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11 novembre 2025 2 11 /11 /novembre /2025 14:15

« À l'issue de la cérémonie, le chef de l’État a reçu des porte-drapeaux, des membres des associations patriotiques, des membres du comité de la Flamme, des pensionnaires de l’Institution nationale des Invalides et des représentants du monde combattant ainsi que les représentants de la Mission Libération pour un déjeuner au Palais de l'Élysée. » (Communiqué de l'Élysée du 11 novembre 2025).





 


Le 11 novembre 2025 est un jour férié, mais plus que cela, un jour de commémoration populaire. C'était, ce mardi, le 107e anniversaire de l'Armistice, signée en pleine nuit pour être applicable le 11 novembre à 11 heures 11. Certains jusqu'au-boutistes ont voulu continuer le combat et certains soldats sont morts dans la matinée à cause de cela. Sans utilité puisque la paix était déjà déclarée. Mort inutilement, mais même avant l'Armistice, les morts de la guerre étaient-ils utiles ?

Je prétends que oui,
bien sûr, ils étaient malheureusement utiles, et c'est sans doute pour cela que je peux m'exprimer ici, en toute liberté, sans contrainte, que je peux choisir et assumer mes choix publiquement, en toute transparence, sans crainte d'être réprimé par une quelconque milice, et que je suis né Français, sans crainte de perdre ma Nation qui, comme le roc, a duré des millénaires et durera encore des millénaires.

Quand j'avais 15 ans, j'avais retrouvé, par ma grand-mère, une photographie de mon arrière-grand-père, son père, en uniforme, un bel homme de 30 ans en 1914 justement. Le double d'âge de moi, au début de la guerre. Je ne l'ai malheureusement pas connu pour des problèmes de chronologie des états-civils (je suis né après sa mort), mais j'ai eu l'occasion de connaître sa femme, mon arrière-grand-mère, légèrement plus âgée que lui (ce qui était un peu exceptionnel pour l'époque), avec qui j'ai pu avoir de longues conversations et qui me parlait de la "guerre de 70" (qu'elle n'avait pas connue car elle était née quatorze ans plus tard), elle me parlait des Schleu et des Boches parce que nous étions en Lorraine, meurtrie par les deux guerres mondiales, et quand je vois quelques images de la guerre en Ukraine, on a beau parler de hautes technologies, du renseignement, des drones, des missiles..., c'est une guerre de position où il faut des milliers de morts pour garder le front, ou conquérir quelques centaines de mètres, j'imagine sans peine l'horreur que furent ces quatre années sur cette terre devenue aride. Certains agriculteurs retrouvent encore aujourd'hui quelques bouts d'os de l'époque en labourant leurs champs.

C'est cela qu'on commémore le 11 novembre, la vaillance, la combativité, la mort de tous ces combattants qui, même si on est partisan de la paix, doivent être considérées comme utiles, indispensables à notre vie moderne pépère, confortable, sans danger sinon ceux de la menace des riches (trop manger, trop mal manger), et surtout, indispensables à notre liberté.

 


La disparition du service militaire, depuis quasiment une trentaine d'années, plus d'une génération, a rendu encore plus important ce type de cérémonie (le 11 novembre et le 8 mai) de recueillement et de prise de conscience que notre liberté n'était pas un acquis, une évidence, que des braves soldats, qui ne faisaient qu'obéir, en ont bavé quand ils n'en sont pas morts, dans les tranchées pleines de boue, sans nourriture, sans hygiène et, pour la plupart des rescapés, devenus complètement fous et sourds, tant le bruit des explosions était insupportable.

La cérémonie du 11 novembre est en quelque sorte l'équivalent républicain et national de la Toussaint pour les chrétiens, une commémoration des disparus, l'expression de notre gratitude, et, comme j'ai fait le tour du cimetière avec le curé il y a dix jours, j'ai fait aussi le tour du même cimetière avec le maire, les anciens maires et les autres officiels, gendarmes, autres militaires, policiers, pompiers, porte-drapeaux, etc. avec le recueillement devant le monument aux morts, les tombes des maires décédés et autres disparus qui ont compté pour les habitants (dont cet instituteur de 43 ans, arrêté pour faits de résistance le 4 août 1944, peu avant la Libération, qui est mort le 24 janvier 1945 déporté en Allemagne).

Et à Paris aussi, bien entendu, les commémorations du 11 novembre sont importantes, en particulier parce qu'il y a sous l'Arc-de-Triomphe la tombe du Soldat inconnu dont la flamme est ravivée chaque jour depuis la fin de la guerre, en guise de reconnaissance de la Nation toute entière. Le maître de cérémonie, pour la neuvième fois consécutive, était le Président de la République Emmanuel Macron.

En termes de cohésion nationale, la Constitution est assez claire sur les prérogatives du chef de l'État. Deux articles le précisent. L'article 5 : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. ». Et l'article 15 : « Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale. ».

 


Pendant toute la campagne présidentielle de 2017, on l'oublie un peu vite, on a souvent considéré que le candidat Emmanuel Macron était peu crédible sur le régalien. On lui concédait une compétence sur l'économie, l'innovation (et on a eu raison, le chômage a durablement baissé, et est au plus bas depuis quarante-cinq ans, la France reste le pays européen le plus attractif des investisseurs étrangers), mais on considérait qu'il n'était pas crédible sur le régalien, ce qui pouvait être fatal pour devenir chef de l'État.

C'est pourquoi dès sa prise de fonction, le 14 mai 2017, Emmanuel Macron a tenu à "rassurer" sur ce plan-là, et il me semble qu'il y est parvenu très rapidement puisque le principal reproche est depuis le début d'être un Président Jupiter qui s'occuperait de tout. En ce sens, on ne mobilise pas près d'une cinquantaine de millions d'électeurs pour élire un Président qui n'inaugurerait que les chrysanthèmes. L'hyper-présidentialisation n'est pas un phénomène récent et a commencé dès le premier jour de la Cinquième République avec De Gaulle qui a souhaité se faire élire Président de la République (et pas rester chef du gouvernement).
 


Or, depuis l'été 2024, Emmanuel Macron n'a plus que des postures régaliennes, faute d'avoir une majorité à l'Assemblée Nationale. Et il s'y complaît excellemment, et, je le répète, depuis le début de son premier mandat. Il a d'ailleurs multiplié les hommages et les cérémonies pour diverses raisons, dont la principale est l'expression de gratitude de la République française, capable de reconnaître les mérites de ses citoyens. Ce Président régalien pourra même être regretté dans l'avenir, puisqu'il n'a plus que dix-huit mois avant de terminer son second quinquennat.

Malgré l'impopularité, les dénigreurs professionnels, les râleurs patentés, les aboyeurs antipatriotiques et les fossoyeurs de l'indépendance nationale, le Président de la République s'acquitte avec brio de sa délicate mission de maintenir la cohésion nationale, au-delà des luttes politiciennes stériles. Je salue la dignité qu'il a toujours maintenue de la fonction présidentielle et son courage, tête haute et mains propres, comme dirait l'autre. Haut les cœurs.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 novembre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le 11 Novembre et le régalien.
De Gaulle et le gaullisme en 2025.
La Toussaint et ses mille visages !
Le 8 mai ou le 9 mai ?
Claude Bloch, passeur de mémoire.









https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251111-onze-novembre.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/le-11-novembre-et-le-regalien-264403

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/11/11/article-sr-20251111-onze-novembre.html


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9 novembre 2025 7 09 /11 /novembre /2025 03:25

« La cohésion nationale est à notre époque très fragile pour différentes raisons. Le rôle du politique est de pondérer, temporiser, modérer, pas de renforcer les haines et les divisions. (…) Et dans tous les cas, dans toutes les circonstances, pensez avant tout [aux] victime[s] et à [leurs] proches ! » (28 avril 2025).





 


Il y a dix ans, le vendredi 13 novembre 2015, dans la soirée, une série d'attentats à Paris a endeuillé la France entière. Au total, on a compté 133 morts (130 morts et 3 victimes survivantes du Bataclan qui se sont suicidées, l'une en novembre 2017, une autre en novembre 2021 et la troisième en mai 2024) et 413 blessés dont 99 qui ont été placées en urgence absolue. Une journée particulièrement sanguinaire, parmi les attentats ayant fait le plus de victimes, en France et en Europe. En tout, six attaques dans la soirée, perpétrées par dix terroristes et une vingtaine de complices.

Lorsque j'ai entendu les premières annonces en début de soirée, une personne chère qui travaillait à Paris devait me rejoindre. Inutile de dire que je lui ai dit d'attendre avant de sortir prendre sa voiture. Et les sorties prévues à Paris le week-end qui arrivait étaient annulées. Une véritable peur, une psychose des attentats terroristes islamiques.


Les cibles n'étaient pas anodines. Après la rédaction de "Charlie Hebdo" en début d'année (le 7 janvier 2015), c'était le mode de vie à la française qui était atteint : le prélassement un soir de fin de semaine, plutôt doux pour la saison, ce qui justifiait de prendre un pot entre amis à une terrasse de bistrot ou de brasserie, une salle de spectacle avec des artistes supposés diaboliques (un concert du groupe américain de hard rock Eagles of Death Metal), enfin, un match de football (amical, entre la France et l'Allemagne) au Stade de France, à Saint-Denis, et parmi les spectateurs, le Président de la République François Hollande lui-même, qui s'est fait exfiltrer sans que les présents ne prennent connaissance de la réalité des attentats, pour foncer à l'Élysée et réunir immédiatement une cellule de crise. On allait parler des attentats du Bataclan en incluant évidemment les terrasses de café et le Stade de France, comme on parle des attentats de "Charlie Hebdo" qui ont fait d'autres victimes dans la course folle des terroristes, une policière et des présents à l'Hyper Casher de la Porte de Vincennes.
 


Sans doute le plus émouvant parce que le plus meurtrier (90 morts !), la fusillade à l'intérieur de la salle du Bataclan, puis la prise d'otages, avec des exécutions préférentielles, ont particulièrement touché les Français, et évidemment les centaines de spectateurs rescapés qui ont été ainsi marqués à vie (au point que trois se sont suicidés en dix ans). La prise d'otages a fait intervenir la BRI (brigade de recherche et d'intervention de Paris), la BI (brigade d'intervention de Paris) et le RAID, qui ont sécurisé les lieux après un combat très difficile de trois heures et demi.

L'âge moyen des victimes du 15 novembre 2015 était de 35 ans, depuis une lycéenne de 17 ans au Bataclan jusqu'à un chef d'entreprise de 68 ans également au Bataclan. Elles étaient principalement françaises (110 sur 133). Sept terroristes ont été tués ou se sont suicidés pendant la soirée du 15 novembre 2015, et en tout, la cour d'assises spéciale a reconnu coupables les vingt prévenus le 29 juin 2022 après plus de dix mois d'audiences, coupables de quasiment tous les chefs d'accusation. Sept terroristes y ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité dont six à la perpétuité incompressible (dont Salah Abdeslam, les cinq autres étaient absents et présumés tués en Syrie).

Bataclan Mon Amour... Comme il n'est pas possible de rappeler la mémoire de toutes les victimes du 15 novembre 2015, rappelons seulement la mémoire d'un couple, des jeunes gens joyeux à l'idée d'assister à un concert au Bataclan, joyeux à l'idée de passer une soirée sympathique. Parce que leur photo est tellement en opposition avec ce qu'ils ont réellement vécu ce soir-là, ils ont ému de nombreuses personnes. Elle s'appelait Marie Lausch et était originaire de Saint-Julien-lès-Metz ; il s'appelait Mathias Dymarski et était originaire d'Ancy-sur-Moselle. Victimes innocentes, toujours innocentes, de la folie terroriste.
 


Au-delà des "petits attentats" parfois meurtriers qui se sont multipliés en France depuis 2015 (après aussi ceux de mars 2012), un troisième gros attentat, celui au camion-bélier à Nice le 14 juillet 2016, a fini pour faire comprendre que la France (et plus généralement le monde) vivait désormais dans une nouvelle époque, celle du terrorisme islamique et surtout, de ses attentats suicides. Dès lors, la répression contre ce genre de terroristes qui ne craignent pas pour leur vie est dérisoire : seule la prévention, c'est-à-dire le renseignement, la surveillance des réseaux terroristes (notamment avec la loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement), permet d'empêcher de nouveaux attentats et en dix ans, ce sont des centaines de tentatives d'attentat qui ont été déjouées par les forces de l'ordre sur le territoire français.

Dix ans ont passé et le risque reste toujours très élevé. Très récemment, on a appris ce samedi 8 novembre 2025 que le 10 octobre 2025 ont été arrêtées trois jeunes femmes, âgées respectivement de 18, 19 et 21 ans, pour association de malfaiteurs terroristes, accusées de préparer des attentats de type terrasse de café et salle de spectacle à Lyon, Villeurbanne et Vierzon.


Du reste, un attentat à la voiture-bélier a fait cinq victimes, heureusement dont le pronostic vital n'est plus engagé, le 5 novembre 2025 à l'île d'Oléron, même si cet attentat ne serait pas d'origine terroriste islamique (l'auteur, alcoolique et consommateur de cannabis, converti à l'islam, a tout de même crié Allah Akbar !). De même, le 28 octobre 2025 à Londres, un attentat au couteau a fait un mort et deux blessés (le 2 octobre 2025, dans une synagogue de Manchester, un attentat à la voiture-bélier puis au couteau a fait deux morts et quatre blessés). Rappelons aussi Samuel Paty et Dominique Bernard assassinés dans le cadre d'un établissement scolaire, l'instruction républicaine étant évidemment l'ennemie de ces terroristes sectaires.

Ce serait donc une grande erreur de croire que cette période d'attentats est derrière nous. Malheureusement, cette possibilité d'un attentat terroriste islamique restera toujours aussi forte tant que Daech n'est pas totalement éliminé de Syrie et d'Irak. Ce terrorisme nous conduit à nous transformer en une société de surveillance... avec le consentement d'une grande majorité du peuple.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 novembre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bataclan, ten years after.
Pourquoi Aboubakar Cissé a-t-il été assassiné ?
Soumy : grâce musicale versus vulgarité brutale.
Syrie : peut-on encore massacrer en paix ?
Kfir Bibas, d'horreurs en horreurs...

Philippe Val et la promesse d'autres tragédies.
7 janvier 2025 : êtes-vous toujours Charlie ?
L’esprit républicain.
Fête nationale : cinq ans plus tard…



 








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251112-attentat-bataclan.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/bataclan-ten-years-after-264313

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/11/08/article-sr-20251112-attentat-bataclan.html


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7 novembre 2025 5 07 /11 /novembre /2025 03:35

« Au cœur même de l'hémicycle de l'Assemblée Nationale, où a en particulier été votée la loi de 2004 sur la laïcité à l'école, il me paraît inacceptable que de jeunes enfants puissent porter des signes religieux ostensibles dans les tribunes. Nous n'avions pas été confrontés à cette situation par le passé. J'ai appelé chacun à une extrême vigilance pour que cela ne se reproduise pas. C'est une question de cohérence républicaine. » (Yaël Braun-Pivet, le 5 novembre 2025 sur Twitter).




 


Et revoici encore une nouvelle polémique sur le voile, cette fois-ci à l'Assemblée Nationale, cœur de la démocratie parlementaire. Les faits : un groupe scolaire a assisté, sur l'invitation d'un député, à la séance des questions au gouvernement de ce mercredi 5 novembre 2025 à l'Assemblée Nationale. Ce qui a fait polémique, c'est que les fillettes étaient voilées, montrant un signe religieux.

Il n'y a qu'en France qu'on polémique sur le sujet, et pourtant, la polémique n'est pas artificielle, elle relève de nombreux sujets très sensibles en France : la religion et en particulier l'islam, et son corollaire, la laïcité, mais aussi la protection des femmes, en particulier quand ces femmes son mineures, et enfin, la liberté de pratiquer sa religion voire, tout simplement, la liberté de porter les vêtements qu'on veut. Et j'ajoute aussi une valeur sûre mais peut-être désuète, la politesse, et sa traduction sociale dans les convenances, le savoir-vivre dans un lieu institutionnel.


Évidemment, on pourrait penser que c'était la énième passe d'armes entre le RN et les insoumis... Les premiers criant à la provocation et les seconds à la stigmatisation. On pourrait ainsi penser qu'un député insoumis, toujours dans le cadre d'une récupération électorale d'une population supposée musulmane, avait invité volontairement ce groupe scolaire "voilé". Et on pourrait penser aussi que les députés RN ont surréagi, tombant dans le piège de la provocation par la stigmatisation, en particulier de ces enfants qui, quoi qu'il en soit, n'y peuvent rien et ne doivent pas être, personnellement, au centre de cette mini-tempête politique et médiatique qui les dépasse.

La première chose à rappeler, c'est que le groupe scolaire a été invité par le député Marc Fesneau, ancien Ministre de l'Agriculture et surtout, député du MoDem, et même, président du groupe MoDem à l'Assemblée. Ce dernier l'a admis : « Cette venue a été organisée par mon équipe parlementaire (…), et donc, de facto, placée sous ma responsabilité. ». Il a enchaîné ainsi : « Je comprends que la présence en tribune d'élèves portant un voile puisse choquer. ». Mais a remarqué aussi : « Ces polémiques sont inutiles et viennent surtout jeter des enfants à la vindicte populaire. ».

Ce n'était donc pas une provocation d'un député insoumis. En outre, la personne qui a réagi avec le plus d'écho, ce n'était pas un député RN, mais Yaël Braun-Pivet elle-même, la Présidente de l'Assemblée Nationale, qui avait présidé la séance en question, et qui n'a réagi que dans la soirée, soit plusieurs heures plus tard, sans doute alertée par des proches qui avaient aperçu à la télévision ces fillettes voilées à la tribune.
 


Deux choses ont choqué : d'une part, que des fillettes, dans une sortie scolaires, aient été voilées, et d'autre part, qu'elles le fussent à l'intérieur d'une institution comme le Palais-Bourbon. Cela donne, en effet, une impression que la France serait devenu un pays musulman. En l'occurrence, elle l'est pour une certaine proportion de ses habitants.

Concernant le fait que ces élèves fussent voilées dans le cadre d'une sortie scolaire, cela s'explique très bien. La loi n°2004-228 du 15 mars 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques, comme son nom l'indique, interdit le port ostensible de signes religieux à l'école... publique ! Or, ces élèves sont scolarisées dans une école privée, ce qui leur permet de garder des signes religieux (comme c'est le cas aussi pour d'autres religions), tant dans l'enceinte de l'établissement scolaire que dans les sorties scolaires.

Rappelons aussi qu'une polémique s'était déclenchée sur les mères accompagnatrices des élèves dans les sorties scolaires. Contrairement aux élèves, elles sont majeures et même s'il s'agit d'une école publique, elles peuvent porter le voile. Cela peut troubler, mais c'est la loi et elle ne sera certainement pas modifiée dans ce sens en raison du principe de réalité : si les accompagnatrices scolaires n'avaient pas le droit de porter le voile, il n'y aurait plus de sortie scolaire, ou alors, il faudrait recruter des milliers de fonctionnaires pour que ce soit l'État qui accompagne les élèves et pas les parents d'élève (qui le font bénévolement), ce qui, dans l'état budgétaire de la France, est peu responsable et pas du tout raisonnable.


De même, certains ont prôné l'interdiction du port du voile à l'université. Là encore, l'idée de la loi du 15 mars 2004, ce n'est pas d'interdire de pratiquer une religion, ni d'en interdire la manifestation, deux éléments qui sont garantis par la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité, qui est une neutralité de l'État et pas une mise en opposition des religions, mais de permettre à l'enfant, c'est-à-dire à l'adulte en devenir, de se retrouver dans un cadre de neutralité religieuse, du moins pour les établissements publics. À l'université, l'étudiant est majeur (ou pas loin de l'être), et est capable d'avoir et d'assumer ses choix ou non-choix religieux. Ce serait comme interdire le port du voile dans l'espace public (la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdit la burqa dans l'espace public pour des raisons de sécurité, et pas religieuses, ne pas dissimuler son visage).

Donc, voir ces fillettes avec un voile ne devrait pas choquer dans une sortie scolaire et sans nul doute que ce n'était pas la première sortie scolaire qu'elles ont dû faire dans leur scolarité, et si polémique il y a eu à cet égard, elle n'a pas dû franchir le seul domaine des informations locales.


En revanche, je trouve choquant que des femmes, plus encore lorsqu'elles sont mineures, soient voilées à l'intérieur du Parlement et des institutions de la République plus généralement, lorsque l'exercice de la démocratie est pratiqué (c'est-à-dire en séance publique). Au Sénat, c'est interdit de porter le voile : une femme voilée peut visiter les locaux du Sénat, mais le port du voile est interdit en tribune lorsqu'il y a une séance, à l'exception des délégations diplomatiques officielles.

À l'Assemblée Nationale, les règles sont moins strictes : « Le port de tenues manifestant une appartenance religieuse n'est pas en soi interdit. » a-t-on rappelé au Palais-Bourbon. En effet, la seule contrainte est énoncée par l'article 8 du règlement de l'Assemblée Nationale : « Pour être admis dans les tribunes, le public doit porter une tenue correcte. Il se tient assis, découvert et en silence. ».

En principe, cela devrait interdire le port du voile (pas couvert), mais le service communication de l'Assemblée, contacté par Public-Sénat, a confirmé que l'article 8 « n'est pas interprété à la lettre ». Et de préciser : « Ce n'est que dans le cas où le président de séance estimerait que le port de telles tenues est de nature à troubler l'ordre ou le bon déroulement des débats qu'il pourrait être amené à prendre des mesures. (…) Cette tolérance permet d'accueillir en tribune des députées ou d'autres invitées étrangères voilées. ». Quant à déambuler dans les couloirs du Palais-Bourbon, hors hémicycle, c'est la liberté, comme au Sénat : « Ailleurs dans l'Assemblée, la question ne s'est jamais posée, le libre accès prévaut, dès lors qu'il n'y a pas dissimulation du visage. ».

Si cela choque, les députés peuvent toujours modifier le règlement de l'Assemblée Nationale, en interdisant explicitement le port du voile, sauf pour les délégations étrangères (exception de courtoisie diplomatique). Cela aura le mérite de clore la polémique et de passer à autre chose. Le voile à l'école a mis vingt-cinq ans avant d'être réglé. Aujourd'hui, il n'y a plus de problème à ce niveau-là. Tout simplement parce que les textes ne sont plus sujets à interprétation. Que l'Assemblée fasse comme le Sénat et l'affaire sera close.

Ce n'est pas la première fois que la polémique du voile s'est invitée à l'Assemblée Nationale. Déjà le 17 septembre 2020, la polémique s'était installée lors de l'audition d'une personnalité qualifiée qui avait gardé son voile lorsqu'elle a été interrogée par une commission parlementaire au Palais-Bourbon. Là encore, un administrateur de l'Assemblée avait répondu : « Aucune règle n’existe et n’empêche d’auditionner une femme voilée (…). Rien dans le règlement ne fait obstacle à une quelconque tenue pour une audition. ». Mais rien n'empêchait non plus les députés de modifier, là aussi, leur règlement. Malgré la polémique, le règlement n'avait pas été modifié en conséquence. C'est à croire qu'une polémique ne sert qu'à polémiquer et à tenir juste une posture, au lieu de résoudre efficacement les problèmes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 novembre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Faut-il interdire le voile à l'Assemblée Nationale ?
Islamo-gauchisme : le voile à l’Assemblée, pour ou contre ?
Les sans-cravates de l'Assemblée.
La cause des femmes non voilées.
La laïcité tolérante mais intransigeante de Bernard Stasi.
Rapport Stasi du 11 décembre 2003 sur la laïcité (à télécharger).
Bernard Stasi et la peine de mort.
Discours du Président Jacques Chirac le 17 décembre 2003 à l’Élysée sur la laïcité (texte intégral).
La Commission Stasi : la République, le voile islamique et le "vivre ensemble".
L’immigration, une chance pour la France : Bernard Stasi toujours d’actualité !
Le Conseil d’État rejette définitivement le burkini à Grenoble.
Burkini, c’est fini ?
Burkini : la honte de Grenoble !
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
Le burkini dans tous ses états.
Ne nous enlevez pas les Miss France !
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
Une collusion tacite des secours humanitaires avec les passeurs criminels ?
Ils sont tombés par terre, c’est la faute à Colbert !
Mort d’Adama Traoré : le communautarisme identitaire est un racisme.
La guerre contre le séparatisme islamiste engagée par Emmanuel Macron.
La laïcité depuis le 9 décembre 1905.
Le burkini réseau en question.
L’apéro saucisson vin rouge (12 juillet 2011).
L’esprit républicain.
Le patriotisme.
Représenter le prophète ?
L’islam rouge (19 septembre 2012).
La laïcité et le voile.
La burqa et la République.
Terrorisme et islamisme.




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251105-voile-assemblee-nationale.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/faut-il-interdire-le-voile-a-l-264278

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/11/06/article-sr-20251105-voile-assemblee-nationale.html


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8 octobre 2025 3 08 /10 /octobre /2025 18:30

« Ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles. » (Robert Badinter, le 17 septembre 1981 dans l'hémicycle).




 



Ce jeudi 9 octobre 2025 vers 17 heures 30, quarante-quatre ans après la promulgation de la loi qui a aboli la peine de mort, a lieu la cérémonie de transfert des restes de Robert Badinter au Panthéon. Il repose depuis plus d'un an au cimetière parisien de Bagneux. Dans la liturgie républicaine, une mise en Panthéon est une canonisation (sans passer par la case béatification). La cérémonie sera présidée par le Président de la République Emmanuel Macron qui l'avait préparée, auprès de sa veuve Élisabeth Badinter, le même jour du lundi 6 octobre 2025 que la funeste implosion du gouvernement de Sébastien Lecornu.

Robert Badinter aurait pu avoir tous les honneurs de son vivant, comme celui d'être élu membre de l'Académie française (certains académiciens auraient été honorés de la compagnie d'un tel Immortel). Il avait refusé... mais la pression était trop forte pour empêcher cette panthéonisation. Pourtant, il ne voulait pas être vénéré. Il n'était qu'un combattant, un combattant des libertés, un combattant de la laïcité et un combattant de l'abolition de la peine de mort.

 

On a trop besoin de modèles républicains, surtout en ces temps où la classe politique n'est plus capable de sortir de ses intérêts partisans pour s'élever vers l'intérêt général. Robert Badinter était le gardien moral d'une certaine idée de ces valeurs républicaines.

Il n'était pas consensuel ; au contraire, il a été souvent minoritaire, même auprès de son ami François Mitterrand qui a mis du temps à se convaincre qu'il fallait abolir la peine de mort. Robert Badinter, c'était un homme en colère. En colère, par exemple, lorsqu'il était sénateur et qu'il voyait ses camarades socialistes esquiver le débat sur le voile ou sur la burqa. Ou encore lorsque les tribunaux se dépêchaient de condamner à mort pendant la campagne présidentielle de 1981.


De tous ses combats, c'est l'antisémitisme et le racisme qui le dégoûtaient le plus. Il n'hésitait pas à dire le 25 avril 2019 sur France 2 que les antisémites étaient des cons, puis qu'ils étaient au mieux des imbéciles, au pire des criminels.

Il faut dire que la motivation originelle de ses combats, c'était la Shoah. Sa présence même en France (il est né à Paris le 30 mars 1928) provenait de l'antisémitisme que ses parents ont connu : son père était moldave et d'origine juive et a émigré en France en 1919 (poursuivant des études commerciales à l'ICN à Nancy), et a rencontré la future mère de Robert Badinter en France, elle-même d'une famille juive de Moldavie qui a également émigrépour fuir l'antisémitisme. Et la guerre fut atroce pour la famille de Robert Badinter dont beaucoup de membres ont péri dans les camps d'extermination. Elle était là, la colère intrinsèque de Robert Badinter contre l'injustice et sa passion de défendre les causes morales.

Mais les valeurs républicaines ne signifiaient pas du wokisme : il était contre le voile, comme je l'ai dit plus haut, il était pour être ferme sur les valeurs de la République, ne jamais céder dans le communautarisme, d'autant plus que certaines tendances vont à l'encontre de ces valeurs. Dans "Le Point" du 2 octobre 2025, son épouse Élisabeth Badinter restait d'ailleurs très inquiète : « Je suis mal à l'aise dans mon pays en ce moment, et si triste. Cette impression que tout est à recommencer, que nos valeurs sont devenues inaudibles... ».


L'un des amis de la famille, l'avocat Richard Malka a expliqué ce 8 octobre 2025 sur France 5 qu'il n'avait pas vraiment pu aborder avec Robert Badinter le thème du massacre du 7 octobre 2023, quelques mois avant sa disparition (le 9 février 2024), ni de l'antisémitisme qui s'est développé notamment en France. Et pourtant, Robert Badinter évoquait très régulièrement avec lui la Shoah, comme mythe fondateur de sa propre existence.

Gageons que cette journée du jeudi 9 octobre 2025 soit une petite trêve politique très précieuse pour que la classe politique rende hommage à Robert Badinter, un peu comme l'ont été les Jeux olympiques comme trêve estivale après une campagne législative ardue. Ce sera un moment d'unité nationale et, disons-le, de communion nationale, même s'il ne fera pas de miracle, et ces occasions sont suffisamment rares pour le souligner.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 octobre 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Saint Robert Badinter, priez pour nous !
Robert Badinter au Panthéon : faut-il s'en réjouir ?
Élisabeth Badinter.
Robert Badinter transformé en icône de la République.
Hommage national à Robert Badinter le 14 février 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).

Robert Badinter, un intellectuel errant en politique.
Le procureur Badinter accuse le criminel Poutine !
L'anti-politique.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
Une conscience nationale.
L’affaire Patrick Henry.
Robert Badinter et la burqa.
L’abolition de la peine de mort.
La peine de mort.
François Mitterrand.
François Mitterrand et l’Algérie.
Roland Dumas.










https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20251008-robert-badinter.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/saint-robert-badinter-priez-pour-263586

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/10/08/article-sr-20251008-robert-badinter.html


 

 




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15 septembre 2025 1 15 /09 /septembre /2025 04:35

« Nous savons d'où nous venons (…). Mais nous ne savons pas où nous allons. Peut-être pourrons-nous survivre aux maladies et échapper aux sélections, peut-être même résister au travail et à la faim qui nous consument : et puis ? (…) Tout nous dit que nous ne reviendrons pas. Nous avons voyagé jusqu'ici dans les wagons plombés, nous avons vu nos femmes et nos enfants partir pour le néant ; et nous, devenus esclaves, nous avons fait cent fois le parcours monotone de la bête au travail, morts à nous-mêmes avant de mourir à la vie, anonymement. Nous ne reviendrons pas. Personne ne sortira d'ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l'homme, à Auschwitz, a pu faire d'un autre homme. » (Primo Levi, "Si c'est un homme", 1947).




 


Le témoignage de Primo Levi, intitulé "Si c'est un homme", publié en 1947, a été l'un des tous premiers témoignages d'un déporté juif revenu du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Ce fut un échec commercial. Personne ne voulait le lire. C'était trop dur. Nous sommes maintenant le 27 janvier 2025, au 80e anniversaire de la libération de ce camp de la mort. Depuis une quarantaine d'années, les témoignages sont nombreux, les anciens déportés témoignent. On les écoute enfin. 80 ans. Les derniers déportés sont encore là à témoigner, plus vivants que jamais.

Le Président de la République Emmanuel Macron a participé à deux cérémonies, une en France et une sur les lieux de l'horreur, en Pologne. À Paris le matin, il s'est recueilli dans la crypte du Mémorial de la Shoah et y a écrit un petit mot sur le livre d'or : « Nous ne céderons rien face à l'antisémitisme sous toutes les formes. ». Et sur Twitter : « Soyons la mémoire de leur mémoire ! ».

 


Emmanuel Macron a rencontré notamment une ancienne déportée Esther Senot, à la forme extraordinaire, elle a fêté son 97e anniversaire ce 15 janvier (je l'ai rencontrée il y a quelques semaines, une femme formidable !, j'en reparlerai). Elle est une rescapée des camps pendant une longue durée, deux hivers ! Survivre à deux hivers, c'est dément ! Cela vaut tous les diplômes, toutes les médailles. C'est un brevet de bravoure autant que de courage, un brevet de débrouillardise aussi.

 


Voici ce qu'elle a dit au Président de la République, qui est resté complètement silencieux : « Quand je suis arrivée à Auschwitz, j'ai été déportée en 1943, et j'ai retrouvé ma sœur qui avait été déportée avant moi. Ça faisait huit mois qu'elle était à Birkenau quand je suis arrivée. Évidemment, moi, je ne l'ai pas reconnue, elle était dans un état pitoyable. Et puis, au fur et à mesure que les mois passaient, quand on est arrivé en décembre, parce que je suis quand même restée dix-sept mois à Birkenau, j'ai passé deux hivers et j'ai fait la marche de la mort. Voyez, j'ai fini au camp de Mauthausen, en mai 45. Et ce qui m'a motivée, c'est que quand ma sœur avait été prise dans une sélection, malheureusement, dans l'état pitoyable où elle était, avait été envoyée à l'infirmerie, je me suis précipitée pour la voir. Et là, elle se soulevait, elle était dans un état pitoyable. Elle saignait de partout, elle avait été mordue par les chiens. Elle se soulevait, elle m'a dit : "Tu sais, la guerre va bientôt finir", parce que comme les transports, à partir de 43, arrivaient de l'Europe entière, on savait que les Allemands commençaient à reculer à cette période-là. Alors, elle m'a dit : "Écoute, la guerre est bientôt finie. Toi, tu es jeune, tu as l'air de tenir le coup. Tu me promets que si un jour, tu as le bonheur de revenir en France, de raconter tout ce qu'on a pu supporter : les sévices, la déshumanisation, les coups, enfin, tu vois, tous ces gens qui, patiemment, attendaient d'aller dans la chambre à gaz". Et finalement, je lui ai dit : "Oui, je te promets". Puis, finalement, elle est retombée, et il a fallu que j'aille travailler. Et j'ai perdu ma sœur comme ça, presque dans mes bras. Vous savez, j'ai eu un mal fou à reprendre le dessus. Je suis quand même arrivée jusqu'au bout, en étant restée pratiquement deux ans. J'ai été déportée, j'avais 15 ans. Je suis revenue, j'en avais 17. Et le retour a été assez pénible parce que la guerre, ça faisait un an qu'elle était terminée. On est revenus dans l'indifférence totale, parce que les gens nous écoutaient, mais ils ne nous entendaient pas. Je me souviens, j'ai voulu retourner dans le quartier où j'habitais. Évidemment, quand je suis revenue, je pesais 32 kg, puis les cheveux rasés. Un an après la guerre, on ne rencontrait pas dans la rue des femmes dans cet état-là. Alors, j'ai eu un petit attroupement. Les gens commençaient à dire : "Qu'est-ce qui vous est arrivée ?". Donc, on a voulu parler, puisqu'on nous posait des questions. Et puis finalement, au bout d'un moment, ils ont commencé à s'énerver en disant : "Vous racontez n'importe quoi. Vous êtes devenue folle. Ça n'a pas pu exister". Et il y a un monsieur qui me regarde et qui me dit : "Vous êtes revenus si peu nombreux. Qu'est-ce que vous avez fait, vous, pour revenir et pas les autres ?". Finalement, on a été pratiquement culpabilisés. Et là, tout continue. On reprend la vie. Je me suis mariée, j'ai eu des enfants, trois fils. J'ai six petits-fils, j'ai six arrière-petits-fils. Et je suis revenue en premier, parce que personne de ma famille n'est revenu. Mais j'ai quand même réussi à reconstituer une famille, qui a très bien réussi. ».

Après son entretien et celui avec un autre rescapé, Léon Placek, Emmanuel Macron a tweeté : « Être la mémoire de votre mémoire, Esther Senot, Léon Placek, je m'y engage. ».
 


L'après-midi, Emmanuel Macron et son épouse Brigitte ont rejoint de nombreux autres chefs d'État et de gouvernement, en particulier le roi Charles III, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky, le Président de la République fédérale d'Allemagne Frank-Walter Steinmeier, etc. pour une grande cérémonie au camp même d'Auschwitz-Birkenau. Là encore, pour ces dirigeants d'État, silence. Pas d'allocution, pas de discours. Juste de l'écoute. Écouter les rescapés encore et toujours. Avant qu'ils ne disparaissent.

C'était l'occasion, pour le chef de l'État français, de tweeter : « À Auschwitz il y a 80 ans, l’humanité déchirait le voile des ténèbres, révélant l’ampleur de la barbarie nazie. "Même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lèvera" disait Victor Hugo. La mémoire est notre lumière, notre rempart face à la haine. N’oublions jamais. ».

Après la cérémonie internationale, le Président de la République française s'est rendu au Pavillon français qui existe depuis 1979 avec une exposition permanente en souvenir des victimes françaises de l'Holocauste.


 


Dans "Si c'est un homme", Primo Levi écrivait encore : « Beaucoup d'entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que "l'étranger, c'est l'ennemi". Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d'un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager ; c'est-à-dire le produit d'une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l'histoire des camps d'extermination retenir pour tous comme un sinistre signal d'alarme. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Auschwitz : soyons la mémoire de leur mémoire !
Auschwitz aujourd'hui.
La Nuit de la Shoah.
Mauschwitz.
Esther Senot.
Pogrom à Amsterdam : toujours la même musique...
Laura Blajman-Kadar.
Le rappel très ferme d'Emmanuel Macron contre l'antisémitisme.
Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Elie Wiesel.
Robert Merle.
Le calvaire de Simone Veil.
Anne Frank.
Le nazisme.
Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon : pluie et émotion !
Hommage du Président Emmanuel Macron à Missak Manouchian au Panthéon le 21 février 2024 (texte intégral et vidéo).
Les Manouchian mercredi au Panthéon.
Loi sur les génocides invalidée : faut-il s'en réjouir ?
Michel Cherrier.
Léon Gautier.
Claude Bloch, passeur de mémoire.









https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250127-auschwitz.html

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http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/01/27/article-sr-20250127-auschwitz.html


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18 août 2025 1 18 /08 /août /2025 04:32

« Il est décidé de passer à la phase de sédation. Alain Delon est paisible, serein, ses yeux se ferment mais son cœur bat encore. » ("Paris Match", numéro spécial Alain Delon du 20 août 2024).




 


Le grand acteur Alain Delon est mort il y a un an, dans la nuit du 17 au 18 août 2024, à 3 heures du matin, le cœur s'arrêtant de battre, quelques mois avant ses 89 ans. Il est parti paisiblement, entouré des siens, ses trois enfants, ses deux petits-enfants, au lieu qu'il avait voulu, à savoir, sa maison de Douchy, au domaine de La Brûlerie, dans le Loiret, qu'il avait acquise en 1971 avec Mireille Darc, sa pétillante compagne de l'époque.

Certains avaient polémiqué, il y a quelques années, sur son retour en France alors qu'il était resté longtemps contribuable suisse. Mais quand on commence à partir, à s'évaporer, on se détache de ses affaires matérielles et on revient aux fondamentaux, à ses racines, à sa famille, à son pays.

C'est le numéro spécial sur Alain Delon de l'hebdomadaire "Paris Match", sorti le 20 août 2024 (soixante-sept pages sur l'acteur), qui a raconté la chose. On savait qu'Alain Delon ne voulait aucun acharnement thérapeutique (c'est même illégal de l'imposer depuis la loi Leonetti du 22 avril 2005), et souvent, dans les interviews, et depuis longtemps, l'acteur n'hésitait pas à se dire favorable à l'euthanasie. Pas forcément une loi, non, mais simplement pour lui, il souhaitait décider jusqu'au bout de sa vie (ce qui est aussi orgueilleux que vain, d'une certaine manière, mais correspond assez bien à la réputation du personnage).

Il était atteint d'un lymphome à progression lente, c'est pour cela qu'il a pu prendre les devants et se préparer. Il savait ses journées comptées. C'est pour cela qu'il savait que Noël 2023 était son dernier Noël et il l'avait signalé à ses proches qu'il avait su réunir malgré leurs différences (ou différends ?). Cela fait penser un peu à François Mitterrand à la fin de l'année 1995, quand il a fait sa tournée des adieux avec les fêtes de fin d'année et qu'il a lâché prise au début de l'année suivante.

 


"Paris Match" a ensuite affirmé qu'Alain Delon, qui voulait rester chez lui, avait commencé son grand voyage le 14 août 2024. En effet, ses traitements de sédation profonde et continue ont commencé ce jour-là, soit trois jours avant sa disparition, pour répondre à la douleur qu'il ressentait. Cela s'est fait, le 14 août 2024, en présence de son médecin et de l'administratrice judiciaire chargée de la tutelle. Ses derniers jours se sont passés en présence permanente de sa famille, c'est-à-dire, de ses trois enfants, qui lui ont tenu la main au dernier souffle.

Tableau presque féerique. En fait, il n'y a bien sûr jamais de mort douce, surtout lorsqu'elle est planifiée, elle n'est douce ni pour les proches, ni pour soi-même. C'est au contraire très violent. Il y a en revanche des morts moins atroces que d'autres, et celle d'Alain Delon, endormi dans son sommeil aidé, était exactement ce qu'il avait souhaité.


Ce qui m'a frappé, mais l'émotion de la disparition empêchait peut-être de parler d'autre chose que du grand acteur lui-même, c'est qu'il n'a pas été fait mention, dans la presse de l'époque, l'an dernier, que cette manière de mourir n'était pas due à Alain Delon lui-même et que tout le monde pouvait suivre ce même mode opératoire, puisqu'il s'agissait de l'application de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
 


Pourquoi j'insiste sur ce sujet ? Parce que beaucoup de monde croit qu'il faudrait légaliser l'euthanasie active pour partir sereinement et tranquillement comme l'a fait Alain Delon. Ce n'est pas vrai. Il est déjà possible, dans l'état de la législation actuelle, lorsque la situation est atteinte, à savoir une maladie non guérissable et une douleur irrépressible, lorsque les conditions sont réunies, de partir tranquillement, chez soi et entouré de sa famille préalablement prévenue.

Le communiqué officiel des enfants avait donc annoncé le 18 août 2024 à l'AFP : « Alain-Fabien, Anouchka, Anthony ainsi que Loubo, ont l'immense chagrin d'annoncer le départ de leur père. Il s'est éteint sereinement dans sa maison de Douchy, entouré de ses trois enfants et des siens. Il s'en est allé rejoindre Marie parmi les étoiles si chères à son cœur. ». En revanche, la légende, elle, reste bien sur terre. Et les films sont là pour instiller cette petite dose d'immortalité à laquelle tout être ici-bas aspire plus ou moins, et Alain Delon en particulier.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 août 2025)
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Pour aller plus loin :
La mort douce d'Alain Delon.
Alain Delon soutenait Raymond Barre.
Le charisme d'Alain Delon : The Girl on a Motorcycle.
Le grand Alain Delon
Affaire Alain Delon : ce que cela nous dit de la fin de vie.
Comment va Alain Delon ?
Sheila.
Nicole Croisille.
Gérard Depardieu.
Philippe Labro.
Jean d'Ormesson.
Josiane Balasko.
Joséphine Baker.
Moonraker.
Gene Hackman.
Pierre Dac.
Bertrand Blier.
Pierre Arditi.
Pierre Palmade.
Carla Bruni.
Valeria Bruni Tedeschi.
Teddy Vrignault.
Pierre Richard.
François Truffaut.
Roger Hanin.
Daniel Prévost.
Michel Blanc.
Brigitte Bardot.
Marcello Mastroianni.
Jean Piat.
Sophia Loren.
Lauren Bacall.
Micheline Presle.
Sarah Bernhardt.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Marlène Jobert.
Alfred Hitchcock.
Les jeunes stars ont-elles le droit de vieillir ?
Charlie Chaplin.


 






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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-mort-douce-d-alain-delon-256864

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19 juillet 2025 6 19 /07 /juillet /2025 04:31

« C’est une journée exceptionnelle aujourd’hui pour ma famille, mes proches, tous ceux qui m’ont soutenu. » (Serge Atlaoui, le 18 juillet 2025).



 


Le jour J est arrivé. J comme... vendredi 18 juillet 2025, dans la matinée, à Chauconin-Neufmontiers, une commune de Seine-et-Marne. À sa sortie de la prison de Meaux, Serge Atlaoui, artisan soudeur de 61 ans, a été accueilli par les médias... et par son avocat Richard Sédillot. Grande émotion. Il revient de loin.

La décision a été prise par le tribunal de Melun le lendemain du 14 juillet 2025, probablement après un échange entre Emmanuel Macron et son homologue indonésien, Prabowo Subianto, invité d'honneur pour notre fête nationale. Condamné à mort pour trafic de drogue par la justice indonésienne, sur le point d'être exécuté en avril 2015, Serge Atlaoui est plutôt une victime qu'un coupable, victime d'une crédulité, victime d'une naïveté, celle de croire qu'il pouvait gagner beaucoup d'argent avec son travail qui, d'ordinaire, le rémunérait moyennement.

Le risque qu'il avait pris, qu'il avait compris, c'était du travail dissimulé dans un pays lointain, loin de sa Lorraine, il est originaire de Metz, en Indonésie. Se faire un peu d'argent pendant quelque temps, avec une expérience internationale, et revenir.


Le risque qu'il n'avait pas compris, c'est qu'il allait travailler pour des trafiquants de drogue. Les machines qu'il entretenait, qu'il maintenait en état de marche, ce n'était pas pour faire un produit chimique quelconque, de l'acrylique, mais un produit synthétique de stupéfiants pour dealers. L'argent facile n'existe pas : plus haut un métier est rémunéré, plus haut, en principe, est le risque pris. Les entrepreneurs le savent bien.

Alors, lorsque les juges indonésiens ont considéré qu'il était le chimiste de la bande de trafiquants qui venait d'être arrêtée, il aurait rigolé si sa vie n'était pas mise en danger. Lui, il est soudeur, pas chimiste. Il cherchait juste un coin de soleil sur cette terre. Comme Mary Jane Veloso. Les trafiquants profitent souvent de la crédulité de ceux qui cherchent un emploi mieux rémunéré que l'actuel.
 


Serge Atlaoui s'est marié et a même eu des enfants pendant qu'il était en détention, depuis près de vingt ans. Sa femme Sabine ne l'a jamais abandonné et il fallait s'accrocher pour y croire, pour croire que l'injustice capitale allait être réparée, rectifiée plutôt. Quand il est sorti de sa prison, Serge Atlaoui a déclaré : « Jamais je n’aurais cru que ça arriverait (…), il était temps, après vingt ans ! ». Et pourtant, depuis ce temps-là, il n'avait jamais lâché son espoir, jamais abandonné son espoir.
 


Après avoir été condamné à la réclusion à perpétuité, son second procès a abouti à la peine de mort en 2007, à un moment qui allait devenir critique en 2014 lorsque le nouveau Président indonésien a suspendu le moratoire des exécutions pour lutter contre les trafiquants de drogue. Résultat, lors de la deuxième série d'exécutions, il était prévu d'y inclure Serge Atlaoui en avril 2015. Son nom a été retiré in extremis, mais il était prévu pour la série suivante, en juillet 2016, avec même quelques pressions diplomatiques exercées par l'Indonésie sur le Parlement français lors de l'adoption d'une loi qui allait fortement taxer les produits à l'huile de palme, principal produit d'exportation de l'Indonésie. Résultat, les parlementaires ont oublié de maintenir cette mesure et Serge Atlaoui est resté dans sa cellule pendant que d'autres condamnés à mort se sont retrouvés devant le peloton d'exécution.

Par la suite, la détention de Serge Atlaoui semblait plus une monnaie d'échange diplomatique qu'autre chose. Le gouvernement français, pendant ce temps, est resté très discret (pas question d'être arrogant avec la justice d'un grand pays d'Asie), mais toujours actif pour tenter de rapatrier son ressortissant. L'élection d'un nouveau Président en novembre 2024 a tout débloqué. Le soudeur français pouvait être soulagé même s'il allait devoir encore attendre un peu, car pour garder les formes, les décisions de justice sont souvent longues.


Décision de la justice indonésienne de retour en France en gardant la condamnation, décision de la justice française de requalification de la peine dans la mesure où la peine de mort a été abolie, décision enfin de libération conditionnelle selon les pratiques habituelles de la justice d'application des peines. Cinq mois et demi entre son retour en France et sa libération, c'est honnête, c'est décent pour la justice indonésienne.

Sa femme Sabine est heureuse, bien sûr, et a confié sur RTL : « Il va respirer une liberté attendue, espérée depuis tant d’années (…). Se dire qu’il est de retour, qu’il va être auprès de nous à nouveau dans notre quotidien, c’est tellement incroyable que je le réalise sans le réaliser. Je vais redécouvrir mon mari et à l’inverse, il va me redécouvrir. Il y a vingt ans quand même, donc on va se reconstruire. Tout le monde va devoir apprendre à vivre normalement. ». Elle a ajouté : « Très clairement, le travail diplomatique durant toutes ces années a fait revenir mon mari et a pu faire en sorte qu’en France, on puisse avoir une issue de liberté pour nous. ».

 


Son avocat Richard Sédillot est venu le chercher devant sa prison : « Imaginer qu’il y a quelques années, il était au bord de la mort, que son cercueil avait été fabriqué, qu’on nous annonçait déjà qu’il allait être exécuté (…), je me dis aujourd’hui que la persévérance et le travail payent. ».

Le voilà donc libre, après plus de dix-neuf ans et demi de détention en Indonésie (depuis novembre 2005) puis en France (à partir février 2025). Le retour au monde réel va sans doute être très difficile pour lui, mais il aura la joie de retrouver une famille unie qui l'a toujours attendu. Bon vent, Serge, et bon courage pour la suite !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 juillet 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Serge Atlaoui libre !
La libération tant attendue de Serge Atlaoui.
La nouvelle peine de Serge Atlaoui.
Serge Atlaoui en France !
Jour J de joie pour Serge Atlaoui !
Soulagement pour Serge Atlaoui de retour en France le 4 février 2025.
L'espoir justifié de Serge Atlaoui.
Cadeau de Noël pour Mary Jane Veloso.
Enfin une bonne nouvelle pour Serge Atlaoui ?
Majid Kavousifar.
Varisha Moradi.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
Une lueur d’espoir pour Serge Atlaoui ?
Taxe Nutella : Serge Atlaoui, otage de l’huile de palme ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Peine de mort pour les djihadistes français ?

 

 

 

 

 


https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250718-serge-atlaoui.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/serge-atlaoui-libre-262186

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9 juillet 2025 3 09 /07 /juillet /2025 04:36

« Prions pour les malades abandonnés et qu’on laisse mourir. Une société est humaine si elle protège la vie, de son début jusqu’à sa fin naturelle, sans choisir qui est digne ou non de vivre. Que les médecins servent la vie, qu’ils ne la suppriment pas. » (10 juillet 2019).



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Ces quelques mots ont été prononcés par le pape François il y a six ans et évoquaient la situation terrible de Vincent Lambert. Ce dernier est mort le 11 juillet 2019 par ce qu'on pourrait appeler de l'euthanasie passive.

D'une personne pleine et entière, malgré sa grave situation de handicap, Vincent Lambert est devenue une "affaire", une affaire judiciaire mais aussi une affaire médiatique. À cause d'un accident, il était dans un état pauci-relationnel, c'est-à-dire qu'il ne savait pas s'exprimer, et on ne savait pas s'il pouvait entendre, ressentir, voir, etc. Certains, dont la considération portée à l'humain pourrait prêter à interrogation, parlaient d'un "légume", comme si le végétal devait toujours passer à la casserole.


Comme deux mille autres personnes, Vincent Lambert était simplement une personne humaine, avec toute sa dignité, qui reste inconditionnelle, intrinsèque à lui-même, était simplement une personne à situation de grand handicap. Il était capable de respirer tout seul, il n'avait aucun besoin d'appareil de réanimation, de respiration. En revanche, n'ayant pas été rééduqué pour déglutir (parce qu'on lui a interdit les services d'un kinésithérapeute), il avait besoin d'aide pour se nourrir et s'hydrater, ou plus facilement, d'une sonde gastrique.

Avant son accident, il n'avait rédigé aucune directrice anticipée, malgré sa profession qui lui permettait pourtant de connaître le milieu des soignants à l'hôpital et de plus anticiper sur ce cas imprévu et improbable qu'il a connu, celui de l'incapacité à s'exprimer. Concrètement, on ne sait pas ce qu'il aurait voulu dans cet état, rester en vie dans l'espoir d'être plus réveillé, de voir son état progresser, voire d'imaginer la médecine progresser pour mieux l'aider, ou en finir avec cette vie que certains s'autorisaient à dire inutile, affreuse ? Sa mère pensait la première option, et sa femme la seconde. Qui avait raison ? Personne évidemment.


La mort de Vincent Lambert a été programmée, elle a été le résultat de nombreuses procédures judiciaires qui ont finalement abouti à l'application de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, à savoir, la sédation profonde et continue jusqu'au décès. Elle a duré quelques jours. Pour certains, c'étaient des jours de trop, ils auraient préféré une injection létale, pensant que ce serait moins d'hypocrisie. Parler d'hypocrisie dans une telle situation, quelle arnaque intellectuelle ! Refuser de tuer les patients, ce qui est le cadre normal de la loi (il est interdit de tuer) et de celui de plusieurs religions (tu ne tueras point), n'a rien d'hypocrite. Ouvrir la porte, ouvrir la boîte de Pandore du permis de tuer aura des conséquences très fâcheuses pour la société. Tuer le malade ne peut pas être une solution pour tuer la maladie, sinon déclarer forfait.

L'un des deux auteurs de la loi Claeys-Leonetti mais également l'auteur de la précédente loi, la loi Leonetti du 22 avril 2005, l'actuel maire LR d'Antibes Jean Leonetti, ancien ministre et ancien député, a résumé la terrible conclusion de cette "affaire" le jour-même, le 11 juillet 2019 dans "Le Monde", rédigé avant et publié après la mort de Vincent : « Sa vie et sa mort, qui auraient dû rester dans le domaine de l’intime, dans le doute de la complexité et le respect de la souffrance et du deuil, se sont abîmés dans la lumière aveuglante des médias, la simplification émotionnelle, la violence des mots et l’affrontement devant la justice d’une famille déchirée. Le cas de Vincent Lambert est moins un problème médical qu’un problème familial dans lequel se mêlent le sublime de la tragédie grecque et le sordide de l’image et des formules impudiques. ».

Jean Leonetti, qui ne souhaitait pas légaliser l'euthanasie active, estimait au contraire que Vincent Lambert pouvait partir avec ses lois. Paradoxe pour soutenir l'efficacité de son dispositif législatif qui évitait justement d'en arriver à l'euthanasie active.


La réalité, c'est que Vincent Lambert était dans une situation de grave handicap, certes, enviable par personne, mais n'était pas en fin de vie, il n'était pas en stade terminal d'une maladie, et en plus, il n'avait pas émis de volonté (claire) de quitter ce monde qui l'a tristement amputé de sa vivacité.

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C'était ce qu'a voulu exprimer le romancier Michel Houellebecq particulièrement écœuré par cette polémique médiatisée dans le même journal, "Le Monde" du 11 juillet 2019 (toujours rédigé avant et publié après la mort de Vincent) : « Vincent Lambert (…) aurait dû savoir (…) que l’hôpital public avait autre chose à fo*tre que de maintenir en vie des handicapés (aimablement requalifiés de "légumes"). L’hôpital public est sur-char-gé, s’il commence à y avoir trop de Vincent Lambert, ça va coûter un pognon de dingue (on se demande pourquoi d’ailleurs : une sonde pour l’eau, une autre pour les aliments, ça ne paraît pas mettre en œuvre une technologie considérable, ça peut même se faire à domicile, c’est ce qui se pratique le plus souvent, et c’est ce que demandaient, à cor et à cris, ses parents). Mais non, en l’occurrence, le CHU de Reims n’a pas relâché sa proie, ce qui peut surprendre. Vincent Lambert n’était nullement en proie à des souffrances insoutenables, il n’était en proie à aucune souffrance du tout. Il n’était même pas en fin de vie. Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait de dire qu’on ne connaît à peu près rien. ».

En évoquant l'aspect financier, Michel Houellebecq a bien sûr appuyé là où cela risquait de faire mal. J'évoquerai ultérieurement cet aspect très important (dans un prochain article). Il évoquait aussi l'organisation des hôpitaux, et cela avant la crise du covid-19.

Pour beaucoup de promoteurs d'une loi permettant l'euthanasie, le "cas" de Vincent Lambert était une raison pour "avancer" plus dans la mise à mort légale des patients. Eh bien, ce sera pour eux une déception de savoir que la proposition de loi Falorni, adoptée en première lecture le 27 mai 2025 par l'Assemblée Nationale, n'aurait pas pu venir en "aide" (si on peut appeler cela une aide, mais l'intitulé-même de la proposition est "aide à mourir") si elle avait été applicable à l'époque.

Mais en fait, comme l'a rappelé Jean Leonetti, aucune loi n'aurait réglé le sort de Vincent Lambert pour la bonne raison que la famille était profondément divisée sur la marche à suivre. La justice, mais aussi la loi ne servent que lorsqu'il y a un désaccord, une confrontation entre deux options. Certes, l'État peut statuer seul, peut juger, condamner même quand tout le monde est d'accord (après tout, le meurtre d'une personne pourrait recueillir l'unanimité, ce serait effrayant mais pas impossible), mais en général, la justice est là pour départager, et la loi donne la clef du partage.


Ici, lorsqu'on est dans l'intime, dans le secret des consciences, lorsque chaque "cas" est un cas particulier et qu'il n'existe aucun cas général, la loi serait d'une piètre utilité. Car la proposition Falorni insiste bien qu'il s'agit d'un acte volontaire, d'une volonté exprimée avec l'esprit éclairé. Donc, Vincent Lambert qui aurait été incapable d'exprimer son envie (ou pas) d'en finir de manière autonome, sans pression venue de nulle part, n'aurait pu "bénéficier" de cette proposition de loi si elle avait été applicable à l'époque.

Plus généralement, lorsque deux proches revendiquent des options diamétralement opposées, aucune loi ne serait en mesure de les départager et la faute qu'il a été commise à l'époque, c'est qu'au bénéfice du doute, la décision la moins irréversible aurait dû être adoptée, faute de mieux. C'est-à-dire le maintien en vie qui, j'insiste, dans le cas de Vincent Lambert, ne constituait pas un acharnement thérapeutique puisqu'il n'avait pas besoin d'appareillage pour vivre (seulement une aide pour boire et se nourrir par difficulté de déglutition, comme des dizaines de milliers de personnes dans notre pays).

Nous pourrons hélas nous donner rendez-vous un peu plus tard : c'est justement parce que la future loi probablement adoptée définitivement dans quelques mois ne s'appliquera pas à un nouveau "cas" encore très médiatisé et très émouvant qu'on voudra déjà la compléter pour englober des "cas" qui en étaient exclus. Et ainsi de suite. La boîte de Pandore aura été ouverte et il suffira simplement d'ouvrir un peu plus le couvercle.

Aujourd'hui, Vincent Lambert est oublié et c'est peut-être mieux ainsi pour lui et sa famille. Il repose en paix mais n'aura pas été "délivré" ; au contraire, mort, il est encore plus "enfermé" que vivant. Je salue toutefois sa mémoire et le fait qu'il a été la preuve vivante que, même dans son état aussi diminué, que personne ne souhaite vivre, il a été au cœur de l'un des débats publics les plus importants et les plus passionnants du premier quart de ce siècle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 juillet 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2025 (5) : Vincent Lambert et la proposition de loi relative à "l'aide à mourir".
Vincent Lambert, meurtre d’État, euthanasie, soutien aux plus fragiles…
Vincent Lambert au cœur de la civilisation humaine ?
Euthanasie 2025 (4) : adoption de la proposition de loi relative à "l'aide à mourir".
Euthanasie 2025 (3) : l'examen de la proposition Falorni à l'Assemblée.
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 


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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250711-vincent-lambert.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/euthanasie-2025-5-vincent-lambert-261030

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/07/09/article-sr-20250711-vincent-lambert.html



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29 mai 2025 4 29 /05 /mai /2025 04:53

« La véritable grandeur d’une société ne se mesure pas à sa capacité à abréger la vie, mais à son engagement à l’accompagner, jusqu’à ses derniers instants, avec humanité, courage et tendresse. » (Patrick Hetzel, le 27 mai 2025 dans l'hémicycle).




 


Ce mardi 27 mai 2025 ont eu lieu dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale deux votes solennels sur deux propositions sur la fin de vie et l'accompagnement des personnes en fin de vie. La première proposition relative aux soins palliatifs a été adoptée à l'unanimité des députés avec 560 voix pour, 3 abstentions (dont 2 députés qui sont trompés et voulaient voter pour) sur 563 votants. La proposition de loi sur l'aide à mourir (proposition Falorni) n'a pas été, en revanche, adoptée à l'unanimité, loin de là. Elle l'a été, vers 18 heures 45, avec 305 voix pour, 199 voix contre, 57 abstentions sur 561 votants, soit une majorité assez large, quand même, de trois cinquièmes.

Comme je l'ai exprimé précédemment, je regrette cette adoption en première lecture. Le fait de légiférer sur une autorisation à tuer ou à aider à tuer une personne est l'ouverture d'une boîte de Pandore. Des abus viendront obligatoirement pour de nombreuses raisons (coûts financiers de l'assurance maladie, pression des héritiers, tentations d'eugénisme, etc.) avec des assouplissements et élargissements des conditions d'encadrement votées ce 27 mai 2025.

Dans le précédent article, j'ai précisé justement les conditions d'utilisation de cette aide à mourir (euthanasie et suicide assisté) que les députés avaient définies. Dans cet article, je propose d'indiquer le nom de quelques députés qui ont voté pour ou contre, souvent pour souligner que ce vote de conscience (et pas de confiance) a eu lieu en dehors des clivages politiques ordinaires (la plupart des groupes ont renoncé à une consigne de vote collective). Ensuite, je présenterai quelques extraits intéressants des explications de vote. Le Premier Ministre François Bayrou avait souhaité séparer les deux textes (soins palliatifs et euthanasie) et il a eu raison puisque l'un a été adopté de manière unanime au contraire de l'autre.


Qui a voté pour ou contre ?


Parmi les 305 députés qui ont voté pour la proposition Falorni, il y a eu 19 députés RN (dont Guillaume Bigot, Sébastien Chenu, Edwige Diaz, Alexandra Masson, Thomas Ménagé, Jean-Philippe Tanguy), 64 députés Renaissance (dont Pieyre-Alexandre Anglade, Gabriel Attal, Yaël Braun-Pivet, Céline Calvez, Pierre Cazeneuve, Olga Givernet, Guillaume Kasbarian, Roland Lescure, Sylvain Maillard, Franck Riester, Violette Spillebout, Jean Terlier, Prisca Thevenot, Stéphane Travert), 62 députés insoumis (sur 71), 59 députés socialistes (sur 66), 7 députés LR (dont Vincent Jeanbrun), 33 députés écologistes (sur 38), 20 députés MoDem (dont Erwan Balanant, Geneviève Darrieussecq, Olivier Falorni, Bruno Fuchs, Perrine Goulet, Jean-Paul Mattei, Richard Ramos, Nicolas Turquois, Philippe Vigier), 14 députés Horizons (dont Agnès Firmin Le Bodo, Lise Magnier, Isabelle Rauch, Frédéric Valletoux), 11 députés LIOT (dont Yannick Favennec-Bécot, David Habib, Stéphane Lenormand, Paul Molac, Estelle Youssouffa), 12 députés communistes (sur 17) et 4 députés non-inscrits (dont Stella Dupont, Sophie Errante, Sacha Houlié).

Parmi les 199 députés qui ont voté contre la proposition Falorni, il y a eu 101 députés RN (sur 123, dont Marine Le Pen), 11 députés Renaissance (dont Yannick Chenevard, Anne Genetet, Sébastien Huyghe, Constance Le Grip, Joséphine Missoffe, Karl Olive, Annie Vidal qui a été la rapporteure de la proposition de loi sur les soins intensifs), 1 députée insoumise (Sophia Chikirou qui voulait s'abstenir), 4 députés socialistes (dont Paul Christophle, Dominique Potier), 34 députés LR (sur 49, dont Thibault Bazin, Xavier Breton, Pierre Cordier, Fabien Di Filippo, Nicolas Forissier, Philippe Gosselin, Michel Herbillon, Patrick Hetzel, Philippe Juvin, Olivier Marleix, Michèle Tabarot, Jean-Louis Thiériot, Jean-Pierre Vigier, Laurent Wauquiez), 1 députée écologiste (Lisa Belluco), 9 députés MoDem (dont Blandine Brocard, Cyrille Isaac-Sibille, Emmanuel Mandon, Maud Petit), 13 députés Horizons (dont Thierry Benoit, François Gernigon, Anne Le Hénanff, Naïma Moutchou, Marie-Agnès Poussier-Winsback), 3 députés LIOT (dont Charles de Courson, Jean-Luc Warsmann), 1 député communiste (Stéphane Peu), 16 députés ciottistes (sur 16, dont Éric Ciotti) et 5 députés non-inscrits (dont Aurélien Pradié, Raphaël Schellenberger).

 


Enfin, 57 députés se sont abstenus : 3 députés RN (dont Franck Allisio), 14 députés Renaissance (dont David Amiel, Hervé Berville, Maud Bregeon, Olivia Grégoire, Marie Lebec, Mathieu Lefèvre, Éric Woerth), 3 députés insoumis, 2 députés socialistes, 8 députés LR (dont Julien Dive, Virginie Duby-Muller), 1 députée écologiste, 7 députés MoDem (dont Marina Ferrari, Marc Fesneau, Sandrine Josso), 6 députés Horizons (dont Paul Christophe, Nathalie Colin-Oesterlé), 9 députés LIOT (dont Harold Huwart, Christophe Naegelen, Nicolas Sanquer, Olivier Serva), 3 députés communistes (dont Emmanuel Tjibaou) et 1 député non-inscrit.


Quelques explications de vote


Dans les extraits que je présente, je précise qu'ils ne sont pas forcément représentatifs de l'Assemblée, mais ils proviennent à la fois de députés qui allaient voter pour et d'autres contre la proposition Falorni. Les groupes du socle commun ont été très partagés d'ailleurs, mais également le groupe RN.

Le député et ancien ministre Philippe Vigier (MoDem) : « Nous sommes fiers d’être parlementaires. Le débat a été apaisé, argument contre argument. (…) Sur nombre de sujets sociétaux, l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’abolition de la peine de mort, l’autorisation de la procréation médicalement assistée (PMA), le mariage pour tous, les échanges dans cet hémicycles furent houleux. Ils n’étaient pas davantage apaisés lors de l’examen de la loi Claeys-Leonetti, j’ai lu les comptes rendus des débats de l’époque. Nous avions un devoir, être collectivement à la hauteur. Nous avons été à la hauteur pour les malades, qui nous écoutent, nous regardent et dont certains, dans l’impasse, attendaient ce nouveau droit. Nous avons été à la hauteur pour les soignants, cette communauté généreuse, professionnelle, que nous avons applaudie pendant l’épidémie de covid (…). Plusieurs textes ont ponctué notre cheminement sur ces questions : la proposition de loi relative au droit de vivre sa mort du sénateur Caillavet, la loi Kouchner, relative aux droits des malades, la loi Leonetti, dont l’adoption, il y a vingt ans déjà, mit un terme à "l’obstination déraisonnable n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie". Le législateur avait déjà envisagé la situation des personnes "en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable" dont on ne peut soulager les souffrances qu’en leur appliquant "un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger [la] vie", autrement dit, de hâter la mort. En 2016, une nouvelle étape a été franchie avec la loi Claeys-Leonetti, votée à l’Assemblée avant d’être totalement démantelée au Sénat ; il a fallu trouver un équilibre lorsqu’elle est revenue dans l’hémicycle. Un droit nouveau a alors été créé, "le droit du malade de dire : lorsque je souffre trop (…), je demande, si je le souhaite, qu’on arrête et qu’on m’endorme pour que la mort survienne dans mon sommeil", je cite Jean Leonetti. Le fait que certains d’entre nous aient voté contre la loi Claeys-Leonetti ne les a pas empêchés de se faire les ambassadeurs du droit à l’aide à mourir ces derniers jours. C’est bien la preuve que chacun peut évoluer au cours de sa vie ! (…) Que permettra cette nouvelle loi ? Elle donnera d’abord à des hommes et à des femmes le droit de bénéficier d’une aide à mourir. Il s’agit d’un droit en plus, pas d’un droit en moins ! Les patients atteints de la maladie de Charcot ne sont pas les seuls concernés, je pense notamment à ceux qui souffrent de cancers à tumeurs multiples, pour lesquels l’impasse thérapeutique est totale. Ce texte est équilibré, solide, il définit cinq critères cumulatifs et s’appuie sur un mot : le discernement. Quiconque a perdu son discernement ne pourra pas accéder à l’aide à mourir, a contrario des dispositions de la loi Claeys-Léonetti, je vous renvoie aux propos de Jean Leonetti qui expliquait qu’un patient ayant perdu son discernement pourrait bénéficier, au travers des soins palliatifs, de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort. (…) Je le dis donc avec force : non, les résidents des EHPAD, s’ils ne remplissent pas les cinq conditions, ne pourront pas accéder à l’aide à mourir ; non, les enfants ne sont pas concernés, pas plus que les handicapés, je le dis à Perrine Goulet ; non, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une affection psychiatrique, dès lors qu’elles ont perdu leur discernement, ne seront pas éligibles ! J’ajoute que les professionnels de santé sont protégés. Geneviève Darrieussecq a beaucoup insisté sur cette question, en particulier sur la clause de conscience. Tous les soignants peuvent la faire jouer. Je sais, chers collègues, que certains parmi vous souhaiteraient insister davantage sur le volontariat. Nous en reparlerons lors de la navette et je suis persuadé que nous trouverons ensemble une voie de passage. Quant aux directives anticipées, elles n’ont pas été intégrées au texte. C’est ce qui lui a permis de garder son équilibre et j’en remercie encore Olivier Falorni ! Nous voulions éviter que l’aide à mourir puisse faire partie d’un projet de vie ; elle ne pourra donc pas être demandée dans des directives anticipées. (…) Je tiens à m’adresser à ceux d’entre vous qui sont opposés à ce texte. Je respecte votre pensée et je sais que cette loi, pour vous, ne sera ni une loi d’humanité ni une loi de fraternité. Chacun son chemin ; chacun jugera en son âme et conscience. (…) Nous avons essayé de légiférer sérieusement (…). C’est avec une immense humilité que nous l’avons fait et nous serons toujours prêts, si jamais des dérives se faisaient jour, à les corriger. ».

La députée et ancienne ministre Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) : « Pour ma part, je voterai en sa faveur [en faveur due la proposition de loi instaurant une aide à mourir]. Je le voterai car il ne sacralise pas une idéologie, n’ouvre pas une liberté sans garde-fous, mais propose un chemin balisé, exigeant, réfléchi. Il ne cède pas à la facilité ; au contraire, il assume l’extrême complexité de certaines situations de fin de vie. Il forme, avec les soins palliatifs et l’accompagnement du malade et de son entourage, le modèle français de la fin de vie. Oui, nous devons entendre la détresse de ceux qui, même entourés, même soignés, ne peuvent plus vivre ce qui n’est plus pour eux qu’une lente agonie. Oui, nous devons affirmer que nul ne peut décider à la place de celui qui souffre. Mais nous devons également protéger ce choix, le borner, en garantir la liberté. (…) L’aide à mourir n’est ni de gauche ni de droite. Sur ce sujet, plus que sur tout autre, nul ne peut s’ériger en détenteur exclusif de la morale ; nul ne peut revendiquer la notion de bon ou de mauvais accompagnement de la fin de vie. Nous sommes tous ici élus du peuple, mais chacun a ses doutes, ses convictions, ses blessures propres. Parce que nous avons accepté cela, parce que nous avons écouté plus que nous n’avons accusé, nous avons pu réaliser ensemble ce que le Parlement peut faire de plus grand : donner à la loi un visage humain. ».


Le député Laurent Panifous (LIOT) : « Les débats n’ont pas opposé ceux qui avaient raison et ceux qui avaient tort. Les votes et les positions qui s’exprimeront aujourd’hui sont tous respectables et je ne serais pas surpris d’apprendre qu’à quelques minutes d’un vote aussi important, aussi engageant, certains doutent et hésitent encore. Beaucoup ont dit, à raison, être pris d’un vertige à l’idée de légiférer sur la fin de vie. Sans doute n’existe-t-il rien de plus terrifiant, de plus mystérieux, de plus vertigineux que la mort, la nôtre, celle de nos proches, celle de ceux avec qui nous faisons société. Mais ne nous y trompons pas : nous ne légiférons pas sur la mort, pas plus que nous créons un "droit à mourir", comme j’ai pu l’entendre. Nous ne légiférons pas non plus sur le choix de mourir. Nous légiférons sur l’accompagnement que la société est prête à fournir à ceux pour qui la guérison n’est plus possible, sans jamais faiblir dans nos efforts pour les soigner et apaiser leurs souffrances. Il ne s’agit pas de précipiter la mort ni de faire de celle-ci un choix inéluctable ou, pire, forcé. Surtout, il ne s’agit pas de pallier un défaut d’accès aux soins palliatifs. ».

Le député Yannick Monnet (PCF) : « Dès l’examen en commission, j’ai défendu l’idée que l’aide à mourir devait être non pas un dispositif, mais un droit, strictement encadré et conditionné. En effet, ce qui nous a conduits à légiférer sur l’aide à mourir, c’est la persistance de situations dans lesquelles des personnes atteintes d’une maladie incurable présentent des souffrances qui ne peuvent être soulagées par aucun soin et pour lesquelles la sédation profonde et continue n’est pas accessible. Dans ce contexte, envisager l’aide à mourir comme un droit, c’est garantir dans la loi l’accès à une mesure d’exception, d’ultime recours, protectrice à la fois pour la personne qui demande et pour les soignants qui devront l’accompagner. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce droit ne consacre pas la liberté de choisir sa mort. Il garantit à des personnes de pouvoir mettre un terme à des souffrances contre lesquelles la médecine ne peut plus rien ou que la personne, qui a fait le choix, en toute conscience et volontairement, de ne plus suivre de traitement, estime insupportables. C’est sur ce point que, ces dernières semaines, nous avons grandement affiné ce que nous attendions de l’aide à mourir. Après nos débats sur l’horizon temporel du diagnostic vital engagé et sur la notion de stade avancé d’une maladie, à la lumière notamment du dernier avis de la HAS, nous avons arrêté un choix : prendre davantage en considération la qualité de vie de la personne atteinte d’une maladie incurable que le temps qui lui reste à vivre, celui-ci étant, par nature, bien souvent incertain. Ce choix de privilégier la qualité de vie de la personne malade prise au piège de souffrances réfractaires est l’élément fondateur du droit à l’aide à mourir. C’est un choix qui bouscule et même, sans doute, brutalise notre perception de la fin de vie : au fond, nous souhaiterions tous que la médecine puisse tout jusqu’au bout et que la volonté de vivre l’emporte en toute situation. Je considère donc comme tout à fait inopportun de réduire la discussion sur la création de ce droit à une opposition entre les progressistes, qui seraient pour, et les conservateurs, qui seraient contre. Quand l’ordre établi est bousculé, l’instinct commande de le préserver. Quand nous, législateurs, bousculons l’ordre des choses, notre responsabilité nous commande d’agir avec prudence, en entendant les voix qui nous interpellent sur le déséquilibre que notre geste induit nécessairement. (…) Il faut impérativement éviter de jouer avec les ressorts du sensationnel, de la culpabilité et du clivage sans nuances. (…) Je regrette par ailleurs que la question d’un délit d’incitation n’ait pas pu être examinée autrement, avec moins de véhémence et plus de sérieux. Néanmoins, à l’issue de cette première lecture, j’ai le sentiment que nous avons réussi à définir le point d’ancrage du droit à l’aide à mourir et les restrictions qui doivent l’encadrer et le soutenir pour qu’il soit une réponse exceptionnelle à une demande exceptionnelle. ».
 


Le député ciottiste Vincent Trébuchet : « Nous sommes plusieurs à avoir relayé la parole de nombreux philosophes, de juristes, d’économistes : ils nous alertent sur la rupture à tous niveaux que constitue cette proposition de loi et sur les dérives qu’elle contient dans son principe même, lesquelles se manifestent à l’international. Nous avons défendu la parole des soignants engagés dans les soins palliatifs : depuis leur expérience au plus proche de la fin de vie, et non par idéologie, ils nous disent qu’un autre chemin est possible. Nous avons porté la parole des nombreuses personnes malades ou handicapées : demain, elles seront éligibles à ce nouveau droit de demander la mort et elles ont peur. Ces paroles, monsieur le rapporteur général, madame la ministre, vous ne les avez pas véritablement entendues. Vous avez émis un avis défavorable sur la quasi-totalité des amendements que nous avions déposés. Les amendements qui visaient à renforcer la protection des personnes déficientes intellectuelles, des personnes autistes, des personnes sous protection juridique ou incarcérées ? Rejetés. Ceux qui visaient à élargir la clause de conscience aux pharmaciens chargés de préparer la substance létale, aux soignants prenant part indirectement à l’acte, ou aux établissements de soins palliatifs ? Rejetés. Ceux qui tendaient à contrôler la décision en instaurant une collégialité effective, en rendant possible un recours juridique préalable ou en prévoyant une consultation psychologique systématique ? Rejetés. Ceux qui tendaient à interdire explicitement la publicité pour l’euthanasie et sa promotion sur les réseaux sociaux, ou qui visaient à créer un délit d’incitation en miroir du délit d’entrave ? Rejetés. Les amendements, enfin, qui prévoyaient la remise d’un rapport relatif à l’impact financier de la loi sur la sécurité sociale, aux mutuelles et à leurs pratiques commerciales ? Rejetés. Devant cette constance à rejeter tout amendement qui ne viserait pas un élargissement pur et simple du droit au suicide assisté ou à l’euthanasie, on ne peut que s’interroger, quelle que soit sa position. Nous avons été collectivement incapables d’apporter à ce texte des garde-fous de bon sens, peut-être parce que le courant était trop fort. Quand la transgression de l’interdit de tuer est actée, les raisons véritables de ne pas étendre ce droit, d’exception en exception, tombent alors. (…) Avant d’autres, notre pays a conquis, et de belle manière, de nouveaux droits. Mais ce droit-là représenterait-il vraiment une avancée ? Un jeune médecin m’a expliqué : "Il y a quinze ans, au début de mon internat, l’euthanasie était monnaie courante dans certains services d’oncologie, mais l’arrivée de la culture palliative, du soin et de l’accompagnement jusqu’au bout, a rendu ces pratiques complètement caduques, jusqu’à disparaître complètement". Allons-nous revenir en arrière, alors qu’il reste tant à faire ? Les soins palliatifs sont la promesse d’un non-abandon : il est temps d’honorer cette promesse à l’égard de tous les Français qui en sont privés. ».

Le député Christophe Bentz (RN) : « Aider, accompagner, soigner, soulager, écouter, parler, comprendre, essayer, trouver, considérer, rassurer, partager, profiter, pleurer, cajoler, amuser, rêver, réconforter, toucher, adoucir, atténuer, respecter, espérer, sauver. J’ai une pensée émue pour tous les soignants et aidants de France qui, chaque jour, prennent en charge la douleur et sèchent les larmes de ceux que nous aimons. Nous devons répondre à la souffrance insupportable, être à la hauteur, accompagner et secourir, rendre le plus beau possible ce qui est toujours digne, rendre le plus doux possible ce qui est si précieux, tenir la main jusqu’au bout, être présent, se battre, prendre soin, aimer, faire vivre. L’accompagnement de la personne humaine par le soin jusqu’à sa mort naturelle est un trait essentiel de notre civilisation, le cœur encore battant de notre humanité. Parce qu’on n’a, jusqu’à la fin, qu’une vie et qu’une seule dignité, nous opposons l’ultime secours à votre ultime recours. Le suicide est toujours un drame humain, le choix individuel d’un renoncement, un cri de désespoir, qui doit naturellement être entendu par la société. Mais la responsabilité d’un suicide, aussi assisté ou délégué soit-il, ne peut pas reposer sur la société. Ou alors, la société doit tout entière en prendre la responsabilité, en s’exprimant par référendum. (…) Notre responsabilité est immense : si vous entrouvrez la porte de l’abandon, elle ne se refermera plus jamais. La France est la nation du soin et doit le demeurer. Elle a inventé un modèle unique de soins, et rayonne dans le monde entier grâce à son modèle de santé et de protection de la personne humaine. La vocation sociale de la France consiste précisément à prendre soin des plus faibles, des plus fragiles, des plus vulnérables. Le monde entier admire la France pour sa singularité ; elle montre un chemin différent. Elle doit rester la lumière des nations du monde. ».

Le député Stéphane Delautrette (PS) : « Il nous faut alors entendre la voix de celles et ceux qui veulent partir sereinement, dignement, selon leur conscience. Il nous faut respecter leur volonté libre et éclairée. Il n’est pas question d’obliger qui que ce soit à recourir à ce nouveau droit, ni d’obliger les professionnels de santé à agir en désaccord avec leur conscience. Il ne s’agit pas non plus de donner un permis de tuer, mais d’accéder à une liberté de choix. ».

Le député et ancien ministre Patrick Hetzel (LR) : « Trop souvent méconnus, les soins palliatifs ne sont pourtant pas synonymes de renoncement. Ils ne guérissent pas, certes, mais ils soignent : la douleur, l’angoisse, la solitude. Ils donnent du sens aux derniers instants, ils permettent de dire adieu, de se réconcilier, de choisir comment partir. Ils affirment avec force et douceur que chaque vie mérite d’être respectée jusqu’à son terme. Dans un monde qui a parfois peur de la fin de vie, les soins palliatifs osent l’affronter avec une infinie délicatesse. Ils nous parlent de ce que nous avons de plus précieux : notre capacité à prendre soin, à accompagner, à aimer, jusqu’au dernier souffle. (…) Permettez-moi de le dire avec gravité : introduire l’euthanasie dans un système de soins encore insuffisamment formé à la culture palliative ne serait pas seulement une faute morale ; ce serait la marque d’une défaite collective. Les soins palliatifs ne sont pas une solution de repli ; ils sont la promesse d’une humanité partagée jusqu’au bout, dans le respect de la vie et de la personne. ».
 


La députée Sandrine Rousseau (EELV) : « Pour nos amours, pour nos amis, pour celles et ceux qui nous sont chers, pour toutes celles et ceux qui n’ont pas eu accès à cette aide, pour toutes celles et ceux que l’on a accompagnés dans toutes les maisons de France, pour celui qui croyait au ciel, pour celui qui n’y croyait pas, pour notre humanité, pour le droit à disposer de nos corps, pour notre liberté si précieuse et si chérie : oui au droit aux soins palliatifs, oui à l’aide à mourir. ».

La députée Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons) : « Je suis cependant convaincue qu’il reste encore beaucoup à faire pour éviter toutes les dérives et protéger les personnes les plus vulnérables. Je regrette que la décision finale reste le fardeau solitaire d’un médecin, tout comme je regrette que la consultation par un second médecin ne soit pas obligatoire, comme elle l’est en Belgique. Je suis également convaincue que le médecin traitant, quand il existe, médecin qui connaît le parcours de soins, les volontés du patient et assure son suivi régulier, devrait obligatoirement être consulté. Le texte, dans sa rédaction actuelle, ne donne aucune priorité aux soins palliatifs. Le patient est simplement informé qu’il y a droit. Les chiffres montrent pourtant que la très grande majorité des patients, quand leur souffrance est apaisée, ne souhaitent plus mourir. Le texte prévoit la création d’un délit d’entrave à l’aide à mourir ; mais l’amendement qui prévoyait la création d’un délit d’incitation à l’aide à mourir a été rejeté. Il est pourtant essentiel de veiller à ce qu’aucune pression, ouverte ou dissimulée, ne soit exercée sur des personnes vulnérables. L’absence d’une telle disposition fait peser un risque éthique important sur l’encadrement de la procédure. ».


La députée ciottiste Hanane Mansouri : « L’accès à la mort n’a cessé d’être élargi. On ne peut plus parler d’un texte équilibré, qui encadrerait strictement l’euthanasie pour des personnes en fin de vie, condamnées, dénuées de perspectives. Il suffira désormais d’être atteint d’une affection qualifiée d’incurable, sans que cela soit synonyme de mort imminente, loin de là. Voici quelques exemples de maladies chroniques incurables : l’arthrose, l’endométriose ou encore la trisomie. Elles n’empêchent ni d’aimer ni de vivre pendant de nombreuses années. Encore faut-il que nous décidions d’en faire une priorité médicale et humaine. Les promoteurs de ce texte nous expliquent que l’euthanasie n’est pas une obligation, mais un droit. Or ce n’est pas parce qu’on ne contraint pas qu’on n’incite pas. Ce n’est pas parce que c’est un choix qu’il est libre. Ce n’est pas parce qu’on ne dit pas directement à quelqu’un qu’il est un fardeau qu’il ne l’entendra pas ainsi. Qui pourra garantir qu’un entourage fatigué, parfois malveillant, ne posera pas la question à demi-mot, par lassitude ou par intérêt ? (…) Il faut regarder la vérité en face, car elle a déjà un visage et une histoire, ceux d’une femme atteinte de la maladie de Charcot. Elle a cru très tôt qu’il ne lui restait plus qu’une issue : partir avant de souffrir, avant de devenir un poids. Traumatisée par la mort de sa sœur, atteinte de la même maladie, elle a très vite dit qu’elle ne voulait pas vivre la même chose et qu’elle irait en Belgique pour mourir. Tout s’est enchaîné : la douleur, la fatigue des proches, le manque d’informations relatives aux aides disponibles et une société incapable de proposer autre chose que la sortie. Pourtant, cette femme n’était pas à l’article de la mort. Elle était encore capable d’échanges, de joie, de nouer des liens. Elle avait même connu la joie immense de devenir grand-mère. Quand la famille s’est rassemblée autour d’elle, quand ses proches se sont relayés pour les soins, l’atmosphère s’est allégée. Il y avait de la vie, de l’amour, du sens. Mais tout cela est arrivé trop tard : elle ne savait pas que les soins palliatifs pouvaient être proposés à domicile dès le diagnostic car on ne lui avait pas dit. Le centre le plus proche avait refusé de l’admettre, jugeant que son état ne s’était pas encore assez dégradé. Personne ne l’a retenue, personne ne l’a vraiment accompagnée. Elle est partie parce qu’elle pensait que c’était la seule façon de ne pas peser. ».

Le député Théo Bernhardt (RN), qui allait voter favorablement à la proposition Falorni : « Nous entendons celles et ceux qui craignent, derrière cette liberté, l’avènement d’une société où la vie deviendrait un paramètre comptable, où l’on pousserait subtilement les plus vulnérables vers la sortie. Nous leur répondons que le texte qui nous est soumis ne fait pas l’apologie de la mort : il consacre un droit ultime, encadré, balisé, assorti de garanties. Refuser d’ouvrir cette porte au prétexte qu’elle pourrait être forcée demain, c’est condamner aujourd’hui des femmes et des hommes à une souffrance insupportable, au nom d’un risque incertain. Nous sommes satisfaits des amendements adoptés en séance, qui viennent encadrer ce droit. Nous avons d’abord fait du suicide assisté la règle, pour que l’euthanasie reste l’exception. Ensuite, nous avons précisé que les personnes éligibles à l’aide à mourir devaient être entrées dans un processus irréversible d’aggravation de leur état de santé. Enfin, nous avons supprimé la reconnaissance comme mort naturelle des morts résultant de l’aide à mourir. Ces précisions ne sont pas accessoires, mais essentielles pour prévenir tout abus, toute dérive. Les garde-fous sont indispensables pour protéger les plus vulnérables, et garantir que cette aide à mourir reste une exception rigoureusement encadrée, fondée sur une demande libre, éclairée, et surtout réitérée. (…) Nous regrettons que l’instauration d’un délit d’incitation ait été rejetée, alors qu’elle aurait pu rassurer et garantir l’équilibre du texte. Nous tenons également à rappeler que les soins palliatifs doivent demeurer la réponse prioritaire à la souffrance en fin de vie : il est impératif de garantir un accès équitable à ces soins partout sur le territoire, afin que nul ne soit contraint de choisir l’aide à mourir faute de soins appropriés. Pour ceux d’entre nous qui en feront ainsi, voter ce texte ne signifie pas que nous tournons le dos à la valeur de la vie. Nous souhaitons honorer la parole de ceux qui, dans le silence de leur chambre d’hôpital, demandent qu’on respecte leur ultime liberté. Je l’assure à nos compatriotes inquiets : nous ne transigerons jamais avec la protection des personnes en situation de handicap, des mineurs, des personnes sous emprise ou en détresse psychologique. ».

Le député Vincent Ledoux (Renaissance) : « "Ce n’est pas la mort que l’on redoute, c’est de mourir sans avoir été compris". Cette phrase de François Cheng exprime avec une justesse bouleversante ce qui habite chacun face à la finitude : le besoin d’être reconnu dans sa singularité, son histoire, dans sa douleur comme dans ses choix. Être compris, c’est être reconnu jusqu’au bout comme une personne, et non uniquement comme un corps. C’est recevoir la main tendue, le cœur ouvert à la souffrance : le fardeau est moins lourd à porter lorsque l’on n’est pas seul. Être compris dans sa vulnérabilité, sa faiblesse, sa dépendance, n’est-ce pas là, au fond, la plus belle promesse de la fraternité républicaine ? Cette compréhension a été rendue possible par les pionniers des soins palliatifs, qui ont permis d’affirmer le refus de l’obstination déraisonnable, la reconnaissance des directives anticipées, et le droit à la sédation profonde. Les Français leur en sont reconnaissants : ils font massivement confiance à cette approche pour soulager les souffrances en fin de vie. ».
 


Comme on le voit, au-delà du clivage pour et contre le principe de l'euthanasie, il y a, parmi ceux qui sont pour, deux enjeux importants qui n'ont pas rassuré un certain nombre de députés : d'une part, l'instauration d'un délit d'entrave, calqué sur celui pour l'IVG, risque de mettre à mal la liberté d'expression ; d'autre part, le refus de l'instauration d'un délit d'incitation à l'euthanasie rend la situation déséquilibrée en ce sens qu'une pression pourrait s'exercer sur le patient pour accélérer sa fin de vie sans qu'elle puisse être sanctionnée, alors que la pression inverse serait sanctionnée.

Désormais approuvée en première lecture par les députés (c'est une première historique), c'est au tour des sénateurs de se prononcer sur ce texte qui sera examiné en automne 2025 au Sénat (malgré un agenda principalement chargé, consacré au budget 2026), et sera probablement amendé, ce qui le ferait sans doute revenir en seconde lecture à l'Assemblée. Certains espèrent une adoption définitive avant la fin du mandat du Président Emmanuel Macron en 2027.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2025 (4) : adoption de la proposition de loi relative à "l'aide à mourir".
Olivier Falorni.
Euthanasie 2025 (3) : l'examen de la proposition Falorni à l'Assemblée.
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250527-euthanasie-2025d.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2025-4-adoption-de-la-261216

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/27/article-sr-20250527-euthanasie-2025d.html




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26 mai 2025 1 26 /05 /mai /2025 04:25

« Je remercie également le président Frédéric Valletoux. J’ai passé à côté de lui, non seulement physiquement mais aussi intellectuellement, quarante-deux heures en commission et soixante-huit heures en séance. Au-delà de ce temps passé ensemble, je dois dire, et mon expérience me permet d’avouer que ce n’est pas toujours le cas, que j’ai particulièrement apprécié, monsieur le président, votre sens de la modération, votre conception de la présidence de commission qui a toujours favorisé le sérieux et le respect dans les débats, et enfin votre écoute. Il est important qu’un président de commission sache écouter. Nous avons d’ailleurs bien travaillé entre la commission et la séance pour aboutir à un texte qui, à mon sens, s’est nettement amélioré. Merci, monsieur le président Valletoux ! Un dernier mot pour vous, madame la ministre Vautrin. La vie politique, parfois décevante, nous offre aussi parfois des moments heureux. Nous avons avancé ensemble sur ce chemin et j’en ai été très heureux. Je salue la force de vos convictions et la qualité de votre travail. Il n’est pas si fréquent de voir un ministre qui maîtrise autant son sujet du début à la fin. » (Olivier Falorni, le 24 mai 2025 dans l'hémicycle).




 


Le député MoDem de La Rochelle, Olivier Falorni, disait ainsi, ce samedi 24 mai 2025 peu avant 13 heures, sa joie de voir s'achever avec succès l'examen en première lecture à l'Assemblée Nationale de sa proposition de loi relative au droit à l'aide à mourir, déposée le 11 mars 2025, dont il est le rapporteur général.

Pour Olivier Falorni (53 ans), député depuis juin 2012, à l'époque maire de La Rochelle et membre du PS dont il était le secrétaire fédéral, candidat dissident contre Ségolène Royal qui voulait retrouver une circonscription et même candidate (un peu trop hâtivement) au perchoir (candidate qu'il a donc battue), c'est une grande victoire personnelle, plus personnelle que politique. L'euthanasie a toujours été l'un de ses dadas à l'Assemblée et il est aujourd'hui en capacité de la rendre effective.

 


Reprenons l'historique rapidement. Une proposition avait été déposée et commencée à être examinée au printemps 2024 mais la dissolution a interrompu la procédure. Le Président Emmanuel Macron voulait l'adoption de cette proposition de loi mais de manière douce, il ne voulait pas, par exemple, instituer un « droit à l'aide à mourir » mais seulement une nouvelle possibilité. L'arrivée d'une Assemblée sans majorité a rendu les choses inextricables. La Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet tenait à ce qu'une proposition de loi fût à l'ordre du jour en début de l'année 2025. Après la censure du gouvernement de Michel Barnier et son arrivée à Matignon, François Bayrou a souhaité dissocier la proposition de loi en deux textes différents, l'un sur les soins palliatifs qui ne fait pas vraiment débat (tout le monde est pour l'augmentation des fonds consacrés aux soins palliatifs) et l'autre sur l'aide à mourir, plus clivante et politiquement plus incertaine.

La proposition sur les soins palliatifs a été examinée en séance publique du 12 au 16 mai 2025. La proposition sur l'aide à mourir, la seule que j'évoquerai dans cet article, a été examinée du 16 au 24 mai 2025. Le mardi 27 mai 2025 auront lieu deux votes solennels, pour chacune de ces deux propositions de loi, et ces votes ont été prévus de longue date. Les députés craignaient de passer trop de temps sur la loi sur l'aide à mourir et de devoir faire des séance de nuit sur le sujet. Finalement, ils auront eu leur dimanche 25 mai 2025 de libre puisque la discussion de la proposition Falorni s'est achevée ce samedi 24 mai 2025 vers 13 heures. Il est en tout cas remarquable que les débats se soient faits de manière sereine et sans obstruction et c'est bien ce qu'a décrit Olivier Falorni : parfois, l'Assemblée est capable d'une grande maturité.


Néanmoins, je regrette que cette maturité se soit illustrée pour instituer une euthanasie qui va dénaturer les valeurs fondamentales de notre République. Il est question ici d'évoquer le texte amendé après 42 heures de discussion en commission des affaires sociales (du 18 mars 2025 au 2 mai 2025) et 68 heures de discussion en séance publique (du 16 au 24 mai 2025) et qui va probablement être adopté en première lecture le 27 mai 2025. Je le présente tel qu'il est.
 


Le texte amendé comporte vingt articles, dont certains sont très techniques et peu politiques.

L'article 2 instaure ce nouveau "droit" intégré dans le code de la santé publique : « Le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues (…), afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier. ».
 


L'article 4, le plus crucial, donne les cinq conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de ce nouveau droit (pour « accéder à l'aide à mourir »). Premièrement, être âgé d'au moins 18 ans. Deuxièmement, être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière (sans indication de durée). Les trois autres conditions pour la personne sont les plus importantes.

La troisième condition : « Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ».

La quatrième condition : « Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir. ». Cette dernière phrase rajoutée au cours de la discussion en séance publique est un heureux garde-fou contre tous les abus possibles, il a été proposé à la suite de certains constats connus à l'étranger.

La cinquième condition : « Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Il aurait été pertinent d'insister sur une manifestation répétée et constante de cette volonté.


Ces cinq conditions sont, on le comprend, très exigeantes et contraignantes. Elles permettent à une large majorité des députés de s'y retrouver. Elles ne permettent pas, par exemple, l'euthanasie des personnes qui sont dans l'incapacité de manifester clairement et sans pression leur volonté d'en finir.

Malheureusement, les partisans avant-gardistes de l'euthanasie ont accepté ces barrières à l'entrée car leur but est sur le principe anthropologique, mettre dans la loi (tant dans le code de la santé publique que dans le code pénal) l'idée qu'on peut faire mourir un malade. Ils sont persuadés que ce n'est qu'une étape et que d'autres lois élargiront les possibilités de cette loi-ci, c'est-à-dire assoupliront les conditions, comme cela a été les cas dans d'autres pays, par exemple, la Belgique où des enfants, sans indication d'âge, ou des personnes en "simple" dépression nerveuse ou atteintes de schizophrénie peuvent être euthanasiées sans que leur volonté fût clairement exprimée.

L'article 5 précise la procédure pour manifester sa volonté d'euthanasie. La personne doit en faire « la demande écrite ou part tout autre mode d'expression adapté à ses capacités à un médecin en activité qui n'est ni son parent, ni son allié, ni son conjoint, ni son concubin, ni le partenaire auquel elle est liée un pacte civil de solidarité, ni son ayant droit ». En outre, une téléconsultation ne serait pas valable, il faudrait alors que le médecin se déplace pour recueillir sa demande, en cas d'empêchement de se déplacer du demandeur.

Le médecin qui reçoit la demande d'euthanasie a alors cinq obligations : une obligation d'informer la personne « sur son état de santé, sur les perspectives d'évolution de celui-ci ainsi que sur les traitements et les dispositifs d'accompagnement disponibles » ; une obligation d'informer la personne « qu’elle peut bénéficier de l’accompagnement et des soins palliatifs (…) et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » ; une obligation de proposer « à la personne et à ses proches de les orienter vers un psychologue ou un psychiatre et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » ; enfin, une obligation d'indiquer à la personne « qu’elle peut renoncer, à tout moment, à sa demande ». Ces quatre obligations concourent au caractère éclairé de la demande de la personne qui doit prendre sa décision en toute connaissance de cause. La cinquième obligation est d'expliquer à la personne « les conditions d'accès à l'aide à mourir et sa mise en œuvre ».

Dans l'article 6, un certain nombre de garde-fou ont été mis dans la procédure. Par exemple : « La personne dont le discernement est gravement altéré par une maladie lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être reconnue comme manifestant une volonté libre et éclairée. ». De même, pour vérifier les trois dernières conditions à remplir pour demander l'aide à mourir, « le médecin met en place une procédure collégiale ». Le médecin a quinze jours pour notifier à la personne, « oralement et par écrit, sa décision motivée » sur sa demande d'euthanasie (acceptation ou rejet).

Une autre assertion est très importante dans le même article 6, rajoutée au cours de la discussion en séance publique : « Lorsque la personne malade est atteinte d’une maladie neurodégénérative, l’évaluation de sa capacité de discernement doit tenir compte de son mode de communication et des dispositifs adaptés utilisés et ne peut se fonder exclusivement sur des tests cognitifs sensibles à la fatigue, à l’anxiété ou aux troubles moteurs. ».

Dans le quatrième aliéna de l'article 6, le texte précise le délai de réflexion : « Après un délai de réflexion d’au moins deux jours à compter de la notification de la décision [par le médecin], la personne confirme au médecin qu’elle demande l’administration de la substance létale. ». Deux jours paraissent très court pour une décision d'une telle importance. Et encore, les députés en séance publique ont supprimé du texte cette phrase : « Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de cette dernière telle qu’elle la conçoit. ». Non seulement, cela aurait réduit encore plus le délai, mais l'insertion du mot "dignité" aurait été philosophiquement scandaleux, chaque être humain, quel que soit son état, préserve intrinsèquement sa dignité et dire le contraire, surtout dans un texte de loi, aurait suggéré que des personnes ne devraient plus être en état de vivre parce qu'elles seraient "indignes". Heureusement, donc, cette phrase a été supprimée.
 


En revanche, si la confirmation de la demande intervient plus de trois mois après la notification du médecin, alors « le médecin évalue à nouveau le caractère libre et éclairé de la manifestation de la volonté en mettant en œuvre, si besoin, la procédure » initiale.

Dans un tel cas de confirmation de la demande d'euthanasie, alors le médecin « détermine, en accord avec la personne, les modalités d’administration de la substance létale et le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner pour cette administration » (cinquième alinéa de l'article 6).

L'article 7 prévoit la date et le lieu de l'euthanasie. La date : « Avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner (…), la personne convient de la date à laquelle elle souhaite procéder à l’administration de la substance létale. ». Le lieu : « Dans des conditions convenues avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner, l’administration de la substance létale peut être effectuée, à la demande de la personne, en dehors de son domicile, à l’exception des voies et espaces publics. ». De plus : « La personne peut être entourée par les personnes de son choix pendant l’administration de la substance létale. Le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne informe les proches et les oriente, si nécessaire, vers les dispositifs d’accompagnement psychologique existants. ».

Un nouveau garde-fou a été inséré en séance publique dans l'article 9 du texte : « Le jour de l’administration de la substance létale, le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne vérifie que la personne confirme qu’elle veut procéder ou, si elle n’est pas en capacité physique de le faire elle-même, faire procéder à l’administration et veille à ce qu’elle ne subisse aucune pression de la part des personnes qui l’accompagnent pour procéder ou renoncer à l’administration. (…) Si la personne qui a confirmé sa volonté demande un report de l’administration de la substance létale, le professionnel de santé suspend la procédure et, à la demande du patient, convient d’une nouvelle date (…). ». Cela signifie que jusqu'au dernier moment, une personne demandeuse de l'aide à mourir peut interrompre le processus, et cela sans qu'aucune pression ne puisse avoir lieu.

Le troisième alinéa de l'article 9 précise : « Une fois la substance létale administrée, la présence du professionnel de santé aux côtés de la personne n’est plus obligatoire. Il est toutefois suffisamment près et en vision directe de la personne pour pouvoir intervenir en cas de difficulté (…). ».

En revanche, les députés en séance publique ont supprimé la disposition suivante : « Le certificat attestant le décès est établi dans les conditions prévues à l’article L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales. Est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir. ».

Des dispositions sont indiquées à la fin de l'article 9 pour détruire les restes de la préparation létale qui n'ont pas été utilisés (afin d'éviter un trafic ou une utilisation hors de contrôle, qui serait donc criminelle).

D'autres dispositions poursuivent l'encadrement de cet acte très particulier. Ainsi, l'article 12 est ainsi rédigé : « La décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ainsi que la décision de mettre fin à la procédure (…) ne peuvent être contestées que par la personne ayant formé cette demande, devant la juridiction administrative, selon les dispositions de droit commun. ».

Ce qui a été complété par la disposition suivante : « Par dérogation au premier alinéa du présent article, la décision du médecin autorisant une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne à accéder à l’aide à mourir peut être contestée, dans un délai de deux jours à compter de sa notification, par la personne chargée de la mesure de protection, devant le juge des contentieux de la protection, en cas de doute sur l’aptitude de la personne ayant formé la demande d’aide à mourir à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. La saisine du juge des contentieux de la protection suspend la procédure prévue à la présente sous-section. Le juge des contentieux de la protection statue dans un délai de deux jours. ».

Une clause de conscience pour le professionnel de santé a été prévue et définie dans l'article 14 : « Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à ces procédures doit, sans délai, informer la personne ou le professionnel le sollicitant de son refus et leur communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de celles-ci. ».

L'article 17 est particulièrement sévère pour les "empêcheurs d'euthanasier en rond" : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir : 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements où est pratiquée l’aide à mourir ou à tout lieu où elle peut régulièrement être pratiquée, en entravant la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces lieux ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ou en perturbant le lieu choisi par une personne pour l’administration de la substance létale ; 2° Soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’aide à mourir, des personnels participant à la mise en œuvre de l’aide à mourir, des patients souhaitant recourir à l’aide à mourir ou de l’entourage de ces derniers ou des professionnels de santé volontaires (…). ». De plus, son deuxième alinéa permet à des associations déclarées depuis au moins cinq ans d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues précédemment. On imagine vite quelles associations pourraient profiter de cette disposition.

Le troisième aliéna de l'article 18 a pour but d'éviter une marchandisation de l'euthanasie, à savoir, la création d'un business de la mort qui irait à l'encontre de la décision libre et éclairée de la personne : « À l’exception des prix de cession et des honoraires mentionnés au II du présent article [préparations létales et rémunérations des professionnels de santé pour cette mission], aucune rémunération ou gratification en espèces ou en nature, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée en échange d’un service dans le cadre d’une procédure d’aide à mourir. ».

L'article 19 intervient pour les assurances décès : « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir (…). ». Ainsi, il n'est pas dit que la personne qui a appliqué l'aide à mourir est morte de mort naturelle, mais son décès reste couvert comme un décès naturel pour les assurances et mutuelles (au contraire du suicide).

Enfin, je n'ai pas indiqué la traçabilité des procédures d'aide à mourir, son analyse statistique, son contrôle de légalité avec une commission spéciale, des rapports réguliers, etc. On a vu en Belgique que toute cette partie était folklorique et n'a pas montré une efficacité très élevée pour éviter des abus. De toute façon, tout contrôle a posteriori est trop tard pour ce genre de chose, évidemment.


En conclusion

Il faut être clair. Je suis absolument opposé au principe général d'inscrire l'aide à mourir (suicide assisté ou euthanasie) dans la loi parce que je sais que cela ouvre une boîte de Pandore qu'on ne refermera pas de sitôt. Je n'ai jamais été opposé au principe singulier et exceptionnel d'une aide à mourir dans le secret des consciences, celles des médecins et des patients. Mais la loi se fait dans un cadre général, et c'est cela qui est effrayant.

Mais je dois aussi reconnaître que les conditions de la procédure d'aide à mourir telles qu'elles ont été définies par les députés sont convaincantes en ce sens que de nombreux garde-fou ont été institués pour éviter des erreurs de discernement et des abus. Je les ai indiqués plus haut et il faut s'en féliciter.

Je reste inquiet car si cette loi venait à être adoptée (cela semble à peu près sûr à l'Assemblée Nationale, dès ce mardi 27 mai 2025 ; c'est moins sûr au Sénat), sa stabilité serait mise à rude épreuve. Rappelons-nous que la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui réglait plus de 99% des problèmes d'une anticipation de la mort n'a pas encore dix ans (on ne lui a pas donné sa chance) et va devenir obsolète (elle ne sera pas abrogée, ce qui est très rassurant ; ainsi, la sédation profonde et continue restera donc encore une possibilité même après l'adoption de la loi sur l'aide à mourir). Toute révision ultérieure de la certainement loi sur l'aide à mourir me donnera hélas raison en ce sens que les conditions seront simplement assouplies, la pratique élargie, et les abus seront alors possibles.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Olivier Falorni.
Euthanasie 2025 (3) : l'examen de la proposition Falorni à l'Assemblée.
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 

 

 

 

 

 

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250525-euthanasie-2025c.html

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