, avec le jugement politique, par les nécessités intérieures de la lutte. » (1938). Insistons sur l’expression "les eunuques de la démocratie" qui discrédite complètement, parmi d’autres propos, l’intérêt du combat politique de Trotski foncièrement antidémocratique.

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C’était peut-être même le pire des acteurs de la Révolution russe car il légitimait intellectuellement l’usage de la violence, des assassinats, de la terreur, en bon petit Robespierre russe (il en a même écrit un essai, "Terrorisme et communisme" en 1920). Il fallait terroriser l’ennemi. Le 8 août 1918, il a ouvert les deux premiers camps qui furent les précurseurs du goulag pour interner tous les adversaires politiques, en particulier les anarchistes, les tsaristes, etc. qu’il jugeait lui-même des "parasites", expression qui rappelle également l’antisémitisme des années 1930 (on ne pourra cependant pas considérer Trotski antisémite, mais il utilisait le même vocabulaire).

Terminons sur la vanité (évoqué plus haut) de Trotski, on peut la ressentir à sa lecture elle-même : « Les particularités de mon destin personnel m’ont placé face à ce problème, armé de pied en cap d’une sérieuse expérience. Munir d‘une méthode révolutionnaire la nouvelle génération, par-dessus la tête des chefs de la Deuxième et de la Troisième Internationale, c’est une tâche qui n’a pas, hormis moi, d’homme capable de la remplir. » (25 mars 1935). Et le pire, c’est que sa tâche de transmission n’a pas vraiment raté, puisque trois générations humaines plus tard, des groupuscules de militants engagés se réclament encore de lui, malgré tout l’anachronisme que cela implique.


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Sylvain Rakotoarison (02 novembre 2019)
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Pour aller plus loin :
Trotski.
Le Pacte germano-soviétique.
Ivan Tourgueniev.
Gérard Depardieu, ministre russe.
Andrei Gromyko.
Alexandre Soljenitsyne.
Nicolas II et les bolcheviks : massacre familial.
Le nouveau sacre de Poutine.
Dmitri Medvedev.
Youri Gagarine.
Katyn.
Karl Marx.
La Révolution russe.
Spoutnik.
Hannah Arendt.
Totalitarismologie du XXe siècle.
Mstislav Rostropovitch.
Raspoutine.
Léonid Brejnev.
La fin de l’URSS.
La catastrophe de Tchernobyl.
Trofim Lyssenko.
Anna Politkovskaia.
Vladimir Poutine a 60 ans.
L’élection présidentielle de mars 2008.
Mikhail Gorbatchev.
Boris Eltsine.
Andrei Sakharov.
L’Afghanistan.
Boris Nemtsov.
Staline.
La transition démocratique en Pologne.
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La Réunification allemande.
Un nouveau monde.
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18 juillet 2019 4 18 /07 /juillet /2019 01:41

« Il est l’un des membres les plus actifs et les plus efficaces de la direction soviétique. Un homme avec une excellente mémoire, un esprit vif et une endurance extraordinaire (…). Andrei est probablement le Ministre des Affaires étrangères le plus informé du monde. » ("Times", 1981).


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Au-delà des chefs du Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS), il était l’une des personnalités soviétiques les plus connues des médias internationaux pendant très longtemps : indiscutablement associé à la diplomatie soviétique d'après-guerre, Andrei Gromyko est mort à Moscou il y a trente ans, le 2 juillet 1989, deux jours avant le voyage important de Mikhaïl Gorbatchev à Paris. Seize jours plus tard, il aurait dû avoir 80 ans. Une minute de silence a eu lieu au Congrès des députés du peuple pour lui rendre hommage. Dans un communiqué de presse, il fut cité par l’Agence Tass comme l’un des « plus importants dirigeants du pays ». Même le Président américain, George HW Bush fut en deuil.

Il faut replacer cette année 1989 dans le contexte : premières élections libres en Pologne en juin, mais répression à Pékin, ouverture des frontières hongroises et autrichiennes pour les Allemands de l’Est l’été, ce qui a abouti à la chute du mur de Berlin en novembre. Peu avant sa mort, Gromyko était sans complaisance pour les choix diplomatiques qu’il ne contrôlait plus : « Se retirer du centre de l’Europe était une erreur, c’est une erreur de nature stratégique. C’est notre ligne de défense, il faut la renforcer, pas l’abandonner. » (dans une interview accordée au journaliste Dmitri Tikhonov).

Endurance, bonne mémoire, érudition, efficacité, fidélité à son pays, sans aucun doute, mais Andrei Gromyko a aussi été décrit par ses homologues comme terne, sans humour, sans imagination, conservateur, et finalement, très ennuyeux. Henry Kissinger s’amusait à dire : « Si vous pouvez affronter Gromyko pendant une heure et survivre, alors vous pouvez commencer à vous considérer comme un diplomate. ». Et d’ajouter : « Il va déchirer l’adversaire en morceaux. Il est comme une locomotive lourde qui va dans une direction donnée, piétinant tout le monde avec la force de ses arguments, poussant obstinément vers ses objectifs. ».

Il serait tentant de le comparer à un autre diplomate historique, Zhou Enlai, le "binôme" indispensable de Mao Tsé-Toung, à cela près que Gromyko n’a jamais dirigé le gouvernement de l’URSS et qu’il a servi plusieurs maîtres suprêmes de la société soviétique : Nikita Khrouchtchev, Leonid Brejnev, Youri Andropov, Konstantin Tchernenko et Mikhaïl Gorbatchev. Certes, en termes de "serviteur", on pourrait rajouter Staline, mais il était alors dans un rôle politiquement moins important.

Né quelques années avant la Première Guerre mondiale et avant la Révolution russe, dans l’actuelle Biélorussie (où sa mémoire fut honorée au centenaire de sa naissance, le 18 juillet 2009), Andrei Gromyko a fait des études à Minsk puis à Moscou jusqu’en 1936. Il commença sa vie active comme chercheur en économie à l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique. Cependant, à peine trois ans plus tard, il fut convoqué par Viatcheslav Molotov et Gueorgui Makenkov qui l’ont recruté compléter leur staff de diplomatie.

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Les grandes purges staliniennes de 1938 lui ont permis une carrière éclair au sein du Ministère des Affaires étrangères. Il fut ainsi sélectionné au printemps 1939 pour diriger le Département américain nouvellement créé, puis six mois plus tard, fut appelé à Washington par Staline. Après avoir été premier conseiller de l’ambassade de 1939 à 1943, Andrei Gromyko fut bombardé, à l’âge de 34 ans, ambassadeur de l’URSS aux États-Unis de 1943 à 1946. À ce titre, il a participé aux grandes conférences internationales pour partager le monde d’après-guerre, en particulier à Téhéran (1943), Yalta (1945) et Potsdam (1945). Andrei Gromyko a commencé sa carrière de diplomate alors que Viatcheslav Molotov, qu’on peut considérer comme son mentor, était le Ministre des Affaires étrangères, en fonction du 3 mai 1939 au 4 mars 1949 et du 5 mars 1953 au 1er juin 1956 (Molotov a en même temps dirigé le gouvernement soviétique du 19 décembre 1930 au 6 mai 1941). Dans son premier poste à Washington, Gromyko a rencontré Franklin Roosevelt et aussi Keynes, Charlie Chaplin, etc.

Andrei Gromyko a poursuivi sa carrière comme ambassadeur soviétique permanent aux Nations Unies d’avril 1946 à mai 1948, puis en juin 1952, ambassadeur à Londres où il a rencontré plusieurs fois Winston Churchill. Après la mort de Staline, Andrei Gromyko fut promu dès 1953 comme vice-ministre des Affaires étrangères, puis quelques années plus tard, choisi par Nikita Khrouchtchev comme chef de la diplomatie soviétique. Il y resta pendant presque trente ans : en effet, inamovible Ministre des Affaires étrangères du 15 février 1957 au 2 juillet 1985, avec rang de premier Vice-Président du Conseil des Ministres (Vice-Premier Ministre) du 24 mars 1983 au 2 juillet 1985.

Succédant à Dmitri Chepilov (1905-1995) qui fut nommé au secrétariat du comité central du parti par Khrouchtchev, Gromyko a dû, au début, conquérir son pouvoir ministériel contre l’influence de son équivalent au sein du PCUS, à savoir Boris Ponomarev (1905-1995), chef du Département des relations internationales au comité central du PCUS du 9 décembre 1955 au 25 février 1986, et dont le supérieur hiérarchique était Mikhaïl Souslov.

Inspiré dans son style par Molotov, « Gromyko, qui était un as de l’histoire russe, a développé ses compétences diplomatiques dans l’esprit des diplomates tsaristes », selon Ivan Prochkine, dans un article de "Kolokol Russia" publié en février 2017 à l’occasion du 60e anniversaire de sa prise de fonction. Et il ajoutait : « Le style de Gromyko consiste à saisir l’adversaire fermement et à le traquer méthodiquement pour chaque concession jusqu’à ce que le nombre de ces concessions se transforme en qualité, ce qui conditionne le succès du processus de négociation. Il convient de noter qu’il n’a entamé toutes les négociations qu’après des travaux préparatoires importants, approfondissant l’essentiel des questions au-delà de leur compréhension apparente. ».





"Mister No" (pour les Américains) suivait toujours trois règles, plutôt cynique : « Tout d’abord, vous devez demander le maximum de l’autre côté. Ne soyez pas timide. Ensuite, vous devez, dans les bonnes situations, ne pas négliger un mécanisme assez brutal mais souvent efficace, l’ultimatum. Il ne faut pas sous-estimer les menaces légères dirigées contre l’adversaire, puis suggérer poliment des négociations pour sortir de cette situation tendue. (…) Enfin, après avoir entamé les négociations, il ne faut pas reculer d’un pas. Ils vous offriront une partie de ce que vous avez demandé. Même dans ce cas, ne vous en contentez pas et faites pression davantage, ils vont l’accepter. ».

Cette longue période a été cruciale dans les relations internationales, notamment avec la rupture des relations diplomatiques avec la Chine en 1960 (il avait refusé à Mao le soutien de l’URSS dans une éventuelle guerre contre Taiwan), la crise des missiles à Cuba en 1962 (Gromyko a rencontré le 18 octobre 1962 le Président américain John F. Kennedy qu’il a trouvé en dehors des réalités, plus idéaliste que pragmatique), la conférence d’Helsinki en 1975 (c’était sur la base juridique de ces accords signés en particulier par l’URSS que le dissident Andrei Sakharov a revendiqué son droit à la liberté d’expression et de circulation), la crise des euromissiles en 1983 et les accords de désarmements nucléaires en 1985.

Il a donc évidemment rencontré de nombreux Présidents américains, et tout ce que la planète a compté de leaders politiques importants pendant ces trois décennies. Comme exemples de réalisation dont Gromyko était fier, il y a eu le traité sur la limitation des essais nucléaires en 1963, la paix entre l’Inde et le Pakistan en 1965, le traité de non-prolifération des armes nucléaires en 1968 et le traité de Moscou en 1970 entre l’URSS et l’Allemagne qui reconnaissait la frontière germano-polonaise (ligne Oder-Neisse).





Pourtant, de toute cette riche expérience de Gromyko, il reste peu de témoignage, malgré la publication de ses Mémoires en 1989, qui furent décevantes. L’ancien ministre allemand Ego Bahr (1922-2015), qui fut un proche de Willy Brandt, lâchait ainsi : « Il a caché un véritable trésor aux générations futures et a emporté avec lui une connaissance inestimable des relations internationales, entre les événements historiques et les figures majeures de son époque, que lui seul pouvait offrir. Quel dommage que cet homme se soit révélé incapable de raconter son expérience. ». Emilia, la fille de Gromyko, a témoigné dans ses propres Mémoires que son père lui expliquait qu’il savait beaucoup de choses qu’il ne pouvait pas dire : « En fait, j’en connais beaucoup. Mais cela ira avec moi dans la tombe. ».

Gromyko fut désigné membre du Politburo le 27 avril 1973. Son influence en URSS fut au sommet entre 1975 et 1985. En effet, l’état de santé très mauvais de Brejnev l’empêchait de diriger réellement le pays, si bien que pour le seconder, un triumvirat composé de Youri Andropov,chef du KGB, Dmitri Oustinov, Ministre de la Défense, et Andrei Gromyko se constitua.

Après la mort de Brejnev, l’URSS est tombée dans une sorte de gérontocratie permanente, des vieillards malades succédant à des vieillards malades. Youri Andropov, puis Konstantin Tchernenko, qui n’ont "duré" que deux ans et demi, a donné l’image déplorable d’une URSS en fin de vie, avec un Politburo devenu un EHPAD médicalisé.

Arrivé au pouvoir, Youri Andropov a proposé à Gromyko la Présidence du Praesidium du Soviet Suprême qu’avait occupée Brejnev, mais Gromyko refusa et lui conseilla de l’assumer lui-même (ce qu’Andropov accepta finalement du 16 juin 1983 au 9 février 1984).

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À la mort de Tchernenko, il était essentiel qu’une nouvelle génération prît la relève. Alors, s’est esquissée une rivalité entre Mikhaïl Gorbatchev, devenu numéro deux et "poulain" de Youri Andropov, et Grigori Romanov (1923-2008), représentant l’aile "dure" du Politburo en 1985. Le soutien de Gromyko à Gorbatchev fut sans doute décisif dans cette bataille de palais, parce qu’il représentait le soutien des "anciens", la continuité et surtout, avait beaucoup d’influence en interne. Mikhaïl Gorbatchev fut finalement désigné Secrétaire Général du comité central du PCUS le 11 mars 1985.

L’objectif de Gorbatchev, conscient des carences du régime, fut de réformer le système communiste pour le faire durer (on a vu plus tard que ce fut un échec sur toute la ligne). Pour cela, il voulait avoir les coudées franches et mettre ses propres hommes. La diplomatie était un élément majeur dans cette politique d’ouverture : son style moderne (notamment avec Raïssa, une femme de dirigeant soviétique qui cherchait à plaire, c’était nouveau), sa volonté d’en finir avec la guerre froide, le désarmement nucléaire, puis, plus tard, la non intervention soviétique face aux délitements des régimes communistes en Europe, ont eu pour effet que Mikhaïl Gorbatchev fut plus populaire à l’extérieur qu’à l’intérieur de son pays. Sans expérience diplomatique, Edouard Chevardnadze (1928-2014) succéda à Gromyko aux Affaires étrangères sans que ce dernier ne fût consulté pour ce choix.

Gromyko fut peu à l’aise avec les réformes de Gorbatchev, même s’il considérait la perestroïka et la glasnost comme une tentative sincère de renforcer l’URSS. Mais lui qui avait proposé un homme dynamique et jeune pour succéder à Tchernenko, il a trouvé que « le chapeau était trop grand pour [Gorbatchev] ».

Pour le remercier tout en l’évinçant, Gorbatchev l’a nommé le 27 juillet 1985 à un poste prestigieux, surtout honorifique et sans réelle influence, refusé en 1982 : Président du Praesidium du Soviet Suprême de l’Union Soviétique, à savoir chef de l’État, poste que reprit Mikhaïl Gorbatchev pour lui-même le 1er octobre 1988, d’une part pour mettre définitivement à la retraite Andrei Gromyko (79 ans), d’autre part pour faire évoluer le système institutionnel vers un régime présidentiel avec la création d’abord d’un Président du Soviet Suprême de l’Union Soviétique, le 25 mai 1989, puis, enfin, d’un Président de l’Union Soviétique le 15 mars 1990, mais cette fonction n’a pas duré longtemps puisque l’Union Soviétique fut dissoute le 25 décembre 1991. Remarquons que cette présidentialisation du régime communiste a au contraire réussi en Chine depuis le début des années 1990.

Cela faisait quelques mois que Gromyko pensait à démissionner car il était contesté au sein du PCUS, plus pour ce qu’il représentait, l’époque Brejnev, que pour son bilan personnel. Il était donc temps qu’il s’effaçât et qu’il prît sa retraite. Ainsi, il expliqua dans ses Mémoires que le 1er octobre 1988, pour bien montrer sa démission, il s’était installé au Soviet Suprême aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev, Egor Ligatchev et Nicolas Ryjkov (ce dernier était le Président du Conseil des ministres du 27 octobre 1985 au 26 décembre 1990).

Non sans une pointe d’émotion, comme il l’écrivit dans ses Mémoires : « De tels moments dans la vie sont aussi inoubliables que lorsqu’on est recruté à des fonctions de premier plan. Lorsque mes camarades ont célébré mon départ, j’ai été ému de la même manière que lorsque j’avais été nommé à un poste important. Ce à quoi je pensais le plus, c’était que j’avais rempli mes devoirs envers le peuple, le parti et l’État. Ce souvenir est très précieux pour moi. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 juillet 2019)
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Pour aller plus loin :
Andrei Gromyko.
Alexandre Soljenitsyne.
Nicolas II et les bolcheviks : massacre familial.
Le nouveau sacre de Poutine.
Dmitri Medvedev.
Youri Gagarine.
Katyn.
Karl Marx.
La Révolution russe.
Spoutnik.
Hannah Arendt.
Totalitarismologie du XXe siècle.
Mstislav Rostropovitch.
Raspoutine.
Léonid Brejnev.
La fin de l’URSS.
La catastrophe de Tchernobyl.
Trofim Lyssenko.
Anna Politkovskaia.
Vladimir Poutine a 60 ans.
L’élection présidentielle de mars 2008.
Mikhail Gorbatchev.
Boris Eltsine.
Andrei Sakharov.
L’Afghanistan.
Boris Nemtsov.
Staline.
La transition démocratique en Pologne.
La chute du mur de Berlin.
La Réunification allemande.
Un nouveau monde.
L’Europe et la paix.

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2 juillet 2019 2 02 /07 /juillet /2019 03:47

« Il est l’un des membres les plus actifs et les plus efficaces de la direction soviétique. Un homme avec une excellente mémoire, un esprit vif et une endurance extraordinaire (…). Andrei est probablement le Ministre des Affaires étrangères le plus informé du monde. » ("Times", 1981).


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Au-delà des chefs du Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS), il était l’une des personnalités soviétiques les plus connues des médias internationaux pendant très longtemps : indiscutablement associé à la diplomatie soviétique d'après-guerre, Andrei Gromyko est mort à Moscou il y a trente ans, le 2 juillet 1989, deux jours avant le voyage important de Mikhaïl Gorbatchev à Paris. Seize jours plus tard, il aurait dû avoir 80 ans. Une minute de silence a eu lieu au Congrès des députés du peuple pour lui rendre hommage. Dans un communiqué de presse, il fut cité par l’Agence Tass comme l’un des « plus importants dirigeants du pays ». Même le Président américain, George HW Bush fut en deuil.

Il faut replacer cette année 1989 dans le contexte : premières élections libres en Pologne en juin, mais répression à Pékin, ouverture des frontières hongroises et autrichiennes pour les Allemands de l’Est l’été, ce qui a abouti à la chute du mur de Berlin en novembre. Peu avant sa mort, Gromyko était sans complaisance pour les choix diplomatiques qu’il ne contrôlait plus : « Se retirer du centre de l’Europe était une erreur, c’est une erreur de nature stratégique. C’est notre ligne de défense, il faut la renforcer, pas l’abandonner. » (dans une interview accordée au journaliste Dmitri Tikhonov).

Endurance, bonne mémoire, érudition, efficacité, fidélité à son pays, sans aucun doute, mais Andrei Gromyko a aussi été décrit par ses homologues comme terne, sans humour, sans imagination, conservateur, et finalement, très ennuyeux. Henry Kissinger s’amusait à dire : « Si vous pouvez affronter Gromyko pendant une heure et survivre, alors vous pouvez commencer à vous considérer comme un diplomate. ». Et d’ajouter : « Il va déchirer l’adversaire en morceaux. Il est comme une locomotive lourde qui va dans une direction donnée, piétinant tout le monde avec la force de ses arguments, poussant obstinément vers ses objectifs. ».

Il serait tentant de le comparer à un autre diplomate historique, Zhou Enlai, le "binôme" indispensable de Mao Tsé-Toung, à cela près que Gromyko n’a jamais dirigé le gouvernement de l’URSS et qu’il a servi plusieurs maîtres suprêmes de la société soviétique : Nikita Khrouchtchev, Leonid Brejnev, Youri Andropov, Konstantin Tchernenko et Mikhaïl Gorbatchev. Certes, en termes de "serviteur", on pourrait rajouter Staline, mais il était alors dans un rôle politiquement moins important.

Né quelques années avant la Première Guerre mondiale et avant la Révolution russe, dans l’actuelle Biélorussie (où sa mémoire fut honorée au centenaire de sa naissance, le 18 juillet 2009), Andrei Gromyko a fait des études à Minsk puis à Moscou jusqu’en 1936. Il commença sa vie active comme chercheur en économie à l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique. Cependant, à peine trois ans plus tard, il fut convoqué par Viatcheslav Molotov et Gueorgui Makenkov qui l’ont recruté compléter leur staff de diplomatie.

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Les grandes purges staliniennes de 1938 lui ont permis une carrière éclair au sein du Ministère des Affaires étrangères. Il fut ainsi sélectionné au printemps 1939 pour diriger le Département américain nouvellement créé, puis six mois plus tard, fut appelé à Washington par Staline. Après avoir été premier conseiller de l’ambassade de 1939 à 1943, Andrei Gromyko fut bombardé, à l’âge de 34 ans, ambassadeur de l’URSS aux États-Unis de 1943 à 1946. À ce titre, il a participé aux grandes conférences internationales pour partager le monde d’après-guerre, en particulier à Téhéran (1943), Yalta (1945) et Potsdam (1945). Andrei Gromyko a commencé sa carrière de diplomate alors que Viatcheslav Molotov, qu’on peut considérer comme son mentor, était le Ministre des Affaires étrangères, en fonction du 3 mai 1939 au 4 mars 1949 et du 5 mars 1953 au 1er juin 1956 (Molotov a en même temps dirigé le gouvernement soviétique du 19 décembre 1930 au 6 mai 1941). Dans son premier poste à Washington, Gromyko a rencontré Franklin Roosevelt et aussi Keynes, Charlie Chaplin, etc.

Andrei Gromyko a poursuivi sa carrière comme ambassadeur soviétique permanent aux Nations Unies d’avril 1946 à mai 1948, puis en juin 1952, ambassadeur à Londres où il a rencontré plusieurs fois Winston Churchill. Après la mort de Staline, Andrei Gromyko fut promu dès 1953 comme vice-ministre des Affaires étrangères, puis quelques années plus tard, choisi par Nikita Khrouchtchev comme chef de la diplomatie soviétique. Il y resta pendant presque trente ans : en effet, inamovible Ministre des Affaires étrangères du 15 février 1957 au 2 juillet 1985, avec rang de premier Vice-Président du Conseil des Ministres (Vice-Premier Ministre) du 24 mars 1983 au 2 juillet 1985.

Succédant à Dmitri Chepilov (1905-1995) qui fut nommé au secrétariat du comité central du parti par Khrouchtchev, Gromyko a dû, au début, conquérir son pouvoir ministériel contre l’influence de son équivalent au sein du PCUS, à savoir Boris Ponomarev (1905-1995), chef du Département des relations internationales au comité central du PCUS du 9 décembre 1955 au 25 février 1986, et dont le supérieur hiérarchique était Mikhaïl Souslov.

Inspiré dans son style par Molotov, « Gromyko, qui était un as de l’histoire russe, a développé ses compétences diplomatiques dans l’esprit des diplomates tsaristes », selon Ivan Prochkine, dans un article de "Kolokol Russia" publié en février 2017 à l’occasion du 60e anniversaire de sa prise de fonction. Et il ajoutait : « Le style de Gromyko consiste à saisir l’adversaire fermement et à le traquer méthodiquement pour chaque concession jusqu’à ce que le nombre de ces concessions se transforme en qualité, ce qui conditionne le succès du processus de négociation. Il convient de noter qu’il n’a entamé toutes les négociations qu’après des travaux préparatoires importants, approfondissant l’essentiel des questions au-delà de leur compréhension apparente. ».





"Mister No" (pour les Américains) suivait toujours trois règles, plutôt cynique : « Tout d’abord, vous devez demander le maximum de l’autre côté. Ne soyez pas timide. Ensuite, vous devez, dans les bonnes situations, ne pas négliger un mécanisme assez brutal mais souvent efficace, l’ultimatum. Il ne faut pas sous-estimer les menaces légères dirigées contre l’adversaire, puis suggérer poliment des négociations pour sortir de cette situation tendue. (…) Enfin, après avoir entamé les négociations, il ne faut pas reculer d’un pas. Ils vous offriront une partie de ce que vous avez demandé. Même dans ce cas, ne vous en contentez pas et faites pression davantage, ils vont l’accepter. ».

Cette longue période a été cruciale dans les relations internationales, notamment avec la rupture des relations diplomatiques avec la Chine en 1960 (il avait refusé à Mao le soutien de l’URSS dans une éventuelle guerre contre Taiwan), la crise des missiles à Cuba en 1962 (Gromyko a rencontré le 18 octobre 1962 le Président américain John F. Kennedy qu’il a trouvé en dehors des réalités, plus idéaliste que pragmatique), la conférence d’Helsinki en 1975 (c’était sur la base juridique de ces accords signés en particulier par l’URSS que le dissident Andrei Sakharov a revendiqué son droit à la liberté d’expression et de circulation), la crise des euromissiles en 1983 et les accords de désarmements nucléaires en 1985.

Il a donc évidemment rencontré de nombreux Présidents américains, et tout ce que la planète a compté de leaders politiques importants pendant ces trois décennies. Comme exemples de réalisation dont Gromyko était fier, il y a eu le traité sur la limitation des essais nucléaires en 1963, la paix entre l’Inde et le Pakistan en 1965, le traité de non-prolifération des armes nucléaires en 1968 et le traité de Moscou en 1970 entre l’URSS et l’Allemagne qui reconnaissait la frontière germano-polonaise (ligne Oder-Neisse).





Pourtant, de toute cette riche expérience de Gromyko, il reste peu de témoignage, malgré la publication de ses Mémoires en 1989, qui furent décevantes. L’ancien ministre allemand Ego Bahr (1922-2015), qui fut un proche de Willy Brandt, lâchait ainsi : « Il a caché un véritable trésor aux générations futures et a emporté avec lui une connaissance inestimable des relations internationales, entre les événements historiques et les figures majeures de son époque, que lui seul pouvait offrir. Quel dommage que cet homme se soit révélé incapable de raconter son expérience. ». Emilia, la fille de Gromyko, a témoigné dans ses propres Mémoires que son père lui expliquait qu’il savait beaucoup de choses qu’il ne pouvait pas dire : « En fait, j’en connais beaucoup. Mais cela ira avec moi dans la tombe. ».

Gromyko fut désigné membre du Politburo le 27 avril 1973. Son influence en URSS fut au sommet entre 1975 et 1985. En effet, l’état de santé très mauvais de Brejnev l’empêchait de diriger réellement le pays, si bien que pour le seconder, un triumvirat composé de Youri Andropov,chef du KGB, Dmitri Oustinov, Ministre de la Défense, et Andrei Gromyko se constitua.

Après la mort de Brejnev, l’URSS est tombée dans une sorte de gérontocratie permanente, des vieillards malades succédant à des vieillards malades. Youri Andropov, puis Konstantin Tchernenko, qui n’ont "duré" que deux ans et demi, a donné l’image déplorable d’une URSS en fin de vie, avec un Politburo devenu un EHPAD médicalisé.

Arrivé au pouvoir, Youri Andropov a proposé à Gromyko la Présidence du Praesidium du Soviet Suprême qu’avait occupée Brejnev, mais Gromyko refusa et lui conseilla de l’assumer lui-même (ce qu’Andropov accepta finalement du 16 juin 1983 au 9 février 1984).

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À la mort de Tchernenko, il était essentiel qu’une nouvelle génération prît la relève. Alors, s’est esquissée une rivalité entre Mikhaïl Gorbatchev, devenu numéro deux et "poulain" de Youri Andropov, et Grigori Romanov (1923-2008), représentant l’aile "dure" du Politburo en 1985. Le soutien de Gromyko à Gorbatchev fut sans doute décisif dans cette bataille de palais, parce qu’il représentait le soutien des "anciens", la continuité et surtout, avait beaucoup d’influence en interne. Mikhaïl Gorbatchev fut finalement désigné Secrétaire Général du comité central du PCUS le 11 mars 1985.

L’objectif de Gorbatchev, conscient des carences du régime, fut de réformer le système communiste pour le faire durer (on a vu plus tard que ce fut un échec sur toute la ligne). Pour cela, il voulait avoir les coudées franches et mettre ses propres hommes. La diplomatie était un élément majeur dans cette politique d’ouverture : son style moderne (notamment avec Raïssa, une femme de dirigeant soviétique qui cherchait à plaire, c’était nouveau), sa volonté d’en finir avec la guerre froide, le désarmement nucléaire, puis, plus tard, la non intervention soviétique face aux délitements des régimes communistes en Europe, ont eu pour effet que Mikhaïl Gorbatchev fut plus populaire à l’extérieur qu’à l’intérieur de son pays. Sans expérience diplomatique, Edouard Chevardnadze (1928-2014) succéda à Gromyko aux Affaires étrangères sans que ce dernier ne fût consulté pour ce choix.

Gromyko fut peu à l’aise avec les réformes de Gorbatchev, même s’il considérait la perestroïka et la glasnost comme une tentative sincère de renforcer l’URSS. Mais lui qui avait proposé un homme dynamique et jeune pour succéder à Tchernenko, il a trouvé que « le chapeau était trop grand pour [Gorbatchev] ».

Pour le remercier tout en l’évinçant, Gorbatchev l’a nommé le 27 juillet 1985 à un poste prestigieux, surtout honorifique et sans réelle influence, refusé en 1982 : Président du Praesidium du Soviet Suprême de l’Union Soviétique, à savoir chef de l’État, poste que reprit Mikhaïl Gorbatchev pour lui-même le 1er octobre 1988, d’une part pour mettre définitivement à la retraite Andrei Gromyko (79 ans), d’autre part pour faire évoluer le système institutionnel vers un régime présidentiel avec la création d’abord d’un Président du Soviet Suprême de l’Union Soviétique, le 25 mai 1989, puis, enfin, d’un Président de l’Union Soviétique le 15 mars 1990, mais cette fonction n’a pas duré longtemps puisque l’Union Soviétique fut dissoute le 25 décembre 1991. Remarquons que cette présidentialisation du régime communiste a au contraire réussi en Chine depuis le début des années 1990.

Cela faisait quelques mois que Gromyko pensait à démissionner car il était contesté au sein du PCUS, plus pour ce qu’il représentait, l’époque Brejnev, que pour son bilan personnel. Il était donc temps qu’il s’effaçât et qu’il prît sa retraite. Ainsi, il expliqua dans ses Mémoires que le 1er octobre 1988, pour bien montrer sa démission, il s’était installé au Soviet Suprême aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev, Egor Ligatchev et Nicolas Ryjkov (ce dernier était le Président du Conseil des ministres du 27 octobre 1985 au 26 décembre 1990).

Non sans une pointe d’émotion, comme il l’écrivit dans ses Mémoires : « De tels moments dans la vie sont aussi inoubliables que lorsqu’on est recruté à des fonctions de premier plan. Lorsque mes camarades ont célébré mon départ, j’ai été ému de la même manière que lorsque j’avais été nommé à un poste important. Ce à quoi je pensais le plus, c’était que j’avais rempli mes devoirs envers le peuple, le parti et l’État. Ce souvenir est très précieux pour moi. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 juillet 2019)
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Pour aller plus loin :
Andrei Gromyko.
Alexandre Soljenitsyne.
Nicolas II et les bolcheviks : massacre familial.
Le nouveau sacre de Poutine.
Dmitri Medvedev.
Youri Gagarine.
Katyn.
Karl Marx.
La Révolution russe.
Spoutnik.
Hannah Arendt.
Totalitarismologie du XXe siècle.
Mstislav Rostropovitch.
Raspoutine.
Léonid Brejnev.
La fin de l’URSS.
La catastrophe de Tchernobyl.
Trofim Lyssenko.
Anna Politkovskaia.
Vladimir Poutine a 60 ans.
L’élection présidentielle de mars 2008.
Mikhail Gorbatchev.
Boris Eltsine.
Andrei Sakharov.
L’Afghanistan.
Boris Nemtsov.
Staline.
La transition démocratique en Pologne.
La chute du mur de Berlin.
La Réunification allemande.
Un nouveau monde.
L’Europe et la paix.

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11 décembre 2018 2 11 /12 /décembre /2018 16:24

« Figure emblématique de la résistance intellectuelle à l’oppression, Soljenitsyne est pourtant loin du modèle de l’intellectuel "à l’occidentale" dont Sakharov, autre "dissident" illustre, a pu être l’exemple en Russie. Héritant de la grande tradition slavophile, récusant les schémas progressistes, se réclamant de valeurs religieuses et "réactionnaires" au sens propre, il apparaît comme le successeur de Tolstoï, auquel l’apparente la puissance de son œuvre. » (Michel Fragonard, "Dictionnaire d’histoire culturelle", éd. Bordas).



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Oui, Tolstoï (1828-1910) avec son "Guerre et Paix" (1869). Son équivalent du XXe siècle, cela pourrait être l’œuvre (inachevée) de plus de six mille pages "La Roue rouge" qui décrit, dans la grande tradition du réalisme historique du roman russe, la genèse du communisme soviétique en huit tomes.


C’est le centenaire de Soljenitsyne. Ce fut à Kislovodsk, dans le Caucase, il y a 100 ans, le 11 décembre 1918, qu’est né effectivement cet écrivain majeur du XXe siècle, Alexandre Soljenitsyne, orphelin dès la naissance (son père est mort le 15 juin 1918 lors d’un accident de chasse).

Auteur de nombreux livres qui ont fait date dans la littérature mondiale, et en particulier ce monument révolutionnaire que fut "L’Archipel du Goulag" (1973), un livre documentaire qui a rassemblé des centaines de témoignages éloquents sur le régime soviétique, il a été longtemps considéré comme un dissident du Bloc soviétique mais n’a pas "épousé" pour autant le mode de vie "occidental" : « Nous avions placé trop d’espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu’on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. À l’Est, c’est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l’Ouest, la foire du Commerce : ce qui est effrayant, ce n’est même pas le fait du monde éclaté, c’est que les principaux morceaux en sont atteints d’une maladie analogue. » ("Le Déclin du courage", 1978). Antilibéral, anticommuniste, il était d’abord conservateur chrétien avant d’être patriote russe.

Il faut imaginer l’effondrement psychologique de bien des "communistes" qui, à la lecture de Soljenitsyne, au milieu des années 1970, ont découvert que le pays de leurs rêves, le pays du paradis terrestre, était en fait un enfer indicible. Enfin, si, dicible, mais parce qu’il a fallu le génie littéraire d’un Soljenitsyne qui a été à la fois acteur et observateur, le témoin de cet enfer.

Scientifique ménagé par les autorités soviétiques car faisant partie de l’élite intellectuelle et ancien officier d’artillerie à 21 ans, durant la Seconde Guerre mondiale, Soljenitsyne a connu, dans son pays, deux fois la disgrâce et deux fois la réhabilitation.

Il a passé une première période en prison entre 1945 et 1953 pour avoir critiqué le régime dans une lettre. Cette période a "produit" son livre "Une Journée d’Ivan Denissovitch" (1962) : « Ici, les gars, la loi… c’est la taïga. Mais, même ici, on vit. Ceux qui ne font pas de vieux os, au camp, c’est les lèche-gamelles, c’est ceux qui comptent sur l’infirmerie, c’est ceux qui vont frapper à la porte du grand patron. ». Plus tard, parlant du héros : « Choukhov a réchappé sans docteurs. Heureusement, vu qu’avec les docteurs qu’on a, c’est le paletot de sapin garanti. Son rêve, maintenant, ça n’est plus l’infirmerie, mais comment rabioter à dîner. ».

Il fut libéré en 1953 et déporté en Ouzbékistan en raison de sa maladie, ce qui a "produit" son livre "Le Pavillon des cancéreux" (1968) : « Le cancer aime son monde. Une fois qu’il vous tient dans ses entrailles, c’est jusqu’à la mort. ». Une autre phrase de ce livre : « Si tu ne sais pas user de la minute, tu perdras l’heure, le jour, et toute la vie. ». Autre réflexion : « De même qu’une bicyclette, de même qu’une route, une fois lancées, ne peuvent demeurer stables que dans le mouvement et tombent dès qu’elles en sont privées, ainsi en va-t-il du jeu entre un homme et une femme : une fois commencé, il ne peut subsister que s’il se développe. ».

Après la mort de Staline, l’écrivain fut réhabilité en 1957 par Khrouchtchev qui souhaitait montrer au monde sa volonté d’ouverture : « Le stalinisme n’a jamais existé ni en théorie ni en pratique : on ne peut parler ni de phénomène stalinien, ni d’époque stalinienne, ces concepts ont été fabriqués après 1956 par la pensée occidentale de gauche pour garder les idéaux communistes. » ("L’Erreur de l’Occident", 1980).

En effet, pour Soljenitsyne, l’enfer n’a pas commencé avec Staline mais avec Lénine et Trotsky : « Toute l’époque stalinienne n’est que la continuation directe du léninisme, certes avec plus de maturité dans les résultats et un développement plus étalé, plus égal. ». Dans "L’Archipel du Goulag", il a cité un télégramme de Lénine à Eugénie Bosch envoyé en août 1918 : « Enfermer les suspects dans un camp de concentration hors de la ville, (…) faire régner une terreur massive et sans merci. ». Et de noter : « Voilà donc où (…) a été trouvé (…) ce terme de camps de concentration, l’un des termes majeurs du XXe siècle, promis à un si vaste avenir international ! (…) Le mot lui-même s’était déjà employé pendant la Première Guerre mondiale, mais s’agissant de prisonniers de guerre, d’étrangers indésirables. Ici, pour la première fois, il est appliqué aux citoyens du pays lui-même. ».

L’arrivée de Leonid Brejnev au pouvoir l’a rendu de nouveau intellectuellement persona non grata dès 1968. Censuré, interdit de recevoir son Prix Nobel de Littérature en 1970 (attribué avant la publication de "L’Archipel du Goulag"), il fut finalement déchu de sa nationalité et expulsé d’URSS en 1974. Il a vécu alors pendant une vingtaine d’années aux États-Unis avant de retourner en Russie en 1994 après l’effondrement de l’URSS (il avait été réhabilité par la Russie dès 1990 et tous ses ouvrages ont enfin pu y paraître).

La publication, en "Occident", de "L’Archipel du Goulag" fut un grand choc intellectuel et politique. La magie communiste devenait une sorte d’enfumage de tortionnaires. Le livre a beaucoup aidé à la prise de conscience de la réalité soviétique : « Bagne, c’est un mot qui s’abat sur vous du haut de l’estrade des juges comme une guillotine à retardement, dès la salle d’audience, il vous brise l’épine dorsale du condamné, il vous fracasse tout espoir. ». Avant la condamnation : « L’arrestation ! Est-il besoin de dire que c’est une cassure de toute votre vie ? Un coup de tonnerre qui tombe de plein fouet sur vous ? Un ébranlement moral insoutenable, auquel certains ne peuvent se faire, qui basculent dans la folie ? ».

Soljenitsyne y a décrit les cerveaux vidés par les conditions d’existence : « Nous oublions tout. Que gardons-nous en tête ? Pas le réel, non, pas l’histoire. Mais une ligne uniforme de pointillés, la même pour tous, qu’on a soin de nous buriner jour après jour dans la mémoire. ». Ou encore : « Il parle une langue qui n’exige aucune tension d’esprit. Une discussion avec lui est un voyage à pied dans le désert. ».

Le problème des planqués : « Dans la vie des camps, comme au combat, on n’a pas le temps de réfléchir : un emploi de planqué passe à votre portée, vous sautez dessus. Mais les années et les décennies ont passé, nous avons survécu, nos camarades ont péri. Aux pékins étonnés et aux héritiers indifférents, nous commençons à entrouvrir le monde de là-bas, un monde qui ne recèle à peu près rien d’humain, et c’est armé des lumières de la conscience humaine que nous devons l’évaluer. Et là, un des principaux problèmes moraux qui se posent est celui des planqués. ».

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Lorsque le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a rencontré très officiellement et publiquement le grand écrivain, le 12 juin 2007, un an avant sa mort (à Moscou, le 4 août 2008 à 89 ans), il était dans ses petits souliers. Il avait toujours admiré Soljenitsyne qui le fascinait. Un autre ancien dissident trouva presque grotesque que l’ancien dissident rencontrât un ancien officier du KGB.

S’il fustigeait le nationalisme de Poutine (il s’était opposé à la première guerre de Tchétchénie), Soljenitsyne était peut-être plus patriote que démocrate. Il était pour une démocratie qui ne s’affranchisse pas des valeurs spirituelles du christianisme.

Il avait par exemple pour la France de sérieux doutes sur sa devise, qu’il a exprimés lors de sa venue (historique) en Vendée (accueilli par le président du conseil général, Philippe de Villiers) le 25 septembre 1993 aux Lucs-sur-Boulogne : « La Révolution française s’est déroulée au nom d’un slogan intrinsèquement contradictoire et irréalisable : liberté, égalité, fraternité. Mais dans la vie sociale, liberté et égalité tendent à s’exclure mutuellement, sont antagoniques l’une de l’autre. La liberté détruit l’égalité sociale, c’est même là un des rôles de la liberté, tandis que l’égalité restreint la liberté, car, autrement, on ne saurait y atteindre. Quant à la fraternité, elle n’est pas de leur famille. Ce n’est qu’un aventureux ajout au slogan et ce ne sont pas des dispositions sociales qui peuvent faire la véritable fraternité. Elle est d’ordre spirituel. ».

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Dans son essai "Le Déclin du courage" (1978), Soljenitsyne, opposé au matérialisme consumériste, a mis en garde contre une société qui serait seulement fondée sur l’État de droit. Comme il l’a dit plus tard en Vendée, une société doit pouvoir aussi se fonder sur des valeurs spirituelles solides : « Moi qui ai passé toute ma vie sous le communisme, j’affirme qu’une société où il n’existe pas de balance juridique impartiale est une chose horrible. Mais une société qui ne possède en tout et pour tout qu’une balance juridique n’est pas, elle non plus, vraiment digne de l’homme. Une société qui s’est installée sur le terrain de la loi, sans vouloir aller plus haut, n’utilise que faiblement les facultés les plus élevées de l’homme. Le droit est trop froid et trop formel pour exercer sur la société une influence bénéfique. Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports juridiques, il se crée une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie les meilleurs élans de l’homme. ».

Dans le même ouvrage, on peut y lire son dégoût de la société consumériste et de la "sous-culture" moderne : « Une âme humaine accablée par plusieurs dizaines d’années de violence aspire à quelque chose de plus haut, de plus chaud, de plus pur que ce que peut aujourd’hui lui proposer l’existence de masse en Occident que viennent annoncer, telle une carte de visite, l’écœurante pression de la publicité, l’abrutissement de la télévision et une musique insupportable. ».

Dans un autre roman partiellement autobiographique "Le Premier Cercle" (1968), Soljenitsyne a raconté la vie dans une prison stalinienne et fait l’éloge de la condition pénitentiaire en ce sens que l’enfermement apporte une liberté intérieure renforcée à l’homme qui n’a plus rien : « J’affirme pour ma part que les gens ne savent pas ce pour quoi ils luttent. Ils perdent leur temps à se démener de façon absurde pour une poignée de biens matériels et ils meurent sans se rendre compte de leur richesse spirituelle. ». Il a évoqué l’exaltation de la résistance en ces termes : « Dans le royaume de l’inconnu, les difficultés doivent être considérées comme un trésor caché ! Généralement, plus c’est difficile, mieux ça vaut. Ce n’est pas aussi fructueux si tes difficultés proviennent de ton propre combat intérieur. Mais quand les difficultés naissent d’une résistance objective accrue, ça, c’est merveilleux ! ».

Je termine par un excellent passage de "L’Archipel du Goulag" qui rend à la fois humble et philosophe : « Peu à peu, j’ai découvert que la ligne de partage entre le Bien et le Mal ne sépare ni les États, ni les classes, ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alexandre Soljenitsyne.
La mort de Soljenitsyne.
Le totalitarisme selon Hannah Arendt.
Noam Chomsky.
Joseph Joffo.
Ivan Tourgueniev.
Guillaume Apolinaire.
René de Obaldia.
Raymond Aron.
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181211-soljenitsyne.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-siecle-de-soljenitsyne-210595

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/12/09/36930640.html



 

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