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15 avril 2023 6 15 /04 /avril /2023 05:45

« Cette décision marque la fin du cheminement institutionnel et démocratique de cette réforme. Un cheminement qui a commencé par des cycles de concertations avec les partenaires sociaux à l’automne, puis s’est poursuivi par un débat parlementaire à l’Assemblée Nationale et au Sénat, permettant l’adoption d’un texte en commission mixte paritaire largement enrichi par les initiatives des parlementaires. » (communiqué du gouvernement le 14 avril 2023).




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C'est avec quelques minutes d'avance sur l'horaire prévu (18 heures) que le Conseil Constitutionnel a rendu son double verdict sur la régularité constitutionnelle de la réforme des retraites et sur la proposition de référendum d'initiative partagée sur le sujet. Toutes ses décisions étaient prévisibles car le Conseil Constitutionnel a apporté un point de vue juridique (constitutionnel) et pas politique.

C'est ce que les enragés de la Nupes ont fait semblant de ne pas comprendre depuis une quinzaine de jours : faire du Conseil Constitutionnel une instance politique, qui déciderait, sans légitimité populaire (en raison de leur nomination entre autres), de la politique de la Nation. Il y a là une confusion des genres et des critiques paradoxales : on critique la non-légitimité populaire du Conseil Constitutionnel et en même temps, on lui demande de faire de la politique. Justement, il n'est pas légitime pour faire de la politique nationale, mais il est légitime pour veiller à ce que la Constitution (et le bloc de constitutionnalité) soient strictement respectés (ce qui est le minimum dans un État de droit).

On a voulu lui faire faire de la politique au point que les opposants à la réforme du gouvernement ont voulu faire pression sur les Sages en manifestant directement à leurs fenêtres (ce 13 et ce 14 avril 2023). Comme respect de la loyauté constitutionnelle, il y a mieux.

Les décisions étaient purement juridiques et le Conseil Constitutionnel a bien insisté à ce sujet (en évoquant le contenu de la réforme) :
« Il n’appartient pas au Conseil Constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. ».

S'il a validé l'élément clef de la réforme, son article 10 sur le passage de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, le Conseil Constitutionnel a cependant invalidé six dispositions qu'il considérait comme des "cavaliers sociaux" à une loi de financement de la sécurité sociale :
« Relevant qu’elles n’avaient pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement, le Conseil Constitutionnel a, suivant sa jurisprudence constante relative aux "cavaliers sociaux", censuré [six dispositions]. ». En particulier l'index sénior (article 2 du projet) et le contrat de travail sénior (article 3).

Cette censure ne concerne que le fait d'être dans un tel projet de loi de financement :
« Sans préjuger de la conformité de leur contenu aux autres exigences constitutionnelles, le Conseil a donc censuré ces six ensembles de dispositions, juridiquement détachables du reste de la loi. ». Donc, le gouvernement pourra toujours présenter un autre projet de loi, ordinaire celui-ci, pour revenir sur ces dispositions censurées, mais c'était de toute façon l'intention du gouvernement qui veut faire une grande loi sur le travail.

Par ailleurs, selon le surveillant général de la Constitution, les procédures adoptées par le gouvernement ont respecté scrupuleusement la Constitution :
« L’examen successif de chacune de ces procédures a conduit le Conseil Constitutionnel à relever que, appliquées conformément aux règlements des assemblées, aucune n’avait porté d’atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Puis, le Conseil Constitutionnel a jugé que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions du débat, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. ».

Si cette décision n°2023-849 DC du 14 avril 2023 était exclusivement juridique et pas politique (le Conseil Constitutionnel a également exposé d'autres arguments en rapport aux sujets des saisines ; elle fait l'objet de 120 considérations), il est vrai que cela conforte politiquement le gouvernement et le Président Emmanuel Macron : d'une part, l'ensemble de la réforme des retraites est passé, et l'Élysée a annoncé que la promulgation aurait lieu d'ici à la fin du week-end ; d'autre part, même les éléments censurés font l'affaire du gouvernement (en particulier, le contrat de travail sénior imposé par les sénateurs) car le gouvernement voulait de toute façon faire une grande loi sur le travail, ce qui inciterait ainsi les syndicats à revenir à la table des négociations. D'ailleurs, quelques heures avant la décision du Conseil Constitutionnel, Emmanuel Macron avait invité les syndicats à venir à l'Élysée le 18 avril 2023.

Certains députés ont demandé le report de la promulgation, ce qui est insensé. Au-delà du simple scandale de vouloir faire pression sur le Président de la République, il faut rappeler que le Président de la République est dans l'obligation de promulguer une loi définitivement adoptée par le Parlement et validée par le Conseil Constitutionnel. C'était d'ailleurs l'objet de tout un débat constitutionnel avant la première cohabitation de 1986 qui était dans le paradigme inverse : un Président de la République a-t-il le droit de refuser de promulguer une loi ? La réponse est non, il est dans l'obligation de promulguer la loi (même Jacques Chirac sur la loi sur les CPE en mars 2006) ; la demande aux parlementaires de réexaminer le texte est extrêmement rare. La seule liberté que s'est permis François Mitterrand en pleine cohabitation, c'était de refuser de promulguer des ordonnances pour la privatisation de certaines entreprises publiques, et Jacques Chirac, préférant d'autres combats politiques et pragmatiques, n'avait pas insisté en reprenant le processus législatif avec un projet de loi ordinaire.

L'autre décision du Conseil Constitutionnel (décision n°2023-4 RIP du 14 avril 2023) n'était pas, elle non plus, imprévisible : il a rejeté la proposition de référendum d'initiative partagée signée par 252 députés et sénateurs qui voulait consulter les Français sur la phase : « Affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ».

L'article 11 de la Constitution, tel que révisé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique n°2013-1114 du 6 décembre 2013, est très clair. Et il y a un aspect intéressant (trivial même) que la Conseil Constitutionnel a noté. Peut être soumis au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

Le Conseil Constitutionnel a effectivement souligné que pour être soumis au référendum, il faut, dans le domaine social, que ce soit une "réforme". Or, à la date du dépôt, la situation en France est que l'âge légal de départ à la retraite est 62 ans. Proposer que l'âge ne soit pas au-delà de 62 ans n'est donc pas une réforme puisque applicable actuellement. Il l'écrit ainsi : « Ainsi, à la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit. ».

Sur le référendum d'initiative partagée, rien ne semble perdu puisqu'une seconde proposition a été déposée le 13 avril 2023, in extremis, qui tenterait de contourner cet aspect juridique. On se demande d'ailleurs si des fuites ont eu lieu au Conseil Constitutionnel pour retoquer la première proposition mal rédigée. Le Conseil Constitutionnel donnera sa décision sur sa validation ou son rejet le 3 mai 2023. Je pense que la réponse sera plutôt en faveur de la validation, non pour apaiser la situation politique (le Conseil ne fait pas de politique, il fait du droit), mais parce que cette seconde proposition aura été déposée avant la promulgation de la réforme des retraites. C'est une condition d'admissibilité ; il est impossible qu'un sujet qui a été délibéré par le Parlement dans les six derniers mois soit l'objet d'un référendum d'initiative partagée.

Ce qui compte est donc la date du dépôt de la proposition et la date de la promulgation, et sur ce sujet des dates (il peut y avoir d'autres motifs de rejet), je ne vois pas comment le Conseil Constitutionnel pourrait s'y opposer, si on prend les choses à la lettre. Dans l'esprit du RIP, bien sûr, ce serait en contradiction car cela voudrait dire que l'opposition, non contente d'être minoritaire, voudrait court-circuiter les lois votées par la représentation nationale par des référendums. Cela dit, comme j'imagine que les capacités de mobilisation pour obtenir 4,8 millions de signataires (10% des inscrits) paraissent réelles, ce serait instructif de voir comment se passerait la procédure d'un RIP jusqu'à son terme. Ma curiosité l'emporterait sur l'inquiétude économique.

Dès ces décisions connues, l'opposition, par la voix de Mathilde Panot, présidente du groupe FI à l'Assemblée Nationale, a vociféré, rejetant l'ensemble des institutions parce qu'elles ne lui seraient pas profitables, alors que justement, dans cette situation si tendue et si kaléidoscopique, heureusement que les outils sont là pour pouvoir gouverner, apporter des réponses aux nombreuses crises actuelles, set ne pas stagner dans l'immobilisme de la Quatrième République.

Elle a surtout oublié de dire que deux motions de censure auraient pu renverser le gouvernement pour cette réforme des retraites, et que la représentation nationale (dans son ultime sagesse) en a décidé autrement en laissant le gouvernement en place. Les élus de France insoumise ont la fâcheuse habitude, depuis 2017, de croire qu'ils sont majoritaires alors que par deux fois, les électeurs (donc le peuple) ont très majoritairement rejeté leurs propositions. Le peuple, c'est d'abord le Président élu avant les minoritaires. C'est cela, la loi de la démocratie.

Si les décisions du Conseil Constitutionnel vont dans le sens du gouvernement, la situation politique et sociale reste pour autant dans l'impasse. Les journalistes nous expliquent que la Première Ministre Élisabeth Borne a été confortée par ces décisions du Conseil Constitutionnel. C'est une erreur d'analyse car, je le répète encore une fois, le Conseil Constitutionnel n'a donné qu'un point de vue juridique et pas du tout politique. Inversement, si le Conseil Constitutionnel avait invalidé l'ensemble de la réforme des retraites, Élisabeth Borne n'aurait pas pour autant été désavouée par lui.

Du reste, la réaction de la Première Ministre a été sage en disant qu'il n'y avait ni vainqueur ni vaincu. Le Conseil Constitutionnel s'est "borné" à veiller au respect de la Constitution et à rien d'autre. C'est, certes, une étape, la dernière, du processus législatif (Emmanuel Macron avait parlé du "processus démocratique"), mais l'essentiel était dans le vote des motions de censure du 20 mars 2023. En refusant de renverser le gouvernement, les députés ont apporté au gouvernement un soutien implicite à la réforme des retraites, même ceux qui, dans l'opposition, n'auraient pas voulu être considérés comme des ralliés.

Ce triomphe modeste se traduit dans le communiqué du gouvernement ainsi : « La volonté du gouvernement est désormais de poursuivre la concertation avec les partenaires sociaux pour donner davantage de sens au travail, améliorer les conditions de travail et atteindre le plein emploi. ».

Le front syndical a donc des raisons de se diviser : Laurent Berger a déjà dit qu'il n'entendait pas appeler à manifester sans arrêt et avec sans cesse une mobilisation décroissante, alors qu'il veut être écouter pour la prochaine grande loi sur le travail. Il manque juste un geste d'Emmanuel Macron pour pacifier une situation politique particulièrement tendue. Les vacances de Pâques et les multiples ponts du mois de mai pourront sans doute contribuer à un meilleur état d'esprit des partenaires sociaux. Par simple pourrissement.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (14 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Réforme des retraites : feu vert (sans surprise) du Conseil Constitutionnel.
Grève des éboueurs à Paris.
Renouveau à la CGT.
Laurence Rossignol.
Olivier Véran souligne l'hypocrisie de la Nupes (22 mars 2023).
Aurore Bergé fustige les oppositions (20 mars 2023).

Le maître des horloges et sa montre.
Emmanuel Macron : "J'assume ce moment !"
Interview du Président Emmanuel Macron le 22 mars 2023 à 13 heures sur TF1 et France 2 (vidéo).

295 députés refusent de censurer le gouvernement pour sa réforme des retraites.
La tactique politicienne du RN.

Les gens sérieux et les gens du cirque.
Séance à l'Assemblée Nationale du jeudi 16 mars 2023 à 15 heures (vidéo et texte intégral).

Jeudi, l'heure de vérité !
Sénat : mission remplie pour la réforme des retraites 2023.
Le choix du vote bloqué (article 44 alinéa 3 de la Constitution).
La retraire de Philippe Martinez.
Réforme des retraites 2023 : le Sénat évitera-t-il l'obstruction ?
Réforme des retraites 2023 : après les enfants terribles, les sages.
Discours de la Première Ministre Élisabeth Borne dans la nuit du 17 au 18 février 2023 à l'Assemblée Nationale (texte intégral).

Réforme des retraites 2023 : chemin de Croix à l'Assemblée.
Olivier Dussopt.

Assemblée Nationale : méthode de voyou !
Sauver nos retraites par répartition.
Réforme des retraites 2023 : le projet du gouvernement est-il amendable ?
Dossier des retraites du gouvernement publié le 10 janvier 2023 (document à télécharger).
Conférence de presse de la Première Ministre Élisabeth Borne le 10 janvier 2023 à Matignon (texte intégral et vidéo).
Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023.
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
Le coronavirus supplante la réforme des retraites de 2019-2020

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230414-retraites.html

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/reforme-des-retraites-feu-vert-247879

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/14/39878218.html






 

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