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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 03:00

« Cette décision doit nous inviter à redoubler de détermination pour rétablir nos finances publiques et tenir l’objectif fixé par le Président de la République : être sous les 3 % de déficit en 2027. » (communiqué de Bruno Le Maire, le 27 avril 2024).


 


Ce vendredi 26 avril 2024, dans la soirée, le gouvernement français attendait avec une certaine anxiété la décision des deux agences de notation américaine Moody's et Fitch sur leur appréciation de la dette française.

Les notations de ces agences sont d'une grande importance financière pour la France et pour tous les États endettés (donc quasiment tous), dans la mesure où une dégradation de la note signifierait un risque considéré comme plus élevé de prêter à l'État en question, et donc, par effet mécanique, cela augmenterait les taux d'intérêt (le risque est toujours récompensé par le retour sur investissement).

Tout ce qu'un État paie pour la charge de sa dette est de l'argent que les contribuables n'utilisent pas pour leurs propres objectifs. En France, elle est le premier poste budgétaire, avec l'éducation, bien avant la défense. En 2023, on estime qu'au final, la charge de la dette publique de la France (les seuls intérêts) sera de 55,5 milliards d'euros (au lieu des 51,7 milliards d'euros prévus dans la loi de finances pour 2023). La loi de finances pour 2024 la prévoit à 52,2 milliards d'euros.

Il y a une certaine contradiction chez certains qui veulent dénigrer le gouvernement quand la note est dégradée, tout en voulant faire table rase de la dette. En dénigrant un pays dégradé, on accepte le principe de l'économie mondialisée qui veut que l'on ne prête pas gratuitement et que les prêteurs puissent rentabiliser leur financement. Si la charge de la dette est si lourde dans certains États, en particulier en France, ce n'est pas en raison d'une quelconque méchante finance internationale (dont nous sommes bien contents qu'elle soit là pour financer nos besoins de fonctionnement, c'est-à-dire nos retraités, nos personnels soignants, nos enseignants, nos policiers, etc.), c'est surtout que nous avons vécu au-dessus de nos capacités financières depuis plus d'une quarantaine d'années et que nous avons reporté l'addition (très salée) aux générations futures (merci à elles).

C'est pour cela que la meilleure souveraineté, la meilleure indépendance nationale, c'est encore de ne pas avoir à emprunter sur les marchés financiers internationaux, en d'autres termes, soit d'autofinancer soi-même ses emprunts (comme le fait le Japon), soit ne plus avoir de budget en déficit et rembourser définitivement sa dette (c'est plus sain). Ce serait plus sain mais cela signifierait ne plus faire de clientélisme, ne plus distribuer de l'argent à chaque catégorie qui revendique son bout de gras, et surtout, réduire la redistribution actuelle (bref, faire 144,5 milliards d'euros d'économies, le montant du déficit public prévu par la loi de finances pour 2024).

En raison d'une croissance plus faible que celle prévue dans la loi de finance pour 2023, la situation budgétaire de la France n'est pas très bonne, du moins, si on regarde les chiffres brut. Le déficit public de la France a dérapé en 2023, se hissant à 5,5% du PIB au lieu des 4,9% prévus. La dette atteint un niveau énorme, 110,6% du PIB, soit 3 000 milliards d'euros, soit environ 45 000 euros par Français, bébés compris ! C'est énorme mais elle s'explique aussi par les crises multiples que la France a traversé depuis six ans : crise des gilets jaunes, la crise du covid-19, le quoi-qu'il-en-coûte et le plan de relance, enfin, par le crise inflationniste consécutive à la montée du prix de l'énergie et aux pénuries provenant de la guerre en Ukraine. 110,6%, c'est 22 points du PIB en plus de la moyenne de la dette publique des pays de la zone euro (selon la dernière note des économistes de l'agence Rebond).

Pour autant, la situation de la France est loin d'être médiocre. Au contraire, depuis plusieurs années, la France est le pays le plus attractif économiquement de l'Europe, attirant vers elle de nombreux investisseurs étrangers. Depuis plusieurs années, on a plus d'entreprises industrielles qui se créent que d'entreprises industrielles qui ferment, avec un nombre de créations d'emplois industriels inédit depuis des décennies. Le chômage, s'il n'est pas jugulé (loin de là !), est maintenant à un taux assez faible (entre 7% et 8%), ce qui est nettement moins que du temps de François Hollande dont on évitera les analyses économiques actuelles qui sont particulièrement amnésiques en ce qui concerne sa gestion déplorable des finances publiques (avec une hausse de 70 milliards d'euros de prélèvements obligatoires !). De plus, les dépenses publiques continuent malgré tout à baisser par rapport au PIB : 59,6% du PIB en 2021 ; 58,8% du PIB en 2022 ; 57,3% du PIB en 2023. Le problème actuel provient d'une baisse de 21 milliards d'euros de recettes par rapport à ce qui avait été prévu dans la loi de finances pour 2023, en raison d'une baisse de la croissance.

Donc, malgré ce passage un peu difficile pour les finances publiques (qui va avoir pour conséquence des coups de rabot de 10 à 20 milliards d'euros, encore en débat pour la loi de finances de 2025, ce qui n'est pas rien), l'économie de la France d'Emmanuel Macron reste saine, le pays est attractif et c'est la raison pour laquelle le Président de la République ne voudrait surtout pas retourner aux mauvais réflexes de ses prédécesseurs en taxant encore plus l'activité économique, car cela viendrait gâcher tous ses efforts de redressement économique depuis 2017.

Cette analyse, que je fais, que certains font, que le "Spiegel" n'a pas hésité à faire en automne dernier en considérant la France en meilleure santé économique que l'Allemagne, elle est confirmée ce vendredi par les deux agences de notation Moody's et Fitch. On peut penser raisonnablement que leur appréciation se fait en dehors de tout esprit politicien ou de toute arrière-pensée électorale, puisque ces agences doivent préserver leur grande réputation dans les milieux financiers.

En effet, quelles sont ces appréciations annoncées ce 26 avril 2024 ? L'agence de notation Moody's a maintenu la note actuelle de la France, à savoir AA2, avec une perspective stable, jugeant que le risque de défaut de paiement de la dette était très faible et improbable. Quant à l'agence de notation Fitch, moins attendue car elle l'avait déjà annoncé implicitement au début du mois, elle a maintenu également sa note actuelle, à savoir AA–, avec une perspective stable, prenant le même chemin que Moddy's. Les deux confirment que prêter à la France est un bon placement, sans risque de déroute financière, car la France a de solides atouts économiques.


Loin de fanfaronner, le Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire a profité de cs annonces, qui ont eu de quoi soulager le gouvernement français, pour rappeler les objectifs financiers des prochaines années, à savoir le 3% du PIB de déficit public en 2027. Il a raison de montrer sa volonté de sérieux budgétaire, car il manque encore l'appréciation de la troisième grande agence de notation S&P qui donnera sa note de la France le 31 mai 2024, soit quelques jours avant les élections européennes...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240426-moody-fitch.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/agences-de-notation-moody-s-et-254384

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240426-moody-fitch.html



 

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18 avril 2024 4 18 /04 /avril /2024 03:30

« Si vous estimez que ce n'est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi, et je la respecterai ! » (Carlos Tavares, sur France Bleu Lorraine, le 16 avril 2024 à l'usine de Trémery, en Moselle).



 


La polémique resurgit en France avec le vote consultatif des actionnaires ce mardi 16 avril 20240, au cours d'une assemblée générale réunie à Amsterdam, qui a approuvé à 70,2% la rémunération du directeur général du groupe Stellantis, mais l'information était déjà connue dès le 23 février 2024 avec la publication du rapport annuel : Carlos Tavares (65 ans) a touché 36,5 millions d'euros de rémunération pour l'année 2023.

Autant le dire tout de suite : c'est un montant complètement fou et excessif. Démesuré et disproportionné. Mais une fois écrit cela, qu'en penser ? D'abord, est-ce mérité ? Peut-être. Stellantis existe depuis le 16 janvier 2021. C'est nouveau et c'est la fusion de plusieurs groupes automobiles, français, italien, américain, pour en faire le quatrième constructeur mondial avec les marques : Peugeot, Citroën, Open, Fiat, Lancia, Chrysler, Alfa Romeo, Jeeetc.

Carlos Tavares est issu d'une famille portugaise de conditions plutôt modestes aimant la France et le français. Il est diplômé de l'École centrale de Paris et s'est consacré tout entièrement au secteur automobile dont il était passionné. Jusqu'en 2013, il a fait toute sa carrière à Renault, devenant le numéro deux de Carlos Ghosn comme directeur général délégué aux opérations du groupe Renault de 2011 à 2013.

Le jour de ses 55 ans, le 14 août 2013, il a affirmé publiquement, dans une interview, qu'il ne souhaitait pas rester un simple numéro deux et qu'il voulait devenir numéro un : « À un moment donné, vous avez l'énergie et l'appétit pour devenir numéro un (…). Mon expérience serait bonne pour n'importe quel constructeur ! ». Crime de lèse majesté ! Stupeur de son patron, Carlos Ghosn, qui l'a immédiatement viré (le 29 août 2013). Exit Renault. L'objectif de Carlos Tavares s'est porté alors sur General Motors ou Ford.


Ce fut PSA : le groupe Peugeot SA était alors au bord de la faillite en 2014 lorsqu'il a été nommé président du directoire. Son objectif était de redresser les comptes, supprimer la dette, retrouver de la trésorerie et une marge opérationnelle. En quelques années, il a redressé le groupe familial français et a pris l'initiative (aux côtés de l'État français) de la fusion de PSA avec Fiat en 2021 (Fiat venant d'absorber Chrysler en 2014).
 


Le 16 janvier 2021, il est devenu le directeur général de Stellantis, le nouveau groupe, dont le siège est aux Pays-Bas. Le chiffre d'affaires en 2023 a été de 189,5 milliards d'euros, en progression de 6%. Le résultat net pour 2023 a été aussi en progression, de 11%, pour atteindre le record de 18,6 milliards d'euros, ce qui est un exploit financier. Ce bénéfice a été d'ailleurs obtenu surtout à l'extérieur de la France, sur le marché américain. De ce bénéfice, 1,9 milliard d'euros ont été consacrés à une prime exceptionnelle aux près de 260 000 collaborateurs du groupe (précisément, un intéressement de 4 100 euros selon une annonce du 15 février 2024). 7,7 milliards d'euros ont été redistribués aux actionnaires (le reste est retourné en investissement).

Cette excellente situation financière d'un fleuron européen de l'automobile provient aussi de la stratégie mise en place par Carlos Tavares, en particulier l'idée de ne pas vouloir vendre le plus d'automobiles possible (comme pour Renault) mais de faire les meilleures marges possible.

Le sujet des rémunérations des patrons de constructeurs automobiles revient régulièrement dans l'actualité en France où le principe d'égalité est sacro-saint. En effet, l'indécence vient du fait que la rémunération de Carlos Tavares serait 500 fois la rémunération moyenne d'un salarié de son groupe. Dans cette rémunération, à 90% en fonction du résultat de son groupe, il faut compter une prime de 10 millions d'euros pour avoir mené la fusion, 2 millions d'euros pour une pension de retraite, etc.

Ce qui étonne, c'est que l'attention devrait être portée sur les personnes en précarité pour qu'elles puissent vivre décemment et pas s'indigner de rémunérations énormes. Les limiter ne résoudrait pas le problème de la pauvreté. De même, la transparence apportée à la rémunération des dix plus gros salaires des groupes n'a pas entraîné une modération salariale, au contraire, plutôt une surenchère qu'on avait déjà comprise avec Carlos Ghosn : comme les adolescents qui jouent à avoir la plus grosse, ces patrons se comparent non pas à leurs salariés mais aux autres patrons dans le monde, et plus ils gagnent de l'argent, plus ils pensent que leur reconnaissance est effective. Cette surenchère n'a plus beaucoup de sens à partir d'un certain seuil (qui reste à définir).

Du reste, l'arrogance va avec cette surenchère : presque provocateur, Carlos Tavares a justifié sa rémunération et si on la trouve trop importante, il défie les parlementaires de voter une loi et lui respectera la loi. Dans son arrogance, il se compare d'ailleurs à Kilian Mbappé (lui aussi objet de polémique sur sa rémunération), mais la différence, c'est qu'un joueur de football fait partie de l'actif d'un club, qui est l'argument d'achat des spectateurs et des sponsors, et il peut être revendu, au contraire du patron du groupe dont l'identité ne fait pas vendre à proprement parler ses véhicules (c'est plutôt la conception des véhicules qui déclenche l'acte d'achat).

Cela écrit, je n'ai pas personnellement d'idée précise sur le sujet. Ce qui semble certain, pour évacuer un risque, c'est que réduire la rémunération d'un patron, dans ces cimes si hautes, ne me semblent pas réduire leurs (éventuelles) performances ni celles de leur entreprise. Donc, l'argument de performance économique ne me paraît pas pertinent pour empêcher de fixer un seuil de rémunération. Néanmoins, la philosophie générale de liberté me paraît globalement un élément majeur de performance économique en elle-même. Limiter, réguler (dans le secteur automobile, il y a de plus en plus de réglementation notamment dans le domaine écologique), entraîne toujours un risque économique à long terme. De plus, à part un effet électoraliste à court terme, je n'en vois pas l'intérêt général pour le peuple français : réduire le salaire des autres n'augmentera jamais le sien (en revanche, soulage psychologiquement, peut-être est-ce propre à la France qui a l'argent honteux ?).


Pour moi, le problème est le calcul de la rémunération en général. Pour justifier son emploi, celui-ci doit rapporter nécessairement plus à l'employeur qu'il ne lui coûte en salaires et charges salariales (évidence élémentaire).

Mais comment rémunérer juste ? Il y a deux méthodes. Celui du consultant payé à l'heure (et aux frais). Tant de temps passé sera facturé de manière égale, qu'il s'agisse d'une affaire petite ou grande. Mais souvent, les rémunérations sont des pourcentages d'une affaire. C'est le cas des commerciaux. L'exemple typique est l'agent immobilier. Il peut passer autant de temps à vendre un appartement à 200 000 euros qu'une maison à 2 millions d'euros. Pourquoi décupler ses honoraires pour le même travail ? Dès lors qu'il y a une rémunération en pourcentage, il n'y a plus de limite, c'est le cas pour les acteurs, chanteurs, auteurs de best-sellers etc. La limite, finalement, c'est nous : plus nous achetons un bien, un livre, une place de cinéma, etc., plus nous donnons aux auteurs de l'œuvre. On peut juste réagir en aval, en imposant plus durement les rémunérations élevées, mais à condition que cela ne s'apparente pas à de la confiscation d'État.

Et si l'État français a encore une participation à Stellantis (près de 6,1% du capital), on oublie trop souvent dans ce genre de polémique franco-française qu'il s'agit toujours d'un groupe international, du reste de droit néerlandais et pas français et que les meilleures lois seront de toute façon détournées en raison de cette position internationale (on l'a vu pour Carlos Ghosn). Et le moteur de cette surenchère est d'ordre psychologique, le besoin du patron de montrer qu'il fait partie des plus puissants du monde. Ce qui est un peu chiche par rapport aux vrais riches, car même à 36,5 millions d'euros par an, il faut durer une carrière complète pour atteindre le "petit" milliard d'euros. Face aux milliardaires, ces patrons arrogants sont des petits joueurs !

La ligne à tenir pour la puissance publique, c'est l'intérêt général, on doit garder à l'esprit, hors de toute pression, ce qui rejaillirait en bien pour les Français en cas de réforme de la législation. Et ce dont je suis sûr, c'est que la jalousie voire l'envie n'ont jamais apporté un seul centime aux contribuables français. Juste de la rancœur et du dénigrement alors que les Français devraient d'abord être fiers de compter un patron très performant au niveau mondial.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.
 






https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240416-carlos-tavares.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/stellantis-carlos-tavares-a-100-254211

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240416-carlos-tavares.html



 

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5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 04:29

« Comme il aime le rappeler, il n’y a pas eu de réelle autogestion chez Lip, mais seulement autogestion des luttes. Les décisions n’étaient ni prises, ni influencées par les directions fédérales. Elles étaient le résultat de longues discussions et réflexions suscitées aux assemblées générales. Toute une pédagogie héritée de l’Action Catholique Ouvrière (non-violence, respect de l’Autre même s'il est un adversaire, refus de la démagogie) et l’inventivité de l’esprit de mai 68 participaient à l’invention d’une nouvelle démocratie. » (Dominique Féret, "À voix nue" sur France Culture le 12 septembre 2011).






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C'est bien une "figure emblématique" du syndicalisme français, comme l'a souligné la presse, qui vient de s'éteindre à l'âge de 95 ans ce samedi 4 novembre 2023 à Besançon, quelques jours après une "figure emblématique" du patronat français. Charles Piaget (né le 28 juillet 1928 à Besançon) était en effet le "leader" (mot qu'il n'aimait pas) de la lutte syndical à l'époque de l'Affaire Lip, un conflit social très important qui a dominé la Présidence de Georges Pompidou.

En raison de sa notoriété nationale, Charles Piaget avait été pressenti pour être candidat à l'élection présidentielle de 1974, après la mort du Président, sous l'étiquette du PSU (il avait reçu de nombreux soutiens dont celui de Jean-Paul Sartre), mais l'ancien candidat de ce petit parti, en 1969, Michel Rocard, qui y avait la majorité, préférait un soutien sans faille au candidat unique de la gauche François Mitterrand (avant d'ailleurs de rejoindre carrément le parti socialiste et y créer un courant).

Ouvrier dans l'industrie horlogère, la spécialité économique de la Franche-Comté, après sa formation au lycée technique (il était orphelin, son père mort en 1943 avait été un artisan horloger), salarié chez Lip à l'âge de 18 ans, Charles Piaget est devenu ensuite technicien et contremaître. Syndiqué à la CFTC, syndicat basé sur la doctrine sociale de l'Église, puis, lors de sa création (issue de la CFTC) en 1964, à la CFDT (une laïcisation du syndicat chrétien), délégué syndical pas vraiment volontaire au début, il était très engagé politiquement, adhérant au PSU (parti socialiste unifié) dès sa fondation en 1960 (parti à l'origine de Pierre Mendès France, rejeté par ses amis radicaux).

Charles Piaget a pris une part déterminante dans ce conflit social qui a reçu un grand écho national voire européen. Lip était une entreprise familiale fondée en 1867. Fred Lip (ex-Lipmann), « à la fois paternaliste et moderniste » (selon l'expression de Dominique Féret), en est devenu l'unique patron en 1944, et en raison des difficultés financières, il a cédé une partie de son capital à une entreprise horlogère suisse qui en est devenue l'actionnaire principal en 1970 avec 43%. À l'époque, Lip représentait 83 millions de francs de CA et employait 1 300 salariés. La concurrence avec les montres à quartz était rude. En 1971, Fred Lip a été renvoyé par le conseil d'administration, et l'entreprise a produit ses premières montres à quartz deux ans plus tard, dans un contexte concurrentiel très difficile (montres japonaises et montres américaines). L'Affaire Lip a commencé à la démission du nouveau patron et au dépôt de bilan le 17 avril 1973. Le tribunal de commerce a décidé le redressement judiciaire, à savoir la possibilité de continuer l'activité sous la responsabilité de deux administrateurs judiciaires.

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L'existence d'un plan de licenciement de près d'un demi-millier de salariés par les administrateurs a alerté le 12 juin 1973 les ouvriers qui se sont mis en grève, ont occupé l'usine et ont même séquestré (sans violence) les administrateurs pendant une nuit, le temps de fouiller leur bureau (on peut penser à l'excellent film "Potiche" de François Ozon, sorti le 10 novembre 2010, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu et Fabrice Luchini).

Le Premier Ministre Pierre Messmer confiait alors que l'entreprise allait être liquidée (le 15 octobre 1973). Cette ligne fataliste « Lip, c'est fini ! » était soutenue par le Ministre de l'Économie et des Finances Valéry Giscard d'Estaing qui avait la charge de gérer les Fonds de développement économique et social et la Datar. Au contraire, le Ministre du Développement industriel et scientifique Jean Charbonnel voulait pacifier le climat social et négocier avec les grévistes menés par Charles Piaget et Jean Ragunès avec la nomination d'un négociateur, Henry Giraud, le 2 août 1973.

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Charles Piaget a considéré que c'était un peu par hasard qu'il se trouvait ainsi en tête du mouvement et que « la réussite d'un mouvement syndical, c'est de ne plus avoir besoin de leader ». L'Affaire Lip a d'ailleurs été le premier mouvement social qui est véritablement parti de la base, indépendamment des centrales syndicales : « Le syndicat ne doit pas diriger, mais animer la lutte. Il doit pousser les salariés à se prendre en main, à diriger progressivement la lutte par eux-mêmes. » (Charles Piaget dans son livre "On fabrique, on vend, on se paie" publié en 2021, éd. Syllepse). Cela préfigurait de nombreux conflits sociaux dont les syndicats étaient dépassés, jusqu'aux gilets jaunes.

Loin de vouloir agir par destruction du chiffre d'affaires, les grévistes ont voulu démontrer la possibilité d'une autogestion : pas besoin de trouver un nouveau patron, on peut se suffire. Ils avaient un atout de poids : ils n'occupaient plus l'usine (car occupée par les CRS) mais ils avaient saisi les machines et le stock de montres déjà produites. Leur idée était de produire, vendre et se rémunérer eux-mêmes, en montrant que l'entreprise était pérenne, avec ce slogan relativement simple : « C'est possible, : on fabrique, on vend, on se paie ! ». Ainsi, l'activité de l'usine a été reprise sous la direction des grévistes eux-mêmes. C'est la première réelle tentative d'entreprise autogérée (et unique). Un slogan de l'Organisation révolutionnaire anarchiste en 1973 : « Le meilleur soutien aux travailleurs de Lip, c'est, à notre tour, de prendre nos affaires en main. ».

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Il faut insister sur cette réaction peu ordinaire des salariés face à un plan de licenciement : les syndicats, en général, leur proposaient surtout de négocier des indemnités fortes mais ne remettaient pas en cause l'idée du plan de licenciement qu'ils ne pouvaient pas empêcher. Les salariés de Lip, eux, résistaient au fatalisme en s'engageant eux-mêmes.

Une grande marche a réuni 100 000 personnes le 29 septembre 1973 à Besançon en soutien aux salariés de Lip. Mais le gouvernement ne pouvait pas tolérer un risque de nationalisation du conflit au-delà de Lip, avec des circuits de vente sauvage et une revendication d'autogérer les entreprises. Cette expérience de l'autogestion a été fortement soutenue par des personnalités comme Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT) et Michel Rocard (représentant la "seconde gauche").

Propulsé par Antoine Riboud et Michel Rocard, le numéro deux de Publicis, Claude Neuschwander (qui est mort il y a deux mois peu avant ses 90 ans), militant UNEF, puis PSU et CFDT, a repris Lip le 29 janvier 1974 en réembauchant tous les grévistes (830 ouvriers furent réintégrés progressivement jusqu'au 11 mars 1974) et en concevant de nouvelles montres. Mais il a dû démissionner deux ans plus tard, le 8 février 1976 à la suite du refus d'un soutien financier du gouvernement. Jean Charbonnel en a beaucoup voulu à Valéry Giscard d'Estaing, devenu Président de la République, et Jacques Chirac, Premier Ministre, d'avoir voulu assassiner Lip.

Après un nouveau dépôt de bilan quelques semaines plus tard, une nouvelle occupation par les salariés, Lip a été définitivement liquidé le 12 septembre 1977, mettant fin à une expérience originale et particulière. En novembre 1977, des anciens salariés de Lip ont alors tenté de continuer leur activité dans une autre structure, une société coopérative de production appelée Les Industries de Palente, siglée LIP (Palente est le quartier de Besançon où était implantée l'usine Lip) qui a été rachetée en 1986 par une autre entreprise horlogère qui a fait faillite en 1990.

Le 15 septembre 2011 sur France Culture, Charles Piaget résumait ainsi l'origine de l'Affaire Lip, et surtout, le cynisme des nouveaux dirigeants de Lip : « Finalement, notre aventure, c'est une aventure qui est extrêmement courante aujourd'hui. Une multinationale prend les actions d'une entreprise familiale et décide de la modeler selon sa logistique. Quelque chose qui est très courant aujourd'hui, qui l'était beaucoup moins à l'époque. (…) Ils se sont adressé à une entreprise conseil (…) et ils leur ont demandé comment il fallait faire (…). La réponse a été : premièrement, il faut (…) créer l'inquiétude (…), préparer psychologiquement les salariés à quelque chose d'important ; (…) faire le vide devant les salariés, c'est-à-dire qu'ils n'aient plus d'interlocuteur valable (…) dans l'entreprise ; donc, (…) ils vont se mettre en grève et occuper l'usine, et à partir de là, vous allez couper les salaires et il va y avoir lutte. (…) On a fait des statistiques, il n'y a aucun conflit qui a pu durer plus de deux mois lorsqu'il n'y avait pas de salaire. (…) Donc, deux mois après, vous aurez toute liberté de faire des restructurations que vous voulez. Voilà. Cela vous coûtera 2 millions de francs. » (voix nue").

À la retraite en 1988, Charles Piaget a continué ses engagements jusqu'à la fin de sa vie, notamment contre le chômage (cofondateur d'Agir ensemble contre le chômage) et aussi en participant à de nombreuses conférences pour témoigner de cette période d'autogestion (sa dernière interview date du 15 septembre 2023). Au début des années 2000, il constatait avec joie : « En ce moment, il y a moins de militants qui viennent au local, mais surtout, il y a moins de chômeurs. Tout ce que je souhaite, c’est la disparition de notre groupe avec la disparition du chômage. ». Mais le chômage a repris énormément après la crise de 2008.

C'est donc à la fois un acteur historique d'un grand mouvement social du début des années 1970, premier soubresaut d'une mondialisation qui allait s'étendre dans tous les secteurs, et aussi une personnalité qui a toujours voulu rester modeste, mettant en avant l'action collective, qui vient de disparaître. Dans son livre témoignage, il avait écrit : « Aujourd’hui, l’essentiel pour l’humanité, c’est de pérenniser l’aventure humaine. Elle se trouve en grand danger. Il faut changer profondément les sociétés actuelles. ». Il avait en outre insisté sur l'action déterminante des femmes dans le conflit Lip : « Cette participation très active des femmes a constitué une grande richesse pour la lutte. Mais aussi pour elles, pour leur vie personnelle. Sans cette forte participation, sans elles, le conflit n’aurait pu prendre cette dimension, cette popularité formidable. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2023)
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Pour aller plus loin :
Charles Piaget.
Marylise Léon.
Laurent Berger.

José Bové.
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231104-charles-piaget.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/charles-piaget-le-non-chef-de-la-251367

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/11/05/40097137.html



 

 

 

 

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3 novembre 2023 5 03 /11 /novembre /2023 04:20

« L’irruption de "l’intelligence artificielle" qui va la caractériser dans tous les processus de la vie privée et professionnelle va (…) se traduire par d’importants changements qui laisseront au bord de la route ceux, individus comme collectivités, qui ne sauront pas, ou ne voudront pas, les accepter comme des changements inéluctables mais riches d’autres potentialités. » (Francis Mer, le 18 février 2014).



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Succéder à Laurent Fabius et être suivi par Nicolas Sarkozy : avoir une telle carte de visite, dans un poste prestigieux, l'un des plus importants de l'État, successeur d'un ancien Premier Ministre et prédécesseur d'un futur Président de la République, cela doit être un responsable politique de premier plan. Eh bien non ! Il s'agissait d'un non-politique, ce qu'on dit pompeusement (et avec inexactitude) quelqu'un de la "société civile" (comme si les professionnels de la politique étaient des militaires), il s'agissait de Francis Mer, "capitaine d'industrie" comme on le dit tout aussi pompeusement, qui est mort à Bourg-la-Reine le mardi 31 octobre 2023 à l'âge de 84 ans (il est né à Pau le 25 mai 1939).

Effectivement, Francis a été nommé Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans les deux premiers gouvernements de Jean-Pierre Raffarin, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, au début du second mandat présidentiel de Jacques Chirac. Ce n'est toutefois pas dans ces fonctions qu'il a le plus brillé, mais dans les fonctions de grand patron de la sidérurgie française.

Diplômé de Polytechnique et ingénieur en chef du corps des Mines, Francis Mer a fait partie des chefs de grandes entreprises emblématiques de la France industrielle. Dans le groupe Saint-Gobain où il a travaillé de 1970 à 1986, il était en charge du plan, puis directeur général de Saint-Gobain Industries en 1974, directeur général adjoint du groupe Saint-Gobain en charge de la politique industrielle en septembre 1978, et président-directeur général de Pont-à-Mousson SA (une filiale du groupe Saint-Gobain) en juillet 1982.

En septembre 1986, le gouvernement de Jacques Chirac a procédé à la fusion des deux groupes sidérurgiques Usinor et Sacilor (dont l'État était actionnaire) et a fait appel à Francis Mer pour diriger le nouveau groupe. La nouvelle gestion a permis de retrouver des bénéfices en 1988 après quatorze années de pertes, mais au début des années 1990, les pertes sont revenues. En juillet 1995, le gouvernement a privatisé Usinor-Sacilor et Francis Mer fut choisi pour présider le conseil d'administration d'octobre 1995 à mai 2002 de ce qui allait devenir Arcelor, le numéro un mondial de l'acier. Francis a alors réduit de plus de la moitié les effectifs pour permettre au groupe de survivre à la crise internationale, en négociant avec les syndicats un pacte pour réinsérer les salariés en partance.

À partir de la fin des années 1980, Francis Mer a dominé le secteur de la sidérurgie française, en prenant notamment la présidence de la Fédération française de l'acier à partir de 1988, en présidant aussi Eurofer (l'association des producteurs d'acier européens) entre 1990 et 1997, l'International Iron and Steel Institute entre 1997 et 1998, etc. En qualité de patron d'un grand groupe, Francis Mer a également présidé le conseil d'administration du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) entre 1989 et 1997.

Arrivé à Bercy avec la réélection de Jacques Chirac dans des circonstances particulières (Jean-Marie Le Pen au second tour), Francis Mer n'a jamais su se mettre à la place du politique et restait encore patron dans l'âme, au point que dans un conseil des ministres, il a commencé une intervention en disant : "Nous, les patrons, nous disons que..." ! Il n'était plus patron, mais ministre, et à ce titre, il devait prendre en compte des considérations politiques. Ce qui lui a valu quelques gaffes (de néophytes).

L'une des premières tâches de Francis était le grand écart entre la réalité économique et financière du pays et les considérations politiques. Quand il est entré à son ministère, Francis Mer répondait le 12 juillet 2002 au journal "Les Échos" à la question de la baisse des impôts :
« Au risque de vous décevoir, non ! Cela me paraît trop rigide. (…) Nous vivons dans un monde imprévisible et il vaut donc mieux conserver un maximum de souplesse. ». Il fut démenti par le Président de la République Jacques Chirac dès le 14 juillet 2002 : pour ce dernier, une promesse électorale devait engager son gouvernement, surtout avec l'envolée de l'extrême droite. Pendant la campagne présidentielle, il avait promis une baisse de 30% des impôts sur cinq ans, et 5% dès 2003 : il la réaliserait donc et tant pis pour son ministre trop prudent et pragmatique !

À Bercy, Francis Mer a fait beaucoup de réformes économiques, il a défendu la loi sur la transparence financière, modifié le code des marchés publics, réformé la méthode pour fixer le taux du livret A (en la déconnectant du politique). Il assura l'entrée des grands groupes publics dans le marché européen dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Ainsi, il a privatisé Renault, France Telecom et Air France et a créé l'Autorité des marchés financiers (AMF).


Mais les préoccupations politiques de la majorité ont emporté Francis Mer : après l'échec des élections régionales de mars 2004, Jean-Pierre Raffarin (qui avait été battu par Ségolène Royal dans le Poitou-Charentes) a formé un nouveau gouvernement en nommant Nicolas Sarkozy à Bercy, permettant de l'évincer du stratégique Ministère de l'Intérieur revenu à Dominique de Villepin.

Après son aventure ministérielle, Francis Mer a laissé entendre (selon une indiscrétion du journal "Les Échos") le 18 avril 2005 qu'il allait se porter candidat à la présidence du Medef en association avec Guillaume Sarkozy (frère du futur Président de la République), vice-président du Medef et président de l'Union des industries textiles de 2000 à 2006 (Guillaume Sarkozy a été vice-président du CNAM de 2004 à 2005). Ce duo pouvait être cohérent (même si le Medef n'élisait qu'une seule personne) d'autant plus que Francis Mer représentait les très influentes industries sidérurgiques. Cependant, leur campagne était poussive et ils n'ont pas réussi à convaincre les patrons pour la succession d'Ernest-Antoine Seillère.

Finalement, Francis Mer a renoncé à sa candidature le 15 juin 2005 avec quelques regrets étonnés dans une interview au journal "Le Monde" :
« N'ayant pas le sentiment d'être le bienvenu, je ne souhaite donc pas compliquer les choses quant à l'élection d'un futur président (…). Je n'ai pas été considéré, ce qui m'a surpris, comme quelqu'un qui pouvait apporter une certaine valeur ajoutée à l'association qui représente les entreprises françaises. Visiblement je suis perçu comme un empêcheur de tourner en rond. Ce n'est pas la peine d'insister ! ». Il faut dire que les patrons souhaitaient probablement être indépendants du pouvoir, même s'ils en étaient proches, et dans ce duo, l'un était le frère du président du parti majoritaire et Ministre de l'Intérieur et l'autre avait été Ministre de l'Économie et des Finances de la même majorité. Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, fut élue présidente du Medef (la première femme) le 5 juillet 2005 avec 53,6% des voix.

Francis Mer est devenu en 2005 membre du directoire de Vale Inco, un géant mondial du nickel et du platine (groupe canadien), et en janvier 2011, président du conseil de surveillance du groupe Safran puis vice-président du groupe Safran à partir d'avril 2011 (après le changement de gouvernance du groupe, passage du directoire à conseil d'administration).


Francis Mer a par ailleurs mené beaucoup de prospective et de réflexion sur l'économie : d'octobre 2004 à juin 2005, il a présidé le conseil de surveillance de Fondapol (Fondation pour l'innovation politique, un laboratoire de recherches fondé en avril 2004 par Jérôme Monod et
dont le directeur général est Dominique Reynié depuis 2008 et l'actuel président Nicolas Bazire depuis 2009) ; il a présidé aussi le Comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme. De plus, en 2009, Francis Mer a fondé et animé la Fondation Condorcet Paris-Dauphine, considérée comme un laboratoire d'idées au service de la performance des entreprises. À cet égard, il estimait le 6 juin 2014 que la clef de la réussite résidait dans la mobilisation de toutes les ressources présente dans chaque entreprise : « Le schéma traditionnel, patron décideur, salarié exécuteur, débouche sur l'immobilisme (…). La confiance dans les capacités de l'autre est à la base du progrès. Et les collaborateurs détiennent des trésors de compétences qui restent inemployées parce qu'on a pris l'habitude de les réduire à leurs diplômes. ».

Dans une tribune antérieure, le 18 février 2014, il imaginait les enjeux à venir dans la gouvernance des entreprises et les limites de la société française : « Le moment est grave car les limites de la solidarité librement consentie sont atteintes, la révolution de l’information en route va continuer à détruire beaucoup d’emplois traditionnels et les responsables de l’intérêt collectif que sont les élus politiques sont de plus en plus déconnectés du monde "réel". (…) LE nouveau système donnant à chacun sa chance : dans un monde ouvert à toutes les informations, tous les modes de pensée, tous les échanges instantanés, il serait utopique de prétendre seul (moi État, moi Patron) être capable de maîtriser suffisamment la "situation" pour trouver LA "solution". Ce n’est qu’ensemble, au niveau de la communauté de travail de base qu’est l’entreprise, que cet effort d’imagination et de réflexion a quelques chances de se traduire concrètement par l’amélioration de performances dont elle a besoin pour se donner l’envie de continuer à construire son changement. (…) La relation entre les classes "dirigeantes" et la "masse des travailleurs" continue à s’inspirer d’une culture historique pluricentenaire privilégiant la hiérarchie qui "sait" et qui a le devoir de "protéger" les acteurs anonymes en contrepartie de leurs prestations obéissantes et passives, y compris par un code du travail envahissant. Cette caractéristique française n’est plus opérationnelle aujourd’hui au moment où la double révolution de la libération des personnes et de l’explosion des connaissances rend obsolète tout modèle fondé sur le contrôle et la rareté du savoir. Il risque même de se transformer en handicap si ce système d’organisation n’évolue pas rapidement pour libérer les initiatives car il poussera une part croissante des jeunes générations à "chercher fortune" ailleurs en profitant de cet acquis majeur qu’est la liberté de chacun de s’accomplir lui-même. ».

La disparition de Francis Mer a évidemment ému tout le monde économique mais aussi politique et en premier lieu le Président de la République Emmanuel Macron, promoteur de la start-up France, qui a exprimé le 3 novembre 2023 cet hommage : « Avec sa disparition, la France voit s'éteindre une figure emblématique de son paysage industriel, qui avait, tout au long d’une riche carrière, allié son esprit entrepreneurial à la quête du bien commun. (…) Incarnant les talents de la société civile au sein du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y importa son approche d’industriel, toute à la fois pragmatique et soucieuse d’une vision de long terme. Francis Mer, ingénieur au franc-parler tranché et au pragmatisme trempé, devint un ministre soucieux d’ordre budgétaire, d’attractivité, de libertés pour les chefs d’entreprises au service de l’emploi et de l’innovation. (…) Francis Mer était un homme d’industrie, de valeurs et d’engagement. Sa personnalité et son parcours (…) marquèrent notre économie, la vie des entreprises et celle des idées. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Francis Mer.
Jérôme Monod.
Jacques Attali.

George Soros.
Silvio Berlusconi.
Michel-Édouard Leclerc.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Virginie Calmels.
Bernard Arnault.
Georges Chavanes.
Serge Dassault.
Thierry Breton.
Stéphane Soumier.
Elon Musk.

Jeff Bezos.
Donald Trump.
Anatoli Tchoubaïs.
Ravil Maganov.
François Perigot.
Alain Minc.
Jean Gandois.
Yvon Gattaz.
Bill Gates.
Carlos Ghosn.
Olivier Dassault.
Albin Chalandon.
Bernard Tapie.
Le Black Friday.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231031-francis-mer.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/francis-mer-un-grand-patron-en-251330

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/11/02/40094146.html






 

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1 novembre 2023 3 01 /11 /novembre /2023 04:24

« L’irruption de "l’intelligence artificielle" qui va la caractériser dans tous les processus de la vie privée et professionnelle va (…) se traduire par d’importants changements qui laisseront au bord de la route ceux, individus comme collectivités, qui ne sauront pas, ou ne voudront pas, les accepter comme des changements inéluctables mais riches d’autres potentialités. » (Francis Mer, le 18 février 2014).



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Succéder à Laurent Fabius et être suivi par Nicolas Sarkozy : avoir une telle carte de visite, dans un poste prestigieux, l'un des plus importants de l'État, successeur d'un ancien Premier Ministre et prédécesseur d'un futur Président de la République, cela doit être un responsable politique de premier plan. Eh bien non ! Il s'agissait d'un non-politique, ce qu'on dit pompeusement (et avec inexactitude) quelqu'un de la "société civile" (comme si les professionnels de la politique étaient des militaires), il s'agissait de Francis Mer, "capitaine d'industrie" comme on le dit tout aussi pompeusement, qui est mort à Bourg-la-Reine le mardi 31 octobre 2023 à l'âge de 84 ans (il est né à Pau le 25 mai 1939).

Effectivement, Francis a été nommé Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans les deux premiers gouvernements de Jean-Pierre Raffarin, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, au début du second mandat présidentiel de Jacques Chirac. Ce n'est toutefois pas dans ces fonctions qu'il a le plus brillé, mais dans les fonctions de grand patron de la sidérurgie française.

Diplômé de Polytechnique et ingénieur en chef du corps des Mines, Francis Mer a fait partie des chefs de grandes entreprises emblématiques de la France industrielle. Dans le groupe Saint-Gobain où il a travaillé de 1970 à 1986, il était en charge du plan, puis directeur général de Saint-Gobain Industries en 1974, directeur général adjoint du groupe Saint-Gobain en charge de la politique industrielle en septembre 1978, et président-directeur général de Pont-à-Mousson SA (une filiale du groupe Saint-Gobain) en juillet 1982.

En septembre 1986, le gouvernement de Jacques Chirac a procédé à la fusion des deux groupes sidérurgiques Usinor et Sacilor (dont l'État était actionnaire) et a fait appel à Francis Mer pour diriger le nouveau groupe. La nouvelle gestion a permis de retrouver des bénéfices en 1988 après quatorze années de pertes, mais au début des années 1990, les pertes sont revenues. En juillet 1995, le gouvernement a privatisé Usinor-Sacilor et Francis Mer fut choisi pour présider le conseil d'administration d'octobre 1995 à mai 2002 de ce qui allait devenir Arcelor, le numéro un mondial de l'acier. Francis a alors réduit de plus de la moitié les effectifs pour permettre au groupe de survivre à la crise internationale, en négociant avec les syndicats un pacte pour réinsérer les salariés en partance.

À partir de la fin des années 1980, Francis Mer a dominé le secteur de la sidérurgie française, en prenant notamment la présidence de la Fédération française de l'acier à partir de 1988, en présidant aussi Eurofer (l'association des producteurs d'acier européens) entre 1990 et 1997, l'International Iron and Steel Institute entre 1997 et 1998, etc. En qualité de patron d'un grand groupe, Francis Mer a également présidé le conseil d'administration du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) entre 1989 et 1997.

Arrivé à Bercy avec la réélection de Jacques Chirac dans des circonstances particulières (Jean-Marie Le Pen au second tour), Francis Mer n'a jamais su se mettre à la place du politique et restait encore patron dans l'âme, au point que dans un conseil des ministres, il a commencé une intervention en disant : "Nous, les patrons, nous disons que..." ! Il n'était plus patron, mais ministre, et à ce titre, il devait prendre en compte des considérations politiques. Ce qui lui a valu quelques gaffes (de néophytes).

L'une des premières tâches de Francis était le grand écart entre la réalité économique et financière du pays et les considérations politiques. Quand il est entré à son ministère, Francis Mer répondait le 12 juillet 2002 au journal "Les Échos" à la question de la baisse des impôts :
« Au risque de vous décevoir, non ! Cela me paraît trop rigide. (…) Nous vivons dans un monde imprévisible et il vaut donc mieux conserver un maximum de souplesse. ». Il fut démenti par le Président de la République Jacques Chirac dès le 14 juillet 2002 : pour ce dernier, une promesse électorale devait engager son gouvernement, surtout avec l'envolée de l'extrême droite. Pendant la campagne présidentielle, il avait promis une baisse de 30% des impôts sur cinq ans, et 5% dès 2003 : il la réaliserait donc et tant pis pour son ministre trop prudent et pragmatique !

À Bercy, Francis Mer a fait beaucoup de réformes économiques, il a défendu la loi sur la transparence financière, modifié le code des marchés publics, réformé la méthode pour fixer le taux du livret A (en la déconnectant du politique). Il assura l'entrée des grands groupes publics dans le marché européen dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Ainsi, il a privatisé Renault, France Telecom et Air France et a créé l'Autorité des marchés financiers (AMF).


Mais les préoccupations politiques de la majorité ont emporté Francis Mer : après l'échec des élections régionales de mars 2004, Jean-Pierre Raffarin (qui avait été battu par Ségolène Royal dans le Poitou-Charentes) a formé un nouveau gouvernement en nommant Nicolas Sarkozy à Bercy, permettant de l'évincer du stratégique Ministère de l'Intérieur revenu à Dominique de Villepin.

Après son aventure ministérielle, Francis Mer a laissé entendre (selon une indiscrétion du journal "Les Échos") le 18 avril 2005 qu'il allait se porter candidat à la présidence du Medef en association avec Guillaume Sarkozy (frère du futur Président de la République), vice-président du Medef et président de l'Union des industries textiles de 2000 à 2006 (Guillaume Sarkozy a été vice-président du CNAM de 2004 à 2005). Ce duo pouvait être cohérent (même si le Medef n'élisait qu'une seule personne) d'autant plus que Francis Mer représentait les très influentes industries sidérurgiques. Cependant, leur campagne était poussive et ils n'ont pas réussi à convaincre les patrons pour la succession d'Ernest-Antoine Seillère.

Finalement, Francis Mer a renoncé à sa candidature le 15 juin 2005 avec quelques regrets étonnés dans une interview au journal "Le Monde" :
« N'ayant pas le sentiment d'être le bienvenu, je ne souhaite donc pas compliquer les choses quant à l'élection d'un futur président (…). Je n'ai pas été considéré, ce qui m'a surpris, comme quelqu'un qui pouvait apporter une certaine valeur ajoutée à l'association qui représente les entreprises françaises. Visiblement je suis perçu comme un empêcheur de tourner en rond. Ce n'est pas la peine d'insister ! ». Il faut dire que les patrons souhaitaient probablement être indépendants du pouvoir, même s'ils en étaient proches, et dans ce duo, l'un était le frère du président du parti majoritaire et Ministre de l'Intérieur et l'autre avait été Ministre de l'Économie et des Finances de la même majorité. Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, fut élue présidente du Medef (la première femme) le 5 juillet 2005 avec 53,6% des voix.

Francis Mer est devenu en 2005 membre du directoire de Vale Inco, un géant mondial du nickel et du platine (groupe canadien), et en janvier 2011, président du conseil de surveillance du groupe Safran puis vice-président du groupe Safran à partir d'avril 2011 (après le changement de gouvernance du groupe, passage du directoire à conseil d'administration).


Francis Mer a par ailleurs mené beaucoup de prospective et de réflexion sur l'économie : d'octobre 2004 à juin 2005, il a présidé le conseil de surveillance de Fondapol (Fondation pour l'innovation politique, un laboratoire de recherches fondé en avril 2004 par Jérôme Monod et dont le directeur général est Dominique Reynié depuis 2008 et l'actuel président Nicolas Bazire depuis 2009) ; il a présidé aussi le Comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme. De plus, en 2009, Francis Mer a fondé et animé la Fondation Condorcet Paris-Dauphine, considérée comme un laboratoire d'idées au service de la performance des entreprises. À cet égard, il estimait le 6 juin 2014 que la clef de la réussite résidait dans la mobilisation de toutes les ressources présente dans chaque entreprise : « Le schéma traditionnel, patron décideur, salarié exécuteur, débouche sur l'immobilisme (…). La confiance dans les capacités de l'autre est à la base du progrès. Et les collaborateurs détiennent des trésors de compétences qui restent inemployées parce qu'on a pris l'habitude de les réduire à leurs diplômes. ».

Dans une tribune antérieure, le 18 février 2014, il imaginait les enjeux à venir dans la gouvernance des entreprises et les limites de la société française : « Le moment est grave car les limites de la solidarité librement consentie sont atteintes, la révolution de l’information en route va continuer à détruire beaucoup d’emplois traditionnels et les responsables de l’intérêt collectif que sont les élus politiques sont de plus en plus déconnectés du monde "réel". (…) LE nouveau système donnant à chacun sa chance : dans un monde ouvert à toutes les informations, tous les modes de pensée, tous les échanges instantanés, il serait utopique de prétendre seul (moi État, moi Patron) être capable de maîtriser suffisamment la "situation" pour trouver LA "solution". Ce n’est qu’ensemble, au niveau de la communauté de travail de base qu’est l’entreprise, que cet effort d’imagination et de réflexion a quelques chances de se traduire concrètement par l’amélioration de performances dont elle a besoin pour se donner l’envie de continuer à construire son changement. (…) La relation entre les classes "dirigeantes" et la "masse des travailleurs" continue à s’inspirer d’une culture historique pluricentenaire privilégiant la hiérarchie qui "sait" et qui a le devoir de "protéger" les acteurs anonymes en contrepartie de leurs prestations obéissantes et passives, y compris par un code du travail envahissant. Cette caractéristique française n’est plus opérationnelle aujourd’hui au moment où la double révolution de la libération des personnes et de l’explosion des connaissances rend obsolète tout modèle fondé sur le contrôle et la rareté du savoir. Il risque même de se transformer en handicap si ce système d’organisation n’évolue pas rapidement pour libérer les initiatives car il poussera une part croissante des jeunes générations à "chercher fortune" ailleurs en profitant de cet acquis majeur qu’est la liberté de chacun de s’accomplir lui-même. ».

La disparition de Francis Mer a évidemment ému tout le monde économique mais aussi politique et en premier lieu le Président de la République Emmanuel Macron, promoteur de la start-up France, qui a exprimé le 3 novembre 2023 cet hommage : « Avec sa disparition, la France voit s'éteindre une figure emblématique de son paysage industriel, qui avait, tout au long d’une riche carrière, allié son esprit entrepreneurial à la quête du bien commun. (…) Incarnant les talents de la société civile au sein du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y importa son approche d’industriel, toute à la fois pragmatique et soucieuse d’une vision de long terme. Francis Mer, ingénieur au franc-parler tranché et au pragmatisme trempé, devint un ministre soucieux d’ordre budgétaire, d’attractivité, de libertés pour les chefs d’entreprises au service de l’emploi et de l’innovation. (…) Francis Mer était un homme d’industrie, de valeurs et d’engagement. Sa personnalité et son parcours (…) marquèrent notre économie, la vie des entreprises et celle des idées. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Francis Mer.
Jérôme Monod.
Jacques Attali.

George Soros.
Silvio Berlusconi.
Michel-Édouard Leclerc.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Virginie Calmels.
Bernard Arnault.
Georges Chavanes.
Serge Dassault.
Thierry Breton.
Stéphane Soumier.
Elon Musk.

Jeff Bezos.
Donald Trump.
Anatoli Tchoubaïs.
Ravil Maganov.
François Perigot.
Alain Minc.
Jean Gandois.
Yvon Gattaz.
Bill Gates.
Carlos Ghosn.
Olivier Dassault.
Albin Chalandon.
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8 septembre 2023 5 08 /09 /septembre /2023 05:34

« La France, c'est l'Allemagne en mieux ! » ("Der Spiegel" le 5 septembre 2023).




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Non ! Je ne parle pas de la Coupe du monde de rugby qui commence ce vendredi 8 septembre 2023 au Stade de France, à Saint-Denis, mais de l'économie française. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'éditorial du très influent hebdomadaire allemand "Der Spiegel" (« souvent critique pour les travers et les échecs français », selon le journaliste économique François Lenglet) vient de rendre hommage, ce mardi 5 septembre 2023, à la politique économique de la France et la compare à celle de l'Allemagne en des termes élogieux. À la France le dynamisme économique, à l'Allemagne l'immobilisme économique !

Soyons clairs : tout ne va pas bien en France et on le sait bien, mais il est toujours rassurant de savoir que la France vue de l'extérieur est toujours plus belle que de l'intérieur. Pas par une méconnaissance de la réalité du pays (elle est multiple, contrastée, subjective), mais surtout par une question de perspective. Nous, peuple français, nous aimons bien nous autoflageller, nous ne voyons que nos défauts, jamais nos atouts, nous ne savons pas savourer nos réussites, nous râlons toujours, nous ne savons pas nous aimer, nous ne savons pas aimer la France, la patrie et nous sommes souvent dans l'autodénigrement permanent (ce qui profite à bien de nos partenaires internationaux !).

Alors, oui, nous avons toujours des raisons de nous inquiéter et en particulier des voyants comptables toujours au rouge (François Bayrou avait alerté dès la campagne présidentielle de 2002, il y a vingt et un ans !) : la dette publique est abyssale et le déficit annuel reste encore beaucoup trop élevé ; la balance du commerce extérieur est également profondément déficitaire (la crise de l'énergie n'aide pas)... Mais il y a des voyants qui, avant, étaient au rouge et qui sont maintenant au vert, et qui donnent des raisons d'être optimistes pour l'avenir : la croissance économique reste soutenue et le chômage poursuit sa baisse structurelle.

Et puis, il y a un élément majeur dont nous envient les Allemands : la France est devenu le premier pays de l'Europe pour les investissements extérieurs, et cela depuis plusieurs années consécutives. Elle est la plus attractive !

L'Allemagne, c'était le géant économique de l'Europe (elle le reste encore). Pendant une vingtaine d'années, tous les responsables politiques français se tournaient vers l'Allemagne pour prendre leurs références et leurs comparaisons économiques. L'Allemagne réunifiée a été plombée par l'absorption de l'Allemagne de l'Est avec la parité des deux monnaies de l'époque, ralentissement économique, chômage à 12%... et puis il y a vingt ans, le Chancelier (social-démocrate) Gerhard Schröder (aujourd'hui ex-oligarque pro-russe !) avait entrepris des réformes structurelles de fond avec les quatre lois Hartz (notamment sur la flexibilité du travail) au point que grâce à cet électrochoc social et économique, l'Allemagne a redécollé industriellement et plus généralement économiquement.

La comparaison avec l'Allemagne est donc étonnante : parce que c'est un pays de 80 millions d'habitants, elle est nécessairement plus importante en PIB que la France, mais aujourd'hui, la croissance allemande est négative tandis que la croissance française reste positive : « La performance économique de l'Allemagne est supérieure de plus de 40% à celle de la France, mais l'écart se réduit. ».

Il y a des raisons à cela, d'abord conjoncturelle : la crise de l'énergie et la guerre en Ukraine ont profondément impacté l'économie allemande qui avait abandonné l'énergie nucléaire à la suite de la catastrophe de Fukushima. Dépendante du gaz russe, elle bénéficiait d'une énergie bon marché jusqu'à il y a quelques années. Premier pollueur de l'Europe avec la reprise des centrales au charbon (une aberration écologique !), le pays est également victime de ses succès en commerce extérieur : le ralentissement durable de l'économie chinoise depuis la crise du covid-19 impacte lourdement les exportations allemandes.

Le journaliste allemand Michael Sauga qui a rédigé l'éditorial placé en une du période allemand (correspondant basé à Bruxelles) résume ainsi la situation des deux pays, la France et l'Allemagne : « Le Président Macron est impopulaire, mais obtient des succès. Ses réformes ont provoqué un essor qui manque cruellement à l'Allemagne. ». Selon le journaliste, la France est en train de rattraper son retard dans les classements mondiaux de compétitivité grâce à la politique du gouvernement français, alors que l'Allemagne recule.

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En d'autres termes, l'hebdomadaire le plus lu en Allemagne reconnaît à la France une politique économique stable de faveur de l'offre depuis 2017, et cette politique donne des effets très positifs. Les critiques sur la dette et les déficits en France sont bien évidemment pertinentes mais ne donnent pas une idée de la bonne santé économique du pays qui se révèle surtout par les gains de compétitivité que la France a obtenus depuis six ans.

Dans une comparaison entre deux pays, il y a les plus et les moins, un pays peut être "meilleur" qu'un autre parce que ce dernier s'écroule. Ou parce que le premier s'améliore. C'est un peu les deux. La France s'adapte mieux aux nouveaux enjeux économiques et en particulier énergétiques : d'une part, le nucléaire (malgré une inquiétude ponctuelle à la fin de l'année 2022) donne à la France un avantage compétitif durable ; d'autre part, la France réussit mieux dans l'industrie décarbonée et en particulier dans le secteur des automobiles électriques (même si l'industrie chinoise a bien plus d'avance).

Depuis 2018, la croissance économique de la France est plus forte que celle de l'Allemagne, sauf lors de la récession due à la première année de la crise sanitaire où la France a subi un effondrement du PIB de près de 7% alors que l'Allemagne l'avait limité de moitié (3,7%). Mais sur la période des cinq dernières années, la croissance française a atteint 5,5% tandis que celle de l'Allemagne seulement 2,5%.

L'éditorialiste économique (que François Lenglet a qualifié en souriant sur RTL de « notre nouvel hagiographe teuton esbaudi ») alerte ainsi ses compatriotes sur l'absence de relance de l'économie allemande en constatant : « Ils ont tous de la croissance, mais pas nous ! ». Oui, l'Allemagne a encore de beaux atours : son excédent commercial, sa dette encore faible comparativement ("seulement" 66% du PIB) et un chômage très faible (5,6%, même s'il faudrait pouvoir mieux comparer les taux, les mères de famille sans emploi professionnel n'étant souvent pas comptabilisées dans les statistiques), mais le déclin économique risque d'être durable sans prise de conscience des dirigeants allemands aujourd'hui englués dans une coalition tripolaire (sociaux-démocrates, écologistes et libéraux-démocrates).

Il argumente ainsi : « Depuis des années, la République fédérale est à la traîne dans le classement mondial de la compétitivité, tandis que son pays voisin rattrape son retard. Il n'est pas étonnant que les entreprises internationales investissent désormais beaucoup plus souvent à l'ouest du Rhin, même dans des secteurs qui étaient jusqu'à récemment considérés comme du domaine allemand, comme l'industrie automobile ou la construction mécanique. ».

L'éditorialiste critique ainsi un pays qui s'est endormi avec la Chancelière Angela Merkel : « "Bien vivre en Allemagne" était la devise de Merkel, qui reflétait le mélange fatal d'arrogance et d'impertinence avec lequel la république a raté le tournant vers l'électromobilité ainsi que l'expansion de son réseau électrique et la numérisation de l'administration publique. Macron, en revanche, immédiatement après son entrée en fonction, a commencé à donner à ses compatriotes des médicaments amers mais curatifs. (…) Sa popularité a chuté, mais l’attractivité du lieu a augmenté. La France est soudain apparue comme un pays où les hommes politiques agissent comme ils parlaient. ».

À l'actif du Président Emmanuel Macron, il est énuméré de nombreuses réformes : la baisse de l'impôt sur les sociétés, la réforme du code du travail, la réforme des retraites, et il lui est rendu hommage pour un discours ouvertement pro-entreprises. Quand Emmanuel Macron reçoit tous les ans les investisseurs étrangers sous la bannière "Choose France", certes, quelques Français encore râlent sur cet écart linguistique en croyant soutenir notre (belle) langue française, mais l'emploi de l'anglais a démontré son efficacité pour convaincre les investisseurs d'aller entreprendre en France, et c'est une réussite aussi linguistique, car un pays qui ne serait plus la destination des flux économiques ou financiers perdrait en puissance une partie de son influence linguistique.

Michael Sauga dénonce aussi les errements du gouvernement allemand sur le nucléaire (à cause de la coalition composée des Verts) : « Pendant la phase de transition, il serait insensé de renoncer complètement à une source d’électricité fiable, largement nationale, comme le soutiennent aujourd’hui d’anciens partisans de la sortie. Olaf Scholz est désormais en Europe le conducteur fantôme qui, dans une attitude de je-sais-tout typiquement allemande, déclare que l'énergie nucléaire est un "cheval mort", alors qu'elle sautille allègrement dans le reste du continent. ».

Par ailleurs, le journaliste allemand insiste sur l'influence de la France en Europe (au détriment de l'Allemagne), notamment sur la notion d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne mise en avant systématiquement par Emmanuel Macron. Ce dernier veut que l'Europe se montre offensive contre l'agressivité commerciale américaine et chinoise : « Après que le Président américain Joe Biden a assez brutalement bloqué l’accès des entreprises européennes au marché américain avec sa loi sur la réduction de l’inflation, Macron a immédiatement appelé à des contre-mesures, notamment sous la forme d’une réglementation "Acheter européen". L’Allemagne est contre. Mais comme la coalition des feux tricolores n’a pas d’alternative à proposer, ce n’est probablement qu’une question de temps avant que la politique européenne ne s’oriente également vers la ligne de Paris sur cette question. ». L'éditorialiste évoque même un « feu d'artifice de propositions » de la France pour renforcer la combativité économique européenne, face au vide allemand.

En France, il y a ce sentiment de naviguer à vue, sans vision, avec une succession de polémiques politiciennes sans lendemain, mais la réalité, mise en évidence par ce numéro de ce magazine allemand "Der Spiegel", c'est que, depuis six ans, la France a une vision économique stable, claire et efficace, et les investisseurs étrangers ne s'y trompent pas.

La France se trouve ainsi projetée à une place décisive au sein de l'Europe, tant politiquement qu'économiquement. Le Royaume-Uni, qui a quitté l'Union Européenne, est en pleine difficulté économique. L'Allemagne peine à rebondir à la suite des différents chocs économiques des dernières années (covid-19, Ukraine, bouleversement climatique). La France, pays qui est loin d'être politiquement paisible malgré sa stabilité institutionnelle héritée heureusement des bientôt soixante-cinq ans de Cinquième République, a tous les atouts en main pour devenir ce que Bruno Le Maire imaginait le 7 juillet 2023 à Marseille, dans une interview au quotidien "La Provence" : « La France doit devenir la première puissance économique en Europe à l'horizon 2050 ». Je ne connais pas l'avenir, mais le retour à la puissance économique de la France, c'est aussi ce qu'a aussi imaginé le romancier Michel Houellebecq dans son (excellent) livre "Anéantir" sorti le 7 janvier 2022.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (07 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
L'inflation en 2023 selon Michel-Édouard Leclerc.

La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Emmanuel Macron : "J'appelle à la pause réglementaire européenne".
La repentance nucléaire.
Réforme des retraites : feu vert (sans surprise) du Conseil Constitutionnel.
Faut-il interdire les démarchages téléphoniques purement et simplement ?
La baguette magique.
Le Black Friday.
Pouvoir d’achat : l’idée révolutionnaire de Jean-Louis Bourlanges.
L'homme le plus riche du monde.
L’homme qui valait 30 milliards.
8 milliards de Terriens, et moi, et moi, et moi...
28 juillet 2022 : jour du dépassement de la Terre.
Essence : le chèque de 100 euros.
Heure d’hiver : le dernier changement ?
L’industrie de l’énergie en France.
Le scandale de Volkswagen.
Le Jour du Seigneur.
L'aspirine, même destin que les lasagnes ?
Le Plan France 2030 qui prépare l’avenir des Français.
Le plan quantique en France.
Jouer avec les Lego.
Xi Jinping et la mondialisation.
La génération du baby-boom.
La réforme des sociétés anonymes.
L’investissement productif en France.
La France est-elle un pays libéral ?
La concurrence internationale.
François Bayrou et la préservation du modèle social français.
Ségolène Royal et la baisse du chômage…
Les gilets jaunes, alibi à la violence haineuse ?
Assurance-chômage : deux mauvaises idées du gouvernement.
L’inversion de la courbe.
La crise de 2008.
Faut-il toucher aux retraites ?
Le statut de la SNCF.
La réforme du code du travail.
La loi El Khomri.
La France archaïque.
La grève et la colère silencieuse des citoyens.
Le brevet européen.
Le keynésianisme.
La loi Macron.
L’unité nationale.
Une chef d’entreprise…
Le secteur des taxis.
Jacques Rueff.
Maurice Allais.

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27 juin 2023 2 27 /06 /juin /2023 05:57

« Nous avons le choix entre une société autoritaire, qui sera dans le "y qu’à, faut qu’on" et la recherche du bouc émissaire, et une société plus apaisée, du dialogue et de l’écoute. C’est plus compliqué, mais ce sera toujours mon choix. » (Laurent Berger, "L'Alsace" le 1er avril 2014).





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À l'époque, en 2014, il considérait que le FN (futur RN) était « une tache sur la démocratie ». Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a laissé la direction de la centrale syndicale le 21 juin 2023 à Marylise Léon. Il est probable qu'avec le départ de Laurent Berger, la secrétaire générale de la CFDT retrouvera son positionnement de partenaire réformiste coopérant avec le pouvoir comme cela a été la tradition depuis au moins une cinquantaine d'années, jusqu'à devenir même minoritaire au sein des adhérents, comme l'a montré l'exemple de Nicole Notat favorable à la réforme Juppé en 1995.

Né à Guérande (pas loin de La Baule) il y a 54 ans, Laurent Berger a été le secrétaire général de la Jeunesse ouvrière chrétienne de 1992 à 1994 après une maîtrise d'histoire (il a rédigé un mémoire sur l'histoire d'un évêque de Nantes). En 1996, il a été recruté comme un permanent de la CFDT à Saint-Nazaire et, petit à petit, a grimpé dans la hiérarchie, en 2003, responsable de la CFDT des Pays de la Loire et membre du bureau national de la CFDT, bombardé à la commission exécutive confédérale (l'équivalent du gouvernement de la CFDT) le 17 juin 2009.

Spécialisé dans toutes les questions d'emploi (et de chômage), Laurent Berger a été nommé secrétaire général adjoint de la CFDT (numéro deux) le 21 mars 2012 puis, après la démission de François Chérèque, élu secrétaire général le 28 novembre 2012 par le bureau national, réélu le 5 juin 2014 au congrès de Marseille, puis le 8 juin 2018 au congrès de rennes, ainsi que le 16 juin 2022 au congrès de Lyon.

Par un tweet, Laurent Berger a annoncé le 11 décembre 2018 que la CFDT était le premier syndicat de France, tout employeur confondu (public et privé), en nombre d'adhérents, supplantant la CGT, une petit victoire personnelle (et même grande). Élu depuis le 23 mai 2019, Laurent Berger est également le président de la Confédération européenne des syndicats (European Trade Union Confederation) qui regroupe 89 organisations syndicales issues de 39 pays européennes représentant plus de 45 millions d'adhérents, la seule organisation syndicale interprofessionnelle européenne représentative reconnue par toutes les institutions européennes (en France, la CFDT, la CGT, la CFTC, FO et l'UNSA en sont membres).

Arrivé à la tête de la CFDT au début du quinquennat de François Hollande, Laurent Berger a toujours eu d'excellentes relations avec l'ancien Président de la République. Il était un partenaire social attentif et constructif et croyait au "pacte de responsabilité" (futur "pacte de compétitivité") mis en place par le gouvernement pour favoriser l'emploi : « Potentiellement, ce pacte peut nous aider à sortir du chômage de masse et d’un modèle économique fondé sur la production à bas coûts qui nous conduit à l’échec. Pour cela, il doit comporter de vrais engagements sur l’emploi, la qualification des salariés, l’apprentissage et l’investissement. Il faut aussi un processus par étapes, afin de vérifier chaque année si les entreprises jouent le jeu de l’investissement, de l’emploi et de la transition énergétique. Pacte ou pas, la vraie question pour moi, c’est d’améliorer la compétitivité, l’emploi et la vie des salariés. » ("L'Alsace").

Ainsi, la parole de Laurent Berger était très écoutée à l'Élysée (François Hollande) et aussi à Matignon, à l'époque de Manuel Valls. Laurent Berger est un réaliste, il a toujours convenu que l'emploi ne pourrait venir que d'une meilleure compétitivité des entreprises et est resté un orthodoxe budgétaire :
« La CFDT dit depuis très longtemps qu'il faut maîtriser l'endettement de la France. » ("L'Alsace").

Mais alors, pourquoi n'est-il pas devenu le partenaire privilégié du Président Emmanuel Macron depuis 2017 ? D'autant plus que l'hystérisation du climat social rendait sa coopération encore plus précieuse ?

C'est là un mystère qui pourrait être complet si on ne connaissait pas le passif de leurs relations. Ce sont Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les deux journalistes que je dirais "trash" (car leurs investigations se résument principalement à regarder dans les poubelles de l'histoire, au-delà des interviews) qui ont pu donner une clef intéressante dans leur livre antimacroniste primaire "Le Traître et le Néant" publié en 2021 chez Fayard (dans l'optique de l'élection présidentielle de 2022).

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Dans ce livre qui n'est qu'un réquisitoire basé sur des anecdotes dérisoires, ils rappellent effectivement un épisode qui a laissé Emmanuel Macron plein de rancœur et d'amertume contre Laurent Berger. Dès le début de l'année 2015, Emmanuel Macron, alors inconnu du grand public, est devenu la coqueluche des médias et des entrepreneurs. Au point de voler la vedette (et aussi le marché électoral) du Premier Ministre Manuel Valls.

Emmanuel Macron, Ministre de l'Économie, a fait voter ce qu'on a appelé la "loi Macron" qui libéralisait certains secteurs de l'économie pour augmenter l'emploi (par exemple, les "bus Macron"). Une autre loi était en préparation, la "loi Travail", pour assouplir le code du travail et promouvoir l'emploi, qu'Emmanuel Macron voulait défendre au Parlement (on parlait d'ailleurs déjà de "loi Macron 2"). Il était sérieusement remonté contre le Premier Ministre qui lui avait imposé l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour sa première "loi Macron" alors qu'il était convaincu qu'elle aurait pu être adoptée sans cet outil de dissuasion (à l'époque contre les "frondeurs" du PS, de la majorité !).

Par ailleurs, un proche de François Hollande, ancien maire de Dijon, le Ministre du Travail François Rebsamen (qui aurait voulu être Ministre de l'Intérieur), a voulu quitter le navire gouvernemental pour se replier sur Dijon, ne "sentant" pas la fin du (plus mauvais) quinquennat (de l'histoire). Pour Emmanuel Macron, c'était l'occasion rêvée : cumuler au gouvernement l'Économie ainsi que le Travail pour (déjà) réindustrialiser et promouvoir l'emploi.


Comme souvent avant de procéder à des nominations, François Hollande a consulté certaines personnes. En particulier Laurent Berger le jeudi 27 août 2015 à l'heure du dîner.

Les deux journalistes cités se trouvaient justement à dîner à l'Élysée ce soir-là : « [Hollande] doit voir secrètement le patron de la CFDT, Laurent Berger, un allié fidèle et exigeant depuis le début de son mandat. Une drôle d'idée à lui soumettre. "Je le vois discrètement, pour le remplacement de Rebsamen, nous confie alors le chef de l'État. Il y a l'hypothèse Macron. Je pense qu'il [Berger] va être réticent". Hollande envisage de nommer Emmanuel Macron ministre du Travail. En plus de ses fonction à l'Économie ! François Rebsamen, le titulaire du poste, s'apprête à démissionner, il veut retrouver la mairie de Dijon ; il faut donc lui trouver un successeur en urgence, alors qu'une loi sur le travail est dans les tuyaux, et qu'elle promet de bousculer le PS. Or, à cette date, Hollande ne manque pas une occasion, devant nous, pour vanter l'action de son ministre de l'Économie. "Il y a deux choses qui font la force de Macron, nous expose-t-il ainsi ce soir-là. Un, il n'est pas du système politique, donc on le croit, ça en dit long... Et deux, il est jeune, donc il met un peu de nouveauté". Mais de là à lui confier la mise en œuvre d'une nouvelle loi appelée à déboussoler un peu plus l'électorat socialiste... Lui, le nouvel entrant en politique, fils de bourgeois, non encarté, énarque, en provenance directe de chez Rothschild ! ».

Et d'expliquer le raisonnement de l'ancien Président : « Hollande frétille d'envie : "Si c'est accepté. Si ça ne paraît pas être une provocation. Mais je vais essayer de tester". Il s'agit, dans l'esprit du Président, de créer un effet "jeune", de remettre de la dynamique dans la machine gouvernementale. "Pour mettre de la force, de l'envie, du mouvement, nous dit-il. C'est là-dessus que ça va se jouer. Pour montrer que c'est vraiment la priorité. On y met l'élément qui est supposé le plus dynamique, et puis je pense qu'il a un peu épuisé son domaine à l'Économie. Il a fait voter sa loi. J'ai peur qu'il ne vienne sur les domaines du ministère du Travail". Traduction : quitte à avoir installé au gouvernement une tête brûlée, autant qu'elle soit aux commandes de l'ensemble de son secteur, histoire d'éviter de nouvelles querelles interministérielles. Les couacs, Hollande en a soupé. ».

Résultat de l'entrevue "discrète" :
« Le boss de la CFDT a (…) fait la moue (…) dans le bureau du Président. "Tu fais comme tu veux, mais je ne sens pas les choses, a-t-il dit à Hollande. Il faut avoir la fibre, une connaissance du monde du travail, du côté des salariés...". Ce qui n'est pas exactement le profil de l'ancien banquier d'affaires. Berger n'est donc franchement pas enthousiaste à la perspective de négocier les conditions d'application d'une future loi sur le travail avec un libéral de la trempe de Macron... Peut-être, aussi, a-t-il déjà eu des échos du discours de clôture de l'université d'été du Medef, tenu par ce même Macron. "La gauche a cru que la France pouvait aller mieux en travaillant moins, c'étaient de fausses idées", s'est permis le ministre de l'Économie, en terrain conquis devant un parterre de patrons hexagonaux. Le vendredi 4 septembre 2015 (…), l'hypothèse Macron au ministère du Travail a fait long feu. Son discours enflammé devant des patrons enamourés a eu raison de ses ambitions. ».

Mais pour Davet et Lhomme, cela ne fait aucun doute que Laurent Berger a été la cause de cette non-nomination :
« L'ex-Premier Ministre Manuel Valls nous l'assure aujourd'hui : "Laurent Berger, qui avait un très bon rapport avec Hollande et moi, avait dit : 'Non, ce n'est pas possible, Macron au ministère du Travail'...". Aucun doute, c'est bien Laurent Berger qui a opposé son veto à une promotion d'Emmanuel Macron. Ne cherchez pas plus loin la détestation vouée par l'actuel chef de l'État aux corps intermédiaires, en particulier à la CFDT. Ils sont, pour lui, au mieux, des empêcheurs de réformer en rond ; au pire, les fossoyeurs de l'économie française. Hollande nous explique les raisons pour lesquelles il a alors finalement renoncé à agrandir le périmètre du ministre de l'Économie : "J'avais senti, avec les échos qui me revenaient, les organisations syndicales ne pas adhérer à cette idée. Donc, avant même qu'il n'ait fait cette sortie [au Medef], il ne m'était pas apparu que c'était possible de faire ce choix. La polémique qui a suivi ses propos a fait que cela n'avait même plus de sens, cela aurait été vécu comme une provocation". (…) Emmanuel Macron apprend très vite la mauvaise nouvelle. Son nom avait beaucoup circulé, agité les rédactions, avant ceux d'Alain Vidalies ou de Stéphane Le Foll. La promotion lui passe sous le nez. Une nouvelle gifle publique, une de plus. (…) Étonnez-vous (…) que Macron s'estime maltraité. Peu considéré, à tout le moins. ».

Finalement, c'est une élue parisienne, Myriam El Khomri, qui a été choisie au Ministère du Travail pour défendre la dernière réforme du quinquennat, avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui, l'impossibilité politique de François Hollande à se représenter.

Pas sûr que la successeure de Laurent Berger parviendra à travailler plus facilement que lui avec Emmanuel Macron, mais au moins, elle ne lui a pas barré la route dans le passé...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (21 juin 2023)
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Pour aller plus loin :
Marylise Léon.
Laurent Berger.

José Bové.
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230621-laurent-berger.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pourquoi-laurent-berger-n-a-t-il-248960

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24 juin 2023 6 24 /06 /juin /2023 10:02

« On portera des choses en commun, mais pour la CFDT, [l'intersyndicale] ne sera pas l'alpha et l'oméga de la question syndicale (…). Un syndicat qui négocie des accords n'est pas moins combatif que celui qui crie en manifestation ! » (Marylise Léon, le 13 juin 2023).




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Avec le départ de Laurent Berger, ce mercredi 21 juin 2023 au Zénith de Paris, et l'arrivée de sa successeure Marylise Léon comme secrétaire générale de la CFDT, bien qu'elle s'en défende, la page de la réforme des retraites se tourne définitivement : tous les protagonistes ont changé, les chefs des deux plus puissants syndicats de France, et bientôt, le président du Medef également. Le soir du 6 juin 2023, à la quatorzième et dernière manifestation contre la réforme des retraites, Laurent Berger s'était exprimé seul et souhaitait, lui aussi, que la page se tournât.

Si avec Laurent Berger, la CFDT a quitté la position de syndicat réformiste en abandonnant les relations particulières avec le gouvernement comme dans la grande tradition de la centrale, notamment en raison de la réforme des retraites, elle a surtout gagné sa première place historique en 2018 en devançant la CGT dans les élections représentatives (représentatives de pas grand-chose vu la très faible participation des salariés). Et depuis le début de l'année, avec la forte mobilisation contre la réforme des retraites, la CFDT a enregistré 43 000 nouvelles adhésions.

Avec Sophie Binet installée à la tête de la CGT le 31 mars 2023, le gouvernement aura donc pour partenaires sociaux deux femmes pour les deux premiers syndicats de France. En revanche, au contraire de la CGT, ce n'est pas une première pour la CFDT d'être dirigée par une femme puisque, avant Marylise Léon, Nicole Notat avait été secrétaire générale du 20 octobre 1992 au 30 mai 2002. Mais à la différence de Nicole Notat que beaucoup jugeaient froide et distante, Marylise Léon est qualifiée de "pétillante" par l'ancien secrétaire national Jean-Louis Malys. Proche des gens.

Qui est Marylise Léon ? Elle a 46 ans, a fait ses études de chimie au Mans, à Angers puis à Créteil et Paris, diplômée de troisième cycle. Elle s'est spécialisée, au cours de sa vie professionnelle, dans les questions de sécurité, de conditions de travail, de santé, de risques technologiques et d'environnement pour les entreprises, puis elle est devenue en 2003 formatrice sur ces questions auprès de représentants du personnel et militants de la CFDT. À la même époque, elle accompagnait aussi les adhérents de la CFDT dans la bataille judiciaire consécutive à l'accident de l'usine AZF de Toulouse en 2001. Beaucoup d'employés blessés étaient syndiqués à la CFDT. Ses obsessions étaient alors la sécurité et la prévention des maladies professionnelles.

Marylise Léon a commencé à prendre des responsabilités au sein de la CFDT en 2008, où elle a gravi tous les échelons, à la fédération chimie énergie de la CFDT puis au sein des instances nationales de la CFDT, attachée aux affaires industrielles et aussi la transitions énergétique et numérique. Régulièrement la mieux élue des congrès depuis 2014, comme secrétaire nationale, elle a été désignée par Laurent Berger, qui l'avait repérée en 2013, comme secrétaire générale adjointe en juin 2018, chargée de la réforme de l'assurance-chômage et des relations intersyndicales.

Elle se trouvait donc en position de numéro deux de la confédération le 19 avril 2023, au moment où Laurent Berger avait annoncé au journal "Le Monde" son prochain retrait. Elle faisait donc figure d'héritière et a été désignée le 21 juin 2023 à une large majorité du bureau national de la CFDT (au contraire de la nouvelle secrétaire générale de la CGT Sophie Binet dont l'élection avait été une surprise à la suite d'un grand clivage entre deux autres candidates) : « Elle est dynamique, elle a une compréhension du monde du travail qui est forte (…). Elle est appréciée au sein de la maison, elle est proche des gens, humaine. » a énuméré Laurent Berger.

En fait, d'après le "Journal du dimanche" du 13 juin 2023, Laurent Berger et Marylise Léon s'étaient mis d'accord sur la succession dès l'automne 2021. Ainsi, Marylise Léon a toujours été présente aux côtés de Laurent Berger cette dernière année pour la bataille des retraites : « Je me prépare depuis longtemps. Je suis prête et enthousiaste. ».

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Forte personnalité (« J'ai horreur qu'on me prenne pour une imbécile, et je n'ai pas l'intention de raconter des bobards ! »), d'apparence très sympathique mais sans jamais rien lâcher, Marylise Léon imprimera certainement la CFDT de sa marque et a déjà eu l'occasion de montrer sa combativité et surtout, sa ténacité dans ses engagements (notamment en s'opposant en 2019 à la réforme de l'assurance-chômage). Avec l'arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT qui a montré une image renouvelée et moderne du syndicalisme, la CFDT devait aller vite dans la succession de Laurent Berger.

Son credo est de négocier coûte que coûte des accords avec le Medef pour éviter de laisser le champ libre au gouvernement (et au Parlement). Elle n'hésite pas à songer aux deux échecs de négociations, en 2014 sur la modernisation du dialogue social et en 2018 sur l'assurance-chômage : « Quand il n'y a pas d'accord, les salariés le paient cher. Car le gouvernement reprend la main. ».

Dans une interview accordée dès le 21 juin 2023 à "Ouest France", Marylise Léon a cité ses sujets de préoccupation : le pouvoir d'achat et la hausse des salaires, la nouvelle organisation du travail (en prenant en compte la santé et la démocratie) et la réforme du RSA. À propos de cette dernière, elle a insisté : « Mettre des conditions, ce serait tordre l’objectif de solidarité nationale, cela reviendrait à le confondre avec un dispositif assurantiel, comme l’est l’assurance-chômage. Nous resterons vigilants, d’autant plus que le texte va être débattu au Parlement, où il y a une grande diversité de points de vue. Nous nous efforcerons de peser auprès des groupes parlementaires pour pointer les dangers et expliquer notre position. Et nous continuerons lors de la préparation des décrets, tout au long du cheminement de ce dispositif. ».

Connue pour son "flegme", elle l'explique par son habitude de travailler constamment en mode gestion de crise : « J'ai donc été formatée pour aller toujours à l'essentiel et rester zen en toutes circonstances. Ce sera très utile dans mon mandat de secrétaire générale. ». Elle entend par ailleurs que la CFDT se tourne plus vers les saisonniers, les agents des fonctions publiques et les indépendants : « L’heure n’est plus à attendre que l’on vienne nous voir dans nos permanences. C’est la CFDT hors les murs. ».

Dans une tribune publiée le 9 mai 2023, une semaine avant sa rencontre à Matignon avec la Première Ministre Élisabeth Borne, Marylise Léon a formulé l'enjeu de sa relation avec le gouvernement : « La CFDT le dit donc haut et fort : oui, le dialogue doit être renoué avec l’exécutif. La question du "comment" demeure entière. Pour la CFDT, ce dialogue ne peut pas être renoué si le gouvernement garde la même méthode que ces six dernières années, et notamment ces neuf derniers mois ! Quelle place l’exécutif est-il prêt à faire réellement à la démocratie sociale ? La Première Ministre va devoir aujourd’hui répondre à cette interrogation de la CFDT et faire la démonstration qu’elle est réellement à l’écoute des syndicats, qu’elle les respecte et qu’elle prendra en compte leurs propositions. ».

La politique du travail va donc être sous la responsabilité principalement de femmes (Élisabeth Borne, Aurore Bergé, Marylise Léon, Sophie Binet). Les débats n'en seront certainement pas moins durs et âpres qu'avec des hommes. Mais au moins, on pourra penser que le principe de réalité sera plus présent à l'esprit sinon dans les prises de position.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (21 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Marylise Léon.
Laurent Berger.

José Bové.
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.

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22 mai 2023 1 22 /05 /mai /2023 05:17

« Nous voulons aller chercher des baisses, et en fait, on est en mode combat comme Teddy Riner ! » (Michel-Édouard Leclerc, le 17 mai 2023 sur BFMTV).




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Le patron des Centres É. Leclerc, Michel-Édouard Leclerc fête son 71er anniversaire ce mardi 23 mai 2023. À l'allure encore jeune, le col ouvert, assez cool et décontracté, l'homme est toutefois très sérieux, solide et certainement très redoutable en affaires. J'aime beaucoup ce grand communicant, car c'est d'abord un grand communicant, même si je ne suis pas dupe de ses objectifs, il est un chef d'entreprise et son intérêt est celui des entreprises qu'il supervise. Du reste, le magazine "Forbes France" l'a classé en 2021 comme le patron préféré des Français devant Tony Parker (reconverti patron), Alain Afflelou, Bernard Tapie et Xavier Niel.

Michel-Édouard Leclerc, au contraire de la plupart de ses collègues chefs de grandes entreprises, est souvent dans les médias à communiquer et expliquer son point de vue. On y voit beaucoup moins les patrons de Carrefour, de Cora, d'Auchan, etc. Il a un petit côté messianique, affichant (avec plus ou moins de sincérité) ses valeurs et ses convictions, parfois à coup de pleine page de publicité dans "Le Monde", souvent en avance sur l'ère du temps ou même la réglementation, comme l'histoire du sachet en plastique qu'il a éliminé de ses magasins dès 1996 au profit d'un grand sac réutilisable.

On se doute bien que cet affichage est aussi une image qu'il a progressivement consolidée et qui fait partie intégrante de l'identité actuelle des Centres É. Leclerc. Michel-Édouard Leclerc a aussi fondé les Espaces culturels Leclerc qui se veulent des mini-FNAC.

J'ai eu l'occasion d'écouter Michel-Édouard Leclerc (au moins) deux fois dans diverses occasions, dans les années 1990 à l'occasion d'une conférence organisée par une banque à Grenoble et dans les années 2000, à Paris, lors d'un Salon des Entrepreneurs, et ce qui me frappait, au-delà de son discours très clair, c'était son charisme, j'écrirais, son charisme économique : à la fin de l'événement, il était toujours assailli par de jeunes créateurs d'entreprise pour lui proposer d'investir dans leur affaire. L'exercice est toujours périlleux, en moins d'une minute, il faut convaincre l'investisseur potentiel qu'il va gagner une fortune avec vous (en gros, vous vous trouvez par hasard, ou pas, dans la même cabine d'ascenseur qu'un big boss, c'est la chance de votre vie et vous en profitez pour dérouler votre argumentaire concis et efficace, que vous aurez préparé bien entendu préalablement). Et Michel-Édouard Leclerc, au lieu de les rembarrer, les écoutait attentivement et se permettait, le cas échéant, de leur donner un petit conseil en réaction à chaud.

C'est vrai qu'il est le fils de son père, mais comme avec Serge Dassault, il s'est fait un prénom réputé et redoutable. Réellement, puisqu'à la naissance, il s'appelait seulement Michel Leclerc (qui est aussi le nom d'un oncle), un nom très commun en France (un peu comme Philippe Martin ou Claude Petit), et c'est lui-même qui a accolé le prénom de son père au sien pour faire Michel-Édouard (afin de lui rendre hommage).

D'ailleurs, il n'était pas du tout prédestiné à succéder à son père : un bac littéraire, des études d'économie, de philosophie et de sciences politiques à la Sorbonne. Il a obtenu une maîtrise en philosophie (il a suivi les cours de Jankélévitch et Michel Serres), une maîtrise en sciences politiques, et un doctorat en sciences économiques sous la direction de Raymond Barre (sur le déficit du commerce extérieur). Il était destiné à être un professeur d'économie à l'université et éventuellement un journaliste économique (il a publié quelques articles pour la revue "Que choisir").

C'est le bras droit de son père qui l'a embauché en 1979, au plus bas échelon, pour le conseiller pour importer de l'essence et proposer la vente de carburant dans les Centres É. Leclerc. Il a ainsi réseauté pas mal dans les allées des ministères (de droite comme de gauche), et a commencé aussi son messianisme, appliqué contre le prix unique du livre imposé par Jack Lang (loi n°81-766 du 10 août 1981).

Finalement, depuis 1988, Michel-Édouard Leclerc est le président de l'Association des centres distributeurs Leclerc, avec son père jusqu'en 2006, et seul après (Édouard Leclerc est mort en septembre 2012). Régulièrement, Michel-Édouard Leclerc est donc dans le débat public pour faire avancer ses propres idées. Son importance économique n'est pas négligeable : leaders de la grande distribution en France, les Centres É. Leclerc représentaient 67,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022 et employaient 250 000 salariés la même année.

Et d'ailleurs, pourquoi ne ferait-il pas de politique alors qu'il connaît si bien le monde politique ? Il a été souvent approché pour se faire élire député ou même se faire nommer ministre, mais Michel-Édouard Leclerc a toujours refusé car son job, c'est d'être à la tête du grand groupe de distribution familial, et pour lui, cela n'aurait aucun sens d'avoir des responsabilités politiques pendant quelques années, voire quelques mois, alors que son histoire est plus que demi-séculaire (le premier hypermarché Leclerc, à Landerneau, sa ville natale, fêtera ses 60 ans l'année prochaine). À chacun son métier.

Militant du PSU dans sa jeunesse soixante-huitarde, l'entrepreneur était un grand ami de Pierre Bérégovoy et Jacques Chirac lui aurait fait la danse du ventre pour l'intégrer au gouvernement. Emmanuel Macron ne lui a rien proposé, mais je suppose que le Président de la République actuel le préfère comme un brillant interlocuteur économique à un médiocre partenaire politique.

Avec la crise de l'énergie et en particulier du carburant (un sujet qu'il connaît bien), et surtout, la forte inflation depuis plus d'une année, le thème de bataille médiatique actuel de Michel-Édouard Leclerc était tout trouvé : comment fait-on pour faire baisser les prix ?

Une récente étude publiée le 4 mai 2023 et réalisée chaque mois par Wiser pour LSA, le magazine de la grande consommation, donne un comparateur des prix pour les drives des hypermarchés en France et Leclerc se place en meilleure performance pour les prix les plus bas (l'étude étant indépendante, Michel-Édouard Leclerc aime la citer car c'est une reconnaissance de sa propre action). Chez Leclerc, les prix en magasin sont quasiment les mêmes qu'en drive.

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Car s'il n'est pas un homme politique, Michel-Édouard Leclerc se comporte un peu comme un homme politique, comme un maire qui représente l'intérêt de ses milliers d'administrés, lui, il représente ses 19 millions de clients et son objectif, c'est l'intérêt de sa clientèle afin qu'elle lui reste fidèle

L'une de ses dernières interventions télévisées, c'était la veille de l'Ascension, dans la soirée du mercredi 17 mai 2023 sur BFMTV (mais il parle aussi souvent sur LCI et d'autres chaînes). Le thème, bien sûr, c'était l'inflation et aussi l'initiative, même tardive, du Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire de faire rencontrer autour de la table de négociations les producteurs et les distributeurs pour répercuter la baisse des prix des matières premières sur les prix à la consommation : « Ça ne dit pas un résultat, mais ça veut dire que c'est plus que symbolique. D'abord, parce que c'est la première fois (…). Ils [les industriels] ne voulaient pas (…). Il n'y avait pas de volonté de faire bénéficier les consommateurs du retournement des marchés des matières premières. ».

Michel-Édouard Leclerc avait mis en garde très tôt tant les pouvoirs publics que les consommateurs contre l'opacité de certaines augmentations de prix qui n'étaient pas justifiées ni par la crise de l'énergie, ni par la guerre en Ukraine... mais simplement comme un effet d'aubaine pour s'en mettre plein les poches.

En ce sens, ses propos à la télévision s'apparentaient à un petit cours d'économie. Il n'est pas neutre et insistait bien sur le fait qu'il parlait de son point de vue, c'est-à-dire, celui de la grande distribution, mais il a l'esprit pédagogue et expliquait ainsi très clairement ses enjeux, ses perspectives avec une certaine franchise. Il a rappelé que les marges des distributeurs se limitent à 2% tandis que celles des grandes marques, donc des producteurs, sont bien plus grandes. L'évolution des prix est donc principalement le fait des producteurs qu'il appelle également industriels et peu le fait des distributeurs.

Michel-Édouard Leclerc s'en est pris, ainsi, aux industriels aidés de certains politiques : « Je pense aussi que ce n'est pas qu'un problème industriel. Il y avait aussi une sorte d'accord entre parlementaires, entre plusieurs groupes d'ailleurs, et les industriels, pour éviter d'avoir à aider trop l'industrie sur fonds publics, de les laisser reconstituer leurs marges. Et donc, il y avait un peu un jeu, pas hypocrite, mais un jeu de dupes dans la dénonciation de l'inflation. Et en tout cas, je me trouvais, ainsi que mes collègues de la distribution, un petit peu seul à dire aux industriels, vous n'êtes pas transparents... ».

Il insistait effectivement sur le fait que le problème était aussi politique qu'économique : la loi LME (loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie) avait pour effet de réduire la toute-puissance des distributeurs au profit des producteurs. Une autre loi « assez déconnant » adoptée par la majorité actuelle limite les promotions : « Au sein du gouvernement, ce n'était pas unanime. Le groupe parlementaire présidentiel (…) n'était pas… (…). Là, il faut reconnaître que c'est Bruno Le Maire et Olivia Grégoire qui, un peu en partition solo, ont réussi à convaincre Élisabeth Borne, qui était allée visiter un Système-U pour dire qu'elle s'intéressait à ce sujet, et puis le Président depuis deux jours qui a quand même... ».

Mais l'initiative de Bercy ne changera pas la loi qui reste toujours la même. Donc ces négociations producteurs/distributeurs n'iront pas très loin : « La loi dit qu'on ne négocie qu'une fois par an... On nous l'impose... On est les seuls en Europe. ». Les négociations intermédiaires ne remettent donc pas en cause la négociation de mars. Ce système aurait été adopté ainsi, selon le chef d'entreprise, pour faciliter les contrôles de l'administration.

Ce qui ne fait plus l'affaire des consommateurs aujourd'hui : « Nous qui sommes présents dans différents pays de la communauté européenne, nous voyons bien aujourd'hui que le système de négociation et de répercussion des baisses aux consommateurs, est inerte. ».

Et de ne pas hésiter à faire changer le cadre législatif de 2008 (la loi LME) : « Il ne faut pas avoir peur de changer les lois, il n'y a pas une Bible ; les temps changent, on change la loi, ou alors, on met des lois plus flexibles, moins encadrant. ».

Son objectif, celui de répercuter à la baisse, c'est par exemple sur les biscuits dont les prix sont impactés par trois secteurs actuellement en baisse : les céréales, le papier et le transports. Tous les produits importés par containers devraient baisser : les prix du container sont passés en six mois de 15 000 euros à 2 000 euros.

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Mais l'initiative de l'État est nouvelle, celle d'exiger que les industriels viennent à la table de négociation : « C'est un retournement politique. ». En effet, le gouvernement a obtenu des 75 plus grandes marques en France, représentant 80% du marché des marques, de négocier leurs prix avec les distributeurs. Pourquoi seulement 75% des marques ? Parce que le gouvernement a fait dans le plus simple et le plus efficace, en convaincant deux fédérations industrielles : « Ça veut dire que le marché de l'industrie est très concentré. ».

Et
Michel-Édouard Leclerc de continuer son petit cours de grande distribution : « Dans le rapport de forces, le distributeur, il a eu besoin du gouvernement. Donc on va aller les chercher, ces baisses, sur les marchés des céréales, les biscuiteries, et tout ça. On ne va pas toucher, j'insiste, on ne va pas toucher au marché du lait, parce que c'est très fragile (…), nous avons promis de ne pas toucher au monde agricole, pour des raisons politiques, c'est clair, mais aussi pour des raisons sociales, et aussi pour des raisons de fourniture. (…) Il faut des messages clairs dans la société, si on ne veut pas de violence, si on veut aussi que tout le monde se retrouve dans un projet anti-inflation, parce qu'il faut fédérer les entreprises là-dessus, je pense qu'il faut dire ses priorités et au fond, nous, les grands groupes de distribution cotés en bourse ou coopératifs, on va focaliser notre combativité et notre attention sur les grandes marques internationales parce qu'au fond, on veut être au diapason de ce qui se fait en Europe. ».

Et puis, il a esquissé un agenda : « On n'a pas le droit de vendre à perte, donc, de toute façon, on répercute les hausses, c'est obligatoire, [le pic d'inflation,] ça va arriver fin juin, juillet. Après, il va y avoir une petite stagnation (…). Le pic d'inflation, ses répercussions vont être pendant l'été, et après, ça va descendre. Ce qui va descendre, ce n'est pas tous les prix, c'est le taux d'inflation (…). Je pense qu'à la fin de l'année, on sera moitié moins qu'aujourd'hui. (…) Ce qui a été pris ne sera jamais rendu. ».

Concrètement : « Dans cette négociation, on peut aller espérer des rabais, des promos, des déductions, des ristournes, mais la loi dit que le tarif négocié en mars est applicable pendant une année. (…) Cette négo, il ne faut pas lui donner un impact considérable. ».

Michel-Édouard Leclerc jouait la franchise : « Je vous jure, tout ce qu'on pourra faire baisser, on baissera ; on est déjà les moins chers (…) ; l'idée pour nous, c'est d'être le moins cher. Donc, vous voyez bien que ces histoires de panier, toutes ces polémiques, moi je pense que la vraie mesure de l'inflation, c'est ce que paient les gens au final, en pied de ticket de caisse. ».

Négocier, c'est d'abord se donner la possibilité de créer un rapport de forces. C'est le principe de la concurrence comme système visant l'intérêt des consommateurs : « C'est une négo. Ce n'est pas rationnelle, une négo. On y va plus puissants même que ce qu'on va obtenir. C'est normal, ce n'est pas un poker, mais (…) il faut créer ce rapport de forces. On va dire à untel que s'il ne baisse pas ses prix, on va multiplier les promos sur nos marques de distributeur, et on le mettra moins en rayon. C'est la règle du jeu. Ça vous paraît être Dallas, mais finalement, c'est BFM, LCI et franceinfo. Allez, c'est pareil ! La concurrence, là, c'est dramatisé, c'est théâtralisé, mais si vous regardez ça sous un plan sportif, ça peut se faire de manière moins polémique et plus au bénéfice des consommateurs. ».

Il en a rajouté une couche sur des producteurs qui seraient plus tentés par le court terme que le long terme : « Ceux qui dirigent l'industrie ne sont pas que des industriels. Ce sont aussi des financiers, ce sont aussi des gens qui surveillent le cours de bourse. Et en fait, dans les 75 entreprises qui sont là, il y a des managers qui sont des industriels qui aiment le produit etc., mais vous avez aussi des managers qui répondent à des actionnaires qui veulent et qui trouvent que c'est pas mal l'inflation, ça gonfle artificiellement le chiffre d'affaires, ça permet de dire à tout le monde qu'on est en progression, (…) Sur le court terme, pour soutenir le cours, c'est bien l'inflation, c'est pas mal l'inflation, vous savez, même peut-être pour l'État, la hausse du prix du carburant, la hausse de 17% sur l'alimentaire, ça fait aussi des hausses de TVA. (…) Moi je raisonne en négociant, j'assume ça, mais dans la réalité, en face de nous, quand on dit des grands industriels, c'est aussi des grands actionnaires qui ne sont pas pressés de baisser les prix. ».

Enfin, dernière leçon, la différence entre déflation et inflation pour la grande distribution, c'est le retournement du rapport des forces : « En période de déflation, c'est celui qui détient le débouché qui fait plus la loi (…). Mais en période d'inflation, aujourd'hui, c'est dur pour nous d'aller dire à Coca Cola, je vais me priver de toi, ou à Mars, je vais me priver de toi. Parce que même le consommateur, il est ambivalent là-dessus : si c'est trop cher, il va crier, mais s'il n'a pas le produit, il va crier aussi. ».

Avec son bâton de pèlerin, Michel-Édouard Leclerc est donc imperturbablement dans les médias à prendre les téléspectateurs, qui sont aussi les consommateurs, à témoins de sa bonne volonté et de la moins bonne volonté d'autres acteurs économiques ou politiques. Il reste partial, bien évidemment, puisqu'il doit faire du profit s'il veut continuer à exister (et à employer ses centaines de milliers de salariés), mais il le fait avec un certain messianisme qui est très singulier dans ces secteurs économiques où le silence ou la réserve l'emportent sur la communication.

Avec Bernard Arnault, on avait le laconique ; avec Bernard Tapie, on avait le flambeur, tout le contraire ; avec Michel-Édouard Leclerc, on a le pédagogue. Prendre ses auditeurs pour des personnes intelligentes capables de comprendre ses enjeux est au moins une forme de respect qu'on ne lui retirera pas, malgré toutes les critiques que certains (anciens clients ? anciens producteurs ?) n'hésitent pas à lui balancer encore aujourd'hui...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (20 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Michel-Édouard Leclerc.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Virginie Calmels.
Bernard Arnault.
Georges Chavanes.
Serge Dassault.
Thierry Breton.
Stéphane Soumier.
Elon Musk.

Jeff Bezos.
Donald Trump.
Silvio Berlusconi.
Anatoli Tchoubaïs.
Ravil Maganov.
François Perigot.
Alain Minc.
Jean Gandois.
Yvon Gattaz.
Bill Gates.
Carlos Ghosn.
Olivier Dassault.
Albin Chalandon.
Bernard Tapie.
Le Black Friday.








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230523-michel-edouard-leclerc.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/inflation-michel-edouard-leclerc-248440

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/05/20/39914154.html





 

 

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13 mai 2023 6 13 /05 /mai /2023 05:01

« Il s'agit ni plus ni moins de fourguer aux employeurs un nouveau bataillon de salariés jetables. »



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Cette déclaration ci-dessus n'est pas une réaction de 2023 sur la réforme du RSA (revenu de solidarité active) que compte présenter le gouvernement le mois prochain dans le cadre de son projet de loi qui vise à transformer Pôle Emploi en un nouvel organisme, France Travail, s'occupant de l'emploi mais aussi de la formation professionnelle. Non, cette déclaration date de septembre 2008, un article de la revue mensuelle qui revendique le communisme libertaire, "CQFD", en réaction à la réforme voulue par le Président Nicolas Sarkozy, la transformation du RMI en RSA mise en œuvre le 1er juin 2009 (loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion).

Comme on voit, les polémiques politiques sur le RSA ne sont pas nouvelles et continuent toujours à alimenter de manière souvent assez stérile le débat sur l'insertion et sur le chômage. J'avais déjà évoqué un sujet parallèle à propos de l'indemnisation des demandeurs d'emploi (qui s'est durcie ces dernières années) et s'il y a évidemment des abus, voire des fraudes, la grande majorité tant des demandeurs d'emploi que des bénéficiaires du RSA ne sont pas heureux de leur situation et préféreraient avoir un (véritable) emploi et est complètement insérés (socialement) dans la société.

Pourtant, ce sujet est comme l'immigration, comme bien d'autres sujets, des "marqueurs" d'une hypothétique appartenance à la droite ou à la gauche, à cela près que depuis 2017, il n'y a plus vraiment de bloc de droite ni de bloc de gauche (ce qui, à long terme, pourrait poser un problème démocratique), mais trois blocs, un d'ultra-droite, un autre d'ultra-gauche, et un entre-les-deux qu'il est bien difficile de qualifier, aujourd'hui occupé par la majorité présidentielle mais qu'occupent aussi quelques socialistes fidèles à leur parti (et pas à leurs ambitions), des centristes et le parti Les Républicains.

Le RMI (revenu minimum d'insertion) a été créé par le gouvernement de Michel Rocard par une loi votée à la quasi-unanimité des députés (loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 instituant le RMI). Michel Rocard a été un innovateur social puisqu'il a aussi inventé la CSG (contribution sociale généralisée) qui a le goût très amer d'être une cotisation sociale sur laquelle le salarié contribuable paie (en partie) l'impôt sur le revenu ! La génie français dans son œuvre.

L'idée du RMI n'était cependant pas kafkaïenne (au contraire de la CSG), elle répondait à un véritable besoin dès lors que nous étions entrés dans une société à très forte proportion de chômage (depuis les premiers chocs pétroliers). Elle avait été testée notamment par le centriste Pierre Méhaignerie qui l'avait appliquée dans son département lorsqu'il était président du conseil général d'Ille-et-Vilaine. Du reste, le RSA est géré par les départements, ce qui est l'une de leurs principales missions.

Ce revenu permet de dépanner lorsqu'une personne est dans le pétrin social et économique et il n'est pas voué à se pérenniser pour cette personne. Tant le RMI que le RSA, le mot clef est "insertion" ou "activité", pas "revenu". Hélas, depuis plus de trente-quatre ans, cette idée a surtout été comprise comme une allocation, nécessaire, mais pas suffisante pour sortir de la précarité et se réinsérer, et surtout, pas suffisante pour vivre. Aujourd'hui, le RSA pour une personne seule sans enfant à charge est de 607,75 euros par mois.

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C'est pourquoi les Présidents volontaristes, ceux qui ne voulaient pas se satisfaire d'un chômage de masse, à savoir Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron (les autres se sont montrés particulièrement fatalistes face au chômage), ont toujours voulu réformer le RMI/RSA pour en faire un véritable outil d'insertion. D'où la réforme de Nicolas Sarkozy qui l'a réalisée en plusieurs temps, un temps d'expérimentation géographique (permise par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat) puis sa généralisation en 2009 (loi déjà citée).

L'idée était d'obliger les allocataires de ce revenu à suivre une formation et à faire des heures d'activité afin de retrouver leur "employabilité" (le mot est laid mais c'est bien ce que cela veut dire : se lever le matin, se confronter au transport, avoir une vie sociale sur le lieu de travail, avec un chef et des supposés collègues, etc.). À l'époque, d'où la citation du mensuel "CQFD", certains opposants craignaient même que le nombre d'allocataires chutât de 1 million à 100 000 (il n'en a rien été).

Dans la réforme de 2008, l'attribution du RSA se faisait en compensation de plusieurs obligations, la principale étant de déclarer ses revenus tous les trimestres (puisque son attribution dépend du niveau de ressources de l'allocataire), mais aussi d'être à la recherche d'une activité professionnelle ou d'entreprendre les démarches pour un projet professionnel. Malheureusement, le RSA a surtout comblé des besoins alimentaires mais n'est toujours pas assez efficace en termes d'insertion professionnelle.

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Près de 1,9 million de personnes bénéficiaient en 2022 du RSA. Son coût est de l'ordre de 12 milliards d'euros (en 2020), dont environ 15% correspondant aux coûts d'encadrement et de réinsertion (et le reste l'allocation elle-même). Son financement s'est fait par un nouvel impôt sur les revenus du capital. En 2012, le dispositif était excédentaire car 35% des personnes pouvant bénéficier du RSA ne l'ont pas demandé (je n'ai pas trouvé de données plus récentes mais il suffit de lire le formulaire pour comprendre pourquoi certains ne demandent pas le RSA et pourquoi les missions locales ne sont pas au chômage).

L'objectif du gouvernement actuel n'est donc pas très éloigné de celui de Nicolas Sarkozy au début du quinquennat de celui-ci. Et les réponses apportées peu différentes de ce qui a déjà été mis en œuvre. Lors de la remise du rapport de préparation à la création de France Travail, le 19 avril 2023 (dont l'auteur est Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi), le Ministre du Travail Olivier Dussopt (ancien député socialiste en 2017) a annoncé souhaiter rendre obligatoire 15 à 20 heures d'activité d'insertion par semaine (ce qui correspond à un mi-temps, alors que la recherche d'emploi prend un temps complet) qui seraient rétribuées selon les dispositions du code du travail.

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Thibaut Guilluy a expliqué sur franceinfo le jour même : « Nous, ce qu'on propose, c'est un choc de l'insertion, c'est de faire en sorte qu'il y ait un coach, un conseiller, qui ait vraiment du temps pour pouvoir les accompagner dans leur parcours de retour à l'emploi. » en précisant que ces heures seraient « des immersions d'entreprises, des stages, de la formation pour pouvoir se former à un métier ou pour passer le permis de conduire ». Avec quelques exceptions : « Chacun a un parcours singulier. Il y a des personnes qui ont des difficultés sociales, très profondes, des problèmes de santé, donc il faut pouvoir s'adapter. ».

L'autre obligation, ce serait de s'inscrire à France Travail (ex-Pôle Emploi), alors qu'actuellement, seuls 40% sont inscrits. Le risque est d'avoir une remontée des statistiques avec de nouvelles inscriptions, bien sûr, mais l'idée est d'avoir un meilleur accompagnement. Mais là encore, il n'y a rien de révolutionnaire et on sait très bien que cela ne fonctionne pas vraiment. Aujourd'hui, un conseiller de Pôle Emploi "gère" (le verbe gérer est plus juste que suivre) en moyenne 450 demandeurs d'emploi, ce qui est déjà beaucoup trop pour faire un suivi individualisé. Si les moyens humains ne sont pas apportés parallèlement à cette réforme, elle sera aussi inefficace que les précédentes.

En déplacement à La Réunion, la Première Ministre Élisabeth Borne a confirmé ce samedi 13 mai 2023 à l'agence Pôle Emploi de Saint-Leu-les-Trois-Bassins que les obligations seraient suivies de sanctions si elles n'étaient pas tenues :
« On doit continuer à viser les leviers pour permettre à chacun de revenir vers un emploi. C'est d'autant plus important dans un contexte où on sait qu'il y a beaucoup d'entreprises qui cherchent à recruter et qui disent qu'elles n'y arrivent pas (…). En effet, je vous confirme que dans le projet de loi, il y aura bien la possibilité de suspendre, sur une durée courte peut-être pour démarrer, en tout cas, il y aura aussi un dispositif de sanctions dès lors qu'on aura accompli, de notre côté, notre part de responsabilité, c'est-à-dire qu'on aura mis la personne bénéficiaire du RSA en situation de suivre le parcours qu'on lui a proposé. ». Mais il n'y aura pas de sanction avant de résoudre d'autres « freins périphériques », comme le problème de la garde d'enfant.

Outre le fait que la possibilité de suspendre partiellement le RSA existe déjà, la Première Ministre considère qu'être au RSA est volontaire de la part des bénéficiaires et qu'il suffirait qu'ils se disent qu'ils veuillent un emploi pour avoir un emploi. Si des entreprises cherchent à recruter, c'est de l'ordre de un à plusieurs de centaines de milliers d'emplois, à comparer aux trois millions de demandeurs d'emploi que compte encore le pays. Un bon ajustement entre les formations et les besoins du marché est donc nécessaire, certes, mais ne résoudra pas, en lui-même, le problème du chômage de masse (même s'il s'est beaucoup amélioré depuis 2017 avec la création de 1,7 million d'emplois dont 90 000 emplois industriels).

Plus globalement, lorsqu'on lit à la loupe les déclarations gouvernementales, il n'y aura rien de véritablement nouveau depuis la réforme Sarkozy de 2008. Mais on communique. La politique est probablement le comble de l'action du verbe.

Pourquoi donc insister sur les sanctions pour les bénéficiaires du RSA ? Sans doute pour des raisons politiques pour ne pas dire politiciennes. Le gouvernement souhaiterait une alliance avec Les Républicains. Mais la majorité présidentielle se trompe si elle souhaite engager une coalition sur des mesures ressenties comme plutôt antisociales car, justement, l'incapacité à trouver une majorité à l'Assemblée Nationale sur la réforme des retraites provient d'une partie non négligeable des députés LR (de l'ordre du tiers) qui sont, au contraire, partisans d'une politique plus sociale que celle du gouvernement. Donc, stigmatiser les bénéficiaires du RSA n'aidera pas le gouvernement à compléter sa majorité dans l'hémicycle. Et ne les aidera pas à retrouver du travail.



Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (13 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Emmanuel Macron : "J'appelle à la pause réglementaire européenne".
Réforme des retraites : feu vert (sans surprise) du Conseil Constitutionnel.
Faut-il interdire les démarchages téléphoniques purement et simplement ?
La baguette magique.
Le Black Friday.
Pouvoir d’achat : l’idée révolutionnaire de Jean-Louis Bourlanges.
L'homme le plus riche du monde.
L’homme qui valait 30 milliards.
8 milliards de Terriens, et moi, et moi, et moi...
28 juillet 2022 : jour du dépassement de la Terre.
Essence : le chèque de 100 euros.
Heure d’hiver : le dernier changement ?
L’industrie de l’énergie en France.
Le scandale de Volkswagen.
Le Jour du Seigneur.
L'aspirine, même destin que les lasagnes ?
Le Plan France 2030 qui prépare l’avenir des Français.
Le plan quantique en France.
Jouer avec les Lego.
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La génération du baby-boom.
La réforme des sociétés anonymes.
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Assurance-chômage : deux mauvaises idées du gouvernement.
L’inversion de la courbe.
La crise de 2008.
Faut-il toucher aux retraites ?
Le statut de la SNCF.
La réforme du code du travail.
La loi El Khomri.
La France archaïque.
La grève et la colère silencieuse des citoyens.
Le brevet européen.
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La loi Macron.
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Le secteur des taxis.
Jacques Rueff.
Maurice Allais.

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