Deux jours auparavant, un SDF sexagénaire était écrasé par un camion poubelle. Il dormait dans un carton, dans une petite rue de Valence, et à six heures du matin, il a succombé aux roues d’un ramasseur d’ordures ménagères.
L’abbé Pierre, c’était ça : s’insurger contre une telle misère. Dormir dans la rue. Et mourir dans la rue : de froid l’hiver (son appel de l’hiver 1954 faisait suite à deux morts dans la rue de personnes expulsées de leur logement), ou d’accident malheureux comme ce samedi matin.
En France, c’est de bon ton, c’est à la mode de casser du sucre sur les religions. Comme on n’ose plus le faire pour les juifs et les musulmans de peur d’être taxé d’antisémite ou d’islamophobe, on s’attache plus à ironiser sur l’Église catholique dont l’institution a, comme toute lourde institution, secrété bien des aigreurs.
Pourtant, l’abbé Pierre (Henri Grouès), qui était un homme d’église, était classé comme la personnalité française la plus appréciée des Français dix-sept fois entre 1988 et 2003, ce qui, d’ailleurs, lui donnait le vertige dans sa modestie personnelle.
Je vous épargne hommages nombreux aussi sincères qu’électoralistes (ça se multiplie ce matin) et biographie connue (cf site de wikipédia ou autres liens ci-dessous).
Je ne sais pas s’il mérite des obsèques nationales comme le réclame Valéry Giscard d’Estaing, ni une béatification sur laquelle Mgr Jaques Gaillot reste très réservé afin de préserver l’universalité de l’abbé Pierre (il n’appartient pas à l’Église, il appartient à tous), ni une inhumation au Panthéon comme le propose Laurent Fabius.
Mais l’émotion, oui, banalement, je l’ai.
Plus de 94 ans, c’est normal de mourir. Huit jours d’hospitalisation, des propos rassurants et un oedème pulmonaire. On est fragile, si fragile, à cet âge. Je pouvais m’y attendre. L’émotion n’en est pas moins intacte.
La personnalité de l’homme est extraordinaire : en gros, un révolté qui met en pratique sa révolte.
Courage d’homme d’engagement en devenant prêtre en 1938 et vicaire de Grenoble en 1939.
Courage de résistant en participant à la création des maquis du Vercors et de la Chartreuse.
Courage d’homme d’action, en devenant député MRP de Nancy de 1945 à 1951, puis avec Albert Camus et André Gide, en fondant le comité de soutien à Garry Davis, citoyen du monde.
Courage d’homme public, en faisant cette action si insistante pour tous ceux qui n’ont pas ou plus de logement dès 1949.
Une école avait déjà pris son nom le 17 septembre 2005 en Bretagne.
Bon sportif, il était une sorte de précurseur du Téléthon, en faisant des plongeons spectaculaires dans le seul but d’attirer les médias sur sa juste cause et a participé à un jeu télévisé en 1952 pour gagner 254 000 francs pour ses oeuvres.
Moderne, il ne comprenait pas pourquoi les femmes ne pouvaient pas être ordonnées prêtres ni pourquoi les prêtres ne pouvaient pas se marier (rien de ces deux éléments n’était inscrit dans les Écritures). Mais il se prononçait contre le mariage homosexuel qui "créerait un traumatisme et une déstabilisation sociale très forte".
Comme tout homme, il n’était pas exempt de reproche ni de défaut (colérique, et aussi, doté d’une amitié bienveillante qui lui fit soutenir à tort Roger Garaudy dans la polémique sur le négationnisme de ce dernier).
Mais malgré ces failles, l’abbé Pierre restera avant tout un modèle exemplaire de lutte contre les inégalités, et j’espère qu’il aura de nombreuses émules dans la jeunesse actuelle.
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Abbé_Pierre
(3) http://www.lemonde.fr/web/depeches/0,14-0,39-29464777@7-40,0.html
(4) http://fr.news.yahoo.com/22012007/5/l-abbe-pierre-une-vie-de-combats.html
(5) http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/societe/20070122.OBS7991/
labbe_pierre_est_decedea_lage_de_94_ans.html
(6) http://fr.news.yahoo.com/22012007/5/un-sdf-ecrase-dans-ses-cartons-par-un-camion-poubelle.html
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