Les cadres socialistes redoutent les conséquences, pour l'avenir du parti, du rapprochement avec Bayrou.

Talent. A part, peut-être, la candidate. Hier soir, sur TF1, interrogée sur une éventuelle installation de Bayrou à Matignon si elle accédait à l'Elysée, Royal a soigneusement temporisé, esquivant le sujet qui fâche le vieux parti : «Nous n'en sommes pas là. De toute façon, le choix des ministres, je l'ai souvent dit, se fera sur des critères politiques.» Façon de laisser, tout de même, grande ouverte une porte de son édifice électoral : «Rassurez-vous, j'ai des idées, je suis prête. Je crois pouvoir rassembler une équipe très talentueuse autour de moi pour faire en sorte que la France aille mieux.» Où s'arrête le talent ? Le premier secrétaire, lui, ne semble pas en avoir une idée très précise, qui a incidemment été informé de la tenue du débat de samedi matin à Canal + finalement annulé alors qu'il partait pour Bordeaux. «Premier secrétaire, dernier informé», raille un élu...
Les patrons de la campagne Royal, eux, nient en bloc : «On laisse penser qu'il y a de l'intox, des négociations d'appareil. C'est un fantasme. C'est le mot UDF qui les a fait réagir. Ici, il n'y a pas de négociation. Ne seront dans la majorité présidentielle que ceux qui appellent à voter Royal dans la clarté et avant le deuxième tour.» Reste qu'une telle majorité se construit, aussi, à géométrie programmatique plus ou moins variable. «Dans ce qu'ont dit les autres candidats sur certains sujets, il y a peut-être des idées qui peuvent être mises sur la table», dit un proche. «On peut amender certains points. On n'est pas des notaires scrupuleux», dit un autre. Autant d'hypothèses qui font bondir ce parlementaire jospiniste : «Je ne fais pas campagne pour un accord PS-UDF. On ne peut pas ajouter au pacte des choses qui ne correspondent pas à nos idées.»
«Sanglant». Au-delà de la construction d'une majorité présidentielle, c'est le scrutin législatif qui préoccupe les socialistes. Avec de nettes divergences d'appréciation. Un proche de DSK résume : «Les 562 candidats aux législatives sur 577 circonscriptions qui ne sont pas assurés d'avoir 51 % des voix pensent que le temps du sectarisme est révolu et qu'on ne devrait pas s'enfermer dans un tête-à-tête avec Olivier Besancenot.» Les proches de Royal ont beau démentir à tour de bras rhétorique toute «négociation» d'appareil, d'insistantes rumeurs circulent, au parti, sur des accords avec l'UDF pour les législatives. Avec d'inquiétantes perspectives. Un socialiste résume : «Soit Bayrou appelle à voter pour nous, ce qui veut dire qu'il y a un deal sur les circonscriptions, et ça pète. Soit on perd, et le congrès va être sanglant...» .
Où va donc le Parti socialiste ? La candidate en faisait le constat il y a quelques semaines, en pleine flambée sondagière du candidat centriste : «L'émergence de Bayrou en est la preuve : si le PS ne se rénove pas, on assistera à la naissance d'une formation social-démocrate, sans aucune garantie de survie pour le parti.» Mardi, après un meeting à Montpellier, elle précisait sa pensée : «C'est autour d'une élection présidentielle qu'il peut y avoir une rénovation de la vie politique. C'est un moment que je ne veux pas laisser s'échapper.» «Tout le monde savait que ça se finirait comme ça», peste un élu, qui évoque une «affaire d'aventuriers». Reste que, pour ne pas porter l'encombrant chapeau d'une éventuelle défaite, peu de socialistes hormis les fabiusiens Michel Charzat et Alain Vidalies qui ont évoqué l'un une «situation cocasse», l'autre une certaine «perplexité» se risquent à dire tout haut ce que d'autres pensent tout aussi fort. «Il y en a qui veulent gagner, met en garde un conseiller de Royal. Il y en a d'autres qui ne veulent pas apparaître comme ne voulant pas faire ce qu'il faut...» Et ce proche de prôner une sortie rapide de la zone de turbulences : «Il faut clore cette séquence avant la fin de la semaine.» Question d'urgence partisane.
Par David REVAULT D'ALLONNES, le vendredi 27 avril 2007
Quasi affranchie du parti, Royal était la seule à pouvoir entamer des travaux d'approche avec l'UDF.

Et voilà qu'elle amorce un virage stratégique qu'ils se forcent à endurer en silence, ou presque... Royal se soucie fort peu du devenir d'un parti... qui le lui rend bien. C'est à la fois la force et la faiblesse de la candidate. Aucun autre dirigeant PS n'aurait osé se lancer dans l'aventure que représentent les travaux d'approche entamés avec François Bayrou. Même les tenants d'une social-démocratie «moderne», partisans, à terme, d'une stratégie d'alliance au centre, ne se seraient pas risqués si loin entre les deux tours d'une présidentielle. Trop dangereux, trop de coups de trompe à prendre de la part des autres éléphants, trop de risques de déclencher la colère de la base. Royal n'est pas aussi corsetée. Peu lui chaut sans doute de faire imploser le PS au profit de Bayrou en cas d'échec. Mais c'est cette liberté qui lui autorise cette «audace stratégique» que loue Jean-Pierre Chevènement, pourtant cofondateur du PS d'Epinay, attaché depuis trente-cinq ans à l'union de la gauche.
Royal renoue ainsi avec ce qui a fait son succès : à l'automne, c'est l'opinion qui l'a imposée au parti et à un appareil qui a tenté beaucoup pour lui faire barrage. C'est parce que les sympathisants la plébiscitaient dans les sondages qu'elle est devenue le choix naturel des militants.Avec un Bayrou à 19 %, l'opinion pourrait être tentée par une entente entre le PS et l'UDF pour battre Sarkozy. Un sondage Sofres publié aujourd'hui par le Figaro Magazine fait même de Bayrou son Premier ministre préféré en cas d'élection de Royal : il n'en fallait pas plus pour qu'elle se tourne vers le centre afin d'entamer un dialogue inédit. Sans illusion sur le fait de récupérer le tiers d'électeurs UDF ancrés à droite, elle espère ainsi convaincre ceux tentés par l'abstention le 6 mai que son esprit d' «ouverture» est sans rapport avec les pressions exercées par Sarkozy sur les parlementaires UDF.
Par Renaud DELY, le vendredi 27 avril 2007
Gérard Grunberg, du Cevipof, revient sur la fin du tabou de l'alliance du PS avec le centre.
Gérard Grunberg, directeur de recherches au Centre d'études de la vie politique française (Cevipof), est l'un des meilleurs spécialistes de l'histoir du PS (1). Avec Alain Bergounioux, il a publié l'Ambition et le Remords. Les socialistes français et le pouvoir 1905-2005 (Fayard, 2005).
L'ouverture au centre tentée par Ségolène Royal marque-t-elle un tournant dans l'histoire du PS ?
Oui, c'est un tournant. Même si l'on ne sait pas encore sur quoi cela va déboucher. Mais nous sommes à la fin d'une histoire. C'est la fin du tabou de l'alliance des socialistes avec le centre ou la droite.
D'où venait ce tabou ?
Du congrès d'Epinay en 1971, lorsque François Mitterrand a pris la tête du PS, sur la base d'alliances à gauche. Cette page est aujourd'hui tournée, pour deux raisons. Parce qu'il n'y a plus de partenaires à la gauche du PS et parce que Ségolène Royal est dans une stratégie d'autonomie par rapport au PS.
Mais en 1971, comment s'était imposé ce tabou ?
L'époque était à la gauche, c'était l'après-68. La défaite [du centriste, ndlr] Alain Poher, en 1969, avait calmé les ardeurs des socialo-centristes... Mitterrand a eu une approche tactique d'alliance avec le PCF, dans une logique d'affrontement droite-gauche. Il voulait un PS de gauche, qui reniait ses alliances de type «troisième force» avec le centre.

Sous la IVe République, entre 1946 et 1958, il s'agissait d'accords entre les socialistes et d'autres forces, comme les démocrates-chrétiens du MRP, pour défendre les institutions contestées à la fois par les communistes et les gaullistes. Mais il n'y a jamais eu de véritable alliance politique. A l'époque, les socialistes n'avaient guère le choix. N'oublions pas qu'à partir de 1947, c'était la guerre froide et que les socialistes avaient choisi le «monde libre».
Ce fut une parenthèse dans leur histoire ?
Entre les deux guerres, de 1918 à 1940, les socialistes y compris Léon Blum étaient réticents à conclure des alliances sur leur droite, par exemple avec les radicaux. Il faudra attendre 1936 et le Front populaire pour que cela se fasse, parce que la SFIO [l'ancêtre du PS, ndlr] était majoritaire. Les socialistes ont toujours eu peur de ne pas être assez à gauche.
D'où vient cette crainte ?
De la Révolution française. Avec l'idée que la réforme n'est pas un moyen de changer les choses. Dès sa fondation, en 1905, la SFIO a opté pour une ligne classe contre classe. Et malgré la scission avec les communistes au congrès de Tours en 1920, la SFIO est restée tournée vers la gauche.
Ce que vient de proposer Ségolène Royal serait une première...
D'abord parce que les socialistes n'ont, pour l'instant, plus rien sur leur gauche. Elle l'a imposé sans débat à son parti et même à François Hollande. Cela ne pouvait d'ailleurs pas se faire autrement, tant les tabous pèsent sur le PS.
Ils ont donc tous été levés ?
Pendant longtemps, le principal obstacle à une alliance entre les socialistes et les démocrates-chrétiens était la question de l'école libre et de la laïcité. Cette question est devenue désormais beaucoup moins importante.
Quels sont aujourd'hui les choix du PS ?
Il y a trois stratégies possibles. Un, des accords à gauche, mais on ne voit pas avec qui. Deux, un grand parti socialiste seul. Trois, une alliance avec le centre. Mais, dans ce cas, ce qui compte ce ne sont pas les voix de Bayrou mais le nombre de siège de députés. Tout dépend donc du résultat des législatives .
(1) Il vient de publier l'UMP, le PS et l'élection présidentielle, vers un bipartisme en France ? avec Florence Haegel, aux Presses de Sciences Po.
Par Jean-Dominique MERCHET, le vendredi 27 avril 2007
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