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2 décembre 2020 3 02 /12 /décembre /2020 22:10

« Je me demande si l’on n’en a pas trop fait pour les obsèques de François Mitterrand. Je ne me souviens pas qu’on en ait fait autant pour Giscard. » (André Santini, Prix de l’Humour politique 1998).



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On l’avait oublié ? Eh oui, il vaudrait mieux sourire comme le voudrait la petite phrase succulente d’André Santini dont on pourrait même remplacer François Mitterrand par Jacques Chirac, mais ce soir, c’est évidemment une grande tristesse qui m’a envahi l’âme. L’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing est en effet mort ce mercredi 2 décembre 2020, à exactement deux mois de ses 95 ans, des suites de cette saleté de covid-19. L’information est sortie peu après 23 heures. Il venait de sortir de l’hôpital il y a quelques jours. À ma connaissance, sa dernière sortie publique fut l’an dernier pour assister aux funérailles de son successeur Jacques Chirac qui fut aussi l’un de ses rivaux politiques les plus redoutables.

L’histoire avait déjà inscrit son nom sur son livre doré depuis une quarantaine d’années. Ce fut l’inconvénient d’être élu Président de la République jeune, à 48 ans. Battu pour le renouvellement de son septennat, il s’est retrouvé en retrait politique dès l’âge de 55 ans, trop jeune pour jouer au vieux sage, trop jeune surtout pour quitter la vie politique. Et c’était le premier ancien Président de la Cinquième République avec toute sa santé, sa belle santé pendant longtemps. Alors, il s’est mis à espérer à un retour, pour 1988 (il n’avait que 62 ans), pour 1995 (69 ans), etc.

Il a repris son bâton de militant politique dès l’année suivant sa défaite, dès mars 1982 où il s’est fait élire conseiller général du Puy-de-Dôme, puis député (en 1984), député européen (en 1989), président du conseil régional d’Auvergne (en 1986). Il a même cherché à se faire élire maire de Clermont-Ferrand (il n’a jamais réussi). Il a tout été sauf sénateur …et Premier Ministre. Il a été élu président de l’UDF qu’il avait contribué à fonder en 1978. Et finalement, il n’a jamais été bien élu qu’à l’Académie française, le jour où il a renoncé à toutes velléités élyséennes (élu le 11 décembre 2003, il s’y est fortement ennuyé, encore une désillusion qui est tombée). La retraite, depuis un peu plus de deux septennats…

Mais dans cette vie élective postélyséenne ultradense (aucun ancien Président n’a eu une vie politique si active), hyperactive (il présida aussi la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale de 1987 à 1989 et de 1993 à 1997), j’ai oublié le plus important pour lui, cette fonction si symbolique, Président de la Convention sur l’avenir de l’Europe. Il y a été nommé lors du Conseil européen à Laeken le 15 décembre 2001 pour présider les travaux de préparation du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE), inspirée de la Convention de Philadelphie (du 25 mai 1787 au 17 septembre 1787 pour aboutir à la Constitution des États-Unis d’Amérique).

Les travaux à 105 membres (dont Michel Barnier, Jean-Luc Dehaene, Giuliano Amato, Joshka Fischer, Dominique de Villepin, Georges Papandreou, Jacques Santer, Gianfranco Fini, Elio Di Rupo, Hubert Haenel, Pierre Lequiller, Lamberto Dini, Frans Timmermans, Alain Lamassoure, Antonio Tajani, Olivier Duhamel, Jozef Oleksy, ) ont couru du 28 février 2002 au 29 octobre 2004. Le nouveau Traité de Rome a finalement été abandonné après l’échec notamment du référendum français du 29 mai 2005. Dommage, expliquait VGE, car c’était la dernière occasion pour la France de peser considérablement sur les travaux de 28 pays européens. Jamais plus la France ne pourra peser aussi fortement sur l’avenir de l’Europe pour y insuffler l’esprit français que pendant cette convention qu’il a présidée.

Il y a une image très trouble de Valéry Giscard d’Estaing, une sorte de déphasage entre son caractère, sa manière d’être, sa personnalité, d’un côté, et son état d’esprit, sa pensée politique, sa tradition libérale, son centrisme, de l’autre côté. Le caractère le rendait distant, froid, glacial, un peu à l’instar de son épouse, pour la première fois invitée à l’accompagner à exprimer ses vœux présidentiels à la télévision qui parlait de vœux chaleureux de manière très glaciale. Ce glacis de personnalité, cette distance qui n’a jamais que fait s’accroître au cours de son septennat, ses aspects un peu aristocrates sur les bords, cet orgueil assumé qu’il était le meilleur, cette idée générale qu’il était au sommet de tout, l’intellectuel et le politique, la perfection, collaient mal avec son état d’esprit, son souci de décrispation politique, sa volonté d’en finir avec la guerre politique, sa volonté de réunir deux Français sur trois (titre d’un bouquin postélyséen), ce besoin de ne plus diviser le pays mais au contraire le rassembler.

Son problème, dans ce projet politique de réunification que finalement Emmanuel Macron a su reprendre et faire triompher (il a eu justement le soutien de deux électeurs sur trois au second tour en 2017), c’était que le temps était à l’union de la gauche, seule stratégie possible pour un François Mitterrand avide de pouvoir qui s’était séparé définitivement de ses potentielles alliances centristes au profit d’un rapprochement avec le parti communiste français qui valait encore autour de 20% au début des années 1970 (15% en 1981). Il était donc impossible d’imaginer une Troisième force réussissant l’UDF et le PS au sein d’un même gouvernement comme VGE l’aurait rêvé.

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C’est ce décalage personnalité/aspirations politiques qui lui a rendu compliquées les choses : l’échec de 1981 par une image démonétisée, le bilan de son septennat régulièrement oublié du fait qu’il fut l’interface entre les Trente Glorieuses et les décennies ininterrompues de crise économique, mais aussi entre le gaullisme historique et l’alternance à gauche. À l’évidence, l’homme n’était pas en phase avec le peuple, et aujourd’hui encore, je me demande comment ce fort en thème a pu être élu, lui qui angoissait les journalistes qui n’avaient pas tout compris après une longue et savante explication de sa politique. Comment VGE aurait-il pu survivre à l’ère du tweet et du slogan simplificateur ? Pour comprendre, peut-être était-il en phase avec son époque plus qu’avec le peuple ?

Car le moderne, c’était bien lui. Pendant une décennie, cela se bataillait au centre pour savoir qui serait le Kennedy français : Jean Lecanuet aux dents blanches ? Chaban le sportif ? JJSS dit le réformateur ? Non, ce fut finalement Valéry Giscard d’Estaing. Il a adopté un mode de communication de type artisan là où le gaullisme était une industrie. Son parti n’a jamais été que petit mais il est parfois des PME qui remportent des marchés sur les grands groupes.

VGE a misé sur une communication moderne, jeune, et faite de proximité. On pouvait en rire, ses dîners chez des "Français moyens", ses petits-déjeuners avec les éboueurs, et même, ses visites de prisonniers en allant en vacances au volant de sa voiture… ses images de sportif (tennis, bain de mer, etc.)… Cela pouvait sonner faux (plus encore aujourd’hui qu’à l’époque), mais c’était une innovation politique fondatrice. Tout cela était nouveau, a désacralisé la fonction présidentielle, l’a rendue plus proche des Français, plus "normale". Pas de cordon de Légion d’honneur, plus d’habit à queue de pie, le costume de ville, classique, simple. Pas de photo orgueilleuse comme c’était le cas pour tous ses prédécesseurs, toutes Républiques confondues. Juste le drapeau tricolore (mal cadré d’un pourtant très grand professionnel). Les successeurs ont dû suivre le mouvement.

Dans le match de postérité qui s’opère dès maintenant entre Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, rivaux jusque dans la nuit, le premier a encore une longueur d’avance car Chirac aimait charnellement les Français. Giscard, lui, les aimait, mais de manière beaucoup trop cérébrale. Quant à De Gaulle, il aimait surtout la France. Et François Mitterrand l'argent des Français.

Mais sur la question du bilan : que reste-t-il concrètement tant de leur Présidence que de leur vie politique ? il n’y a pas photo et l’Histoire saura retrouver les marques du passé. Il ne s’agit évidemment pas de faire de compétition car finalement, j’aurais du mal à dire qui je préférerais de ces deux rivaux. Je les apprécie tous les deux, pour ce qu’ils ont été, avec leurs failles et leurs erreurs. L’émotion est pourtant forte lorsqu’on regarde les faits, ce qu’on doit, ce que la France doit à Giscard, ce que l’Europe doit à Giscard, ce que le monde doit à Giscard.

Oui, cela peut paraître étonnant, mais le réformateur le plus important depuis De Gaulle, c’est sans contestation possible Giscard. Certes, François Mitterrand a cru qu’il pouvait bouleverser les choses mais en fait, il a été si peu à l’écoute des besoins de la société que la plupart de ses réformes ont été annulées par les gouvernements suivants au point que le mot le plus important de sa campagne de 1988 fut le "ni-ni". Giscard, lui, il n’a pas eu peur de réformer au point d’être applaudi par la presse de gauche (et détesté par une certaine presse de droite). Au point de donner le droit à une jeunesse militante qui ne pensait qu’à gauche.

L’énumération ? La création d’un Ministère de la Condition féminine, l’abaissement de l’âge de la majorité politique à 18 ans, la légalisation de l’IVG, l’élection au suffrage universel direct des députés européens (le premier pas dans une démocratisation d’une Europe déjà trop fonctionnarisée), l’institutionnalisation des Conseils européens, à savoir des sommets réguliers des chefs d’État et de gouvernement de l’Europe, mesure qui aurait pu paraître nationaliste mais qui s’est montrée très efficace dans la construction européenne pragmatique, et enfin, l’institutionnalisation des G7 et futurs G20, afin de permettre un minimum de régulation économique mondiale après la décision unilatérale des Américains sur la fin de la convertibilité du dollar. Même la création de l’UDF a été aussi une mesure historique dans la vie politique, réunir les courants centristes en un parti fort, qui pouvait faire jeu égal avec les gaullistes et les socialistes, était d’autant plus un exploit que l’UDF a finalement perduré, dans sa forme initiale, jusqu’en 2002, soit presque un quart de siècle. Sur un plan plus régional, le parc Vulcania, sur le modèle du Futuroscope de René Monory, a été initié par VGE.

Valéry Giscard d’Estaing était en décalage complet entre ce qu’il était et ce qu’il pensait. Il était hautain, voire méprisant, il n’a jamais voulu que montrer, bien montrer sa supériorité intellectuelle, une supériorité pourtant inutile de rappeler tant elle était évidente, au point de sombrer dans une vanité littéraire quasi-risible (ses ambitions de romancier furent peu soutenues). Il pensait tolérance et réconciliation. Il voulait la proximité et le contact direct, au point qu’il pouvait répondre personnellement aux courriers adressés à lui après son septennat, lorsqu’il présidait l’UDF (j’en ai même connu qui aurait voulu le voir candidat à l’élection présidentielle de 2002, à 76 ans !).

Je reviendrai évidemment sur la personnalité et le bilan politique de Valéry Giscard d’Estaing, homme hors de l’ordinaire. Mécanique intellectuelle bien huilée encore jusqu’à très récemment, il était l’un des derniers dinosaures de l’histoire politique. Il a commencé député sous la Quatrième République, il a été l’un des derniers survivants des gouvernements sous les mandats de De Gaulle. Giscard n’a jamais vraiment fait rêver les Français. Il a fait mieux, il leur a permis de croire qu’ils étaient un peuple intelligent. Il était l’enchanteur de l’ambition française.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 décembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Giscard l’enchanteur.
Valéry Giscard d’Estaing et les diamants de Bokassa.
Valéry Giscard d’Estaing et sa pratique des institutions républicaines.
VGE, splendeur de l’excellence française.
Propositions de VGE pour l’Europe.
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1).
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (2).
Loi n°73-7 du 3 janvier 1973.
La Cinquième République.
Bouleverser les institutions ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201202-vge.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/giscard-l-enchanteur-229206

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/09/15/38536047.html





 

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