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4 juin 2025 3 04 /06 /juin /2025 17:51

« La motion de censure que nous examinons cet après-midi est unique en son genre : c’est la première fois que l’Assemblée Nationale est invitée à voter contre l’Assemblée Nationale. » (François Bayrou, le 4 juin 2025 dans l'hémicycle).




 


Placée au milieu de l'examen de la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues, l'examen de la septième motion de censure contre le gouvernent Bayrou a eu lieu ce mercredi 4 juin 2025 après-midi à l'Assemblée Nationale.

Déposée par 58 députés insoumis, cette motion de censure, la 154e de la Cinquième République, comme l'a rappelé le Premier Ministre François Bayrou, faisait suite à l'adoption de la motion de rejet préalable de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur le lundi 26 mai 2025.

Revenons rapidement sur cet épisode : cette proposition de loi, dite proposition de loi Duplomb du nom du sénateur Laurent Duplomb qui l'a initiée et déposée le 1er novembre 2024 (avec un autre collègue sénateur), a été adoptée par le Sénat le 27 janvier 2025 en première lecture. Elle vise à faciliter l'activité des agriculteurs et contient quelques mesures fortement contestées par les écologistes notamment sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Ce texte a été adopté (après des modifications) par la commission des affaires économiques le 16 mai 2025 et, porté par son rapporteur Julien Dive (LR), devait être débattu en séance publique le 26 mai 2025.

Mais le trop grand nombre d'amendements déposés par la gauche, en particulier par les insoumis et les écologistes, à savoir 3 455, faisait craindre un enlisement des débats et même une obstruction du texte. Trois semaines auraient été nécessaires pour en venir à bout. C'est pourquoi le rapporteur ainsi que les présidents des groupes du socle commun, à savoir Julien Dive, Laurent Wauquiez (LR), Gabriel Attal (Renaissance), Marc Fesneau (MoDem) et Paul Christophe (Horizons) ont déposé une motion de rejet préalable qui a été adoptée par 274 voix pour (sur 402 votants), 121 voix contre, 7 abstentions (scrutin n°2105).


Parmi les 274 pour, se trouvaient 105 députés RN, 56 députés Renaissance, 41 députés LR, 21 députés MoDem, 24 députés Horizons, 13 députés LIOT et 11 députés ciottistes. Parmi les 121 contre, se trouvaient 47 députés insoumis, 25 députés socialistes, 36 députés écologistes et 6 députés communistes. En outre, 5 députés de Renaissance et du MoDem (dont Éric Bothorel et Richard Ramos) ont voté contre cette motion de rejet. Comme on le voit, le RN a voté en masse pour cette motion avec la plupart des députés de la majorité du socle commun.
 


La conséquence de ce rejet, c'est la formation le 28 mai 2025 d'une commission mixte paritaire(CMP) composée de 7 députés et 7 sénateurs chargés de proposer un texte identique aux deux assemblées... sur la base du texte adopté le 27 janvier 2025 par le Sénat.

Pour les insoumis, le vote de la motion de rejet préalable par les promoteurs même du texte est la preuve d'une manœuvre de procédure pour éviter le débat et court-circuiter l'Assemblée Nationale, ce qui permet de revenir avec le texte adopté par le sénateur qui sera le document de travail de la commission mixte paritaire.

C'est ce qu'a expliqué la députée insoumise Mathilde Hignet ce 4 juin 2025 pour défendre la motion de censure déposée par son groupe : « Pour se passer du vote de l’Assemblée, toutes les manœuvres sont bonnes. Après les 49.3 à répétition, l’examen de la proposition de loi dite Duplomb, future loi "pesticides", future loi "agrobusiness", vous conduit à aller encore plus loin en recourant à un 49.3 déguisé : pour la première fois depuis quarante ans, le rapporteur dépose une motion de rejet préalable de son propre texte, ou plutôt du texte dicté par les lobbys de l’agrobusiness et par M. Rousseau, le patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Nos concitoyens et concitoyennes doivent comprendre que cette manœuvre ne vise qu’à contourner le débat, le vote des députés : c’est ainsi uniquement la version du texte issue de son examen par le Sénat, et dérangeant même dans vos rangs, chers collègues macronistes, qui sera soumise à la commission mixte paritaire, sept députés, sept sénateurs, loin d’être choisis au hasard, chargés de déterminer à huis clos la mouture finale d’un texte dangereux pour la santé, pour la biodiversité. Privés de notre droit, en tant que parlementaires, de débattre de ce texte, de son impact sur la santé et la planète, face à un gouvernement qui nous mène à la catastrophe, nous déposons cette motion de censure. ».
 


Cette députée dit un peu n'importe quoi sur le plan institutionnel car l'article 49 alinéa 3, qui fait partie de notre Constitution approuvée très largement par le peuple français, vise à approuver un texte dans sa globalité alors que la motion de rejet préalable, c'est exactement l'inverse.

Mathilde Hignet a néanmoins évoqué le fond du débat : « En vérité, vous aviez peur que l’Assemblée, sous pression populaire, ne vote pas comme le souhaite ce gouvernement au service des puissants ; peur qu’un débat public n’expose à tous les yeux l’arnaque que constitue ce texte ; peur que le contenu des amendements retenus en commission, votés par certains dans vos rangs, se retrouve dans la loi. (…) Souvenez-vous ! Souvenez-vous de Christian Jouault, agriculteur, décédé en avril dernier après s’être battu contre une leucémie, un lymphome, un cancer de la prostate, maladies toutes reconnues comme liées aux pesticides. Sous couvert de sauver des filières, vous souhaitez réintroduire un néonicotinoïde, l’acétamipride, dangereux pour l’environnement et la santé. Quelles seront les conséquences d’une telle décision ? Souvenez-vous, collègues, d’Alain Chotard, agriculteur, décédé ce 31 mai après avoir lutté pendant trente ans contre la maladie de Parkinson, elle aussi causée par les pesticides ! Les ravages de ces derniers ne s’arrêtent pas à la lisière des champs : ouvriers de l’agro-industrie, fleuristes, paysagistes, voisins, nous sommes tous concernés. Souvenez-vous de Pascal, décédé d’un cancer lymphatique après avoir été exposé aux pesticides durant vingt-trois ans dans le cadre de son travail de jardinier municipal ! Sacrifier la santé des agriculteurs, des citoyens, aux profits de quelques-uns, voilà ce que vous vous apprêtez à faire. Même la santé des enfants est menacée ! Souvenez-vous d’Emmy, décédée à 11 ans après sept ans de souffrances : la cour d’appel de Rennes a confirmé que sa leucémie avait été causée par l’intoxication aux pesticides, pendant la grossesse, de sa maman, fleuriste. Lorsque vous visiterez, dans votre circonscription, un service d’oncologie pédiatrique, souvenez-vous du texte que vous aurez laissé passer, alors que les médecins alertent désormais au sujet de l’exposition des enfants au cadmium, notamment présent dans les céréales, les pommes de terre, et des risques de cancer du rein ou du foie qui en découlent ! Cette proposition de loi ne règle rien, elle acte les impasses économiques dans lesquelles s’est embourbé notre modèle agricole. Ainsi la prolifération des ravageurs des vergers de noisetiers a-t-elle été facilitée par le doublement, en France, de la surface de ces derniers depuis 2010, une monoculture et une concentration de la production encouragées par Ferrero, qui souhaite gonfler ses 751 millions de bénéfices. Non content de détruire les écosystèmes de l’Indonésie afin de produire de l’huile de palme, Ferrero contribue à la pollution de l’eau et des sols. (…) S’aligner sur le moins-disant ne nous rendra pas plus compétitifs : cela ne fera qu’appauvrir les travailleurs des industries agroalimentaires. Après les normes environnementales, alignerez-vous sur les autres pays la rémunération des agriculteurs ? Leur avenir, est-ce le salaire des pays de l’Est ? Pensez-vous vraiment que relever pour les élevages les seuils à partir desquels s’applique la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) permettra aux éleveurs porcins de contrer la Chine et ses 650 000 cochons élevés dans un immeuble en béton de vingt-six étages ? Lorsque vous évoquez la concurrence mondiale, faites donc preuve d’honnêteté : nos concurrents produisent davantage et moins cher, mais dans quelles conditions ? Enviez-vous à ce point les fermes géantes américaines, avec leurs champs d’OGM à perte de vue, leurs salariés bien souvent immigrés et sous-payés ? Assez de cette course au profit qui sert seulement les intérêts de quelques-uns, assez de cette concurrence déloyale, assez de laisser ceux d’en haut dicter la loi ! ».

 


La réponse du Premier Ministre s'est d'abord faite sur sa surprise sur le plan institutionnel : « Nous vivons un moment intéressant (…). Les motions de censure étaient alors généralement déposées par les oppositions contre le gouvernement, par la droite contre la gauche, par la gauche contre la droite, par la gauche et la droite associées contre le centre, et avaient toutes un point commun : elles invitaient l’Assemblée Nationale à voter contre le gouvernement. La motion de censure que nous examinons cet après-midi est unique en son genre : c’est la première fois que l’Assemblée Nationale est invitée à voter contre l’Assemblée Nationale. En effet, la raison, ou plutôt le prétexte, de cette motion de censure est le vote d’une motion de rejet préalable sur un texte d’origine parlementaire, adopté en première lecture par le Sénat. Cette motion de rejet, demandée par quatre des groupes parlementaires de cette assemblée, a recueilli 274 voix contre 121, soit la majorité absolue des votants. Ainsi, l’Assemblée n’est pas contente de l’Assemblée et elle se propose, à la demande de cinquante-huit de ses membres, de manifester le mécontentement qu’elle éprouve à son propre égard en renversant le gouvernement ! Résumons : le gouvernement n’est pas à l’origine de ce texte, il n’est pas à l’origine de son adoption, il n’est pas à l’origine de la motion de rejet préalable, mais il est coupable, forcément coupable, comme le disait Marguerite Duras. ».

Prônant la démocratie parlementaire, François Bayrou a voulu laisser une plus grande marge de manœuvre au Parlement : « Depuis que ce gouvernement est entré en fonction, il a veillé sans cesse à ce que les prérogatives du Parlement soient respectées, qu’elles s’expriment librement et qu’elles contribuent à résoudre les problèmes qui se posent à nous. Je l’ai affirmé dès notre déclaration de politique générale et je le réaffirme aujourd’hui : la capacité d’action de l’État dépend de la bonne coopération entre le Parlement et l’exécutif. Face aux défis sans précédent qui nous attendent, je crois plus que jamais à la coresponsabilité. Nos institutions invitent à avoir un Parlement fort, un gouvernement fort et un Président fort. Néanmoins, nous devons admettre que nous faisons face, collectivement, à une difficulté que nous ne parvenons pas à surmonter. Les parlementaires, les citoyens et, bien sûr, le gouvernement souhaitent ardemment des réformes. En France, ces réformes passent souvent par des lois. Pourtant, depuis presque six mois, le Parlement ne parvient pas à examiner les textes nécessaires. L’ordre du jour est devenu un casse-tête, les amendements se multiplient, leur nombre double de législature en législature, les débats s’éternisent. Chaque jour, les parlementaires, les commissions, les groupes, les ministres et les observateurs réclament l’inscription de textes nécessaires à l’ordre du jour de l’Assemblée. Pourtant, l’examen de ces textes est rendu impossible à cause de l’engorgement parlementaire délibérément créé au sein de cet hémicycle. (…) Cette situation crée une grande frustration pour les parlementaires sur tous les bancs de l’hémicycle, pour le gouvernement et surtout pour nos concitoyens. Cela n’est bon pour personne. Ce blocage se retourne contre le Parlement lui-même. Les seuls véritables adversaires au bon fonctionnement du Parlement sont ceux qui recourent constamment à l’obstruction et au blocage. Ils cherchent par tous les moyens à miner son travail, à remettre en question sa légitimité et, in fine, à le discréditer aux yeux de nos concitoyens. Nous le constatons chaque jour davantage. Par conséquent, ces adversaires ne sont pas le gouvernement ; ils siègent sur les bancs de cet hémicycle, et empêchent le Parlement de faire son travail. ».

 


Justifiant le choix par l'Assemblée du vote de la motion de rejet, François Bayrou a rappelé que cette procédure est parfaitement démocratique : « Le choix qu’ont fait les députés en votant la motion de rejet que vous mettez en cause ne dissimule aucune volonté d’empêcher le débat. Il ne clôt en rien le travail parlementaire : la prochaine étape du texte, la commission mixte paritaire, est le lieu où se construit l’équilibre, le consensus ou le compromis entre les deux chambres du Parlement. C’est une procédure parfaitement régulière, prévue par la Constitution de 1958 et par les règlements des assemblées parlementaires. Elle est fréquemment utilisée sur une très large majorité de textes. La possibilité de voter une motion de rejet est tout aussi régulière, puisqu’elle est également instituée par les textes encadrant le travail parlementaire. Dois-je rappeler à votre groupe qu’il a déposé pas moins de quatorze motions de rejet depuis le début de cette législature, c’est-à-dire depuis septembre 2024 ? Dans cet hémicycle, votre groupe est le recordman de la motion de rejet. Parmi les dix-huit motions déposées par l’opposition, vous en avez déposé quatorze, et vous en avez même fait adopter deux. Vous avez employé la motion de rejet contre des textes portant sur des sujets importants, que nos concitoyens attendaient : la lutte contre le narcotrafic, la sécurité dans les transports, la simplification administrative… Vous utilisez la motion de rejet comme un instrument dans votre stratégie délibérée et continue d’obstruction, qui mène à l’immobilisme. C’est uniquement parce que la proposition de loi des sénateurs Duplomb et Menonville était victime de vos manœuvres d’obstruction qu’une motion de rejet a été déposée puis votée. ».

En revanche, le Premier Ministre a dénoncé la volonté d'obstruction des promoteurs de cette motion de censure : « Sur ce texte, dont plusieurs mesures sont vitales pour notre agriculture, 3 500 amendements ont été déposés, dont plus de 1 500 par le groupe Écologiste et social et 850 par le groupe La France insoumise. Ces amendements ne contribuent pas à la qualité du débat, ils cherchent plutôt à l’enliser. Je donnerai deux exemples pour que les Français sachent dans quel degré d’enlisement vous essayez d’entraîner le débat. Un amendement propose de remplacer les mots "un mois" par les mots "trente jours". Un autre amendement propose de remplacer le mot "finalité" par le mot "but". Je doute que ces deux modifications répondent aux besoins les plus pressants de l’agriculture française. Avec un rythme d’examen correspondant à allouer trois minutes de débat à chaque amendement, ces 3 500 amendements auraient représenté trois semaines d’examen en séance. Ces trois semaines d’examen auraient empêché la discussion d’autres textes que nos concitoyens attendent pourtant, comme le projet de loi sur Mayotte ou le texte sur l’énergie. Le gouvernement a proposé de mettre en place la procédure du temps législatif programmé ; votre groupe s’y est opposé. Devant l’ampleur des difficultés que nous avons à surmonter, cette stratégie d’obstruction ne constitue pas une attitude responsable. Depuis son entrée en fonction, le gouvernement s’est employé à faire avancer vingt-huit textes adoptés par le Parlement, comme la loi d’urgence pour Mayotte en février, la loi d’orientation agricole en mars, les lois sur le narcotrafic et sur la sécurité dans les transports au mois d’avril. Sur ces bancs, nombreux sont ceux qui considèrent ces jeux d’obstruction comme particulièrement déplacés compte tenu de l’importance des sujets examinés. ».

Sur le fond, François Bayrou a énoncé la conviction du gouvernement : « Il s’agit là de notre agriculture, de nos agriculteurs, et de la conciliation entre la reconquête de la production agricole et le respect de l’environnement et de la santé publique. Ces sujets sont d’une importance vitale pour notre pays et méritent un débat sur le fond. La conviction du gouvernement est que l’agriculture et le respect de l’environnement sont deux aspects du même combat. Notre ambition pour l’agriculture française est qu’elle garde et renforce son haut niveau d’exigence en matière environnementale, sanitaire et sociale. Nous savons qu’il n’y aura ni souveraineté agricole française ni sécurité alimentaire si notre agriculture n’atteint pas la triple performance économique, qualitative et environnementale. Cet objectif est très largement partagé sur ces bancs, comme cela a été montré par le vote à une large majorité de la motion de rejet pour que le texte puisse enfin être adopté. Il suffit de regarder la situation et les chiffres. ».

Et de faire un constat alarmant sur la situation de l'agriculture française : « La France était habituée aux excédents agricoles. Pourtant, en 2025, le solde agroalimentaire est déficitaire pour le troisième trimestre consécutif. Il se situe à un niveau très dégradé. Derrière les atouts historiques de la France dans le domaine agroalimentaire, une myriade de déficits commerciaux se détache pour plusieurs catégories de produits : la catégorie des fruits et légumes enregistre 7 milliards d’euros de déficit en 2024 ; les produits d’épicerie, plus de 6 milliards ; les produits d’origine aquatique, 5 milliards ; les viandes et les produits carnés, plus de 3 milliards. Je prends quelques exemples plus spécifiques : pour les tomates, on note un déficit de 393 millions d’euros ; pour les poivrons, 232 millions ; pour les fraises, 143 millions ; pour les poires, 94 millions. Sans une action rapide et sans des moyens adaptés pour soutenir la capacité productive de l’agriculture française, tous nos discours en faveur de la souveraineté agricole et de la sécurité alimentaire se révéleront des vœux pieux. Le texte qui a provoqué cette nouvelle motion de censure a été travaillé avec soin par le Sénat et par les commissions. Il entend permettre à nos agriculteurs de vivre de leur travail tout en continuant à nourrir notre pays dans la durée. Nous ne fragiliserons pas nos producteurs en laissant perdurer des complexités et des distorsions déloyales de concurrence. L’immense majorité des néonicotinoïdes a été interdite ces dernières années. Une seule substance, l’acétamipride, interdite en France, reste autorisée dans les vingt-six autres pays de l’Union Européenne. Interdire à nos agriculteurs de recourir à un produit principalement utilisé pour la culture des noisettes revient à leur imposer une distorsion de concurrence. Les producteurs de noisettes sont un peu plus de 300 en France. Ces nuciculteurs sont à la tête d’exploitations qui ne mesurent pas plus d’une dizaine d’hectares, ce qui représente une part infime de l’espace agricole français, l’équivalent d’un timbre-poste sur un terrain de football. Toutes les noisettes que vous consommez viennent de Turquie ou d’autres pays européens et ont été traitées avec des substances de cet ordre. Vous faites en sorte... Cette vérité semble vous déranger. Vous voulez interdire aux producteurs français d’utiliser un produit considéré comme acceptable dans tous les autres pays européens. Cela revient à rayer de la carte les producteurs français ! Nos agriculteurs vivent un drame que vos actions nourrissent. ».

Pas étonnant, donc, que l'ancien agriculteur soit resté l'un des plus grands défenseurs des agriculteurs : « Pendant très longtemps, des décennies, voire des siècles, ils ont été considérés comme les meilleurs connaisseurs et les meilleurs protecteurs de la nature. Les campagnes menées contre eux depuis plusieurs années leur ont donné le sentiment d’être pris pour cible et d’être abandonnés. On attaque le cœur de leur vocation, de leur métier, l’amour qu’ils portent à la nature et à leurs terres. Ce n’est pas la faute des lobbyistes, mais de ceux qui intentent un procès infondé à l’agriculture française. C’est vous qui êtes responsables ! La majorité de l’Assemblée s’est exprimée sur ce sujet. Nos agriculteurs savent qu’agriculture et écologie ne pourront être séparées. C’est ce qu’illustre la question de l’eau : sans eau, pas d’agriculture. L’accès à l’eau doit être facilité, mais il convient de réfléchir dans le même temps à un usage responsable de cette ressource, territoire par territoire. Pour trouver ces nouveaux équilibres, nous lançons dès ce mois-ci les conférences territoriales sur l’eau, qui auront lieu d’ici au mois d’octobre. La feuille de route est claire : définir un meilleur partage de la ressource tout en anticipant les risques. Les défenseurs du texte affirment simplement qu’un équilibre de long terme est à trouver entre l’allégement des contraintes qui pèsent sur le travail des agriculteurs et le respect des impératifs environnementaux et de santé publique. Au nom du gouvernement, j’assure de notre confiance les deux chambres du Parlement, qui, représentées au sein de la commission mixte paritaire, parviendront à trouver cet équilibre vital pour nos agriculteurs et notre société. ».

Après l'intervention d'un orateur par groupe politique, les députés sont passés au vote. À 16 heures 30, la Présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet a annoncé les résultats du vote. Sans surprise, la motion de censure a été rejetée. Seuls 116 députés ont voté en sa faveur alors qu'il en fallait 289. L'analyse du scrutin (n°2222) montre qu'ont voté la motion de censure 71 députés insoumis sur 71, 36 députés écologistes sur 38, 8 députés communistes sur 17 et 1 député socialiste sur 66.


Encore une fois, cette motion de censure des insoumis est tombée dans l'eau. Incontestablement, à la veille de leur congrès crucial, les socialistes ont refusé la stratégie du chaos voulue par Jean-Luc Mélenchon. François Bayrou bénéficie ainsi d'une relative stabilité, celle d'empêcher une collusion entre les députés RN et les députés socialistes qui pourrait les conduire à voter ensemble une même motion de censure. Pour les insoumis, ce n'est que partie remise et ils restent convaincus que ...la huitième motion de censure sera la bonne. Quant au gouvernement, il va bosser sur le budget 2026 qui est la principale difficulté du semestre qui va venir.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 juin 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La proposition de loi Duplomb pour les agriculteurs.
Le rejet de la 7e motion de censure contre le gouvernement Bayrou.
Interview de François Bayrou le 27 mai 2025 sur BFMTV (vidéo intégrale).

La longévité du Professeur Bayrou.
Les Républicains.
Le PS.
EELV.
Emmanuel Macron : qu'allait-il faire dans cette galère ?
Interview du Président Emmanuel Macron le mardi 13 mai 2025 sur TF1 (vidéo).
Emmanuel Macron à l'initiative pour la paix en Ukraine.
Emmanuel Macron, le référendum et les Français.
Emmanuel Macron veut-il influencer l'élection du nouveau pape ?
Bétharram : François Bayrou a apporté les preuves de sa bonne foi.
Bétharram : François Bayrou bouleversé par le témoignage de sa fille.
Budget 2026 : François Bayrou promet-il du sang et des larmes ?
Discours du Premier Ministre François Bayrou le 15 avril 2025 à Paris (texte intégral et vidéo).
Emmanuel Macron sur le front du commerce international.
François Bayrou et l'heure de vérité de l'Europe.
Gabriel Attal attaque Marine Le Pen sur l'Ukraine.
Manuel Valls pour la paix, mais pas au prix de la fin de l'Ukraine !
Claude Malhuret s'en prend à Néron et à son bouffon !
Emmanuel Macron : la patrie a besoin de vous !
François Bayrou : la France avait raison !
Le Pen : inéligibilité, exécution provisoire, récidive et ordre public.
Marine Le Pen, est-elle si clean que cela ? (22 février 2017).
Condamnation Le Pen : la justice vole-t-elle l'élection présidentielle de 2027 ?
Le fond accablant de l'affaire Le Pen.
Texte intégral du jugement délibéré du 31 mars 2025 sur l'affaire Le Pen (à télécharger).
Affaire Le Pen : ne confondons pas victime et coupable !
Marine Le Pen : voler l'argent des Français !
Marine Le Pen et la sérénité d'une future condamnée ?
L'avenir judiciaire de Marine Le Pen dans une décision du Conseil Constitutionnel ?
L'installation du nouveau Conseil Constitutionnel présidé par Richard Ferrand.
Richard Ferrand validé de justesse par le Parlement.
François Bayrou et la motion de censure de congrès du PS.
François Bayrou surmonte une 6e motion de censure en cinq semaines !
Bétharram : François Bayrou contre-attaque !
Bétharram : François Bayrou coupable... de quoi, au fait ?
Alain Juppé à la rescousse de Richard Ferrand ?
Mission accomplie : les budgets 2025 (PLF et PLFSS) définitivement adoptés (ouf !).
4 motions de censure et pas d'enterrement !
Emmanuel Macron à la télévision le dimanche soir !
Interview du Président Emmanuel Macron le dimanche 9 février 2025 sur France 2 (vidéo).
Sam Altman salue la France, centre névralgique de l'intelligence artificielle.
François Bayrou, le début du commencement.
La quadrature du cercle de Michel Barnier.


 






https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250604-loi-duplomb.html

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/06/05/article-sr-20250604-loi-duplomb.html



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2 mai 2025 5 02 /05 /mai /2025 04:42

« Je trouve ça complètement incohérent parce que mes employés et mes apprentis veulent travailler. C'est payé double, c'est rattrapable. C'est un avantage aussi. Et puis, ça reste une fête. On a un métier qui travaille énormément pendant les fêtes, si on nous interdit de travailler pendant les fêtes, on travaille quand et on gagne notre argent quand ? » (Virginie Ménager, le 30 avril 2025 sur France Bleu Normandie).




 


Et voici que revient comme un marronnier le sujet de l'ouverture des commerces un premier mai. Le premier mai, jour de la fête du travail, certains disent de la fête des travailleurs, mais lisez les calendriers ! Toujours est-il que le premier mai est le jour le pire des jours fériés et dimanche, celui où travailler devient un exploit juridique.

À l'heure actuelle, selon l'article L. 3133-6 du code du travail, seules les entreprises ou organismes « qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail » peuvent travailler le premier mai. On imagine bien les professions de santé (hôpital, etc.), de sécurité (forces de l'ordre, armée, pompier, etc.), et quelques autres (taxis, cheminots, contrôleurs aériens, etc.), mais apparemment, produire et vendre une baguette de pain n'est pas dans les indispensables.

Soyons clairs : pourquoi n'avons-nous pas le droit de manger du pain frais un premier mai alors que ceux qui le produisent et le vendent le voudraient bien et sont prêt à nous le proposer ?


Pire encore : les fleuristes non plus ne sont pas nécessaires, les fleurs sont encore moins indispensables que le pain, le premier mai... et pourtant, cherchez l'erreur, l'État tolère que n'importe quel particulier, moi, vous, vende dans la rue du muguet cueilli dans la forêt... ou même cultivé en serre. Et cela sans déclaration, sans TVA, sans impôt sur le revenu ou de société. Une exception fiscale (et sociale) française ! Une journée en or pour le parti communiste français pendant de très nombreuses années, car cela lui permettait de réinjecter légalement de fortes sommes en espèces sous la bannière "vente de muguet" le premier mai !

Virginie Ménager est trentenaire et est fleuriste à Breteuil-sur-Iton, dans l'Eure. Elle ne pouvait pas ouvrir son magasin le premier mai toute seule, sans l'aide de ses employés, mais finalement, elle a pu l'ouvrir avec le concours de son conjoint, qui est autorisé à travailler avec elle car il n'est pas salarié. Elle s'est confié le 30 avril 2025 à Laurent Philippot de France Bleu Normandie (maintenant, on dit ICI Normandie, mais j'aurais du mal à m'y faire), pour exprimer son incompréhension de la loi : ses salariés sont partants pour travailler le premier mai, payés le double, et surtout, ses clients sont là, aimeraient bien profiter de leur jour de congé pour acheter des fleurs, ou du pain... Dans un pays de libertés, c'est inconcevable.

De telles incohérences se trouvent partout en France. Le député Karl Olive a montré ce 1er mai 2025 une vidéo sur Twitter où une boulangerie de sa circonscription de Poissy était fermée avec un écriteau qui disait en substance : "fermée contre notre volonté", et à deux pas de là, un MacDonald était ouvert !
 


Alors, bien sûr, la secrétaire générale de CGT, Sophie Binet, gardienne du temple, a rappelé que le premier mai, ce n'était pas de travail du tout pour les salariés... même s'ils le veulent ! La raison : pour les protéger d'eux-mêmes ! En effet, le volontariat est parfois un peu contraint dans certains entreprises. C'est possible, mais on n'est pas obligé d'autoriser tout le monde à travailler et au contraire, on pourrait en profiter pour interdire l'ouverture des grandes surfaces mais autoriser l'ouverture des petits commerces qui aurait ainsi un peu de répit.

Le jour de congé sert-il vraiment la cause du salariat ? Si on en juge par les manifestations du premier mai en France, seulement 157 000 personnes ont manifesté dans toute la France selon le Ministère de l'Intérieur dont les statistiques sont désormais fiables. Mais même si on se réfère aux données de la CGT, 300 000, cela fait en gros seulement 1% de la population active. Il faut dire les choses comme elles le sont, les Français se moquent de la défense du travailleur le premier mai et préfèrent profiter du soleil d'un pont élargi du jeudi au dimanche pour avoir un peu de détente (certainement bien méritée). Au même titre que les Français, du moins la plupart d'entre eux, se moquent de la religion, des fêtes religieuses mais restent attachés aux congés acquis par l'Ascension, la Pentecôte, Pâques, Noël, l'Assomption, la Toussaint...

 


Dans les années 2010, on a eu le débat sur le travail le dimanche, l'ouverture des magasins, etc. À l'époque, les syndicalistes et l'Église catholique s'étaient réunis dans la cause commune de garder le dimanche journée sans travail. Maintenant, la société a évolué, et beaucoup de consommateurs sont contents de pouvoir utiliser leur dimanche à faire quelques courses, à aller dans une librairie, une jardinerie ou un magasin de bricolage. Qui remettrait en cause cette liberté nouvelle ? A-t-on eu connaissance de salariés harcelés qui ne voulaient pas travailler le dimanche et qui y seraient contraints sous peine de licenciement ? Peut-être quelques cas, mais à ma connaissance, ce n'est pas la majorité des situations.

C'est du gagnant gagnant gagnant : gagnant pour le consommateur qui gagne une liberté de plus pour consommer (rappelons que sur Internet, le e-commerce, cela fonctionne 24 heures et 24 et 7 jours sur 7, y compris les dimanches, jours fériés et bien sûr premier mai !) ; gagnant pour l'entreprise qui voit son chiffre d'affaires ainsi s'accroître ; enfin, gagnant pour le salarié qui peut travailler plus, gagner deux fois plus pour le même travail. Et j'ajoute que c'est aussi gagnant pour l'État, dont les caisses sont structurellement vides, qui, évidemment, et c'est normal, se sucre à chaque activité commerciale (TVA, impôt sur le revenu, impôt de société, multiples autres taxes selon activités, etc. et aussi charges sociales sur les salaires).


L'an dernier, le 1er mai 2024, des boulangers sont allés contre la loi en ouvrant et en faisant travailler leurs salariés. Normalement, cette pratique illégale dans les textes était malgré tout tolérée, mais pas cette année-là où des amendes allant jusqu'à 1 500 euros par salarié ont été distribuées. Pourtant, une position ministérielle en 1986 avait officialisé cette tolérance, mais elle a été remise en cause par une décision de la Cour de Cassation de 2006.
 


Notez l'incohérence : la convention collective de la boulanger-pâtisserie permet le travail le premier mai, sur la base du volontariat, bien sûr, mais cette autorisation ne repose sur aucune dérogation légale explicite, ce qui renforce l'insécurité juridique de cette profession, comme d'autres professions (les fleuristes notamment).

Heureusement, la justice est parfois compréhensive. Le 25 avril 2025, le tribunal de police de La Roche-sur-Yon a publié une décision de relaxe de cinq boulangeries vendéennes poursuivies pour avoir fait travailler des salariés le premier mai. Il semble que cette annonce faisait suite à la démarche d'une sénatrice de Vendée, Annick Billon, qui a déposé le 25 avril 2025 une proposition de loi avec de nombreux collègues (dont Hervé Marseille, Mathieu Darnaud, François Patriat, trois présidents de groupe, etc.) pour faire évoluer la loi et l'adapter aux impératifs de la société d'aujourd'hui.
 


Ainsi, cette proposition de loi, qui a reçu le "label gouvernemental" de "procédure accélérée" (cela réduit le nombre de navettes entre le Sénat et l'Assemblée), n'introduit qu'une seule transformation, celle d'élargir les situations de dérogation à la règle de la journée non-travaillée : « dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». "Besoins du public", en d'autres termes, le souhait des consommateurs à pouvoir acheter du pain ou des fleurs un premier mai comme un autre jour (entre autres). La procédure étant ce qu'elle est, la proposition étant soutenue par le gouvernement, on peut raisonnablement imaginer que la journée du 1er mai 2026 sera ainsi dotée de cette adaptation juridique.
 


Dans l'exposé des motifs, les sénateurs auteurs de cette proposition ont d'ailleurs bien précisé qu'il ne s'agissait pas d'abroger le premier mai : « Il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause le caractère férié et chômé du cette journée, mais de reconnaître la spécificité de certaines activités, à l'instar des boulangeries ou des fleuristes, qui participent pleinement à notre vie quotidienne et à notre patrimoine culturel. ». Et ils ont ajouté : « Ce texte vise donc à rétablir un équilibre entre le respect des droits des salariés et la nécessaire adaptation du droit aux réalités du terrain. Il apporte une réponse pragmatique et attendue à cette situation. ». Et je dirais, une réponse consensuelle... à l'exception des syndicats archaïques qui ne voient pas la société évoluer.

En d'autres termes, ceux qui se prétendent révolutionnaires sont les plus conservateurs, veulent régir la société comme si on était encore en 1945, alors que la société a complètement changé, sa temporalité, sa diversité, sa liberté, etc. On vit différemment, cela peut être regrettable, mais c'est la réalité. La globalisation et le commerce électronique sont là, de toute façon, pour rappeler que la loi n'empêchera pas l'évolution de nos habitudes de vie, mais ne pas la changer plombera simplement nos entreprises et notre économie, et donc nos acquis sociaux (il en a été de même avec l'interdiction de diffusion d'un film à la télévision le vendredi et le samedi pour soutenir le cinéma : Netflix en a bien profité !).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La liberté de travailler le 1er mai ?
La baguette magique.
Le Jour du Seigneur.
Mission accomplie : les budgets 2025 (PLF et PLFSS) définitivement adoptés (ouf !).
PLF 2025 : la majorité de rejet !

5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
Le Plan Calcul.
Les 20 ans de la loi handicap du 11 février 2005.
Méfiez-vous du chat qui dort à Noël !

Voie du covoiturage sur le périph !
Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
Doliprane : l'impéritie politique.
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L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
François Guizot à Matignon ?
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
Comment créer les emplois de demain ?
Yvon Gattaz.
Gilberte Beaux.
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.



 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250425-premier-mai.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-liberte-de-travailler-le-1er-260780

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/01/article-sr-20250425-premier-mai.html

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11 avril 2025 5 11 /04 /avril /2025 04:14

« Je vais être clair, on ne peut pas demander à nos industriels de faire des transitions, ce que vous faites toutes et tous, et ne pas les protéger et en quelque sorte laisser de la concurrence déloyale s'installer. » (Emmanuel Macron, le 3 avril 2025 à l'Élysée).



 


L'un des principaux arguments de campagne du Président de la République Emmanuel Macron pour sa réélection en 2022 fut qu'il était le Président des crises et qu'il était le mieux à même de réagir face à des crises majeures. L'argument était valable pour son premier quinquennat avec la crise des gilets jaunes, la crise du covid-19, la crise énergétique et inflationniste provoquée notamment par la guerre en Ukraine.

Pour son second quinquennat, on avait déjà quelques échantillons de gestion de crise dont le principal est la crise de la défense européenne, une défense européenne mise à mal d'abord par l'agression de Vladimir Poutine en Ukraine puis par l'abandon de la protection américaine par Donald Trump.

Et décidément, Donald Trump, en moins de trois mois de mandat, a profondément modifié l'image des États-Unis dans le monde en devenant un État voyou, incapable de respecter ses engagements, jouant sur l'intimidation, les rapports de force et même la force pour arriver à ses fins. On pensait que l'humiliation de Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche le 28 février 2025 avait été le sommet du n'importe-quoïsme trumpien, mais c'était oublier son obsession pour les taxes douanières.

En annonçant la fermeture des frontières commerciales le 2 avril 2025, Donald Trump a fait fort en provoquant un krach boursier (durable ou pas ?) et des perspectives économiques mondiales particulièrement pessimistes, certains allant jusqu'à envisager, avec la réduction des échanges commerciaux mondiaux, une baisse du PIB mondial de 7 points ! Inflation, chômage, perte de marché... Donald Trump tire le monde vers son désastre, ce qui donne un peu plus de pertinence à la voix de la France depuis toujours qui répète qu'il faut une alliance avec les États-Unis, mais aussi une grande liberté vis-à-vis de ce grand pays dont l'Europe ne doit plus dépendre, et même le monde en général.


Les dix derniers jours (2 au 11 avril 2025) ont été particulièrement chaotiques et révèlent un véritable problème de santé mentale de la part du Président des États-Unis, puisqu'il a joué au yoyo avec les taxes douanières (sauf pour la Chine), rendant la parole de l'Amérique absolument plus fiable tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique. Ce mélange de narcissisme, de vulgarité, de brutalité, d'intimidation, de vénalité, aussi de naïveté, rend le monde moins sûr, plus incertain, plus inquiétant. Sans oublier les soupçons de délit d'initié pour profiter de l'effondrement des bourses mondiales.
 


Face à ce monde en profonds bouleversements, profonds et chaotiques, heureusement que le peuple français peut compter sur son Président Emmanuel Macron. Dès le lendemain du fameux jour du 2 avril 2025, en moins de vingt-quatre heures, le chef de l'État a su réunir l'ensemble des industriels français fortement impactés par les mesures de Donald Trump afin de définir une stratégie française et également européenne. Ce volontarisme politique, économique et diplomatique d'Emmanuel Macron est salutaire pour la France, sa grandeur, sa fierté. Un peu plus tard, en se rendant en Égypte, le Président français a aussi tenté d'influer sur le cours des événements au Proche-Orient en n'hésitant pas à annoncer sa volonté d'accélérer la création de l'État palestinien.

Mais je veux surtout revenir sur cette réunion du jeudi 3 avril 2025 au Palais de l'Élysée, à l'initiative d'Emmanuel Macron et avec la participation notamment du Premier Ministre François Bayrou et du Ministre de l'Économie et des Finances Éric Lombard. Emmanuel Macron a fait une courte intervention à l'intention des acteurs économiques français.
 


Qu'a-t-il dit ? Il a présenté la situation économique mondiale actuelle (qui est en ce moment très mouvante, susceptible de changer radicalement de direction d'une journée à une autre) : « Il était important que nous puissions nous retrouver le plus rapidement possible après les annonces de la nuit dernière du Président Trump qui sont un choc pour le commerce international, pas simplement pour l'Union Européenne, la France, mais pour le bon fonctionnement du commerce. Ceci implique évidemment une mobilisation française et européenne. (…) En tout cas, je veux ici dire très clairement pour les entrepreneurs et l'ensemble des salariés de ces secteurs que nous serons à leurs côtés pour apporter des réponses concrètes. ».

L'objectif de cette première rencontre entre l'Exécutif et les entreprises exportatrices vers les États-Unis, c'est de commencer à déterminer les conséquences réelles dans chaque secteur et à discuter sur la réorganisation à opérer et sur la riposte européenne. En particulier, il s'agirait de mieux taxer les services numériques (en clair, les GAFAM), provenant surtout des États-Unis, mais sans handicaper des entreprises françaises ou européennes.

Emmanuel Macron a voulu commenter la décision américaine du 2 avril 2025. Son premier argument est qu'elle est en théorie insensée : « En tout cas, je veux ici dire très clairement pour les entrepreneurs et l'ensemble des salariés de ces secteurs que nous serons à leurs côtés pour apporter des réponses concrètes. ». Le second argument, c'est que cette décision est « brutale » et d'une « ampleur qui est en tout cas inédite ».

L'enjeu de l'Europe porte sur un montant énorme de nos exportations vers les États-Unis : « Sur les 500 milliards que les Européens exportent vers les États-Unis d'Amérique, à date, nous avons une visibilité sur plus de 70% qui seront touchés par les tarifs, mais ceci, c'est en attente de ce qui est à confirmer, puisqu’on va avoir 20% de tarifs pour tous les secteurs, sauf l’aluminium, l’acier, l’automobile, qui sont déjà à 25%, la pharmacie, le bois et les semi-conducteurs sur lesquels les annonces vont suivre, mais qui seront vraisemblablement au moins à 25%. Donc, on le voit bien, c'est un impact massif qui va toucher tous les secteurs de l'économie et de l'export européen, avec un enjeu pour la France qui est plus limité que pour certains autres pays, bien qu’il soit là et qui, pour certaines filières, va être massif. ». Emmanuel Macron parlait de "tarifs" en reprenant le mot américain pour "droits" de douane ou "taxes" de douane.

Le Président de la République a précisé l'impact économique sur la France, moins touchée que ses partenaires européens : « Pour nous, c'est 1,5% de notre PIB qui représente les exportations vers les États-Unis. Pour l'Italie, c'est plus de 3% de son PIB. L'Allemagne, 4%, l'Irlande, 10%. Donc il y a des pays qui sont encore plus exposés que nous, mais ce n'est pas peu de choses. Surtout, nous aurons à prendre en compte, évidemment, les conséquences indirectes de ces mouvements. Parce que les tarifs sont massifs sur la Chine, l'Inde et plus généralement l'Asie du Sud-Est. Ce qui va créer des risques de potentiel déport de certains de ces produits et biens, qui va impacter très clairement nos économies et l'équilibre de certaines filières et de nos marchés. ».

La catastrophe est d'abord pour les États-Unis : « Le caractère négatif est avant tout pour l'économie américaine. Et une chose est sûre, avec les décisions de cette nuit, l'économie américaine et les Américains, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens, sortiront plus faibles qu'hier et plus pauvres. Et je pense qu'il faut le marteler. Et nous, il faut tenir (…) parce que ces décisions, elles ne sont pas soutenables pour l'économie américaine elle-même. L'impact sur l'économie américaine est immédiat, là où il va mettre plusieurs années à être tangible dans les économies européennes. Mais surtout, il est bien plus massif sur les premières analyses, autour de deux points de PIB. ».

En d'autres termes, Emmanuel Macron a proposé que l'Europe s'organise autrement pour ne pas être trop impactée par ces mesures douanières. Il faut donc « nous organiser, c'est-à-dire être à la fois réactifs, unis et organisés. C'est au fond cela dont il s'agit. La réponse doit venir de l'Europe. ».
 


Ainsi, l'hôte de l'Élysée a envisagé la riposte européenne qui a été réfléchie (donc pas immédiate) et mesurée (toute surenchère se ferait sur le dos des consommateurs européens) : « En termes de méthode, la riposte européenne se fera en deux étapes, parce que riposte, il y aura, de manière claire. Je le dis pour que ce soit clair pour tout le monde. La première riposte aura lieu mi-avril. Elle portera sur les taxes déjà décidées, en particulier sur acier et aluminium. Et les difficultés qui avaient pu apparaître sur des premières listes ont pu être corrigées. Les réponses qui arriveront dans les jours qui viennent seront des réponses qui sont sur le premier paquet : acier, aluminium. La deuxième réponse, plus massive, celle aux tarifs annoncés hier, se fera à la fin du mois, après une étude précise, secteur par secteur, et un travail avec l'ensemble des États membres et, évidemment, des filières économiques. ». C'est ce qui s'est passé lorsque la riposte européenne a été annoncée le 9 avril 2025 (quelques heures avant la vote-face de Donald Trump).

D'où la demande du chef de l'État aux chefs d'entreprise d'agir en Européens : « Je vous demande aussi de bien vouloir vous coordonner avec vos homologues européens pour faire remonter un travail unifié, fort et résolument européen. Et je pense qu'il est très important d'être très clair, nous, filière par filière, mais de tout de suite essayer de jouer européen pour pas qu'il y ait, si je puis dire, d'échappée solitaire. Au fond, nous avons besoin, dans cette phase, de rester unis et d'être déterminés. Et je le dis aussi parce que je sais ce qui va se passer, les plus gros auront tendance à jouer solo. Et ce n'est pas une bonne idée. Si la réponse aux tarifs qui viennent d'être remis par l'administration américaine, c'est de faire des concessions immédiates ou d'annoncer des investissements pour pouvoir négocier des exemptions, c'est une très mauvaise idée. Parce que nous avons une force. C'est un marché de 450 millions d'habitants. C'est ça, l'Europe. L'Union Européenne, c'est 450 millions de consommateurs. C'est plus que le marché américain. Et donc si les Européens jouent groupés, c'est-à-dire préparent la réponse, qu'elle est unifiée, qu'elle est proportionnée, mais qu'elle est réelle, et que derrière, toutes les filières jouent de manière cohérente avec une vraie solidarité de filières, à ce moment-là, nous saurons avoir ce qui doit être notre objectif, qui est le démantèlement des tarifs. L'objectif, c'est évidemment qu'on apporte une réponse mais avec un terme à tout cela. Nous devons montrer que c’est par la négociation qu’on arrivera évidemment à démonter les tarifs qui ont été annoncés ces dernières semaines et en particulier ces dernières heures, et que nous, on démonte les nôtres. ».

Le chemin est étroit pour l'Europe. Sa réaction doit être mesurée, mais elle ne doit pas être naïve : « Nous sommes dans la vertu du commerce. Mais simplement, on n'est pas naïfs, donc on va se protéger. Mais j'insiste sur l'importance de la réactivité, de bien préparer la réponse filière par filière et d'être unis, et surtout qu'il y ait une solidarité dans chaque filière. Donc je pense que ce qui est important, et c'est tout le travail qu'il faut faire par filière, c’est que les investissements à venir ou que les investissements annoncés ces dernières semaines, soient un temps, suspendus, tant qu'on n'a pas clarifié les choses avec les États-Unis d'Amérique. Parce que quel serait le message d'avoir des grands acteurs européens qui se mettent à investir des milliards d'euros dans l'économie américaine au moment où ils sont en train de nous taper. Donc il faut qu'on ait de la solidarité collective. ».
 


En substance, avec la décision de Donald Trump, Emmanuel Macron a repris une formule qu'avait employée très longtemps auparavant Laurent Fabius pour évoquer le FN : un parti qui pose de bonnes questions mais qui ne donne pas les bonnes réponses. Ici, dans la mondialisation, le problème est réel mais les solutions à apporter inappropriées : « Il y a trop de désindustrialisations en Occident. La réponse, ce n'est pas de mettre des tarifs et de casser le commerce international, c'est d'être plus productifs en Occident. Et donc, nous devons travailler dans le même temps au niveau français et européen à accélérer nos programmes d'investissement, de réindustrialisation, nos simplifications, que beaucoup d'entre vous portent, française et européenne, et au fond, un agenda de simplification, de compétitivité, de réindustrialisation. Cette réponse, elle est essentielle dans la période, il faut l'accélérer. ».

Autre point, l'indépendance économique passe aussi par la décarbonation de l'économie française et européenne :
« Je rappelle que quand on regarde notre commerce extérieur, son déficit, ses déséquilibres, il est aux deux tiers conduit par notre dépendance à des hydrocarbures et du fossile que nous ne produisons pas, mais que nous consommons. Donc tout l'agenda de décarbonation qu'on a enclenché, sur lequel on investit, est bon parce qu'il réduit la facture et la dépendance. ».


Il faut aussi préserver des barrières commerciales pour les véhicules électriques : « On l'a commencé sur les véhicules électriques chinois, et on assume. On en paye d'ailleurs les conséquences, nous, Français, parce que parfois on avait été identifiés comme les plus cohérents, donc ceux qui étions les plus vocaux. Mais je vais être clair, on ne peut pas demander à nos industriels de faire des transitions, ce que vous faites toutes et tous, et ne pas les protéger et en quelque sorte laisser de la concurrence déloyale s'installer. ».

Les taux élevés des taxes douanières américaines pour l'Asie auront aussi des conséquences secondaires importantes sur l'Europe : « Sur beaucoup de secteurs, on va être confrontés, je le disais il y a un instant, à des surcapacités sud-asiatiques qui, au fond, voyant enfermer le marché américain, en tout cas en prenant pour certains 30 à 40 % de tarifs, vont rediriger leur flux vers l'Europe. Ce n'est pas forcément quelque chose qu'on voit tout de suite sur lequel on est en train de se préparer, mais enfin, ce sont des mécanismes qui vont avoir sur certaines de nos filières, dans l'agroalimentaire, dans les services, des conséquences qui peuvent être massives. ».
 


En conclusion, Emmanuel Macron a résumé l'objectif et la méthode de la riposte européenne : « Rien n'est exclu. Et donc tous les instruments sont sur la table : des réponses tarifaires pour faire face, l'activation de mécanismes qui sont à notre main, comme le mécanisme anti-coercition, la possibilité d'avoir des réponses sur les services numériques, où les États-Unis sont extrêmement bénéficiaires sur l'Europe, la possibilité de regarder aussi les mécanismes de financement de l'économie américaine. Il ne faut rien exclure à court terme, il faut faire ce qui est le plus efficace, le plus proportionné, mais qui en tout cas marque très clairement que nous sommes décidés à ne pas laisser faire, à ne pas avoir des filières qui sont victimes de ces tarifs et donc, à nous défendre et nous protéger. ».

Cette étape a été en partie réussie puisque, après l'annonce de la riposte européenne, Donald Trump a finalement repoussé de 90 jours la mise en application de ses tarifs douaniers, en estimant que la réaction européenne a été intelligente (ce qui, de la bouche de Donald Trump, n'est peut-être pas fait pour rassurer). Fermeté et subtilité, les Européens ont marché sur des œufs, car l'idée est aussi de ne pas plomber les Européens eux-mêmes. Dans ce dossier, Emmanuel Macron a eu une part d'initiative non négligeable, ce qui fait honneur à la France. Ce n'est peut-être pas un hasard si sa cote de popularité remonte progressivement. Le bon travail est toujours reconnu un jour ou l'autre.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron sur le front du commerce international.
Discours du Président Emmanuel Macron sur les taxes douanières américaines le 3 avril 2025 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
Elon Musk.
La révolution économique de Donald Trump ?
Donald Trump, gros pêcheur devant l'Éternel !
Grippe aviaire : désastre sanitaire mondial en perspective ?
Gene Hackman.
Claude Malhuret s'en prend à Néron et à son bouffon !
Ukraine : Trump, porte-parole de Poutine !
Trump II : de justiciable à justicier !
Canada, Groenland, Panama : Donald Trump est-il fou ou cynique ?
Attentat à La Nouvelle-Orléans : les États-Unis durement endeuillés.
Jimmy Carter, patriarche de l'humanitaire.
Shirley Chisholm.
Katalin Kariko et Drew Weissman.
Rosalynn Carter.
Walter Mondale.
Marathonman.
Bob Kennedy.


 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250403-macron.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/emmanuel-macron-sur-le-front-du-260304

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/04/article-sr-20250403-macron.html





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4 avril 2025 5 04 /04 /avril /2025 04:24

« Les annonces de la nuit dernière du Président Trump (…) sont un choc pour le commerce international, pas simplement pour l'Union Européenne, la France, mais pour le bon fonctionnement du commerce. Ceci implique évidemment une mobilisation française et européenne. » (Emmanuel Macron, le 3 avril 2025 à l'Élysée).




 


Non, ce n'est pas un poisson d'avril. Deux sentiments vertigineux m'ont habité quand j'ai écouté le Président des États-Unis Donald Trump faire sa conférence de presse le mercredi 2 avril 2025 à 22 heures (heure de Paris) dans le jardin de la Maison-Blanche, à Washington.

Prévue depuis quelques jours, sa déclaration avait pour but d'annoncer les nouvelles surtaxes douanières que le gouvernement américain entendait imposer aux pays étrangers, près de 200 pays étrangers ou territoires étrangers, jusque dans les Îles Heard-et-MacDonald, taxées à 10%, où il ne doit y avoir que des manchots (depuis lors, un message circule sur Twitter montrant une colonie de manchots sur la banquise avec cette légende : « Énorme vague de protestation depuis ce matin sur les Îles Heard-et-MacDonald » !). Même Saint-Pierre-et-Miquelon est impacté.


Le premier sentiment, c'est la folie. La folie de l'obsession trumpienne. C'est de prendre des décisions complètement folles, loufoques, démentes, inappropriées, fantasques... On se rappelle la réaction stupide de Donald Trump lorsqu'il s'est aperçu que le Président russe Vladimir Poutine se moquait de lui en prétendant vouloir la paix en Ukraine tout en continuant à bombarder massivement le peuple ukrainien. Sa réaction, ce n'était pas augmenter par exemple l'aide militaire américaine aux Ukrainiens, mais... de dégainer son revoler commercial et d'augmenter des droits de douanes à la Russie, comme si cette mesure allait dissuader l'autocrate du Kremlin dans ses basses besognes !
 


Donald Trump ne jure que par les droits de douane, et on ne pourra pas lui reprocher une certaine constance qui s'apparente même à de l'obsession. Déjà dans les années 1980, il payait des encarts dans les quotidiens américains les plus lus pour faire sa publicité et protester contre les économies étrangères qui envahissaient le marché américain.

La folie est à tous les étages : sur le principe même, mais aussi sur les applications. Ainsi, l'Union Européenne se voit affecter de 20% de surtaxes douanières (taxes, tarifs, droits de douane, on choisira le mot qu'on voudra, en français ou en english, ou entre les deux, mais taxes me paraît le plus approprié car il s'agit bien d'un impôt).

Pourquoi 20% ? Parce que Donald Trump a calculé que les tarifs douaniers européens pour les produits américains importés en Europe seraient de... 39% ! Ne cherchez surtout pas à connaître la méthode de calcul, elle risquerait de faire mal à votre santé cardiaque ! (ou mentale !). C'est une sorte de mélange douteux (d'amalgame, pour parler comme un dentiste) prenant en compte la TVA (!!!!!!), les frais de propriétés intellectuelles, etc. qui n'ont aucun rapport les uns avec les autres. Cela ressemble au sorcier Gargamel qui tente de faire sa potion magique avec de la graine de salsepareille et de la bave de crapaud. Pourquoi 34% pour la Chine ? Parce que le rapport entre les exportations chinoises sur les importations chinoises, cela donne un rapport 0,67 et Donald Trump, comme pour les Européens, est généreux et magnanime et a mis une décote de 50%, d'où les 34%.

Les pays asiatiques sont très durement touchés, en particulier le Japon, et les pays du Sud-Est asiatique, mais aussi d'autres pays, dont certains parmi les plus pauvres, comme Madagascar, très taxé simplement parce qu'il exporte sa vanille (ce qui montre à quel point la méthode de calcul est stupide).

Cette folie est palpable au cœur du système américain depuis trois mois. Il suffit de voir la manière dont Elon Musk a fait un meeting à Green Bay, dans le Wisconsin. Il avait un chapeau-gruyère sur la tête (ne me demandez pas pourquoi), il l'a retiré à son arrivée sur l'estrade, l'a dédicacé et envoyé en l'air comme le bouquet de la mariée pour un bienheureux qui pourra commencer sa collection de fétichisme muskien.
 


Du reste, ce meeting, c'était un soutien pour l'élection d'un juge à la cour suprême de l'État du Wisconsin, pour lequel il a dépensé 25 millions de dollars (et donné deux ou trois chèques de 1 million de dollars à des heureux militants républicains). Cela n'a pas fonctionné puisque c'est la candidate démocrate Susan Crawford qui a été élue, pétillante de joie, et élue haut la main puisqu'elle a eu le 3 avril 2025 une avance de 10 points sur son concurrent républicano-muskien manifestement incompétent si l'on en juge par ses déclarations de campagne. L'État du Wisconsin est crucial puisqu'il fait partie des "String States" qui peuvent faire basculer les résultats des élections présidentielles.

Cette folie, c'est que c'est une véritable révolution économique mondiale que vient de provoquer Donald Trump dans sa mégalomanie monomaniaque. Assurément, même s'il négociait et revenait plus tard sur certains taux, la date du 2 avril 2025 resterait dans les livres d'histoire dans les décennies prochaines comme une décision singulière, historique, tant sur l'économie mondiale que sur l'histoire politique des États-Unis. Un jour noir pour l'économie mondiale, comme le 24 octobre 1929 ou le 15 septembre 2008.

Et c'est là que j'ai ce second sentiment, celui du crash de la Germanwings, celui de voir un pilote (et pas copilote) de l'avion USA qui est en train de mener son avion au crash avec tout le peuple américain dans l'habitacle à cause de ses lubies suicidaires de Donald Trump. Et bien plus que le peuple américain, d'ailleurs.

 


Car il s'agit d'un véritable suicide des États-Unis. Le secrétaire au commerce fanfaronnait à la suite des déclarations de Donald Trump en disant que l'État américain pourrait recouvrer 600 milliards de dollars avec ces surtaxes douanières, mais il oublie de dire que ces taxes seront payées par les consommateurs américains et les entreprises américaines. Ces 600 milliards seront donc une saignée terrible dans l'économie américaine, en plus d'être une saignée dans l'économie mondiale (par la perte de certains marchés). Pour des doctrinaires qui ne supportent pas les impôts, ce sera ici une imposition massive. Ils ne sont pas à une contradiction près !

Suicide et révolution. J'ai toujours pensé que les révolutions étaient intrinsèquement suicidaires car c'est toujours trop brutal pour des évolutions de société qui sont fragile et ont besoin de douceur pour se transformer.

Donald Trump est fort en ce sens qu'il revient à ...avant 1776, c'est-à-dire, avant la publication du fameux essai d'économie du Britannique Adam Smith "Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations". Et l'une des brillantes démonstrations avait trait au fait que c'est dans les échanges économiques entre les nations que celles-ci s'enrichissaient. Ce principe de mondialisation des échanges est l'un des points essentiels du libéralisme économique. Cela a permis à l'Europe une relative prospérité depuis 1945 (je dis bien relative car tout n'est pas parfait, mais il suffit de comparer avec d'autres régions du monde). L'idée générale est que les nations doivent produire leurs spécialités, ce pour quoi elles sont les meilleures, et acheter chez les autres les autres produits.

Ce principe de mondialisation a eu bien sûr des côtés pervers, comme les délocalisations massives des lieux de production au point de s'apercevoir un peu tardivement que les souverainetés pourraient être bafouées (alimentaire, médicale, militaire, énergétique, etc.).
 


Pourquoi Donald Trump a-t-il pris une telle décision ? Il pense que s'il y a trop de taxe, les produits importés ne se vendront pas et cela favorisera l'industrie américaine. Il peut en partie réussir puisqu'il négocie actuellement l'accueil aux États-Unis d'entreprises étrangères (qui ne se verront ainsi pas taxées). Mais c'est oublier de comprendre que certains produits importés ne sont de toute façon pas produits aux États-Unis et que cela va désorganiser complètement les filières industrielles.

L'exemple de l'industrie automobile est éloquent. En Europe, personne ne veut des grosses bagnoles américaines qui consomment beaucoup et les Américains ne sont pas en capacité de produire des petites automobiles économiques. Les surtaxes changeront donc peu ces enjeux qui sont des enjeux industriels et pas des enjeux fiscaux. De plus, l'industrie automobile américaine en particulier, mais elle n'est pas la seule, a besoin de composants qu'elle importe, si bien que mêmes les produits américains vont être durement impactés par cette décision protectionniste. Une fois la globalisation économique en progression, tout retour en arrière semble économiquement suicidaire.
 


Un retour au XVIIIe siècle, ou simplement au début du XXe siècle, car Donald Trump ne raisonne qu'avec l'ancienne économie, en ne prenant pas (volontairement) en compte la nouvelle économie. Ainsi, grosso modo, la balance commerciale des États-Unis est en effet déficitaire, mais pas autant que veut le faire croire Donald Trump. Sur les biens manufacturés, il y a en effet autour de 200 milliards de dollars de déficit, mais sur les services, au contraire, il y a autour de 150 milliards de dollars d'excédent, et on sait bien sûr que l'économie numérique y a une place privilégiée, ce ne sont pas les GAFAM qui diront le contraire.

La réaction des autres pays sera essentielle. Si l'on croit qu'il suffit de montrer un rapport de force pour négocier et réduire les taxes voulues par Donald Trump, c'est une erreur. En jouant la surenchère, on accélère le crash mondial. Ce n'est l'intérêt de personne. Donald Trump en est bien conscient et, en bon joueur de poker, a dit aux autres pays qu'ils devraient se soumettre, accepter de payer ces taxes sans mesure de rétorsion car sinon, il pourrait encore augmenter les taxes (rappelons encore une fois que ce n'est pas le pays exportateur qui paie les taxes douanières mais les consommateurs du pays importateur !).
 


Dans l'Union Européenne, la France sera bien sûr impactée, notamment dans le secteur aéronautique, mais beaucoup moins que d'autres, moins que les Allemands dont l'industrie automobile était dans le collimateur de Donald Trump depuis longtemps. Les Européens ne souhaitent pas faire payer les consommateurs européens des frasques trumpiennes. Ainsi, ils cherchent des mesures qui permettraient l'efficacité sans une politique de la terre brûlée. C'est pourquoi l'idée de surtaxer les GAFAM et autres entreprises de service numérique revient à l'ordre du jour des Européens. Le coup de pied trumpien dans le commerce international est une occasion supplémentaire de renforcer les coopérations européennes.

Le Président français Emmanuel Macron a réagi rapidement en réunissant, ce jeudi 3 avril 2025 à l'Élysée, les filières impactées par les annonces de Donald Trump et en déclarant : « Pour nous [Français], c'est 1,5% de notre PIB qui représente les exportations vers les États-Unis. Pour l'Italie, c'est plus de 3% de son PIB. L'Allemagne, 4%, l'Irlande, 10%. Donc il y a des pays qui sont encore plus exposés que nous, mais ce n'est pas peu de choses. Surtout, nous aurons à prendre en compte, évidemment, les conséquences indirectes de ces mouvements. Parce que les tarifs sont massifs sur la Chine, l'Inde et plus généralement l'Asie du Sud-Est. Ce qui va créer des risques de potentiel déport de certains de ces produits et biens, qui va impacter très clairement nos économies et l'équilibre de certaines filières et de nos marchés. Donc, au total, on le voit bien, c'est une ampleur qui est en tout cas inédite. Mais ce sur quoi je veux insister au début de cette réunion, c'est que l'ampleur, et le caractère négatif est avant tout pour l'économie américaine. Et une chose est sûre, avec les décisions de cette nuit, l'économie américaine et les Américains, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens, sortiront plus faibles qu'hier et plus pauvres. Et je pense qu'il faut le marteler. Et nous, il faut tenir, je vais y revenir, parce que ces décisions, elles ne sont pas soutenables pour l'économie américaine elle-même. ».
 


Enfin, il y a un autre élément à prendre en considération : Donald Trump n'a pas le droit de décider seul des taxes douanières. En effet, Donald Trump s’appuie sur une loi de 1977, l’IEEPA (International Emergency Economic Powers Act), qui accorde des pouvoirs élargis au Président pour réglementer le commerce en cas de situation d’urgence nationale. Sauf à prouver que les États-Unis sont en situation d’urgence, c’est le Congrès qui devrait être compétent dans ce domaine, et ce n'est pas sûr que, même républicains, les parlementaires le suivent. La déclaration du 2 avril 2025, c'est aussi le dépouillement démocratique de l'une des plus grandes démocraties du monde.

La conclusion ? Il n'y en a pas. Du moins, pas encore. Est-ce seulement du bluff et reviendra-t-il sur ces décisions ? C'est peu probable. Car ce serait deux centaines de négociations qu'il faudrait mener. Les États-Unis se sont simplement ultra-isolés. Les bourses se sont effondrées à cette annonce du 2 avril 2025. Il va falloir attendre que les économistes aient (pour une fois) raison. Ce sera peut-être la plus éclatante leçon d'économie que nous aurons à recevoir dans les mois et les années à venir. Mais certainement à notre détriment : récession, chômage, endettement, appauvrissement généralisé... Le choc économique sera dur, et en particulier pour le peuple américain. Personne n'a jamais osé faire de démonstration par l'absurde que le protectionnisme nuisait nécessairement à la prospérité des pays. Nous y sommes. Et à l'échelle mondiale.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La révolution économique de Donald Trump ?
Donald Trump, gros pêcheur devant l'Éternel !
Grippe aviaire : désastre sanitaire mondial en perspective ?
Gene Hackman.
Claude Malhuret s'en prend à Néron et à son bouffon !
Ukraine : Trump, porte-parole de Poutine !
Trump II : de justiciable à justicier !
Canada, Groenland, Panama : Donald Trump est-il fou ou cynique ?
Attentat à La Nouvelle-Orléans : les États-Unis durement endeuillés.
Jimmy Carter, patriarche de l'humanitaire.
Shirley Chisholm.
Katalin Kariko et Drew Weissman.
Rosalynn Carter.
Walter Mondale.
Marathonman.
Bob Kennedy.











 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250402-trump.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-revolution-economique-de-donald-260303

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/03/article-sr-20250402-trump.html


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3 avril 2025 4 03 /04 /avril /2025 17:03

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Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250403-macron.html










DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EMMANUEL MACRON
LE JEUDI 3 AVRIL 2025 À L'ÉLYSÉE (PARIS)



3 avril 2025
Propos liminaire du Président de la République à l’occasion de la réunion avec les représentants des filières impactées par les mesures tarifaires annoncées par les États-Unis



Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,

Merci de votre présence et de vous être rendus disponibles si rapidement. Je souhaite, avec le Premier Ministre et les membres du gouvernement ici présents, et avec le Vice-Président de la Commission Européenne vous indiquer qu'il était important que nous puissions nous retrouver le plus rapidement possible après les annonces de la nuit dernière du Président Trump qui sont un choc pour le commerce international, pas simplement pour l'Union Européenne, la France, mais pour le bon fonctionnement du commerce.

Ceci implique évidemment une mobilisation française et européenne.

Je le dis ici, mobilisation pour l'ensemble de nos territoires, d'abord, parce que la liste qui est sortie hier soir est inquiétante pour plusieurs de nos territoires ultramarins, et elle supposera une mobilisation toute particulière du Gouvernement et du monde économique pour être aux côtés. Je pense à La Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui ont fait l'objet de tarifs exorbitants.

Évidemment, pour beaucoup de filières qui sont présentes autour de cette table et que vous représentez, certaines d'entre elles étant d'ailleurs déjà touchées par des mesures de représailles commerciales par la Chine. Je pense au Cognac et Armagnac et largement la viticulture et la viniculture qui sont particulièrement touchées et que nous continuons d'accompagner. Le voyage récent du Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a permis d'ouvrir, je fais cette parenthèse, quelques premières voies.

En tout cas, je veux ici dire très clairement pour les entrepreneurs et l'ensemble des salariés de ces secteurs que nous serons à leurs côtés pour apporter des réponses concrètes. Je vais y revenir.

La décision qui a été annoncée cette nuit est une décision brutale et infondée.

Elle est infondée parce qu'on ne corrige pas des déséquilibres commerciaux en mettant des tarifs. Et les bases de la théorie économique montrent le contraire, surtout quand les déséquilibres ne prennent pas en compte les services numériques, pour ne citer qu'eux. Au fond, cette décision va toucher tous les secteurs pour nos économies.

Sur les 500 milliards que les Européens exportent vers les États-Unis d'Amérique, à date, nous avons une visibilité sur plus de 70% qui seront touchés par les tarifs, mais ceci, c'est en attente de ce qui est à confirmer, puisqu’on va avoir 20% de tarifs pour tous les secteurs, sauf l’aluminium, l’acier, l’automobile, qui sont déjà à 25%, la pharmacie, le bois et les semi-conducteurs sur lesquels les annonces vont suivre, mais qui seront vraisemblablement au moins à 25%. Donc, on le voit bien, c'est un impact massif qui va toucher tous les secteurs de l'économie et de l'export européen, avec un enjeu pour la France qui est plus limité que pour certains autres pays, bien qu’il soit là et qui, pour certaines filières, va être massif.

Pour nous, c'est 1,5% de notre PIB qui représente les exportations vers les États-Unis. Pour l'Italie, c'est plus de 3% de son PIB. L'Allemagne, 4%, l'Irlande, 10%. Donc il y a des pays qui sont encore plus exposés que nous, mais ce n'est pas peu de choses. Surtout, nous aurons à prendre en compte, évidemment, les conséquences indirectes de ces mouvements. Parce que les tarifs sont massifs sur la Chine, l'Inde et plus généralement l'Asie du Sud-Est. Ce qui va créer des risques de potentiel déport de certains de ces produits et biens, qui va impacter très clairement nos économies et l'équilibre de certaines filières et de nos marchés.

Donc, au total, on le voit bien, c'est une ampleur qui est en tout cas inédite.

Mais ce sur quoi je veux insister au début de cette réunion, c'est que l'ampleur, et le caractère négatif est avant tout pour l'économie américaine. Et une chose est sûre, avec les décisions de cette nuit, l'économie américaine et les Américains, qu'il s'agisse des entreprises ou des citoyens, sortiront plus faibles qu'hier et plus pauvres. Et je pense qu'il faut le marteler. Et nous, il faut tenir, je vais y revenir, parce que ces décisions, elles ne sont pas soutenables pour l'économie américaine elle-même.

L'impact sur l'économie américaine est immédiat, là où il va mettre plusieurs années à être tangible dans les économies européennes. Mais surtout, il est bien plus massif sur les premières analyses, autour de deux points de PIB. Et donc, on voit bien que ce n'est pas soutenable si nous savons nous organiser, c'est-à-dire être à la fois réactifs, unis et organisés. C'est au fond cela dont il s'agit. La réponse doit venir de l'Europe.

J'étais à l'instant avec la Présidente Von der Leyen, qui est en Ouzbékistan, pour les discussions entre la sous-région et l'Union Européenne. Très clairement, elle est en train de concerter la réponse des Européens, puisque c'est une compétence de la Commission, pour à la fois répondre à ces vagues tarifaires, et puis prendre en compte les conséquences indirectes que j'évoquais.

En termes de méthode, la riposte européenne se fera en deux étapes, parce que riposte, il y aura, de manière claire. Je le dis pour que ce soit clair pour tout le monde.

La première riposte aura lieu mi-avril. Elle portera sur les taxes déjà décidées, en particulier sur acier et aluminium. Et les difficultés qui avaient pu apparaître sur des premières listes ont pu être corrigées. Les réponses qui arriveront dans les jours qui viennent seront des réponses qui sont sur le premier paquet : acier, aluminium.

La deuxième réponse, plus massive, celle aux tarifs annoncés hier, se fera à la fin du mois, après une étude précise, secteur par secteur, et un travail avec l'ensemble des États membres et, évidemment, des filières économiques. Alors là aussi, et pour cela, c'est ce que je voulais qu'on commence à organiser à l'échelle de la France, on a besoin de vous.

D'abord, je vous invite à faire remonter au niveau européen, en lien avec le Ministère de l'Économie et vos différents ministères sectoriels, avec le Ministère du Commerce extérieur, toutes vos demandes et recommandations éventuelles. Et c'est important de pouvoir relayer tout de suite en temps réel. Je vous demande aussi de bien vouloir vous coordonner avec vos homologues européens pour faire remonter un travail unifié, fort et résolument européen. Et je pense qu'il est très important d'être très clair, nous, filière par filière, mais de tout de suite essayer de jouer européen pour pas qu'il y ait, si je puis dire, d'échappée solitaire.

Au fond, nous avons besoin, dans cette phase, de rester unis et d'être déterminés. Et je le dis aussi parce que je sais ce qui va se passer, les plus gros auront tendance à jouer solo. Et ce n'est pas une bonne idée. Si la réponse aux tarifs qui viennent d'être remis par l'administration américaine, c'est de faire des concessions immédiates ou d'annoncer des investissements pour pouvoir négocier des exemptions, c'est une très mauvaise idée. Parce que nous avons une force. C'est un marché de 450 millions d'habitants. C'est ça, l'Europe. L'Union Européenne, c'est 450 millions de consommateurs. C'est plus que le marché américain. Et donc si les Européens jouent groupés, c'est-à-dire préparent la réponse, qu'elle est unifiée, qu'elle est proportionnée, mais qu'elle est réelle, et que derrière, toutes les filières jouent de manière cohérente avec une vraie solidarité de filières, à ce moment-là, nous saurons avoir ce qui doit être notre objectif, qui est le démantèlement des tarifs.

L'objectif, c'est évidemment qu'on apporte une réponse mais avec un terme à tout cela. Nous devons montrer que c’est par la négociation qu’on arrivera évidemment à démonter les tarifs qui ont été annoncés ces dernières semaines et en particulier ces dernières heures, et que nous, on démonte les nôtres. Nous sommes dans la vertu du commerce. Mais simplement, on n'est pas naïfs, donc on va se protéger. Mais j'insiste sur l'importance de la réactivité, de bien préparer la réponse filière par filière et d'être unis, et surtout qu'il y ait une solidarité dans chaque filière. Donc je pense que ce qui est important, et c'est tout le travail qu'il faut faire par filière, c’est que les investissements à venir ou que les investissements annoncés ces dernières semaines, soient un temps, suspendus, tant qu'on n'a pas clarifié les choses avec les États-Unis d'Amérique. Parce que quel serait le message d'avoir des grands acteurs européens qui se mettent à investir des milliards d'euros dans l'économie américaine au moment où ils sont en train de nous taper. Donc il faut qu'on ait de la solidarité collective. Au-delà de cela, je veux qu'on puisse avancer tous ensemble sur un agenda.

Première chose, c'est qu'au fond, le constat américain est un bon constat, la réponse est mauvaise. Mais nous faisons le même constat. Il y a trop de désindustrialisations en Occident. La réponse, ce n'est pas de mettre des tarifs et de casser le commerce international, c'est d'être plus productifs en Occident. Et donc, nous devons travailler dans le même temps au niveau français et européen à accélérer nos programmes d'investissement, de réindustrialisation, nos simplifications, que beaucoup d'entre vous portent, française et européenne, et au fond, un agenda de simplification, de compétitivité, de réindustrialisation. Cette réponse, elle est essentielle dans la période, il faut l'accélérer. Au niveau français et européen, ça fait partie du travail que je veux qu'on conduise ensemble.

Ensuite, on doit assumer aussi l'agenda de décarbonation parce que c'est un levier d'indépendance. Je rappelle que quand on regarde notre commerce extérieur, son déficit, ses déséquilibres, il est aux deux tiers conduit par notre dépendance à des hydrocarbures et du fossile que nous ne produisons pas, mais que nous consommons. Donc tout l'agenda de décarbonation qu'on a enclenché, sur lequel on investit, est bon parce qu'il réduit la facture et la dépendance.

Troisièmement, on doit continuer d'accélérer au niveau européen sur aussi un agenda de protection commerciale. On l'a commencé sur les véhicules électriques chinois, et on assume. On en paye d'ailleurs les conséquences, nous, Français, parce que parfois on avait été identifiés comme les plus cohérents, donc ceux qui étions les plus vocaux. Mais je vais être clair, on ne peut pas demander à nos industriels de faire des transitions, ce que vous faites toutes et tous, et ne pas les protéger et en quelque sorte laisser de la concurrence déloyale s'installer.

Donc, on doit avoir un agenda de concurrence loyale. Nous, on n'est pas pour les tarifs arbitraires, mais on est pour la concurrence loyale, ce qui veut dire qu'on doit continuer d’avancer sur le juste contenu européen et des mécanismes de protection de nos secteurs industriels quand ils sont exposés à de la concurrence déloyale. C'est ce que nous traiterons, entre autres, à l'occasion du Conseil présidentiel du commerce extérieur le 13 mai prochain. C'est aussi ce qui continuera d'alimenter les travaux que nous aurons à bâtir.

Puis je souhaite qu'avec vous, on puisse porter aussi des initiatives sectorielles au niveau européen sur cet agenda, parce que c'est secteur par secteur qu'il va falloir analyser les conséquences, en particulier indirectes, de ce qui vient de se passer. Sur beaucoup de secteurs, on va être confrontés, je le disais il y a un instant, à des surcapacités sud-asiatiques qui, au fond, voyant enfermer le marché américain, en tout cas en prenant pour certains 30 à 40% de tarifs, vont rediriger leur flux vers l'Europe. Ce n'est pas forcément quelque chose qu'on voit tout de suite sur lequel on est en train de se préparer, mais enfin, ce sont des mécanismes qui vont avoir sur certaines de nos filières, dans l'agroalimentaire, dans les services, des conséquences qui peuvent être massives. Et donc ça, je souhaite qu'on puisse le préparer avec vous.

Enfin, le but de la discussion d'aujourd'hui, c'est d'avoir un premier échange. Tout ça va être ensuite travaillé très étroitement pour préparer cette réponse européenne. Comme l'a dit la Présidente de la Commission Européenne et le Vice-Président ici présent, rien n'est exclu. Et donc tous les instruments sont sur la table : des réponses tarifaires pour faire face, l'activation de mécanismes qui sont à notre main, comme le mécanisme anti-coercition, la possibilité d'avoir des réponses sur les services numériques, où les États-Unis sont extrêmement bénéficiaires sur l'Europe, la possibilité de regarder aussi les mécanismes de financement de l'économie américaine. Il ne faut rien exclure à court terme, il faut faire ce qui est le plus efficace, le plus proportionné, mais qui en tout cas marque très clairement que nous sommes décidés à ne pas laisser faire, à ne pas avoir des filières qui sont victimes de ces tarifs et donc, à nous défendre et nous protéger.

Voilà ce qui nourrit aujourd'hui nos réflexions après quelques heures et le travail que nous avons lancé avec le Premier ministre, les membres du gouvernement ici présents, en lien très étroit avec la Commission Européenne, dont je le rappelle, c'est la compétence.

Je ne serai pas plus long, je vais maintenant proposer qu'il y ait peut-être une expression du Premier Ministre s'il a des choses à rajouter, et du commissaire, qu'on ait ensuite peut-être l'expression de toutes celles et ceux qui veulent ici porter des points particuliers et qu'ensuite les ministres puissent revenir sur chacun de ces points.

Merci.

Emmanuel Macron, le jeudi 3 avril 2025 à Paris.


Source : elysee.fr
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20250403-discours-macron.html





 

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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 03:16

« Familier des métaphores, infatigable inventeur de mots et de sigles, qu’il appelait lui-même "gattazismes, gattazeries et gattazinades", ce premier créateur d’entreprise à être entré à l’Académie des sciences morales et politiques surnommait la mort "EDF", comme "extinction des feux". Jusqu’au bout, celui qui se flattait de s’éloigner de plus en plus d’une retraite qu’il n’avait jamais prise, a déployé une énergie sans limites. » (Michel Noblecourt, le 12 décembre 2024 dans "Le Monde").



 


Vite et bien, c'était sa devise d'entrepreneur. L'ancien patron des patrons Yvon Gattaz vient de mourir ce jeudi 12 décembre 2024 à l'âge de 99 ans (il allait avoir 100 ans le 17 juin prochain). Il y a quelques années, j'avais évoqué cette grande figure de l'industrie française.

Major de l'École centrale, après quelques années comme ingénieur, il a créé en juin 1952 avec son frère Lucien (lui aussi ingénieur) une entreprise qui a eu un grand succès dans l'électronique, Radiall, basée en Isère (à Voreppe). Il en est resté le patron jusqu'en 1993. Membre du Conseil Économique et Social (futur CESE) de 1979 à 1989, Yvon Gattaz est devenu très connu du grand public entre le 15 décembre 1981 et le 16 décembre 1986 alors qu'il présidait le CNPF (Conseil national des patronat français) face à une gauche socialo-communiste arrivée au pouvoir avec l'élection de François Mitterrand.

 


Sans brutalité et avec beaucoup de diplomatie, il a ainsi mené de nombreuses batailles politiques sur la flexibilité du temps de travail, contre les 39 heures, la hausse énorme des charges sur les salaires, l'impôt sur la grande fortune, et surtout, sur les nationalisations qui ont mobilisé beaucoup de capitaux. Yvon Gattaz a montré son talent de mobilisation en rassemblant près de 30 000 chefs d'entreprise le 14 décembre 1982 au parc des exposition de Villepinte pour mettre en garde le gouvernement contre les risques pour l'économie française. Ce grand investissement personnel lui a permis de négocier avec le gouvernement et de conclure un accord le 16 avril 1982 pour limiter la casse des investissements.

Ce fut sous sa présidence du CNPF que l'entreprise, paradoxalement, a été réhabilitée voire célébrée par les Français dans leur esprit (à tel point qu'on appelle cette décennie les années Tapie !). Yvon Gattaz a été aussi membre du conseil d'administration du Centre français du commerce extérieur de 1979 à 1981, du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de 1979 à 1981, de Moulinex de 1988 à 1993 et de la Fondation Fourmentin-Guilbert pour la recherche en biologie moléculaire à partir de 1989.

 


Son fils qui lui a succédé à la tête de Radiall a aussi, dans une sorte de drôle de coïncidence dynastique, succédé à la présidence du Medef de 2013 à 2018, l'organisation qui a pris le relais sur le CNPF. Pierre Gattaz a eu aussi à batailler face à un Président de la République socialiste qui a alourdi les impôts et taxes dès le début de son quinquennat.

Malgré l'âge qui avançait lentement, Yvon Gattaz n'a jamais pris sa retraite. Il a présidé jusqu'à sa mort l'Association Jeunesse et Entreprise qu'il a créée en 1986, et il a créé bien d'autres organisations (comme Ethic, les entreprises de taille humaine indépendante et de croissance, en 1976).


Yvon Gattaz a été élu le 29 mai 1989 à l'Académie des sciences morales et politiques, dans la section Économie politique, statistique et finances, et il en fut l'un des membres les plus actifs (il présida même cette académie en 1999).

Au-delà des honneurs, Yvon Gattaz avait le goût de la transmission, celle de sa passion d'entreprendre, celle de former les jeunes pour créer les entreprises de demain, car l'économie évolue très vite. Ce n'est pas pour rien qu'il avait adopté cette devise pour son entreprise, "vite et bien" au point de bousculer la tiédeur des fauteuils par des formules choc.

Il disait notamment, à propos de sa devise : « Cette maxime peut sembler simple voire simpliste. En fait, elle est d’une rare difficulté. Il est courant de rencontrer des lents qui n’ont pas compris que la vitesse, c’est la vie moderne et qu’on ne peut la traverser en gastéropode sans souci des autres et de l’environnement. Bien sûr, le conseil "Il faut tuer les lents" est une image brutale et simplement satirique. Il serait plus humain de les parquer dans des cités réservées où tout se ferait lentement… lentement… lentement… Le lent ne sait pas qu’il freine tout le monde : le flot des voitures comme les études des élèves normaux. Au feu rouge de 15 secondes, le lent qui met 5 secondes à démarrer diminue le trafic d’un tiers, avec des conséquences économiques qu’on ne veut pas évaluer. Si le perfectionniste est dangereux, le "trop rapide" risque de bâcler. La vie moderne exige le "bien fait", de même qu’elle veut des réponses rapides, ce qu’on appelle dans l’entreprise de la réactivité. Le compromis incontestable est le "vite et bien" que peu de nos compatriotes savent vraiment réaliser. On a pu dire que cette expression n’était pas une devise mais une asymptote ! ».

Dans le même registre, Yvon Gattaz considérait que tout le monde n'avait pas le profil d'un entrepreneur. Il faut quelques qualités qui ne sont pas données à tous. D'abord, une volonté et une ténacité de fer, une résistance aux épreuves. Ensuite, des qualités de réception : la compréhension rapide, la faculté d'analyse, la faculté de synthèse et la mémoire. Mais ce n'est pas suffisant, il faut aussi des qualités d'émission : de l'imagination créatrice, de la combativité. Il rappelait qu'il faut mille fois moins d'énergie pour recevoir un signal radio que pour en émettre. Or, on a toujours favorisé les réceptions (les bons diplômés) alors qu'il faudrait favoriser les émissions, les créations. De plus, comme il le dit, il faut de la résistance : « Les épreuves tuent les faibles et endurcissent les forts. ».

 


Parmi toutes les réflexions qu'il a émises pendant sa longue retraite, Yvon Gattaz n'hésitait pas à casser le tabou sur les syndicats, facteurs de blocage en France. Dans une tribune publiée le 3 décembre 2003 dans "Le Figaro", il n'y allait pas avec le dos de la cuillère : « Les sondages sont tous concordants : pour défendre leurs intérêts, les salariés font plus confiance à leur patron qu'aux syndicats. (…) On ose enfin attaquer de front la plus grande puissance cachée de la France, le syndicalisme, toujours tabou, encore sanctifié, éternellement intouchable, jouissant de façon incroyable d'une sorte d'immunité psychologique, morale, fiscale et même judiciaire. Ce n'est pas un état dans l'État. C'est une divinité dans l'État. Si on peut moquer, décrier, ridiculiser les parlementaires, les ministres, le chef de l'État, les policiers, les militaires, les enseignants, les patrons, les religieux et le pape lui-même, on ne peut toucher à un cheveu d'un syndicaliste, ce qui, d'ailleurs, ne ferait rire personne. La sanctuarisation est profonde. ».

Il critiquait ainsi le fonctionnement des syndicats réduits à leur principe de base, leur outil unique et leur méthode d'influence : « Le principe de base des syndicats est cette indestructible IAA, l'Irréversibilité des Avantages Acquis, érigée en dogme définitivement calcifié. Quelles que soient les circonstances politiques, économiques, financières ou humaines, on ne change rien, jamais rien, en contradiction avec tous les pays modernes dont l'adaptabilité est le maître-mot dans un monde en mutation de plus en plus rapide. L'outil des syndicats est unique, et ce n'est pas à proprement parlé un outil pour construire, mais une arme pour détruire : la grève. (…) La méthode d'influence des syndicats est elle aussi d'une extrême simplicité et d'une redoutable efficacité : le TDN, le Taux De Nocivité. Quelle influence pourrait avoir sur les pouvoirs publics un syndicat inoffensif ? Basé sur l'IAA et utilisant la grève dévastatrice, le TDN éclate au grand jour et fait trembler les décideurs. Le noyautage des services publics démontre l'effroyable efficacité de ce TDN. ».


Je propose ici quatre interventions d'Yvon Gattaz, souvent dans le cadre de conférences à des étudiants. Ses grands-parents étaient directeurs d'école, ses parents enseignants, et lui-même ne s'estimait pas vraiment préparé à créer une entreprise. C'est pourquoi il n'a pas cessé de vouloir expliquer ce que c'est pour donner cette passion aux jeunes qui est déjà la passion de l'effort et du résultat. Il aura été un très grand patron. Condoléances à la famille.



1. Interview du 17 février 2014 à "La Tribune des Décideurs"







2. Conférence du 26 février 2015 à l'École de Management Léonard de Vinci






3. Conférence en novembre 2018 à HEC







4. Interview du 11 juin 2019 à Saint-Raphaël






Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 décembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Comment créer les emplois de demain ?
Yvon Gattaz.
Gilberte Beaux.
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.
 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241212-yvon-gattaz.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/yvon-gattaz-vite-et-bien-258121

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/12/article-sr-20241212-yvon-gattaz.html



 

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22 octobre 2024 2 22 /10 /octobre /2024 03:36

« La commande publique est un outil de politique économique. Fortement mobilisés autour des problématiques comme le développement durable ou l’accès de toutes les entreprises, dont les PME, à la commande publique, les acheteurs ont pris conscience du poids que représentent les marchés publics (…) et des enjeux autour de leur performance. » (Introduction du "Guide pratique de l'achat public innovant" distribué par le Ministère de l'Économie et des Finances, mai 2019).



 


Le nécessaire redressement des finances publiques va obliger l'État à réduire son déficit structurel de 60 milliards d'euros pour l'année 2025, selon l'objectif du gouvernement : 40 milliards de réduction des dépenses publiques et 20 milliards d'augmentation des recettes (à savoir augmentation d'impôts et de taxes). Après une semaine folklorique d'examen en commission (le président de la commission des finances et le rapporteur général du budget sont dans l'opposition), où chaque quart d'heure, de zélés et créatifs députés inventaient une nouvelle taxe ou un nouvel impôt, l'examen en séance publique du projet de loi de finances pour l'année 2025 a démarré ce lundi 21 octobre 2024 dans la soirée avec une forte incertitude sur la capacité du gouvernement à mener à bien la discussion.

Les solutions pour réduire le déficit peuvent être nombreuses mais elles sont toutes compliquées et, je dirais, inconséquentes. Le défi est de ne pas donner le signal du retour au boulet fiscal pour les entreprises qui quitteraient dans ce cas le territoire national ou qui ne s'y installeraient plus, alors que depuis sept ans, la France est
devenu le pays européen le plus attractif économiquement avec une croissance supérieure à la moyenne européenne et un taux de chômage enfin durablement en baisse (passant de 10% à 7%).

Nos parlementaires, qui ne manquent pas de bonne volonté, ont montré, ces derniers jours, une incroyable incapacité à comprendre les leviers de l'économie, de l'innovation et des investissements. Cela s'est particulièrement illustré avec la polémique sur le
Doliprane, l'État est même sur le point, sottement, d'acquérir 2% du capital d'Opella, la filiale de Sanofi qui produit des médicaments qui sont dans le domaine public et qui n'ont plus de valeur ajoutée, alors que nous sommes déjà endettés à plus de 3 000 milliards d'euros !

Certains, au contraire, souhaiteraient vendre les participations de l'État. Il est sûr qu'il y a des dizaines voire centaines de milliards d'euros de participation, certaines sont stratégiques, comme dans le capital d'Orange, il est indispensable que l'État puisse avoir le contrôle sur l'un des gros de la télécommunication, en cas de guerre, ce serait un élément crucial, mais en revanche, on peut toujours discuter de l'intérêt de garder des participations dans la Française des jeux, par exemple, ou même dans
Stellantis.

Au-delà donc de la question de la pertinence stratégique ou pas de vendre les participations de l'État, on peut tout de suite répondre que si c'était pour réduire le déficit, ce serait une bêtise financière, et j'ajouterais, une bêtise politique, celle de l'avoir proposé. En effet, on confondrait dans ce cas actif et exploitation, investissement et fonctionnement, et l'idée de réduire le déficit n'est pas pour une seule année, mais en progression sur plusieurs années pour atteindre le 3% du PIB en 2029 (5% du PIB en 2025, la première marche est la plus haute et difficile). La vente des participations de l'État n'est qu'un pistolet à un coup, or, l'année suivante, en 2026, il faudra encore réduire le déficit, donc, on n'aura rien résolu si ce n'est attendre ce que tout le monde attend, l'indispensable réforme de l'État.


À noter aussi que ces participations de l'État, quand les entreprises dans lesquelles il a investi font des bénéfices, assurent à l'État des revenus sous forme de dividendes (le résultat net moins les investissements), et il faudrait préciser les chiffres, mais on serait tenté d'affirmer que les dividendes seraient d'un montant plus élevé que l'équivalent des intérêts que l'État ne payerait plus s'il remboursait la même somme à ses créanciers que ce que l'État lâcherait en participations.

Bref, on voit bien que beaucoup de responsables politiques, sans doute parce qu'ils pensent s'adresser à des électeurs qui sont aussi compétents qu'eux en économie, prennent surtout des positions idéologiques et des postures démagogiques, ce qui est regrettable pour le bien commun.

Comme
Michel Barnier est avide d'idées nouvelles, je me permets de lui soumettre une petite piste qui a le mérite de ne pas faire augmenter d'impôt ni de taxe ni de cotisation ni de toutes sortes de redevances, etc. Il s'agit des achats dans la fonction publique, y compris dans les collectivités territoriales (on parle d'achats publics, de commandes publiques).
 


Le 17 octobre 2024, un internaute a lâché sur Twitter une petite bombe, par agacement. Si j'ai bien compris, il doit être un enseignant en science de la vie et il avait besoin d'une lampe pour accélérer la photosynthèse d'une plante en travaux pratiques. Il a regardé les offres dans les catalogues des entreprises référencées dans l'Éducation nationale (« par lesquelles je suis obligé de passer ») et il a été ulcéré par les prix. Une petite lampe de chevet orientable à 80,00 euros... vendue sans l'ampoule qui, elle, est proposée à 48,60 euros (4W culot E27) ! Honnête, cet enseignant a précisé que s'il avait acheté cette lampe, il aurait automatiquement une ristourne de 12% (entre 10 et 15% de la commande), mais on est loin du compte quand on peut s'équiper exactement avec le même type de produit dans une grande surface ou sur un e-marchand.

En quelques jours, le tweet a été lu par presque 9 millions de personnes ! et a reçu plus de 2 000 réponses ou commentaires. Certains montrent des pages de catalogue d'entreprises grand public qui vendent la même lampe ou même type de lampe entre 10 et 20 euros, et l'ampoule dans les 2 à 5 euros. Quand on regarde le catalogue du même fournisseur, les prix vont bien plus loin pour n tableau magnétique, un four micro-ondes, un lave-verres, etc.


Beaucoup de fonctionnaires ont réagi au tweet en disant qu'ils ont le même problème, à l'Éducation nationale, mais aussi à l'hôpital, dans diverses administrations, etc. Il semblerait qu'il peut y avoir de la réticence humaine : les catalogues d'entreprises déjà référencées permettent de faire moins de travail qu'une entreprise non référencée, et dans le système scolaire, ce serait la bonne volonté de l'intendant qui serait en cause. Dans certains établissements, certains enseignants pourraient commander sur Amazon ou acheter dans le supermarché du coin, mais ce serait plus compliqué à gérer. Comme c'est de l'argent public, utilisateurs ou acheteurs semblent souvent se moquer du prix, puisque le budget est là. J'ajoute, pour l'Éducation nationale, et c'est la même chose que dans les grandes entreprises, les fournitures papier sont souvent dévalisées pour des intérêts particuliers, curieusement au moment des rentrées scolaires...

Le fournisseur référencé en question (qu'il n'est pas utile de citer, selon moi, car c'est un parmi d'autres qui ont les même prix surévalués) a été créé en 1987 par un enseignant-chercheur au CNRS qui a inventé « un concept inédit en France : le kit de travaux pratiques de biologie destiné aux enseignants de Sciences et Vie et de la Terre. (…) Ce kit a dès la première année de commercialisation séduit plus de 85% des lycées français. ». Depuis ce temps, l'entreprise « s'est développée et propose plus de 6 500 produits aux enseignants de sciences des lycées, collèges et universités français ». Ces produits sélectionnés sont « des produits de qualités, adaptés aux besoins et problématiques des enseignants et à un tarif compétitif ».

Le "tarif compétitif" est donc à sens inverse ! Ce n'est pas le seul fournisseur et il faudrait quand même comprendre comment de telles sociétés peuvent s'engraisser (il n'y pas d'autre verbe) avec des commandes publiques si ce n'est pas la mauvaise gestion du responsable des achats, à quelle qu'échelle que ce soit.

Il faut admettre qu'il peut y avoir des frais à être fournisseur de l'État. En effet, l'État est un mauvais payeur mais il paie toujours. Mauvais payeur, c'est-à-dire avec beaucoup de retard. Cela peut couler des fournisseurs s'ils n'ont pas la trésorerie en conséquence. Cela fait donc des frais, bien sûr, que le particulier n'impose pas aux grandes surfaces (là, c'est le contraire, c'est la grande surface qui devient une banque, avec des avances de trésorerie sur le dos de ses propres fournisseurs).

Quand on sait que, d'après l'Observatoire économique de la commande publique (OECP, un organisme ministériel), les marchés publics ont représenté 89,3 milliards d'euros HT pour 163 519 contrats recensés en 2017 par l'OECP, il y a sept ans donc, on peut aisément dire que les achats publics représentent aujourd'hui au moins 100 milliards d'euros par an en France. Si tous les prix sont aussi fous que celui de la lampe, on pourrait certainement faire des économies, mais auparavant, au moins faire une enquête approfondie (et exhaustive, ce que je ne fais pas ici) sur les différents enjeux de la commande publique.


Car les enjeux sont nombreux : il y a la performance, le moins disant en prix, mais aussi d'autres paramètres comme le critère national (favoriser les PME françaises et européennes, mais la loi sur la concurrence est en contradiction avec le patriotisme économique), et le dernier critère, double critère, est de favoriser les entreprises qui font attention à leur politique sociale et surtout à leur politique environnementale.

On pourrait penser que les centrales d'achat permettraient au contraire de réduire considérablement les prix. Dans une collectivité comme une commune, même pour payer un plombier, si, sur une année, le marché dépasse un seuil légal, il faut faire un appel d'offre qui coûte très cher à tout le monde : à celui qui le publie, selon une procédure très réglementée et le moindre vice de forme peut faire tout annuler, et faire rallonger des délais, mais aussi aux fournisseurs ou prestataires qui doivent passer beaucoup de temps à répondre aux appels d'offre sans être assurés d'être retenus.

S'il y a à débureaucratiser le pays, c'est bien sur cet aspect des choses que la débureaucratisation serait intéressante et libérerait beaucoup d'argent et beaucoup de temps d'agents publics.

Oui ! Je sais l'origine de cette réglementation pointilleuse. Avant, il y a trente ans, on pouvait tout faire avec l'argent public, on pouvait faire n'importe quoi et on a fait n'importe quoi. Les procédures de la commande publique permettent de réduire énormément les risques de corruption, mais aujourd'hui, elles pèsent tellement lourdement qu'on se demande si c'est vraiment financièrement pertinent, même si cela restera toujours moralement pertinent.
 


Et puis, on ne s'improvise pas acheteur. Dans les grandes entreprises, c'est un métier à part entière, très important, qui peut faire gagner beaucoup d'argent à une entreprise qui, si elle parie sur l'avenir, fera attention aussi à ne pas étouffer ses fournisseurs pour qu'ils puissent vivre aussi longtemps qu'elle. C'est donc un savant équilibre, et les lois contre la corruption, selon les directives européennes, rendent beaucoup plus difficiles les "cadeaux" aux acheteurs ; même une caisse de champagne doit maintenant être déclarée dans sa déclaration de revenus !

Je ne dis pas que cela résoudrait le problème du déficit, bien sûr, car la solution ne peut être que plurielle, mais gagner 10 à 20% sur l'ensemble des achats publics, avec une meilleure organisation, des procédures plus rationnelles qui font dépenser l'argent public comme si c'était son propre argent, pourrait à mon avis être envisageable. Et surtout, cela n'empêcherait nullement d'être équipé selon les besoins, simplement, pour la même qualité mais à moindre prix, parce que l'argent public, ce n'est pas celui de personne, c'est celui de tout le monde, et tout le monde en veut pour son argent.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu

(Illustrations sur Internet proposées par Google Images).

Pour aller plus loin :
Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
Doliprane : l'impéritie politique.
Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
François Guizot à Matignon ?
Gilberte Beaux.
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-achats-fonction-publique.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/achats-dans-la-fonction-publique-257317

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-achats-fonction-publique.html




 

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17 octobre 2024 4 17 /10 /octobre /2024 03:07

« De toute façon, il n'y a pas de risque de délocalisation de l'emploi puisqu'à 97%, le Doliprane est consommé en France. Le Doliprane qui est fabriqué en France pour des consommateurs français. On est des gros consommateurs de paracétamol (…) et ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. » (Roselyne Bachelot, le 16 octobre 2024 sur BFMTV).



 


Depuis près d'une semaine, la classe politique est agitée par une information économique importante : le groupe français Sanofi ("fleuron de l'industrie pharmaceutique") a annoncé le vendredi 11 octobre 2024 qu'il s'apprêtait à vendre sa filiale Opella, son pôle activité Santé Grand Public, au fonds d'investissement américain CD&R (Clayton Dubilier & Rice). Parmi les médicaments produits et commercialisés par Opella, il y a le très connu et très consommé analgésique, le Doliprane, du paracétamol qui est un anti-douleur et un anti-fièvre. Émotion chez les Français et émoi dans la classe politique.

Dans ce dossier, je suis déconcerté par l'impéritie terrible du monde politique, qu'elle vienne du gouvernement ou de l'opposition. On pourrait croire à du populisme économique, voire du
populisme médicamenteur (Didier Raoult avait inauguré le genre), mais j'ai bien peur que ce soit sincère, ce qui serait pire à mon sens car cela signifierait une méconnaissance totale du monde économique, celui des entreprises, et du monde de la recherche et de l'innovation. Heureusement, quelques éditorialistes, quelques chroniqueurs se montrent un peu plus connaisseurs et surtout, rationnels sur ce sujet.

Mais avant d'être rationnels, ne rejetons pas l'émotion. J'ai la chance de ne pas consommer beaucoup de Doliprane parce qu'il m'arrive rarement d'avoir mal à la tête, mais ce n'est pas le cas autour de moi, et je connais beaucoup de personnes proches pour qui le Doliprane fait partie d'éléments nécessaires à leur vie ordinaire. En termes de consommation, les Français avalent dix boîtes de Doliprane par an pour chacun d'eux, bébés compris (et bien sûr, les bébés ne doivent pas en prendre aux doses pour adultes), ce qui montre à quel point ce médicament est familier des Français.


Donc, que les Français en général s'inquiètent que l'entreprise qui produit le Doliprane soit revendue à un groupe américain, qui en plus est un groupe financier et pas un groupe industriel dans le domaine de la santé, c'est tout à fait normal. Ce qui l'est moins, c'est que le monde politique, censé apporter des solutions pratiques et concrètes aux inquiétudes des Français, dise n'importe quoi sur le sujet, jusqu'à vouloir nationaliser (pour le groupe FI) le groupe Sanofi qui, je le rappelle, représente un capital de quelque 127 milliards d'euros, une somme dont dispose bien évidemment l'État qui n'a "que" 3 500 milliards d'euros de dette publique ! À les écouter, il faudrait tout nationaliser, tout planifier, comme dans l'épopée soviétique dont les résultats économiques ont pourtant montré leurs ...non-preuves !

Ceux qui se croient les plus malins, par antimacronisme primaire que je dirais aujourd'hui anachronique (plus la peine de tirer sur
Emmanuel Macron, il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle), évoquent les désastreuses conséquences de la politique industrielle du Président de la République. À cela rappelons que l'État n'est pas tout (on ne prête qu'aux riches) et que nous sommes (encore ?) dans une société de liberté d'entreprise, que la décision de Sanofi de vendre une partie de sa production est une décision privée d'une entreprise privée, et qu'elle a le droit de définir comme elle l'entend sa propre stratégie industrielle (et heureusement que l'État ne commence pas à s'ingérer dans les stratégies de toutes les entreprises françaises, quand on voit sa capacité à gérer déjà ses propres comptes publics).

Il faut déjà indiquer quelques précisions. Par exemple, quel est le projet de Sanofi ? C'est de vendre 50% du capital de sa filiale Opella au fonds d'investissement américain CD&R pour la somme d'environ 7 milliards d'euros (la capitalisation d'Opella est évaluée à 15 milliards d'euros). Ce fonds n'a pas d'objectif industriel mais un objectif de rentabilité financière, probablement sur cinq ans. Ensuite, il revendra ses actions d'Opella. Il serait déjà plus intéressant de connaître la nationalité de ce futur acquéreur que la nationalité du fonds acquéreur d'aujourd'hui.


Précisons aussi qu'Opella fabrique et commercialise 115 marques de médicaments, dont certains très connus du grand public qu'on peut acheter sans ordonnance, comme le Doliprane, bien sûr, mais aussi l'Aspégic, le Phosphalugel, la Lysopaïne, etc. Le chiffre d'affaires d'Opella (5,2 milliards d'euros) correspond à 12% du CA de Sanofi. La filiale, qui emploie 11 000 salariés, possède treize usines dans le monde dont deux en France, à Compiègne et à Lisieux, et la transaction avec CD&R a été négociée sur la base d'une valeur autour de 15 milliards d'euros (16,41 milliards de dollars). Sanofi garderait la moitié du capital d'Opella pour avoir un droit de veto sur les orientations stratégiques.

Cette vente est conforme à la stratégie de Sanofi annoncée dès octobre 2023. Dans "Les Échos" du 15 octobre 2024, Frédéric Oudéa, le président de Sanofi, a affirmé qu'il n'était donc pas question de délocalisation de deux usines françaises : « Cela fait dix ans que l'on ne cesse d'investir à Lisieux, un investissement de 20 millions d'euros est par ailleurs en cours pour augmenter de 40% les capacités de production et de stockage du Doliprane. ».

En outre, si le fonds était français, y aurait-il la même destinée avec l'entreprise ? Probablement. On peut d'ailleurs regretter l'absence de fonds d'investissement français, et surtout, de fonds de pension qui permettrait de préserver les entreprises françaises de leur nationalités et les start-up françaises de recueillir des fonds français. Ces fonds de pension seraient issus d'un inévitable complément de la retraite par répartition par la retraite par capitalisation (un mot qui fait peur en France mais pourtant, ce tabou favorise les plus aisés puisque ceux-là savent investir et capitaliser depuis longtemps pour avoir des compléments de retraite, mais c'est un tout autre sujet...).
 


Dans ce dossier, les politiques laissent croire qu'ils découvrent la situation alors qu'on peut voir, par exemple, une chronique économique de BFMTV l'annoncer déjà le 17 juillet 2024. C'est vrai que la nomination du futur Premier Ministre et les Jeux olympiques et paralympiques avaient beaucoup occupé les esprits politiques. Mais, comme je l'ai rappelé plus haut, la stratégie de Sanofi avait déjà été communiquée l'an dernier. Ce qui est regrettable, c'est que par démagogie, la classe politique confond allègrement plusieurs notions que j'énumère ici pêle-mêle : la souveraineté sanitaire, le patriotisme économique, les considérations sociales, la logique industrielle et l'intérêt national.

1. La souveraineté sanitaire d'abord. Elle doit être au niveau européen et pas seulement français, c'est l'échelle qui est la meilleure. Or, qu'en est-il de la souveraineté sanitaire avec le Doliprane, médicament le plus consommé en France et à ce titre, faisant partie des médicaments "stratégiques" ? Actuellement, cette souveraineté sanitaire est inexistante pour le Doliprane ! En effet, si l'usine qui fabrique ce médicament est en France, le principe actif, la molécule cruciale qui fait l'effet du médicament, n'est pas fabriquée en France ni en Europe, mais en Chine.

Or, justement, avec la prise en compte de l'importance de la souveraineté sanitaire après la
crise du covid-19, une usine va être mise en route près de Toulouse pour produire ce principe actif, et Sanofi y a même investi 500 millions d'euros. Cela signifie que la souveraineté sanitaire sera plus assurée demain, même avec l'achat de la moitié d'Opella par un fonds d'investissement américain, qu'aujourd'hui où le principe actif dépend du bon vouloir des usines chinoises. Pour rappel, je précise que la souveraineté sanitaire n'a pas d'intérêt en période ordinaire, mais seulement en période de crise sanitaire, or, dans une telle période, si la crise est mondiale, comme celle du covid, les tensions de production en Chine seront très fortes et si on peut l'imaginer aussi en Europe, les pays européens pourront cependant avoir la garantie d'être prioritaires.

Invitée de BFMTV, l'ancienne Ministre de la Santé (et ancienne pharmacienne)
Roselyne Bachelot, qui connaît un peu le sujet, a déclaré le 16 octobre 2024 : « Il n'y a pas de risque sur notre souveraineté avec un produit qui est, je ne voudrais pas dire en fin de vie, mais enfin, qui est, pour parler pudiquement, mâture, qui n'est protégé par aucun brevet... ». Effectivement, déjà aujourd'hui, rien n'empêche une entreprise étrangère de venir produire et vendre en France du Doliprane (avec des coûts de production moindre qu'actuellement s'il veut conquérir des parts de marché). En revanche, le prix des médicaments est régulé en France, et donc, il n'y a pas de risque d'augmentation du prix avec un changement de propriétaires du producteur.

2. Le patriotisme économique. Là aussi, cette notion paraît bien incertaine. Aujourd'hui, l'économie est ouverte et mondialisée. La compétition est forte partout dans le monde. On le voit pour les GAFAM (et pas seulement elles), les multinationales n'ont pas de nationalité. La seule patrie d'une grande entreprise, c'est celle de l'argent. Est-ce une catastrophe ? Non, heureusement ! C'est le principe de toute entreprise, faire des bénéfices, elles assurent ainsi, par ses bénéfices, sa pérennité pour employer ses nombreux salariés (et faire vivre leurs familles), proposer aux consommateurs leurs produits et attirer les investisseurs dans leur capital, sans compter financer le ou les États où elles sont établies par l'impôt direct (IS), indirect (TVA) et les cotisations sociales (salaires).

Deux exemples permettent de montrer que l'intérêt des Français n'a plus grand-chose à voir avec le patriotisme économique, ce qui peut attrister mais ce sont les faits. Exemple positif (grâce à Jean-Louis Borloo, qui fut maire de Valenciennes) : lorsque les Français achètent des voitures Toyota, ils engraissent des capitaux japonais, certes... mais ils favorisent des emplois français, puisque l'usine de Valenciennes a fait renaître un nouveau dynamisme économique. Exemple négatif, toujours dans le secteur automobile : le patron de Stellantis Carlo Tavares a déjà averti qu'il n'excluait pas la fermeture d'une usine en France (4 500 emplois à la clef). On peut aussi rappeler les délocalisations européennes de Renault (à Novo Mesto, en Slovénie pour la Twingo ; quand je me suis rendu près de Trieste, j'ai été très impressionné par le nombre de véhicules qui attendaient d'être livrés ; la future Twingo 100% électrique commercialisée en 2026 sera fabriquée à Novo Mesto, selon une information du 24 juillet 2024).

Bref, la nationalité d'une entreprise ne signifie plus rien, d'autant plus que les nombreuses participations au capital proviennent de multiples pays (multinationalité des capitaux, multinationaux des sites de recherche et de production, multinationalité des composants et matières premières, multinationalité des clients). En clair, le patriotisme économique n'est pas un patriotisme de nations, c'est un patriotisme d'entreprises. L'entreprise, lorsqu'elle est géante, est devenue un État, avec la même puissance financière. C'est le cas des GAFAM, mais pas seulement.

3. Les considérations sociales. Elles sont importantes dans un pays qui a perdu des millions d'emplois industriels en quatre décennies. Depuis 2017, la politique économique et fiscale d'Emmanuel Macron a justement permis de redresser l'emploi et surtout, l'emploi industriel, et réduire le chômage durablement. 2024 est d'ailleurs une année politique cruciale et tout le monde, du moins les sérieux, espèrent que le choc de la
dissolution et celui du déficit à réduire ne contreviendraient pas à l'attractivité économique de la France (malgré les perspectives "négatives" sur le redressement des finances publiques de la France, l'agence de notation Fitch Rating a tout de même maintenu la note de AA–, l'équivalent de 17/20, pour la France pour cette raison économique : la France a une économie saine, il faut le répéter !).

Une fois écrit cela, je reviens au Doliprane : même vendue à un fonds américain, il n'y a aucune raison que l'usine française qui fabrique le Doliprane soit délocalisée alors qu'elle fournit les Français pour 97% de se production. Les Américains ont eux-même leur paracétamol déjà commercialisé avec sa marque. Il y a donc découplage, comme c'est le cas pour Toyota ou Renault, entre nationalité des capitaux et implantation géographie des usines.


4. Logique industrielle. C'est le plus important à mon sens. Une bonne entreprise, celle qui évite le dépôt de bilan et qui s'agrandit au fil des années, c'est une entreprise qui prend les bonnes décisions au bon moment sur sa stratégie à long terme. Or, quel est l'intérêt de Sanofi à continuer à produire le Doliprane ? Pas grand-chose. En effet, le principe actif est dans le domaine public depuis longtemps. Je précise ce que cela signifie : cela veut dire qu'un brevet qui a protégé la molécule pendant une durée déterminée (généralement vingt ans, peut-être un peu plus pour le secteur pharmaceutique à cause de la durée des tests cliniques), ne la protège plus aujourd'hui (et depuis longtemps). En somme, c'est comme les droits d'auteur : soixante-dix ans après la mort de l'auteur, ses écrits tombent dans le domaine public et n'importe qui, n'importe quelle entreprise peut fabriquer et vendre des œuvres de cet auteur sans verser de droits d'auteur. Pour les inventions qui sont dans le domaine public, cela signifie que tout le monde est autorisé à produire et vendre ces inventions sans verser de royalties. C'est le principe des médicaments génériques, beaucoup moins coûteux que les médicaments d'origine parce que leurs coûts ne viennent que de la fabrication et pas de la recherche et développement en amont (qui justifie les royalties).

En clair, pour produire et vendre du Doliprane, c'est comme vendre n'importe quel produit sans valeur ajoutée, c'est un travail d'industriel et pas de pharmacien, pour réduire les coûts, par exemple. Le Doliprane est un produit stable, peut-être pas en fin de vie (sauf si on trouve mieux) mais en fin d'intérêt pour un grand groupe d'innovation comme Sanofi. En récupérant 7 milliards d'euros, Sanofi a ainsi la possibilité d'investir encore plus massivement qu'auparavant dans la recherche et développement pour trouver d'autres médicaments pour demain, assurer une rente par la protection de ses futurs brevets et aller de l'avant. Tout euro misé dans la R&D (recherche et développement) est un espoir supplémentaire de guérir des maladies aujourd'hui incurables (en particulier le cancer). Il faut aussi bien comprendre que les résultats de la recherche sont proportionnels aux investissement de recherche alloués. On le voit par exemple avec
SpaceX d'Elon Musk qui, dans le domaine spatial, a réussi le 13 octobre 2024 un véritable exploit technologique (et probablement économique), simplement parce qu'il a su investir à bon escient son argent.

Économiste à la Sorbonne, Nathalie Coutinet a affirmé le 24 septembre 2024 sur France Culture que l'évolution de l'industrie pharmaceutique était la même aussi chez les concurrents de Sanofi, à savoir Johnson & Johnson, GSK, Pfizer, Novartis et Servier : « Tous les grands laboratoires pharmaceutiques se séparent de ces branches [médicaments dans le domaine public] pour se concentrer sur des médicaments innovants, beaucoup plus chers et rentables. ».


Dans une société de liberté, il ne convient pas à l'État de dire aux entreprises ce qui est bon ou pas pour leur stratégie, et c'est intérêt de tout le monde, entreprises, capitaux, employés, consommateurs et États, que les grands groupes prennent les bonnes décisions pour leur stratégie.

5. L'intérêt national. Terminons par cet intérêt national si galvaudé. L'intérêt à moyen et long terme, c'est à la fois de préserver dans son giron une grande entreprise capable d'investir dans l'avenir, et dans le secteur de la santé, il y a encore beaucoup de travail de recherche, et c'est d'être capable de répondre correctement aux demandes de médicaments selon les besoins.

La manière dont s'organisent les entreprises n'a pas beaucoup d'intérêt, dans les faits. L'État n'a rien à faire dans certains capitaux, et on voit bien que l'État a été capable de faire d'énormes erreurs stratégiques dans le passé en matière industrielle. En revanche, il doit permettre, quel que soit le type d'entreprises (entreprises françaises, étrangères, ou même publiques), de donner la possibilité de continuer le développement de l'innovation. En ce sens, contrairement à ce que disent souvent certains responsables politiques (cela fait dix ans que certains râlent), le crédit impôt recherche (CIR) a fait beaucoup pour inciter les grandes entreprises à investir massivement en France dans la recherche et développement.

On comprend bien que l'hypothèse d'une nationalisation de Sanofi (financièrement impossible à imaginer pour l'État français), si elle pourrait répondre de manière particulièrement démagogique et coûteuse à la réelle inquiétude des Français sur cette annonce de vente d'Opella, ne répond pas du tout ni à la logique industrielle ni à l'intérêt national. Cela fait longtemps qu'on sait bien que la nationalité des véritables propriétaires des entreprises, en particulier la nationalité française, n'assure aucune éthique particulière (cf le scandale des EHPAD, par exemple).
 


Écoutons encore Roselyne Bachelot : « Et vraiment, le cirque qu'il y a autour de ça me paraît complètement... Je comprends les salariés du site qui ont peur et qui ont besoin d'être rassurés, mais que des responsables politiques connaissent aussi peu l'industrie et le marché pharmaceutiques, c'est quand même un peu grave ! ». Le consultant financier et essayiste Alexis Karklins-Marchay, sur Twitter le 16 octobre 2024, a également dit la même chose, en termes plus crûs : « Immense lassitude de tant de bêtises et de démagogie de la part de ces élus qui ne connaissent rien au monde de l'entreprise (Panot confondait par exemple chiffre d'affaires et bénéfices...) ! (…) Nous nous noyons dans ce marécage d'idiotie. ». En réaction aux déclarations du groupe FI, le journaliste Claude Weill, le 15 octobre 2024 sur Twitter, faisait état de son incompréhension : « Nationaliser un groupe transnational qui pèse 120 milliards d'euros, avec un capital déjà étranger à plus de 70% (dont US 44%) et 5,5% de son CA en France, pour “sauver” un médoc qui est dans le domaine public et dont il existe une bonne dizaine d’équivalents… Plus débile, je cherche, je trouve pas. ».

Sur BFMTV le 14 octobre 2024, le professeur
Philippe Juvin, député LR, était lui aussi en colère : « C'est révélateur de notre modèle économique. C'est révélateur d'une hypocrisie de la classe politique. Et c'est révélateur d'une certaine ignorance du sujet. D'abord, l'hypocrisie. Quand je vois qu'un certain nombre de mes collègues du parti socialiste sont en train de signer une tribune en disant : "surtout, il ne faut pas qu'il parte !". Dans ce cas-là, arrêtez d'augmenter des impôts sur les entreprises (…). Donc, ils se plaignent des maux qu'eux-mêmes créent. Deuxièmement, c'est une affaire d'ignorance absolue. Le fait qu'il y ait cette vente ne signifie pas que demain, on n'aura pas de Doliprane en France. Imaginez même que l'usine ne bouge pas. Ce n'est pas parce que vous fabriquez un médicament en France, et d'ailleurs, on ne le fabrique pas, je vais y revenir, que ce médicament est disponible pour la France. L'usine, elle fabrique des médicaments, elle les vend au monde entier. (…) Qu'est-ce qui fait en revanche qu'il y ait des pénuries ? Ce qui fait qu'il y ait des pénuries en France, de paracétamol et d'autres médicaments, c'est que le prix du médicament est trop faible. Quand une usine, où qu'elle soit, en France ou ailleurs, fabrique du paracétamol, elle a plutôt intérêt à le vendre en Allemagne qu'en France, parce qu'en Allemagne, c'est 25% plus cher. Enfin, troisièmement, dans cette affaire, c'est extrêmement révélateur de nos politiques économiques, parce que d'abord, il n'y a pas un seul gramme du principe actif qui est fabriqué en France (…), la molécule, le médicament, est formée en Asie à 100%, dont 80% en Chine. ».

Quant à la "blogueuse libérale" Nathalie MP Meyer, dans
son billet du 17 octobre 2024 (qu'il faut lire !), elle est également choquée (comme on pouvait s'y attendre) : « Voilà qui est fort de café. On sort tout juste d’une séquence budgétaire qui n’a pas masqué combien les marges de manœuvre de nos finances publiques s’étaient évanouies dans des niveaux de déficit et de dette alarmants, mais on pourrait s’endetter encore un peu plus pour investir dans la fabrication du Doliprane ? Et ce faisant, devenir juge et partie en entrant en concurrence avec d’autres acteurs de ce marché comme UPSA par exemple ? Ridicule, bien sûr, et typique des gesticulations aussi incohérentes que surjouées qui accompagnent chaque évocation du mot "souveraineté". ». Elle a rappelé en outre l'énorme coût de la conception des nouveaux médicaments : « Gardons à l’esprit qu’il faut en moyenne 11,5 ans pour la mise au point d’un médicament et que seuls 7% des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accéderont au marché (chiffres du LEEM, syndicat des entreprises du médicament en France). ».

Il serait temps que les Français puissent recevoir une instruction ou une culture économique non idéologisée. Cela permettrait de valoriser notre véritable excellence, celle de la recherche et de l'innovation, par des réussites industrielles qui attendent d'être majeures.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
Doliprane : l'impéritie politique.
François Guizot à Matignon ?
Gilberte Beaux.
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241011-doliprane.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/doliprane-souverainete-patriotisme-257203

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/14/article-sr-20241011-doliprane.html



 

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29 juillet 2024 1 29 /07 /juillet /2024 03:54

« Il faut aimer la vie. J'aime la vie (…). Quand on aime (…), on arrive toujours à faire des choses merveilleuses. La vie est fantastique ! » (Gilberte Beaux, le 26 juillet 2017).



 


Gilberte Beaux fête son 95e anniversaire ce vendredi 12 juillet 2024. Il est très difficile de définir en deux mots qui est Gilberte Beaux. En ce qui me concerne, je la connaissais car elle était la "trésorière" de Raymond Barre, je ne sais pas trop sa fonction, peut-être conseillère économique aussi (les deux probablement) pendant sa campagne présidentielle de 1988.

Si Gilberte Beaux n'est pas très connue du grand public, c'est parce qu'elle a tout fait pour être discrète, éloignée des médias. Son monde, ce n'était pas celui de la politique où, au contraire, il faut se faire connaître, il faut se promouvoir, il faut faire parler de soi, parfois lourdement, la notoriété étant un élément important dans une victoire électorale (c'est le chat qui se mord la queue : on est connu aussi parce qu'on est élu). Son monde, c'est celui de l'économie, celui de la gestion d'entreprises,celui des discussions feutrées, des négociations secrètes.

Alors, on pourrait qualifier Gilberte Beaux de femme d'affaires, mais cela risque de faire oxymore, une femme peut être une bonne affaire, mais fait-elle de bonnes affaires ? Arg ! Stop ! J'arrête mon sexisme et si je suis un peu provocateur par le plaisir du jeu, c'est parce que Gilberte Beaux se sent (encore aujourd'hui) une femme libre, mais une femme libre parce qu'une femme forte, et à ce titre, elle s'inscrit dans la tradition des femmes fortes de sa génération, en particulier Simone Veil, mais aussi Marie-France Garaud (grande amie de Simone Veil).

Encore un petit détour avec Marie-France Garaud (qui est morte récemment). Gilberte Beaux a eu, donc, sa période barriste, en gros toute la décennie des années 1980. Dès 1981, Raymond Barre a vu sa cote de popularité grimper en flèche au fur et à mesure que le gouvernement socialo-communiste vidait toutes les caisses de l'État. Les Français aiment bien les hommes d'État (et femmes d'État) mais seulement lorsqu'ils ne sont plus au pouvoir.

 


L'un des préceptes du barrisme institutionnel, c'était sa conception très gaullienne de la Constitution, et à ce titre, Raymond Barre avait repris le flambeau de De Gaulle délaissé par Jacques Chirac prêt à foncer à Matignon (à l'époque, on faisait moins de chichi !) pour faire la première cohabitation. Raymond Barre, fidèle au dogme de la légitimité populaire sacrée par l'onction des urnes, considérait que le Président de la République devait démissionner s'il avait perdu les élections législatives. Au contraire, le président du RPR et futur candidat à l'élection présidentielle refusait d'exclure de gouverner et refusait d'engager un bras de fer avec François Mitterrand visant à le faire démissionner. À l'époque, j'étais à fond dans cette interprétation barriste, mais c'est l'interprétation pragmatique qui a finalement gagné (trois fois) en faisant même de la cohabitation un régime plutôt apprécié des Français car rétablissant une certain équilibre des institutions au sein de l'exécutif.

Les gardiens du dogme gaullien étaient rares dans la classe politique, notamment parmi les gaullistes, mais on pouvait compter sur Michel Debré (le père de la Constitution, évidemment) et aussi sur Marie-France Garaud, conseillère spéciale de Georges Pompidou à l'Élysée et conservatrice réactionnaire, en quelque sorte (avant-c'était-mieux). Les deux avaient eu le courage de se présenter à l'élection présidentielle de 1981, probablement aidés dans leurs parrainages par les giscardiens pour disperser l'électorat de Jacques Chirac (à charge de revanche, ce dernier, lui, a encouragé ses militants à voter contre VGE au second tour !).

Malgré son envie de discrétion, Gilberte Beaux s'est quand même engagée dans la bataille électorale... aux côtés de Marie-France Garaud puisqu'elles ont constitué une liste (Marie-France Garaud tête de liste) à Paris aux élections législatives du 16 mars 1986 qui étaient au scrutin proportionnel à l'échelle départementale. Sans investiture de grands partis politiques, cette liste était discrètement soutenue par... Raymond Barre qui cherchait à multiplier les députés purement barristes dans l'Assemblée de 1986 pour empêcher la cohabitation (la majorité très serrée a fait que les députés barristes, y compris le député de Lyon Raymond Barre, se sont finalement ralliés au gouvernement de Jacques Chirac pour ne pas être accusés d'être des diviseurs).

En 1986, leur liste n'a pas obtenu de siège, mais elle a fait mieux que les écologistes, Lutte ouvrière, le MPPT, ou encore qu'une liste menée par Albert Jacquard. Bref, avec 23 701 voix, soit 2,6% des suffrages exprimés, la liste Garaud-Beaux s'est classée en sixième place sur seize listes, juste après les listes des partis bien établis : la liste RPR menée par Jacques Toubon, la liste PS menée par Lionel Jospin, la liste UDF menée par Jacques Dominati, la liste Rassemblement national (oui oui, pas FN mais RN = FN + CNI) menée par Jean-Marie Le Pen (et le député des concierges Édouard Frédéric-Dupont) et la liste PCF menée par Gisèle Moreau (qui n'a pas obtenu non plus de siège, au contraire des quatre premières). Malgré son concurrent Jacques Dominati, la liste Garaud bénéficiait du soutien des Corses de Paris, car Gilberte Beaux est d'origine corse (son nom de jeune fille est Gilberte Lovisi).
 


Mais je m'égare dans cette voie politique qui n'était pas la sienne et sans doute cette candidature en 1986 a été téléguidée par Raymond Barre et elle ne pouvait pas la lui refuser. Revenons surtout à son parcours professionnel qui est loin d'être ordinaire. S'il fallait le résumer avec des noms, on pourrait le résumer étrangement avec deux noms : Jimmy Goldsmith et Bernard Tapie !

L'encyclopédie en ligne Wikipédia la considère comme « une personnalité du monde des affaires en France, des années 1960 aux années 1990, et une dirigeante d'entreprise » et ajoute : « Elle a été l'associée discrète de deux personnalités flamboyantes du milieu financier et entrepreneurial de ces décennies, Jimmy Goldsmith puis Bernard Tapie, chargée par eux de la bonne gestion des sociétés dont ils s'emparaient. Elle incarne aussi une époque de l'histoire du capitalisme, et du management en entreprise, où il était encore possible à une personne entrant comme dactylo de gravir tous les échelons et de devenir le dirigeant d’un groupe international. ».

Quand on regarde son origine familiale, un père qui a eu une faillite, on peut y voir un point commun avec Raymond Barre dont le père aussi a été socialement humilié par la faillite de son entreprise. Juste après la guerre qu'elle a passée adolescente avec sa famille à Marseille, la future Gilberte Beaux (elle s'est mariée en 1951 avec Édouard Beaux et est devenue veuve en 1995) a appris la sténodactylographie et a commencé à travailler très jeune dans une banque au plus bas des échelons afin de payer les études de son frère. Au bout de dix ans, par une volonté de fer (et un management particulièrement à l'écoute), elle a grimpé tous les échelons de la banque jusqu'à en devenir une fondée de pouvoir ! Une évolution aujourd'hui quasiment impossible à imaginer où les diplômes et recommandations sont bien plus nécessaires qu'à la sortie de la guerre où beaucoup d'emplois manquaient de titulaires.

Fort de cette expérience déjà exceptionnelle au milieu des années 1950, Gilberte Beaux a poursuivi dans d'autres entreprises, le groupe automobile Simca, dont elle a géré la trésorerie par l'intermédiaire d'une autre entreprise, la Compagnie financière de Paris. Elle gérait des grands comptes, des investissements, des crédits, etc., réputée au point d'être nommée à la tête de l'Union financière de Paris et de la Société de gestion industrielle et financière.

Et puis, ce furent ses rencontres dans la vie des affaires qui ont consolidé sa carrière financière. La première fut avec Jimmy Goldsmith dont elle est devenue le bras droit pendant une vingtaine d'années, entre 1967 et 1987. Elle a pris la tête de la Générale Occidentale, société holding du magma de la finance, qui a investi dans le secteur agro-alimentaire, en particulier en rachetant la Générale Alimentaire (marques Amora, Poulain, Maille, etc.). C'est elle qui négociait les prises de participation, les achats, les reventes et surtout la diversification économique du groupe.

Fine négociatrice, elle a revendu tous les activités du secteur alimentaire au groupe BSN afin d'investir dans les médias et l'audiovisuel au milieu des années 1970 et début des années 1980 : si les tentatives de rachat dans la télévision se sont avérées décevantes (et ratées), la Générale Occidentale a réussi à racheter l'hebdomadaire "L'Express" en 1977 à son fondateur JJSS (qui avait besoin d'argent pour investir dans ses campagnes électorales très coûteuses et assez vaines), ainsi que les Presses de la Cité. Jean-François Revel a été alors nommé directeur de "L'Express" avec, pour rédacteur en chef, Olivier Todd (qui lui aussi vient d'avoir 95 ans, le 19 juin dernier), proche du PSU, et accueillant les réflexions écrites de Raymond Aron. Après le renvoi d'Olivier Todd et la démission, par solidarité, de Jean-François Revel en 1981, l'hebdomadaire a évolué vers la droite (historiquement, il était de centre gauche et mendésiste) pour combattre le gouvernement socialo-communiste après l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand.


En 1987, ce fut la fin de l'idylle entre Jimmy Goldsmith et Gilberte Beaux, non qu'il y ait eu une mésentente professionnelle, mais parce que Jimmy Goldsmith a voulu vivre et se recentrer aux États-Unis et revendre toutes ses entreprises d'Europe. Gilberte Beaux a négocié alors le rachat de la Générale Occidentale par la CGE (Compagnie générale d'électricité), devenue ainsi propriétaire de "L'Express" (voir la première vidéo ci-dessous).

À cette époque (lire plus haut), Gilberte Beaux était surtout occupée par son engagement politique derrière Raymond Barre, tout en présidant Basic, une société pétrolière au Guatemala, résidu de ses investissements antérieurs. Elle aurait pu dire qu'elle attendait ainsi une retraite déjà bien méritée, mais atteignant ses 60 ans, elle a relevé un nouveau challenge : Bernard Tapie est venu lui demander en 1990 de prendre la direction du groupe Adidas qu'il venait d'acquérir. Elle connaissait depuis une dizaine d'années Bernard Tapie pour avoir tenté de faire des affaires avec lui, mais sans résultat concret (Bernard Tapie était spécialiste des reprises d'entreprise en liquidation et de la valorisation et revente de leur actif).
 


Pour Adidas, dont elle a présidé le directoire puis le conseil de surveillance jusqu'à sa revente (qu'elle a négociée) en 1994 au milliardaire Roger Louis-Dreyfus. Pour redresser financièrement Adidas (au bord de la faillite), Gilberte Beaux a revendu d'autres entreprises du groupe Tapie comme La Vie claire avec de fortes plus-values, puis a accompagné la revente d'Adidas, remis à flots en deux ans (revendu parce que son propriétaire a été nommé ministre) dont fut chargé le Crédit lyonnais (ce qui allait aboutir à une très longue affaire financière et judiciaire car le Crédit lyonnais a fait de très substantiels gains en cachant la valeur réelle d'Adidas).

Cette revente a coïncidé à peu près avec la mort de son mari en 1995. Édouard Beaux avait acheté un ranch en Argentine et s'y était installé. Veuve, elle a découvert que la vie là-bas y était agréable et s'y est définitivement installée, commençant à près de 70 ans une nouvelle vie de paysanne argentine, du reste très appréciée localement pour avoir soutenu des opérations d'archéologie dans le coin. Ce qui est amusant, c'est que Marie-France Garaud et son collègue politique Pierre Juillet étaient eux aussi, à leurs heures perdues, des éleveurs de moutons dans la campagne profonde !

Elle qui a passé une trentaine d'années à voyager dans le monde pour les affaires, se rendant sur tous les continents, Europe, Amérique, Asie, reconnaît cependant un trou dans sa raquette, elle ne connaît pas l'Australie ! Elle a été aussi nommée membre du Conseil Économie et Social (devenu CESE, avec Environnemental), pour lequel elle est partie au Japon pour une mission d'étude, qui a abouti à un rapport publié au Journal officiel : "Pour une politique européenne et française face au Japon" (popularisée par un ouvrage grand public : "La Leçon japonaise", ed. Plon). Elle a aussi publié son autobiographie "Une Femme libre" en 2006 (éd. Fayard).
 


Gilberte Beaux est une personne qui est bien placée pour dire qu'elle s'est faite toute seule. Elle proclame à qui veut l'entendre que la personnalité et le caractère sont bien plus importants que l'intelligence pour réussir, en particulier, il faut prendre des décisions rapidement, quitte à prendre de mauvaises décisions, mais c'est toujours moins pire que ne pas décider du tout.

Femme ayant particulièrement réussi sa vie professionnelle, Gilberte Beaux est sans doute une meilleure féministe au sens de la promotion sociale des femmes que bien des militantes féministes stériles qui pinaillent sur des aspects dérisoires de la vie sociale ou prêtes à s'enflammer pour l'écriture inclusive. Elle a donné trois conseils aux femmes qui souhaitent réussir : la liberté, la flexibilité et la confiance en soi. Et pour elle, c'est essentiel : si vous ne vous sentez pas à l'aise dans vos fonctions, dans votre milieu professionnel, n'hésitez pas à en changer et à vivre autre chose. Sinon, votre créativité et votre vitalité risquent de se nécroser.

Et Gilberte Beaux est bien placée pour le dire parce qu'elle a eu plusieurs vies économiques, passant allègrement d'un secteur à l'autre pour diversifier ses expériences personelles : secteur de la banque, secteur de l'automobile, secteur de l'agro-alimentaire, secteur des médias et de la presse, secteur du pétrole, secteur du sport. Sans compter son incursion politique. Et désormais, secteur agricole avec son exploitation en Argentine. Elle a toujours été discrète et s'est peu souvent exposée auprès du grand public (selon ses activités économiques), mais elle mériterait d'être plus connue, car elle peut être un bon modèle de femmes cultivée et cultivatrice ! Bon anniversaire !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bernard Tapie.
Marie-France Garaud.
Raymond Barre.
Gilberte Beaux.
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.
 

 

 







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/gilberte-beaux-une-grande-dame-qui-255755

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/12/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html

 

 

 

 

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1 juin 2024 6 01 /06 /juin /2024 03:32

« Nous avons sauvé l'économie française ! » (Bruno Le Maire, le 31 mai 2024).



 


C'est avec cette petite phrase que le Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire a accueilli la décision très attendue (et redoutée) dans la soirée de ce vendredi 31 mai 2024 de l'agence de notation Standard & Poor's de dégrader la note de la France de AA à AA–. « Nous avons dépensé pour bien protéger. Ces dépenses indispensables ont évidemment augmenté la dette. », mais la dette française trouve « facilement preneur sur les marchés », a-t-il ajouté.

Pour Bruno Le Maire, en effet, la politique très dépensière du quoi-qu'il-en-coûte a permis de sauver des centaines de milliers d'emplois et des milliers d'entreprises de la faillite lors de la crise sanitaire du covid-19. Il a réaffirmé son objectif très ambitieux de réduire le déficit budgétaire en-dessous de 3% du PIB en 2027.

Alors que Moody's et Fitch avaient maintenu la note de la France le 26 avril 2024, Standard & Poor's, qui est sans doute l'agence de notation des dettes souveraines les plus écoutées des marchés, a été un peu plus sévère qu'elles pour sanctionner le déficit de 2023 beaucoup plus élevé que prévu. Il faut cependant rappeler que si elle avait maintenu sa note, cette note pour Fitch était déjà à AA– (avec un système de notation comparable). Malgré cette dégradation, la note signifie que le pays reste encore un pays de haute qualité pour ses obligations.

Cette dégradation de la note pourrait, si elle se répétait, avoir des effets dévastateurs si les taux d'intérêts devaient monter pour que la France puisse emprunter dans les marchés mondiaux. Elle sanctionne non seulement le déficit de 2023 mais finalement l'ensemble des budgets déficitaires depuis le début de la Présidence de François Mitterrand. Globalement, cela fait plus d'une génération que nous vivons au-dessus de nos moyens et que nous reportons l'addition aux générations suivantes. Les augmentations de taux pourraient amorcer un cercle vicieux, une spirale où les intérêts de la dette seraient tellement importants qu'il faudrait emprunter et emprunter.

Heureusement, la France n'en est pas là et a des fondamentaux sains puisque malgré le freinage de la croissance, le nombre de création d'emplois ne descend pas. Certes, la dégradation envoie un signal négatif, mais il y a d'autres signaux positifs pour les investisseurs étrangers et la France reste toujours le pays européen le plus attractif pour les investisseurs.

La dégradation de la note de la France doit donc être comprise comme un avertissement pour bien suivre la trajectoire annoncée du gouvernement de baisse à 2,9% du PIB de déficit dans trois ans. La crédibilité du gouvernement est cependant mise en cause par l'expérience du passé.

Inévitablement, les opposants de toute sorte à Emmanuel Macron vont bien sûr fustiger cette dégradation sans voir d'ailleurs une contradiction avec leur opposition aux réformes des retraites, de l'assurance-chômage, etc. qui contribuent pourtant à réduire les dépenses de l'État. On se plaint des carences dans l'éducation, la santé, la justice, la police, etc. et si on suivait la plupart des programmes des partis d'opposition, le déficit budgétaire bondirait de 100 milliards d'euros supplémentaires !

L'agence S&P, qui analyse la situation financière des États, prévoie que la dette de la France, qui est à 109% du PIB en 2023, atteindra 112% en 2027. Dans un communiqué, l'agence ajoute de manière assez pessimiste : « Même si nous pensons que la reprise de la croissance économique et les réformes économiques et budgétaires récemment mises en œuvre permettront à la France de réduire son déficit budgétaire, nous prévoyons maintenant qu'il restera supérieur à 3% du PIB en 2027. ».

Deux motions de censure pour contester la gestion des finances publiques ont été déposées et seront débattues lundi 3 juin 2024, une du RN et une de la Nupes. Le parti Les Républicains, en principe, ne devrait pas les voter, même si son président Éric Ciotti est très critique sur la politique du gouvernement en matière budgétaire. Dans "Le Parisien", Bruno Le Maire a affirmé : « Il n'y aura pas d'impact sur le quotidien des Français (…). Je prends note de cette décision. Elle ne change rien à ma détermination à rétablir les finances publiques. Nous avons commencé à le faire, nous continuons. ».

Malgré ces propos visant à dédramatiser, la dégradation de la note française ne va toutefois pas contribuer à renforcer la liste de la majorité présidentielle menée par Valérie Hayer aux élections européennes dans maintenant une semaine.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er juin 2024)
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Pour aller plus loin :
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240531-standard-and-poor-s.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/standard-poor-s-moins-indulgente-254947

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/31/article-sr-20240531-standard-and-poor-s.html



 

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