
Définition
D’abord, définissons bien le sujet, et ce qu’est un contrat d’assurance sur la vie.
L’assurance sur la vie peut être l’assurance-vie classique, épargne défiscalisée, qui permet à l’assuré, au terme du contrat, de récupérer un capital ou une rente, ou à ses bénéficiaires s’il meurt entre temps, l’assurance décès qui ne permet pas la récupération du capital ou de la rente par l’assuré lui-même (sauf en cas d’invalidité) mais qui permet ce versement à une ou plusieurs personnes désignées par l’assuré (contrat de prévoyance) et enfin, un contrat qui mélange les deux.
Le problème
Depuis longtemps, il existe un véritable problème pour le versement du capital lors du décès de l’assuré lorsque la désignation du bénéficiaire n’est pas claire.
En effet, l’assuré n’est pas obligé de désigner le bénéficiaire de son contrat, mais s’il le désigne, il n’est pas obligé non plus de l’avertir. Je dis ‘le bénéficiaire’, mais ils peuvent être plusieurs (par exemple, les enfants).
La loi, jusqu’à maintenant, le décourageait d’ailleurs, car si le bénéficiaire, informé, envoyait à la compagnie d’assurance son acceptation, l’assuré n’aurait plus la faculté de modifier le bénéficiaire par la suite sans l’accord de ce dernier (la désignation devenant irrévocable).
Résultat, quand le bénéficiaire n’est pas désigné ni même informé, le capital à verser lors du décès de l’assuré est rarement réclamé.
L’autre souci, c’est que l’information du décès de l’assuré lui-même (ou du bénéficiaire) est rarement possédée par les compagnies d’assurance elles-mêmes.
Ce qui revient à la même situation que précédemment, à savoir que le contrat d’assurance sur la vie devient un ‘monstre du Loch Ness’, selon l’expression de la sénatrice UMP du Val de Marne Catherine Procaccia lors de la séance du 4 octobre 2005 du Sénat.
Au bout de trente ans sans bénéficiaire, le capital est désormais (depuis la loi 2006-1640 du 21 décembre 2006 de le financement de la sécurité sociale pour 2007, article 18) reversé au Fonds de réserve des retraites (avant, reversé sur les primes des autres clients).
Une volonté permanente d’améliorer la législation
Fort de ce problème, qui spolie finalement les assurés, les pouvoirs publics ont cherché à améliorer le dispositif.
Déjà, plusieurs lois (dont la loi 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, la loi 2005-1564 du 15 décembre 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance et la loi 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et libéralités) renforcent le dispositif de désignation et d’information du bénéficiaire, et la recherche du bénéficiaire.
Mais ces dispositifs n’ont pas eu les résultats escomptés, selon le Rapport annuel 2006 du Médiateur de la République Jean-Paul Delevoye, qui insiste même sévèrement : « à défaut d’entreprendre une réflexion constructive sur ce sujet, le nombre de bénéficiaires retrouvés restera très limité, et le sentiment d’être lésé ira croissant parmi les millions de bénéficiaires potentiels de contrats d’assurance-vie. » (page 42).
Avant même la publication de ce rapport, le gouvernement de Dominique de Villepin avait déposé un texte au bureau de l’Assemblée Nationale en novembre 2006 mais n’avait pas eu le temps d’être discuté. Il est donc repris par cette proposition de loi (donc d’origine parlementaire) déposée par deux députés UMP, Jean-Michel Fourgous (Yvelines) et Yves Censi (Aveyron).
Les faits
Selon un enquête de l’INSEE de mai 2005, 22 millions de personnes détiennent un contrat d’assurance sur la vie, soit 41,5% des ménages (plus que le plan épargne logement avec 33,6% et moins que la résidence principale avec 55,7%).
Cela correspond à un encours considérable, qui, selon l’organisation professionnelle des assureurs (FFSA), a plus que doublé en près de dix ans, passant de 456 milliards d’euros en fin 1997 à 1 074 milliards d’euros en janvier 2007.
Le nombre de contrats qui sont à l’abandon est évalué entre 150 000 et 170 000 (soit moins de 1% des contrats) par le Rapport Marini du 7 juin 2005, ce qui correspondrait à environ un à deux milliards d’euros de capitaux cumulés non réclamés.
C’est ce montant élevé qui a fait prendre conscience au législateur qu’il fallait réagir.
Débat en commission
L’examen de la proposition de loi s’est déroulé à la séance du 10 octobre 2007 de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale.
Le député PS Alain Vidalies a fait remarquer que n’ont pas été pris en considération les intérêts des capitaux non réclamés et qui devraient être reversés après 30 ans, comme les capitaux, dans le Fonds de réserve des retraites.
Le député UMP Claude Goasguen a, de son côté, voulu évoquer les comptes bancaires à l’abandon qui représenteraient des sommes bien plus élevées que ces capitaux non réclamés d’assurance sur la vie.
Ces deux remarques ont été considérées comme des éléments de prospective pour des lois futures mais ne correspondaient pas à l’objet du présent texte.
De son côté, le député UMP François Goulard a insisté pour maintenir la possibilité de désigner dans la discrétion le bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie.
Au cours de la première lecture à l’Assemblée Nationale et surtout de la (seule) lecture au Sénat, le 7 novembre 2007, le texte a été renforcé. Et ces modifications ont été également adoptées le 11 décembre 2007 au Palais-Bourbon.
Le texte n’attend donc plus que sa promulgation par le Président de la République et sa publication au Journal officiel.
Les nouvelles dispositions, définitivement votées
Dans le texte définitivement (et unanimement) adopté, quatre dispositions ont été rédigées :
1. Obligation pour les compagnies d’assurance de rechercher à leurs frais les bénéficiaires ou leurs héritiers (article 5 et 7).
2. Cette obligation est accompagnée de l’autorisation de consulter les données figurant au répertoire national d’identification des personnes physiques et relatives au décès des personnes qui y sont inscrites dans le but de rechercher les assurés et les bénéficiaires décédés (article 3 et 6).
3. La procédure d’acceptation du bénéficiaire est mieux encadrée (article 8). Comme l’acceptation entraîne l’irrévocabilité de sa désignation, cette acception doit désormais se faire par la voie d’un avenant au contrat d’assurance sur la vie, signé non seulement par le bénéficiaire, mais désormais aussi par l’assuré. L’acceptation peut aussi se conclure entre le bénéficiaire et l’assuré hors de la compagnie d’assurance, par acte authentique ou sous seing privé, mais elle n’aura un effet que si la compagnie d’assurance est avertie par écrit d’un tel contrat.
4. Le délai a été réduit à un mois après la notification des pièces justificatives pour verser le capital prévu (article 2 et 4). Au-delà de ce délai, des intérêts sont prévus qui augmentent en fonction du temps.
Les réactions

Yves Censi, l’un des deux initiateurs du texte, parle de « mettre fin à une situation par trop nébuleuse et apporter des réponses aux dysfonctionnements qui perduraient depuis trop longtemps ».
Sentiment partagé par les députés de l’opposition Alain Vadalies (PS) et Pierre Gosnat (PCF) malgré quelques réticences car le texte « répond en partie aux attentes des assurés et des associations de consommateurs. ».
Ce que le citoyen peut retenir
1. Sur la forme, il est heureux d’observer que certains sujets n’ont pas été absorbés par les calculs politiques et sont traités de façon dépassionnée, rationnelle et constructive.
2. Par ailleurs, toujours sur la forme, pour ces seules modifications (très mineures), il faut remarquer que le texte est écrit avec un formalisme, certes habituel, mais toujours fort complexe, notamment parce qu’il doit faire des modifications dans deux Codes, celui des assurances et celui de la mutualité.
Je fais cette remarque pour faire la comparaison avec les critiques émises sur la complexité des textes européens, tels que le Traité de Maastricht, le défunt Traité Constitutionnel Européen ou le nouveau Traité de Lisbonne.
Dans des États de droit, la moindre modification d’une loi est tout de suite encadrée par un formalisme hermétique au langage abscons qui rend très difficile la compréhension du citoyen qui est peu habitué au droit. Mais c’est cette complexité nécessaire qui renforce notre droit : les choses interdites ou autorisées doivent être bien encadrées, sous peine d’arbitraire dans leurs applications.
Il n’existe pas vraiment de méthode pour ‘simplifier’ la rédaction à l’extrême de textes juridiques, sauf à vider de leur sens originel toutes les dispositions voulues, et à multiplier les besoins d’interprétations ultérieures ce qui, in fine, ne simplifierait guère.
3. Sur le fond, voici donc un meilleur encadrement pour permettre aux compagnies d’assurance de retrouver les bénéficiaires des contrats d’assurance sur la vie.
L’obligation d’informer l’assuré (par la nécessité de sa signature d’un avenant) de la procédure d’acceptation du bénéficiaire aura pour conséquence une meilleure transparence.
Deux autres pistes…
Cependant, deux pistes restent, à mon sens, encore à explorer pour renforcer l’efficacité de la recherche des bénéficiaires :
1. La possibilité de révoquer la désignation du bénéficiaire par l’assuré, même si celui-ci a accepté, qui pourrait s’accompagner de l’obligation systématique d’informer le bénéficiaire de l’existence d’un tel contrat d’assurance sur la vie.
2. La constitution d’un fichier national des assurances sur la vie, comme le propose le Rapport Huyghe du 8 février 2006 (pages 327 et 328), permettant aux notaires de rechercher l’existence de contrat d’assurance sur la vie des personnes décédées et aux compagnies d’assurance d’être informées des décès de leurs assurés ou de leurs bénéficiaires. Cette disposition avait été rejetée par le gouvernement de Dominique de Villepin sous prétexte que la disposition était trop lourde à mettre en œuvre.
Pour aller plus loin…
Vous pouvez approfondir le sujet par la lecture du Rapport Straumann du 10 octobre 2007 qui présente très synthétiquement les enjeux du texte adopté.
Sylvain Rakotoarison
Article paru sur Agoravox.