(dépêches)
Analyse
La deuxième chance des Etats-Unis, par Sylvie Kauffmann
LE MONDE | 07.11.08 | 13h39 • Mis à jour le 07.11.08 | 13h39
Le peuple des Etats-Unis a parlé et, mardi 4 novembre, "l'aube nouvelle du leadership américain" s'est levée sur le monde, pour reprendre la promesse faite par Barack Obama dans son premier discours de président élu.
Il était temps. La vague d'enthousiasme qui déferle vers les rivages américains est à la mesure du ressentiment provoqué par les deux mandats de George W. Bush, chez les ennemis des Etats-Unis comme chez ses amis, d'autant plus aigu chez ces derniers qu'un premier flot de sympathie, au moment du 11 septembre 2001, fut largement ignoré outre-Atlantique. L'une des caractéristiques du fameux rêve américain, dont le président démocrate est perçu comme une nouvelle incarnation, est "la deuxième chance" : dans la culture américaine, un échec n'est jamais définitif. Lorsque l'on échoue, on se relève, on ramasse les morceaux et on recommence.
C'est cette deuxième chance qu'apporte l'élection de M. Obama à la Maison Blanche dans la relation de son pays avec le reste du monde, car si les Etats-Unis restent la première puissance militaire et économique mondiale, le "leadership américain" est sérieusement écorné. Le leadership n'est pas une donnée statistique. Il ne se mesure ni en milliards de dollars de PIB ni en nombre de missiles nucléaires. Le leadership mondial, c'est bien sûr la puissance économique et militaire, mais c'est aussi la légitimité politique, l'autorité morale, le rayonnement intellectuel, la capacité d'innovation. C'est ce savant mélange de hard power et de soft power. C'est l'aptitude à projeter la lumière. Le pouvoir des idées.
Depuis leur création, les Etats-Unis se sont reposés sur l'idée démocratique, qu'ils ont placée au-dessus de tout. Sur cette idée, le président élu Obama se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs. "Ce soir nous avons prouvé une fois de plus que la véritable force de notre nation ne provient pas de la puissance de nos armes ni de la taille de nos richesses, mais du pouvoir de nos idées : démocratie, liberté, chances et espoir inébranlable, a-t-il déclaré le 4 novembre à Chicago. Le voilà, le vrai génie de l'Amérique : l'Amérique est capable de changer."
Et changer était urgent. Car ce qui s'est passé depuis huit ans aux Etats-Unis - voire depuis dix, selon certains commentateurs qui font remonter le début d'une "décennie noire" à la piteuse gestion de l'affaire Lewinsky, en 1998, sous Bill Clinton - n'est pas le fruit d'une succession de calamités naturelles. M. Bush a été élu une première fois en 2000, à l'issue d'un scrutin très contesté, avant que le 11-Septembre ne change la face du pays, mais il a été réélu démocratiquement et en pleine connaissance de cause en 2004.
En novembre 2004, le fiasco de l'opération irakienne était déjà évident, le camp de Guantanamo affichait complet, l'infamie d'Abou-Ghraib avait fait le tour du monde, le quatrième pouvoir était discrédité, les alliés européens étaient à l'index et la démocratisation du Moyen-Orient, chère aux néoconservateurs, une panacée. Vus de l'extérieur, et en particulier des pays auxquels on prétendait l'enseigner, les mécanismes de la démocratie étaient en panne. Quatre ans plus tard, le duel des primaires démocrates entre deux pionniers, une femme et un Noir, la remarquable discipline de la campagne Obama, l'ampleur de sa victoire finale, le taux de participation sans précédent depuis 1908, l'élégance de John McCain dans la défaite et le choix des Américains au-delà des préjugés ethniques, tout cela permet aux Américains de relégitimer leur démocratie aux yeux du reste du monde et au président élu de saluer "le vrai génie de l'Amérique".
Mais cela suffira-t-il ? De quoi sera donc faite cette "aube nouvelle du leadership" dont M. Obama assure qu'elle est désormais "à portée de main" ? Le monde que trouvera le président en s'installant à la Maison Blanche le 20 janvier 2009 est très différent de celui qu'avait abordé M. Bush, et encore plus de celui de l'immédiat après-guerre froide dont avait hérité M. Clinton en 1993. Le monde d'Obama n'est plus dans la seule dichotomie démocratie/totalitarisme, ni dans la grille de lecture simpliste de "la guerre mondiale contre la terreur". Dans le monde d'Obama il y a d'autres acteurs, d'autres puissances qu'on regroupe pudiquement sous le vocable d'"émergents".
L'ASIE EN QUÊTE DE MODÈLE ALTERNATIF
Il y a, en Chine ou en Inde, des centaines de millions de gens des classes moyennes qui, comme en Occident, consomment, étudient et pensent, mais pas forcément de la même manière. Une idée fait son chemin, notamment en Asie, selon laquelle on peut emprunter à l'Occident ce qui est efficace, comme l'économie de marché, et laisser de côté ce qui est brouillon et compliqué, comme la démocratie. Cette idée partie d'Asie, mise en oeuvre à grande échelle par la Chine, séduit de plus en plus de pays du Moyen-Orient. En Asie, plus d'un intellectuel est convaincu qu'est né là un vrai modèle alternatif.
En pleine effervescence économique, l'Asie est en quête d'idées neuves. En revitalisant la démocratie américaine par la diversité, M. Obama, premier président post-ethnique du pays du melting-pot, offre un modèle positif aux pays pluri-ethniques d'Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi qu'aux pays à population musulmane comme l'Indonésie, où il a passé une partie de son enfance. C'est déjà beaucoup, et c'est plus que ce qu'offrent l'Europe ou l'Australie.
Mais en dehors du changement d'image et d'un probable état de grâce, rien ne permet de dire avec précision en quoi la "révolution Obama" relancera le leadership américain. L'élection de M. Obama est-elle un rejet massif de huit années désastreuses ou un mandat clair et net pour un grand mouvement politique progressiste et novateur ? Quelles recettes l'administration Obama proposera-t-elle pour la réforme du système financier international ? Quelle place fera-t-elle aux puissances émergentes ? Le coût économique de la crise pour les électeurs américains, dont c'est la préoccupation essentielle, lui permettra-t-il d'éviter les mesures protectionnistes que redoute l'Asie ? Dernier gouverneur britannique de Hongkong, Chris Patten est convaincu que les Etats-Unis surmonteront "l'humiliation" de la crise de Wall Street, se rétabliront plus vite que les autres et resteront l'unique superpuissance. Pour cela, et pour prouver que l'idée démocratique reste la meilleure, M. Obama devra être le président "transformationnel" que sa campagne a promu.
Courriel : kauffmann@lemonde.fr.
Sylvie Kauffmann (Grand reporter)
Article paru dans l'édition du 08.11.08
Chronique
Barack Obama, la nouvelle icône des politiques, par Michel Noblecourt
LE MONDE | 07.11.08 | 13h55 • Mis à jour le 07.11.08 | 14h50
A droite comme à gauche, les politiques se sont livrés à un concours de superlatifs pour saluer l'élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. A l'aube du 5 novembre, Nicolas Sarkozy, après avoir cherché en vain à téléphoner au président élu, l'a félicité par écrit pour sa "victoire brillante". Et le Parti socialiste a jeté la rancune à la rivière. Le 25 juillet, quand le sénateur de l'Illinois avait fait un saut de puce à Paris, il n'avait vu que M. Sarkozy, qu'il a comparé à une "rock-star". Après avoir boudé le PS, il s'était empressé de recevoir à Londres - suprême vexation -,David Cameron, le chef de l'opposition conservatrice, proche des républicains américains.
Tout à la préparation de leur congrès, les ténors du PS y sont allés de leur couplet. François Hollande s'est félicité de "l'élection si symbolique de Barack Obama", tout en prévenant qu'"il défendra - et c'est son devoir - les Etats-Unis d'Amérique et non pas le monde". Martine Aubry a jugé que "le grand peuple américain a réalisé le formidable rêve de Martin Luther King en portant un homme noir" à la Maison Blanche. "Une merveilleuse nouvelle", a renchéri Benoît Hamon, au nom de l'aile gauche du PS, voyant en M. Obama "l'anti-Sarkozy". Même la communiste Marie-George Buffet y est allée de son compliment.
Pour saluer cette "victoire symbolique majeure contre le racisme" sans paraître se compromettre avec l'horrible Oncle Sam, Olivier Besancenot, l'initiateur du Nouveau Parti anticapitaliste, a eu recours à une dialectique aussi extravagante que rocambolesque : "Nous souhaitons que la liesse populaire ouvre la voie à la résistance face à la politique que va mettre en oeuvre Obama" (sic).
A l'extrême droite, Jean-Marie Le Pen a parlé d'une "victoire conjoncturelle" - "c'est la présidence de Bush qui est condamnée" -, éloignant tout soupçon de racisme par cette étonnante formule : "Ça me choque d'autant moins que la première fois que j'ai été élu député, en 1956, mon deuxième de liste était un Noir" (sic). Seule (petite) fausse note à droite, Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, a affiché sur Canal+ sa préférence pour le républicain John McCain.
En rangs serrés derrière François Fillon, les ministres ont chanté les louanges de la nouvelle icône. Même la très catholique Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, est restée dans le choeur. La présidente du Forum des républicains sociaux, opposée, comme la colistière de M. McCain, à l'avortement et au mariage gay, aurait pu "voter" Sarah Palin au nom de leur commun attachement au "dividende universel", ce revenu unique versé à tous les citoyens "du berceau à la tombe" sans conditions de ressources, pratiqué par l'Alaska depuis 1976. Mais Mme Palin défend la vente libre des armes. Vive Obama !
Cette empathie unanime pour M. Obama rappelle l'hostilité unanime contre George W. Bush. Le 12 septembre 2006, M. Sarkozy avait rompu ce consensus en faisant des pieds et des mains pour être reçu, photo à l'appui, par M. Bush. Dans un pamphlet intitulé L'Inquiétante Rupture tranquille de M. Sarkozy et coordonné par Eric Besson, le PS avait fustigé l'"extravagant voyage du ministre de l'intérieur" - qui avait vu, pour la première fois, son "copain" Obama -, "le spectacle d'un candidat à la présidentielle supposé issu de la famille gaulliste quémandant un rendez-vous dans un bureau attenant à celui du président des Etats-Unis" pour y critiquer l'"arrogance de son pays". Depuis M. Besson est secrétaire d'Etat. M. Sarkozy a resserré les liens avec M. Bush, bénéficiant sur la scène internationale de son agonie politique. Le voilà confronté à une icône qui risque de faire de l'ombre à son aura médiatique.
Courriel : noblecourt@lemonde.fr.
Michel Noblecourt
Article paru dans l'édition du 08.11.08