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16 février 2023 4 16 /02 /février /2023 04:52

« Ce n'est pas seulement pour ce que nous faisons que nous sommes tenus responsables, mais aussi pour ce que nous ne faisons pas. » (Molière).




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L'un des représentants les plus emblématiques de la culture française, Molière (Jean-Baptiste Poquelin), est mort il y a 350 ans, le 17 février 1673 dans la soirée. Il est né il y a un peu plus de quatre siècles, le 15 janvier 1622 à Paris, ce qui fait que ces deux années, 2022 et 2023, célèbrent celui qui fut le comédien par excellence, dans les deux sens du terme, auteur et acteur de comédies, farceur à l'occasion, et comme les stars d'aujourd'hui qui sont en relation avec les dirigeants ou candidats dirigeants du pays, il fréquentait les puissants jusqu'au roi Louis XIV.

Sa troupe était directement protégée et subventionnée par le roi à partir de juin 1665 et après la mort du maître, Louis XIV a contribué le 25 août 1680 à la fondation de la Comédie-Française, inaugurée le 21 octobre 1680, qui siège au Palais-Royal, à la Salle Richelieu, en plein cœur de Paris, pas loin du Louvre, à partir du 31 mai 1799. Selon l'ordonnance du roi, cette troupe avait l'exclusivité des représentations à Paris (ce qui était un privilège clef). À l'origine, Molière s'était associé à neuf autres comédiens pour créer une troupe le 30 juin 1643, et, par sa personnalité, il avait vite pris l'ascendance sur les autres.

Contrairement à la légende (qui pourtant est systématiquement corrigée, mais adolescent, j'avais le souvenir encore accroché à cette légende), Molière n'est pas mort sur les planches, en pleine représentation, mais quelques heures plus tard. Créée le 10 février 1673 avec Molière pour le premier rôle, celui d'Argan,
"Le Malade imaginaire" a été sa dernière pièce de théâtre, parmi la trentaine de pièces qu'il a écrites et jouées, avec de la musique composée par Marc-Antoine Charpentier, et même des ballets conçus par Pierre Beauchamps.

Cette pièce se moque notamment de la prétention des médecins (à l'époque, la médecine n'avait rien à voir avec celle d'aujourd'hui), avec le célèbre Diafoirus dont le fils est destiné à devenir le gendre d'Argan qui se croit malade (au grand dam de la fille qui n'en veut surtout pas). Une tirade de Toinette, la servante, à l'acte III scène 14 : « Il n'y a point de maladie si osée, que de se jouer à la personne du médecin. ». Au-delà de la comédie humaine, il y a cette peur de la maladie et de la mort qu'a exploitée Molière, et certains ont imaginé cette pièce autobiographique (certains l'estimait malade dès 1665 et Molière insistait dans la pièce sur les douleurs au poumon : « Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon que vous êtes malade. (…) Le poumon, le poumon, vous dis-je ! » affirme Toinette déguisée en médecin). À la quatrième représentation, le 17 février 1673, Molière était malade et jouait difficilement avec beaucoup de douleurs. Le public a d'ailleurs saisi qu'il avait mal en jouant.

Juste après la fin de la représentation, malade (il toussait du sang), en pleine agonie, il s'est installé chez lui, au 40 rue de Richelieu, à Paris, dans un fauteuil qui est exposé encore aujourd'hui à la Salle Richelieu de la Comédie-Française. Le temps de chercher un prêtre qui est arrivé trop tard, Molière s'est éteint vers les 22 heures, accompagné de deux bonnes sœurs qui veillaient sur lui. Son ami La Grange, comédien dans sa troupe qui a repris la succession à la tête de la troupe, a ainsi raconté, dans son journal, cette triste fin : « Fort incommodé d’un rhume et fluxion sur la poitrine qui lui causait une grande toux, de sorte que, dans les grands efforts qu’il fit pour cracher, il se rompit une veine dans le corps et ne vécut pas demi-heure ou trois quarts d’heure depuis ladite veine rompue. ».

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Sa veuve, Armande Béjart, également comédienne (issue d'une grande famille de comédiens), a fait parvenir le lendemain à l'archevêque de Paris un courrier pour demander de l'enterrer religieusement, alors qu'il ne pouvait pas recevoir une sépulture chrétienne car il n'avait pas renoncé à être comédien : « Le feu sieur Molière s'étant trouvé mal de la maladie dont il décéda environ une heure après, il voulut dans le moment témoigner des marques de repentir de ses fautes et mourir en bon chrétien ; à l'effet de quoi, avec instance il demanda un prêtre pour recevoir les sacrements (…) ; et comme ces allées et venues tardèrent plus d'une heure et demie, pendant lequel temps ledit feu Molière décéda, et ledit sieur Paysant arriva comme il venait d'expirer ; et comme ledit sieur Molière est décédé sans avoir reçu le sacrement de confession, dans un temps où il venait de représenter la comédie, M. le curé de Saint-Eustache lui refuse la sépulture, ce qui oblige la suppliante [Armande] à vous présenter la présente requête pour être sur ce pourvu. ». Pour le coup résonne cette tirade d'Algan à l'acte III scène 11 : « N'y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? ».

Finalement, l'archevêque a autorisé le curé de Saint-Eustache (sa paroisse) à enterrer Molière, mais de nuit et sans aucune pompe. Ce qui fut fait le 21 février 1673 à 21 heures. Jean-Léonor Le Gallois, sieur de Grimarest s'est souvenu en 1705 dans sa biographie (romancée ?) de Molière : « Tout le monde sait les difficultés que l'on eut à faire enterrer Molière comme un chrétien catholique, et comment on obtint, en considération de son mérite et de la droiture de ses sentiments, dont on fit des informations, qu'il fût inhumé à Saint-Joseph. Le jour qu'on le porta en terre, il s'amassa une foule incroyable de peuple devant sa porte. La Molière [Armande Béjart] en fut épouvantée ; elle ne pouvait pénétrer l'intention de cette populace. On lui conseilla de répandre une centaine de pistoles par les fenêtres. Elle n'hésita point ; elle les jeta à ce peuple amassé, en le priant avec des termes si touchants de donner des prières à son mari, qu'il n'y eut personne de ces gens-là qui ne priât Dieu de tout son cœur. Le convoi se fit tranquillement à la clarté de près de cent flambeaux, le mardi vingt-et-un de février. Comme il passait dans la rue Montmartre, on demanda à une femme qui était celui que l'on portait en terre. Eh ! c'est ce Molière, répondit-elle. Une autre femme, qui était à sa fenêtre et qui l'entendit, s'écria : Comment, malheureuse ! Il est bien Monsieur pour toi. ».

Molière a été très prolifique ; en une vingtaine d'années, il a écrit et joué trente-quatre pièces dont la première, créée le 18 avril 1659, est
"Le Médecin volant" ; on voit que le thème de la médecine et de la maladie est important chez Molière, avec aussi "Le Médecin malgré lui" (créée le 6 août 1666) et "L'Amour médecin" (14 septembre 1665). "L'Étourdi ou les Contretemps" a été créée auparavant, entre 1653 et 1655 à Lyon (puis jouée à Paris le 3 novembre 1658).

Parmi les pièces les plus connues et souvent étudiées à l'école, on peut citer "Les Précieuses ridicules" (18 novembre 1659), "L'École des femmes" (26 décembre 1662), "Dom Juan ou le Festin de Pierre" (15 février 1665), "Le Misanthrope" (4 juin 1666), "Amphitryon" (13 janvier 1668), "L'Avare" (9 septembre 1668), "Le Bourgeois gentilhomme" (14 octobre 1670), "Les Fourberies de Scapin" (24 mai 1671), "Les Femmes savantes" (11 mars 1672), et bien sûr, comme si le cycle se refermait sur lui-même, "Le Malade imaginaire". Molière a utilisé les services de musiciens de haute volée pour ses œuvres, en particulier Marc-Antoine Charpentier (comme écrit plus haut) et Jean-Baptiste Lully.
Il faut aussi citer une tragédie-ballet, "Psyché", écrite en collaboration avec notamment Corneille, créée le 17 janvier 1671.

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J'ai gardé pour la fin (la faim ?)
"Le Tartuffe ou l'Hypocrite", également bien connue dans la conscience nationale. Elle fut initialement jouée le 12 mai 1664 devant (le jeune) Louis XIV, ensuite interdite d'être jouée par le roi, ce qui créa une forte polémique qui a abouti à une version définitive "Le Tartuffe ou l'Imposteur", enfin autorisée et créée le 5 février 1669 : « Les gens qu’elle joue ont bien fait voir qu’ils étaient plus puissants en France que tous ceux que j’ai joués jusques ici. Les marquis, les précieuses, les cocus et les médecins, ont souffert doucement qu’on les ait représentés, et ils ont fait semblant de se divertir, avec tout le monde, des peintures que l’on a faites d’eux ; mais les hypocrites n’ont point entendu raillerie ; ils se sont effarouchés d’abord, et ont trouvé étrange que j’eusse la hardiesse de jouer leurs grimaces, et de vouloir décrier un métier dont tant d’honnêtes gens se mêlent. C’est un crime qu’ils ne sauraient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma comédie avec une fureur épouvantable. Ils n’ont eu garde de l’attaquer par le côté qui les a blessés : ils sont trop politiques pour cela, et savent trop bien vivre pour découvrir le fond de leur âme. ».

Dans sa préface de la pièce publiée le 23 mars 1669, Molière a évoqué le rôle de la comédie dans la société de son temps. Il a repris pour sienne la célèbre devise "Castigat ridendo mores" qui signifie en latin, en parlant de la comédie : "Elle corrige les mœurs en riant" (issue du poète Jean de Santeuil, son contemporain). Et il l'a martelée pour justifier sa pièce : « Si l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes je ne vois pas par quelle raison il y en aura de privilégiés. Celui-ci est, dans l’État, d’une conséquence bien plus dangereuse que tous les autres ; et nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d’une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C’est une grande atteinte aux vices, que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule. On me reproche d’avoir mis des termes de piété dans la bouche de mon imposteur. Hé ! pouvais-je m’en empêcher, pour bien représenter le caractère d’un hypocrite ? ».

Et pour terminer, le dramaturge a cité le mot d'un grand prince sur sa pièce : « Huit jours après qu’elle eut été défendue, on représenta devant la cour une pièce intitulée "Scaramouche ermite; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire : "Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche" ; à quoi le prince répondit : "La raison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes ; c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir". ».

Cette petite préface confirme la grande modernité de Molière. Non, il n'est pas mort ! Il a institué la dérision au rang de noble art. Que les puissants en prennent garde ! Ou, du moins, qu'ils en prennent pour leur grade !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Molière.
Robert Hébras.
Philippe Tesson.
Catherine Nay.
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Benoît XVI.
André Breton.
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Paul Valéry.
Georges Dumézil.
Paul Déroulède.
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Pierre Vidal-Naquet.
Amélie Nothomb.
Jean de La Fontaine.
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Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230217-moliere.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/moliere-est-mort-246617

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/02/12/39811156.html






 

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