En fait, il a mis en place l’un des cultes de la personnalité qui n’avait rien à envier à Enver Hodja, ni à Staline, ni à Mao, ni à Ceaucescu, ni Bokassa Ier...
Lui, c’est Saparmyrat Atayewic Nyyazow, le Président du Turkménistan, l’une des ex-républiques soviétiques d’Asie centrale (1), qui est mort d’une crise cardiaque le jeudi 21 décembre 2006, tôt le matin. Enfin, officiellement, car déjà, certains doutent de la date et estiment qu’il était déjà mort plus tôt (2).
Son site internet n’était pas encore au courant en soirée (3) alors que celui de ses opposants l’annonçait dès 8h30 (4).
Je l’appellerai par la suite Niazov, selon la phonétique cyrillique et russe. J’aurais même pu l’appeler Niazov Ier tant le ridicule ne le tuait pas, en revanche, le ridicule-là pouvait tuer bien de ses concitoyens.
Il n’avait pourtant que soixante et un ans. Mais le coeur a éclaté... Trop gros de narcissisme et de caprice.
Il entra en 1962 au parti communiste de l’Union Soviétique, et y grimpa fort rapidement puisqu’en 1985, il devint son chef suprême, et accéda à la Présidence du Conseil des Ministres de la République socialiste soviétique de Turkménistan, la seconde des républiques d’Asie centrale (quatrième de l’ex-URSS) en superficie.
À partir de cette date, il dirigea d’une main de fer le pays. Le 13 janvier 1990, il devint le Président du Soviet Suprême de cette république, et en août 1991, il participa au putsch contre Gorbatchev à Moscou (5).
Malgré l’échec du coup d’État russe et après l’effondrement de l’Union Soviétique, Niazov parvint à conserver son pouvoir en devenant le premier président turkmène.
Ce qui lui permit d’établir une véritable tyrannie (6).
C’est à partir de ce moment-là que l’esprit vacilla. De simple et obéissant apparatchik au service du pouvoir central, le voici aux commandes d’un État impensable, seul à bord.
Les lubies arrivèrent (6).
Le 22 octobre 1993, il se fit appeler Türkmenbasy, père du peuple turkmène, pour copier Mustafa Kemal se faisant appeler Atatürk.
Le 29 décembre 1999, il se proclama président à vie avec une parodie de formalisme constitutionnel. Pour vous faire une idée, vous pouvez consulter la Constitution du Turkménistan en anglais (7).
Parmi les hérésies institutionnelles, voici quelques piquants exemples :
- Il a rebaptisé des villes.
- Il a donné son nom et celui de ses proches à des aéroports, rues, hôpitaux, et même, à une météorite.
- Il a changé les noms des mois et des jours, les remplaçant par le sien et ceux de ses proches.
- Il a mis son visage partout, sur les billets de banque, et même sur les bouteilles de vodka.
- Il a dressé sa propre statue en plein désert du Karakoum (8,9) ainsi qu’un immense palais à sa dévotion dans la capitale à Achgabat.
- Il a changé l’alphabet cyrillique en alphabet latin proche du turc.
- Il a interdit tous les livres antérieurs à l’indépendance (1991), si bien que dans les bibliothèques, il ne reste que des livres du dictateur lui-même, qui servent de base pour le système éducatif (en 2004, il a même fermé toutes les bibliothèques rurales car les villageois turkmènes ne lisaient pas, selon lui).
- Dans son village natal, il a construit un complexe comprenant une mosquée à la dévotion de sa maman pour cent millions de dollars.
Le pays a fait l’objet de nombreuses remontrances d’organisations non gouvernementales car il ne respectait pas les droits de l’homme (10). Trente mille prisonniers politiques ont été comptabilisés (soit près de 1% de la population totale !). Des caméras ont été installées partout.
La situation sanitaire est déplorable (réapparition de la tuberculose, du choléra et de la dysenterie). La situation économique est misérable, avec plus de la moitié de la population active au chômage, et trente euros comme salaire mensuel moyen. Le pays est pourtant riche, puisqu’il fournit en gaz le géant russe Gazprom, mais l’argent semblait bien se mouvoir dans la poche des proches de Niazov (6)).
Le Turkménistan est aussi l’un des rares treize pays ennemis d’internet (11).
Wikipédia (5) cite également quelques caprices présidentiels :
- Il a interdit le maquillage des présentateurs de télévision, afin de bien distinguer les hommes des femmes (qu’il confondait en raison de sa myopie).
- Il a interdit les spectacles de danse et les opéras (inutiles selon lui).
- Il a interdit de fumer en public en 1997 après son opération au coeur qui lui interdisait de fumer encore.
- Il a interdit le playback des chanteurs (ce qui risque d’avoir empêché Michel Sardou de se produire en Turkménistan) ainsi que la diffusion publique de musiques enregistrée (même dans les mariages !).
- Il a interdit aux hommes les cheveux longs, les moustaches et les barbes, les couronnes dentaires (« y a que moi qui peux être couronné ! » aurait-il dit, mais là, j’invente), en leur recommandant de ronger des os (comme les chiens ?).
- Il a réduit les études médicales à trois ans et a fermé tous les hôpitaux sauf celui de la capitale, licenciant ainsi quinze milles employés médicaux en 2004 (« Pourquoi gâcherions-nous de bons médecins spécialistes en les laissant dans des villages, alors qu'ils pourraient travailler dans la capitale ? » disait-il le 28 février 2005).
Malgré toutes ces ubuesques turpitudes, le régime de Niazov bénéficiait de la bienveillance gazophile de la Russie, des États-Unis et de la Chine, puisque le dictature n’avait aucune visée territoriale.
Étrange bonhomme dont la folie paraissait patente, surtout à la fin de sa vie, et qui malgré son autoritarisme, avait promis il y a un an qu’il y aurait des élections libres et équitables en 2009, alors qu’il était pourtant "président à vie".
À mon humble avis, elles vont avoir lieu plus rapidement que prévues, ces élections. Ouf. Reste à savoir si le processus démocratique sera bien enclenché.
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(2) http://www.lenta.ru/story/turkmenistan/
(3) http://www.turkmenbashi.org/
(4) http://www.gundogar.org/
(5) http://www.minilien.com/?WNa3ke4hGs
(6) http://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_du_Turkménistan
(7) Allez dans le lien (3), cliquez ‘Business & Economy’ et ensuite, ‘The Turkmenistan Constitution’.
(8) http://fr.wikipedia.org/wiki/Désert_du_Karakoum
(9) http://www.pagetour.narod.ru/uzb/Qyzylqum_1.htm
(10) http://web.amnesty.org/report2004/tkm-summary-fra/
(11) http://www.rsf.org/article.php3?id_article=19601