Un coup d’État militaire peut-il arriver dans ce pays ? L’arrestation du Président et du Premier Ministre, la prise de contrôle de la radio et télévision, la conquête du pouvoir par des officiers militaires… bref, la totale plus d’un an après l’élection présidentielle de 2007. Cauchemar ou réalité ?
Alors que la crise économique sévit dans le pays, touché par la hausse du prix du pétrole, un événement majeur s’est déroulé le mercredi 6 août 2008.
Coup d’État et risques de guerre civile
Le Président élu démocratiquement en 2007 a été arrêté mercredi dans la capitale. Un coup d’État militaire s’y est en effet déroulé, sans effusion de sang. Il fait fin à un mandat présidentiel inauguré par une élection présidentielle qualifiée de « modèle démocratique » par la communauté internationale.
Selon le porte-parole de la Présidence, « le chef d’état-major particulier du Président, démis de ses fonctions dans la matinée, est le meneur du coup d’État, en réaction à son éviction. ».
Le Président et le Premier Ministre ont été arrêtés en début de matinée et ont été amenés vers une destination inconnue. Le Président a été arrêté à sa résidence et le Premier Ministre à son bureau. Tous les téléphones ont été coupés à la Présidence et tous les téléphones de la première dame ont été confisqués. Le Ministre de l’Intérieur a aussi été arrêté.
Le porte-parole assure : « Cela s’est fait sans violence pour la bonne raison que ce sont des éléments putschistes qui assuraient la sécurité du Président. ».
Le Président de la République avait signé mercredi matin un décret nommant quelques nouveaux officiers à l’état-major. « Ces officiers, trois généraux, ont refusé d’obtempérer [à leur limogeage] et sont entrés en rébellion contre l’ordre constitutionnel. »
Les putschistes ont formé un ‘Conseil d’État’ présidé par le chef d’état-major particulier du Président de la République et ont annulé le décret présidentiel. La radio et la télévision nationales ont arrêté d’émettre et leur personnel a été chassé. Les aéroports de la capitale ont été également fermés.
Certains mettent en relation ce coup d’État avec la récente fronde de vingt-cinq députés et de vingt-trois sénateurs du parti présidentiel qui avaient démissionné lundi pour protester contre la politique menée par le Président de la République.
La situation est cependant calme dans la capitale. Aucun coup de feu n’a été entendu, aucun barrage n’a été signalé. Des troupes ont été mobilisées près de la Présidence de la République et près des locaux de la radio et de la télévision.
La Commission européenne a condamné ce putsch et a réclamé le retour du Président destitué.
…
Ni info ni intox
Non…
Rassurez-vous (en quelques sortes), il ne s’agit pas de Nicolas Sarkozy élu Président de la République le 6 mai 2007, pas de François Fillon nommé Premier Ministre le 18 mai 2007, ni non plus du général Bruno Cuche, chef d’état-major de l’armée de terre, limogé le 1er juillet 2008 (‘démissionné’ en fait).
Il ne s’agit pas de la France… mais de la Mauritanie.
En France, les coups d’État sont relativement rares.
Le dernier en date fut perpétré par Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851. Il s’agissait d’aller au-delà de la limite constitutionnelle de son mandat présidentiel pour finalement le transformer en Second Empire.
Le 10 juillet 1940 (avec Pierre Laval et Philippe Pétain) et le 13 mai 1958 (avec René Coty et Charles De Gaulle) pourraient être qualifiés aussi de coups d’État, à cela près que les représentants légitimes du peuple (parlementaires) ont approuvé ces transformations (les élections et référendum de l’automne 1958 ont cependant largement ratifié la nouvelle Constitution, ce qui ne fut pas le cas de la Révolution nationale de l’été 1940).
L’armée a toujours eu un rôle politique mineur en France depuis sa longue tradition républicaine. Les derniers soubresauts qui générèrent des risques de putsch militaire furent l’aventure incertaine du ‘quarteron de généraux’ à Alger et l’OAS.
Pas en France mais en Mauritanie
Mais revenons à la Mauritanie.
L’observateur distrait risque de se dire : oh, encore un coup d’État en Afrique, comme il y en a des dizaines d’autres depuis plusieurs décennies.
C’est un peu vrai. Il suffit de rester en Mauritanie et de constater la vie politique encore récente.
Le 3 août 2005, le Président qui vient d’être arrêté hier, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (un civil), avait lui-même bénéficié de la destitution du Président Maaouiya Ould Taya au cours d’un coup d’État dirigé par le directeur général de la sûreté nationale, Ely Ould Mohamed Vall, dont le but était de « mettre fin au régime totalitaire du Président Taya et mettre en place de véritables institutions démocratiques ».
Rappelons aussi que Taya, ancien chef d’état-major et alors Premier Ministre, avait pris le pouvoir le 12 décembre 1984 par un coup d’État, qu’il autorisa le multipartisme en juillet 1991 et qu’il se fit élire en 1992, en 1997 et en 2003 à la tête du pays au cours d’élections parfois contestées.
Un processus démocratique
Oui, mais, un peu comme en Côte d’Ivoire, les putschistes de 2005 avaient organisé une élection présidentielle libre et démocratique. Le 25 mars 2007 (au second tour), en effet, Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été pour la première fois de l’historie élu démocratiquement Président de la République islamique de Mauritanie. Il a prêté serment le 19 avril 2007.
À partir de cette date, la radio et la télévision se sont libéralisées, des nouveaux partis ont été acceptés, notamment un parti islamiste.
Mais depuis décembre 2007, la situation s’est dégradée avec la hausse du prix du pétrole et des denrées alimentaires, réduisant le pouvoir d’achat, ainsi qu’avec le climat d’insécurité croissante provenant des trois attentats terroristes islamiques attribués à la mouvance d’Al-Qaïda.
Crises politiques entre Exécutif et Législatif
Le Premier Ministre Zeine Ould Zeidane démissionne le 6 mai 2008 et son successeur, Yahya Ould Ahmed Waghf, nomme le 11 mai 2008 le nouveau gouvernement avec des personnalités proches de l’ancien Président Maaouiya Ould Taya (qui avait pu revenir en Mauritanie le 21 avril 2006 sans avoir eu le droit de participer aux jeux politiques).
Cependant, ce nouveau gouvernement démissionne le 3 juillet 2008 avant même le vote d’une motion de censure déposée par des députés le 30 juin 2008. Un nouveau gouvernement est nommé avec le même Premier Ministre après trois semaines de crise politique, mais en refusant d’y intégrer certains parlementaires de la majorité.
Un politologue explique que « des rumeurs circulaient il y a une quinzaine de jours sur un possible coup d’État. C’était un peu un secret de Polichinelle que deux officiers supérieurs encourageaient cette scission au sein du parti au pouvoir. ».
Militaires humiliés et parlementaires rejetés
En fin de compte, c’est la grogne des officiers qu’il a limogés (dont le chef d’état-major de l’armée, le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed) qui a été fatal au premier Président élu démocratiquement. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, le chef d’état-major particulier du Président et chef de la garde présidentielle, a donc pris le pouvoir.
Ces événements, qui semblent se comprendre comme un mouvement d’humeur des militaires qui se rendent compte de leur perte d’influence politique, sont d’autant plus regrettables que depuis 2007, la Mauritanie avait été largement saluée comme un modèle de la démocratie pour l’Afrique et le Monde arabe.
Selon le député mauritanien Mohammed Al Mukhtar interviewé par Al-Jazira, le majeure partie du pays soutiendrait les putschistes, considérant que le Président avait « marginalisé la majorité au Parlement » et que le gouvernement appliquerait un « régime autoritaire ».
25 députés (sur les 95 au total que compte l’Assemblée Nationale) et 23 sénateurs (sur les 56 au total que compte le Sénat), initialement dans la majorité présidentielle, s’étaient désolidarisés le 4 août 2008 du Président renversé.
Les parlementaires démissionnaires du parti présidentiel ont même appelé à une manifestation pour soutenir ce jeudi les putschistes : « Nous soutenons le mouvement correctif » a déclaré Sidi Mohamed Ould Maham, porte-parole de ces parlementaires.
Et maintenant ?
La nouvelle junte militaire a annoncé l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle dans deux mois et le maintien de l’Assemblée Nationale et du Sénat.
La France a réaffirmé hier soir son « attachement à la préservation de l’État de droit en toutes circonstances et son hostilité à la prise du pouvoir par la force ».
L’Organisation de l’Union Africaine, l’Union Européenne et les États-Unis ont fermement condamné ce putsch.
Le Président du Sénégal Abdoulaye Wade aurait eu une conversation téléphonique avec le chef des putschistes et lui aurait conseillé de veiller précieusement à la sécurité physique du Président renversé.
Un putsch militaire peut-il être le ‘retour’ à la ‘démocratie’ ?
L’argument selon lequel le putsch était nécessaire pour restaurer la démocratie dans le pays est hélas très fréquent en Afrique. Et il est difficile d’en juger sereinement la pertinence.
La Mauritanie est un pays musulman pont entre le Maghreb et l’Afrique noire. De seulement trois millions d’habitants, parmi les plus pauvres des nations (152e sur 177), le pays est surtout désertique (Sahara) et dispose de mines de cuivre, d’or et de fer.
Espérons que ces nouvelles secousses politiques ne renforcent pas la sévère crise économique et alimentaire qui mine actuellement la population.
Mauritanie te salutant.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 août 2008)
Pour aller plus loin :
Dépêche AFP (6 août 2008).
Dépêche Reuters (6 août 208).
Dépêche AP (6 août 2008).
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=43020
http://fr.news.yahoo.com/agoravox/20080807/tot-putsch-militaire-le-president-de-la-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/08/08/1240436_putsch-militaire-le-president-de-la-republique-est-arrete-a-la-suite-du-renvoi-d-officiers-generaux.html