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6 janvier 2023 5 06 /01 /janvier /2023 04:37

« Plus une discussion en ligne se prolonge, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler [ou la Shoah] s’approche de un. » (Mike Godwin, en 1990).




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L'avocat américain Mike Godwin, qui a été par la suite directeur juridique de la Fondation Wikimédia, a énoncé une loi mathématique lors de ses échanges sur le réseau Usenet, en 1990. Cette loi s'est avérée confirmée par la suite sur Internet en général, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux et le Web 2.0.

 

En gros, au bout d'échanges souvent stériles entre deux internautes (ou plus) sur un sujet donné (n'importe lequel), cela finit souvent par l'un disant à un de ses contradicteurs qu'il est comme Hitler ou que ce qu'il avance est une nouvelle Shoah, fermant ainsi toute discussion. Cette disqualification rhétorique qui a pour but de mettre le contradicteur hors d'état de débattre sans évoquer le fond du sujet est dite aussi reductio ad hitlerum, selon l'expression proposée en 1953 par le philosophe allemand Léo Strauss, qui est toutefois légèrement différente de la loi de Godwin. Lorsque l'argument est avancé par l'un des débatteurs (sur Internet ou même dans la "vraie vie"), l'observateur consciencieux lui attribue alors un point Godwin. Personne ne précise si, au bout d'un certain nombre de points, le débatteur est interdit de débattre (comme un chauffard qui n'a plus de point à son permis de conduire est interdit de conduire).

Cette loi s'est illustrée récemment à l'encontre du Président Emmanuel Macron. Comme il est aux responsabilités, c'est normal qu'il soit la cible de nombreuses critiques (pour caricaturer, tout ce qui va mal en France est de la faute du Président de la République, même quand les défauts proviennent d'avant sa naissance !). Parmi les critiques, certaines sont plus crédibles ou plus justifiées que d'autres. Lorsqu'on atteint le point Godwin, la critique n'a plus aucun crédit, même si elle peut être justifiée. C'est ainsi l'erreur d'un éditorialiste que j'apprécie pourtant beaucoup, même si nous n'avons pas souvent les mêmes convictions, car il sait parfois souligner, avec des éclairs de bon sens et d'impartialité, quelques manipulations de l'audiovisuel, j'ai nommé Daniel Schneidermann, qui anime l'émission puis le site "Arrêt sur Images" qui analyse les séquences à la télévision. Ses éditoriaux quotidiens sont souvent très contrastés.

L'un de ses derniers éditoriaux, publié le 4 janvier 2023, évoquait les vœux présidentiels et surtout, les réactions à ses vœux. Il a ainsi parlé de scientifques qui avaient été choqués par une phrase d'Emmanuel Macron dans son allocution télévisée du 31 décembre 2022 : « Je repense aux vœux que je vous présentais à la même heure, il y a un an. Qui aurait imaginé à cet instant, que, pensant sortir avec beaucoup de difficultés d’une épidémie planétaire, nous aurions à affronter en quelques semaines, d’inimaginables défis (…) ? Qui aurait pu prédire la vague d’inflation, ainsi déclenchée ? Ou la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? ».

Et parmi les "effets spectaculaires", cet été 2022, il y a eu les nombreux incendies de forêt jusqu'en Bretagne, la grande sécheresse, la surmortalité due à la vague de chaleur, etc. Cela fait beaucoup en plus du fait que l'année 2022 a été considérée comme la plus chaude depuis qu'on mesure la température régulièrement et que l'hiver 2022-2023 commence de manière particulièrement douce (ce qui est rassurant avec la crise énergétique).

Cette petite phrase présidentielle a eu le don d'agacer les scientifiques qui ont travaillé sur le climat depuis une trentaine d'années. Interrogé le 2 janvier 2023 par Thomas Baïetto de France Télévisions, le paléoclimatologue Jean Jouzel, Médaille d'or du CNRS (2002), Prix Vetlesen (2013), vice-président du GIEC entre 2002 et 2015 et à ce titre, Prix Nobel de la Paix (2007), par ailleurs soutien malheureux de la candidature de la maire de Paris Anne Hidalgo à l'élection présidentielle de 2022, se rappelait avoir présenté les conclusion du cinquième rapport du GIEC dans les salons de l'Élysée en septembre 2013 devant le Président François Hollande et y participait aussi son conseiller économie Emmanuel Macron : « J'aurais pu parier que, pendant son mandat, il y aurait au moins une année d'événements extrêmes. La surprise, ce serait qu'une année comme 2022 n'existe pas ! (…) Ce qui se produit aujourd'hui, c'est ce que nous avions anticipé. ».

Vous l'avez compris, alors que le Président de la République dit innocemment "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?", les climatologues, eux, disent qu'il l'avaient prédite depuis au moins trente ans si ce n'est cinquante ans (avec René Dumont). Mais il faut aussi se dire que crier au loup ne fait pas forcément venir le loup (je me rappelle qu'à une certaine époque, à chaque début d'année, une astrologue charlatan prédisait la mort de Khomeiny, jusqu'à ce qu'une année, celle-ci se produisît).

Co-auteur du dernier rapport du GIEC, le géologue Gonéri Le Cozannet a tweeté le 1er janvier 2023 : « C'est amusant, c'est exactement une de mes boutades préférées pour moquer les politiciens qui vivent hors du réel. ». Et il a ajouté pour francinfo : « Au début, j'ai cru que c'était sorti de son contexte. J'ai regardé et j'ai trouvé ça assez stupéfiant. Il y a déjà eu six rapports du Giec, 27 COP, des alertes dans les années 1970 et 1980... On ne peut pas dire qu'on ne l'avait pas prévu (…). Que personne [de l'entourage présidentiel, conseillers, relecteurs, etc.] n'ait relevé cette phrase, cela montre que les enjeux ne sont pas compris. ». D'autres climatologues français ont aussi réagi dans le même sens, stupéfaits par l'étonnement présidentiel.

Sur le fond, cette petite phrase d'Emmanuel Macron est évidemment critiquable, en tout cas étonnante (son étonnement est étonnant), mais si elle est maladroite, elle peut être compréhensible. D'une part, de son point de vue de Président de la République qui n'a pas du tout été le maître des horloges, il a été soumis à un calendrier contraint par de multiples crises et cet été, avec la vague de chaleur et surtout, les feux de forêt, toutes ces crises ont été subites. D'autre part, dans son sens de l'énumération (guerre en Ukraine, pénurie de gaz et de pétrole, etc.), il a péché par emphase en rajoutant la crise climatique qui a commencé déjà (effectivement) depuis plusieurs années.

Il est clair que les dirigeants politiques restent souvent sur des considérations de court terme, à cause de la durée brève de leur mandat (quelques années), et aussi à cause des soubresauts de l'opinion qui doit être ménagée (on l'a vu pour les gilets jaunes). Les anticipations sont plus fortes depuis une vingtaine d'années en matière budgétaire, avec le vote de lois de programmation sur plusieurs années, mais les horizons à plus de cinq ou dix ans sont très difficiles à appréhender, tant pour les responsables politiques que pour les simples citoyens qui se préoccupent d'abord de finir le mois. Souvent, les horizons lointains en temps sont des exercices farfelus rarement sincères ou grandiloquents lorsqu'ils sont proposés par des responsables politiques.

Prenant la balle au bond, Daniel Schneidermann, dans son éditorial du 4 janvier 2023, va beaucoup plus loin, et si sur le fond, cela peut se discuter, la manière d'aborder le sujet m'a paru particulièrement malsaine et inutilement polémique.

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Il commence fort en dramatisant et en surinterprétant : « Le pire est que Macron est probablement sincère. Il n'a pas cru les rapports du GIEC qu'il a reçus. Il n'a pas cru les climatologues qu'il a réunis à de multiples reprises à l'Élysée pour entendre, de leur bouche, la même chose. Il n'a pas cru les paroles qu'il a lui-même, à d'aussi multiples reprises, prononcées, sur le thème "la politique que je mènerai sera écologique ou ne sera pas". Si les mots ont un sens, il avoue qu'il fut, qu'il est encore, climatosceptique, non pas sur l'origine humaine du réchauffement, mais sur son ampleur. », sans imaginer la possibilité, la plus probable, d'une simple maladresse de communication ; une de plus, serais-je tenté d'écrire puisque Emmanuel Macron en a fait déjà beaucoup, à la grande réjouissance de ses détracteurs patentés. C'est d'ailleurs la version du député européen écologiste Pascal Canfin, un temps pressenti à Matignon l'an dernier, qui a assuré : « Ce serait vraiment un faux procès d'en conclure qu'il n'est pas conscient de la situation. ».

Mais Daniel Schneidermann, qui a cité Pascal Canfin pour être objectif, y décèle plutôt une sorte de sidération de la classe politique à appréhender l'enjeu climatique : « Il est permis d'y voir une incapacité psychologique à se figurer le "unprecedented", le sans précédent, que constitue le changement climatique, alors que Météo France devrait annoncer cette semaine que l'année 2022 fut la plus chaude depuis le début des relevés. Cette incapacité peut frapper des personnes sous-informées. Elle peut aussi frapper des dirigeants surinformés. Cela n'a rien à voir avec le niveau d'information. Et d'autant moins que les dirigeants surinformés sont généralement entourés de courtisans admiratifs. ». Là encore, il n'a peut-être pas tort. Après tout, la crise du covid-19 aussi a mis un certain temps (deux mois) avant d'être prise réellement en compte par les dirigeants (on se souvient que quelques jours avant le premier confinement, Emmanuel Macron est allé assister à une représentation dans un théâtre et a expliqué qu'il fallait continuer à vivre).

Mais l'éditorialiste dérape, à mon sens, lorsqu'il finit par une comparaison avec les camps d'extermination nazis : « Vint un moment, vers la fin de 1942, où les indices d'une extermination massive des Juifs par les nazis s'accumulèrent aux États-Unis, de source incontestable. Quand les autorités juives (qui avaient retenu l'information plusieurs semaines) obtiennent alors du gouvernement américain l'autorisation de tenir une conférence de presse sur le sujet, une demi-douzaine de journalistes y assistent. La situation est comparable. L'information sur la catastrophe est certaine, mais inopportune : bombarder les voies ferrées qui mènent aux camps d'extermination bouleverserait les plans de guerre des Alliés. Et l'un de ces reporters, frais émoulu de Columbia, rapporte sa réaction : "Ai-je écrit un article là-dessus ? Oui. A-t-il été transmis ? Oui. Les journaux l'ont-ils pris ? Oui. Quelqu'un y a-t-il cru ? J'en doute. Y ai-je cru moi-même ? Oui, peut-être à moitié. J'y ai cru un peu, mais pas tout à fait. Ça dépassait la compréhension de tout le monde dans ce pays". ». Et il conclut effrontément : « "Peut-être à moitié" : Macron en est là. ».

Peut-être Emmanuel Macron n'y croit qu'à moitié, je ne suis pas dans sa conscience (l'éditorialiste non plus), mais ce qui est sûr, en revanche, c'est que la situation n'est pas comparable. Aurait-il été convaincu, alors Emmanuel Macron aurait-il dû bombarder et quoi ? Rien n'est simple. Du reste, sur le sujet lui-même de la réaction face à l'information de l'existence des camps d'extermination, la réponse était beaucoup plus complexe qu'il ne veuille bien l'affirmer : bombarder les camps ou les voies ferrés aurait fait des dizaines de milliers de victimes parmi les déportés et même si la plupart étaient voués à une mort certaine (certains en ont quand même réchappé), une réponse des Alliés n'était pas logique sauf à ce qui s'est historiquement passé, à savoir libérer les camps dès que le terrain fut préalablement conquis, ce qui s'est produit. Cette question restera sans doute encore en débat plusieurs décennies mais elle n'est pas facile comme semble le croire Daniel Schneidermann.

En tout cas, et je m'en vois désolé car je l'apprécie plutôt, ce dernier a donc bien mérité un point Godwin...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (04 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vœux présidentiels : un éditorialiste gagne 1 point Godwin sur le climat !
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
Vœux 2023 d’Emmanuel Macron : l'impératif d'unité de la Nation.
La réélection d'Emmanuel Macron.
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Discours de politique générale d’Élisabeth Borne le 6 juillet 2022 à l’Assemblée Nationale (vidéo et texte intégral).
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Gouvernement Élisabeth Borne I.2 : resserrement des liens de la majorité présidentielle (Ensemble).
Composition du gouvernement Élisabeth Borne I.2 du 4 juillet 2022 (communiqué de l’Élysée).
La composition sans beaucoup de surprises du premier gouvernement d’Élisabeth Borne.
Élisabeth Borne, déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et maladresse politique.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230104-point-godwin-climat.html

https://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/voeux-presidentiels-un-245847

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/01/05/39768921.html







 

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