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11 avril 2024 4 11 /04 /avril /2024 03:42

« Si l’ensemble de ces évolutions [depuis 2002] a d’ores et déjà considérablement modifié l’approche de la fin de la vie, elles ne répondent pas à toutes les situations (…). Ces constats ainsi que les revendications sociétales (…) appellent une réponse qui implique de concilier, d’une part, notre devoir de solidarité envers les personnes les plus fragiles parce que gravement malades, en prenant des mesures fortes en faveur des soins palliatifs et d’accompagnement, et, d’autre part, le respect de l’autonomie de la personne, en ouvrant la possibilité d’accéder à une aide à mourir, afin de traiter les situations de souffrance intenable que rencontrent certaines personnes dont le pronostic vital est engagé de manière irrémédiable en raison d’une maladie grave et incurable. » (Compte rendu du conseil des ministres du 10 avril 2024).




 


Ça y est, comme c'était planifié, le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie a été présenté et adopté au conseil des ministres de ce mercredi 10 avril 2024, après avis du Conseil d'État, et transmis au bureau de la Présidence de l'Assemblée Nationale. La communication gouvernementale insiste beaucoup sur l'appellation : selon le gouvernement, ce projet de loi ne légaliserait pas l'euthanasie mais seulement "l'aide à mourir". On en est toujours avec des euphémismes, comme pour le mariage pour tous, à cela près que le mariage pour tous ne remettait pas fondamentalement toutes nos valeurs en cause. Et puisque nous n'en sommes pas à un paradoxe près, c'est, comme prévu, la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, qui sera chargée de le porter, notamment de le défendre devant le Parlement et dans les médias.

Catherine Vautrin est d'abord une responsable politique, à l'origine, du RPR, puis de l'UMP, puis LR jusqu'en 2019. Secrétaire d'État chargée de l'Intégration et de l'Égalité des chances, puis (à partir du 28 octobre 2004), chargée des Personnes âgées du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin du 31 mars 2004 au 31 mai 2005, puis Ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité du gouvernement de Dominique de Villepin du 2 juin 2005 au 15 mai 2007, elle est une femme politique chevronnée, élue locale à Reims depuis 1983, députée de la Marne de 2002 à 2017 (sauf période gouvernementale), et à sa nomination le 11 janvier 2024 au gouvernement de Gabriel Attal, elle était présidente du Grand Reims depuis 2014. Elle était par ailleurs la présidente de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine depuis septembre 2022.

À 63 ans, elle est perçue comme une femme de terrain, déterminée, et aussi comme une femme bien à droite. Elle avait obtenu son premier mandat parlementaire en 2002 comme candidate dissidente contre le candidat officiel de l'UMP (par ailleurs président de la confédération des syndicats médicaux français), investi à Paris, mais elle avait reçu le soutien des élus UMP de la Marne. Parmi ses positions depuis 2002, elle a montré un conservatisme sociétal très marqué.

C'est d'ailleurs à cause de cela qu'elle a raté d'être nommée Première Ministre par Emmanuel Macron en mai 2022. Il fallait une femme, et le Président réélu avait pensé à elle comme nouveau débauchage chez LR, mais une fronde s'est soulevée parmi les élus macronistes de gauche pour souligner qu'elle s'était opposée au mariage pour tous et avait même manifesté aux côtés de Christine Boutin en 2013. C'est probablement cette position conservatrice qui l'a fait battre sur sa circonscription en 2017 par une candidates LREM (amis cette dernière fut battue en 2022 par une candidate du RN). Après y avoir renoncé (au bénéfice d'Élisabeth Borne, plus progressiste et connaissant mieux les rouages de l'État), Emmanuel Macron aurait cependant regretté de ne pas l'avoir nommée à Matignon.

Avec la nouvelle année, il s'est donc rattrapé en la nommant à un super-ministère à la fois du Travail, de l'Emploi, de la Santé et de la Cohésion sociale, avec des réformes nombreuses (assurance-chômage, fin de vie, loi sur le grand âge, réforme de l'hôpital, etc.), en remplaçant, elle seule, trois ministres du précédent gouvernement (Olivier Dussopt, Aurore Bergé et Agnès Firmin-Le Bodo. Jean-Louis Borloo l'a même félicitée pour sa nomination.

Lors de l'examen de la future loi Leonetti, le 26 novembre 2004, en tant que Secrétaire d'État aux Personnes âgées, Catherine Vautrin avait clairement donné sa position sur l'euthanasie active, considérée comme "inacceptable" : « Sur la question des soins palliatifs, étroitement liée à cette préoccupation humaine de soulagement des souffrances, je dirais que leur importance en gériatrie n'est plus à démontrer. En même temps, ces soins ont leur spécificité, en raison à la fois de la diversité des pathologies cumulées, du degré d'autonomie physique et psychique, et de la nature de l'environnement socio-familial. Je sais combien les professionnels du secteur gériatrique, les usagers et les familles sont sensibles à cette problématique. Le texte de loi leur apporte des éléments de réponse, dans le sens du "bien mourir" et d'une plus grande qualité de vie possible jusqu'à la mort, que ne permettent ni l'obstination thérapeutique déraisonnable ni les démarches, inacceptables, d'euthanasie active. ».

Le fait de Catherine Vautrin soit aujourd'hui la "porteuse" de la loi sur l'euthanasie est donc assez étonnant, et même troublant, mais je n'oserais pas imaginer qu'elle ait troqué ses valeurs pour un (gros) maroquin ministériel. Je propose de donner quelques éléments factuels de présentation, puis d'en faire quelques commentaires personnels.

Les faits, c'est ce que le projet de loi propose : une "aide à mourir" (on ne parle pas d'euthanasie, mais, je le répète, c'est le mot qu'il faudrait, et même, deux démarches considérées comme identiques, euthanasie active et suicide assisté) est proposée aux personnes en fin de vie dans des conditions très précises.

Pour rendre possible cette aide à mourir, il faut que le patient réponde à cinq conditions. Deux conditions "administratives" (qui peuvent avoir leur importance) : il faut qu'il soit majeur (avoir au moins 18 ans), et qu'il soit de nationalité française ou résident français depuis un certain temps. La troisième condition est qu'il faut qu'il ait tout son discernement et puisse être capable d'exprimer clairement sa volonté, de manière éclairée, sans qu'elle ne soit altérée (en particulier, qu'elle soit reconfirmée plusieurs fois). La quatrième condition est que le patient doit être atteint d'une maladie grave et incurable. Grave, c'est-à-dire dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme (court terme : quelques jours ou quelques semaines ; moyen terme : six à douze mois). Cela signifie que les pathologies ordinaires concernant la vieillesse ne sont pas concernées par ce dispositif (par exemple, rhumatisme, arthrose, etc.). Enfin, la cinquième condition est que la maladie dont souffre le patient doit produire des douleurs impossibles ou difficiles à soulager (en d'autres termes, « souffrir de douleurs insupportables et réfractaires aux traitements »).

Lors du compte rendu du conseil des ministres, Catherine Vautrin est revenue sur le discernement : « Alors aujourd'hui, le texte tel qu'il est écrit (…) exclut (…) les maladies psychiatriques. Très concrètement, c'est dans les exclusions du texte. Et vraiment l'un des piliers du texte, c'est la capacité de discernement. Et cette capacité de discernement, elle est évaluée lors de l'examen par le médecin qui décide de l'éligibilité. ».

Dans le cas où le patient exprime une telle volonté auprès d'un médecin, qui ne devra avoir aucun lien familial ou personnel avec lui, une expertise est réalisée (par ce médecin, pas de procédure collégiale) pour confirmer les conditions requises, et le cas échéant, après un délai de réflexion, le médecin fournit au patient le produit létal à avaler ou injecter, soit par une action du patient (suicide assisté), soit par une action d'un tiers, proche ou médecin (euthanasie active), avec, dans tous les cas, l'accompagnement d'un médecin (pour réagir, par exemple, en cas de "fausse route"). Par ailleurs, les médecins bénéficient de la clause de conscience qui leur permet de refuser de fournir le produit létal ou de pratiquer l'euthanasie.

Catherine Vautrin insiste beaucoup sur le fait que les conditions sont très strictes : que seule la volonté du patient est prise en compte, et en cas de refus de l'expert, seul le patient peut faire appel, sans que la volonté de la famille puisse jouer (c'est important puisque la dérive est possible pour hériter plus tôt, même si, généralement, la famille semble la plus apte à déterminer la volonté réelle du patient). C'est d'ailleurs sans doute une lacune : le texte semble faire fi de la personne de confiance désignée par le patient.

Autre chose, Catherine Vautrin insiste aussi beaucoup sur le fait que le dispositif n'est pas réservé aux personnes âgées mais à toute personne en fin de vie. En outre, en cas de demande et d'accord de l'aide à mourir, une proposition de soins palliatifs est d'abord faite et c'est d'ailleurs un droit du patient demandeur. Le projet de loi a aussi tout un volet sur les soins palliatifs, en particulier par la création de "maisons d'accompagnement" pour les personnes en fin de vie qui ne pourraient plus vivre seule chez elles.

Je conçois bien que pour Catherine Vautrin, ces conditions très strictes limitent les risques d'abus et permet de donner une porte de sortie à ceux qui, dans leur agonie, ne supportent plus de vivre avec de telles souffrances. Il faudra déjà que ce soit dans cet esprit que le projet de loi soit voté, car je ne doute pas qu'il y aura beaucoup d'amendements pour élargir le champ des possibles de cette aide à mourir, et si la ministre affirme qu'il faut légiférer en la matière « d'une main tremblante », c'est bien parce qu'elle craint les jusqu'au-boutistes de l'euthanasie.

 


Après un passage en commission des affaires sociales, le projet de loi devrait être débattu à partir de la fin du mois de mai (la date du 27 mai 2024 comme début de l'examen en séance publique avait été avancée il y a un mois).

Mes commentaires, maintenant. Je le répète : je suis un soutien ferme de l'action du Président Emmanuel Macron dans ces temps troublés (heureusement qu'il est là pour la France, je l'écris très clairement), mais ("en même temps"), je suis un opposant farouche de l'euthanasie, et par conséquent, on ne s'étonnera pas que je sois absolument opposé à ce projet de loi (et je n'ose même pas imaginer le texte final après la surenchère des parlementaires).

Catherine Vautrin parle, à propos de son projet, d'un texte raisonnable et surtout équilibré. Mais non ! Le texte équilibré, c'était la loi Leonetti promulguée le 22 avril 2005, complétée par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016. Ces deux lois avaient réussi justement à atteindre cet équilibre entre le refus d'une obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique) et l'euthanasie, avec la possibilité d'une sédation profonde et continue (qui est sans douleur pour le patient, rappelons-le ; dans ce cas, c'est surtout ceux qui l'accompagnent qui souffrent psychologiquement, pas lui). L'avantage était majeur, celui de ne pas franchir la barrière de l'interdiction de tuer et de rester compatible avec la mission du médecin, celle de soigner et pas de tuer. Du reste, environ 5% des médecins seraient prêts à démissionner de leur poste hospitalier si le projet de loi était adopté.

C'est évident que, même si le texte n'était pas amendé, même s'il restait en l'état, ce qui serait la situation la "moins pire", le paradigme juridique et moral exploserait, il serait complètement transformé avec l'autorisation soit de tuer, soit d'aider à mourir (je le répète, le suicide assisté ou l'euthanasie active sont une même et seule démarche puisque, dans les deux cas, cela fait appel à un tiers public, l'État, pour achever une vie). Cela deviendrait un "cheval de Troie" (expression de Catherine Vautrin elle-même lors du débat sur le mariage pour tous qui favoriserait ensuite la PMA pour toutes les femmes, et il faut dire que, là, elle n'avait pas eu tort), et nul doute que le dispositif d'aide à mourir serait alors, par la suite, amené à "évoluer" vers une euthanasie beaucoup plus "permissive" avec des conditions beaucoup moins strictes (comme le réclament les lobbyistes de l'euthanasie).

Je rappelle aussi l'agenda navrant de ce projet de loi : nous sommes dans une situation où la cohésion nationale est très fragile, avec des tensions très fortes au niveau européen voire mondiale, avec la guerre en Ukraine, la guerre à Gaza, des risques de déflagration de toute part (Taïwan, etc.). Également dans un contexte financier difficile (déficit public élevé et demande de 10 voire 15 milliards d'euros d'économies). C'est un contexte financier très délicat, car tout projet de loi sur l'aide à mourir aura évidemment pour effet de réduire les dépenses de santé (toute personne malade qui meurt plus tôt est moins coûteuse pour la collectivité, alors que les soins palliatifs sont au contraire une charge supplémentaire de l'État, pas encore assez élevée aujourd'hui).

Aujourd'hui, Catherine Vautrin explique qu'elle propose son projet de loi à budget constant, sans baisse donc. Mais demain ? L'État, à terme, aura intérêt financièrement à favoriser l'euthanasie (personne ne l'avouera clairement), et cela enclenchera naturellement un mouvement de type eugéniste et utilitariste : qui garde-t-on ? les utiles ? Mais ce n'est pas le discours de la ministre qui, pour prouver sa bonne foi (que je ne mets pas en doute), rappelle que son projet comporte aussi un grand volet sur les soins palliatifs.

C'est ce qui me gêne : il aurait sans doute fallu faire deux lois et séparer les deux sujets. Une sur la fin de vie, qui peut prêter à des débats nombreux. Et une autre, d'urgence, sur les soins palliatifs, qui ne peut être que consensuelle, forcément. Catherine Vautrin a annoncé que le gouvernement venait d'injecter 1,1 milliard d'euros supplémentaires pour les soins palliatifs sur la période de 2024 à 2034 (soit 100 millions d'euros par an), ce qui fera que le budget consacré aux soins palliatifs passera en dix ans de 1,6 à 2,7 milliards d'euros par an. C'est beaucoup, mais la demande est importante.

Les soins palliatifs doivent être un droit à chaque Français, alors que vingt départements n'ont encore aucune structure de soins palliatifs à proposer à leurs patients. C'est donc surtout une urgence budgétaire, au-delà des mesures concernant la formation générale des médecins, la création d'une spécialité en médecine palliative, la création d'unités mobiles de soins palliatifs pour permettre, quand c'est possible, de rester au domicile, etc. La demande (à froid, par les biens-portants) d'euthanasie ne serait pas aussi forte si tout le monde avait réellement accès aux soins palliatifs.

Enfin, en pleine campagne électorale, ce débat parlementaire paraît mal placé. Certes, il ne faut pas arrêter de gouverner sous prétexte de situation internationale tendue, de compagne électorale, etc., mais il ne faut pas que l'aide à mourir soit la compensation électoraliste (car très populaire dans les enquêtes d'opinion) à d'autres mesures beaucoup moins populaires qui pourraient survenir (comme une quatrième réforme de l'assurance-chômage, etc.).

La fin de vie est un sujet qui parle de vie, qui parle de mort, qui touche à l'intime, aux consciences, aux individus, et, par conséquent, ne doit être instrumentalisée par personne sur le plan politique. Un texte sur ce sujet doit être un véritable équilibre, c'est-à-dire, que tous les Français, à part quelques excités, puissent s'y reconnaître car cela les touchent au plus profond. Le risque d'une opposition frontale par les forces les plus réactionnaires et les plus extrémistes n'est pas à exclure, et ce sera la sérénité des débats qui en serait la victime.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240410-vautrin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2024-2-le-projet-254100

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/10/article-sr-20240410-vautrin.html










 

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7 avril 2024 7 07 /04 /avril /2024 15:49

(verbatim et vidéo)



Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240407-macron-glieres.html








DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EMMANUEL MACRON
EN HOMMAGE AUX COMBATTANTS DU MAQUIS DES GLIÈRES,
LE DIMANCHE 7 AVRIL 2024
 

7 avril 2024
Hommage aux combattants du maquis des Glières et cérémonie en mémoire des enfants d'Izieu.




Madame la Présidente de l’Assemblée nationale,
Madame et messieurs les Ministres,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et messieurs les Parlementaires,
Monsieur le président du conseil départemental,
Mesdames et messieurs les Maires,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le président de l’association des Glières,
Mesdames et messieurs les présidents des associations patriotiques, Messieurs les représentants des cultes,
Mesdames et messieurs les Porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs,
Chers enfants,

Au printemps 1944, voilà huit décennies, le nom de Glières fit éclater le silence. Quand le lieutenant Tom Morel, deux mois plus tôt, était monté sur le plateau, pieds glacés de neige, avec les 120 premiers maquisards, pour la plupart des jeunes réfractaires du STO, il avait fait de cette enclave de glaces un foyer ardent de la Résistance. À 1400 mètres d’altitude, au-dessus d’elle-même, la France s’élevait. Elle vivait, telle qu’elle n’aurait dû jamais cesser de vivre, telle qu’elle ne devrait jamais cesser d’exister , telle que ses trois couleurs la rappelaient à elle-même, hissées dans le bleu de l’aube, chaque jour, alors que cela était interdit partout ailleurs.

9000 hectares de France libre, au creux des cimes, choisie par le général de Gaulle comme terrain de parachutage pour équiper la Haute-Savoie en armes, en vivres, en faux papiers. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un point logistique devint, par la valeur des hommes qui le tenaient, un centre névralgique de la Résistance.

Une armée disciplinée, entraînée, rigoureuse, forgée par ces anciens du 27e bataillon de chasseurs alpins, qui se regroupèrent au pied de la croix de Lorraine, et ces jeunes qui n’avaient jamais fait leur service et devinrent à leur suite des soldats de la liberté, et ces montagnards qui maniaient naguère la faux et prirent le fusil, et ces FTP communistes qui avaient décidé de défendre la patrie des droits de l’homme alors en danger, et ces maquisards espagnols venus des Pyrénées, qui rejoignirent dans les Alpes l’armée des neiges. Ouvriers, professeurs, paysans, notables, juifs comme catholiques, communistes, socialistes ou gaullistes, anarchistes et officiers, français et étrangers, unis dans le même combat face au nazisme, combat pour la liberté, combat universel qui est devenu celui de la France. Voilà l’esprit des Glières, celui qui nous rassemble aujourd’hui comme il nous rassemblait il y a 5 ans, au même endroit, et comme il vous rassemble chaque année ici. Nous qui n’oublions pas et serrons au creux de notre main, cet idéal.

Je retrouve vos visages, vos voix, à vous tous, vestales et porteurs de ce souvenir vivace ; vous qui entretenez comme un feu sacré le récit des hauts-faits dont ce plateau fut le théâtre. Malgré tout, ces cinq années passées ont marqué nos traits et frappé nos rangs.

Le dernier résistant du maquis des Glières, Jean-Isaac Tresca, n’est plus des nôtres. À 104 ans, fermant ses paupières derrières lesquelles il revoyait toujours les combats du 26 mars 1944, il a rejoint ses camarades.

Valette d’Ossia, le chef de l’Armée secrète, qui sauta, menotté, d’un train en marche pour échapper aux griffes allemandes. Théodose, dit Tom Morel, l’âme des Glières, qui fit de ces 500 hommes des combattants, et des ces combattants des frères. Maurice Anjot, dit Bayart, qui accepta une mission qu’il savait désespérée, un contre cinq, parce qu’il se battait non pour le succès d’une bataille mais pour l’honneur d’un pays. Et Bernard, le garde mobile qui avait déserté son unité vichyste pour la Résistance ; et Launnoy, l’étudiant de 19 ans qui ne finit jamais ses études ; et Francis Favre, le cultivateur mort en héros ; et Chocolat, l’électricien qui, avant de mourir sous les balles allemandes, eut l’énergie désespérée de saboter son arme ; et Gilbert Lacombe, le cheminot ; et Charles Palant, le militant anarchiste ; et François de Menthon, le démocrate-chrétien qui devint ministre à la Libération ; et les Espagnols, Marin Manuel, Ponzan Vidal, qui attaquaient les Allemands et les Italiens mais qui refusèrent toujours, hors légitime défense, de tirer sur les Français de Vichy, par respect symbolique pour l’hospitalité de la France.

Oui, le dernier d’entre eux s’en est allé et c’est à nous désormais de raconter qui ils étaient, de rappeler qu’ils refusèrent la fatalité, à l’heure où d’autres ployaient l’échine, où Pétain signait l’armistice, où Darnand et Henriot instauraient l’État milicien, et où des Français collaboraient avec l’occupant.

Et c’est bien là notre tragédie française : qu’il n’y ait pas eu d’un côté les Français, de l’autre des Nazis. Quand le lieutenant Tom Morel perdit la vie à Entremont, le 9 mars 1944, ce fut une balle française qui l’abattit, tirée par le commandant d’un Groupe mobile de réserve vichyste. Quand, le 26 mars 1944, le général nazi Karl Pflaum lança ses 2800 hommes à l’assaut du plateau des Glières, il comptait parmi eux, aux côtés des chasseurs de montagne de la Wehrmacht et des grenadiers allemands, des miliciens français et des groupes mobiles de réserve du régime de Vichy.

Des Français emprisonnèrent des Français. Des Français assassinèrent des Français, dans la folie d’un pays qui ne formait plus Nation, et depuis trop d’années ne s’aimait plus lui-même. Les divisions et les trahisons de ces années 40 procédaient de cet esprit de défiance et de défaite qui venait de loin. Les 129 martyrs des Glières ont contribué à sauver l’honneur de la France, signifiant cette fraternité universelle jaillie, au milieu de la division nationale, de cet étendard tricolore plus déchirant encore, parce que déchiré.

Le 23 mars 1944, trois jours avant l’assaut final, alors que l’étau se resserrait sur les hommes des Glières, ils reçurent un ultimatum. Le chef de la Milice offrait un sauf-conduit aux membres de l’Armée secrète, en échange de la livraison des communistes et des apatrides. Son message n’obtint, pour toute réponse, qu’un « non » parce qu’il n’y avait plus alors précisément aux Glières aucune division ; il n’y avait que des enfants d’un même peuple de l’ombre. Leur nom à tous était la France, leur cause à tous était la liberté, leur grandeur partagée était les Glières.

Non, personne, ou presque, ne connaissait ce nom de Glières, avant qu’il ne devienne l’alias de la France au combat. Personne, ou presque, ne connaissait le visage de ses héros, avant qu’ils ne deviennent icônes d’un peuple qui les dépassait. Et bien peu, trop peu, se souvenaient avant eux de cette devise que clamaient les gardes nationaux et les députés de l’an I, ces quatre mots que le burin du sculpteur avait gravés au cœur du Panthéon, et qui, de bouche en bouche, de génération en génération, de l’abolition des privilèges à la lutte contre l’esclavage, s’étaient transmis aux régiments savoyards de la guerre de 70 : « Vivre libre ou mourir ». Cri de ralliement, depuis l’aube de la République, de tous ceux qui craignent la servitude plus que le sacrifice. Vivre libre, ou mourir.

Ils sont morts, en effet, ceux des Glières, tombés une nuit de mars 1944 dans la neige en deuil. Mort aussi, Tom Morel, reposant au creux de nos mémoires, comme dans la chapelle ardente tendue de parachute tricolore que lui ont bâtie ses camarades, au son du glas affolé des églises qui monte de la vallée.

Mais la mort n’a pas vaincu la liberté.  Elle l’a élevée à la hauteur de la France ; à la dimension de la postérité ; à la grandeur de l’éternité. Par eux, par leurs volontés unies, dépassant leurs différences, le nom de Glières est désormais celui de l’universel, et de l’immuable. Leur sacrifice a percé le silence, et ouvert une brèche.

« Vivre libre ou mourir. » Voilà les quatre mots que répétait sans cesse Tom Morel, debout devant ses murailles de montagnes et de sapins, face aux visages sans âge et sans ombre de ceux qui l’avaient rejoint, de tous les horizons, pour devenir avec lui des frères, fils de la même liberté. « Vivre libre ou mourir. » Mots toujours portés par le 27e BCA et ceux qui le conduisent, en fidélité, à tous égards. « Vivre libre ou mourir. » Tel est notre viatique, pour hier, aujourd’hui et demain.

Pour que vive la République et que vive la France.

Emmanuel Macron, le 7 avril 2024 au Plateau des Glières.


Source : www.elysee.fr

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20240407-macron.html


 

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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 04:06

« Accompagner la fin de vie. Je m'y suis engagé : nous allons présenter une loi de fraternité qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la Nation. » (Emmanuel Macron, le 11 mars 2024 sur Twitter).




 


La vie politique n'est pas un simple jeu manichéen, où on est pour ou on est contre quelqu'un. C'est un exercice avant tout de convictions et parfois, elles peuvent s'entre-choquer. C'est le cas d'un sujet comme l'euthanasie, qui est un sujet très important, grave et sensible. Soyons donc clairs ici, ce n'est pas nouveau mais je le rappelle : je soutiens le Président de la République Emmanuel Macron pour de nombreuses raisons, sa volonté de redonner à la France et à l'Europe leur souveraineté tant économique que géopolitique, mais (ce "mais" est le contraire du "en même temps") je m'oppose fermement à son projet sur l'euthanasie.

Comme je n'ai jamais caché mes convictions ici, allons-y donc sur le sujet où il y a beaucoup à redire.

D'abord, les faits : Emmanuel Macron s'est exprimé ce dimanche 10 mars 2024 dans la soirée dans le journal "La Croix" (semble-t-il également dans "Libération") au sujet de ce qu'il appelle "l'aide à mourir" et qui n'est pas autre chose que l'euthanasie (appelons un chat un chat). Un tweet de l'Élysée permet d'avoir un peu plus de détails sur son projet de loi. Gabriel Attal a également annoncé que le projet de loi serait examiné en séance publique de l'Assemblée Nationale dès le 27 mai 2024. C'est délirant.

Pourquoi ? Parce que le 9 juin 2024, il y a des élections européennes et cela n'a échappé à personne qu'elles sont très importantes, tant sur le plan intérieur que sur le plan européen, d'autant plus que le contexte alarmant de la guerre en Ukraine n'encourage pas l'optimisme et la quiétude. Polluer la campagne de ces trois prochains mois sur un sujet aussi grave que l'euthanasie ne me paraît pas du tout pertinent alors que c'est un sujet qui mériterait avant tout de la sagesse et de la responsabilité, et surtout de la sérénité.

Deux jours après la promulgation de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, Emmanuel Macron voudrait-il capitaliser sur les sujets sociétaux a priori populaires avec quelques arrière-pensées électoralistes ? Je n'oserais bien sûr le penser mais on voit déjà depuis ce dimanche soir un clivage se faire entre antimacronistes de droite musclée et macronistes sociétaux-béats qui ne me paraît pas des plus intelligents pour aborder ce type de sujet. L'idée serait de faire de ce sujet, comme des autres sujets, un simple clivage entre Renaissance et RN. C'est erreur aussi intellectuelle que politique, aussi morale qu'électorale.

Bien sûr, si on demande dans les sondages : "voulez-vous l'euthanasie ou mourir dans d'atroces souffrances ?", l'idée qu'il y ait même 0,1% qui ne répondent pas l'euthanasie paraît insensée, mais justement, la question n'est pas là. La question, c'est déjà d'investir massivement dans les soins palliatifs. Le gouvernement avait proposé un plan en 2018, et on s'aperçoit qu'il y a encore 21 départements qui n'ont même pas une seule unité de soins palliatifs. Il est là le scandale et il ne faut pas, pour y répondre, une loi mais de l'argent, un budget, plusieurs milliards d'euros. Alors Emmanuel Macron voudrait y consacrer un milliard d'euros de plus que les 1,6 milliard d'euros déjà alloués, c'est bien mais c'est certainement insuffisant. Cela devrait être l'urgence du gouvernement.

L'autre élément avant de commencer à toucher à l'euthanasie, c'est de faire une évaluation approfondie de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui avait le mérite d'avoir été consensuelle et d'avoir apporté un véritable modèle français à la fin de vie. Car il est bien là le modèle français de la fin de vie, certainement pas en légalisation l'euthanasie comme un droit comme le souhaiterait Emmanuel Macron.

Avant de présenter ce que souhaite Emmanuel Macron, rappelons aussi que les mots de vocabulaire ont leur sens. Évacuons le mot "dignité" dans l'expression "mourir dans la dignité" qui est une expression insupportable. Cela sous-tendrait qu'on pourrait mourir dans l'indignité, ce qui est une ineptie humaine. Chaque humain a sa dignité, quel que soit sont état et quelle que soit sa souffrance, et cette dignité est intrinsèque à l'être. Retirer, même sémantique, la dignité à de nombreux malades mourants est un vrai manque de respect aux personnes les plus faibles et les plus fragiles. Il mérite mieux qu'une telle insulte avant de mourir. Et remplacer le mot par "fraternité" est peut-être meilleur, mais à peine : tuons-nous fraternellement ?

Autre mot qui me hérisse, le "droit", le "droit à l'aide à mourir". De quel droit est-il ? Faudrait-il aussi l'inscrire dans la Constitution, tant qu'on y est ? Je mets ce mot en parallèle à un troisième mot qui me hérisse tout autant l'esprit, ce serait une "avancée". Dire "avancée", c'est non seulement laisser entendre que c'est un "progrès", or, je crois que c'est totalement l'inverse, ce serait fondamentalement un retour en arrière, une négation totale de la considération qu'on peut apporter à la vie humaine, mais cela signifie nécessairement qu'on va encore "avancer" encore plus loin, dans une prochaine étape. C'est l'insidieux de tout projet sociétal : on propose le PACS mais pas du tout autre chose, non, et puis on en viendra finalement à la GPA, pas la GPA tout court, une GPA "encadrée". Bon, je ne veux pas polluer sur d'autres sujets sociétaux, mais on voit bien que lorsqu'on veut "encadrer" (autre mot que je hais dans ce type de sujet), on n'encadre rien, on ne veut que rassurer les réticences (tellement basses dans les sondages qu'on se demande bien pourquoi, à moins qu'il s'agisse de rassurer sa propre conscience morale ?).

Alors, présentons le projet d'Emmanuel Macron, et puisqu'il vient de lui, ouvrons les guillemets (sur Twitter ce lundi 11 mars 2024 dans la matinée) :


« Nous voulons ouvrir la possibilité de demander une aide à mourir dans des conditions strictes :
- Être majeur.
- Être capable d’un discernement plein et entier. Sont exclus de cette aide les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer.
- Souffrir d’une maladie incurable, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme et des souffrances réfractaires.
Nous avons consulté les patients, les familles, les équipes soignantes, la société, pour constater que la loi Claeys-Leonetti, qui fixe le cadre légal actuel, avait conduit à beaucoup d’avancées mais ne permettait pas de répondre à des situations humainement très difficiles.
On peut penser aux cas de patients atteints d’un cancer au stade terminal qui, pour certains, sont obligés d’aller à l’étranger pour être accompagnés.
Il fallait aller plus loin, en faisant preuve d’une exigence éthique.
(…)
Ce sera une vraie révolution d’humanité et de fraternité.
Nous avancerons de la manière la plus transparente possible.

C'est un texte sur lequel il faut avoir l'humilité de cheminer, de bouger, accepter que ses convictions puissent être bousculées. »

Comme pour toute personne favorable à l'euthanasie, Emmanuel Macron précise donc bien : sous des conditions très strictes, avec un encadrement très strict pour ne pas faire n'importe quoi. La réalité, l'expérience dans d'autres pays, et particulièrement en Belgique, c'est que ces conditions, en droit ou simplement en pratique, sont toujours moins exigeantes que ce que le législateur envisageait, et ne font jamais qu'évoluer dans le sens du "tout est possible". Dès qu'on entrouvre la porte du principe de l'euthanasie, du droit de tuer, petit à petit, d'une manière ou d'une autre, on l'ouvrira de plus en plus grande. Ce n'est pas la société que je souhaite. Ce n'est pas celle des Lumières, celle des droits fondamentaux qui protège la vie, qui protège les plus fragiles.

Car on voit bien la crainte. Emmanuel Macron est d'ailleurs assez intelligent, car sa loi est en trois parties : « Le projet de loi sera composé d’une première partie sur les soins d’accompagnement, d’une deuxième sur le droit des patients et des aidants et d’une troisième sur l’aide à mourir. ». Je regrette qu'on mette dans une même loi des dispositifs de "l'aide à mourir" à côté de dispositifs de "l'aide à vivre". Soigner et pas tuer, c'est ce qui est nécessaire aux patients. C'est même le contrat de confiance entre soignants et soignés.


Certes, le Président de la République insiste beaucoup sur les soins palliatifs : « La priorité : que dès le diagnostic et le début du traitement, la douleur soit accompagnée avec humanité. (…) Il nous faut continuer de déployer des équipes mobiles qui aident les services hospitaliers à mieux prendre en charge la douleur. (…) Il est primordial d’améliorer la prise en charge de la douleur notamment des nourrissons et des enfants. Nous le ferons aussi avec cette loi et cette stratégie décennale. Nous allons aussi mettre en place un continuum avec la médecine de ville et investir sur l'accompagnement à domicile appuyé par les réseaux de soins. (…) Ce sera une vraie révolution d’humanité et de fraternité. ». Personne ne peut s'opposer à ces objectifs, mais ils n'ont pas besoin d'une loi pour être atteints. C'est une sorte de devanture pour ceux qui auraient trop bien compris le reste du texte.

Le seul côté positif du jour, c'est que tous les médias se sont emparés de ce sujet, malgré les autres sujets brûlants. Cela signifie qu'il va bien y avoir un débat sur le sujet et que, malgré les sondages vaguement consensuels, le projet d'euthanasie ne passera pas discrètement comme une sorte de formalité administrative sans confrontation politique. N'oublions pas que le "mariage pour tous" devait lui aussi être adopté comme une lettre à la poste en 2013 et cela a provoqué des déferlantes de manifestations très nombreuses.

Du reste, ce précédent des "manifs pour tous", même si je considère que cela n'a rien à voir, pourrait permettre une mobilisation plus forte que prévisible des opposants à l'euthanasie. Sur un sujet aussi sensible, le gouvernement joue toujours avec le feu. Dans une société à la cohésion nationale fragile, ce n'est pas opportun de renforcer les brèches et les clivages par un tel sujet.


J'insiste aussi sur le fait que l'Église catholique n'a pas le monopole de l'opposition à l'euthanasie et qu'il ne suffit pas d'être anticlérical pour refuser les objections à ce prochain texte. Ainsi, l'ancien Ministre de la Justice Robert Badinter, que le Président de la République venait d'encenser il y a encore peu de temps, s'était déclaré très hostile à une loi sur l'euthanasie, car il ne fallait pas que l'État soit en capacité de favoriser la mort d'une personne, ce qui était le cas avec la peine de mort.

J'avais présenté sa position le 9 février 2024 de cette manière : « Le 16 septembre 2008, en raison de son expertise juridique, Robert Badinter avait été auditionné par Jean Leonetti pour faire l'évaluation de sa loi, celle du 22 avril 2005 sur la fin de vie. Robert Badinter considérait que cette loi (complétée par la suite par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016) était "satisfaisante" et préservait l'équilibre entre deux injonctions paradoxales. En particulier, il considérait que "le droit à la vie est le premier des droits de l'homme". C'était même "le fondement contemporain de l'abolition de la peine de mort". Il ne souhaitait pas introduire dans la législation française une éventuelle exception d'euthanasie. Il rappelait que le droit pénal n'a "pas seulement une fonction répressive mais aussi une fonction expressive", à savoir qu'il traduit "les valeurs d'une société". Pour lui, au lieu de légiférer, la justice peut se prononcer pour dire s'il y a abus ou pas dans l'accompagnement d'une fin de vie. Il martelait : "Personne ne peut disposer de la vie d'autrui", rejetant l'idée d'un comité d'experts qui se prononcerait sur l'opportunité d'une exception d'euthanasie pour un cas donné : "Je ne conçois pas qu'un comité, aussi honorable soit-il, puisse délivrer une autorisation de tuer". ».

Au lieu de récupérer la mémoire de nos plus sages, on devrait avant tout s'inspirer de leur sagesse...



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


La dernière illustration est un tableau de Paula Modersohn-Becker.


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).

Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).

Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : les conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.

Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !

Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.


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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240310-euthanasie-2024a.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2024-1-l-agenda-253573





 

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22 février 2024 4 22 /02 /février /2024 04:07

« Il pleut sans respect aucun pour la pompe républicaine et les millimétrages mémoriels des spin doctors et c'est elle, la pluie, qui rafle en rafales la savante cérémonie. Il pleut sur les portraits des Vingt et trois quand les fusils fleurirent (…). » (Daniel Schneidermann, le 22 février 2024).




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Comme l'expliquait un chroniqueur le lendemain matin, il y a eu de la grosse pluie ce mercredi 21 février 2024, en début de soirée à Paris, pour la cérémonie d'hommage et de transfert des cendres des résistants Missak Manouchian et Mélinée Manouchian au Panthéon. C'était une grande cérémonie présidée par Emmanuel Macron, mais on aurait pu croire que c'était l'une de ces cérémonies de François Hollande, le Président pluvieux, qui d'ailleurs était présent dans l'ancienne église.

Beaucoup d'émotion, d'évocations, de chants, de recueillement pour non seulement les époux Manouchian mais aussi leurs camarades résistants qui furent torturés et fusillés par les nazis peu avant la victoire des Alliés. Beaucoup de personnalités politiques furent présentes, et on note en particulier la présence de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, parti dont étaient adhérents les Manouchian dès 1934 afin de lutter contre le fascisme (eux n'ont pas attendu la rupture du Pacte germano-soviétique pour s'engager dans la Résistance). Ils n'ont pas non plus attendu d'être naturalisés français pour défendre le pays qu'ils aimaient le plus au monde, la France (eux qui avaient été rejetés par l'empire ottoman étant enfants).

Les dénigreurs professionnels pourraient toujours dire : encore une cérémonie mémorielle, encore un hommage ! Oui, la République n'a pas entendu Emmanuel Macron pour commémorer les grands noms de son histoire, et Emmanuel Macron ne fait pas "que" cela, il bosse aussi à côté. Rien que son emploi du temps dans les derniers jours donne le tournis. 21 février : conseil des ministres, entretien avec Nikolaï Denkov, Premier Ministre de Bulgarie (et conférence de presse commune), entretien avec Nikol Pachinian, Premier Ministre d'Arménie (et conférence de presse commune). 20 février : entretien avec Umaro Sissoco Embalo, Président de la République de Guinée-Bissau (et conférence de presse commune). 19 février : entretien avec Bernardo Arevalo, Président de la République du Guatemala (et conférence de presse commune), etc.


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Cet hommage était attendu depuis longtemps et cette reconnaissance était émouvante parce que le groupe Manouchian aurait pu sombrer de l'oubli de ses actions héroïques. Ils ont donné leur vie pour notre liberté aujourd'hui et les dénigreurs professionnels se comportent comme des gosses gâtés aussi ingrats qu'irresponsables et ignorants des racines historiques qui fondent notre République d'aujourd'hui. J'ai évoqué la valeur symbolique multiple très forte de la reconnaissance des époux Manouchian : étrangers, apatrides, arméniens, communistes, ouvriers et dans son groupe, beaucoup étaient juifs et en tant que tels étaient réprimés par les nazis mais aussi par les Français collabos.

J'ai appris l'existence de ce groupe dans les années 1980, c'était à l'époque une découverte pour pas mal de monde en France même si leur mémoire a été perpétuée par Louis Aragon dès 1955 (et par Léo Ferré également). C'est donc en quelque sorte un aboutissement que cette cérémonie mémorielle au Panthéon en honneur des Manouchian : « Aujourd’hui, ce n’est plus le soleil d’hiver sur la colline ; il pleut sur Paris et la France, reconnaissante, vous accueille. Missak et Mélinée, destins d’Arménie et de France, amour enfin retrouvé. Missak, les Vingt et trois, et avec eux tous les autres, enfin célébrés. L’amour et la liberté, pour l’éternité. ».

Dans ce qu'on pourrait appeler son homélie (c'était un peu le ton), le Président de la République a insisté sur ce qui devrait unir tous les Français, l'amour de la France : « Missak Manouchian, vous entrez ici avec Mélinée. En poète qui dit l’amour heureux. Amour de la Liberté malgré les prisons, la torture et la mort ; amour de la France, malgré les refus, les trahisons ; amour des Hommes, de ceux qui sont morts et de ceux qui sont à naître. ».


Le discours proclamait le choix présidentiel, complètement assumé : « Entrent aujourd’hui au Panthéon vingt-quatre visages parmi ceux des FTP-MOI. Vingt-quatre visages parmi les centaines de combattants et otages, fusillés comme eux dans la clairière du Mont-Valérien, que j’ai décidé de tous reconnaître comme morts pour la France. Oui, la France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent vingt-quatre fois la France. Les honorer dans nos cœurs, dans notre recueillement, dans l’esprit des jeunes Français venus ici pour songer à cette autre jeunesse passée avant elle, étrangère, juive, communiste, résistante, jeunesse de France, gardienne d’une part de la noblesse du monde. (…) Missak Manouchian, vous entrez ici toujours ivre de vos rêves : l’Arménie délivrée du chagrin, l’Europe fraternelle, l’idéal communiste, la justice, la dignité, l’humanité, rêves français, rêves universels. ».

Emmanuel Macron a bien sûr fait de la politique et a rappelé que par deux fois, Missak Manouchian s'était vu refuser la nationalité française : « Libres en France, ce pays que Missak a choisi adolescent, qui lui a offert des mots pour rêver, un refuge pour se relever, une culture pour s’émanciper. Alors, Missak Manouchian hisse haut notre drapeau tricolore, lors des 150 ans de la Révolution, en 1939, quand il défile dans le stade de Montrouge. Alors, pour servir ce drapeau, Missak Manouchian demande par deux fois à devenir Français. En vain, car la France avait oublié sa vocation d’asile aux persécutés. Alors, quand la guerre éclate, Missak Manouchian veut s’engager. Ivre de liberté, enivré de courage, enragé de défendre le pays qui lui a tout donné. (…) Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Oui, au prix du choix délibéré, déterminé, répété de la liberté. Car dans Paris occupé, Missak Manouchian rejoint la résistance communiste, au sein de la main-d’œuvre immigrée, la MOI. Il se voulait poète, il devient soldat de l’ombre, plongé dans l’enfer d’une vie clandestine, une vie vouée à faire de Paris un enfer pour les soldats allemands. Guerre psychologique pour signifier à l’occupant que les Français n’ont rien abdiqué de leur liberté. ».

Qui est le plus Français, celui qui sacrifie sa vie ou les collabos qui pourchassent les combattants de la liberté ? C'est un peu la question du Président en évoquant la fin héroïque du groupe Manouchian : « À l’automne 1943, devenu dirigeant militaire des FTP-MOI parisiens, Missak Manouchian le pressent : la fin approche. Pour alerter ses camarades, il se rend au rendez-vous fixé avec son supérieur Joseph Epstein, un matin de novembre. Missak Manouchian avait vu juste : lui et ses camarades sont pris, torturés, jugés dans un procès de propagande organisé par les nazis en février 1944. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? S’ils sont résolument libres, oui. À la barre du tribunal, ils endossent fièrement ce dont leurs juges nazis les accablent, leurs actes, leur communisme, leur vie de Juifs, d’étrangers, insolents, tranquilles, libres. "Vous avez hérité de la nationalité française" lance Missak Manouchian aux policiers collaborateurs. "Nous, nous l’avons méritée". ».

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Le chef de l'État a choisi l'expression de "Français d'espérance" quand d'autres, dans la classe politique actuelle, osent parler de "Français de papier" : « Étrangers et nos frères pourtant, Français de préférence, Français d’espérance. Comme les pêcheurs de l’Île de Sein, comme d’autres jeunes de 16 ans, de 20 ans, de 30 ans, comme les ombres des maquis de Corrèze, les combattants de Koufra ou les assiégés du Vercors. Français de naissance, Français d’espérance. Ceux qui croyaient au ciel, ceux qui n’y croyaient pas, ceux qui défendaient les Lumières et ne se dérobèrent pas. Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Ce 21 février 1944, ceux-là affrontent la mort. Dans la clairière du Mont-Valérien, Missak Manouchian a le cœur qui se fend. Le lendemain, c’est l’anniversaire de son mariage avec Mélinée. Ils n’auront pas d’enfants mais elle aura la vie devant elle. Il vient de tracer ses mots d’amour sur le papier, amour d’une femme jusqu’au don de l’avenir, amour de la France jusqu’au don de sa vie, amour des peuples jusqu’au don du pardon. ».


En d'autres termes, la France reconnaît par cette cérémonie la part de tous les étrangers, de tous les résistants de l'ombre, de tous ceux qui, ne tergiversant pas, se sont jetés au péril de leur vie pour défendre la France, soixante ans après l'entrée légendaire de Jean Moulin au Panthéon : « Des dernières heures, dans la clairière du Mont-Valérien, à cette Montagne Sainte-Geneviève, une odyssée du vingtième siècle s’achève, celle d’un destin de liberté qui, depuis Adyiaman, survivant au génocide de 1915, de famille arménienne en famille kurde, trouvant refuge au Liban avant de rejoindre la France, décide de mourir pour notre Nation qui, pourtant, avait refusé de l’adopter pleinement. Reconnaissance en ce jour d’un destin européen, du Caucase au Panthéon, et avec lui, de cette Internationale de la liberté et du courage. Oui, cette odyssée, celle de Manouchian et de tous ses compagnons d’armes, est aussi la nôtre, odyssée de la Liberté, et de sa part ineffaçable dans le cœur de notre Nation. Reconnaissance, en cette heure, de leur part de Résistance, six décennies après Jean Moulin. ».

Dans un tel pays qui honore ainsi ses combattants sans lesquels je ne pourrais pas aujourd'hui m'exprimer librement et ouvertement, c'est bien la fierté qui m'étreint, pas la mienne, mais celle du pays qui a su être juste avec ses défenseurs. Et conscient de cette histoire tragique, j'ose bien l'écrire ici. Merci à ces combattants, leur combat n'a jamais été vain.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (22 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon : pluie et émotion !
Hommage du Président Emmanuel Macron à Missak Manouchian au Panthéon le 21 février 2024 (texte intégral et vidéo).
Les Manouchian mercredi au Panthéon.
Loi sur les génocides invalidée : faut-il s'en réjouir ?
Que penser de la proposition de loi sur le génocide arménien ?
Charles Aznavour.
Henri Verneuil.
Patrick Devedjian.
Michel Cherrier.
Léon Gautier.
Claude Bloch, passeur de mémoire.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240221-manouchian.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/melinee-et-missak-manouchian-au-253265

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/02/22/40214275.html





 

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21 février 2024 3 21 /02 /février /2024 19:49

(verbatim et vidéo)


Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240221-manouchian.html





Discours du Président Emmanuel Macron
en hommage à Missak Manouchian
le 21 février 2024 au Panthéon à Paris



21 février 2024
Discours du Président de la République lors de l’Hommage solennel de la Nation à Missak Manouchian


Est-ce donc ainsi que les Hommes vivent ?

Des dernières heures, dans la clairière du Mont-Valérien, à cette Montagne Sainte-Geneviève, une odyssée du vingtième siècle s’achève, celle d’un destin de liberté qui, depuis Adyiaman, survivant au génocide de 1915, de famille arménienne en famille kurde, trouvant refuge au Liban avant de rejoindre la France, décide de mourir pour notre Nation qui, pourtant, avait refusé de l’adopter pleinement.

Reconnaissance en ce jour d’un destin européen, du Caucase au Panthéon, et avec lui, de cette Internationale de la liberté et du courage. Oui, cette odyssée, celle de Manouchian et de tous ses compagnons d’armes, est aussi la nôtre, odyssée de la Liberté, et de sa part ineffaçable dans le cœur de notre Nation. Reconnaissance, en cette heure, de leur part de Résistance, six décennies après Jean Moulin.

Est-ce ainsi que les Hommes vivent ? Oui, s’ils sont libres. Libre, Missak Manouchian l’était, quand il gravissait la rue Soufflot, en fixant ce Panthéon qui l’accueille aujourd’hui. Libre, sur les bancs de la bibliothèque Sainte-Geneviève à quelques mètres d’ici, découvrant notre littérature et polissant ses idéaux. Libre avec Baudelaire, dans le vert paradis qui avait le goût de son enfance, dans une Arménie heureuse, celle des montagnes, des torrents et du soleil. Libre avec Verlaine, dont les fantômes saturniens croisaient les siens : son père, Kévork, tué les armes à la main par des soldats ottomans, sous ses yeux d’enfant, sa mère Vartouhi, morte de faim, de maladie, victimes du génocide des Arméniens, spectres qui vont hanter sa vie.

Libre avec Rimbaud, après une saison en enfer, souvenirs partagés avec son frère Garabed. Mais voici les illuminations, les Lumières, celle qu’un instituteur de l’orphelinat, au Liban, lui enseigna. Eveil à la langue et à la culture françaises. Libre avec Victor Hugo et la légende des siècles, gloire de sa libre patrie, la France, terre d’accueil pour les misérables, vers laquelle Missak l’apatride choisit à dix-huit ans de s’embarquer, ivre, écrivait-il « d’un grand rêve de liberté ».

Lui, Missak, « maraudeur, étranger, malhabile » pour reprendre les mots d’un autre poète, combattant qui choisit la France, Guillaume Apollinaire. Étranger, orphelin, bientôt en deuil de son frère tombé malade, et pourtant à la tâche, ouvrier chez Citroën, quai de Javel, licencié soudain, tremblant parfois de froid et de faim.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Ainsi, le soir après l’usine, Missak Manouchian étudie. Ainsi, sous les rayonnages de livres, Missak Manouchian traduit les poètes français en arménien. Ainsi écrit-il lui-même. Mots de mélancolie, de privations, brûlés du froid des hivers parisiens. Mots d’espoir aussi rendus plus chauds par la fraternité des exilés, par la solidarité de la diaspora arménienne, par le foisonnement d’art et de musique, des revues et des cours en Sorbonne.

Poète et révolté. Quand les ligues fascistes défilent en 1934 au cœur de Paris, Missak Manouchian voit revivre sous ses yeux le poison de l’ignorance et les mensonges raciaux qui précipitèrent en Arménie sa famille à la mort.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Non. Alors, Missak Manouchian embrasse l’idéal communiste. Convaincu que jamais en France on n’a pu impunément séparer République et Révolution. Après 1789, après 1793, il rêve l’émancipation universelle pour les damnés de la terre. C’est ainsi que Missak Manouchian s’engage contre le fascisme, au sein de l’Internationale communiste, et bientôt à la tête d’une revue, Zangou, du nom d’une rivière d’Arménie. Espoir du Front Populaire, volonté d’entrer dans les Brigades Internationales pour l’Espagne, action militante.

C’est ainsi que Missak Manouchian trouve l’amour : Mélinée, enfant du génocide des Arméniens comme lui ; Mélinée, protégée par l’amitié de ses logeurs, les Aznavourian, parents de Charles, dix ans alors, déjà chanteur. L’amour, malgré le dénuement, ignorer le passé, conjuguer le futur, l’amour fou. Je vous parle d’un temps que ces gens de vingt ans, Missak et Mélinée, ont tant aimé connaître.

Libres en France, ce pays que Missak a choisi adolescent, qui lui a offert des mots pour rêver, un refuge pour se relever, une culture pour s’émanciper. Alors, Missak Manouchian hisse haut notre drapeau tricolore, lors des 150 ans de la Révolution, en 1939, quand il défile dans le stade de Montrouge. Alors, pour servir ce drapeau, Missak Manouchian demande par deux fois à devenir Français. En vain, car la France avait oublié sa vocation d’asile aux persécutés.

Alors, quand la guerre éclate, Missak Manouchian veut s’engager. Ivre de liberté, enivré de courage, enragé de défendre le pays qui lui a tout donné. « Tigre enchaîné », selon ses mots de poète, dans les prisons où le jettent la peur des étrangers, la peur des communistes, sous les miradors du camp allemand où il est détenu, en 1941, et où Mélinée vient contre tous les périls lui apporter des vivres.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Oui, au prix du choix délibéré, déterminé, répété de la liberté. Car dans Paris occupé, Missak Manouchian rejoint la résistance communiste, au sein de la main-d’œuvre immigrée, la MOI. Il se voulait poète, il devient soldat de l’ombre, plongé dans l’enfer d’une vie clandestine, une vie vouée à faire de Paris un enfer pour les soldats allemands. Guerre psychologique pour signifier à l’occupant que les Français n’ont rien abdiqué de leur liberté. Encore, toujours, « ivre d’un grand rêve de liberté », Missak Manouchian prend tous les risques. Lui qui aime aimer se résout à tuer. Comme ce jour de mars 1943 où il lance une grenade dans les rangs d’un détachement allemand.

Est-ce ainsi que les hommes rêvent ? Oui, les armes à la main. Et d’autres sont là, à ses côtés, parce qu’ils sont chassés de la surface du monde et ont décidé de se battre pour le sol de la patrie. Parce que nombre d’entre eux sont Juifs, et que certains ont vu leurs proches déportés : Lebj Goldberg, Maurice Fingercweig, Marcel Rajman. Parce ce que la guerre a volé leurs écoles et leurs ateliers, dans ce Paris populaire et ouvrier où le français se mêle à l’italien ou au yiddish. Parce que les forces de haine ont volé leur passé, là-bas, en Arménie, tel Armenak Manoukian. Parce que ce sont les femmes qui veulent œuvrer pour l’avenir de l’Homme, comme Mélinée, comme la Roumaine Golda Bancic, comme tant d’autres, armes et bombes qu’elles acheminent sans soupçons, filatures qu’elles accomplissent sans trembler. Parce qu’ils sont une bande de copains, à la vie, à la mort.

À l’âge des serments invincibles, tels Thomas Elek et Wolf Wajsbrot, une belle équipe comme sur un terrain de football, panache de Rino della Negra, jeune espoir alors du Red Star. Parce qu’ils ont vu mourir la liberté dans l’Italie de leurs parents, comme Antoine Salvadori, Cesare Luccarini, Amedeo Usseglio, Spartaco Fontano. Parce qu’ils ont vu les hommes de fer s’emparer de la Pologne et persécuter les Juifs, comme Jonas Geduldig, Salomon Schapira et Szlama Grzywacz. Parce qu’ils sont pour beaucoup des anciens des Brigades Internationales en Espagne, pays de Celestino Alfonso. Pour qui sonne le glas ?  Pour les Polonais Joseph Epstein et Stanislas Kubacki. Pour les Hongrois Joseph Boczov et Emeric Glasz, eux les experts en sabotage, aux fardeaux de dynamite. Parce qu’ils ont vingt ans, le temps d’apprendre à vivre, le temps d’apprendre à se battre. Ainsi de ces Français refusant le STO, Roger Rouxel, Roger Cloarec et Robert Witchitz.

Parce qu’ils sont communistes, ils ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine, enfants de la Révolution française, guetteurs de la Révolution universelle. Ces 24 noms sont ceux-là, que simplement je cite, mais avec eux tout le cortège des FTP-MOI trop longtemps confinés dans l’oubli.

Oui, parce qu’à prononcer leurs noms sont difficiles, parce qu’ils multiplient les déraillements de train et les attaques contre les nazis, parce que ces combattants sont parvenus à exécuter un haut dignitaire du Reich, les voilà plus traqués que jamais. Dans leurs pas, marchent les inspecteurs de la préfecture de police - la police qui collabore, la police de Bousquet, de Laval, de Pétain - et l’ombre des rafles grandit.

À l’automne 1943, devenu dirigeant militaire des FTP-MOI parisiens, Missak Manouchian le pressent : la fin approche. Pour alerter ses camarades, il se rend au rendez-vous fixé avec son supérieur Joseph Epstein, un matin de novembre. Missak Manouchian avait vu juste : lui et ses camarades sont pris, torturés, jugés dans un procès de propagande organisé par les nazis en février 1944.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? S’ils sont résolument libres, oui. À la barre du tribunal, ils endossent fièrement ce dont leurs juges nazis les accablent, leurs actes, leur communisme, leur vie de Juifs, d’étrangers, insolents, tranquilles, libres. « Vous avez hérité de la nationalité française » lance Missak Manouchian aux policiers collaborateurs. « Nous, nous l’avons méritée ».

Étrangers et nos frères pourtant, Français de préférence, Français d’espérance. Comme les pêcheurs de l’Île de Sein, comme d’autres jeunes de seize ans, de vingt ans, de trente ans, comme les ombres des maquis de Corrèze, les combattants de Koufra ou les assiégés du Vercors. Français de naissance, Français d’espérance. Ceux qui croyaient au ciel, ceux qui n’y croyaient pas, ceux qui défendaient les Lumières et ne se dérobèrent pas.

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Ce 21 février 1944, ceux-là affrontent la mort. Dans la clairière du Mont-Valérien, Missak Manouchian a le cœur qui se fend. Le lendemain, c’est l’anniversaire de son mariage avec Mélinée. Ils n’auront pas d’enfants mais elle aura la vie devant elle. Il vient de tracer ses mots d’amour sur le papier, amour d’une femme jusqu’au don de l’avenir, amour de la France jusqu’au don de sa vie, amour des peuples jusqu’au don du pardon.

« Aujourd’hui, il y a du soleil ». Missak Manouchian est à ce point libre et confiant dans le genre humain qu’il n’est plus que volonté, volonté d’amour. Délié du ressentiment, affranchi du désespoir, certain que le siècle lui rendra justice comme il le fait aujourd’hui, que ses bourreaux seront défaits et que l’humanité triomphera. Car qui meurt pour la liberté universelle a toujours raison devant l’Histoire.

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? En tout cas les Hommes libres.  En tout cas ces Français d’espérance. « Je ne suis qu’un soldat qui meurt pour la France. Je sais pourquoi je meurs et j’en suis très fier », écrira l’Espagnol Celestino Alfonso avant l’exécution. Et ce 21 février 1944, ce sont bien vingt-deux pactes de sang versé, scellés entre ces destins et la liberté de la France.

Pacte scellé par le sang du sacrifice. Un peu avant, avec la force que leur laissent les mois de torture, ils ont crié, « À bas les nazis, vive le peuple allemand ». Conduits aux poteaux, quatre par quatre, les yeux bandés sauf ceux qui le refusent, tombés, les corps déchiquetés, en six salves. Tombés, comme tombera, fusillé en avril au Mont-Valérien, Joseph Epstein, qui sous la torture ne donnera aucun nom, pas même le sien, démontrant jusqu’au bout son courage. Tombés, comme tombera, tranchée la tête de Golda Bancic, exécutée en mai à l’abri des regards dans une prison de Stuttgart.

Tombés, ils sont tombés et leurs bourreaux voulurent les exécuter à nouveau par la calomnie de la propagande, cette Affiche Rouge qui voulait exciter les peurs et ne fortifia que l’amour. Car les vrais patriotes reconnurent dans ce rouge, le rouge du Tricolore. Rouge des premiers uniformes des soldats de Quatorze, rouge des matins de Valmy, rouge du sang versé pour la France sur lequel miroite toujours une larme de bleu, un éclat de blanc.

C’est ainsi que les hommes, par-delà la mort, survivent. Ils débordent l’existence par la mémoire. Par les vers d’Aragon, par les chansons, celle de Léo Ferré et tant d’autres. Mémoire portée fidèlement par Arsène Tchakarian, ancien des FTP-Moi ou par Antoine Bagdikian, l’un et l’autre dévoués à honorer d’un même élan la Résistance des Arméniens et la Résistance des Juifs en France, portée par tant de passeurs inlassables.

C’est ainsi que les hommes survivent. C’est ainsi que les Grands Hommes, en France, vivent pour l’éternité.

Entrent aujourd’hui au Panthéon vingt-quatre visages parmi ceux des FTP-MOI. Vingt-quatre visages parmi les centaines de combattants et otages, fusillés comme eux dans la clairière du Mont-Valérien, que j’ai décidé de tous reconnaître comme morts pour la France. Oui, la France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent vingt-quatre fois la France. Les honorer dans nos cœurs, dans notre recueillement, dans l’esprit des jeunes Français venus ici pour songer à cette autre jeunesse passée avant elle, étrangère, juive, communiste, résistante, jeunesse de France, gardienne d’une part de la noblesse du monde.

Missak Manouchian, vous entrez ici en soldat, avec vos camarades, ceux de l’Affiche, du Mont-Valérien, avec Golda, avec Joseph et avec tous vos frères d’armes morts pour la France. Vous rejoignez avec eux les Résistants au Panthéon. L’ordre de la nuit est désormais complet.

Missak Manouchian, vous entrez ici toujours ivre de vos rêves : l’Arménie délivrée du chagrin, l’Europe fraternelle, l’idéal communiste, la justice, la dignité, l’humanité, rêves français, rêves universels.

Missak Manouchian, vous entrez ici avec Mélinée. En poète qui dit l’amour heureux. Amour de la Liberté malgré les prisons, la torture et la mort ; amour de la France, malgré les refus, les trahisons ; amour des Hommes, de ceux qui sont morts et de ceux qui sont à naître.

Aujourd’hui, ce n’est plus le soleil d’hiver sur la colline ; il pleut sur Paris et la France, reconnaissante, vous accueille. Missak et Mélinée, destins d’Arménie et de France, amour enfin retrouvé. Missak, les vingt et trois, et avec eux tous les autres, enfin célébrés. L’amour et la liberté, pour l’éternité.

Vive la République. Vive la France.

Emmnanuel Macron, le mercredi 21 février 2024 au Panthéon, à Paris.

Source : www.elysee.fr

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20240221-discours-macron-manouchian.html
 

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 04:01

« Missak et moi étions deux orphelins du génocide. Nous n’étions pas poursuivis par les nazis. Nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de Juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui encadraient l’armée turque lors du génocide arménien. » (Mélinée Manouchian).




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Les cendres du couple de résistants Missak Manouchian et sa femme Mélinée Manouchian (née Soukémian puis, par erreur, le nom de naissance est devenu Assadourian) vont être transférées au Panthéon ce mercredi 21 février 2024 au cours d'une cérémonie présidée par le Président de la République Emmanuel Macron. Le jour choisi est le 80e anniversaire de l'assassinat de Missak Manouchian, chef du groupe Manouchian, fusillé par les nazis au Mont-Valérien le 21 février 1944 à l'âge de 37 ans (né le 1er septembre 1906 à Adiyaman). Son épouse depuis 1936, également résistante, est née le 13 novembre 1913 à Constantinople (Istanbul) et morte à 76 ans le 6 décembre 1989 à Fleury-Mérogis.

Missak Manouchian, qui a survécu au génocide arménien de 1915, s'est réfugié en France en 1924 où il commença à travailler. Il s'est engagé au parti communiste français après la crise du 6 février 1934 pour lutter contre le fascisme. Son engagement s'est naturellement décliné pendant la guerre en s'engageant dans la Résistance dès juin 1940. Il est devenu le commissaire militaire de son groupe des FTP-MOI (francs-tireurs et partisans – main-d'œuvre immigrée) en août 1943.

Mélinée Manouchian est devenue orpheline à l'âge de 2 ans, ses parents ont été massacrés durant le génocide, elle a été déportée avec sa sœur à Thessalonique en 1922, puis à Corinthe, avant d'arriver en France en 1926. Avec un diplôme de comptable et de sténodactylographe, elle s'est installée au début des années 1930 à Paris où elle s'est intégrée à la famille du futur Charles Aznavour (1924-2018). Elle fut même l'accompagnatrice du premier succès de radio-crochet du futur chanteur en 1935. Elle s'est engagée au parti communiste français par antifascisme comme son futur mari qu'elle a rencontré en 1934.

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Pour donner une petite idée de qui était Missak Manouchian, voici deux témoignages de soldats sous ses ordres à partir de 1942 qui sont assez instructifs (cités par Wikipédia) : « La première fois que j'ai rencontré Manouchian, nous avons passé l'après-midi ensemble. Tout ce qu'il me disait résonnait en moi. Nous partagions les mêmes convictions. Cet homme m'a également tout appris, l'amour de la poésie, de la biologie, de la philosophie. Il était très intelligent et surtout on pouvait lui faire une confiance aveugle. Et d'ailleurs tout le monde lui faisait confiance et l'admirait. Mais il était très timide et quand il parlait, c'était uniquement de résistance. ». Et aussi : « C'était un athlète, un grand sportif. Il était bon, il écoutait les gens et surtout il avait une vision très humaine et très intelligente de la résistance. Il ne voulait pas de "héros fous", pour reprendre une expression du docteur Kaldjian, de kamikazes. Des volontaires prêts à se faire sauter, il y en avait, mais lui ne supportait aucun sacrifice. Il ne commandait une opération que si elle était sûre. ».

Missak Manouchian et ses compagnons de résistance ont été arrêtés le 16 novembre 1943 puis jugés entre le 15 et le 19 février 1944 au cours d'un procès expéditif dont on ne connaît que le verdict, et exécutés le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Avant d'être jugé, Missak Manouchian a été torturé. Le 15 juin 1985, sa femme Mélinée Manouchian a porté des accusations sur la responsabilité de la direction du parti communiste français de l'époque qui aurait "lâché" et "sacrifié" le groupe Manouchian pour des raisons tactique. Mais cette thèse, si elle a été reprise par l'historien Philippe Robrieux en 1986, a été considérée comme fausse par d'autres historiens et est aujourd'hui abandonnée.


La notoriété de Missak Manouchian a été la conséquence d'une très mauvaise propagande politique des nazis pour fustiger auprès des Français les résistants en tentant de démontrer qu'ils étaient des criminels, des tueurs, des terroristes et des Juifs (pour une partie du groupe), en résumé, "l'armée du crime". C'est en effet une affiche rouge placardée partout en 15 000 exemplaires qui se chargea de faire de Manouchian et de ses camarades d'infortune des héros de la Résistance intérieure, et par là, qui assura leur postérité.

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Car nous voilà dans le vif de la cérémonie. L'entrée au Panthéon est un acte politique, mais il faut y voir de la politique au sens noble et pas politicien. En effet, la République a ses saints, depuis le Premier Empire (qui était une sorte de République pour Napoléon), et elle les commémore avec cette présence au Panthéon. D'un point vue concret, cela paraît un peu morbide, mais il y a des cimetières nationaux pour honorer les gloires locales dans beaucoup de pays (entre autres, aux États-Unis, en Israël, au Vatican bien sûr, mais je n'ai pas une vision d'ensemble de la planète sur ce sujet). Historiquement, la France de l'Ancien Régime avait sa nécropole des rois à la Basilique Saint-Denis, où la plupart des corps de nos rois défunts furent jetés dans des fosses communes pendant la Révolution.

Le Panthéon "héberge" actuellement 81 personnes dont (seulement) 6 femmes (et parfois, pas pour de bonnes raisons, simplement épouses de). Citons les femmes puisqu'elles ne sont pas très nombreuses : Sophie Berthelot (femme de Marcellin Berthelot, morte quelques heures avant son mari) le 25 mars 1907, Marie Curie (chimiste, double Prix Nobel et femme de Pierre Curie) le 20 avril 1995, Geneviève Anthonioz-De Gaulle (résistante et militante humanitaire) et Germaine Tillion (ethnologue et résistante) le 27 mai 2015 (toutefois, les corps des deux femmes n'ont pas été déplacés selon les vœux de leur famille), Simone Veil (femme d'État et ancienne déportée) le 1
er juillet 2018, et Joséphine Baker (artiste) le 30 novembre 2021.

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La venue de Mélinée et Missak Manouchian est la quatrième cérémonie de transfert au Panthéon sous la Présidence d'Emmanuel Macron, et Mélinée Manouchian sera donc la septième femme à y être honorée. Sous la Cinquième République, la Présidence d'Emmanuel Macron est donc la deuxième Présidence à faire des transferts, après celle de François Mitterrand (en nombre de personnes, François Mitterrand sept personnes transférées et Emmanuel Macron six personnes transférées, et ex aequo en cérémonies, quatre).

Entre parenthèses, ce n'est pas le cas des Manouchian, mais ceux qui s'interrogent sur la rapidité, parfois, de transférer une personnalité au Panthéon quelques jours après son décès, réflexion notamment à propos de Robert Badinter, il faut prendre en considération que dans le passé, c'était assez courant, et même très fréquent lors du Premier Empire. J'avais cité il y a quelques jours l'exemple de Paul Painlevé (mort le 29 octobre 1933) transféré le 4 novembre 1933, mais il y a aussi (parmi les plus connus) Victor Hugo (mort le 22 mai 1885) transféré le 1
er juin 1885, Sadi Carnot (assassiné le 24 juin 1894) le 1er juillet 1894, Marcellin Berthelot et Sophie Berthelot (morts le 18 mars 1907) le 25 mars 1907. Les plus récents : le physicien Paul Langevin (mort le 19 décembre 1946) le 17 novembre 1948 et enfin, Simone Veil (morte le 30 juin 2017) transférée le 1er juillet 2018. Remarquons également que Joséphine Baker est née trois mois avant Missak Manouchian, cela pour se donner une comparaison chronologique.

Insistons sur le fait que ce n'est pas le Président de la République qui initie une décision de transfert au Panthéon, par une sorte de caprice personnel. Certes, c'est lui qui prend la décision finale (ce qui pourrait interroger : qui devrait prendre cette décision ? le Président, le Premier Ministre, le Ministre de la Culture, le Parlement ? Après tout, il a la légitimité populaire), mais après avoir reçu des associations, des groupements, voire des pétitions qui demandent le transfert de telle ou telle autre personnalité.


Pour les Manouchian, il s'agissait d'un comité de soutien qui s'est créé le 19 décembre 2021 en accord avec Katia Guiragossian, la petite-nièce des Manouchian, et qui a instruit tout un dossier sur le sujet, avec une tribune commune de plusieurs personnalités dans le numéro du 13 janvier 2022 de "Libération" et beaucoup d'interventions médiatiques. Ce comité a été reçu à l'Élysée le 30 mars 2022 et la décision a été prise et annoncée le 18 juin 2023, confirmée par la Secrétaire d'État aux Anciens Combattants Patricia Mirallès le même jour lors de la commémoration de l'Appel du 18 juin 1940 au Mont-Valérien. Emmanuel Macron a même visité la crypte du Panthéon avec des membres du comité pour déterminer la place qui sera réservée aux Manouchian. Parallèlement à leurs dépouilles, les noms des vingt-trois résistants condamnés à mort du groupe Manouchian seront inscrits sur le mur.

Pour autant, la décision n'était pas consensuelle car des intellectuels et des descendants d'autres membres du groupe Manouchian ont protesté dans une tribune dans le journal "Le Monde" le 24 novembre 2023 (pourquoi si tardivement ?) pour regretter de ne faire rentrer que les époux Manouchian sans les autres membres du groupe.


C'est là qu'il faut se convaincre que le transfert au Panthéon a une valeur symbolique et qu'il n'y a pas de justice à proprement parler, il n'y a pas de droit au Panthéon, ou de mérite du Panthéon. Simone Veil a été une femme d'État incontestable, mais elle n'a pas été la seule, elle a eu une adolescence tragique car elle a vécu les camps d'extermination, mais elle n'a pas été la seule. Pourtant, elle représente, à elle seule, beaucoup que la République veut honorer. De la même manière, pourquoi honorer Jean Zay et pas Léo Lagrange, par exemple (d'autant plus qu'il a été tué pendant la guerre le 9 juin 1940) ? Pourquoi honorer André Malraux qui a prononcé ce discours historique du transfert de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964 et pas Maurice Schumann voire Jacques Chirac lui-même qui ont prononcé les discours lors du transfert d'André Malraux au Panthéon le 23 novembre 1996 ? et ainsi de suite... Plus exemple que représentant. Voici l'objectif de la panthéonisation.

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La valeur symbolique du transfert des époux Manouchian au Panthéon est très forte. D'une part, ce sont des résistants qui sont honorés par la République, dont un a payé son courage par sa vie, puisqu'il a été assassiné par les nazis. D'autre part, bien sûr, ce sont des ouvriers qui ont résisté, donc, comme l'attachement à Guy Moquet de Nicolas Sarkozy, ils ne faisaient pas partie d'une élite mais étaient des hommes du peuple. Et il y a une raison à cela, troisième élément symbolique, c'est qu'ils étaient étrangers et ils ont engagé leur vie pour la France libre parce qu'ils se sentaient français. D'où, très important à notre époque de repli sur soi, l'intérêt d'une immigration qui se soit assimilée à la France. Ce symbole risque d'exclure tous les autres symboles, d'ailleurs, avec un effet grossissant peut-être trompeur et il serait souhaitable que le Président de la République ne s'arrête pas qu'à cela.

Quatrième symbole, l'Arménie, d'autant plus que les deux Manouchian étaient également des rescapés du génocide arménien. Or, la communauté arménienne a toujours été très influente auprès de la classe politique (ici, le comité de soutien a été créé notamment par un maire LR d'une grande ville). Cinquième symbole, ils étaient communistes, et cela rachète en quelque sorte le Pacte germano-soviétique. Des communistes ont résisté et y ont parfois perdu leur vie. On le savait, bien sûr (voir Guy Moquet, par exemple), mais la République en est aujourd'hui reconnaissante. On pourrait aussi y voir un sixième symbole, celui d'un couple, car Mélinée Manouchian a beaucoup agi après la guerre pour faire honorer la mémoire de son mari et de son groupe. Enfin, peut-être tiré par les cheveux, mais c'est une leçon aussi à la propagande nazie qui a mal imaginé la réaction de ses interventions. En effet, sans cette fameuse affiche rouge, probablement que le groupe Manouchian serait mort dans une indifférence générale, la même que tous ces martyrs de la guerre, les assassinats de résistants, etc.

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Donc, évidemment que je reprends au bond l'interrogation précédente, pourquoi eux et pas les autres ? Pourquoi est-on ému plus par un mort plutôt qu'un autre ? C'est justement la valeur symbolique, et elle est d'autant plus grande que la personne est connue. Certains posent la question de l'émotion sélective suscitée par la mort du dissident Alexeï Navalny sans se rendre compte que sa valeur symbolique est immense. L'émotion était légitime. Alexeï Navalny était rentré de lui-même à Moscou quand il a quitté l'Allemagne le 17 janvier 2021 après son rétablissement d'un empoisonnement au Novitchok, et dès son arrivée sur le sol russe, il a été incarcéré parce qu'il n'avait pas le droit de quitter le territoire russe. Pourtant, c'étaient bien les autorités russes qui l'ont autorisé à se faire soigner en Allemagne. Il n'a jamais retrouvé sa liberté depuis ce jour-là, jusqu'à en mourir, et la famille ne dispose même pas de sa dépouille. Même dans les pires guerres (par exemple, celle de Gaza), on négocie le retour des corps.

Il faut ainsi voir le Panthéon comme une vitrine de la République (française), une devanture de nos peurs, de nos émotions, de nos fiertés et de nos joies également. Ce sera dans cette esprit qu'il faudra envisager cette cérémonie du mercredi 21 février 2024.


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Nicolas Sarkozy avait aimé lire la lettre de Guy Moquet à sa mère. Voici quelques extraits très émouvants de la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée, le 21 février 1944, peu avant son exécution : « Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. (…) Je m’étais engagé dans l’Armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. (…) Je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération. (…) Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (17 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les Manouchian mercredi au Panthéon.
Loi sur les génocides invalidée : faut-il s'en réjouir ?
Que penser de la proposition de loi sur le génocide arménien ?
Charles Aznavour.
Henri Verneuil.
Patrick Devedjian.
Michel Cherrier.
Léon Gautier.
Claude Bloch, passeur de mémoire.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240219-manouchian.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/les-manouchian-mercredi-au-252856

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/02/19/40211448.html






 

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14 février 2024 3 14 /02 /février /2024 12:42

(verbatim et vidéo)



Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240214-robert-badinter.html



 








DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EMMANUEL MACRON
EN HOMMAGE À ROBERT BADINTER, ANCIEN MINISTRE DE LA JUSTICE,
PLACE VENDÔME À PARIS LE MERCREDI 14 FÉVRIER 2024




14 février 2024
Discours du Président de la République lors de l’hommage national à Robert Badinter.



Le sang sur la lame. La tête coupée d’un homme. Une vie fauchée.

Ce spectacle morbide, Robert Badinter y assista à l’aube, le 28 novembre 1972, dans la cour de la prison de la Santé. Avant, il y avait eu la plaidoirie désespérée pour sauver son client, Roger Bontems, coupable qui n’avait pas tué. Le procès perdu à Troyes, la grâce sollicitée en vain, les visites chaque matin dans la cellule, les derniers jours d’un condamné. Avant, il y avait eu ce dilemme insoutenable : qui des deux condamnés, Buffet ou Bontems, exécuter en premier. Ce sera Bontems, avaient statué leurs avocats, car Bontems a encore un peu d’espoir, mieux vaut qu’il parte d’abord. Après, il n’y avait plus rien que la nuit. L’odeur de sang. Les visages des bourreaux. La mort. La mort sans recours. Une vie tombée parce que la justice, alors, tuait.

Son mentor, Maître Torres, l’avait prévenu jadis. « Tu deviendras vraiment un avocat après ta première mort de condamné ». Ce matin-là, à la Santé, c’est un couperet qui tranche, aussi, le destin de Robert Badinter. Avant ce matin-là, il était un partisan de l’abolition de la peine de mort. De ce jour, il en sera un combattant.

Une idée simple gouverna désormais la vie de Robert Badinter : pour ne pas perdre foi en l’Homme, il ne faut pas tuer les hommes, fussent-ils les pires coupables. Il était devenu avocat par hasard, pour gagner sa vie. Il sera l’avocat, pour toujours, de cette cause. L’abolition.

Janvier 1977. Retour à Troyes, dans la même cour d’assises où furent jugés Buffet et Bontems.

Cris de la foule qui demande la mort de Patrick Henry, cet assassin d’enfant, cri de la foule qui demande la mort de Robert Badinter, cet avocat des assassins. « Les morts vous écoutent », répétait Robert Badinter. Et le fantôme de Bontems l’écoutait. Les morts étaient sa conscience, mémoires d’outre-tombe dont il redoutait le jugement.

À la barre, lui qui aimait le théâtre ne jouait pas un rôle. Il était une âme qui crie, une force qui vit et arrache la vie aux mains de la mort. « Si vous tuez Patrick Henry, lança-t-il aux jurés dont il cherchait le regard, votre justice est injuste ». Le combat contre la mort devint sa raison d’être. Après Patrick Henry, Robert Badinter sauva la tête de cinq autres condamnés.

« Les morts nous écoutent. » Les morts, ses morts. Simon, son père, arrêté le 9 février 1943 par les séides de Klaus Barbie ; Shindléa, sa grand-mère déportée à soixante-dix-neuf ans ; Idiss son autre grand-mère que, dans la fuite, la famille dut laisser s’éteindre seule à Paris ; Naftoul, son oncle, ses cousins, tant des siens décimés par la Shoah.

La mort comme ombre permanente, à chaque contrôle de papiers, dans ce village de Savoie quadrillé par les Allemands, surveillé par la police de Paul Touvier. La mort aux trousses, sa quête de fantômes, après-guerre, à Auschwitz.

Oui, Robert Badinter fut un jeune homme hanté par la mort. Sans doute est-ce pour cela qu’il fit toute son existence le choix résolu de la vie. Nourritures terrestres, nourritures célestes : hauts très hauts, bas très bas, il vécut intensément chaque minute. Fureur de vivre, des universités américaines aux prétoires. Gourmandise des mots, voyage jusqu’au bout des nuits sans sommeil, pour étudier, devenir docteur, préparer ses cours. Épiphanie de travail et de savoir, fête de l’esprit. La vie, la belle vie, celle des théâtres et de l’opéra ; la vie pour aimer, épouser Élisabeth, couple dans le siècle, unis par l’universel, complicité dans les épreuves et les procès, les bonheurs et les livres, presque six décennies d’une vie mêlée, avec leurs trois enfants, Judith, Simon et Benjamin. Lumière d’un grand amour et amour des grandes Lumières, celles de Condorcet, de la Révolution, de la République.

« Les morts vous écoutent. » Ceux qui écoutent Robert Badinter, ce jour de septembre 1981, s’appellent Jaurès, Clemenceau, Briand, Camus, Hugo. À la tribune de l’Assemblée Nationale pour défendre la loi abolissant la peine de mort, le Garde des Sceaux porte l’engagement du Président François Mitterrand formulé durant la campagne, en dépit de l’opinion. Robert Badinter parle. Plaidoirie inoubliable contre une peine capitale, qui, par ses mots, pulvérisée, à son tour exécutée. Robert Badinter parle. La peine de mort dissuasive ? Mais Patrick Henry lui-même criait « À mort Buffet, à mort Bontems » devant le même Palais de justice de Troyes quelques années plus tôt. La peine de mort, dénoncé par les religions, les philosophies, les consciences du monde. La peine de mort apanage des dictateurs. Robert Badinter parle.

Et la justice, la justice, n’est-ce pas seulement des juges, des jurés, avec leurs failles, leurs erreurs ? Alors, faut-il accepter des exécutions sans cause, des cadavres par accident ? Un homme qui n’a pas tué, coupé en deux dans la cour de la prison de la Santé ? Non, ce n’est pas une question politique, c’est une question morale, un cas de conscience. Robert Badinter convainc. Une majorité vota pour la loi entière, une majorité formée de la gauche, rejointe par quelques députés de l’opposition menée par Jacques Chirac. Robert Badinter avait gagné son plus grand procès. Victor Hugo, son modèle, avait écrit quatre-vingt-treize, Robert Badinter venait de tracer quatre-vingt-un dans l’Histoire du progrès français, année de l’abolition.

Cela suffisait-il ? Non. Il fallait encore rendre la justice plus humaine, l’humanité plus juste ; poursuivre l’œuvre d’émancipation et de fraternité promue par Condorcet ; chasser les terribles démons de l’arbitraire, qui tuèrent Condorcet, et tant d’autres après lui. Derrière chacun, réprouvé, condamné, oublié, le Garde des Sceaux voulait toujours voir une vie, simplement, irréductiblement.

Vie des homosexuels, discriminés, dont Robert Badinter mit fin à l’opprobre légale. Vie brisée des victimes, dont il se soucia plus que tout autre avant lui. Vie citoyenne avec ses droits inaltérables : il supprima les tribunaux d’exception, et il ajouta un recours, celui de la Cour européenne des droits de l’homme, aux armes de liberté des justiciables français. Vie des détenus, car pour lui existait un droit qu’aucune loi ne pouvait entamer, aucune sentence retrancher, le droit de devenir meilleur, même en prison, même coupable.

La vie, sa vie menacée, son honneur bafoué, parce qu’il fut pendant cinq ans le ministre le plus attaqué de France, cible d’une haine dont l’écho résonne encore dans cette place Vendôme. Mes chers compatriotes, tout à l’heure vous l’avez applaudi dans cette même place, où, alors, des voix de haine s’élevaient pour l’attaquer en raison de cette abolition.

La vie, cette vie sacrée, garantie par l’État de droit, par les lois fondamentales de la République, cette « primauté de la personne humaine » inscrite dans une décision du Conseil Constitutionnel qu’il présida, et dont il était spécialement fier. Vie d’étude et de sagesse, à la tête de cette institution, vie vouée à défendre la dignité de chacun et l’unité de la République jusqu’aux bancs du palais du Luxembourg.

Protéger les vies et qu’importe les frontières, vies brisées par les fers de l’Histoire, arrachées par des assassins qu’il voulait voir jugés dans les cours internationales. Vies au-delà de la France, sa patrie, lui qui aida tant de pays européens sortis de la dictature ou de la guerre à inventer leur Constitution.

Oui, Robert Badinter avait choisi la vie, la vie heureuse, la vie en République. Souvenirs des rêves de ses parents, Juifs de Bessarabie, pour qui la France se disait avec les mots de Zola et les paroles de la Marseillaise. Souvenirs des vies héroïques, ces habitants de Cognin, en Savoie, qui savaient que les Badinter réfugiés-là étaient Juifs et ne dirent rien aux Allemands. Robert Badinter, la République faite homme.

La vie contre la mort. Cette vie portée jusqu’à son dernier souffle, cet élan de colère qui fustigeait le négationniste le traînant, lui, l’avocat, sur les bancs des accusés en mars 2017. Cette vie, la sienne, qui en changea tant d’autres, qui en inspira tant d’autres, qui en éclaira tant d’autres, lucides sur la chance qu’ils eurent de croiser un jour ce géant du siècle, et à mon tour, je mesure cette chance.

La vie plus sombre, depuis vendredi matin, pour nous tous et pour les Français pleurant aujourd’hui sa force de colère, sa force de lumière, qui nous grandissaient tous.  

« Les morts nous écoutent ». Oui, les morts nous écoutent. Robert Badinter, vous nous écoutez désormais et vous nous regardez. Conscience morale que rien n’efface, pas même la mort, que le chagrin élève au rang d’exigence. Et vous nous quittez au moment où vos vieux adversaires, l’oubli et la haine, semblent comme s’avancer à nouveau, où vos idéaux, nos idéaux, sont menacés : l’universel qui fait toutes les vies égales, l’État de droit qui protège les vies libres , la mémoire qui se souvient de toutes les vies.

Nous faisons aujourd’hui le serment, je fais le serment, d’être fidèles à votre enseignement. Fidèles. Vous pourrez écouter nos voix couvrir celle des antisémites, des négationnistes, comme votre voix couvrait la leur, les réduisait au silence. Fidèles. Vous pourrez écouter des audiences, des plaidoiries, des lectures de jugement, chœur vibrant de l’État de droit, si souvent remis en cause au moment où vous partez. Fidèles. Pour que vous puissiez écouter un jour, quand le Parlement du dernier pays pratiquant la peine de mort dira : elle est abolie, mettant le point final à notre combat universel.

Nous serons fidèles. Pour ceux qui ont été tués, pour ceux qui n’avaient pas tué, pour tous vos morts, pour ceux qu’il faut sauver. Pour Simon. Pour Idiss, pour Shindléa, pour Naftoul, nous serons fidèles. Pour cette part d’humanité qui fut si longtemps oubliée dans le siècle et demeure si fragile, nous serons fidèles. Car c’est vous, qui, aujourd’hui, parmi la foule, nous êtes fidèle.

Vigie aux sourcils broussailleux, fendu d’un sourire soudain, vibrant d’indignations et d’une colère juste quand sont attaqués les principes universels, vous nous restez fidèle, comme vous l’étiez chaque année, en silence, homme parmi les hommes, rue Sainte-Catherine à Lyon, pour commémorer la rafle où fut enlevé votre père, un 9 février, encore.

Vous êtes là, aujourd’hui, parmi nous. Les lois de la vie et de la mort comme suspendue, vaincue, abolie. Alors, s’ouvre le temps de la reconnaissance de la Nation. Aussi votre nom devra s’inscrire, aux côtés de ceux qui ont tant fait pour le progrès humain et pour la France et vous attendent, au Panthéon.

Vive la République. Vive la France.

Emmanuel Macron, le 14 février 2024 à Paris.


Source : www.elysee.fr

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20240214-discours-macron-badinter.html



 

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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 04:28

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée... Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. » (l'abbé Pierre, le 1er février 1954 sur Radio Luxembourg).




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Il y a exactement soixante-dix ans, le 1er février 1954, l'abbé Pierre lançait son fameux appel sur la radio RTL (alors Radio Luxembourg) pour demander la solidarité nationale en faveur des personnes qui n'avaient pas de logis et qui avaient froid à en mourir, l'hiver 1954 ayant été un hiver très rigoureux en France.

À 41 ans, Henri Grouès, le nom d'état-civil de l'abbé Pierre, était déjà assez connu au moment de cet appel. Élevé chez les Jésuites, scout de France, ordonné diacre le 18 décembre 1937, puis prêtre le 24 août 1938, l'abbé Pierre a commencé comme vicaire de la basilique Saint-Joseph de Grenoble nommé le 14 mai 1939. Il avait alors 27 ans quand la guerre a éclaté et il a été mobilisé en décembre 1939. Il fut nommé aumônier de l'hôpital de La Mure en octobre 1940, puis de l'orphelinat de La Côte-Saint-André. Puis, vicaire de la cathédrale Notre-Dame de Grenoble, l'abbé Pierre a sauvé des enfants juifs dont les parents avaient été raflés. À partir de novembre 1943, il fut très engagé dans la Résistance, au sein des maquis du Vercors et de la Chartreuse, autour de Grenoble, créant et dirigeant même un réseau. Il a également fait passer clandestinement en Suisse le jeune frère du Général, Jacques De Gaulle.

À la Libération, engagé politiquement proche du mouvement de résistance chrétienne que fut le MRP (Mouvement républicain populaire), en d'autres termes, les démocrates chrétiens, avec l'accord de l'archevêque de Paris, l'abbé Pierre a été élu trois fois député de Meurthe-et-Moselle d'octobre 1945 à juin 1951 (il fut membre du MRP, puis, à partir de 1950, de la Ligue de la Jeune République, le mouvement créé en 1912 par Marc Sangnier comme prolongement du Sillon, après sa démission le 28 avril 1950 du MRP pour protester contre la position du MRP après la mort accidentelle d'un ouvrier à Brest). Sans le soutien du MRP, il échoua à sa réélection aux élections législatives du 17 juin 1951.

Député, Henri Grouès n'a pas chômé et a utilisé ses indemnités parlementaires à créer la base matérielle du mouvement Emmaüs qu'il a fondé en novembre 1949 à Neuilly-Plaisance. L'idée générale était de recréer du lien social chez des personnes qui avaient tout perdu, en particulier leur propre dignité vis-à-vis d'elles-mêmes. Cette lutte contre l'exclusion et la pauvreté avait alors une devise : viens m'aider à aider ! Non seulement la personne aidée retrouve des bases pour revivre matériellement et socialement, mais elle est aussi dans l'engagement pour aider les autres et se retrouve ainsi utile. Ce n'est donc pas de l'assistanat, mais de la solidarité active et mutuelle.

La principale activité fut la récupération. Aujourd'hui, les communauté Emmaüs ont envahi le monde, et ont un rôle économique très utile, à tel point que certains centres de dépôts Emmaüs sont localisés près d'une déchetterie (comme c'est le cas à Châtellerault). La disparition des dépôts-vente de type Trocante à cause du e-commerce rend les dépôts Emmaüs d'autant plus importants, ne serait-ce que lorsqu'il est question de vider une maison familiale (vêtements, livres, vaisselles, meubles, bibelots, etc.). La revente de tous les objets donnés est le modèle économique, aujourd'hui un peu réduit par la forte concurrence d'Internet avec la création de sites de revente rapide d'objets d'occasion.


Ancien député, l'abbé Pierre a repris ses activités de prêtre et aumônier, engagé dans de nombreuses actions caritatives au sein d'Emmaüs, cherchant par tous les moyens de récupérer de l'argent pour aider les plus défavorisés (jusqu'à gagner à un jeu radiophonique en 1952). L'hiver 1954 fut particulièrement meurtrier pour les sans-abri en raison de la rigueur saisonnière. Son appel était clair. Il faut créer plein de centres d'urgence avec des couvertures, des matelas, de la nourriture, pour recueillir tous ceux qui dormiraient sinon dehors (autour de 2 000 selon l'abbé) : « La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci ! ».

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La bonne surprise, c'est que son appel a été suivi et entendu : dès les minutes qui ont suivi, un grand mouvement spontané de générosité est apparu. Une véritable "insurrection de la bonté" qui a rapporté 500 millions de francs en dons dès le lendemain, parfois par des célébrités (à l'image de Charlie Chaplin, heureux de proclamer : « Je ne les donne pas [ses 2 millions de don], je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j'ai été et que j'ai incarné ! »). Ainsi, beaucoup de logements d'urgence ont pu être mis à disposition des sans-abri. Par cet engagement total de l'abbé Pierre en faveur des sans-abri, la loi aussi fut modifiée pour interdire les expulsions de locataires, qui ne payaient pas leur loyer, pendant l'hiver.

Inutile de dire que ce qu'a fait l'abbé Pierre pour le logement, bien plus tard, Coluche l'a fait pour la nourriture avec l'idée des restos du cœur, elle aussi lancée d'une émission télévisée très regardée qui a suscité une forte générosité populaire. Et Coluche a aussi permis la modification des lois de finances en permettant une exonération d'une partie des dons apportés aux associations caritatives. Comme Coluche, pas étonnant donc que l'abbé Pierre ait été parmi les personnalités les plus appréciées des Français jusqu'à sa mort le 22 janvier 2007.

On pourra toujours réfléchir sur l'importance de la solidarité et l'engagement personnel qui viennent compléter voire suppléer un État dont cela pourrait être une des missions, celle de venir en aide aux sans-abri. Mourir de froid dans la rue l'hiver était un scandale en 1954, cela reste encore un scandale malheureusement au présent, en 2024. Encore beaucoup trop nombreux dans nos villes françaises.


Le candidat Emmanuel Macron avait "promis" un peu trop naïvement en 2017 qu'il n'y aurait plus de personne qui dormirait dans la rue. Certes, cela nécessite de l'argent pour avoir des hébergements d'urgence capables de recueillir tous ceux qui en auraient besoin, mais indépendamment du problème financier, il y a un véritable enjeu moral, de dignité humaine, qui va aussi avec la liberté individuelle. Or, il ne s'agit pas seulement d'aider en urgence les gens, mais aussi de leur redonner espoir, de leur redonner un sens à la vie, et c'est ce que fait avec beaucoup d'efficacité la grande famille Emmaüs en les rendant utiles à la société.

Ce qui est sûr, c'est que la générosité individuelle reste toujours très large, mais il faut pouvoir l'atteindre, soit par l'émotion dans la communication, soit par des actions précises et ponctuelles. Que ce soit l'aide humanitaire aux Ukrainiens plongés dans une guerre sans merci, l'aide humanitaire aux Marocains sinistrés par un séisme, l'aide alimentaire pour un CCAS local (en une demi-journée, il y a régulièrement plusieurs caddies de nourritures non périssables ou de produits d'hygiène), il y a toujours, comme en 1954, beaucoup de générosité populaire, et qui, d'ailleurs, ne vient pas forcément des plus aisés. C'est cela l'espoir, que l'indifférence n'a pas encore conquis toutes les parcelles du monde. La solidarité ne sera jamais un vain mot.


« Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime ! ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L'appel de l'abbé Pierre.
Viens m’aider à aider !
Le départ d'un Juste.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240201-abbe-pierre.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/l-appel-historique-de-l-abbe-252574

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/01/30/40191586.html




 

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5 janvier 2024 5 05 /01 /janvier /2024 04:39

« Il parle peu, ça le fatigue ou bien ça l'énerve quand on le fait répéter, car sa voix n'est plus toujours placée, je veux dire audible (…). Il a dit à Sophie, la mère de mes filles, qui a fait l'aller et retour dans la journée pour l'embrasser: "C'est mon dernier Noël, tu restes ?". Elle avait prévu de passer Noël avec ses deux autres enfants, elle a quitté Douchy les larmes aux yeux. » (Anthony Delon, "Paris Match" le 4 janvier 2024).




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Dans l'actualité dérisoire du début de l'année se télescopent deux monstres sacrés du cinéma, l'un plus monstre que l'autre, l'autre plus sacré que le premier. Alain Delon et sa famille semblent se déchirer. Querelles de riches, pourraient dire certains, et d'autres, affaire privée assurément.

À part que ce sont tous les deux de grands acteurs qui ont marqué le cinéma français, l'affaire d'Alain Delon n'a rien à voir avec celle de Gérard Depardieu. Je ne sais pas quel était son comportement avec les femmes sur le plateau, mais ce qui questionne ici pour Alain Delon, ce n'est pas de trop parler, c'est plutôt de pas assez parler. À plus de 88 ans, après un AVC en juillet 2019, Alain Delon est vieux. C'est terrible d'être désormais un vieillard, lui qui était si connu pour le beau jeune homme qu'il était dans les années 1960. Il est diminué, comme c'est souvent le cas à son âge (cela fait très longtemps qu'il prône la liberté d'en finir si cela était ressenti comme nécessaire).

L'âge affaiblit tellement qu'il en aurait du mal à parler. C'est hélas commun à bien des personnes âgées. On ne peut même pas dire que ce qui déchire la famille serait comme pour les héritiers de Johnny Hallyday parce que justement, l'acteur ne voulait pas une telle déchirure après sa mort. Alors, il a tout fait pour régler les problèmes de succession de son vivant. Ce qui est fait. Car en mai 2019, Alain Delon avait confié : « Je ne voudrais pas que mes enfants se déchirent comme les Hallyday. Je prépare tout en ce moment. (…) Tout sera réglé avant ma mort, que ça plaise ou pas. Si je ne le faisais pas, ce serait un déchirement, une guerre entre eux, j'en suis sûr. ».


Mais alors, pourquoi la famille se déchire-t-elle ? Je rapprocherais plutôt la polémique de l'affaire Vincent Lambert. De quoi s'agit-il ? D'une mésentente manifeste entre ses trois enfants (reconnus), tous acteurs : Anthony Delon (59 ans), Anouchka (33 ans) et Alain-Fabien (29 ans). Le 5 juillet 2023, la fratrie était pourtant unie pour éloigner la compagne japonaise de l'acteur.

Après une plainte du père à la suite de la parution du dernier "Paris Match" dans lequel était interviewé Anthony Delon, ce dernier s'est répandu dans les médias pour tenter d'expliquer la situation : il ne s'agit pas d'un problème d'héritage, tout est fixé et accepté.


Le problème serait plutôt un problème de fiscalité. Selon son frère qui aurait aussi l'âge d'être son père, Anouchka, résidente suisse, voudrait qu'Alain Delon revienne vivre en Suisse pour éviter d'être considéré comme un résident français et donc, de payer des impôts en France (qui sont beaucoup plus élevés qu'en Suisse, naturellement).

Or, depuis le début de l'été et après une opération, Alain Delon réside dans sa résidence de Douchy, près de Montargis (à 25 kilomètres), où il souhaiterait être enterré, à côté de son cimetière canin où il aurait enterré ses trente-cinq chiens. De plus, son état de santé l'empêcherait de se déplacer, si bien que selon la loi, Alain Delon va devoir payer ses impôts en France, ce qui ne l'ennuie pas vraiment, ni son fils Anthony, même si ce n'est pas leur intérêt. C'est la version d'Anthony qui charge donc Anouchka d'une supposée volonté d'optimisation fiscale (finalement, cela revient à la première affaire Depardieu, celle de 2013 quand il s'était exilé quelque temps en Belgique). De son côté, Anthony Delon considère que la volonté de son père serait de terminer sa vie dans la maison de Douchy.

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Si l'état d'Alain Delon est (encore) très loin de celui de Vincent Lambert qui était à la limite du coma (il n'était capable d'aucune réaction de communication), il apparaît tout de même que chacun des deux enfants en opposition fasse parler leur père selon son propre schéma et pas le sien.


Effectivement, l'avocat d'Alain Delon a déclaré que l'acteur lui aurait dit : « Qu'Anthony me foute la paix, et qu'il foute la paix à ma fille ! ». Selon cet avocat, « Alain Delon est extrêmement choqué du déballage médiatique orchestré par son fils Anthony, qui n'a qu'un seul but, nuire à la réputation de sa fille Anouchka, lui nuire. ». Anthony Delon a considéré, lui, que son père n'était pas en état de dire autant de choses au téléphone, et qu'il agissait avant tout pour le bien de son père.

En d'autres termes, la question pratique et concrète, urgente même, qui se pose à la famille, et peut-être au juge s'il faut un tiers impartial, c'est quel est le souhait réel d'Alain Delon, où veut-il vivre et finir sa vie ? Cette question ne regarde évidemment que la famille et certainement pas un public qui ne connaît l'acteur que par ses films. C'est une affaire privée.

Néanmoins, je remarque que c'était le même problème avec Vincent Lambert dont la famille s'est déchirée sur une supposée volonté d'en finir ou pas avec la vie dans son état de profond handicap, dans un débat judiciaire acharné entre sa femme et sa mère (cette dernière est morte le 19 décembre 2022). Là aussi, c'était une question complètement privée (qui doit se poser pour de nombreuses personnes en fin de vie incapables de communiquer clairement sur leurs propres souhaits), mais qui a débordé dans l'espace public dès lors que la justice a été mobilisée (jusqu'au Conseil d'État).

Immanquablement, ces tensions familiales pourraient surgir dans l'application d'une éventuelle loi sur l'euthanasie. L'absence de volonté clairement établie pourrait prêter à toutes les interprétations. Souvent, heureusement, la famille est unie face à la proximité du départ de l'un des siens, mais il peut arriver des situations inextricables. L'enjeu, alors, serait beaucoup plus grave que de savoir dans quelle résidence une personne âgée souhaite vivre le restant de ses jours, la question serait alors de savoir si elle doit vivre encore ou pas.

Dans ce genre d'affaire, bien sûr, germe l'idée d'un possible abus de faiblesse (c'était l'action judiciaire des trois enfants contre la compagne japonaise en été 2023, classée sans suite très récemment), et Anthony Delon a cité aussi le cas de la famille de Liliane Bettencourt, où sa fille unique avait attaqué son compagnon pour abus de faiblesse (la milliardaire de L'Oréal est morte après une réconciliation avec sa fille). Lorsqu'il y a des fortunes en jeu, il y a toujours des risques d'abuser de l'état très âgé d'une personne.

La capacité à vivre plus longtemps est une chance pour les personnes, certaines sont même capables de continuer à réfléchir sur la société à 102 ans, c'est le cas du sociologue Edgar Morin. Mais cela implique aussi que beaucoup de personnes, qui mouraient avant plus tôt, vivent désormais avec des dégradations cognitives telles qu'il est difficile de connaître leurs réelles volontés sur leur propre condition de vie, leurs préférences, etc.

D'où l'importance de se préparer à cet état de vie dégradé, et d'exprimer clairement à leurs proches, tant qu'elles le peuvent, leurs volontés et leurs préférences. Et bien sûr, cela ne s'arrête pas aux seules directives anticipées (dont la loi Claeys-Leonetti a renforcé le cadre juridique), mais aux souhaits plus généraux de leur cadre de vie.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2024)
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Pour aller plus loin :
Affaire Alain Delon : ce que cela nous dit de la fin de vie.
Michel Bouquet.
Juliette Carré.
Gérard Depardieu.
Carole Bouquet.
Guy Marchand.
Claude Villers.
Cyril Hanouna.
Maria Callas.
Bernard-Henri Lévy.
Catherine Deneuve.
Fernand Raynaud.
Hubert Deschamps.
Marcel Zanini.

Roman Polanski.
Roger Pierre.
Jean-Marc Thibault.
Richard Attenborough.

Jean-Pierre Melville.
Maria Pacôme.
Serge Gainsbourg.
Jane Birkin.
Justine Triet.
Clint Eastwood.
Les Randonneuses (série télévisée).
L'Affaire d'Outreau (documentaire télévisé).
Lycée Toulouse-Lautrec (série télévisée).
À votre écoute, coûte que coûte !

Tina Turner.
Florent Pagny.
Claude Piéplu.
Arielle Dombasle.
Jacques Dutronc.

Richard Gotainer.
Sarah Bernhardt.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Comment va Alain Delon ?
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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3 janvier 2024 3 03 /01 /janvier /2024 14:31

« Je suis parti dès que la guerre a commencé. (…) Lorsque le Général De Gaulle a lancé son appel pour le rejoindre, j’ai dit "j’irai", mais personne ne m’a cru ! » (Michel Cherrier, mai 2015 à "Liberté Caen").



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Il ne reste plus beaucoup de survivants parmi les combattants ou victimes de la Seconde Guerre mondiale. Le cultivateur corrézien Pierre Pranchère, ancien résistant à 15 ans et ancien député communiste à 29 ans, est mort le 30 décembre 2023 à 96 ans. L'ancien déporté Claude Bloch, rescapé des camps d'extermination, vient aussi de s'éteindre le 31 décembre 2023 à 95 ans. Michel Cherrier aussi s'est éteint à Luc-sur-Mer, dans le Calvados, ce mardi 2 janvier 2024 à presque 103 ans (né le 23 février 1921 à Dives-sur-Mer). Ancien résistant, il n'a pas hésité à s'engager aux côtés de la France libre.

Il aura franchi le cap de l'année 2024 mais il sera donc absent des commémorations des 80 ans du Débarquement de Provence auquel il avait vaillamment participé. Le Président de la République Emmanuel Macron a tweeté le lendemain de l'annonce : « Nous penserons à lui et ses camarades ! ».

Il est des personnages qui ne paient pas de mine. Michel Cherrier, paisible boulanger de Luc-sur-Mer pendant vingt-six ans (de 1961 à sa retraite en 1987), doyen de la commune depuis longtemps, était un héros. Dès l'avancée allemande en mai 1940, quand le front est arrivé à Évreux, Michel Cherrier a quitté la boulangerie qui l'employait à Caen pour fuir à vélo. Il est allé d'abord à Vierzon, mais c'était déjà occupé par les Allemands, puis il a entendu l'appel de De Gaulle et a voulu le rejoindre à Londres.

Après sa première tentative à Vierzon (il est retourné à Caen grâce à son père), Michel Cherrier a tenté une deuxième fois de s'engager six mois plus tard. Il voulait rejoindre le Portugal pour gagner l'Afrique du Nord. Plaimpier, dans le Cher, Saint-Florent, puis un train en direction de Toulouse. Après un contrôle, il a prétexté qu'il cherchait du travail et a été recruté aux douanes. Le franchissement de la zone libre par les troupes allemandes en novembre 1942 l'ont convaincu de persévérer. Il a rejoint alors Saint-Giron et a commencé la traversée des Pyrénées : « On m’a mis sur le chemin de l’Espagne. J’ai traversé un col à 2 500 mètres d’altitude avec un gilet et des chaussures de ville. ».


Hélas, à son arrivée en Espagne, Michel Cherrier a été arrêté par les troupes franquistes et il est resté un mois en prison, à Noël 1942. Il a été ensuite transféré au camp de concentration de Miranda où il fut interné pendant six mois encore, puis libéré par la Croix-Rouge. Ce fut à ce moment qu'il s'est engagé aux Forces navales françaises libres (FNFL). Il a rejoint les Américains à Casablanca, au Maroc, puis, on l'a envoyé aux États-Unis pour aller chercher un escorteur, puis il est passé en Italie pour faire le Débarquement de Provence en 1944.

En décembre 1945, il a été relevé de ses obligations militaires, mais il s'est rengagé pendant deux ans pour l'Indochine. En 1948, il a repris son activité de boulanger à Caen, et s'est ensuite installé avec son épouse à Luc-sur-Mer où ils tenaient une boulangerie et un salon de thé.

Avec beaucoup d'autres médailles et décorations, Michel Cherrier a reçu le 8 mai 2015 les insignes de chevalier de la Légion d'honneur des mains du préfet du Calvados. Il était normal qu'il reçût une telle reconnaissance de la France. L'annonce de sa mort a d'abord été communiquée par la commune de Luc-sur-Mer le 2 janvier 2024, confirmée ensuite par la préfecture du Calvados. Il était un militant associatif très actif au sein des organisations d'anciens combattants. Grâce à des personnes courageuses comme lui, la France a été libérée et s'est retrouvée parmi les vainqueurs de la guerre. Cinq ans auparavant, ce n'était pas gagné...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Michel Cherrier.
Claude Bloch, passeur de mémoire.


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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240102-michel-cherrier.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/michel-cherrier-boulanger-et-252348

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