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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 03:58

« La mise en danger des patients, s’il apparaissait qu’elle puisse être provoquée par des traitements non validés scientifiquement, pourrait justifier dans ces circonstances la saisine du directeur général de l’ARS pour demander une suspension immédiate de l’activité de ces médecins. » (communiqué de l’ordre des médecins du 23 avril 2020).


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Je reviens sur le professeur Didier Raoult et l’hydroxychloroquine, et plus généralement ce que j’ai appelé le populisme scientifique mais que je préciserais en populisme médical.

La pandémie de covid-19 qui sévit dans le monde depuis le mois de janvier 2020 est une catastrophe totale. Totale car elle a fait arrêter toutes les affaires du monde et qu’elle occupe les esprits de tous depuis plusieurs longues semaines. Et il y a de quoi. On ne connaît rien du coronavirus SARS-CoV-2, auteur du crime. On n’a aucun traitement efficace pour affronter la forme sévère, si bien que la survie est devenue une véritable loterie pour les malades qui subissent cette forme sévère (peut-être un petit espoir en direction du tocilizumab, mais attention aux faux espoirs, rien n’est encore confirmé). On vient même de découvrir une suspicion de forme grave chez les enfants généralement épargnés. On ne dispose d’aucun vaccin. On ne sait tellement rien que l’on commence même à douter de l’effet immunitaire de ceux qui ont été au contact avec le coronavirus, ce qui remet en cause l’une des capacités à arrêter la circulation du virus (l’immunité collective).

Pour corser le tout, il existe un grand nombre (à déterminer ultérieurement) de personnes porteuses du virus qui sont asymptomatiques, c’est-à-dire qui ne sont pas malades et qui ne savent pas qu’elles ont été contaminées mais qui, pourtant, peuvent contaminer les autres. Bref, rien que sur l’effet sanitaire, la situation est on ne peut plus anxiogène et le fait d’avoir peur est non seulement normal mais est nécessaire. La peur, sauf pour le hérisson qui reste paralysé, est la meilleure motivation pour agir. Et l’action nécessaire, c’est de tout faire pour ralentir sinon stopper la circulation du virus. La principale mesure pour cela a été de confiner les populations. C’est la méthode chinoise qui, semble-t-il (à confirmer car les statistiques sont assez étranges, j’y reviendrai dans un autre article), a été efficace. Le confinement a engendré aussi son lot de conséquences anxiogènes, la principale étant une crise économique et un bond du chômage.

Depuis plusieurs semaines, beaucoup de réflexions reposent donc sur les professionnels de santé, et plus particulièrement, les professionnels de la pandémie : épidémiologistes, infectiologues, virologues, pneumologues, médecins en service de réanimation, statisticiens, spécialistes de l’éthique médicale, etc.

Heureusement, la France a un certain nombre de lois qui protègent les citoyens, et sur le plan sanitaire, c’est une chance. Plus il y a de régulation, plus il y a évidemment de frein à la liberté. Les lois sont votées pour protéger les plus faibles face au plus fort (ou face à l’adversité, il n’y a pas forcément un "ennemi" désigné, surtout en période de crise sanitaire, l’ennemi est le coronavirus). Or, sur le plan médical, il y a deux sortes de faiblesse : la maladie (ou le handicap, ou la dépendance, bref, lorsque le corps, y compris l’esprit, flanche et a besoin de soins), mais aussi l’ignorance.

L’ignorance est un manque de savoir, l’incompétence est un mélange de manque d’utilisation du savoir et d’inexpérience. Pour être médecin, on ne doit pas faire sans raison une dizaine d’années d’études, initiées par une très forte sélection (le fameux numerus clausus). Certes, aujourd’hui, avec Internet, tout le monde peut avoir accès à la connaissance, mais elle y est souvent parcellaire et, de toute façon, elle n’est pas suffisante pour savoir l’appliquer, l’utiliser, les médecins sont aussi des praticiens et des professionnels. Praticiens signifie qu’ils acquièrent l’expérience. Professionnels signifie entre autres qu’ils sont une profession, qu’ils communiquent entre eux, se concertent, réseautent, veillent sur l’état de la science, éléments qu’on n’a pas seul chez soi devant un ordinateur bourré seulement de connaissances théoriques.

J’ajoute également en introduction qu’il peut y avoir deux sortes de médecins : les médecins "seulement" praticiens et les médecins "chercheurs". C’est peut-être une caricature mais c’est une réalité. Les médecins "seulement" praticiens utilisent leur savoir, leur expérience et l’expérience de leurs collègues, au bénéfice de leurs patients, tandis que les médecins "chercheurs" créent de la connaissance, en d’autres termes, trouvent la manière de mieux lutter contre une maladie ou s’en prémunir le cas échéant. Les médecins "seulement" praticiens ne peuvent qu’appliquer ce que les chercheurs ont permis de trouver. Ils ne peuvent eux-mêmes, seuls dans leur cabinet de consultation, mener des recherches, du moins, de manière isolée.

En particulier, il y a une loi qui oblige les traitements, avant d’être commercialisés, à "subir" une série de tests cliniques qui puissent prouver que, d’une part, ils sont effectivement efficaces ; d’autre part, qu’ils n’ont pas des conséquences secondaires pires que la maladie qu’ils veulent traiter (en particulier pour certaines catégories de patients). C’est la clef de la commercialisation. Cette nécessité est une véritable protection pour le patient profane : elle lui donne un cadre de protection face aux industries pharmaceutiques qui n’ont pas forcément besoin d’efficacité pour vendre leurs produits (exemple : le Mediator).

Ce cadre réglementaire s’appelle le code de la santé publique, et l’on y retrouve aussi (dans ce code) le code de déontologie médicale dont la dernière mise à jour date du 29 octobre 2019. Chaque médecin est tenu de respecter ce code de déontologie, sous peine de… ne plus avoir le droit d’exercer comme médecin. C’est la simple protection pour différencier médecins et charlatans, de plus en plus fréquents en période de crise. L’ordre des médecins est une sorte de police des médecins. On peut bien sûr critiquer l’institution, parce qu’elle est une sorte de justice hors de la justice, mais c’est encore le seul moyen qu’on a de dire qu’un médecin sort de la médecine (qui, à part d’autres médecins, pourrait-il juger cela ?). Ne plus avoir le droit d’exercer, c’est comme un chauffard dont on aurait retiré le permis de conduire : il a fait une faute grave qui lui interdit de conduire à nouveau, du moins temporairement, et cela pour la sécurité des autres usagers de la route.

Ainsi, les médecins n’ont pas le droit de prescrire des traitements qui n’ont pas été éprouvés, approuvés et agréés par une autorité de santé publique pour la commercialisation. Ce sont les articles R1121-1 et suivant du code de la santé publique.

Il y a aussi dans le cadre réglementaire une obligation d’avoir un sens des responsabilités : la communication au grand public doit être adaptée et prudente, surtout lorsqu’il y a discussions voire polémiques sur des sujets qui ont pour conséquence la santé des patients. Deux articles sont particulièrement intéressants dans le code de la santé publique.

Le premier est l’article R4127-13 : « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d’une cause qui ne soit pas d’intérêt général. ».

Le second est l’article R4127-14 : « Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical. ».

En lisant ces lignes, on peut penser tout de suite à l’attitude du professeur Didier Raoult.

Insistons bien : Didier Raoult est un médecin chercheur, et à ce titre, il est une sommité médicale reconnue internationalement. Il est un "mandarin", avec ses défauts comme ses qualités. Ses luttes internes, ses manœuvres, ses querelles de chapelle. Parmi ses caractéristiques, il peut difficilement se considérer comme "la voix du peuple" face à une "élite parisienne", d’une part parce que ses "opposants" sont aussi provinciaux que lui (Bordeaux, Angers, Lyon, etc.) ; d‘autre part, parce qu’il fait lui-même partie de l’élite médicale française, reconnue mais aussi écoutée jusqu’à la magistrature suprême, puisque le Président de la République Emmanuel Macron a même fait le déplacement pour le rencontrer à Marseille le 9 avril 2020 (peu avant son importante allocution du 13 avril 2020 qui a annoncé la date du déconfinement). De plus, il est toujours membre du conseil scientifique sur le covid-19 bien qu’il refuse d’y siéger.

Par ailleurs, Didier Raoult a su faire venir des fonds de dizaines de millions d’euros pour ses activités, tant d’origine publique que privée (des industries pharmaceutiques notamment), ce qui, pour moi, est une grande qualité (les chercheurs qui cherchent des fonds savent de quoi je parle), mais c’est difficile de se considérer parallèlement comme une victime incomprise et rejetée du "système" dont il est l’un des éléments les plus brillants.

Sa personnalité d’électron libre est même plutôt attendrissante. Sous son faux air de Panoramix qui confectionne sa potion magique (la science hélas n’a rien à voir avec la magie), Didier Raoult, scientifique reconnu, a hélas adopté un comportement fort regrettable qui n’a plus grand-chose d’un comportement de scientifique rigoureux et rationnel. La croyance et la magie semblent avoir chassé l’entendement.

Or, Didier Raoult, surfant sur une vague populiste qu’il n’a pas initiée mais qui le porte, en rajoute systématiquement dans le sens victimaire. Au regard des deux articles du code de la santé publique que je viens de citer, à l’évidence, Didier Raoult n’en a pas tenu compte dans sa communication. Pas de prudence lorsqu’il a parlé de "grippette chinoise" (avec une légère condescendance pour les Chinois) en janvier 2020, pas de réserves lorsqu’il a dit avoir définitivement trouvé la solution à base d’hydroxychloroquine en mars 2020, et manque encore de prudence lorsqu’il affirme la saisonnalité (qui reste plus qu’hypothétique) du coronavirus en avril 2020.

C’est vrai que Didier Raoult est très apprécié pour une raison très simple : il essaie d’annoncer des bonnes nouvelles. D’abord, l’épidémie n’est pas grave. Ensuite, si ! elle est grave, mais on peut traiter la maladie. Enfin, elle va finir toute seule grâce à l’été. Le problème, c’est que tout cela n’est pas prouvé et même parfois infirmé, même si tout le monde (je dis bien tout le monde, y compris le gouvernement, et même les "méchants" de "big pharma" qui préféreraient le monde d’avant récession) aurait bien voulu qu’il ait raison. Pas étonnant que ceux qui ont le plus peur lui fassent le plus confiance, il rassure (ce qui est un autre rôle important des médecins). Le problème, c’est qu’il rassure dans un contexte qui n’a rien de rassurant. Or, sous-estimer les dangers fait augmenter la menace par la sous-estimation des risques et l’impréparation.

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De plus, ses interventions publiques sont essentiellement "top-down", à partir de vidéos sur Youtube sans capacité de débattre et de démonter des arguments particulièrement foireux (j’y reviens ci-dessous). Pire, lui, grand chercheur, s’enorgueillit d’avoir 600 000 clics sur une vidéo, preuve d’une supposée véracité de ses propos (comme si le nombre était un critère de vérité !). Par ailleurs, les seules publications qu’il a rédigées sur ce sujet depuis deux mois ont été éditées par l’institut qu’il dirige lui-même, ce qui est loin des publications à comité de lecture où les travaux scientifiques sont jugés minutieusement par ses pairs.

Didier Raoult a même fait une sorte de publicité en disant qu’on mourait moins dans son institut que dans les autres hôpitaux. Ce que le code de la santé publique interdit de faire et surtout, ce qui met dans une situation très compliquée vis-à-vis de leurs patients les médecins qui travaillent dans d’autres structures que celle de Didier Raoult.

À cause de ces communications malvenues, il y a déjà eu des victimes. Par exemple, ce couple d’Américains assez âgés qui, craignant d’être contaminés, ont avalé un poison à base de chloroquine utilisé pour nettoyer leur aquarium. Oui, les communications irresponsables peuvent tuer des personnes. De manière involontaires évidemment mais cela met surtout en lumière cette responsabilité du médecin (du "sachant") lorsqu’il fait une communication publique : il doit rester très prudent. Tous ses propos peuvent être mal interprétés.

Mais il y a d’autres victimes, ceux pour qui un traitement à l’hydroxychloroquine hors covid-19 est indispensable et qui voient ce médicament soudain en forte tension d’approvisionnement. Et plus généralement, tous les malades du covid-19. Beaucoup de médecins chercheurs ont eu du mal, après le début de la polémique sur l’hydroxychloroquine, à obtenir l’accord des patients pour faire des tests cliniques sur des autres substances. Et pourtant, faire partie des tests cliniques (quelles que soient les conditions), c’est faire partie des patients VIP. En effet, jamais les patients ne sont aussi bien médicalement surveillés que ceux des tests cliniques et au moindre indicateur qui peut inquiéter, le test peut être interrompu le cas échéant puisque c’est évidemment la santé du patient qui restera toujours la priorité fondamentale.

Du reste, le conseil national de l’ordre des médecins a bien compris qu’il fallait rappeler quelques règles de déontologie à certains médecins. Dans son communiqué du 23 avril 2020, qui vise particulièrement Didier Raoult (mais pas seulement lui, aussi des médecins dont un en Moselle qui ont communiqué un peu imprudemment dans un quotidien régional), il a mis en garde : « Le conseil national de l’ordre des médecins rappelle fermement à l’ensemble des médecins qu’en cette période de vulnérabilité particulière et face à l’inquiétude de nos concitoyens, leur parole prend un sens encore plus important. Il serait inadmissible dans ce contexte de susciter de faux espoirs de guérison. Les Français, nos patients, vouent une confiance importante au corps médical, qui se doit d’en être à la hauteur pendant cette crise sanitaire sans précédent. ».

« Très vigilant sur ces dérives », l’ordre a aussi condamné l’utilisation de traitements sans autorisation : « Eu égard à la communication qui a été faite sur ces protocoles [qui s’inscrivent en dehors de la législation en vigueur], les conseils départementaux de l’ordre où les médecins concernés exercent ont été invités à recueillir les explications de leurs confrères sur leurs dits protocoles et à leur rappeler leurs obligations déontologiques inscrites dans le code de la santé publique. ».

Enfin, il s’est inquiété sur la réalité du consentement des patients : « En temps de crise sanitaire, la spécificité du recueil du consentement des patients soumis à un protocole de recherche clinique et les règles de la prescription hors AMM doivent également faire l’objet d’une application très stricte de la part des professionnels. ».

Didier Raoult a répondu à ce communiqué le 26 avril 2020 par un simple tweet : « Je ne suis évidemment pas concerné par les menaces de l’ordre des médecins. Je m’inscris dans le cadre du décret du 25 mars 2020. Les doses d’hydroxychloroquine prescrites à l’IHU sont des doses habituelles, administrées sous surveillance. L’azithromycine est le traitement de référence des infections respiratoires. ».

Habile dans son expression, il a raison à propos du protocole utilisé, mais pas à propos de la communication au grand public de "susciter de faux espoirs". Cependant, il n’est pas le seul, et la première communication des chercheurs de l’AP-HP sur l’essai du tocilizumab n’est probablement pas meilleure sur le plan déontologique.

Je ne doute pas de la sincérité de Didier Raoult et de sa volonté d’intérêt général, c’est-à-dire, de sa sincère volonté d’aider les malades du covid-19 à se soigner. Nous pourrions seulement dire que la forme peut être contestable, plus que le fond, mais malheureusement, lorsqu’il s’agit de méthodologie scientifique, c’est bien du fond qu’il s’agit. Je reste complètement stupéfait lorsqu’un scientifique confirmé adopte des comportements qui n’ont rien de scientifique, pire, qui adopte des comportements antiscientifiques.

Revenons ainsi à l’hydroxychloroquine, souvent (volontairement ?) confondue avec la chloroquine qui sont pourtant des molécules différentes avec des anciennetés différentes. Nous sommes déjà la fin du mois d’avril, et cela fait deux mois et demi que Didier Raoult a annoncé que son protocole à base d’hydroxychloroquine serait efficace sur ses patients. Il a expliqué qu’il n’a pas été très rigoureux dans la démonstration de cette efficacité à cause de l’urgence. Certes, mais maintenant, avec dix semaines, il avait largement le temps de faire des tests cliniques rigoureux.

Toutefois, il n’insiste plus trop sur l’hydroxychloroquine mais plutôt sur l’azithromycine associée à "son" protocole. Certains pays ont même abandonné cette piste, voyant qu’elle n’aboutissait pas. Sachons être clair : si un remède miracle marchait effectivement, on le saurait et on l’utiliserait ! Quel intérêt y aurait-il de continuer cette hécatombe dans les salles de réanimation ? (Je suppose que les témoignages futurs de médecins en réanimation après la crise sanitaire seront très difficiles à entendre).

J’ai même entendu à la télévision le 21 avril 2020 un médecin technocrate retraité qui aurait mieux fait de la boucler (je ne cite pas son nom par charité chrétienne) parler d’une opposition entre "rigueur dogmatique" et le pragmatisme empirique. Il n’y a rien de dogmatique à vouloir rester rigoureux, surtout quand la vie de patients sont en jeu (le contraire serait criminel, même). Sophisme stupide donc de vouloir opposer les deux, comme si la rigueur signifierait remplir des tas de paperasses qui freineraient le génie scientifique des chercheurs ! Le cadre réglementaire a une seule mission : protéger les patients, répétons-le ! Un scientifique qui crache sur la rigueur scientifique est-il scientifique ? C’est un vrai débat (intéressant) mais pas à initier en période d’urgence sanitaire où il faut sauver des malades.

Dois-je aussi rappeler la sortie du professeur Éric Chabrière, qui n’est pas médecin mais physicien (spécialisé dans la cristallographie des protéines), qui disait pour soutenir Didier Raoult que la médecine n’était pas une science mais un art ? Les patients apprécieront. Et le docteur Youri Yordanov, médecin urgentiste à l’hôpital Saint-Antoine, n’a toutefois pas pu s’empêcher de tweeter ainsi le 28 mars 2020 : « Effrayant Éric Chabrière sur LCI… il a l’air d’un allumé… le populisme ruine la science ! À quel moment un IHU ou un chercheur accepte ces méthodes à la c@n ? ». Autre tweet : « Oh p*tain, il vient de comparer Raoult à De Gaulle ou Napoléon. ». Troisième tweet : « Aucune haine, c’est juste incompréhensible d’entendre un Pr de l’IHU dire : "il n’y a aucune rationalité, c’est pas dans la norme, c’est pas dans la méthode mais je vous dis ça marche". ». Je le répète, l’empirisme en science est un vrai sujet de réflexion mais quand on risque de tuer avec des substances à déconseiller pour les problèmes cardiaques, il faut un peu de rigueur avant de s’aventurer à traiter un grand nombre de patients avec un protocole incertain.

Passons en revue les arguments.

Et d’abord, le protocole. Il faut qu’il soit appliqué au début de la contamination pour réduire la charge virale. Cela signifie qu’il faut l’appliquer sur des centaines de milliers voire des millions de personnes, celles qui sont contaminées. Par principe de précaution, puisqu’une faible proportion seulement développera une forme sévère. Beaucoup de malades du covid-19 guérissent sans traitement, c’est même la grande majorité des cas. Or, leur donner de l’hydroxychloroquine serait, avec le nombre, un vrai danger de santé publique en raison des effets sur le rythme cardiaque.

En clair, ce protocole n’est pas satisfaisant pour ceux qui ont des problèmes cardiaques (pour qui il faudrait trouver un autre protocole dans tous les cas), et pour les autres, il faudrait les surveiller avec des électrocardiogrammes avant et pendant le traitement, ce qui est un dispositif très lourd, nécessitant (pour la surveillance) une hospitalisation de tous les patients (ce qui est absolument impossible du point de vue matériel vu le nombre de personnes contaminées).

Mais au-delà de ce problème de toxicité cardiaque qui peut être surveillé (et donc, on peut réduire les risques de ce type), rien ne dit que cette molécule fasse "bon ménage" avec le coronavirus. Des substances connues et utilisées depuis longtemps (qui ont "fait leurs preuves") ne font pas du tout "bon ménage" avec le coronavirus, par exemple, l’aspirine ou les anti-inflammatoires. Ce n’est pas parce que la molécule est connue depuis longtemps et utilisée massivement qu’elle est inoffensive pour les malades du covid-19.

La seule solution pour prouver l’efficacité d’un médicament ou, au moins, déterminer avec justesse la balance avantages/risques, c’est de faire des tests cliniques dit de double aveugle. Deux populations aux caractéristiques identiques (évidemment), c’est-à-dire comparables (âge, pathologie, etc.), l’une traitée avec le protocole donné, l’autre en placebo mais ni les patients ni les médecins ne savent qui ont la molécule, qui ont le placebo. C’est le seul moyen pour déterminer l’efficacité. Un essai clinique piloté par le professeur Vincent Dubée, infectiologue au CHU d’Angers, a été mise en œuvre à partir du 1er avril 2020 dans une quarantaine d’hôpitaux (essai Hycovid).

Or, voici que l’équipe de Didier Raoult retourne la question d’éthique d’une manière particulièrement scandaleuse : mes patients ne sont pas des "rats" de laboratoire, donc, je refuse de leur donner du placebo alors qu’ils risquent de mourir. Sauf que c’est justement avec cette méthode sans double aveugle que les patients qui prennent des médicaments non testés sont devenus de vrais "rats" de laboratoire (comme d'ailleurs à l’époque de Pasteur). Comme je l’ai écrit plus haut, l’hydroxychloroquine peut avoir des effets toxiques et ce risque doit être évalué avant de traiter les patients de manière massive. Ceux qui critiquent qu’on n’utilisent pas l’hydroxychloroquine seront les premiers à parler d’irresponsabilité du gouvernement si cette substance avait pour conséquence, finalement, de détériorer au lieu d’améliorer la santé des patients (rappelons-nous l’affaire du Mediator).

Le seul argument valable pour ne pas réaliser ces tests cliniques rigoureux était l’urgence : mais au bout de dix semaines, l’argument ne tient plus. L’équipe de Didier Raoult aurait eu largement le temps de prouver l’efficacité de son protocole, s’il l’avait voulu. Mais peut-être ne l’a-t-il jamais voulu ? Je reste toujours très circonspect lorsqu’un scientifique découvre un truc exceptionnel …qui ne marche qu’avec lui. Je me rappelle la mémoire de l’eau… Le propre d’une découverte scientifique, sa fiabilité, c’est sa reproductibilité : une personne ayant la même compétence scientifique doit pouvoir reproduire l’effet prétendu.

Ensuite, des arguments vaguement complotistes surnagent à ces précédents arguments, mais ils sont plus foireux. Par exemple, le gouvernement refuserait le protocole de Didier Raoult (qui coûte peu cher, certes, mais comme cela doit être utilisé massivement, cela ferait toujours un bon chiffre d’affaire pour… devinez qui ?), pour favoriser "big pharma" (qui est-ce ?) et son (futur) vaccin. Le problème, c’est que cet argument arrive un peu trop tôt : il n’y a pas de vaccin, et sa perspective, au mieux, est pour dans dix-huit mois, peut-être cinq ans, peut-être même jamais (pour l’instant, aucun vaccin au SARS 1 de 2002, dix-huit ans plus tard).

L’existence d’un vaccin aurait résolu le problème sanitaire, et aurait évité le confinement (notez la contradiction, car ce sont les mêmes qui le contestent). Mais de toute façon, Aucune argumentation qui se base sur des décisions nationales n’a de sens puisque la crise sanitaire est mondiale et que lorsqu’un pays aura trouvé une solution efficace, les autres l’imiteront nécessairement.

Pour des raisons purement politiques, les déclarations imprudentes du professeur Didier Raoult ont été récupérées par les opposants de tous poils au gouvernement. Qu’ils en fassent une sorte de gourou faute d’avoir de meilleurs arguments politiques contre le pouvoir, pourquoi pas ? Mais qu’ils sachent quand même que Didier Raoult a fait partie de ces "experts" écoutés, trop écoutés, par ce pouvoir tant décrié qui avaient très largement sous-estimé la crise sanitaire en janvier 2020. Qu’ils ne s’étonnent donc pas qu’avec pareils conseillers, le gouvernement se soit retrouvé dans l’obligation du confinement pour sauvegarder des vies humaines

J’avais commencé avec la peur, une peur tout à fait normale, et il faudra vivre avec elle pendant le déconfinement et les mois à venir.

Je termine sur une déclaration de Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, pour son explication de vote sur le plan de déconfinement présenté par Édouard Philippe le 28 avril 2020 au Palais-Bourbon : « Au-delà des drames et des contraintes que les Français vivent depuis maintenant plusieurs semaines, un des aspects les plus terribles de l’épidémie qui s’est abattue sur le monde, c’est que chacune et chacun d’entre nous est amené, dans chaque geste de la vie quotidienne, à faire face à sa propre mort. Nous savons certes que nous quitterons un jour cette terre, mais quand toucher ce micro devient dangereux, comme l’obligation de son nettoyage systématique (…) nous le rappelle, c’est autre chose. À chaque moment, chaque Français sera pendant encore plusieurs mois obligé de se demander comment se protéger et protéger ses proches. (…) C’était, monsieur le Premier Ministre, toute la difficulté du discours que vous aviez à prononcer aujourd’hui : sortir de cet état de peur, pour ne pas dire de trouille, accepter notre condition d’être humain dans sa fragilité mais aussi, vous l’avez dit à propos du choix entre l’effondrement ou le déconfinement, accepter le risque. (…) Monsieur le Premier Ministre, la crise que vous avez à gérer est difficile. Les yeux dans les yeux, je vous dis que peu de gens ici aimeraient être à votre place et que je vous ai trouvé à la fois solide et sincère, y compris dans vos doutes et vos incertitudes. (…) Si je devais voter la confiance, ce serait sans doute plus à vous qu’à votre supérieur que j’ai trouvé moins solide et moins sincère. Vous avez géré la crise économique avec beaucoup de réalisme et la crise sanitaire avec un certain nombre d’incertitudes et parfois de difficultés. Le gouvernement et les acteurs locaux doivent maintenant faire en sorte que le déconfinement soit un succès. ».

NB. Dans une interview qui sera diffusée sur BFM-TV ce jeudi 30 avril 2020 à 21 heures et qui est publiée dans l'édition du 30 avril 2020 de "Paris Match", Didier Raoult a "récidivé" dans la dédramatisation (qui fait sa popularité facile) en rejetant la possibilité d'une seconde vague d'épidémie. Surfant sur la vague anti-vaccin, il a en outre déclaré : « Trouver un vaccin pour une maladie qui n'est pas immunisante... c'est même un défi idiot. Près de 30 milliards de dollars ont été dépensés pour celui contre le VIH, voyez le résultat ! (...) Il est déjà difficile de vacciner correctement contre la grippe, alors contre un nouveau virus... Honnêtement la chance qu'un vaccin pour une maladie émergente devienne un outil de santé publique est proche de zéro. ». Le biais, c'est que Didier Raoult fait dans l'affirmation ce qui n'est qu'interrogation. Cela ne signifie pas qu'il ait tort, mais sa parole est péremptoire et peu scientifique, elle est celle d'un gourou. Mais peut-être que son problème, ce n'est qu'une question de reconnaissance. Il semble très amer qu'on ne l'ait pas écouté lorsqu'il a fait une étude en 2003 sur les risques épidémiques : « En 2003, j'ai écrit un rapport sur les risques épidémiques, tiré de mes observations sur la réaction chinoise face à l'épidémie du SRAS. Ici, en vingt ans, ils n'ont rien appris. Résultat, personne ne sait tester le coronavirus. Cela, Emmanuel Macron le sait très bien. ». Le "ils" est particulièrement "populiste" : "moi" et "eux" (non défini).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 avril 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Hydroxychloroquine : attention au populisme scientifique !
Polémique avec le professeur Didier Raoult : gardons notre sang-froid !
Hydroxychloroquine vs covid-19 : Didier Raoult est-il un nouveau Pasteur ?
Le déconfinement selon Édouard Philippe.
Covid-19 : le confinement a sauvé plus de 60 000 vies en France.
Du coronavirus dans les eaux usées ?
Le covid-19 n’est pas une "simple grippe"…

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200426-didier-raoult.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/didier-raoult-medecin-ou-gourou-223800

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/04/25/38233663.html


 

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commentaires

M
Quand vous écrivez: la survie est devenue une véritable loterie pour les malades. Sans être trop pessimiste, je crois qu’il est plutôt préférable de penser: (depuis plusieurs mois pour nous tous) que cette Loterie nous concerne tous.
Répondre
S
Bonjour Michel Jean,<br /> Oui, on peut résumer en disant qu'il y a deux loteries, celle d'être contaminé ou pas (et là, on peut avoir un petit pouvoir pour en réduire le risque avec les gestes barrières, la distanciation physique et autres dispositifs de protection), et celle, en cas de contamination, de développer une forme grave (et on ne connaît pour l'instant pas ce qui entraîne ou pas cette forme grave).<br /> Cordialement, SR.
M
Bonjour M., quatre tartines de pages que je devrai relire plusieurs fois tant elles sont si bien rédigées, mais professeurs ou pas ils sont comme nous tous, parfois ou fréquemment ils se plantent plus souvent qu’à leur tour. Et ça le grand public face aux jargon médical car non formé ou informé ne l’admet pas toujours avec/par des pompeux: j’ai été considéré par tel grand professeur comme etc., etc. C’est à vous.
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