« Quand je suis arrivée à la tête du parti, on nous expliquait que le PS était un cadavre à la renverse et qu'il faisait pitié. Ce n'était pas faux. Depuis, nous avons réussi à travailler collectivement et je suis très fière de ce travail. » (Martine Aubry, le 25 août 2011 dans "Le Parisien").
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Le titre paraphrase une formule choc de Dominique Strauss-Kahn, son camarade et rival socialiste, lors d'un journal de 20 heures sur TF1, celui du dimanche 18 septembre 2011, après sa mésaventure du Sofitel : « J'ai manqué mon rendez-vous avec les Français. ». Il était pourtant le favori des sondages pour l'élection présidentielle de 2012... et le destin a pris une autre voie.
L'ancienne ministre Martine Aubry, qui fête ses 75 ans ce vendredi 8 août 2025, a, elle aussi, manqué son rendez-vous avec les Français. Ou ses rendez-vous. Elle a démissionné de son poste de maire de Lille le 21 mars 2025 après presque vingt-quatre ans de mandat et peut-être qu'on ne retiendra que cela d'elle, succédant à Pierre Mauroy, trente ans de maire de Lille, alors qu'on aurait pu imaginer plus. Ce mandat, et les RTT (jours de réduction du temps de travail).
Car de toutes les femmes qui pouvaient sérieusement peser dans la vie politique et l'avenir de la France, c'est-à-dire devenir Première Ministre avec une véritable autorité politique ou Présidente de la République élue au suffrage universel direct, comme Simone Veil, Ségolène Royal, Marine Le Pen, Michèle Alliot-Marie (et je pense qu'il n'y a plus d'autres exemples de ce cercle très fermé), Martine Aubry avait sans doute le plus de chance de réussir, de gouverner.
Fille de Jacques Delors, ce qu'elle n'a jamais vraiment mis en avant au point de garder le patronyme de son premier mari malgré son divorce, Martine Aubry a surtout hérité de ses hésitations, de cet obstacle ultime avant de franchir le Rubicon, celui de son ambition personnelle qu'elle a toujours mise après une ambition collective. Ni la fille ni le père n'ont jamais imaginé d'être le numéro un en France, d'être le roi (ou la reine) alors qu'ils croyaient avant tout au travail en équipe.
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Pourtant, Martine Aubry ne manquait pas d'occasions de sortir du lot. Énarque (maître de requêtes au Conseil d'État), passionnée très tôt par la politique, elle est passée par les cabinets ministériels et par le groupe Péchiney (en tant que directrice générale adjointe) avant d'être bombardée très influente Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle (un secteur qu'elle connaît excellemment) du 16 mai 1991 au 29 mars 1993 dans les gouvernements dirigés par Édith Cresson et Pierre Bérégovoy.
À cette sortie du gouvernement pour cause de nouvelle cohabitation, elle a rapidement acquise la réputation d'une bosseuse mais aussi d'une personnalité politique très forte, capable d'autorité et de vision, aux convictions solides, même si elle a refusé de se présenter tant aux élections législatives de mars 1993 qu'aux élections européennes de juin 1994.
Elle a acquis une belle réputation au point que deux années plus tard, alors que son père Jacques Delors venait de renoncer à se présenter à la Présidence de la République, Martine Aubry, jeune femme de 44 ans, se trouvait en tête des sondages pour désigner le futur candidat socialiste à l'élection présidentielle de 1995. Pour elle, pas question d'y aller maintenant, c'était trop tôt, elle ne se considérait pas en condition pour y aller, sans doute se sentant trop jeune, trop inexpérimentée dans la vie politique.
Lionel Jospin y est allé, qui lui a confié la mission de rédiger son programme (avec son ami Claude Allègre) et qui lui a donné un brevet d'excellence dans son meeting du 18 avril 1995, considérée comme la « femme politique la plus brillante d'aujourd'hui ». Deux autres personnalités ont eu un tel brevet dans l'histoire politique française : Raymond Barre proclamé « le meilleur économiste de France » par Valéry Giscard d'Estaing, et Alain Juppé proclamé « le meilleur d'entre nous » par Jacques Chirac. Des expressions qui ont collé à leur peau pour le bonheur de leurs dénigreurs.
Si Lionel Jospin n'a pas été élu en 1995, il a réussi à étonner les observateurs politiques focalisés sur le duel entre Jacques Chirac et Édouard Balladur en s'arrogeant la première place du premier tour, ce qui lui a apporté la victoire aux élections législatives anticipés de juin 1997, deux ans plus tard, et l'a conduit à diriger le gouvernement pendant cinq ans, de juin 1997 à mai 2002.
L'ancien Premier Ministre Pierre Mauroy a vu aussi en elle sa successeure à la mairie de Lille. Le parachutage ne s'est pas forcément bien passé au début, mais toujours est-il qu'aux élections municipales de juin 1995, juste après l'élection présidentielle, Martine Aubry a été élue première adjointe au maire de Lille sur la liste de Pierre Mauroy. Encore une fois, un mandat d'héritière et pas de conquérante, mais qui montrait son envie de s'implanter politiquement et de compter durablement dans la vie politique. Elle a même tenté de conquérir le club deloriste Témoins tenu par François Hollande et Ségolène Royal.
Juin 1997 a été l'heure de gloire de Martine Aubry. Élue députée du Nord (pour la première fois) après la dissolution décidée par Jacques Chirac, elle a été la première des ministres de la "dream team" de la gauche plurielle. Numéro deux dans le gouvernement Jospin en tant que Ministre de l'Emploi et de la Solidarité du 4 juin 1997 au 18 octobre 2000, elle était placée juste avant Dominique Strauss-Kahn, lui nommé à l'Économie et aux Finances, et les deux ministres étaient considérés comme les premiers-ministrables d'un Premier Ministre en tête des sondages de la prochaine élection présidentielle de 2002.
À cause de sa filiation avec Jacques Delors considéré comme un socialiste de l'aile droite, Martine Aubry, pour éviter cette étiquette (celle de social-traître), a toujours gauchi ses discours, plus que par sincérité, pour être acceptée par ce que les socialistes appelaient le "peuple de gauche" (expression affreuse et anti-républicaine). Résultat, elle a pris à cœur de réaliser la seule chose économique réellement importante du quinquennant Jospin, et qui restera dans l'histoire politique comme l'une des plus néfastes, à savoir la réforme des 35 heures (de travail par semaine, payées 39 heures). Une réforme anti-économique et anti-sociale qui est passée à court terme grâce à une embellie de la conjoncture économique internationale mais qui a plombé l'économie française les vingts années suivantes.
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Du reste, si Martine Aubry a été élue maire de Lille en mars 2001 (grâce au retrait et au soutien de Pierre Mauroy), elle a été battue en juin 2002 aux élections législatives (elle avait pourtant démissionné du gouvernement en automne 2000 pour se consacrer à son implantation à Lille).
À partir de 2002, Martine Aubry, de jeune espoir, est devenue une éléphante décevante du parti socialiste. Déjà, elle aurait pu, tout comme Dominique Strauss-Kahn, autre numéro deux jospiniste, prendre la tête du PS et de l'opposition dès l'été 2002 mais faute de vision politique et tactique, les deux, par trop grande prudence, ont laissé le terrain à Ségolène Royal qui s'est alors imposée dans les sondages comme candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2007. C'est après la défaite de cette dernière que Dominique Strauss-Kahn, de nouveau en vogue dans les sondages, a tenté un retour mais son acceptation du poste de directeur général du FMI (Fonds monétaire international) l'a rendu politiquement inaudible.
Pour la primaire socialiste d'octobre 2011, la première ouverte à tous les électeurs, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry et Laurent Fabius avaient conclu un pacte dès la démission de François Hollande de la tête du PS en 2008. À Martine le PS et à DSK l'Élysée (aidé par les sondages). Martine Aubry serait alors devenue la Première Ministre de DSK.
Le congrès de Reims en novembre 2008, première étape pour disqualifier Ségolène Royal, a tourné au désastre. Martine Aubry est parvenue à conquérir le poste de première secrétaire du PS (du 26 novembre 2008 au 17 septembre 2012), et à ce titre, la première femme, et la seule femme à avoir été à la tête du parti socialiste, mais d'extrême justesse et après cuisine politicienne, et si elle a pu éloigner le danger que représentait Bertrand Delanoë (maire de Paris), également haut dans les sondages, elle n'a pas pu écarter Ségolène Royal.
Évidemment, le scandale du Sofitel en mai 2011 a bouleversé les choses. Il a fallu attendre plus d'un mois pour que Martine Aubry, peu préparée, ait décidé de reprendre la candidature laissée par DSK en se présentant elle-même à la primaire socialiste d'octobre 2011. Elle a dû sans arrêt justifier qu'elle voulait gagner, ce qui faisait pressentir un faible enthousiasme face à François Hollande qui n'avait jamais cessé d'y penser depuis 1997 ! Conclusion, François Hollande l'a battue au second tour et son poste à Matignon ne pouvait que s'envoler. Martine Aubry a négocié très mal les investitures du PS aux élections législatives de juin 2012, c'est-à-dire en donnant beaucoup trop de sièges aux écologistes, trop par rapport à leur importance réelle dans le pays, si bien que François Hollande, élu Président, s'est retrouvé avec une majorité à l'Assemblée étriquée, voire inexistante si l'on tenait compte des "frondeurs" du PS qui ont pourri son quinquennat.
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Refusant à François Hollande le poste de numéro deux gouvernement à la tête d'un grand ministère de la Culture et de l'Éducation nationale (c'était Matignon ou rien), Martine Aubry a abandonné la tête du PS et s'est repliée à Lille, ne restant plus qu'un recours qui allait se faire de plus en plus oublier au fil des élections présidentielles et municipales suivantes.
Martine Aubry a donc principalement déçu les militants socialistes qui voyaient en elle la leader d'un PS modernisé et conquérant. En fait, elle n'a été qu'une élue locale très influente à Lille mais ignorée au niveau national. Dans sa retraite, il lui restera la carte de la sagesse : délivrer bonnes et mauvaises notes aux dirigeants du moment. Elle ne s'en est déjà pas privée pour Emmanuel Macron (en mauvaises notes, bien sûr), qui, pourtant, avait accompli le rêve de Jacques Delors, son père, à savoir mettre toutes les personnalités politiques de bonne volonté autour d'une table pour trouver les solutions aux enjeux de la France sans se positionner selon un intérêt de parti ou un dogme idéologique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 août 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les larmes de Martine.
L'inquiétude de Martine Aubry.
Le désir puissant de Martine Aubry.
La future Angela Merkel française ?
Martine Aubry.
Gisèle Halimi.
Georges Lemoine.
Jules Moch.
Jacques Delors.
8e motion de censure pour convenance personnelle (du PS).
Congrès du PS : Saloperies antisémites.
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Congrès du PS : "l'homme le plus riche du cimetière".
Congrès du PS : Olivier Faure est-il en difficulté ?
Congrès du PS : le choc de complexité !
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Congrès du PS à Rennes : l'explosion de la Mitterrandie.
La préparation du congrès de Rennes (27 janvier 1990).
Histoire du PS.
Manuel Valls.
Hubert Védrine.
Julien Dray.
Comment peut-on encore être socialiste au XXIe siècle ?
François Bayrou et la motion de censure de congrès du PS.
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Pierre Joxe.
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La bataille de l'école libre en 1984.
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L'élection du croque-mort.
La mort du parti socialiste ?
Le fiasco de la candidate socialiste.
Le socialisme à Dunkerque.
Le PS à la Cour des Comptes.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20250808-martine-aubry.html
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