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27 juin 2021 7 27 /06 /juin /2021 03:04

« L’homme est le seul animal doté de la parole. Mettant cet avantage à profit, il a appris à parler pour ne rien dire. Il ne ferme sa gueule qu’en une seule circonstance : devant l’injustice. » (Frédéric Dard, "Réflexions poivrées sur la jactance", éd. Fleuve Noir, 1999).




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Le romancier Frédéric Dard est né il y a 100 ans, le 29 juin 1921 (entre Lyon et Grenoble, à Bourgoin-Jallieu, dans le nord de l’Isère). Ce siècle n’est pas passé inaperçu, du moins à la Médiathèque de la ville des Mureaux qui lui a consacré une exposition aux 100 piges de l’écrivain du 1er au 30 avril 2021.

À la maison, quand j’étais gosse, il y avait au fond du sous-sol une cantine complète qui contenait des dizaines de volumes de la célère série policière San-Antonio. Ils étaient sans imprimatur. Question d’âge plus que d’époque. Des photos de couverture un peu olé olé… Oui, Frédéric Dard est connu avant tout pour sa série d’enquêtes policières plus ou moins noires avec une forte dose d’humour et d’autodérision, une forte propension à aimer jouer avec la langue, non, pas pour des exercices sexuels mais intellectuels, à jouer avec les mots, à égayer les mots.

D’ailleurs, Frédéric Dard l’avouait lui-même : « J’ai fait ma carrière avec un vocabulaire de 300 mots. Tous les autres, je les ai inventés ! ». L’auteur aimait Rabelais et bien sûr, adorait Céline : « Il faut beaucoup de talent pour faire rire avec des mots. Mais il faut du génie pour amuser avec des points de suspension… ». Des romans de gare ? Peut-être, mais alors il y a de trains et beaucoup de voyageurs : 175 épisodes, 200 millions d’exemplaires vendus. Beaucoup de romanciers de haute tenue donneraient cher pour un tel tableau de chasse. Et encore, juste pour San-Antonio, car il a écrit des centaines d’autres ouvrages, un véritable ogre de la langue et du phrasé, un impressionnant ogre des mots. San-Antonio, il a trouvé le nom parce qu’il voulait un nom à consonance américaine. Il a donc pris un atlas, qu’il a ouvert à la page des États-Unis et il a pointé au hasard du doigt la ville de San Antonio. Sans tiret. Le tiret est venu subrepticement dans les tomes suivants, de manière aléatoire puis volontaire.

Frédéric Dard ne pensait pas du tour faire carrière avec ce héros qui était l’auteur lui-même, car San-Antonio, c’est le policier mais c’est aussi le romancier, le livre est à la première personne et l’homme qui se raconte ainsi est volontiers macho, provocateur, ce qui fait les délices des lecteurs, et cela pendant plus d’un demi-siècle. Les générations passent, pas la série.

Le premier épisode a été écrit au printemps 1949, sur demande d’un éditeur lyonnais. La tentative n’a pas été couronnée de succès auprès des lecteurs, mais le fondateur des éditions Fleuve Noir en a redemandé et a poussé pour qu’il poursuivît dans cette voie… qui ne fut pas vaine car le succès est arrivé en 1953, à partir du septième opus. Quelques années plus tard, chaque épisode était vendus à 200 000 exemplaires, et Frédéric Dard en sortait quatre par an !

Cela fait que Frédéric Dard a été un véritable boulimique de l’écriture, car il n’a pas écrit que les aventures de San-Antonio, c’étaient plusieurs centaines de romans qui furent écrits par lui, parfois sous divers pseudonymes plus ou moins connus. Originaire de Saint-Chef (dans le nord de l’Isère) où il fut enterré, il vivait en Suisse, près de Fribourg (on imagine pourquoi !) où il s’est éteint peu avant ses 79 ans, le 6 juin 2000. Son fils Patrice Dard a pris la relève en continuant la série de San-Antonio en 2001 (il a terminé le dernier épisode de son père puis, s’est mis lui-même à en écrire de nouveaux).

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Pour lui rendre hommage, le mieux est de faire comme un vendeur de moquette ou de papier peint : montrer des échantillons. Son langage est crû, il est provocateur, caustique et finalement, très tendre. Notre époque aime le ricanement, lui riait, c’était différent, il riait de bon cœur…

Question parisienne : « – Votre mari n’est pas là, madame Eiffel ? – Non, il est allé faire une tour. ».

Commentaire littéraire : « La Fontaine est un homme affable. » (1996).

Commentaire cinématographique : « Attends… Biscotte ! Non, c’est pas ça… Tu sais, le gros qui fait penser à un œuf à la coque ? Y s’appelle à la Coque, voilà, ça me revient, Ichetecoque ! » (1961).

Commentaire germano-linguistique : « Des germanophones, t’as beau jacter leur dialecte, tu peux pas les piger vraiment quand t’es latin pur fruit comme ton éminent camarade. Cette langue à la con, où le verbe se fout en fin de phrase (si bien que tu peux jamais couper la parole de ton interlocuteur puisque t’ignores ce qu’il est en train de dire tant qu’il n’a pas terminé de jacter ), je m’y ferai jamais. » (1988).

Commentaire culturel (1) : « M’est avis qu’elle doit jubiler dans son forain térieur. » (1960).

Commentaire culturel (2) : « Toulouse-Lautrec (score final 0-0) » (1996).

Maïeutique moderne : « Il est grisant de pouvoir tout dire à qui peut tout entendre. » (1996).

Guide de la ponctuation : « Surtout ne pas foutre des points d’exclamation comme je le fais au bout de chaque phrase, mes fils. Le point d’exclamation attire trop l’attention, comme tout ce qui est debout. Il ne courbe pas l’échine comme l’accent circonflexe, il n’est pas tronçonné comme le point de suspension, il ne se met pas à plat ventre comme le tiret, il ne remue pas la queue comme le point-virgule, il ne fait pas la fumée comme le point d’interrogation, il n’est pas chiure de mouche comme le point t’à la ligne. Lui, c’est le De Gaulle de la ponctuation. La vigie ! Le ténor. Son nom l’indique : il s’exclame ! Il clame ! Il proclame ! Il déclame ! Il réclame ! Il véhémente Il flambergeauvente ! Il épouvante ! Je t’aime, suivi d’un point d’exclamation ou d’un point de suspension, n’a pas la même sincérité, ni la même signification. » (1966).

Souvenirs souvenirs : « Les souvenirs sont doux à qui les raconte, chiants à qui les écoute. ».

Positivisme : « Souvenez-vous : ne jamais perdre de vue le côté drôle des choses tristes ! Sinon, l’existence devient vite une vallée de sanglots. ».

Conseil d’hédoniste : « Pour être heureux, il faut beaucoup dormir et bien déféquer. L’insomniaque et son cousin germain, le constipé, sont les damnés de la terre. » (1996).

Dialogue médical :
« – Ils t’ont filé un lucratif pour te faire dormir…
– Un quoi ? m’étouffé-je.
– Un adjectif, non, un subjonctif… Mince, je me souviens plus… Un truc qui calme, quoi !
– Un sédatif ?
– Voilà ! » (1960).

Obésité : « La nourriture est une compensation, beaucoup de chagrinés, d’abandonnés, d’amphigourés te le diront. L’homme désemparé, à moins qu’il ne soit biafrais ou bengladéchard, se rabat sur la jaffe. Manger est un flirt avec l’oubli. » (1976).

Nuit romantique : « Il fait une belle nuit ample et tiède, avec un ciel de velours bleu clouté d’étoiles, comme l’a écrit je sais plus qui, mais putain, qu’il avait du talent ! » (1955).

Flot de mélancolie (1) : « Tout n’est pas cirrhose dans la vie, comme dit l’alcoolique. ».

Flot de mélancolie (2) : « Ce matin-là, Bérurier avait la figure en coin de rue sinistrée. Ses paupières étaient gonflées comme des valises d’ambassadeur au moment d’une rupture diplomatique et avec la couche de mélancolie qui lui couvrait le visage, on aurait pu regoudronner la Nationale 7. » (1957).

Évidence automobile : « Un piéton est un monsieur qui va chercher sa voiture. » (1996).

Bras armé : « Je soulève la banquette arrière de ma guinde, là où un pote prévoyant a dissimulé un petit appareil à gommer le curriculum. Gentil petit objet… Calibre impressionnant. Ça n’est pas celui de l’homme élégant et il alourdirait le costume de ville. Mais pour le pardingue ou la fouille de robe de chambre, il convient à merveille. » (1957).

Collaboration : « Je m’étais figuré que si la France, après des siècles de guerre, était devenue l’alliée intime de l’Angleterre, elle pouvait fort bien devenir également celle de l’Allemagne. Seulement, j’ai prôné ce point de vue à un mauvais moment, voilà tout ! Si je faisais cette campagne maintenant, on me ficherait la Légion d’honneur. Dans la vie, le plus grave défaut, c’est d’être inopportun ! » (1958).

Guerre froide : « On est tombés de charogne en syllabe, on baise les Ricains, mais on se fait coiffer par les Russes. Qu’est-ce qu’ils nous veulent, les bas tauliers de la vodka ? » (1966).

Le silence est d’or : « Les autres font ce qu’ils veulent de tes mots, tandis que tes silences les affolent. Tiens ta langue et ils se mettront en huit pour essayer de piher ce que tu ne dis pas. » (1996).

Nécrobahissement : « Il y a beaucoup de gens dont la mort me surprend parce que je les croyais décédés depuis longtemps. » (1999).

Désinformation : « Il y a des gens qui disent la vérité comme une montre arrêtée donne l’heure : deux fois par jour et pas longtemps. » (1996).

Guide électoral (1) : « Un politicien ne peut faire carrière sans mémoire, car il doit se souvenir de toutes les promesses qu’il lui faut oublier. ».

Guide électoral (2) : « On doit choisir entre s’écouter parler et se faire entendre. » (1996).

Guide électoral (3) : « On peut faire semblant de réfléchir, mais on ne peut pas faire semblant d’agir, voilà pourquoi l’homme d’action est toujours privilégié. » (1981).

Guide électoral (4) : « Mon pauvre ami, vous ne savez pas à quel point c’est payant, un enterrement bien foutu à la télévision. De Gaulle se serait présenté le lendemain de ses funérailles, il était réélu à 80% des suffrages. ».

Définition sociale : « Être riche, ce n’est pas posséder, c’est posséder trop. » (1996).

Considération fiscale : « C’est au moment de payer ses impôts qu’on s’aperçoit qu’on n’a pas les moyens de s’offrir l’argent que l’on gagne. ».

Bonnes manières: « [Bérurier] se cure les chicots de la pointe de son opinel. "Vois-tu, me dit-il gravement, ce qui séduit chez le Français, c’est pas seulement sa technique, c’est avant tout ses bonnes manières… Les étrangères sont dingues de nos pommes uniquement parce que nous nous comportons comme des barons…" Il crache sur le tapis un morceau de couenne de jambon qui lui obstruait un reliquat de molaire. Puis il essuie la pointe de son couteau sur la nappe brodée. "Et tant que le Français aura des bonnes manières, la France conservera son prestige", conclut-il noblement en se mouchant dans sa serviette. » (1959).

Attraction masculine (1) : « Tu le verras, l’Alexandre-Benoît : Tonique comme le printemps, l’haleine chargée d’ail et de beaujolais, la braguette mal close, la chemise imboutonnable dans la région du ventre, le nez en bourgeons, l’œil couleur du drapeau soviétique, les bajoues en éventail… Une plante humaine superbe et copieuse, la vaillance d’un temps. Le triomphe de la vie sur le néant. La matérialisation d’odeurs puissantes, leur palpabilité. ». (1975).

Attraction masculine (2) : « Je descends au poste de garde et je demande après Bérurier. On me répond qu’il va revenir. En effet, il sort des gogues, la braguette ouverte comme les portes d’un stade un dimanche après-midi, les bretelles battant les talons, un journal à la main. L’image de la vie animale dans toute sa déprimante cruauté. » (1954).

Troussage urbain : « Le voici qui va à la gravosse, lui rabat sa part de couvrante, retrousse sa chaste chemise, lui desserre ses dociles jambons et te l’embroque sans autre forme de procédé, d’un élan vigoureux et régulier qui enchante le sommier et dont la cadence amène un sourire de bienheureux sur le masque cocufique de l’époux. » (1976).

MeToo : « Quand le respect de la gonzesse s’effiloche dans une nation, la débâcle n’est pas loin, mes fils. » (1965).

Délicate séduction (1) : « Je ne sais pas où elle prenait son parfum, mais il sentait le salon de coiffure de banlieue. » (1961).

Délicate séduction (2) : « Moi, j’adore les nanas qui écrivent 88 avec leur derrière en marchant. Dans la vie, tout n’est que mouvement des lignes. » (1965).

Délicate séduction (3) : « À première vue, je l’ai prise pour un martien (à cause de sa combinaison en matière plastique) ; à deuxième vue, je l’ai prise pour une martienne (à cause de sa plastique tout court) ; à troisième vue enfin, je l’ai prise pour ce qu’elle était vraiment, c’est-à-dire pour une ravissante souris, bien sous tous les rapports, et affublée d’une tenue pour la pêche sous-marine. » (1960).

Délicate séduction (4) : « Et, pour la première fois, j’ai vu ses yeux. Ils étaient fauves et emplis de paillettes d’or. Ils donnaient de l’intelligence à sa beauté et c’est vraiment le plus beau cadeau qu’on puisse faire à une jolie figure. » (1956).

Fidélité conjugale : « Y z’arrivent, les hommes, à préférer une légitime qui prend goût au truc, même si ell’serait pas d’la première fraîcheur, à une périesthétricienne qui traite l’amour par-dessus la jambe. Et y z’ont raison ! » (1978).

Considération philosophico-sexuelle (1) : « Et puisque notre destin est de finir dans un trou, fasse le ciel qu’il ait du poil autour ! » (1971).

Considération philosophico-sexuelle (2) : «  Comment trouves-tu mes fesses ? Réponse : Très facilement ! » (1996).

Considération philosophico-sexuelle (3) : « Le sexe masculin est ce qu’il y a de plus léger au monde, une simple pensée le soulève ! ».

Considération philosophico-sexuelle (4) : « Le mariage est soit une corne d’abondance, soit une abondance de cornes. ».

Considération philosophico-sexuelle (5) : « Un mari craint toujours que son épouse le quitte. C’est ça la suprême force des femmes : vous faire redouter ce que vous souhaitez le plus au monde. » (1996).

Considération philosophico-sexuelle (6) : « La baise, c’est la vie. Fort de cette certitude qui me hante depuis que j’ai ma lucidité et du poil autour, je considère que ma femme est un merveilleux cadeau. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 juin 2021)
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Frédéric Dard.
Max Frisch.
Éric Zemmour.
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Marguerite Duras.
Michel Houellebecq.
Jacques Rouxel.
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Évry Schatzman.
De Charles Trenet à Claude Lelouch.
"Changer l’eau des fleurs" de Valérie Perrin.
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