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11 décembre 2023 1 11 /12 /décembre /2023 18:32

« Débattre et légiférer sur l’intégration et l’immigration, c’est répondre à la demande forte, légitime et répétée de nos concitoyens. Quoi qu’en pensent les Français, nous savons tous que la maîtrise des flux migratoires, la difficulté de lutter contre l’immigration irrégulière, l’accroissement des moyens donnés aux préfets, aux agents des préfectures, aux magistrats et aux forces de l’ordre, sont autant de sujets qui alimentent un débat essentiel et nécessaire, que personne ne peut raisonnablement rejeter d’un revers de la main sans que l’Assemblée Nationale n’ait pu en discuter au moins quelques instants. » (Gérald Darmanin, le 11 décembre 2023 dans l'hémicycle).





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Coup de théâtre ce lundi 11 décembre 2023 peu avant 18 heures dans l'hémicycle : la motion de rejet préalable déposée par le groupe écologiste pour rejeter le projet de loi sur l'immigration défendu par le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a été adoptée avec 270 voix pour et 265 voix contre, et 13 abstentions volontaires sur 548 votants. 29 députés n'ont pas pris part au vote, pour une raison ou une autre, parfois pas politique (santé, éloignement géographique, etc.).

Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, que je nommerai simplement le projet de loi Immigration, a été déposé par le gouvernement le 1er février 2023 sur le bureau du Sénat en première lecture. Ce texte a été adopté par les sénateurs le 14 novembre 2023 par 210 voix pour et 115 voix contre, avec 341 votants, après un profond remaniement du projet par le groupe LR du Sénat (en particulier, avec la suppression de l'aide médicale d'État).

Le projet de loi Immigration a été examiné ensuite par la commission des lois de l'Assemblée Nationale le 2 décembre 2023, avec la suppression des principales modifications sénatoriales (retour de l'A.M.E. dont la suppression était considérée comme un "cavalier" législatif qui aurait été invalidé par le Conseil Constitutionnel). La séance du 11 décembre 2023 correspondait donc au premier jour d'examen de ce projet dans l'hémicycle. 2 621 amendements avaient été déposés pour l'occasion, aucun ne sera donc examiné puisque la motion de rejet préalable a été adoptée.


Dans l'analyse détaillée des votes de la motion de rejet préalable, on peut certes remarquer qu'il a manqué à l'appel 5 députés Renaissance qui étaient absents du vote, dont un atteint d'une maladie qui n'a pas eu le temps de donner sa délégation de vote, deux retenus dans leur circonscription lointaine de Français de l'étranger, mais il y a eu aussi 3 députés MoDem et 1 député Horizons absents. Or, ces 8 députés de la majorité ont fait défaut pour un vote qui s'est partagé avec 5 voix de retard. Le présence aurait donc pu éviter le camouflet infligé au gouvernement par ce vote.

Néanmoins, cette analyse assez grossière du scrutin (l'absence de ces députés n'ayant pas de signification politique particulière et n'étant pas de nature à amorcer une sorte de fronde comme du temps de François Hollande) ne tient pas (avec des si, on peut mettre Paris dans une bouteille) dès lors qu'on peut aussi constater l'absence du scrutin de 10 députés des oppositions populistes (1 RN, 3 PS, 1 EELV, 5 PCF). Si ceux-ci avaient été présents, ils auraient compensé les éventuels votes des députés absents de la majorité.

Donc, le problème pour la majorité reste le même. Ce qui a fait défaut, c'est l'adhésion (au mieux) ou l'indulgence (au pire) des députés LR qui ont été divisés mais en penchant du mauvais côté pour le gouvernement : 40 pour la motion de rejet, 2 contre la motion, 11 absentions et 9 absences du vote. Le groupe LR est encore plus opposé au gouvernement sur ce thème de l'immigration que sur le thème des retraites.


Insistons sur le suicide politique de ce qui fut un grand parti de gouvernement, Les Républicains, dans ce vote avec les oppositions populistes. En voulant absolument faire de l'immigration le thème majeur de campagne de LR pour sa renaissance à l'élection présidentielle de 2027, Éric Ciotti (le président de LR) et Olivier Marleix (le président du groupe LR à l'Assemblée au look juppéen) ne comprennent pas que c'est contre-productif : chaque fois que ce thème est saisi, c'est le ou la candidate du RN qui en bénéficiera électoralement et pas le candidat LR (avec cette petite musique que les électeurs préfèrent l'original à la copie). Si LR veut renaître, il lui faut retrouver un thème de campagne spécifique, original, pertinent, qui ne se confond pas avec d'autres partis. Or, depuis la campagne de François Fillon en 2017, il n'y a plus d'idée novatrice à LR.

Le fait de ne pas avoir réussi à convaincre le groupe LR est un grand échec de Gérald Darmanin dont l'origine politique (il était un député LR) pouvait être un atout mais s'est révélée comme un handicap, ses anciens camarades LR voulant lui faire payer ce qu'ils considèrent comme une trahison, son ralliement au Président Emmanuel Macron. Vis-à-vis du Président de la République, il a perdu en crédibilité politique sur la capacité à obtenir une majorité sur ce sujet, comme sa rivale, la Première Ministre Élisabeth Borne n'avait pas réussi à réunir une majorité sur la réforme des retraites au printemps dernier.

Avant de parler des oppositions populistes, évoquons le groupe LIOT qui est un groupe composé de centristes traditionnels et d'élus des Outre-mer, un groupe particulièrement combatif contre le gouvernement à l'époque de la réforme des retraites mais qui, aujourd'hui, a soutenu stoïquement le gouvernement sur l'immigration pour refuser le rejet préalable d'un texte qu'il a jugé équilibré. En effet, 19 députés LIOT ont voté contre la motion (et Charles de Courson s'est abstenu). Emmanuel Ménart, proche du RN mais députée non-inscrite, s'est elle aussi abstenue alors qu'on aurait pu penser qu'elle aurait voté pour la motion de rejet. Et je termine les curiosités individuelles par Delphine Batho, députée EELV (ex-PS), qui a voté contre la motion de rejet.

Au fait, qu'est-ce qu'une motion de rejet préalable ? C'est une refus de débattre. Dans la boîte à outils parlementaire, les députés qui s'opposent à un texte peuvent employer toute sorte de procédure : le vote contre à chaque article et au vote final, mais aussi la motion référendaire (renvoi au référendum du texte) ou encore la motion de rejet préalable qui clôt l'examen en séance publique avant même sa discussion. Cette motion de rejet n'est pas moins démocratique que d'autres outils, ceux-ci constitutionnels, que le gouvernement peut manier, comme l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, mais toutefois, elle signifie un réel refus de débattre du sujet au cœur de la démocratie parlementaire.

Et c'est là la contradiction parmi les rangs de la droite et de l'extrême droite qui ont voté cette motion de rejet (à savoir RN et LR) : ceux-là ont fait de l'immigration leur thème de prédilection, leur fonds de commerce électoral récurrent, insistent pour prendre en compte ces considérations au risque de se tromper de sujet sur les enjeux réels qui attendent la France (l'immigré n'étant qu'un bouc émissaire à droite qui a une fonction électorale identique au riche à gauche). C'est donc curieux que ces députés, qui avaient justement l'occasion de débattre publiquement pendant trois semaines dans l'hémicycle de l'immigration, aient refusé une telle discussion (ce qui contredit le dépôt de milliers d'amendements).


Précisons que le gouvernement ne pouvait pas utiliser l'article 49 alinéa 3 parce qu'il n'a pas eu le temps. Il faut en effet la déclaration générale pour l'utiliser, mais la motion de rejet préalable a été déposée auparavant.

Du côté de l'autre opposition populiste, celle de la Nupès, le discours des socialistes est au moins cohérent : ils ne veulent pas débattre de ce thème populiste qui atteindrait les limites de ce qui leur est acceptable sur le plan républicain. Leur refus de débattre est donc très clair et confirmé. Il faut souligner cependant que ces députés de gauche ne sont pas du tout gênés de mêler leurs voix à celles du RN pour ce sujet sensible alors que leur vote identique est motivé par une raison diamétralement opposée. D'autant plus qu'il s'agit d'une basse manœuvre politique contre le gouvernement.

C'est d'ailleurs cette conjonction des oppositions populistes qui montrent que le texte présenté au vote est un texte équilibré, faisant la part autant à la limitation de l'immigration qu'à l'amélioration de l'intégration.

Le vote de la motion de rejet est donc à la fois une surprise (la conjonction des oppositions populistes peut devenir arithmétiquement majoritaire) et un véritable échec politique du gouvernement. Il peut préfigurer une crise politique importante car toute motion de censure déposée sur ce thème de l'immigration pourrait donc être adoptée avec ce même rapport de force très serré (renversant pour le coup le gouvernement). Présenter un tel texte dans une telle Assemblée était peut-être kamikaze.

Que va-t-il se passer maintenant ? La loi Immigration était le second texte majeur du second quinquennat d'Emmanuel Macron. Il est peu probable que le gouvernement le retire purement et simplement. Ce vote de la motion de rejet, aussi dur soit-il pour le gouvernement, restera surtout un incident de parcours plus qu'une interruption définitive. Le gouvernement devrait le redéposer au Sénat pour une seconde lecture, avec passage en commission mixte paritaire (puisque c'est en procédure accélérée). Les députés de gauche auront perdu par rapport à leurs convictions puisque le texte présenté le 11 décembre 2023 à l'Assemblée a été "gauchisé" par la commission des lois par rapport au texte voté au Sénat.

L'autre solution serait plus habile mais plus cynique : le "en même temps" n'ayant pas tenu en un seul texte, le gouvernement pourrait déposer deux textes. Un premier texte sur l'immigration qui serait LR-compatible, et un second texte sur l'intégration qui serait PS-compatible.

À ce jour, la démonstration reste faite que l'Assemblée, sans majorité absolue, est incapable de construire un texte dans l'intérêt général et sans arrière-pensée politicienne sur des questions électoralement ultrasensibles que sont, entre autres, les retraites et l'immigration. Cela justifie a posteriori tous les outils constitutionnels mis à disposition du gouvernement par les constituants de 1958 pour gouverner efficacement malgré l'absence de majorité d'idée. Par ailleurs, la Nupès a démontré une nouvelle fois (mais on le savait déjà) que ses partis la composant vaguement ne sont plus des partis de gouvernement et n'ont que des postures électoralistes. Quant à LR, seulement 2 députés, qui ont voté contre la motion de rejet (sur 62), pensent que c'est encore un parti de gouvernement...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 décembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Loi Immigration : le risque du couperet...
Des bleus à l'A.M.E. (aide médicale d'État) : entre posture et protection.
L'affaire Leonarda, dix ans plus tard...
La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
Aymen Latrous Aymen Latrous n’est pas Leonarda !
Mamoudou Gassama, un héros en France.
Leonarda sous le feu des projecteurs.
L’immigration irlandaise.
Immigration : l'occasion ratée de François Hollande.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231211-projet-immigration.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/loi-immigration-le-risque-du-251976

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/12/11/40139383.html








 

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