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29 mai 2025 4 29 /05 /mai /2025 04:53

« La véritable grandeur d’une société ne se mesure pas à sa capacité à abréger la vie, mais à son engagement à l’accompagner, jusqu’à ses derniers instants, avec humanité, courage et tendresse. » (Patrick Hetzel, le 27 mai 2025 dans l'hémicycle).




 


Ce mardi 27 mai 2025 ont eu lieu dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale deux votes solennels sur deux propositions sur la fin de vie et l'accompagnement des personnes en fin de vie. La première proposition relative aux soins palliatifs a été adoptée à l'unanimité des députés avec 560 voix pour, 3 abstentions (dont 2 députés qui sont trompés et voulaient voter pour) sur 563 votants. La proposition de loi sur l'aide à mourir (proposition Falorni) n'a pas été, en revanche, adoptée à l'unanimité, loin de là. Elle l'a été, vers 18 heures 45, avec 305 voix pour, 199 voix contre, 57 abstentions sur 561 votants, soit une majorité assez large, quand même, de trois cinquièmes.

Comme je l'ai exprimé précédemment, je regrette cette adoption en première lecture. Le fait de légiférer sur une autorisation à tuer ou à aider à tuer une personne est l'ouverture d'une boîte de Pandore. Des abus viendront obligatoirement pour de nombreuses raisons (coûts financiers de l'assurance maladie, pression des héritiers, tentations d'eugénisme, etc.) avec des assouplissements et élargissements des conditions d'encadrement votées ce 27 mai 2025.

Dans le précédent article, j'ai précisé justement les conditions d'utilisation de cette aide à mourir (euthanasie et suicide assisté) que les députés avaient définies. Dans cet article, je propose d'indiquer le nom de quelques députés qui ont voté pour ou contre, souvent pour souligner que ce vote de conscience (et pas de confiance) a eu lieu en dehors des clivages politiques ordinaires (la plupart des groupes ont renoncé à une consigne de vote collective). Ensuite, je présenterai quelques extraits intéressants des explications de vote. Le Premier Ministre François Bayrou avait souhaité séparer les deux textes (soins palliatifs et euthanasie) et il a eu raison puisque l'un a été adopté de manière unanime au contraire de l'autre.


Qui a voté pour ou contre ?


Parmi les 305 députés qui ont voté pour la proposition Falorni, il y a eu 19 députés RN (dont Guillaume Bigot, Sébastien Chenu, Edwige Diaz, Alexandra Masson, Thomas Ménagé, Jean-Philippe Tanguy), 64 députés Renaissance (dont Pieyre-Alexandre Anglade, Gabriel Attal, Yaël Braun-Pivet, Céline Calvez, Pierre Cazeneuve, Olga Givernet, Guillaume Kasbarian, Roland Lescure, Sylvain Maillard, Franck Riester, Violette Spillebout, Jean Terlier, Prisca Thevenot, Stéphane Travert), 62 députés insoumis (sur 71), 59 députés socialistes (sur 66), 7 députés LR (dont Vincent Jeanbrun), 33 députés écologistes (sur 38), 20 députés MoDem (dont Erwan Balanant, Geneviève Darrieussecq, Olivier Falorni, Bruno Fuchs, Perrine Goulet, Jean-Paul Mattei, Richard Ramos, Nicolas Turquois, Philippe Vigier), 14 députés Horizons (dont Agnès Firmin Le Bodo, Lise Magnier, Isabelle Rauch, Frédéric Valletoux), 11 députés LIOT (dont Yannick Favennec-Bécot, David Habib, Stéphane Lenormand, Paul Molac, Estelle Youssouffa), 12 députés communistes (sur 17) et 4 députés non-inscrits (dont Stella Dupont, Sophie Errante, Sacha Houlié).

Parmi les 199 députés qui ont voté contre la proposition Falorni, il y a eu 101 députés RN (sur 123, dont Marine Le Pen), 11 députés Renaissance (dont Yannick Chenevard, Anne Genetet, Sébastien Huyghe, Constance Le Grip, Joséphine Missoffe, Karl Olive, Annie Vidal qui a été la rapporteure de la proposition de loi sur les soins intensifs), 1 députée insoumise (Sophia Chikirou qui voulait s'abstenir), 4 députés socialistes (dont Paul Christophle, Dominique Potier), 34 députés LR (sur 49, dont Thibault Bazin, Xavier Breton, Pierre Cordier, Fabien Di Filippo, Nicolas Forissier, Philippe Gosselin, Michel Herbillon, Patrick Hetzel, Philippe Juvin, Olivier Marleix, Michèle Tabarot, Jean-Louis Thiériot, Jean-Pierre Vigier, Laurent Wauquiez), 1 députée écologiste (Lisa Belluco), 9 députés MoDem (dont Blandine Brocard, Cyrille Isaac-Sibille, Emmanuel Mandon, Maud Petit), 13 députés Horizons (dont Thierry Benoit, François Gernigon, Anne Le Hénanff, Naïma Moutchou, Marie-Agnès Poussier-Winsback), 3 députés LIOT (dont Charles de Courson, Jean-Luc Warsmann), 1 député communiste (Stéphane Peu), 16 députés ciottistes (sur 16, dont Éric Ciotti) et 5 députés non-inscrits (dont Aurélien Pradié, Raphaël Schellenberger).

 


Enfin, 57 députés se sont abstenus : 3 députés RN (dont Franck Allisio), 14 députés Renaissance (dont David Amiel, Hervé Berville, Maud Bregeon, Olivia Grégoire, Marie Lebec, Mathieu Lefèvre, Éric Woerth), 3 députés insoumis, 2 députés socialistes, 8 députés LR (dont Julien Dive, Virginie Duby-Muller), 1 députée écologiste, 7 députés MoDem (dont Marina Ferrari, Marc Fesneau, Sandrine Josso), 6 députés Horizons (dont Paul Christophe, Nathalie Colin-Oesterlé), 9 députés LIOT (dont Harold Huwart, Christophe Naegelen, Nicolas Sanquer, Olivier Serva), 3 députés communistes (dont Emmanuel Tjibaou) et 1 député non-inscrit.


Quelques explications de vote


Dans les extraits que je présente, je précise qu'ils ne sont pas forcément représentatifs de l'Assemblée, mais ils proviennent à la fois de députés qui allaient voter pour et d'autres contre la proposition Falorni. Les groupes du socle commun ont été très partagés d'ailleurs, mais également le groupe RN.

Le député et ancien ministre Philippe Vigier (MoDem) : « Nous sommes fiers d’être parlementaires. Le débat a été apaisé, argument contre argument. (…) Sur nombre de sujets sociétaux, l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’abolition de la peine de mort, l’autorisation de la procréation médicalement assistée (PMA), le mariage pour tous, les échanges dans cet hémicycles furent houleux. Ils n’étaient pas davantage apaisés lors de l’examen de la loi Claeys-Leonetti, j’ai lu les comptes rendus des débats de l’époque. Nous avions un devoir, être collectivement à la hauteur. Nous avons été à la hauteur pour les malades, qui nous écoutent, nous regardent et dont certains, dans l’impasse, attendaient ce nouveau droit. Nous avons été à la hauteur pour les soignants, cette communauté généreuse, professionnelle, que nous avons applaudie pendant l’épidémie de covid (…). Plusieurs textes ont ponctué notre cheminement sur ces questions : la proposition de loi relative au droit de vivre sa mort du sénateur Caillavet, la loi Kouchner, relative aux droits des malades, la loi Leonetti, dont l’adoption, il y a vingt ans déjà, mit un terme à "l’obstination déraisonnable n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie". Le législateur avait déjà envisagé la situation des personnes "en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable" dont on ne peut soulager les souffrances qu’en leur appliquant "un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger [la] vie", autrement dit, de hâter la mort. En 2016, une nouvelle étape a été franchie avec la loi Claeys-Leonetti, votée à l’Assemblée avant d’être totalement démantelée au Sénat ; il a fallu trouver un équilibre lorsqu’elle est revenue dans l’hémicycle. Un droit nouveau a alors été créé, "le droit du malade de dire : lorsque je souffre trop (…), je demande, si je le souhaite, qu’on arrête et qu’on m’endorme pour que la mort survienne dans mon sommeil", je cite Jean Leonetti. Le fait que certains d’entre nous aient voté contre la loi Claeys-Leonetti ne les a pas empêchés de se faire les ambassadeurs du droit à l’aide à mourir ces derniers jours. C’est bien la preuve que chacun peut évoluer au cours de sa vie ! (…) Que permettra cette nouvelle loi ? Elle donnera d’abord à des hommes et à des femmes le droit de bénéficier d’une aide à mourir. Il s’agit d’un droit en plus, pas d’un droit en moins ! Les patients atteints de la maladie de Charcot ne sont pas les seuls concernés, je pense notamment à ceux qui souffrent de cancers à tumeurs multiples, pour lesquels l’impasse thérapeutique est totale. Ce texte est équilibré, solide, il définit cinq critères cumulatifs et s’appuie sur un mot : le discernement. Quiconque a perdu son discernement ne pourra pas accéder à l’aide à mourir, a contrario des dispositions de la loi Claeys-Léonetti, je vous renvoie aux propos de Jean Leonetti qui expliquait qu’un patient ayant perdu son discernement pourrait bénéficier, au travers des soins palliatifs, de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort. (…) Je le dis donc avec force : non, les résidents des EHPAD, s’ils ne remplissent pas les cinq conditions, ne pourront pas accéder à l’aide à mourir ; non, les enfants ne sont pas concernés, pas plus que les handicapés, je le dis à Perrine Goulet ; non, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une affection psychiatrique, dès lors qu’elles ont perdu leur discernement, ne seront pas éligibles ! J’ajoute que les professionnels de santé sont protégés. Geneviève Darrieussecq a beaucoup insisté sur cette question, en particulier sur la clause de conscience. Tous les soignants peuvent la faire jouer. Je sais, chers collègues, que certains parmi vous souhaiteraient insister davantage sur le volontariat. Nous en reparlerons lors de la navette et je suis persuadé que nous trouverons ensemble une voie de passage. Quant aux directives anticipées, elles n’ont pas été intégrées au texte. C’est ce qui lui a permis de garder son équilibre et j’en remercie encore Olivier Falorni ! Nous voulions éviter que l’aide à mourir puisse faire partie d’un projet de vie ; elle ne pourra donc pas être demandée dans des directives anticipées. (…) Je tiens à m’adresser à ceux d’entre vous qui sont opposés à ce texte. Je respecte votre pensée et je sais que cette loi, pour vous, ne sera ni une loi d’humanité ni une loi de fraternité. Chacun son chemin ; chacun jugera en son âme et conscience. (…) Nous avons essayé de légiférer sérieusement (…). C’est avec une immense humilité que nous l’avons fait et nous serons toujours prêts, si jamais des dérives se faisaient jour, à les corriger. ».

La députée et ancienne ministre Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) : « Pour ma part, je voterai en sa faveur [en faveur due la proposition de loi instaurant une aide à mourir]. Je le voterai car il ne sacralise pas une idéologie, n’ouvre pas une liberté sans garde-fous, mais propose un chemin balisé, exigeant, réfléchi. Il ne cède pas à la facilité ; au contraire, il assume l’extrême complexité de certaines situations de fin de vie. Il forme, avec les soins palliatifs et l’accompagnement du malade et de son entourage, le modèle français de la fin de vie. Oui, nous devons entendre la détresse de ceux qui, même entourés, même soignés, ne peuvent plus vivre ce qui n’est plus pour eux qu’une lente agonie. Oui, nous devons affirmer que nul ne peut décider à la place de celui qui souffre. Mais nous devons également protéger ce choix, le borner, en garantir la liberté. (…) L’aide à mourir n’est ni de gauche ni de droite. Sur ce sujet, plus que sur tout autre, nul ne peut s’ériger en détenteur exclusif de la morale ; nul ne peut revendiquer la notion de bon ou de mauvais accompagnement de la fin de vie. Nous sommes tous ici élus du peuple, mais chacun a ses doutes, ses convictions, ses blessures propres. Parce que nous avons accepté cela, parce que nous avons écouté plus que nous n’avons accusé, nous avons pu réaliser ensemble ce que le Parlement peut faire de plus grand : donner à la loi un visage humain. ».


Le député Laurent Panifous (LIOT) : « Les débats n’ont pas opposé ceux qui avaient raison et ceux qui avaient tort. Les votes et les positions qui s’exprimeront aujourd’hui sont tous respectables et je ne serais pas surpris d’apprendre qu’à quelques minutes d’un vote aussi important, aussi engageant, certains doutent et hésitent encore. Beaucoup ont dit, à raison, être pris d’un vertige à l’idée de légiférer sur la fin de vie. Sans doute n’existe-t-il rien de plus terrifiant, de plus mystérieux, de plus vertigineux que la mort, la nôtre, celle de nos proches, celle de ceux avec qui nous faisons société. Mais ne nous y trompons pas : nous ne légiférons pas sur la mort, pas plus que nous créons un "droit à mourir", comme j’ai pu l’entendre. Nous ne légiférons pas non plus sur le choix de mourir. Nous légiférons sur l’accompagnement que la société est prête à fournir à ceux pour qui la guérison n’est plus possible, sans jamais faiblir dans nos efforts pour les soigner et apaiser leurs souffrances. Il ne s’agit pas de précipiter la mort ni de faire de celle-ci un choix inéluctable ou, pire, forcé. Surtout, il ne s’agit pas de pallier un défaut d’accès aux soins palliatifs. ».

Le député Yannick Monnet (PCF) : « Dès l’examen en commission, j’ai défendu l’idée que l’aide à mourir devait être non pas un dispositif, mais un droit, strictement encadré et conditionné. En effet, ce qui nous a conduits à légiférer sur l’aide à mourir, c’est la persistance de situations dans lesquelles des personnes atteintes d’une maladie incurable présentent des souffrances qui ne peuvent être soulagées par aucun soin et pour lesquelles la sédation profonde et continue n’est pas accessible. Dans ce contexte, envisager l’aide à mourir comme un droit, c’est garantir dans la loi l’accès à une mesure d’exception, d’ultime recours, protectrice à la fois pour la personne qui demande et pour les soignants qui devront l’accompagner. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce droit ne consacre pas la liberté de choisir sa mort. Il garantit à des personnes de pouvoir mettre un terme à des souffrances contre lesquelles la médecine ne peut plus rien ou que la personne, qui a fait le choix, en toute conscience et volontairement, de ne plus suivre de traitement, estime insupportables. C’est sur ce point que, ces dernières semaines, nous avons grandement affiné ce que nous attendions de l’aide à mourir. Après nos débats sur l’horizon temporel du diagnostic vital engagé et sur la notion de stade avancé d’une maladie, à la lumière notamment du dernier avis de la HAS, nous avons arrêté un choix : prendre davantage en considération la qualité de vie de la personne atteinte d’une maladie incurable que le temps qui lui reste à vivre, celui-ci étant, par nature, bien souvent incertain. Ce choix de privilégier la qualité de vie de la personne malade prise au piège de souffrances réfractaires est l’élément fondateur du droit à l’aide à mourir. C’est un choix qui bouscule et même, sans doute, brutalise notre perception de la fin de vie : au fond, nous souhaiterions tous que la médecine puisse tout jusqu’au bout et que la volonté de vivre l’emporte en toute situation. Je considère donc comme tout à fait inopportun de réduire la discussion sur la création de ce droit à une opposition entre les progressistes, qui seraient pour, et les conservateurs, qui seraient contre. Quand l’ordre établi est bousculé, l’instinct commande de le préserver. Quand nous, législateurs, bousculons l’ordre des choses, notre responsabilité nous commande d’agir avec prudence, en entendant les voix qui nous interpellent sur le déséquilibre que notre geste induit nécessairement. (…) Il faut impérativement éviter de jouer avec les ressorts du sensationnel, de la culpabilité et du clivage sans nuances. (…) Je regrette par ailleurs que la question d’un délit d’incitation n’ait pas pu être examinée autrement, avec moins de véhémence et plus de sérieux. Néanmoins, à l’issue de cette première lecture, j’ai le sentiment que nous avons réussi à définir le point d’ancrage du droit à l’aide à mourir et les restrictions qui doivent l’encadrer et le soutenir pour qu’il soit une réponse exceptionnelle à une demande exceptionnelle. ».
 


Le député ciottiste Vincent Trébuchet : « Nous sommes plusieurs à avoir relayé la parole de nombreux philosophes, de juristes, d’économistes : ils nous alertent sur la rupture à tous niveaux que constitue cette proposition de loi et sur les dérives qu’elle contient dans son principe même, lesquelles se manifestent à l’international. Nous avons défendu la parole des soignants engagés dans les soins palliatifs : depuis leur expérience au plus proche de la fin de vie, et non par idéologie, ils nous disent qu’un autre chemin est possible. Nous avons porté la parole des nombreuses personnes malades ou handicapées : demain, elles seront éligibles à ce nouveau droit de demander la mort et elles ont peur. Ces paroles, monsieur le rapporteur général, madame la ministre, vous ne les avez pas véritablement entendues. Vous avez émis un avis défavorable sur la quasi-totalité des amendements que nous avions déposés. Les amendements qui visaient à renforcer la protection des personnes déficientes intellectuelles, des personnes autistes, des personnes sous protection juridique ou incarcérées ? Rejetés. Ceux qui visaient à élargir la clause de conscience aux pharmaciens chargés de préparer la substance létale, aux soignants prenant part indirectement à l’acte, ou aux établissements de soins palliatifs ? Rejetés. Ceux qui tendaient à contrôler la décision en instaurant une collégialité effective, en rendant possible un recours juridique préalable ou en prévoyant une consultation psychologique systématique ? Rejetés. Ceux qui tendaient à interdire explicitement la publicité pour l’euthanasie et sa promotion sur les réseaux sociaux, ou qui visaient à créer un délit d’incitation en miroir du délit d’entrave ? Rejetés. Les amendements, enfin, qui prévoyaient la remise d’un rapport relatif à l’impact financier de la loi sur la sécurité sociale, aux mutuelles et à leurs pratiques commerciales ? Rejetés. Devant cette constance à rejeter tout amendement qui ne viserait pas un élargissement pur et simple du droit au suicide assisté ou à l’euthanasie, on ne peut que s’interroger, quelle que soit sa position. Nous avons été collectivement incapables d’apporter à ce texte des garde-fous de bon sens, peut-être parce que le courant était trop fort. Quand la transgression de l’interdit de tuer est actée, les raisons véritables de ne pas étendre ce droit, d’exception en exception, tombent alors. (…) Avant d’autres, notre pays a conquis, et de belle manière, de nouveaux droits. Mais ce droit-là représenterait-il vraiment une avancée ? Un jeune médecin m’a expliqué : "Il y a quinze ans, au début de mon internat, l’euthanasie était monnaie courante dans certains services d’oncologie, mais l’arrivée de la culture palliative, du soin et de l’accompagnement jusqu’au bout, a rendu ces pratiques complètement caduques, jusqu’à disparaître complètement". Allons-nous revenir en arrière, alors qu’il reste tant à faire ? Les soins palliatifs sont la promesse d’un non-abandon : il est temps d’honorer cette promesse à l’égard de tous les Français qui en sont privés. ».

Le député Christophe Bentz (RN) : « Aider, accompagner, soigner, soulager, écouter, parler, comprendre, essayer, trouver, considérer, rassurer, partager, profiter, pleurer, cajoler, amuser, rêver, réconforter, toucher, adoucir, atténuer, respecter, espérer, sauver. J’ai une pensée émue pour tous les soignants et aidants de France qui, chaque jour, prennent en charge la douleur et sèchent les larmes de ceux que nous aimons. Nous devons répondre à la souffrance insupportable, être à la hauteur, accompagner et secourir, rendre le plus beau possible ce qui est toujours digne, rendre le plus doux possible ce qui est si précieux, tenir la main jusqu’au bout, être présent, se battre, prendre soin, aimer, faire vivre. L’accompagnement de la personne humaine par le soin jusqu’à sa mort naturelle est un trait essentiel de notre civilisation, le cœur encore battant de notre humanité. Parce qu’on n’a, jusqu’à la fin, qu’une vie et qu’une seule dignité, nous opposons l’ultime secours à votre ultime recours. Le suicide est toujours un drame humain, le choix individuel d’un renoncement, un cri de désespoir, qui doit naturellement être entendu par la société. Mais la responsabilité d’un suicide, aussi assisté ou délégué soit-il, ne peut pas reposer sur la société. Ou alors, la société doit tout entière en prendre la responsabilité, en s’exprimant par référendum. (…) Notre responsabilité est immense : si vous entrouvrez la porte de l’abandon, elle ne se refermera plus jamais. La France est la nation du soin et doit le demeurer. Elle a inventé un modèle unique de soins, et rayonne dans le monde entier grâce à son modèle de santé et de protection de la personne humaine. La vocation sociale de la France consiste précisément à prendre soin des plus faibles, des plus fragiles, des plus vulnérables. Le monde entier admire la France pour sa singularité ; elle montre un chemin différent. Elle doit rester la lumière des nations du monde. ».

Le député Stéphane Delautrette (PS) : « Il nous faut alors entendre la voix de celles et ceux qui veulent partir sereinement, dignement, selon leur conscience. Il nous faut respecter leur volonté libre et éclairée. Il n’est pas question d’obliger qui que ce soit à recourir à ce nouveau droit, ni d’obliger les professionnels de santé à agir en désaccord avec leur conscience. Il ne s’agit pas non plus de donner un permis de tuer, mais d’accéder à une liberté de choix. ».

Le député et ancien ministre Patrick Hetzel (LR) : « Trop souvent méconnus, les soins palliatifs ne sont pourtant pas synonymes de renoncement. Ils ne guérissent pas, certes, mais ils soignent : la douleur, l’angoisse, la solitude. Ils donnent du sens aux derniers instants, ils permettent de dire adieu, de se réconcilier, de choisir comment partir. Ils affirment avec force et douceur que chaque vie mérite d’être respectée jusqu’à son terme. Dans un monde qui a parfois peur de la fin de vie, les soins palliatifs osent l’affronter avec une infinie délicatesse. Ils nous parlent de ce que nous avons de plus précieux : notre capacité à prendre soin, à accompagner, à aimer, jusqu’au dernier souffle. (…) Permettez-moi de le dire avec gravité : introduire l’euthanasie dans un système de soins encore insuffisamment formé à la culture palliative ne serait pas seulement une faute morale ; ce serait la marque d’une défaite collective. Les soins palliatifs ne sont pas une solution de repli ; ils sont la promesse d’une humanité partagée jusqu’au bout, dans le respect de la vie et de la personne. ».
 


La députée Sandrine Rousseau (EELV) : « Pour nos amours, pour nos amis, pour celles et ceux qui nous sont chers, pour toutes celles et ceux qui n’ont pas eu accès à cette aide, pour toutes celles et ceux que l’on a accompagnés dans toutes les maisons de France, pour celui qui croyait au ciel, pour celui qui n’y croyait pas, pour notre humanité, pour le droit à disposer de nos corps, pour notre liberté si précieuse et si chérie : oui au droit aux soins palliatifs, oui à l’aide à mourir. ».

La députée Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons) : « Je suis cependant convaincue qu’il reste encore beaucoup à faire pour éviter toutes les dérives et protéger les personnes les plus vulnérables. Je regrette que la décision finale reste le fardeau solitaire d’un médecin, tout comme je regrette que la consultation par un second médecin ne soit pas obligatoire, comme elle l’est en Belgique. Je suis également convaincue que le médecin traitant, quand il existe, médecin qui connaît le parcours de soins, les volontés du patient et assure son suivi régulier, devrait obligatoirement être consulté. Le texte, dans sa rédaction actuelle, ne donne aucune priorité aux soins palliatifs. Le patient est simplement informé qu’il y a droit. Les chiffres montrent pourtant que la très grande majorité des patients, quand leur souffrance est apaisée, ne souhaitent plus mourir. Le texte prévoit la création d’un délit d’entrave à l’aide à mourir ; mais l’amendement qui prévoyait la création d’un délit d’incitation à l’aide à mourir a été rejeté. Il est pourtant essentiel de veiller à ce qu’aucune pression, ouverte ou dissimulée, ne soit exercée sur des personnes vulnérables. L’absence d’une telle disposition fait peser un risque éthique important sur l’encadrement de la procédure. ».


La députée ciottiste Hanane Mansouri : « L’accès à la mort n’a cessé d’être élargi. On ne peut plus parler d’un texte équilibré, qui encadrerait strictement l’euthanasie pour des personnes en fin de vie, condamnées, dénuées de perspectives. Il suffira désormais d’être atteint d’une affection qualifiée d’incurable, sans que cela soit synonyme de mort imminente, loin de là. Voici quelques exemples de maladies chroniques incurables : l’arthrose, l’endométriose ou encore la trisomie. Elles n’empêchent ni d’aimer ni de vivre pendant de nombreuses années. Encore faut-il que nous décidions d’en faire une priorité médicale et humaine. Les promoteurs de ce texte nous expliquent que l’euthanasie n’est pas une obligation, mais un droit. Or ce n’est pas parce qu’on ne contraint pas qu’on n’incite pas. Ce n’est pas parce que c’est un choix qu’il est libre. Ce n’est pas parce qu’on ne dit pas directement à quelqu’un qu’il est un fardeau qu’il ne l’entendra pas ainsi. Qui pourra garantir qu’un entourage fatigué, parfois malveillant, ne posera pas la question à demi-mot, par lassitude ou par intérêt ? (…) Il faut regarder la vérité en face, car elle a déjà un visage et une histoire, ceux d’une femme atteinte de la maladie de Charcot. Elle a cru très tôt qu’il ne lui restait plus qu’une issue : partir avant de souffrir, avant de devenir un poids. Traumatisée par la mort de sa sœur, atteinte de la même maladie, elle a très vite dit qu’elle ne voulait pas vivre la même chose et qu’elle irait en Belgique pour mourir. Tout s’est enchaîné : la douleur, la fatigue des proches, le manque d’informations relatives aux aides disponibles et une société incapable de proposer autre chose que la sortie. Pourtant, cette femme n’était pas à l’article de la mort. Elle était encore capable d’échanges, de joie, de nouer des liens. Elle avait même connu la joie immense de devenir grand-mère. Quand la famille s’est rassemblée autour d’elle, quand ses proches se sont relayés pour les soins, l’atmosphère s’est allégée. Il y avait de la vie, de l’amour, du sens. Mais tout cela est arrivé trop tard : elle ne savait pas que les soins palliatifs pouvaient être proposés à domicile dès le diagnostic car on ne lui avait pas dit. Le centre le plus proche avait refusé de l’admettre, jugeant que son état ne s’était pas encore assez dégradé. Personne ne l’a retenue, personne ne l’a vraiment accompagnée. Elle est partie parce qu’elle pensait que c’était la seule façon de ne pas peser. ».

Le député Théo Bernhardt (RN), qui allait voter favorablement à la proposition Falorni : « Nous entendons celles et ceux qui craignent, derrière cette liberté, l’avènement d’une société où la vie deviendrait un paramètre comptable, où l’on pousserait subtilement les plus vulnérables vers la sortie. Nous leur répondons que le texte qui nous est soumis ne fait pas l’apologie de la mort : il consacre un droit ultime, encadré, balisé, assorti de garanties. Refuser d’ouvrir cette porte au prétexte qu’elle pourrait être forcée demain, c’est condamner aujourd’hui des femmes et des hommes à une souffrance insupportable, au nom d’un risque incertain. Nous sommes satisfaits des amendements adoptés en séance, qui viennent encadrer ce droit. Nous avons d’abord fait du suicide assisté la règle, pour que l’euthanasie reste l’exception. Ensuite, nous avons précisé que les personnes éligibles à l’aide à mourir devaient être entrées dans un processus irréversible d’aggravation de leur état de santé. Enfin, nous avons supprimé la reconnaissance comme mort naturelle des morts résultant de l’aide à mourir. Ces précisions ne sont pas accessoires, mais essentielles pour prévenir tout abus, toute dérive. Les garde-fous sont indispensables pour protéger les plus vulnérables, et garantir que cette aide à mourir reste une exception rigoureusement encadrée, fondée sur une demande libre, éclairée, et surtout réitérée. (…) Nous regrettons que l’instauration d’un délit d’incitation ait été rejetée, alors qu’elle aurait pu rassurer et garantir l’équilibre du texte. Nous tenons également à rappeler que les soins palliatifs doivent demeurer la réponse prioritaire à la souffrance en fin de vie : il est impératif de garantir un accès équitable à ces soins partout sur le territoire, afin que nul ne soit contraint de choisir l’aide à mourir faute de soins appropriés. Pour ceux d’entre nous qui en feront ainsi, voter ce texte ne signifie pas que nous tournons le dos à la valeur de la vie. Nous souhaitons honorer la parole de ceux qui, dans le silence de leur chambre d’hôpital, demandent qu’on respecte leur ultime liberté. Je l’assure à nos compatriotes inquiets : nous ne transigerons jamais avec la protection des personnes en situation de handicap, des mineurs, des personnes sous emprise ou en détresse psychologique. ».

Le député Vincent Ledoux (Renaissance) : « "Ce n’est pas la mort que l’on redoute, c’est de mourir sans avoir été compris". Cette phrase de François Cheng exprime avec une justesse bouleversante ce qui habite chacun face à la finitude : le besoin d’être reconnu dans sa singularité, son histoire, dans sa douleur comme dans ses choix. Être compris, c’est être reconnu jusqu’au bout comme une personne, et non uniquement comme un corps. C’est recevoir la main tendue, le cœur ouvert à la souffrance : le fardeau est moins lourd à porter lorsque l’on n’est pas seul. Être compris dans sa vulnérabilité, sa faiblesse, sa dépendance, n’est-ce pas là, au fond, la plus belle promesse de la fraternité républicaine ? Cette compréhension a été rendue possible par les pionniers des soins palliatifs, qui ont permis d’affirmer le refus de l’obstination déraisonnable, la reconnaissance des directives anticipées, et le droit à la sédation profonde. Les Français leur en sont reconnaissants : ils font massivement confiance à cette approche pour soulager les souffrances en fin de vie. ».
 


Comme on le voit, au-delà du clivage pour et contre le principe de l'euthanasie, il y a, parmi ceux qui sont pour, deux enjeux importants qui n'ont pas rassuré un certain nombre de députés : d'une part, l'instauration d'un délit d'entrave, calqué sur celui pour l'IVG, risque de mettre à mal la liberté d'expression ; d'autre part, le refus de l'instauration d'un délit d'incitation à l'euthanasie rend la situation déséquilibrée en ce sens qu'une pression pourrait s'exercer sur le patient pour accélérer sa fin de vie sans qu'elle puisse être sanctionnée, alors que la pression inverse serait sanctionnée.

Désormais approuvée en première lecture par les députés (c'est une première historique), c'est au tour des sénateurs de se prononcer sur ce texte qui sera examiné en automne 2025 au Sénat (malgré un agenda principalement chargé, consacré au budget 2026), et sera probablement amendé, ce qui le ferait sans doute revenir en seconde lecture à l'Assemblée. Certains espèrent une adoption définitive avant la fin du mandat du Président Emmanuel Macron en 2027.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2025 (4) : adoption de la proposition de loi relative à "l'aide à mourir".
Olivier Falorni.
Euthanasie 2025 (3) : l'examen de la proposition Falorni à l'Assemblée.
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250527-euthanasie-2025d.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2025-4-adoption-de-la-261216

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/27/article-sr-20250527-euthanasie-2025d.html




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26 mai 2025 1 26 /05 /mai /2025 04:25

« Je remercie également le président Frédéric Valletoux. J’ai passé à côté de lui, non seulement physiquement mais aussi intellectuellement, quarante-deux heures en commission et soixante-huit heures en séance. Au-delà de ce temps passé ensemble, je dois dire, et mon expérience me permet d’avouer que ce n’est pas toujours le cas, que j’ai particulièrement apprécié, monsieur le président, votre sens de la modération, votre conception de la présidence de commission qui a toujours favorisé le sérieux et le respect dans les débats, et enfin votre écoute. Il est important qu’un président de commission sache écouter. Nous avons d’ailleurs bien travaillé entre la commission et la séance pour aboutir à un texte qui, à mon sens, s’est nettement amélioré. Merci, monsieur le président Valletoux ! Un dernier mot pour vous, madame la ministre Vautrin. La vie politique, parfois décevante, nous offre aussi parfois des moments heureux. Nous avons avancé ensemble sur ce chemin et j’en ai été très heureux. Je salue la force de vos convictions et la qualité de votre travail. Il n’est pas si fréquent de voir un ministre qui maîtrise autant son sujet du début à la fin. » (Olivier Falorni, le 24 mai 2025 dans l'hémicycle).




 


Le député MoDem de La Rochelle, Olivier Falorni, disait ainsi, ce samedi 24 mai 2025 peu avant 13 heures, sa joie de voir s'achever avec succès l'examen en première lecture à l'Assemblée Nationale de sa proposition de loi relative au droit à l'aide à mourir, déposée le 11 mars 2025, dont il est le rapporteur général.

Pour Olivier Falorni (53 ans), député depuis juin 2012, à l'époque maire de La Rochelle et membre du PS dont il était le secrétaire fédéral, candidat dissident contre Ségolène Royal qui voulait retrouver une circonscription et même candidate (un peu trop hâtivement) au perchoir (candidate qu'il a donc battue), c'est une grande victoire personnelle, plus personnelle que politique. L'euthanasie a toujours été l'un de ses dadas à l'Assemblée et il est aujourd'hui en capacité de la rendre effective.

 


Reprenons l'historique rapidement. Une proposition avait été déposée et commencée à être examinée au printemps 2024 mais la dissolution a interrompu la procédure. Le Président Emmanuel Macron voulait l'adoption de cette proposition de loi mais de manière douce, il ne voulait pas, par exemple, instituer un « droit à l'aide à mourir » mais seulement une nouvelle possibilité. L'arrivée d'une Assemblée sans majorité a rendu les choses inextricables. La Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet tenait à ce qu'une proposition de loi fût à l'ordre du jour en début de l'année 2025. Après la censure du gouvernement de Michel Barnier et son arrivée à Matignon, François Bayrou a souhaité dissocier la proposition de loi en deux textes différents, l'un sur les soins palliatifs qui ne fait pas vraiment débat (tout le monde est pour l'augmentation des fonds consacrés aux soins palliatifs) et l'autre sur l'aide à mourir, plus clivante et politiquement plus incertaine.

La proposition sur les soins palliatifs a été examinée en séance publique du 12 au 16 mai 2025. La proposition sur l'aide à mourir, la seule que j'évoquerai dans cet article, a été examinée du 16 au 24 mai 2025. Le mardi 27 mai 2025 auront lieu deux votes solennels, pour chacune de ces deux propositions de loi, et ces votes ont été prévus de longue date. Les députés craignaient de passer trop de temps sur la loi sur l'aide à mourir et de devoir faire des séance de nuit sur le sujet. Finalement, ils auront eu leur dimanche 25 mai 2025 de libre puisque la discussion de la proposition Falorni s'est achevée ce samedi 24 mai 2025 vers 13 heures. Il est en tout cas remarquable que les débats se soient faits de manière sereine et sans obstruction et c'est bien ce qu'a décrit Olivier Falorni : parfois, l'Assemblée est capable d'une grande maturité.


Néanmoins, je regrette que cette maturité se soit illustrée pour instituer une euthanasie qui va dénaturer les valeurs fondamentales de notre République. Il est question ici d'évoquer le texte amendé après 42 heures de discussion en commission des affaires sociales (du 18 mars 2025 au 2 mai 2025) et 68 heures de discussion en séance publique (du 16 au 24 mai 2025) et qui va probablement être adopté en première lecture le 27 mai 2025. Je le présente tel qu'il est.
 


Le texte amendé comporte vingt articles, dont certains sont très techniques et peu politiques.

L'article 2 instaure ce nouveau "droit" intégré dans le code de la santé publique : « Le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues (…), afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier. ».
 


L'article 4, le plus crucial, donne les cinq conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de ce nouveau droit (pour « accéder à l'aide à mourir »). Premièrement, être âgé d'au moins 18 ans. Deuxièmement, être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière (sans indication de durée). Les trois autres conditions pour la personne sont les plus importantes.

La troisième condition : « Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ».

La quatrième condition : « Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir. ». Cette dernière phrase rajoutée au cours de la discussion en séance publique est un heureux garde-fou contre tous les abus possibles, il a été proposé à la suite de certains constats connus à l'étranger.

La cinquième condition : « Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Il aurait été pertinent d'insister sur une manifestation répétée et constante de cette volonté.


Ces cinq conditions sont, on le comprend, très exigeantes et contraignantes. Elles permettent à une large majorité des députés de s'y retrouver. Elles ne permettent pas, par exemple, l'euthanasie des personnes qui sont dans l'incapacité de manifester clairement et sans pression leur volonté d'en finir.

Malheureusement, les partisans avant-gardistes de l'euthanasie ont accepté ces barrières à l'entrée car leur but est sur le principe anthropologique, mettre dans la loi (tant dans le code de la santé publique que dans le code pénal) l'idée qu'on peut faire mourir un malade. Ils sont persuadés que ce n'est qu'une étape et que d'autres lois élargiront les possibilités de cette loi-ci, c'est-à-dire assoupliront les conditions, comme cela a été les cas dans d'autres pays, par exemple, la Belgique où des enfants, sans indication d'âge, ou des personnes en "simple" dépression nerveuse ou atteintes de schizophrénie peuvent être euthanasiées sans que leur volonté fût clairement exprimée.

L'article 5 précise la procédure pour manifester sa volonté d'euthanasie. La personne doit en faire « la demande écrite ou part tout autre mode d'expression adapté à ses capacités à un médecin en activité qui n'est ni son parent, ni son allié, ni son conjoint, ni son concubin, ni le partenaire auquel elle est liée un pacte civil de solidarité, ni son ayant droit ». En outre, une téléconsultation ne serait pas valable, il faudrait alors que le médecin se déplace pour recueillir sa demande, en cas d'empêchement de se déplacer du demandeur.

Le médecin qui reçoit la demande d'euthanasie a alors cinq obligations : une obligation d'informer la personne « sur son état de santé, sur les perspectives d'évolution de celui-ci ainsi que sur les traitements et les dispositifs d'accompagnement disponibles » ; une obligation d'informer la personne « qu’elle peut bénéficier de l’accompagnement et des soins palliatifs (…) et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » ; une obligation de proposer « à la personne et à ses proches de les orienter vers un psychologue ou un psychiatre et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » ; enfin, une obligation d'indiquer à la personne « qu’elle peut renoncer, à tout moment, à sa demande ». Ces quatre obligations concourent au caractère éclairé de la demande de la personne qui doit prendre sa décision en toute connaissance de cause. La cinquième obligation est d'expliquer à la personne « les conditions d'accès à l'aide à mourir et sa mise en œuvre ».

Dans l'article 6, un certain nombre de garde-fou ont été mis dans la procédure. Par exemple : « La personne dont le discernement est gravement altéré par une maladie lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être reconnue comme manifestant une volonté libre et éclairée. ». De même, pour vérifier les trois dernières conditions à remplir pour demander l'aide à mourir, « le médecin met en place une procédure collégiale ». Le médecin a quinze jours pour notifier à la personne, « oralement et par écrit, sa décision motivée » sur sa demande d'euthanasie (acceptation ou rejet).

Une autre assertion est très importante dans le même article 6, rajoutée au cours de la discussion en séance publique : « Lorsque la personne malade est atteinte d’une maladie neurodégénérative, l’évaluation de sa capacité de discernement doit tenir compte de son mode de communication et des dispositifs adaptés utilisés et ne peut se fonder exclusivement sur des tests cognitifs sensibles à la fatigue, à l’anxiété ou aux troubles moteurs. ».

Dans le quatrième aliéna de l'article 6, le texte précise le délai de réflexion : « Après un délai de réflexion d’au moins deux jours à compter de la notification de la décision [par le médecin], la personne confirme au médecin qu’elle demande l’administration de la substance létale. ». Deux jours paraissent très court pour une décision d'une telle importance. Et encore, les députés en séance publique ont supprimé du texte cette phrase : « Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de cette dernière telle qu’elle la conçoit. ». Non seulement, cela aurait réduit encore plus le délai, mais l'insertion du mot "dignité" aurait été philosophiquement scandaleux, chaque être humain, quel que soit son état, préserve intrinsèquement sa dignité et dire le contraire, surtout dans un texte de loi, aurait suggéré que des personnes ne devraient plus être en état de vivre parce qu'elles seraient "indignes". Heureusement, donc, cette phrase a été supprimée.
 


En revanche, si la confirmation de la demande intervient plus de trois mois après la notification du médecin, alors « le médecin évalue à nouveau le caractère libre et éclairé de la manifestation de la volonté en mettant en œuvre, si besoin, la procédure » initiale.

Dans un tel cas de confirmation de la demande d'euthanasie, alors le médecin « détermine, en accord avec la personne, les modalités d’administration de la substance létale et le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner pour cette administration » (cinquième alinéa de l'article 6).

L'article 7 prévoit la date et le lieu de l'euthanasie. La date : « Avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner (…), la personne convient de la date à laquelle elle souhaite procéder à l’administration de la substance létale. ». Le lieu : « Dans des conditions convenues avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner, l’administration de la substance létale peut être effectuée, à la demande de la personne, en dehors de son domicile, à l’exception des voies et espaces publics. ». De plus : « La personne peut être entourée par les personnes de son choix pendant l’administration de la substance létale. Le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne informe les proches et les oriente, si nécessaire, vers les dispositifs d’accompagnement psychologique existants. ».

Un nouveau garde-fou a été inséré en séance publique dans l'article 9 du texte : « Le jour de l’administration de la substance létale, le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne vérifie que la personne confirme qu’elle veut procéder ou, si elle n’est pas en capacité physique de le faire elle-même, faire procéder à l’administration et veille à ce qu’elle ne subisse aucune pression de la part des personnes qui l’accompagnent pour procéder ou renoncer à l’administration. (…) Si la personne qui a confirmé sa volonté demande un report de l’administration de la substance létale, le professionnel de santé suspend la procédure et, à la demande du patient, convient d’une nouvelle date (…). ». Cela signifie que jusqu'au dernier moment, une personne demandeuse de l'aide à mourir peut interrompre le processus, et cela sans qu'aucune pression ne puisse avoir lieu.

Le troisième alinéa de l'article 9 précise : « Une fois la substance létale administrée, la présence du professionnel de santé aux côtés de la personne n’est plus obligatoire. Il est toutefois suffisamment près et en vision directe de la personne pour pouvoir intervenir en cas de difficulté (…). ».

En revanche, les députés en séance publique ont supprimé la disposition suivante : « Le certificat attestant le décès est établi dans les conditions prévues à l’article L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales. Est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir. ».

Des dispositions sont indiquées à la fin de l'article 9 pour détruire les restes de la préparation létale qui n'ont pas été utilisés (afin d'éviter un trafic ou une utilisation hors de contrôle, qui serait donc criminelle).

D'autres dispositions poursuivent l'encadrement de cet acte très particulier. Ainsi, l'article 12 est ainsi rédigé : « La décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ainsi que la décision de mettre fin à la procédure (…) ne peuvent être contestées que par la personne ayant formé cette demande, devant la juridiction administrative, selon les dispositions de droit commun. ».

Ce qui a été complété par la disposition suivante : « Par dérogation au premier alinéa du présent article, la décision du médecin autorisant une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne à accéder à l’aide à mourir peut être contestée, dans un délai de deux jours à compter de sa notification, par la personne chargée de la mesure de protection, devant le juge des contentieux de la protection, en cas de doute sur l’aptitude de la personne ayant formé la demande d’aide à mourir à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. La saisine du juge des contentieux de la protection suspend la procédure prévue à la présente sous-section. Le juge des contentieux de la protection statue dans un délai de deux jours. ».

Une clause de conscience pour le professionnel de santé a été prévue et définie dans l'article 14 : « Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à ces procédures doit, sans délai, informer la personne ou le professionnel le sollicitant de son refus et leur communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de celles-ci. ».

L'article 17 est particulièrement sévère pour les "empêcheurs d'euthanasier en rond" : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir : 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements où est pratiquée l’aide à mourir ou à tout lieu où elle peut régulièrement être pratiquée, en entravant la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces lieux ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ou en perturbant le lieu choisi par une personne pour l’administration de la substance létale ; 2° Soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’aide à mourir, des personnels participant à la mise en œuvre de l’aide à mourir, des patients souhaitant recourir à l’aide à mourir ou de l’entourage de ces derniers ou des professionnels de santé volontaires (…). ». De plus, son deuxième alinéa permet à des associations déclarées depuis au moins cinq ans d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues précédemment. On imagine vite quelles associations pourraient profiter de cette disposition.

Le troisième aliéna de l'article 18 a pour but d'éviter une marchandisation de l'euthanasie, à savoir, la création d'un business de la mort qui irait à l'encontre de la décision libre et éclairée de la personne : « À l’exception des prix de cession et des honoraires mentionnés au II du présent article [préparations létales et rémunérations des professionnels de santé pour cette mission], aucune rémunération ou gratification en espèces ou en nature, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée en échange d’un service dans le cadre d’une procédure d’aide à mourir. ».

L'article 19 intervient pour les assurances décès : « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir (…). ». Ainsi, il n'est pas dit que la personne qui a appliqué l'aide à mourir est morte de mort naturelle, mais son décès reste couvert comme un décès naturel pour les assurances et mutuelles (au contraire du suicide).

Enfin, je n'ai pas indiqué la traçabilité des procédures d'aide à mourir, son analyse statistique, son contrôle de légalité avec une commission spéciale, des rapports réguliers, etc. On a vu en Belgique que toute cette partie était folklorique et n'a pas montré une efficacité très élevée pour éviter des abus. De toute façon, tout contrôle a posteriori est trop tard pour ce genre de chose, évidemment.


En conclusion

Il faut être clair. Je suis absolument opposé au principe général d'inscrire l'aide à mourir (suicide assisté ou euthanasie) dans la loi parce que je sais que cela ouvre une boîte de Pandore qu'on ne refermera pas de sitôt. Je n'ai jamais été opposé au principe singulier et exceptionnel d'une aide à mourir dans le secret des consciences, celles des médecins et des patients. Mais la loi se fait dans un cadre général, et c'est cela qui est effrayant.

Mais je dois aussi reconnaître que les conditions de la procédure d'aide à mourir telles qu'elles ont été définies par les députés sont convaincantes en ce sens que de nombreux garde-fou ont été institués pour éviter des erreurs de discernement et des abus. Je les ai indiqués plus haut et il faut s'en féliciter.

Je reste inquiet car si cette loi venait à être adoptée (cela semble à peu près sûr à l'Assemblée Nationale, dès ce mardi 27 mai 2025 ; c'est moins sûr au Sénat), sa stabilité serait mise à rude épreuve. Rappelons-nous que la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui réglait plus de 99% des problèmes d'une anticipation de la mort n'a pas encore dix ans (on ne lui a pas donné sa chance) et va devenir obsolète (elle ne sera pas abrogée, ce qui est très rassurant ; ainsi, la sédation profonde et continue restera donc encore une possibilité même après l'adoption de la loi sur l'aide à mourir). Toute révision ultérieure de la certainement loi sur l'aide à mourir me donnera hélas raison en ce sens que les conditions seront simplement assouplies, la pratique élargie, et les abus seront alors possibles.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Olivier Falorni.
Euthanasie 2025 (3) : l'examen de la proposition Falorni à l'Assemblée.
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 

 

 

 

 

 

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250525-euthanasie-2025c.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2025-3-l-examen-de-la-261183

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/26/article-sr-20250525-euthanasie-2025c.html


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25 mai 2025 7 25 /05 /mai /2025 04:38

« Je remercie également le président Frédéric Valletoux. J’ai passé à côté de lui, non seulement physiquement mais aussi intellectuellement, quarante-deux heures en commission et soixante-huit heures en séance. Au-delà de ce temps passé ensemble, je dois dire, et mon expérience me permet d’avouer que ce n’est pas toujours le cas, que j’ai particulièrement apprécié, monsieur le président, votre sens de la modération, votre conception de la présidence de commission qui a toujours favorisé le sérieux et le respect dans les débats, et enfin votre écoute. Il est important qu’un président de commission sache écouter. Nous avons d’ailleurs bien travaillé entre la commission et la séance pour aboutir à un texte qui, à mon sens, s’est nettement amélioré. Merci, monsieur le président Valletoux ! Un dernier mot pour vous, madame la ministre Vautrin. La vie politique, parfois décevante, nous offre aussi parfois des moments heureux. Nous avons avancé ensemble sur ce chemin et j’en ai été très heureux. Je salue la force de vos convictions et la qualité de votre travail. Il n’est pas si fréquent de voir un ministre qui maîtrise autant son sujet du début à la fin. » (Olivier Falorni, le 24 mai 2025 dans l'hémicycle).




 


Le député MoDem de La Rochelle, Olivier Falorni, disait ainsi, ce samedi 24 mai 2025 peu avant 13 heures, sa joie de voir s'achever avec succès l'examen en première lecture à l'Assemblée Nationale de sa proposition de loi relative au droit à l'aide à mourir, déposée le 11 mars 2025, dont il est le rapporteur général.

Pour Olivier Falorni (53 ans), député depuis juin 2012, à l'époque maire de La Rochelle et membre du PS dont il était le secrétaire fédéral, candidat dissident contre Ségolène Royal qui voulait retrouver une circonscription et même candidate (un peu trop hâtivement) au perchoir (candidate qu'il a donc battue), c'est une grande victoire personnelle, plus personnelle que politique. L'euthanasie a toujours été l'un de ses dadas à l'Assemblée et il est aujourd'hui en capacité de la rendre effective.


Reprenons l'historique rapidement. Une proposition avait été déposée et commencée à être examinée au printemps 2024 mais la dissolution a interrompu la procédure. Le Président Emmanuel Macron voulait l'adoption de cette proposition de loi mais de manière douce, il ne voulait pas, par exemple, instituer un « droit à l'aide à mourir » mais seulement une nouvelle possibilité. L'arrivée d'une Assemblée sans majorité a rendu les choses inextricables. La Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet tenait à ce qu'une proposition de loi fût à l'ordre du jour en début de l'année 2025. Après la censure du gouvernement de Michel Barnier et son arrivée à Matignon, François Bayrou a souhaité dissocier la proposition de loi en deux textes différents, l'un sur les soins palliatifs qui ne fait pas vraiment débat (tout le monde est pour l'augmentation des fonds consacrés aux soins palliatifs) et l'autre sur l'aide à mourir, plus clivante et politiquement plus incertaine.

La proposition sur les soins palliatifs a été examinée en séance publique du 12 au 16 mai 2025. La proposition sur l'aide à mourir, la seule que j'évoquerai dans cet article, a été examinée du 16 au 24 mai 2025. Le mardi 27 mai 2025 auront lieu deux votes solennels, pour chacune de ces deux propositions de loi, et ces votes ont été prévus de longue date. Les députés craignaient de passer trop de temps sur la loi sur l'aide à mourir et de devoir faire des séance de nuit sur le sujet. Finalement, ils auront eu leur dimanche 25 mai 2025 de libre puisque la discussion de la proposition Falorni s'est achevée ce samedi 24 mai 2025 vers 13 heures. Il est en tout cas remarquable que les débats se soient faits de manière sereine et sans obstruction et c'est bien ce qu'a décrit Olivier Falorni : parfois, l'Assemblée est capable d'une grande maturité.


Néanmoins, je regrette que cette maturité se soit illustrée pour instituer une euthanasie qui va dénaturer les valeurs fondamentales de notre République. Il est question ici d'évoquer le texte amendé après 42 heures de discussion en commission des affaires sociales (du 18 mars 2025 au 2 mai 2025) et 68 heures de discussion en séance publique (du 16 au 24 mai 2025) et qui va probablement être adopté en première lecture le 27 mai 2025. Je le présente tel qu'il est.


Le texte amendé comporte vingt articles, dont certains sont très techniques et peu politiques.

L'article 2 instaure ce nouveau "droit" intégré dans le code de la santé publique : « Le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues (…), afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier. ».
 


L'article 4, le plus crucial, donne les cinq conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de ce nouveau droit (pour « accéder à l'aide à mourir »). Premièrement, être âgé d'au moins 18 ans. Deuxièmement, être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière (sans indication de durée). Les trois autres conditions pour la personne sont les plus importantes.

La troisième condition : « Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ».

La quatrième condition : « Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir. ». Cette dernière phrase rajoutée au cours de la discussion en séance publique est un heureux garde-fou contre tous les abus possibles, il a été proposé à la suite de certains constats connus à l'étranger.

La cinquième condition : « Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Il aurait été pertinent d'insister sur une manifestation répétée et constante de cette volonté.


Ces cinq conditions sont, on le comprend, très exigeantes et contraignantes. Elles permettent à une large majorité des députés de s'y retrouver. Elles ne permettent pas, par exemple, l'euthanasie des personnes qui sont dans l'incapacité de manifester clairement et sans pression leur volonté d'en finir.

Malheureusement, les partisans avant-gardistes de l'euthanasie ont accepté ces barrières à l'entrée car leur but est sur le principe anthropologique, mettre dans la loi (tant dans le code de la santé publique que dans le code pénal) l'idée qu'on peut faire mourir un malade. Ils sont persuadés que ce n'est qu'une étape et que d'autres lois élargiront les possibilités de cette loi-ci, c'est-à-dire assoupliront les conditions, comme cela a été les cas dans d'autres pays, par exemple, la Belgique où des enfants, sans indication d'âge, ou des personnes en "simple" dépression nerveuse ou atteintes de schizophrénie peuvent être euthanasiées sans que leur volonté fût clairement exprimée.

L'article 5 précise la procédure pour manifester sa volonté d'euthanasie. La personne doit en faire « la demande écrite ou part tout autre mode d'expression adapté à ses capacités à un médecin en activité qui n'est ni son parent, ni son allié, ni son conjoint, ni son concubin, ni le partenaire auquel elle est liée un pacte civil de solidarité, ni son ayant droit ». En outre, une téléconsultation ne serait pas valable, il faudrait alors que le médecin se déplace pour recueillir sa demande, en cas d'empêchement de se déplacer du demandeur.
 


Le médecin qui reçoit la demande d'euthanasie a alors cinq obligations : une obligation d'informer la personne « sur son état de santé, sur les perspectives d'évolution de celui-ci ainsi que sur les traitements et les dispositifs d'accompagnement disponibles » ; une obligation d'informer la personne « qu’elle peut bénéficier de l’accompagnement et des soins palliatifs (…) et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » ; une obligation de proposer « à la personne et à ses proches de les orienter vers un psychologue ou un psychiatre et s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » ; enfin, une obligation d'indiquer à la personne « qu’elle peut renoncer, à tout moment, à sa demande ». Ces quatre obligations concourent au caractère éclairé de la demande de la personne qui doit prendre sa décision en toute connaissance de cause. La cinquième obligation est d'expliquer à la personne « les conditions d'accès à l'aide à mourir et sa mise en œuvre ».

Dans l'article 6, un certain nombre de garde-fou ont été mis dans la procédure. Par exemple : « La personne dont le discernement est gravement altéré par une maladie lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être reconnue comme manifestant une volonté libre et éclairée. ». De même, pour vérifier les trois dernières conditions à remplir pour demander l'aide à mourir, « le médecin met en place une procédure collégiale ». Le médecin a quinze jours pour notifier à la personne, « oralement et par écrit, sa décision motivée » sur sa demande d'euthanasie (acceptation ou rejet).

Une autre assertion est très importante dans le même article 6, rajoutée au cours de la discussion en séance publique : « Lorsque la personne malade est atteinte d’une maladie neurodégénérative, l’évaluation de sa capacité de discernement doit tenir compte de son mode de communication et des dispositifs adaptés utilisés et ne peut se fonder exclusivement sur des tests cognitifs sensibles à la fatigue, à l’anxiété ou aux troubles moteurs. ».

Dans le quatrième aliéna de l'article 6, le texte précise le délai de réflexion : « Après un délai de réflexion d’au moins deux jours à compter de la notification de la décision [par le médecin], la personne confirme au médecin qu’elle demande l’administration de la substance létale. ». Deux jours paraissent très court pour une décision d'une telle importance. Et encore, les députés en séance publique ont supprimé du texte cette phrase : « Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de cette dernière telle qu’elle la conçoit. ». Non seulement, cela aurait réduit encore plus le délai, mais l'insertion du mot "dignité" aurait été philosophiquement scandaleux, chaque être humain, quel que soit son état, préserve intrinsèquement sa dignité et dire le contraire, surtout dans un texte de loi, aurait suggéré que des personnes ne devraient plus être en état de vivre parce qu'elles seraient "indignes". Heureusement, donc, cette phrase a été supprimée.


En revanche, si la confirmation de la demande intervient plus de trois mois après la notification du médecin, alors « le médecin évalue à nouveau le caractère libre et éclairé de la manifestation de la volonté en mettant en œuvre, si besoin, la procédure » initiale.

Dans un tel cas de confirmation de la demande d'euthanasie, alors le médecin « détermine, en accord avec la personne, les modalités d’administration de la substance létale et le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner pour cette administration » (cinquième alinéa de l'article 6).

L'article 7 prévoit la date et le lieu de l'euthanasie. La date : « Avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner (…), la personne convient de la date à laquelle elle souhaite procéder à l’administration de la substance létale. ». Le lieu : « Dans des conditions convenues avec le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner, l’administration de la substance létale peut être effectuée, à la demande de la personne, en dehors de son domicile, à l’exception des voies et espaces publics. ». De plus : « La personne peut être entourée par les personnes de son choix pendant l’administration de la substance létale. Le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne informe les proches et les oriente, si nécessaire, vers les dispositifs d’accompagnement psychologique existants. ».

Un nouveau garde-fou a été inséré en séance publique dans l'article 9 du texte : « Le jour de l’administration de la substance létale, le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne vérifie que la personne confirme qu’elle veut procéder ou, si elle n’est pas en capacité physique de le faire elle-même, faire procéder à l’administration et veille à ce qu’elle ne subisse aucune pression de la part des personnes qui l’accompagnent pour procéder ou renoncer à l’administration. (…) Si la personne qui a confirmé sa volonté demande un report de l’administration de la substance létale, le professionnel de santé suspend la procédure et, à la demande du patient, convient d’une nouvelle date (…). ». Cela signifie que jusqu'au dernier moment, une personne demandeuse de l'aide à mourir peut interrompre le processus, et cela sans qu'aucune pression ne puisse avoir lieu.

Le troisième alinéa de l'article 9 précise : « Une fois la substance létale administrée, la présence du professionnel de santé aux côtés de la personne n’est plus obligatoire. Il est toutefois suffisamment près et en vision directe de la personne pour pouvoir intervenir en cas de difficulté (…). ».

En revanche, les députés en séance publique ont supprimé la disposition suivante : « Le certificat attestant le décès est établi dans les conditions prévues à l’article L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales. Est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir. ».

Des dispositions sont indiquées à la fin de l'article 9 pour détruire les restes de la préparation létale qui n'ont pas été utilisés (afin d'éviter un trafic ou une utilisation hors de contrôle, qui serait donc criminelle).

D'autres dispositions poursuivent l'encadrement de cet acte très particulier. Ainsi, l'article 12 est ainsi rédigé : « La décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ainsi que la décision de mettre fin à la procédure (…) ne peuvent être contestées que par la personne ayant formé cette demande, devant la juridiction administrative, selon les dispositions de droit commun. ».

Ce qui a été complété par la disposition suivante : « Par dérogation au premier alinéa du présent article, la décision du médecin autorisant une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne à accéder à l’aide à mourir peut être contestée, dans un délai de deux jours à compter de sa notification, par la personne chargée de la mesure de protection, devant le juge des contentieux de la protection, en cas de doute sur l’aptitude de la personne ayant formé la demande d’aide à mourir à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. La saisine du juge des contentieux de la protection suspend la procédure prévue à la présente sous-section. Le juge des contentieux de la protection statue dans un délai de deux jours. ».

Une clause de conscience pour le professionnel de santé a été prévue et définie dans l'article 14 : « Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à ces procédures doit, sans délai, informer la personne ou le professionnel le sollicitant de son refus et leur communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de celles-ci. ».

L'article 17 est particulièrement sévère pour les "empêcheurs d'euthanasier en rond" : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir : 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements où est pratiquée l’aide à mourir ou à tout lieu où elle peut régulièrement être pratiquée, en entravant la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces lieux ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ou en perturbant le lieu choisi par une personne pour l’administration de la substance létale ; 2° Soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’aide à mourir, des personnels participant à la mise en œuvre de l’aide à mourir, des patients souhaitant recourir à l’aide à mourir ou de l’entourage de ces derniers ou des professionnels de santé volontaires (…). ». De plus, son deuxième alinéa permet à des associations déclarées depuis au moins cinq ans d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions prévues précédemment. On imagine vite quelles associations pourraient profiter de cette disposition.

Le troisième aliéna de l'article 18 a pour but d'éviter une marchandisation de l'euthanasie, à savoir, la création d'un business de la mort qui irait à l'encontre de la décision libre et éclairée de la personne : « À l’exception des prix de cession et des honoraires mentionnés au II du présent article [préparations létales et rémunérations des professionnels de santé pour cette mission], aucune rémunération ou gratification en espèces ou en nature, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée en échange d’un service dans le cadre d’une procédure d’aide à mourir. ».

L'article 19 intervient pour les assurances décès : « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir (…). ». Ainsi, il n'est pas dit que la personne qui a appliqué l'aide à mourir est morte de mort naturelle, mais son décès reste couvert comme un décès naturel pour les assurances et mutuelles (au contraire du suicide).

Enfin, je n'ai pas indiqué la traçabilité des procédures d'aide à mourir, son analyse statistique, son contrôle de légalité avec une commission spéciale, des rapports réguliers, etc. On a vu en Belgique que toute cette partie était folklorique et n'a pas montré une efficacité très élevée pour éviter des abus. De toute façon, tout contrôle a posteriori est trop tard pour ce genre de chose, évidemment.


En conclusion

Il faut être clair. Je suis absolument opposé au principe général d'inscrire l'aide à mourir (suicide assisté ou euthanasie) dans la loi parce que je sais que cela ouvre une boîte de Pandore qu'on ne refermera pas de sitôt. Je n'ai jamais été opposé au principe singulier et exceptionnel d'une aide à mourir dans le secret des consciences, celles des médecins et des patients. Mais la loi se fait dans un cadre général, et c'est cela qui est effrayant.

Mais je dois aussi reconnaître que les conditions de la procédure d'aide à mourir telles qu'elles ont été définies par les députés sont convaincantes en ce sens que de nombreux garde-fou ont été institués pour éviter des erreurs de discernement et des abus. Je les ai indiqués plus haut et il faut s'en féliciter.

Je reste inquiet car si cette loi venait à être adoptée (cela semble à peu près sûr à l'Assemblée Nationale, dès ce mardi 27 mai 2025 ; c'est moins sûr au Sénat), sa stabilité serait mise à rude épreuve. Rappelons-nous que la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui réglait plus de 99% des problèmes d'une anticipation de la mort n'a pas encore dix ans (on ne lui a pas donné sa chance) et va devenir obsolète (elle ne sera pas abrogée, ce qui est très rassurant ; ainsi, la sédation profonde et continue restera donc encore une possibilité même après l'adoption de la loi sur l'aide à mourir). Toute révision ultérieure de la certainement loi sur l'aide à mourir me donnera hélas raison en ce sens que les conditions seront simplement assouplies, la pratique élargie, et les abus seront alors possibles.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Olivier Falorni.
Euthanasie 2025 (3) : l'examen de la proposition Falorni à l'Assemblée.
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 

 

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250524-falorni.html

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/26/article-sr-20250524-falorni.html


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22 mai 2025 4 22 /05 /mai /2025 04:48

« Derrière une apparente volonté de compassion et d’encadrement, ce texte opère un basculement radical : il introduit légalement la possibilité d’administrer la mort, par suicide assisté ou euthanasie, en bouleversant profondément les fondements de l’éthique médicale et sociale. » (la CRCF, le 15 mai 2025).



 


Dans mon précédent article sur l'euthanasie, j'expliquais que l'argumentation devait éviter de se référer à une religion, en ce sens que la République doit pouvoir légiférer sans influence d'une religion, et c'est le principe de laïcité qui est traditionnel en France. Sans ce principe, la loi sur l'IVG, par exemple, n'aurait jamais pu être adoptée.

Toutefois, cela ne signifie pas que les religions n'ont pas leur mot à dire. Au même titre que n'importe quel citoyen français, les religions basées en France ont le droit d'avoir réfléchi et de s'exprimer sur ce sujet très important, d'autant plus qu'elles sont bien placées pour en parler car c'est l'objet, pour elles, de nombreux sujets d'étude, la mort, l'accompagnement des personnes mourantes, l'accompagnement des personnes en souffrance, en situation de handicap, etc.


Or, il y a eu un petit événement qui est, semble-t-il, passé complètement inaperçu dans les médias, c'est que l'ensemble des grandes religions présentes en France s'est réuni et a fait un communiqué commun, a pris une position commune sur la proposition de loi en cours d'examen à l'Assemblée Nationale. Et le message, c'est une forte inquiétude pour l'avenir.

Il s'agit de la CRCF qui est la Conférence des responsables de culte en France, fondée le 23 novembre 2010. Elle rassemble les représentants des religions catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane et bouddhiste. Elle a pour objectif de favoriser le dialogue interreligieux et le dialogue avec les pouvoirs publics dans le respect de la laïcité française. Elle souhaite contribuer ensemble à la cohésion de la société français dans le respect des autres courants de pensée et par la reconnaissance de la laïcité comme fondement de la République. Un tel unanimisme sur l'euthanasie est notable et rare, tant certaines de ces religions ont guerroyé entre elles, ou parfois guerroient encore aujourd'hui.

Un communiqué commun a été signé le jeudi 15 mai 2025 par six représentants religieux : Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France (qui va bientôt céder la place à Mgr Jean-Marc Aveline, le 1er juillet 2025), Pasteur Christian Krieger, le président de la Fédération protestante, Mgr Dimitrios Ploumis, le métropolite de France et président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, Haïm Korsia, le grand-rabbin de France, Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la grande mosquée de Paris, et Antony Boussemart, le coprésident de l'Union bouddhiste de France.
 


Les religions ont voulu alerter solennellement sur « les graves dérives » qu'introduirait la proposition de loi sur "l'aide à mourir". Cinq inquiétudes ont été exprimées à cette occasion.

La première inquiétude est de ne pas vouloir nommer clairement la chose, à savoir l'euthanasie et le suicide assisté qui pourraient s'appliquer. Cette terminologie d'aide à mourir « vise à anesthésier les consciences et affaiblir le débat public ». Cette expression d'aide à mourir réduit la portée très grave de cet acte.

La deuxième inquiétude est la contradiction de fond avec le serment d'Hippocrate dont le principe fondamental est de « soulager sans jamais tuer ». Cette loi serait ainsi ressentie par de nombreux soignants comme « une transgression radicale de leur mission ». Des manifestants ont déjà fait des démonstrations pour lancer cet appel : soigner et pas tuer.

La troisième alerte est le cœur du débat parlementaire puisqu'il consiste à définir les garanties éthiques et procédurales. La CRCF a souligné l'absence d'une procédure collégiale (un seul médecin pourrait autoriser "l'aide à mourir"). De plus, le délai de réflexion serait seulement de 48 heures et mériterait d'être très remonté : « Cette précipitation est indigne d'une décision irréversible et de la gravité de l'enjeu ». D'autres garanties sont en cours de discussion dans l'hémicycle, tout aussi inquiétantes. Ainsi lorsqu'il s'agit de considérer la souffrance psychologique comme pouvant bénéficier de cette "aide à mourir".

La quatrième inquiétude est, à mon avis, la plus grave et la plus irréversible : « L’instauration de ce "droit" risque d’exercer une pression sourde mais réelle sur les personnes âgées, malades ou en situation de handicap. La seule existence d’une telle option peut induire chez des patients une culpabilité toxique, celle d’ "être un fardeau". ». La CRCF a constaté que « dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, les demandes ne cessent d’augmenter, et on observe une baisse inquiétante de l’investissement dans les soins palliatifs ». Ainsi, elle a remarqué : « La promesse d’un accompagnement digne tend à s’effacer derrière une option terminale présentée comme solution. ».

Enfin, la cinquième crainte serait « une atteinte à l'équilibre entre autonomie et solidarité ». La proposition de loi « érige l'autodétermination individuelle en absolu ». Ce qui signifierait que « ce choix solitaire risque fort d’occasionner des traumatismes et de blessures durables, notamment dans le cas d’une découverte a posteriori du décès d’un proche aidé au suicide ou euthanasié ». Toutefois, je considère que cette crainte ne doit pas être prise en compte car la loi doit se focaliser avant tout sur le patient lui-même et son intérêt, son bien, et pas sur le ressenti de ses proches qu'il faudrait ménager.
 


Et le communiqué commun de conclure ainsi : « Il faut choisir l’investissement dans les soins palliatifs, la formation à l’écoute, l’accompagnement global des personnes jusqu’à la fin de leur vie. Ce choix est celui de l’humanité contre l’abandon, de la relation contre la solitude, du soin contre la résignation. ».

Cette réflexion, qui va au-delà des religions et qui respecte avant tout une éthique de la société, l'aide aux plus vulnérables, ce qui est le devoir d'un État responsable, a exprimé ces inquiétudes dans un contexte d'une évidence surjouée par les médias. Ce qui est inquiétant, c'est que le débat parlementaire est surtout focalisé sur les seuils des curseurs (des conditions d'application, des garanties d'encadrement) alors que l'enjeu est le principe même de cette autorisation de tuer, de cette transgression. Dans un prochain article, j'évoquerai le débat parlementaire en cours.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?



 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250522-euthanasie-2025b.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2025-2-l-inquietude-des-260829

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/05/22/article-sr-20250522-euthanasie-2025b.html


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21 mai 2025 3 21 /05 /mai /2025 04:02

« Le fait de provoquer au suicide d'autrui est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d'une tentative de suicide. » (Article 223-13 du code pénal).




 


Depuis le lundi 12 mai 2025, les députés examinent la proposition de loi déposée par Olivier Falorni (député MoDem, ex-PS, de La Rochelle) sur "l'aide à mourir". C'était une initiative de l'année dernière qui a été interrompue par la dissolution et le Président de la République Emmanuel Macron souhaite absolument "aboutir", au point qu'il a menacé le 13 mai 2025 sur TF1 de recourir au référendum si cela s'enlisait au Parlement (ce serait une décision complètement déraisonnable et une telle pression sur les parlementaires me paraît du reste peu démocratique). Le Premier Ministre François Bayrou a toutefois voulu séparer les deux parties de la proposition en deux textes séparés, l'un sur les soins palliatifs et l'autre sur "l'aide à mourir", ce qui était très sage.

Avant toute chose, définissons mieux le sujet. "L'aide à mourir" (ou "l'aide active à mourir") n'est qu'une expression qui n'ose pas dire "euthanasie" et "suicide assisté". Malheureusement, aucun humain n'a besoin d'aide pour mourir, il meurt tout seul et bien trop vite. S'il a besoin d'aide, c'est pour vivre, c'est pour vivre bien ce qui lui reste à vivre, mais certainement pas pour mourir, et contrairement au vrai mot, on ne meurt jamais "bien", il n'y a pas de "bonne" mort, c'est toujours un mauvais moment à passer, dont certains voudraient ne pas avoir conscience.


Je vais redéfinir les termes, mais avant, comme ce sujet m'est important, comme il devrait l'être à tout humain, et que je me suis déjà très longuement exprimé sur les sujets depuis des années, et le fait même de préciser "euthanasie" me place dans un "camp", disons-le très net, je suis absolument opposé à toute législation sur l'euthanasie et le suicide assisté. Notez bien que je n'ai pas dit que j'étais forcément opposé à l'euthanasie et au suicide assisté, mais je suis résolument opposé à toute inscription de ces actes dans la loi qui est une généralité alors que ces actes sont exceptionnels et toujours singuliers. Hypocritement, d'ailleurs, les partisans de l'euthanasie disent qu'une loi permettrait de mieux l'encadrer, mais ce n'est pas une loi qui peut encadrer autant de cas exceptionnels que d'humains en partance. Celui qui, aujourd'hui, encadre ces actes qui ont lieu malgré la non-législation, c'est le juge, et le juge, par définition, est sage car il repose son jugement sur, d'une part, la loi, effectivement, mais aussi sur la situation particulière, donnée, singulière, qui est en cause.

Je vais donc employer le mot "euthanasie" pour évoquer deux stades : le "suicide assisté" et "l'euthanasie active". Certes, ce sont deux actes très différents, mais en réalité, la conclusion est la même et les acteurs presque les mêmes. Dans le premier cas, un tiers (a priori qui s'y connaît en substance létale) fournit au dit patient une substance létale et c'est le patient qui se l'injecte, et dans le second cas, un autre (ou le même) l'injecte à la place du patient, parce qu'il ne peut pas le faire lui-même.

Je pourrais reprendre le cadre de la psychanalyste Feroudja Hocini sur "l'aide à mourir". Il y a cinq stades bien définis, en "crescendo" : le premier, c'est de soigner la pathologie insoignable jusqu'à la fin ; le deuxième est l'arrêt de soins car c'est insoignable ; le troisième est l'injection d'une substance qui permette de réduire voire supprimer la douleur, avec la possibilité que cette substance précipite la mort sans intention de la donner ; le quatrième est le suicide assisté ; le cinquième est l'euthanasie active.
 


Il y a une rupture anthropologique entre le troisième et le quatrième stade, car dans les deux derniers stades, il y a clairement intention de donner la mort, ce qui est la transgression d'un principe absolu. Dans le troisième stade, qui est l'application de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, le patient en fin de vie peut demander une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Cette sédation a pour but de réduire les souffrances, pas de donner la mort. L'intentionnalité est un élément majeur dans un jugement, c'est notamment le cas pour séparer l'homicide involontaire par négligence (accident avec responsabilité), par exemple, de l'assassinat où le fait de tuer était volontaire et préparé d'avance (prémédité).

Dans la sédation profonde et continue, le fait de ne plus se nourrir ou de ne plus s'hydrater n'a pas beaucoup d'importance puisque le patient ne souffre pas (insistons sur cela). Parler alors d'hypocrisie pour exiger l'euthanasie active est une véritable escroquerie intellectuelle car l'hypocrisie, c'est surtout de ne pas distinguer l'intention de tuer et l'intention de soulager la douleur. Quant à la famille qui voit son proche mourir, que ce soit avec ou sans aide médicale (avec ou sans sédation), ce sera toujours un calvaire psychologique (bien sûr). Que la loi se garde bien d'être rédigée pour les proches, c'est pour le patient qu'elle doit l'être. Il y a des proches qui peuvent avoir quelques intérêts particuliers à voir "accélérer" les procédures, la loi ne doit donc pas être basée sur eux mais sur le seul intérêt du patient.


Donc, dans ce qui suit, et, dans cet article, sans reprendre le texte de la proposition de loi (ce sera l'objet d'un article ultérieur), je parlerai d'euthanasie pour évoquer l'ensemble suicide assisté et euthanasie active.

C'est un sujet qui peut cliver car il prend les personnes en pleine conscience de leur conception de la vie, de la mort et aussi, on oublie un peu trop vite, de la société des hommes. L'euthanasie est revendiquée en tant qu'un droit, ou une liberté. C'est par excellence le triomphe de l'individu sur le collectif. En quelque sorte, c'est le triomphe de l'ultralibéralisme extrême qui fait passer exclusivement la liberté d'une personne sur les conséquences collectives que cela peut entraîner.

Un sujet clivant mais qui peut rassembler tout de même autour de quelques principes.

Le premier principe est le refus de la souffrance. Tout doit être fait pour soulager la douleur du patient. Ce principe est déjà dans la loi, chacun a le droit de voir sa souffrance soulager. La loi du 4 mars 2002 permet le refus de soins selon la volonté du patient. Dès lors, il n'y a plus de possibilité d'acharnement thérapeutique dans la loi. Dans la pratique, cela peut évidemment être différent. Mais l'argument de l'acharnement thérapeutique n'est plus valable depuis une vingtaine d'années. Et c'est heureux : l'idée n'est pas de poursuivre coûte que coûte de prolonger la vie, comme, à mon sens, l'idée n'est pas d'abréger la vie, mais l'idée, l'obsession même, c'est de lutter contre la douleur, contre les souffrances. Je reste dans le général car dans le détail, il faut bien sûr définir exactement chaque terme.
 


Le deuxième principe qu'on peut se donner dans un débat sur la question, c'est de ne pas mettre en avant, pour approuver ou s'opposer, ses convictions religieuses. Certes, les convictions religieuses ou leur absence peuvent être des éléments importants d'appréhension d'une question, mais ici, le débat est encore plus universel que la religion (même si certaines se prétendent à juste titre universelles). Il s'agit avant tout d'avoir le regard d'un être humain. Et l'éthique, comme la morale, est civile, elle peut avoir été façonnée par la religion, mais elle est acceptée, elle doit être acceptée bien au-delà du cadre religieux. Ainsi, le code pénal s'est inspiré du Dix Commandements. L'absolu "tu ne tueras point" est l'une des bases de toute société.

Le troisième principe, toujours sur le débat, c'est le respect de toutes les opinions, car un sujet comme la fin de vie n'a pas une solution vraie et des solutions fausses. Le débat doit donc être serein, sans anathème, de part et d'autres. Il me semble qu'à ce stade, à l'Assemblée, c'est le cas.

Toutefois, je trouve que le sujet a été très mal amené par les médias, les politiques, la société en général. Déjà par le vocabulaire. Il y a deux choses qui me désolent beaucoup dans ce débat public.

Le premier point concerne la dignité. Une association qui milite pour l'euthanasie en a même fait son nom de baptême : elle réclame le droit de mourir dans la dignité. Pour moi, c'est une horreur, cela signifierait que des personnes auraient perdu leur dignité du fait de leur état de santé, de leur situation de handicap, de faiblesse. Non ! La dignité est intrinsèque à l'humain. Nous tous, aussi diminués que nous soyons, restons dignes, dignes de vivre comme dignes de mourir, ou plutôt, dignes de mourir avec dignité. La dignité ne se perd pas avec son état de santé.

Le second point est le supposé progrès sociétal, la supposée avancée sociétale que constituerait l'euthanasie. Eh bien non, je ne considère pas que tout ce qui est nouveau soit une avancée. C'est parfois une régression. Transgresser l'interdiction de tuer est pour moi un retour en arrière monstrueux. Mais cependant, je peux l'entendre et comprendre que sincèrement, certains croient à un tel progrès, parce qu'ils auraient gagné une liberté en plus, un droit en plus, de manière strictement individuelle (qui ne devrait pas gêner les autres, c'est ce côté-là qui me gêne, car c'est une erreur de dire cela, j'y reviendrai plus loin). Il faut même l'entendre comme une stratégie mûrement réfléchie des promoteurs de l'euthanasie. Que disent-ils aujourd'hui ? Ils souhaitent que la loi définisse le plus de restrictions possible, dans les conditions d'application, etc. car leur objectif est qu'une loi sur l'euthanasie soit adoptée, quelle qu'elle soit. Car ils savent bien que dans un deuxième temps, une fois le pied dans la porte, on pourra toujours réviser la loi et assouplir ces conditions. Cela s'est passé dans tous les pays qui ont légiféré et par conséquent, l'argument selon lequel l'euthanasie sera appliquée dans un cadre très strict et rigoureux est purement du pipeau. Ce sera assoupli dès la prochaine occasion.

J'en viens aux arguments, maintenant.

La question est de lutter contre la souffrance, pas en tuant celui qui souffre mais en tuant la souffrance. Pour 99% des cas, la médecine est capable de le faire. Il faut donc s'appesantir à généraliser les soins palliatifs, qui sont un droit de chaque patient. Pour le 1% restant (je donne une proportion estimée seulement), le patient peut être réfractaire aux traitements de la souffrance. Il se peut qu'il souhaite tout arrêter. La sédation profonde et continue peut alors être la solution. Elle est possible, mais il faut appliquer la loi déjà existante. Et ce n'est pas une hypocrisie, je le répète. Cette loi était consensuelle, c'est-à-dire qu'elle a su rassembler la quasi-totalité de la classe politique en 2016, parce qu'elle a été rédigée avec une extrême prudence dans un climat constructif et serein.

En quoi le principe de l'euthanasie serait une catastrophe collective ?

Comme je l'ai signalé plus haut, les conditions d'application d'une telle loi évolueraient vers un assouplissement continu et ferait passer d'une exception vers une généralisation, vers un élargissement des possibilités d'application. L'une des meilleures preuves est l'extension en Belgique de son application : aux enfants (sans condition d'âge) et à ceux qui souffrent de pathologies psychologiques ou mentales. En d'autre terme, on a déjà euthanasié en Belgique des personnes en dépression. Or, la dépression conduit le patient à des envies suicidaires. La loi doit au contraire prévenir ces suicides et pas les encourager.
 


Plus généralement, les conditions de la volonté d'euthanasie seraient mises à rude épreuve et la protection des plus faibles, des plus vulnérables serait mise à mal par une telle loi. Comment empêcherait-on alors des héritiers d'accélérer le processus ? Ou même comment empêcher la pression sociale qui deviendrait de plus en plus forte sur une personne âgée qui se sentirait de plus en plus inutile et qui se verrait un poids pour ses enfants alors qu'elle mérite toute sa place dans la société et que personne n'y est inutile ? Et les personnes vulnérables sont nombreuses : les personnes malades, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, et on pourrait même poursuivre la liste selon une supposée utilité sociale, dans un cadre tout à fait naturel mais odieux d'eugénisme.

Reparlons de dignité. Si la solution à une pathologie, à une situation extrême, devenait l'euthanasie, comme pourraient réagir tous les aidants, les proches, les soignants (ils sont plusieurs millions) qui se battent chaque jour, parfois chaque minute à accompagner une personne en perte d'autonomie ? Cela réduirait le sens même de leur action, cela pourrait les décourager alors que ce qui compte, avant tout, c'est cet accompagnement humain.
 


Et puis, il y a aussi l'intérêt économique de la société. J'ai lu que les coûts les plus élevés de la sécurité sociale, sont dépensés les six derniers mois d'une vie. Il suffirait d'euthanasier une personne six mois avant sa mort naturelle pour réduire drastiquement les dépenses sociales. Bien sûr, ne connaissant pas la date de la mort naturelle, on se garderait bien de défier ainsi la mort, mais il ne faut pas nier la pression qui serait de plus en plus forte pour réduire les dépenses de santé en encourageant l'euthanasie. Aujourd'hui, on dit à grands cris qu'il n'en est pas question : dans cinq ans, dans dix ans, qu'en sera-t-il ? "Soleil vert", pour les amateurs de vieux films (qui a assez mal vieilli).

Enfin, il y aurait une conséquence collective très importante si l'euthanasie devenait une pratique comme une autre. J'évoquais le faux argument du progrès social. Ce serait même le contraire : dans ce cas, il n'y aurait plus de progrès médical. Car si les patients étaient euthanasiés avant même qu'on tente de les guérir, il n'y aurait plus de progrès médical possible. Car une pathologie inguérissable se définit dans le temps et lorsqu'on voit les progrès de la médecine depuis les vingt dernières années, on a de quoi être optimiste. On a augmenté le pourcentage de guérison de plusieurs cancers qui ne sont plus systématiquement des synonymes de mort assurée comme auparavant (hélas, ce n'est pas le cas pour tous les cancers). La mort prématurée des patients empêcheraient toute possibilité d'innovation dans leurs traitements médicaux.


Donc, je résume ma réflexion générale ainsi. Premièrement, tout doit être focalisé sur le traitement de la souffrance, par quelque moyen que ce soit. Deuxièmement, il existe une solution ultime pour tous les réfractaires à la douleur, l'application de la loi Claeys-Leonetti. Troisièmement, un droit individuel pourrait avoir des répercussions désastreuses, à moyen terme, sur les personnes les plus vulnérables. Quatrièmement, loin d'être une avancée sociétale, ce serait une régression dans la recherche de nouveaux traitements. Parce que ce serait beaucoup moins cher d'encourager l'euthanasie que de poursuivre des recherches médicales très poussées et donc très coûteuses. Enfin, cinquièmement, la transgression inscrite dans la loi de l'interdiction de tuer aurait nécessairement des conséquences graves et irréversibles, de type eugénique, dans une société de plus en plus individualiste.


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Sylvain Rakotoarison (20 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?
Euthanasie 2024 (3) : les ultras dicteront-ils leur loi au gouvernement ?
Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?
Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.


 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250520-euthanasie-2025a.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2025-1-quelle-societe-260439

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15 mai 2025 4 15 /05 /mai /2025 04:04

« Je comprends que vous vous sentiez mal parce que c’est toute votre stratégie qui, ce soir, cette fin d’après-midi, s’est effondrée, parce que des preuves ont été apportées. (…) Je ne peux pas laisser la vérité être à ce point rayée de la carte. » (François Bayrou à Paul Vannier, le 14 mai 2025 à l'Assemblée Nationale).



 


Selon la loi de Brandolini bien connue des internautes, « la quantité d'énergie pour réfuter des sottises (…) est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ». Cela s'annonçait donc comme une mission quasi-impossible pour le Premier Ministre François Bayrou qui était auditionné ce mercredi 14 mai 2025 à 17 heures par la commission d'enquête parlementaire créée le 19 février 2025 à l'Assemblée Nationale « sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires » (privés ou publics) et en particulier sur le scandale de Notre-Dame de Bétharram.

D'abord, insistons sur le véritable scandale, celui de plusieurs centaines de victimes qui, enfants, entre les années 1950 et les années 2010, ont été violentés, sexuellement ou pas, par des adultes au sein de l'internat de Notre-Dame de Bétharram. Heureusement, la parole se libère, mais elle se libère tardivement, parfois quarante années plus tard. C'est un drame humain dont les plus sincères de la commission d'enquête parlementaire souhaitent comprendre le mécanisme, en particulier celui du silence, de la solitude des victimes, mais aussi celui de l'inaction des adultes éventuellement alertés. C'est important car la parole ne s'est pas simplement libérée à Bétharram, mais aussi dans de nombreux autres internats dans toute la France, parfois du service public.

Dès le début de l'audition, le chef du gouvernement a exprimé son soulagement de trouver enfin une enceinte pour s'expliquer : « Le premier mot qui me vient quand je pense à cette audition, c’est “enfin” (…). Pour moi, cette audition est très importante. Elle est très importante pour les garçons et les filles qui ont été victimes de violences et particulièrement de violences sexuelles depuis des décennies. Si ma présence comme cible politique a permis que ces faits apparaissent, ce MeeToo de l’enfance, alors cela aura été utile. ».
 


Ce scandale n'aurait pas été effectivement autant médiatisé si François Bayrou n'avait pas été odieusement la cible des insoumis avec des méthodes particulièrement staliniennes. Il a son procureur, digne des procès de Moscou, ou digne de Robespierre, le député FI Paul Vannier qui, corapporteur de la commission d'enquête, a montré pendant toute cette audition un talent particulier de la manipulation, de l'instrumentalisation, de la mauvaise foi et d la reformulation à l'envers (comme l'explique bien le livre "La Meute" sorti le 7 mai 2025 sur la clique de Jean-Luc Mélenchon).

Paul Vannier a commencé ses attaques contre François Bayrou le 5 février 2025 sur Twitter en l'accusant d'avoir couvert une affaire de pédophilie il y a plus de trente ans. Sa première attaque institutionnelle a eu lieu lors de la séance des questions au gouvernement du 11 février 2025 qui a commencé avec cette question scandaleuse : « Monsieur le Premier Ministre, pourquoi n’avez-vous pas protégé les élèves de l’école Notre-Dame de Bétharram, victimes de violences pédocriminelles ? ».

Pendant trois mois, de la boue dégueulasse a sali l'honneur de François Bayrou. On sait pourquoi et cela n'a échappé à aucun esprit politique : les mélenchonistes veulent renverser tous les gouvernements depuis 2022 et souhaiteraient réserver le même sort que Michel Barnier à François Bayrou. Avec les réseaux sociaux, le nom de François Bayrou a été associé à la pédocriminalité, à tel point qu'on aurait pu croire que François Bayrou était l'un des auteurs de ces violences révoltantes sur les enfants. En fait, le 22 avril 2025, on a su et il a su qu'il était plutôt une victime, car sa fille aînée, Hélène, 53 ans (elle était en première à Bétharram en 1987), a été violentée lors d'un camp d'été. Elle ne lui a dit que la veille d'une interview, après plusieurs décennies de silence.

Il faut bien comprendre la chose : la campagne de calomnie que subit François Bayrou n'est rien par rapport à ce qu'ont enduré les vraies victimes de Bétharram, et on ne peut évidemment pas les mettre sur le même plan. Du reste, le 15 février 2025, le Premier Ministre n'a pas hésité à les recevoir à la mairie de Pau pour les écouter pendant quatre heures : c'était la première fois qu'on les écoutait.

 


Mais on peut comprendre aussi l'enfer psychologique que peut vivre François Bayrou depuis trois mois. En gros, ne t'inquiète pas, je te traite de complice des pédocriminels juste pour des raisons politiques, mais je ne t'en veux pas, c'est parce que tu es Premier Ministre. La manipulation est très claire puisque les nombreuses plaintes ont commencé à s'ébruiter dans les journaux dès 2024 et pourtant, les insoumis et le site Mediapart ne s'en sont emparé qu'en début février 2025, dès lors que les socialistes avaient annoncé qu'ils ne voteraient pas la motion de censure déposée par les insoumis. C'est tellement clair que c'en est très peu subtil.

François Bayrou a accusé le rapporteur FI de « déformation de la réalité » et de ne pas se préoccuper des victimes : « Il s’agissait de me coincer pour m’obliger à démissionner. (…) Vous ne m’avez interrogé que sur moi, sur ma responsabilité, sur ce que j’avais fait ou pas fait, sur le soupçon d’être intervenu, soupçon insupportable, dans l’affaire pour protéger des pédocriminels. Toute l’audition a tourné autour de ça. (…) J’aurais voulu qu’on laisse tomber le cas d’un supposé responsable politique indifférent, corrompu, dominer par une omerta… J’aurais préféré qu’on parle des victimes. ».

 


D'ailleurs, Alain Esquerre, le porte-parole du collectif des victimes de Bétharram, s'est exprimé à l'occasion de cette audition qui a, selon lui, « un peu malmené » le Premier Ministre : « François Bayrou ne représente pas l’enjeu principal de notre combat. Il fait partie d’une chaîne de responsabilités, d’alertes ignorées, de silence institutionnel. Il n’est ni la cause unique ni le seul témoin de cette tragédie. ».

François Bayrou, en tant qu'élu local ou député, et même ministre, a labouré son territoire électoral, a inauguré plein de choses, a rencontré plein de gens depuis 1982 et il est difficile de pouvoir reconstituer exactement, au jour le jour, ce qu'il a fait exactement il y a trente à quarante ans. En somme, c'est la défaillance de la mémoire d'un homme déjà âgé de 74 ans qui serait le plus à souligner qu'une supposée volonté de tromper ou de mentir.

Comme le prévoyait la loi de Brandolini, il a fallu ce 14 mai 2025 beaucoup d'énergie pour répondre à toutes les accusations parfois complètement farfelues dont il a été la cible. Et il a fait fort : le lendemain de l'émission interminable du Président de la République Emmanuel Macron, François Bayrou l'a largement battu. Son audition a duré près de cinq heures et demi, entrecoupée de deux pauses de cinq minutes. Elle est rentrée dans l'histoire parlementaire de la Cinquième République, à l'évidence. On peut l'écouter dans son intégralité ci-dessous (pour les plus vaillants).
 


La présidente de la commission, la députée socialiste Fatiha Keloua Hachi, a parlé à la fin de l'audition d'une certaine confusion. Mais la confusion était plutôt dans les accusations insensées. François Bayrou, au contraire, a été organisé et a bien préparé son audition en apportant des preuves de ce qu'il a avancé. Ceux qui sont intéressés écouteront l'audition, car tout expliquer ferait un roman feuilleton peu intéressant par écrit. Et par oral.

Peu intéressant car ce n'est pas l'objet de la commission d'enquête. La commission d'enquête veut comprendre comment des gamins violentés ont pu rester avec cette violence sous silence pendant si longtemps sans que des tiers ne puissent arrêter le massacre. C'est cela l'essentiel, pas de savoir si François Bayrou a croisé son voisin sur le chemin ou chez lui. Après, d'autres députés de gauche (car le tir était groupé : insoumis mais aussi écologistes et socialistes de la commission) lui ont reproché de n'avoir parlé que de lui et pas des victimes : mais les questions ne portaient que sur des détails anecdotiques le concernant, et lui, en revanche, a évoqué la pensée des victimes dès son propos liminaire que la présidente de la commission voulait d'ailleurs à l'origine lui interdire de dire !

La chance, c'est que François Bayrou a réussi à retrouver des documents lui permettant d'étayer ses affirmations ou de les préciser lorsque la mémoire lui faisait défaut. Il s'avère que François Bayrou Ministre de l'Éducation nationale a agi dès le lendemain de la publication d'un article annonçant la première plainte pour violence sexuelle en ordonnant une inspection immédiate de l'établissement de Notre-Dame de Bétharram. Malheureusement, le rapport a été mal fait, trop vite bâclé et son auteur, aujourd'hui, nonagénaire, regrette de n'avoir pas pris plus de temps pour le faire, car il a conclu en disant que tout allait bien madame la marquise.

Dans cette tentative désespérée de s'en prendre au Premier Ministre, on ne lui a rien épargné et sûrement pas la tape qu'il a donnée le 9 avril 2002 en pleine campagne présidentielle. Il se retrouvait avec la maire de Strasbourg, la centriste Fabienne Keller, dans une mairie annexe de la capitale alsacienne, et comme il avait été le premier, comme ministre en 1994, à refuser le voile à l'école, un groupe d'islamistes était en train de jeter des cailloux sur le bâtiment. On l'a exfiltré mais comme certains ont insulté Fabienne Keller, François Bayrou est revenu vers eux leur faire la leçon de respect dû aux femmes. C'est alors qu'un jeune était en train de lui voler son porte-feuille, la tape est partie tout de suite : « Je lui ai donné une tape, pas une claque (…). Je suis d’ailleurs certain que cette scène a été bruitée par les télévisions. (…) Ce n’était pas du tout une claque violente, c’était une tape en effet de père de famille (…). Pour moi, ce n’est pas de la violence. ».
 


Ainsi, à partir de ce fait-divers, qui n'a rien à voir avec les violences répétées et scandaleuses de Bétharram, on a voulu faire dire que le Premier Ministre était d'accord avec les violences de l'établissement où il a placé certains de ses enfants ! Bien sûr qu'il est opposé aux claques et à toute violence sur les enfants, et il a même soutenu très activement la députée du MoDem Maud Petit dans sa défense de sa proposition de loi contre les violences éducatives ordinaires adoptée à l'Assemblée le 29 novembre 2018 et promulguée en tant que loi n°2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires qui interdit toute violence physique et psychologique sur un enfant de la part de l'autorité parentale (article 371-1 du code civil). Et d'ailleurs, il n'a pas voulu le dire, mais alors qu'il plafonnait en dessous de 4% des intentions de vote dans les sondages en début avril 2002, François Bayrou a bénéficié de cette tape électoralement car on y a vu de la fermeté dans le régalien, ce qui a fait qu'il a terminé à 6% et en quatrième position derrière Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin. Entre 2002 et 2019, les mentalités ont beaucoup changé.

À la fin de l'audition, François Bayrou, en ce qui le concernait, a conclu ainsi : « Je n’ai pas ma part de responsabilité dans ce dont on m’accusait. Je n’ai pas couvert des pratiques quelles qu’elles soient. Je n’ai pas eu d’informations privilégiées. Je ne suis pas resté sans rien faire quand j’ai découvert les affaires et je ne suis jamais intervenu dans une affaire. Mais pour le reste, on a tous une part de responsabilité, tous, quel que soit le département dont on est originaire. ».


Au-delà de sa propre défense qui reste dérisoire face au traumatisme des victimes, François Bayrou a surtout voulu être utile et positif en annonçant des mesures intéressantes. Ainsi, il a proposé de créer une haute autorité indépendante conseillée par deux groupes, un conseil de scientifiques et un conseil de victimes : « Il faut des victimes pour mieux écouter les victimes. ». Il a souhaité aussi ajouter la mission de lutter contre les violences à l'école à la Haut-commissaire à l'Enfance Sarah El Haïry (ancienne ministre et ancienne députée) : « Je suis prêt à compléter [sa] feuille de route. ». La question de la prescription est en réflexion pour permettre une instruction judiciaire très longtemps après les faits.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bétharram : François Bayrou a apporté les preuves de sa bonne foi.
Bétharram : François Bayrou bouleversé par le témoignage de sa fille.
Abbé Pierre : le Vatican savait dès 1955 !
Bétharram : François Bayrou contre-attaque !
Bétharram : François Bayrou coupable... de quoi, au fait ?
Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
La vérité nous rendra libres.
Abus sexuels : l’Église reconnaît sa responsabilité institutionnelle.
Legs et indécence.
Secret de la confession et lois de la République.
Abus sexuels dans l’Église : honte, effroi et pardon !
Rapport de Jean-Marc Sauvé remis le 5 octobre 2021 sur la pédocriminalité dans l’Église (à télécharger).
Présentation du rapport Sauvé le 5 octobre 2021 (vidéo).
Discours du pape François le 24 février 2019 au Vatican (texte intégral).
La protection des mineurs dans l’Église.
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
La faute de Mgr Jacques Gaillot.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Mgr Barbarin : le vent du boulet.
Pédophilie dans l’Église catholique : la décision lourde de Lourdes.
Mgr Barbarin : une condamnation qui remet les pendules à l’heure.
Pédophilie dans l’Église : le pape François pour la tolérance zéro.
Le pape François demande pardon pour les abus sexuels dans l’Église.
Le pape François en lutte contre la culture de l’étiquette et de la médisance.







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250514-betharram.html

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8 mai 2025 4 08 /05 /mai /2025 04:21

« 33 tombes, et non pas 2 seulement comme indiqué précédemment, ont été endommagées par des inconnus qui ont ouvert un cercueil et exhumé le défunt, un homme décédé de 81 ans. Le corps, empalé sur un manche de parasol, a été découvert gisant sur la tombe voisine. Cet acte n’a pas été revendiqué. Les enquêteurs ont relevé les empreintes de chaussures de quatre personnes différentes qui, semble-t-il, auraient opéré au cours de la nuit de mercredi à jeudi. » (Dépêche de l'AFP publiée le jeudi 10 mai 1990 à 15 heures 53).



 


Il est des villes qui, par l'amer hasard de l'histoire, deviennent synonymes de l'ignominie et de la consternation bien malgré leurs habitants. C'était évidemment le cas pour Vichy et, bien que ville de cure thermale, le régime de Vichy n'était pas un régime minceur mais le régime politique de Pétain. Cela a été aussi le cas pour la ville de Carpentras, dans le Vaucluse, qui s'est retrouvée un beau matin le symbole déplorable de l'antisémitisme le plus abject.

En effet, il y a trente-cinq ans, le jeudi 10 mai 1990 dans la matinée, deux dames qui se sont rendues au cimetière juif de Carpentras pour se recueillir auprès de leurs disparus ont trouvé trente-quatre tombes détruites, avec des inscriptions antisémites, et surtout, le plus grave, le corps d'une personne, Félix Germon, décédé quinze jours auparavant à 81 ans, dont la tombe n'avait pas être encore ensevelie, a été exhumé. Les autorités ont été alertées par ces deux dames, ont envisagé de ne pas en faire la publicité pour éviter de donner de mauvaises idées à certains, puis ont publié un communiqué de presse à 15 heures 53 à l'AFP. Cette profanation du cimetière juif de Carpentras a provoqué un emballement médiatique et politique particulièrement notable.

Ce n'était pas, hélas, la première fois qu'un cimetière juif a été profané en France. Plusieurs cas avaient déjà eu lieu depuis l'attentat de la synagogue de la rue Copernic à Paris.


Il faut remettre la situation dans le contexte politique du moment. Le 10 mai 1990, le Président François Mitterrand s'apprêtait à fêter le neuvième anniversaire de sa première élection du 10 mai 1981, et en bonne route pour atteindre les dix ans voire atteindre le record de longévité de tous les Présidents de la République depuis que la République existe (quatorze ans, ce fut le cas et cela ne se renouvellera pas en raison du quinquennat limité à deux mandats successifs).

Les socialistes avaient gagné les élections de 1988 : réélection de François Mitterrand en mai puis élections législatives en juin, même si l'absence de majorité absolue rendait les choses un peu plus compliquées qu'en 1981 pour le gouvernement dirigé par Michel Rocard qui pouvait toutefois alterner le soutien du parti communiste français et du groupe centriste UDC (Union du centre issue principalement des rangs du CDS, composante démocrate-chrétienne de l'UDF). Laurent Fabius, qui n'avait pas réussi à s'emparer du premier secrétariat du parti socialiste en 1988 ni au mémorable congrès de Rennes en 1990, a pu obtenir en lot de consolation (pauvres institutions !) le perchoir entre 1988 et 1992.

Parallèlement, le FN continuait à monter dans l'électorat sous la houlette de Jean-Marie Le Pen. L'extrême droite a fait un excellent score à l'élection présidentielle de 1988, frôlant les 15%. Et au cœur de l'essor du FN, à Dreux, lors d'une élection législative partielle en décembre 1989, la candidate du FN Marie-France Stirbois a été élue, confortant ainsi ce parti dans ses fondements.

Justement, la veille du 10, le 9 mai 1990 au soir, le président du FN était l'invité de la très importante émission politique "L'heure de vérité" animée par François-Henri de Virieu sur Antenne 2. Signalons en passant que Jean-Marie Le Pen, qui n'avait obtenu que 0,7% à l'élection présidentielle de 1974, a été pistonné par François Mitterrand pour participer régulièrement à cette émission phare à partir de 1984, ce qui lui a assuré une couverture médiatique très forte, dans le but machiavélique de diviser la droite et d'empêcher l'alliance UDF-RPR d'être majoritaire.


Et justement, le 9 mai 1990, Jean-Marie Le Pen expliquait qu'il y avait trop de Juifs dans la presse : « Que les Juifs aient beaucoup de pouvoir dans la presse, comme les Bretons en ont dans la marine, ou les Corses dans les douanes, ça ne me paraît pas discutable. Comme des gens du Front national se sont aperçus qu'un certain nombre de lobbies juifs, comme celui de M. Kahn, leur ont fait une persécution systématique, ils ont l'impression d'en voir beaucoup, c'est vrai. » [Jean Kahn était le président du CRIF de 1989 à 1995]. Ce n'était pas à sa première provocation à connotation antisémite, c'était après la longue série du "détail" et de "Durafour crématoire", etc. Très vite, certains ont vu dans les propos du leader d'extrême droite une motivation de quelques "bas du front" pour profaner un cimetière juif. C'était le cas par exemple de Serge Klarsfeld, le chasseur de nazis bien connu, qui a déclaré le 10 mai 1990 : « Le Pen a dit hier soir qu'il y avait trop de Juifs dans la presse. Certains à sa droite ont traduit qu'il y a trop de Juifs dans les cimetières. ».
 


En fait, la profanation, réelle, a eu lieu dans la nuit du 8 au 9 mai et pas du 9 au 10 mai, car personne n'est venu au cimetière dans la journée du 9 mai, si bien qu'il a fallu attendre le lendemain pour se rendre compte des dégradations. De plus, les informations ont laissé croire que le corps de Félix Germon, exhumé, avait été au centre d'une odieuse mise en scène, en d'autres termes, qu'il avait été empalé, information relayée par les premières déclarations de Laurent Fabius et aussi de Pierre Joxe. La réalité a été que ce n'était pas le cas, l'examen par deux médecins légistes a montré que c'était faux. L'exhumation du corps n'en demeurait pas moins absolument choquante et scandaleuse, un manque de respect aux morts insupportable.

Le commentaire du journaliste Marcel Trillat, directeur adjoint de l'information, dans le journal télévisé d'Antenne 2, soulignait l'extrême gravité de cette profanation (une dramatisation qui ferait de l'audience, par ailleurs) : « Un crime prémédité (…), la transgression sauvage du tabou le plus antique : le respect des morts. Un véritable défi à la société française, comme pour la prévenir que ses fondements les plus solides étaient en train de s’effriter. ».


Pour ne prendre qu'un exemple, très représentatif, dans son éditorial du 12 mai 1990, André Fontaine, le directeur de la publication du journal "Le Monde", écrivait : « Il n’est pas trop tôt pour souligner le danger de la banalisation (…) du discours raciste ou révisionniste (…). Le drame de Carpentras devrait en inciter plus d’un, homme public comme citoyen privé, à faire en ce domaine, son examen de conscience. ».
 


La machinerie politique a démarré au quart de tour, du moins du côté du parti socialiste et à gauche, mais pas seulement. Le Ministre de l'Intérieur Pierre Joxe, qui se trouvait en déplacement à Nîmes, est allé immédiatement à Carpentras en hélicoptère dans la journée : « Lorsque l’horreur est indicible, on ne doit rien dire, on doit se taire et méditer. C’est ce que nous venons de faire. Mais lorsque les criminels sont connus, on doit les dénoncer. Nous les connaissons ; je dénonce donc le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance et je pense que tout le monde en France ressentira, comme nous, chagrin et pitié. ». Un référence qui faisait penser à Auschwitz.

Après lui, quasiment toute la classe politique a défilé à Carpentras : Raymond Barre (ancien Premier Ministre), Pierre Mauroy (ancien Premier Ministre), Jack Lang (Ministre de la Culture), Lionel Jospin (Ministre de l'Éducation nationale), Jean-Claude Gaudin (président du conseil régional de PACA), Michel Noir (maire de Lyon), Georges Marchais (secrétaire général du PCF), Harlem Désir (président de SOS Racisme), etc. Jacques Chirac (président du RPR et maire de Paris) aussi a réagi publiquement et a exprimé son indignation.

Du reste, si cet émoi politique a été parfois surjoué par l'Élysée et la gauche en général, il restait salutaire. Le pays n'était pas sans réaction quand des actes abominables ciblant les Juifs était commis, et ce constat, rassurant, était essentiel. Le point d'orgue fut la grande manifestation du dimanche 14 mai 1990 à Paris à l'initiative du CRIF, entre Bastille et République (itinéraire classique des manifestations de gauche, imposé par l'Élysée), à laquelle quasiment toute la classe politique a participé (toute la classe politique sauf le FN). Le présentateur du Soir 3, le journal télévisé sur FR3, déclarait : « Bonsoir, c'est bien tout un peu peuple qui était ce soir dans la rue à Paris, des centaines de milliers de personnes pour une marche silencieuse, une seule banderole, en tête du cortège : "Non au racisme et non à l'antisémitisme". ». Michel Rocard, Pierre Bérégovoy, Pierre Mauroy, mais aussi Jacques Chirac, François Léotard, etc. y ont participé... et également François Mitterrand, le Président de la République, ce qui était sans précédent depuis 1945. La participation d'un Président de la République à une manifestation a été renouvelée une seule fois avec François Hollande le dimanche 11 janvier 2015 après les attentats de "Charlie Hebdo". Le mot de François Léotard à cette manifestation du 14 mai 1990 était d'ailleurs éloquent : « Nous refusons ce que dit monsieur Jean-Marie Le Pen, car ce sont possiblement ces mots-là qui ont poussé à ces actes-là. ».

 


Effectivement, dès les premières heures, le FN et Jean-Marie Le Pen étaient montrés du doigt par le reste de la classe politique. Certes, le parti d'extrême droite n'était pas accusé explicitement d'avoir commis lui-même les profanations, mais d'en avoir été la cause morale ou politique par les nombreuses déclarations à connotations racistes et antisémites. Pour riposter aux accusations portées contre lui, Jean-Marie Le Pen a organisé une conférence de presse le 11 mai 1990 au Danemark où il était en déplacement, en criant au complot contre lui, contre le FN, visant à le faire taire : « Oui, il s’agit d’un acte ignoble mais c’est un coup monté qui sert de tremplin à la classe politique pour s’attaquer au FN ! ». TF1 a diffusé aussi le 11 mai 1990 une réaction de Jean-Marie Le Pen au Puy-en-Velay : « L’attitude de certains hommes politiques apparaît comme tellement choquante qu’elle fait immédiatement penser à un montage. D’ailleurs, par beaucoup de côtés, cet événement rappelle quelque chose de récent : c’est l’opération de Timisoara. (…) À qui le crime profite ? Cela devrait en tout cas écarter le FN. ».

L'attaque étant la meilleure défense, le leader d'extrême droite a imaginé d'autres coupables possibles, « des communistes qui semblent être les maîtres d'œuvre de toute cette opération », ou même « des mouvements subversifs islamiques dont on sait qu'ils ne portent pas spécialement dans leur cœur les Juifs ». Pire ! Dans une sorte de victimisation viscérale, le FN a par la suite accusé des jeunes Maghrébins, puis des agents du Mossad, et enfin François Mitterrand lui-même d'avoir commis ces profanations dans le but d'accuser le FN.

Selon Yves Bertrand, le futur directeur des renseignements généraux entre 1992 et 2003, François Mitterrand aurait effectivement été à l'origine de la puissance médiatique de ces réactions politiques et des accusations portées contre le FN afin de rendre désormais impossible toute idée d'alliance entre la droite et l'extrême droite. Et c'est pourquoi l'Élysée a demandé à ce que l'enquête policière privilégiât la piste de militants du FN. Mais de là à faire commettre lui-même la profanation, il y a un fossé !

Concrètement, l'enquête policière s'est longtemps enlisée. Des militants d'extrême droite, du parti PNFE, ont été interpellés puis relâchés sans avoir de lien, semble-t-il, avec les profanations (en fait, si). En novembre 1995, une émission télévisée ("Témoin n°1" sur TF1) de Jacques Pradel a donné un écho médiatique particulier à une nouvelle piste proposée par l'avocat Gilbert Collard, déjà proche du FN, celle de la jeunesse dépravée des notables de Carpentras, profitant des rumeurs existant déjà dans la ville. Était visé notamment le fils de Jean-Claude Andrieu, commerçant et maire UDF de Carpentras depuis octobre 1987 (et conseiller régional à partir de mars 1992), sous prétexte qu'il jouait à des jeux de rôles. Rumeurs de messes noires, de satanisme, voire d'orgies organisées, avec, à la clef, le meurtre d'une jeune femme, Alexandra Berrus, en 1992. Gilbert Collard était l'avocat à la fois de la famille de Félix Germon et de celle d'Alexandra Berrus. À la suite de cette émission qui a provoqué beaucoup d'incompréhension dans la population, la juge d'instruction a été dessaisie de l'affaire et mutée à Marseille. Mais cette piste, comme les autres, n'ont pas plus abouti !

Ce n'est que le 30 juillet 1996 que le mystère s'est évaporé. L'un des auteurs de la profanation s'est finalement rendu aux autorités et a reconnu les faits en apportant des indications connues des seuls enquêteurs. L'homme était au chômage et psychologiquement à bout. Il a aussi dénoncé ses quatre complices. Quatre des cinq auteurs ont alors été arrêtés. Il s'agissait d'un acte antisémite préparé de longue date, prémédité par des néonazis du PNFE, groupuscule néonazi fondé en 1987. Leur chef, un skinhead membre du PNFE, qui avait été arrêté dès le 11 mai 1990 mais relâché le lendemain, a été tué le 23 décembre 1993 à moto par un véhicule dont le conducteur a été également assassiné, retrouvé dans le Rhône avec deux balles dans le corps et les pieds lestés de lourdes pierres. Les quatre auteurs survivants ont été condamnés le 24 avril 1997 à Marseille à des peines comprises entre vingt et vingt-quatre mois de prison ferme.

Même s'il y a eu quelques liens entre le FN et le PFNE (le fondateur du PNFE a été membre du FN auparavant), aucun lien n'a été établi entre la profanation du cimetière de Carpentras et le FN et les accusations portées contre Jean-Marie Le Pen ou le FN, même si elles pouvaient se comprendre par le climat d'antisémitisme que le personnage avait installé dans le débat public, se sont donc révélées fausses et injustifiées.

L'une des conséquences de cette affaire a été l'adoption le 30 juin 1990 et la promulgation de la loi n°90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot (Jean-Claude Gayssot, député PCF et futur ministre, l'avait proposée), dont la nouveauté (dans son article 9) est qu'elle réprime désormais toute contestation de l'existence des crimes contre l'humanité, et en particulier des chambres à gaz dans les camps d'extermination nazis : « Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. ». Cette loi n'a pourtant pas empêché la montée de l'antisémitisme en France sur les trois décennies qui l'ont suivie.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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7 mai 2025 3 07 /05 /mai /2025 18:41

« La première victoire qui soit commune, c’est la victoire de l’Europe sur elle-même. (…) L’Europe, nous la faisons, nous aimons nos patries. Restons fidèles à nous-mêmes. Relions le passé et le futur et nous pourrons passer, l’esprit en paix, le témoin à ceux qui vont nous suivre. » (François Mitterrand, le 8 mai 1995 à Berlin).




 


Ce jeudi 8 mai 2025, des milliers de communes, grandes mais aussi petites, des villages, des hameaux, vont organiser des rassemblements pour commémorer la victoire du 8 mai 1945. Se recueillir devant nos morts pour la France. Cette année est un peu particulière puisque c'est le 80e anniversaire de la Victoire, et c'est aussi l'une des dernières années où l'on pourra encore écouter des témoins directs de la Seconde Guerre mondiale, des anciens combattants, des anciens résistants, des anciens déportés, des survivants de ce passé si trouble, aux destinées très différentes selon la vie de chacun.

C'est François Mitterrand qui a rétabli le jour férié au 8 mai. Auparavant, on avait estimé que le 11 novembre pouvait rassembler les deux fins de guerre, 1918 et 1945, afin de réduire les journées chômées. Mais les deux guerres étaient très différentes et ce n'est pas inutile que chaque année, les citoyens se penchent de façon distincte sur ces deux guerres.

Cette année, le 8 mai, comme le 1er mai, tombe un jeudi, ce qui pourrait faire deux ponts prolongés avec seulement deux jours de congé (huit jours au total, deux fois jeudi à dimanche). Après tout, c'est mieux en mai ensoleillé qu'en novembre embrumé. Mais l'idée n'était pas de faire un pont ni de se prélasser au soleil. L'idée était de commémorer ces fins de guerre.

Une polémique s'est instaurée à l'aide des désinformateurs professionnels soumis à Vladimir Poutine, selon laquelle il faudrait choisir entre le 8 mai et le 9 mai. Factuellement, c'est la capitulation allemande a eu lieu le 8 mai 1945 à 23 heures 01, et la reddition de l'armée du Reich fut signée le 7 mai 1945 à Reims. Mais Staline, en apprenant cela, a été rage de colère car il voulait une signature à Berlin que l'Armée rouge avait conquis. Une nouvelle signature a donc eu lieu à Berlin le 8 mai 1945 à 23 heures 16, heure de Berlin, un peu en différé puisque l'arrêt des combats avait eu lieu le 8 mai 1945 à 23 heures 01, heure de Berlin. Or, à cette heure-là, il était 1 heure 01 du matin du 9 mai 1945 à Moscou, d'où la date du 9 mai retenue par la Russie. Toutefois, Staline n'en a pas fait une journée nationale particulièrement festive, car la date rappelait trop les lourdes pertes humaines soviétiques dans cette guerre.

 


Cette année, Vladimir Poutine a voulu en faire un enjeu d'influence internationale, notamment en invitant Lula, Xi Jinping, Sissi, et quelques autres. Il voudrait jouer à celui qui urine le plus loin, dans une sorte de surenchère de roi Ubu. Volodymyr Zelensky a prévenu qu'il ne garantissait pas la sécurité de Moscou pendant le 9 mai parce qu'il craignait une manipulation de Vladimir Poutine (en d'autres termes, un faux attentat à Moscou). Depuis plus de trois ans, l'Ukraine est agressée par la Russie de Vladimir Poutine et donc, par la faute de ce dernier, les deux pays sont en guerre.

La fête organisée par Vladimir Poutine est un non sens historique. On devrait commémorer la fin de la guerre pour promouvoir la paix dans le monde. Mais dans ce cas-là, le Président de la Fédération de Russie voudrait montrer sa force militaire pour impressionner ses supposés ennemis dans un but guerrier et pas pacifique.


Toutefois, je n'ai jamais été contre l'idée de faire une commémoration le 9 mai. Pour moi, c'est même une date plus importante que le 8 mai. Le 8 mai, c'est la sortie d'un enfer. Je conçois le 9 mai comme plutôt l'entrée dans un paradis. Paradis est un bien trop grand mot et il est un horizon inatteignable ; pour y aller, il y a d'abord un labyrinthe qui, parfois, nous faire revenir au point de départ, mais le chemin est là, le port est là, celui de la paix.

Car le 9 mai, c'est avant tout le 9 mai 1950, les soixante-quinze ans maintenant de la célèbre déclaration de Robert Schuman qui a mis en place toutes les conditions pour la fondation de l'Europe dans le but, pas unique mais principal, d'être en paix. Et il faut dire qu'il a eu raison : les pays de l'Europe organisée, comme je l'appellerais, qui sont maintenant vingt-sept, six au départ (France, Allemagne, Italie et Bénélux), on peut rajouter le Royaume-Uni au fil des années, ont vécu en paix entre eux depuis quatre-vingt ans, et cela est inédit dans l'histoire des deux millénaires de notre vieux continent !

En 2025, la situation est complètement différente de 1950 : aujourd'hui, on semble retourner dans une période d'avant-guerre, dans les années 1930, avec Vladimir Poutine dans le rôle de Hitler, Xi Jinping dans celui de Mussolini, Donald Trump dans celui de Chamberlain (lors des Accords de Munich). L'Ukraine devenant la nouvelle Tchécoslovaquie (le Donbass et la Crimée dans le rôle des Sudètes). En France, on n'est pas loin de 1936, les manifestations contre la réforme des retraites en 2023 faisant penser aux revendications du Front populaire. Ces Français qui ont manifesté sont, en grand partie, complètement déconnectés de la situation internationale actuelle très tendue (en Ukraine, à Gaza, en Syrie, au Cachemire, entre autres).

 


Dans sa déclaration, Robert Schuman a énoncé le principe porteur d'une union de nations démocratiques et libres dans un cadre novateur institutionnellement très novateur et original : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. ». Et le meilleur concret, à l'époque, c'était l'énergie et l'industrie, c'est-à-dire, le charbon et l'acier : « La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. ». Ces prémices d'Europe allaient devenir la CECA, puis la CEE, enfin l'Union Européenne.

Ce premier coup de génie était en fait inspiré de la réflexion de Jean Monnet. Le second coup de génie, c'était que l'union de l'Europe passait nécessairement par l'union entre la France et l'Allemagne : « Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne. ».
 


Justement, ce mercredi 7 mai 2025, Friedrich Merz, qui a été élu, la veille, Chancelier de l'Allemagne fédérale (seulement au second tour), a été reçu par le Président de la République française Emmanuel Macron à l'Élysée pour une première prise de contact officielle. Les deux hommes ont confirmé leur attention de relancer l'Europe par le renforcement politique du couple franco-allemand : « Nous voulons rendre notre partenariat plus stratégique, plus opérationnel, afin d’obtenir des résultats concrets pour nos concitoyens et pour l’Union. Nous exploiterons au maximum la coordination et le réflexe franco-allemands pour rendre l’Europe plus souveraine, en mettant l’accent sur la sécurité, la compétitivité et la convergence. La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a fait voler en éclats l’illusion selon laquelle la paix et la sécurité étaient garanties en Europe. Nous avons d’ores et déjà commencé à assumer une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité, et nous allons en faire encore davantage. (…) Nous avons besoin de réformes pour garantir la stabilité de l’Europe. Au niveau interne, pour promouvoir la démocratie, l’état de droit et la capacité d’action de l’Union Européenne. Au niveau externe, pour nous préparer à l’élargissement et pour relever les défis géopolitiques, en nous appuyant également sur la Communauté Politique Européenne. 75 ans après la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, nous sommes fiers de ce que les Européens ont accompli. Nous servirons, chaque jour, l’objectif de ces "réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait", et nous le ferons ensemble, la France et l’Allemagne, pour une Union Européenne plus souveraine et promouvant ses intérêts. ».

Cette relance de la relation franco-allemand est donc une excellente nouvelle pour la défense de nos valeurs, notre sécurité et la paix en Europe. Cela annonce un véritable renouveau européen. À nous d'y prendre part.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 mai 2025)
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Pour aller plus loin :
Le 8 mai ou le 9 mai ?
La Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.
Philippe De Gaulle.
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Les Manouchian mercredi au Panthéon.
Loi sur les génocides invalidée : faut-il s'en réjouir ?
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Léon Gautier.
Claude Bloch, passeur de mémoire.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250508-huit-mai.html

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28 avril 2025 1 28 /04 /avril /2025 18:58

« Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites. » (Évangile selon saint Matthieu).



 


Le vendredi 25 avril 2025 en début de matinée, un jeune Malien de 21 ans, Aboubakar Cissé, venu prier seul dans la mosquée de La Grand-Combe, près d'Alès, dans le Gard, a été sauvagement assassiné. Un assassinat est en fait toujours sauvage, d'une certaine manière, mais celui-ci en tout cas l'est assurément, avec 57 coups de couteau et filmé avec des insultes contre les musulmans.

La découverte du corps sans vie a eu lieu vers 11 heures 30 et l'information a été diffusée dans les médias une heure plus tard. Comme dans pareils cas, forte émotion nationale. Le week-end et au début de cette semaine, de nombreuses communes ont tenu des cérémonies d'hommage et de recueillement. Une marche blanche a eu lieu dans la commune en question.


Il a fallu attendre ce lundi 28 avril 2025 après-midi pour connaître la nature de l'enquête judiciaire : la procureure de la République de Nîmes Cécile Gensac a en effet ouvert une information judiciaire ce lundi pour « meurtre aggravé par la préméditation et la circonstance de commission à raison de la race ou de la religion, ainsi que de soustraction d'un criminel à des recherches ou à son arrestation ». Donc, un assassinat antimusulman. Quelques heures auparavant, le procureur de la République d'Alès Abdelkrim Grini avait affirmé sur BFMTV : « La piste de l'acte antimusulman, de l'acte à connotation islamophobe, (…) est privilégiée. (…) Il y a aussi des éléments qui nous permettent de considérer qu'il y avait certainement d'autres motivations qui l'ont poussé à passer à l'acte. Des motivations de fascination de la mort, d'envie de donner la mort, d'être considéré comme un tueur en série. Tout ceci doit être investigué. ». Tout simplisme doit donc être évacué dans l'analyse.

La nature antimusulmane du meurtre serait caractérisée par la vidéo (que je n'ai pas vue), mais elle n'était pas évidente dès le début. La personne suspectée de cet assassinat, un Français d'origine bosniaque de 21 ans, avait réussi à fuir en Italie mais, poursuivi, il s'est rendu à la police italienne, au commissariat de Pistoia, près de Florence, le dimanche 27 avril 2025 dans la soirée, accompagné de son avocat qui a affirmé le lendemain que le suspect n'avait pas de haine contre l'islam, qu'il s'en était pris à la première personne venue et qu'il serait surtout dérangé mentalement. C'est sûr que c'est sans doute plus facile de plaider ainsi la chose plutôt que d'assumer, mais je ne suis pas le prévenu qui, selon son avocat, ne se souvient pas d'avoir filmé son horrible acte. Le fait que l'assassin présumé soit vivant est heureux, et va permettre de comprendre les circonstances exactes de l'assassinat, ainsi que ses motivations.

Deux mille personnes ont participé à la marche blanche en hommage d'Aboubakar, sans aucune pancarte, ni panneau ni slogan.

 


Politiquement, la motivation de cet assassinat est bien sûr essentielle : pourquoi Aboubakar Cissé a-t-il été assassiné ? De la réponse peut sortir des réponses appropriées des politiques. Ou pas. Était-ce un attentat terroriste ? Il semblerait que non. Un simple fait-divers ? Un fait de société ? Un acte raciste (c'est l'un des chefs d'inculpation) ?

Pour la gauche islamisée et mélenchonisée, il n'y avait pas de doute sur le caractère "islamophobe" du crime. Il y a longtemps, j'avais employé ce terme très controversé d'islamophobie, ici et , par exemple, mais je le regrette car je ne savais pas, à l'époque, qu'il avait été inventé par des islamistes pour empêcher toute critique de l'avancée sociétale de l'islamisme en France. C'est pourquoi le Premier Ministre François Bayrou m'a paru maladroit en l'ayant employé aussi à cette occasion.

Ce dimanche 27 avril 2025, une manifestation a eu lieu place de la République à Paris avec tous les amis de Jean-Luc Mélenchon qui a même joué les pleureurs pour récupérer politiquement cet assassinat. Toute récupération dans tous les sens politiques possibles est absolument odieux. Une famille, des amis, une commune sont sous le choc de cette mort affreuse. Respectons-les !

Il y a des militants qui ne réagissent qu'en fonction du type de consonance, étrangère ou pas, des noms des victimes ou des assassins présumés, réagissant ou restant indifférents selon les cas, et puis, il y a les autres, ceux, que je veux croire majoritaires en France, pour qui l'horreur n'a pas besoin de nom, de circonstance pour être condamnée fermement et dans tous les cas. Au-delà de la récupération politique, il y a aussi une odieuse course à celui, le "camp", qui aurait le plus de victimes. C'est déplorable car tout acte de violence est à fermement condamner, et avant de faire de la politique, il faut se mettre à la place des victimes, de leurs proches. Tristesse et inquiétude d'un climat qui semble faire de la violence une sorte de langage de plus en plus utilisé.

 


C'est le sens notamment des propos du Président Emmanuel Macron au conseil des ministres du 28 avril 2025. Des présents ont dit qu'il a été très républicain. C'est dans ces moments difficiles de la nation qu'il faut défendre haut et fort les valeurs républicaines.

Même si c'est anodin par rapport à la réalité concrète d'un assassinat, il faut évoquer cette polémique politicienne engagée par les mouvements islamo-gauchistes qui veulent récupérer le vote des musulmans français en montrant qu'ils les défendent. Cette polémique vise à fustiger le Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau d'avoir tardé à condamner cet assassinat et d'avoir tardé à se rendre sur les lieux.

 


C'est vrai qu'il a pris deux jours pour aller sur les lieux, et qu'entre-temps, c'est ce que certains lui ont reproché, il a participé à deux meetings politiques dont un en Savoie (en présence de l'ancien Premier Ministre Michel Barnier), parce qu'il est en pleine campagne interne pour la présidence de son parti LR. Mais à sa décharge, il était très difficile, les journalistes en premier, de comprendre les circonstances exactes de cet assassinat et les motivations du tueurs. Toute déclaration ministérielle doit donc être très prudente.

Encore ce lundi soir, il y a un contraste entre les cris d'insulte et de haine entendus dans la vidéo qu'avait prise le tueur présumé avec son smartphone, et les propos très différents de son avocat italien qui a assuré que le prévenu n'avait aucune haine contre les musulmans et qu'Aboubakar Cissé se trouvait seulement au mauvais endroit au mauvais moment. Réagir quand aucune information n'est connue est politiquement très risqué, une surréaction parfois imprudente quand on connaît ensuite exactement la réalité des faits.


Mais sur le plan moral, Bruno Retailleau n'a pas pu être mis en défaut et c'est un mauvais procès d'imaginer que pour lui, il y a eu deux poids et deux mesures, selon justement qui est victime et qui est coupable. Ainsi, dès le vendredi 25 avril 2025 à 14 heures 48, Bruno Retailleau a communiqué sur Twitter son dégoût sans hésitation et sans ambiguïté : « Un homme a été atrocement assassiné ce matin dans la mosquée de Grand-Combe. L'enquête permettra, je l'espère, d'appréhender rapidement l'auteur et de faire la lumière sur cet événement épouvantable. Je veux dire mon soutien à la famille de la victime et ma solidarité à la communauté musulmane touchée par cette violence barbare, dans son lieu de culte, le jour de la grande prière. ».

Et je l'avais déjà signalé dans mon article sur le prochain congrès de LR, lors de son déplacement à Alès ce dimanche, Bruno Retailleau a été très clair sur les valeurs, comme il l'a toujours été : « Je suis Français, je suis très attaché à la République française. C'est la République qui nous unit tous. Nous sommes tous des enfants de la République. Être Français, être membre de la communauté nationale, ce n'est pas une question de couleur de peau, ce n'est pas une question de religion, ce n'est pas une question de conditions sociales. On est Français, un point, c'est tout. Et jamais je ne laisserai passer quoi que ce soit qui puisse trier précisément entre nos compatriotes. Je voudrais leur dire vraiment la plus totale solidarité de l'ensemble du gouvernement, du Premier Ministre, du Président de la République, de l'ensemble des ministres. Et nous nous tenons évidemment en cet instant, comme depuis vendredi, à leurs côtés. ».

La cohésion nationale est à notre époque très fragile pour différentes raisons. Le rôle du politique est de pondérer, temporiser, modérer, pas de renforcer les haines et les divisions. Bruno Retailleau a fait son job de ministre chargé des cultes. À l'opposition islamo-gauchiste de reprendre son esprit de responsabilité (Jean-Luc Mélenchon était un vrai partisan de la laïcité, opposé au voile, il y a une dizaine d'années), de prendre part aussi à la cohésion nationale. Et dans tous les cas, dans toutes les circonstances, pensez avant tout à la victime et à ses proches ! Respectons le deuil et l'émotion.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 avril 2025)
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Pour aller plus loin :
Pourquoi Aboubakar Cissé a-t-il été assassiné ?
Le mystère Émile sur le point d'être percé ?
Crash de l'A320 de Germanwings.
L'accident de Villa Castelli.
Morts mystérieuses à Santa Fe.
Repose en paix Louise, on ne t'oubliera pas !
Gisèle Pélicot, femme de l'année 2024 ?
5 ans de prison dont 2 ferme pour Pierre Palmade.
40 ans de confusions dans l'Affaire Grégory.
Philippine : émotion nationale, récupérations politiques, dysfonctionnements de l'État ?
Viols de Mazan : quelques réflexions sur Pélicot et compagnie...
Violence scolaire : quand une enseignante s'y met...
Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
La France criminelle ?
La nuit bleue de Lina.
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Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
Alisha, victime d’un engrenage infernal.
À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
Meurtre de Lola.
Nos enseignants sont des héros.
La sécurité des personnes face aux dangers.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250428-aboubakar-cisse.html

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24 avril 2025 4 24 /04 /avril /2025 04:00

« Il ne sait pas que je suis victime et il ne sait pas que je vais témoigner comme victime. Je suis restée trente ans dans le silence. En dehors de ça, pas une allusion, à personne. Mon père, j’ai peut-être voulu le protéger, inconsciemment, je pense, des coups politiques qu’il se prenait localement. » (Hélène Perlant, à propos de son père François Bayrou, le 22 avril 2025 dans "Paris Match").



 


On ne redira jamais assez à quel point il est difficile pour des victimes de sortir du silence et de témoigner publiquement. Ce n'est pas nouveau : combien de victimes de viol n'osaient pas déposer plainte il y a quelques décennies ? Victimes de viols, d'agressions sexuelles, de violences physiques ou/et morales... Beaucoup ressentent très injustement un sentiment de honte voire de culpabilité et ne parlent pas, ou, du moins, si elles parlent, c'est très tardivement. C'est le cas avec les victimes de nombreux prêtres (rapport Sauvé). C'est le cas avec les victimes de l'abbé Pierre. C'est aussi le cas avec les victimes de Notre-Dame de Bétharram et, plus généralement, d'institutions catholiques d'enseignement scolaire. Si les victimes parlent aujourd'hui, parfois après cinquante ans de silence, c'est parce qu'elles découvrent qu'elles ne sont pas les seules et qu'elles ont été les victimes de tout un système.

Pour Notre-Dame de Bétharram, près de Pau, il est question surtout de violences physiques (certaines sexuelles) et toujours d'humiliation. Il y avait des plaintes déposées en 2024, mais la folle course des médias ne s'était pas enclenchée. Il faut dire les choses comme elles sont. Le député FI Paul Vannier a ressorti cette affaire sans vraiment se préoccuper des victimes : son seul objectif, après le vote du budget de l'État, c'était de faire tomber le Premier Ministre François Bayrou. Les choses qu'il lui reproche, ce n'est pas d'avoir violenté des enfants, ce n'est pas d'avoir couvert, c'est juste d'avoir été au courant et de n'avoir rien fait. C'est stupide, et on en saura plus lors de l'audition du Premier Ministre devant la commission d'enquête parlementaire le 14 mai 2025, mais cela a eu un avantage, celui de mettre le scandale de Notre-Dame de Bétharram sous les projecteurs médiatiques.
 


Car c'est un véritable scandale, de nombreux enfants ont été violentés, sexuellement ou pas, humiliés, pendant des dizaines d'années dans un établissement scolaire catholique considéré comme strict, voire sévère. On en était resté à la punition de la règle contre les doigts infligée aux écoliers qui n'apprenaient pas leurs leçons, comme si frapper était pédagogique. C'était dans les années 1950, ou avant, et on se disait que les temps étaient révolus. Pourtant, dans cet établissement, on frappait les enfants encore dans les années 2000. Et puis, ce n'est pas pareil, ou ce n'est plus pareil. Avant, on ne constituait pas une commission d'enquête parlementaire pour une seule gifle contre un élève. Aujourd'hui, si, et avec raison. On ne doit pas frapper les enfants.
 


Très rapidement, François Bayrou a réagi comme devait réagir un homme politique expérimenté : il est allé rencontrer les victimes de Bétharram à Pau le 15 février 2025 et il en est ressorti bouleversé. Les victimes présentes ont pu l'attester : il avait l'air sincère, il découvrait l'étendue de l'horreur. Et bien sûr, il souhaitait que toute la lumière soit faite sur cet établissement... et sur d'autres, car il y a eu des faits de violence aussi dans d'autres établissements scolaires catholiques. Il a accepté le principe d'une commission d'enquête et celle-ci a rapidement commencé les auditions.

J'ai eu l'occasion d'écouter la première audition qui a eu lieu le 20 mars 2025 à l'Assemblée Nationale (on peut la revoir en bas de l'article). Ces parlementaires enquêteurs ont souhaité avec raison écouter d'abord les victimes (pas seulement de Bétharram) et seulement ensuite, les représentants des institutions (école, État, Église catholique, justice, forces de l'ordre, etc.).


C'était particulièrement émouvant et bouleversant. Les victimes racontaient avec leurs mots, parfois revivaient avec une extrême émotion ce qu'elles avaient subi ou vu, et aucune n'avait l'esprit tourné vers une quelconque récupération politique. Elles étaient souvent enfermées dans leur propre traumatisme parfois ancien. La plus émouvante fut sans doute Évelyne, témoin d'une chasse à l'écolier avec des chiens, et elle a raconté que l'un des fugueurs était mort, dévoré par un chien.

Le témoignage de Bernard fut aussi très poignant. Il insistait pour dire qu'il y avait de la violence (sexuelle ou pas) également dans des établissements non catholiques, par exemple, dans des établissements publics, il y avait commencé sa scolarité. De même, il a expliqué qu'il connaissait plusieurs victimes qui continuaient malgré tout à aller à la messe maintenant. Bref, ces paroles, ces témoignages n'ont généralement aucune vocation ni politique ni philosophique. Il ne s'agissait pas pour les victimes, de s'impliquer dans un combat politique particulièrement puant, ni non plus de s'opposer de front à l'Église catholique. Mais il faut bien aussi que les choses sortent pour faire le deuil, pour passer à autre chose.
 


Venons-en à Hélène Perlant. Cette élégante femme de 53 ans a une double particularité : d'une part, elle est la fille aînée du Premier Ministre, et d'autre part, elle a fréquenté le milieu de Notre-Dame de Bétharram dont elle a été élève. Son nom avait été cité par le député insoumis et par d'autres inquisiteurs politiques parce qu'Hélène aurait été la témoin de scènes de violence dans l'institution religieuse, et donc, son père ne pourrait être qu'au courant, selon la logique foireuse de ses accusateurs.

J'ai encore du mal à comprendre quel est l'intérêt de savoir si François Bayrou savait ou pas, puisque la justice avait été saisie et avait suivi son cours, à part tenter maladroitement un faux scandale politique. Évoquons ici un fait clair : les victimes de Bétharram sont très agacées par cette récupération politicienne car elles ont l'impression qu'on leur vole leurs paroles, leurs témoignages. Elles sentent que ces récupérateurs politiciens se moquent totalement des victimes et veulent juste faire un coup politique.
 


Lorsqu'on a évoqué Hélène, François Bayrou a réagi comme un père de famille, en repoussant toute instrumentalisation de ses enfants dans ce scandale, lâchant le 21 février 2025 dans "Sud-Ouest" : « Celui qui me fera mêler mes enfants à tout ça n'est pas né. ». Il n'aurait bien sûr pas fait cette déclaration s'il avait su... Car le témoignage d'Hélène Perlant est capital pour comprendre la sincérité de son père : a-t-elle raconté ce qu'elle a vu des violences dont elle était la témoin ou pas ? Selon le père, non.

Alors qu'un livre qui recueille les témoignages de victimes de Bétharram était en train d'être rédigé sous la houlette d'un journaliste de "Paris Match", Hélène Perlant a effectivement pris elle-même l'initiative de contacter, le 21 février 2025, Alain Esquerre, le fondateur du collectif de victimes et ancien pensionnaire de Bétharram, pour apporter son propre témoignage dans le livre, et elle a informé son père de sa démarche, sans en raconter le contenu. François Bayrou lui a juste répondu qu'il espérait qu'elle ne le mettrait pas en difficulté politique. C'était "Le Canard enchaîné" qui avait informé François Bayrou de la participation de sa fille au livre collectif, et ce dernier l'a dpnc appelée en lui demandant : « Tu me dénonces ? », puis, en concluant : « Je te fais confiance. Partout où tu iras, j'irai ! ». À ce moment-là, le Premier Ministre n'était pas au courant qu'elle allait témoigner elle-même publiquement comme victime.

Et puis, ce mardi 22 avril 2025 vers midi, la fille a téléphoné à son père, lui a expliqué qu'une interview d'elle, accordée à Arnaud Bizot, serait publiée dans "Paris Match" dans la soirée, à 18 heures 27, peu avant la publication du livre "Le silence de Bétharram" le jeudi 24 avril 2025 (éd. Michel Lafon), et elle lui a raconté ce qu'elle avait déclaré au journaliste, à savoir son propre cauchemar. Ce fut un choc pour le Premier Ministre, mais d'abord, pour le père.
 


Hélène Perlant a ainsi raconté qu'elle avait elle-même été la victime de graves violences physiques lors d'un camp de vacances organisé par Notre-Dame de Bétharram lorsqu'elle avait 14 ans. Elle a été rouée de coups, par le prêtre qui s'était vengé d'elle après un acte antérieur supposé insolent. Elle en a uriné sur elle et elle était restée dans sa saleté pendant toute la nuit. Elle avait tellement honte qu'elle n'en a parlé à personne, ni à ses amies, ni à sa famille. Surtout pas à son père qui, à l'époque, était jeune député des Pyrénées-Atlantique (il venait tout juste d'être élu pour la première fois à l'Assemblée en mars, à l'âge de 34 ans) et simple conseiller général de son département (il allait présider le conseil général six ans plus tard), et elle ne voulait pas compromettre sa carrière politique. Les ressorts du silence : la honte, la culpabilité et le déni.

Ainsi, Hélène Perlant a raconté dans "Paris Match" l'histoire de la violente gifle dont elle était témoin ainsi que la personne, assise à l'époque à côté d'elle, et qui, aujourd'hui, accuse François Bayrou de non-dénonciation de crime et de délit : « [Cette personne] a vu mon regard sidéré et il a pensé en toute bonne foi que j’allais forcément raconter la scène à mon père. Jamais ! En fait, ce moment-là m’a fait revivre avec effroi mon propre passage à tabac, quatre ans auparavant. L’agression à l’étude, la mienne et tant d’autres ont été vues par nous tous et pourtant personne n’a parlé. Ni les témoins ni les victimes. La vraie question est celle du déni individuel et collectif. Pas du mensonge. Vous imaginez : 80-100 gamins dans une salle, et aucun ne parle ? Lorsque j’ai téléphoné à Alain Esquerre, il a tout de suite compris dans quoi je m’engageais. On ne témoigne pas pour exposer nos stigmates mais pour expliquer le système Bétharram, maintenant que nous, entre anciens élèves, on commence à le comprendre et à se soutenir les uns les autres. On montre comment ces déchaînements de violence publics sont la condition paradoxale pour que personne ne parle jamais. ».

Le contexte de son passage à tabac, c'était l'année précédente, où Hélène avait perturbée la préparation de la profession de foi supervisée par une religieuse qui s'affichait ostensiblement à son futur tortionnaire, un prêtre qui est mort en 2000 : « Ces deux-là m’avaient à l’œil ! Elle avait quelque chose de sadique, de très malveillant, une vraie méchante, qui a voulu se venger. Lui m’avait déjà lancé : “Toi, la fille Bayrou, insolente comme ton père !”. Dans cette colo, on était une quarantaine, moniteurs inclus. Un soir, alors qu’on déballe nos sacs de couchage, [le prêtre] me saisit tout d’un coup par les cheveux, il me traîne au sol sur plusieurs mètres et me roue de coups de poing, de coups de pied sur tout le corps, surtout dans le ventre. Il pesait environ 120 kilos. Pour parler crûment, je me suis urinée dessus et suis restée toute la nuit, comme ça, humide et prostrée dans mon duvet. Alain le raconte dans son livre avec des mots qui me préservent. ».

Et de dénoncer tout un système : « Bétharram était organisé comme une secte ou un régime totalitaire exerçant une pression psychologique sur les élèves et les enseignants pour qu’ils se taisent. ». Quant à ce que savait ou pas son père : « Évidemment, on peut penser qu’il a eu toutes les infos. Mais lui, comme les autres parents, était très, très intriqué politiquement, localement. Lui, davantage, mais je le mets au même niveau que tous les parents. Plus on est intriqué, moins on voit, moins on comprend. Et plus il y a de témoins, moins ça parle. ».

La réaction de François Bayrou dans l'après-midi du 23 avril 2025, lors d'un déplacement à la prison de Saint-Quentin-Fallavier, en Isère, a été la suivante : « En tant que père de famille, ça me poignarde le cœur. En tant que responsable public qui dépasse le père de famille, c'est aux victimes que je pense. Une partie de leur vie a été gâchée si profondément que je ne veux pas les abandonner. ». En tout cas, sa sincérité a été confirmée par sa fille. L'omerta a été généralisée, tant du côté des victimes qui se sont tues que du côté des parents des victimes qui n'ont rien vu, qui n'ont pas imaginé. François Bayrou avait eu connaissance par sa fille qu'une gifle avait été donnée en classe, mais pouvait la prendre comme une sanction méritée, à l'instar des coups de règle sur les doigts, bien qu'anachroniques et inutilement sadiques.
 


Encore une fois, le Premier Ministre a eu la bonne réaction : il ne veut pas défocaliser le scandale. L'écho médiatique ne doit pas se faire autour de lui-même, sa défense, sa sincérité, son émotion de père de famille qui n'avait rien vu et ses regrets qu'il aurait pu agir autrement, faire sortir sa fille de cet enfer, éviter d'autres victimes, trop occupé à faire de la politique dans une difficile stratégie de conquête, dans une terre politique qui lui était très hostile (le ministre socialiste André Labarrère était le maire indéboulonnable de Pau de 1971 à sa mort en 2006). Il a refocalisé sur la seule chose qui vaille, l'attention, l'écoute des victimes, des seules victimes. D'autant plus que certaines victimes qui ont participé à la rédaction du livre de témoignages qui sort ce jeudi étaient agacées par la publication, auparavant, de cette interview de la fille de François Bayrou, ce qui a nécessairement entraîné le sujet dans un combat politique qui ne devrait pas avoir lieu (tout le monde est scandalisé et veut que les violences s'arrêtent). Apparemment, Hélène Perlant elle-même ne savait pas que l'interview allait paraître avant le livre, même si cela était prévisible.

Les opposants politiques de mauvaise foi qui n'ont pas trouvé d'autre moyen de faire chuter un Premier Ministre que de l'impliquer faussement dans un scandale énorme (en l'occurrence, il est réellement impliqué, mais comme père d'une victime), attendent évidemment avec impatience son audition du 14 mai 2025 qui ne devrait pourtant révéler rien de particulier sinon son aveuglément et son impuissance de père de famille qui n'a pas su protéger sa fille aînée. Se refocaliser, c'est avant tout écouter les victimes. Deux cents anciens élèves ont dénoncé depuis lors des agressions physiques et sexuelles. Je vous recommande très vivement d'écouter certaines victimes lors de leur audition du 20 mars 2025 à l'Assemblée Nationale. Leur témoignage fait froid dans le dos.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 avril 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bétharram : François Bayrou bouleversé par le témoignage de sa fille.
Abbé Pierre : le Vatican savait dès 1955 !
Bétharram : François Bayrou contre-attaque !
Bétharram : François Bayrou coupable... de quoi, au fait ?
Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
La vérité nous rendra libres.
Abus sexuels : l’Église reconnaît sa responsabilité institutionnelle.
Legs et indécence.
Secret de la confession et lois de la République.
Abus sexuels dans l’Église : honte, effroi et pardon !
Rapport de Jean-Marc Sauvé remis le 5 octobre 2021 sur la pédocriminalité dans l’Église (à télécharger).
Présentation du rapport Sauvé le 5 octobre 2021 (vidéo).
Discours du pape François le 24 février 2019 au Vatican (texte intégral).
La protection des mineurs dans l’Église.
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
La faute de Mgr Jacques Gaillot.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Mgr Barbarin : le vent du boulet.
Pédophilie dans l’Église catholique : la décision lourde de Lourdes.
Mgr Barbarin : une condamnation qui remet les pendules à l’heure.
Pédophilie dans l’Église : le pape François pour la tolérance zéro.
Le pape François demande pardon pour les abus sexuels dans l’Église.
Le pape François en lutte contre la culture de l’étiquette et de la médisance.

 

 

 

 

 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250422-betharram.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/betharram-francois-bayrou-260628

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2025/04/23/article-sr-20250422-betharram.html


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