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4 mai 2008 7 04 /05 /mai /2008 02:07

(tiré du site gend-ouvea.asso.fr)

(Sommaire ici)




A l’autre extrémité de l’île, les preneurs d’otages emmenés par Alphonse Dianou sont malheureusement d’une autre trempe et se trouvent dans toutes autres dispositions d’esprit.
On l’ignore encore, puisque le contact recherché n’a pu être établi, mais leur résolution est déjà prise: plutôt mourir que se rendre! Les élections doivent être annulées sans conditions, toutes les forces armées doivent quitter Ouvéa sans délai et la France doit s’engager à accorder l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie - pardon, à la Kanaky - sur-le-champ.

Le premier tour de l’élection présidentielle a tourné au désavantage du Premier ministre qui n’entrevoit plus qu’un miracle, dès lors, pour renverser la situation et l’emporter d’un souffle au second tour.
Ce miracle, précisément, pourrait venir - c’est du moins ce que lui assure son entourage - d’une libération spectaculaire des otages encore détenus.
Car la métropole retient son souffle, traumatisée par le drame qui se joue sur une partie du territoire national, à 22.000 kilomètres de distance.

A Matignon, l’ambiance est à l’exaspération. Exaspération de voir que la grande partie des otages n’a même pas pu être localisée après trois jours!
A distance, cela peut paraître extravagant, tout à fait inconcevable, et la hiérarchie de la gendarmerie a bien du mal à faire admettre à ceux qui tapent du poing sur l’acajou de leur bureau parisien que l’île d’Ouvéa, minuscule point sur la carte du globe, est d’une configuration tourmentée, recouverte d’une forêt tropicale dense, et qu’y localiser une poignée d’hommes, sans doute bien cachés, est assimilable à la recherche de la fameuse aiguille dans une meule de foin.

Le ministre Pons a établi ses quartiers dans un bureau du haussariat à Nouméa où, accompagné du général Norlain, chef de Cabinet militaire du Premier ministre, il passe ses journées dans l’attente d’une bonne nouvelle qui ne vient pas.
Le haussaire, lui, apparaît totalement dépassé par la situation. Un témoin irrévérencieux dira plus tard que chacune de ses interventions étaient ponctuée d’une sorte de beuglement sourd qui allait lui valoir, de la par t des militaires s’activant à ses côtés, le surnom de “la corne de brume”!

Après s’être longuement concerté avec son ministre des Armées, Jacques Chirac, a décidé de dépêcher des renforts en grand nombre vers la Nouvelle-Calédonie et Ouvéa.
Dans un premier temps, c’est un escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (E.P.I.G.N.) et un peloton du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (G.I.G.N.) qui prennent place dans un avion du Cotam.
L’élite des forces d’action de la gendarmerie, ces véritables supermen que nous envient le monde entier, vont donc entrer en scène!
L’Elysée en prend acte et profite de la circonstance pour imposer la présence d’hommes en qui il a toute confiance, à savoir le général de gendarmerie Jean Jérôme et le capitaine du G.I.G.N. Philippe Legorjus, deux protégés du super préfet Christian Prouteau, lui-même très en cour auprès du Président de la République, François Mitterand.
Ce dernier n’est sans doute pas mécontent, au fond de lui-même, de voir son Premier ministre placé dans une situation aussi délicate, à quelques jours du second tour de l’élection qui va les voir s’affronter.

Sur le terrain, la situation s’enlise. Cinq jours ont passés déjà, et si tout le monde a acquis la certitude que les otages et les ravisseurs se trouvaient à l’intérieur du quadrilatère délimité par les tribus de Weneki, Gossanah, Ognat, Ogne et Teouta, dans l’appendice nord-est de l’île, nul ne saurait dire précisément où.
La quête de renseignement continue de s’avérer totalement infructueuse et plus les gens de Matignon, relayés par Bernard Pons, s’impatientent, plus les malheureux officiers de gendarmerie qui ont reçu pour mission de dénouer la situation passent - le mot est de l’un d’entre eux - pour des imbéciles aux yeux de l’opinion publique qui trouve de plus en plus inacceptable “qu’on ne trouve rien”.

Face à cette situation d’échec, la décision extrême est prise par le gouvernement de retirer à la gendarmerie la conduite des opérations et de la confier à l’armée.
A cette heure, le général Jérôme et le capitaine Legorjus font route sur Nouméa dans un avion du Cotam.
C’est à l’escale de Papeete que le premier nommé apprendra que le premier rôle lui est retiré et que la responsabilité des opérations sur le terrain a été confiée au “Comsup” Vidal. Au milieu de la nuit du 24 au 25 avril
celui-ci a en effet reçu du chef d’état-major des armées un message ainsi libellé:
“Le premier ministre a donné au bureau des haussaires des instructions devant vous conduire a exercer le commandement et la coordination des opérations d’Ouvéa. Le haussaire précisera votre mission. Vous lui demanderez de vous donner une délégation vous permettant de répercuter les décisions de l’autorité civile à Ouvéa (…) Vous demanderez à la gendarmerie de désigner l’officier qui recevra de vous ses instructions”.

C’est le lieutenant-colonel Benson qui va être choisi. Lui et le général Vidal ont déjà eu l’occasion de travailler ensemble.
C’est ainsi que tous deux ont collaborés, quelques années plus tôt, aux Nouvelles-Hébrides, lors de la rébellion de Santo.
Ils se connaissent donc bien et s’apprécient mutuellement. Une situation d’exception vient d’être créée de fait.
L’armée investie d’une mission de police judiciaire en temps de paix: du jamais vu dans l’histoire de la République! Sitôt investi de ses nouveaux pouvoirs, le général Vidal part en “Puma” vers Ouvéa et, après un brève concertation avec ses adjoints, décide d’établir son Q.G. au cœur de la tribu de Gossanah, précisément à l’intérieur de l’école publique qui donne sur la place du village.
Les troupes qui l’appuient n’auront d’autres solution que de se réfugier dans “l’Ecole Populaire Kanak” où elles coucheront à même le sol. C’est donc vers cette minuscule agglomération que vont converger, au fil des heures, des renforts qui atteindront jusqu’à 650 hommes!

Sur place, tout continue d’être tenté, et notamment l'intimidation et l’appel à la raison des autorités coutumières. Mais rien d’y fait. Quant au ratissage, il relève carrément de l’utopie dans une contrée aussi fortement boisée. Aucun indice à terre, aucun indice depuis le ciel. Les heures continuent de s’égrener et la tension s’accroit à Gossanah où le service des transmissions a installé une antenne parabolique mobile au cœur de la tribu, ce qui permet au général Vidal de demeurer en contact permanent avec Nouméa et Paris.
Il s’en passerait d’ailleurs bien, lui qui a mieux à faire que d’écouter les états d’âme des uns et des autres. Mais aucun coup de force militaire ne saurait être tenté sans l’approbation du Président de la République, chef suprême des armées, et celui-ci, précisément, ne semble guère pressé de donner son aval à une opération de ce style. D’ailleurs, vers quelle cible dirigerait-on l’action?

Les fouilles minutieuses des tribus du nord n’ont rien donné, à l’image des interrogatoires que les militaires ne sauraient pousser au-delà d’un certain seuil, sous peine de passer pour des tortionnaires.
L’un des principaux suspects, le pasteur défroqué Djoubelly Wea, apparaît ainsi très sûr de son impunité et se moque ouvertement des militaires présents. Son influence sur la population de Gossanah est à l’évidence énorme et chacun est persuadé qu’il sait tout mais ne veut rien dire.
Le lieutenant-colonel Picard va pourtant tenter de l’amener à composition en revenant une nouvelle fois à la charge. Sa tentative va tourner à sa confusion.
Wea le laisse parler un moment puis il se lève et s’élance à l’extérieur de sa case en hurlant: “Vive la Kanaky! Vive l’indépendance! A bas les militaires français!”
Harcelés qu’ils sont jour et nuit par les politiques, ces militaires vont finalement se résoudre à isoler la tribu en l’encerclant.

Toute possibilité de communiquer avec les rebelles est ainsi retirée à ses habitants et, pour faire bon poids, les hommes sont assignés à résidence à l’intérieur de leur case.
Cette tactique va s’avérer payante car, au troisième jour du “siège” de Gossanah, quelques langues, bien timidement, commencent à se délier.
C’est ainsi que le général Vidal apprend que le camion de lutte contre l’incendie de la municipalité a été aperçu dans les parages et qu’il s’est enfoncé “quelque part” dans la forêt. Le renseignement est d’importance dans la mesure où il confirme aux militaires qu’ils sont bien là où il convient d’être. Cependant, nul n’a encore consenti à révéler où sont détenus les captifs.

C’est finalement au courage du lieutenant Destremau, un major de l’école de Saint-Cyr, que l’on devra de découvrir l’emplacement de la cachette, dans l’après-midi du 26 avril.
A force de persévérance, celui-ci va convaincre les autorités coutumières de la tribu, de lui donner une escorte pour le conduire sur place.
Sur place… Le terme est excessif dans la mesure où les coutumiers ont seulement promis de faire conduire leur interlocuteur “vers la zone où pourraient être détenus les otages”.
Le général Vidal donne immédiatement son accord pour que cette tentative ait lieu, tout en exigeant - et bien lui en prend - qu’une équipe du G.I.G.N. couvre discrètement la progression du lieutenant, à distance, pour le cas où les choses viendraient à mal tourner.

Destremau quitte donc la tribu de Gossanah et s’enfonce au cœur de la forêt, sur les pas de ses guides qui sont au nombre de trois. On progresse un peu à l’aveuglette, en écartant les branches et lianes pour se frayer un chemin à travers ‘l’enfer vert”.

C’est ainsi que les quatre hommes vont tomber nez à nez, brusquement, avec la sentinelle d’un poste avancé qui les met en joue. Très calme, Destremau tend le porte-voix dont il s’est muni à l’un de ses accompagnateurs et lui demande de parlementer avec les ravisseurs.
Leur but est d’obtenir leur reddition en douceur. Mais la réponse parvient très vite, sous forme d’un défi hurlé: “Notre position est inexpugnable, nous sommes retranchés dans une grotte sacrée qui nous rend invulnérables et, si vous tentez une quelconque action de force, les otages seront immédiatement exécutés”.

Pendant que se déroule cette conversation surréaliste au cœur de la forêt, Destremau a demandé à l’un de ses guides de faire demi-tour et d’aller mander les autorités coutumières de la tribu pour donner plus de solennité à la discussion qui s’est engagée.
Mais l'intercession des “anciens” se révélera inopérante et le lieutenant, qui a tout de même eu le temps de rendre compte de la situation au général Vidal au moyen de son poste radio portatif, est bientôt sommé de s’avancer vers la grotte où il est aussitôt dépouillé de son arme et menotté sans plus de façon, avant de rejoindre les autres otages.
Le coup est rude mais un point important à pourtant été marqué par les forces de l’ordre. On sait désormais, tout au moins avec une bonne approximation, où se situe la grotte dans laquelle se sont retranchés les ravisseurs avec leurs captifs.

Fort de ce premier acquis, le général Vidal réunit son état-major de campagne, en présence du substitut du procureur de la République, Jean Bianconi, arrivé la veille à Ouvéa pour contrôler la procédure dressée à l’encontre des ravisseurs.
Décision est prise d’envoyer le capitaine Legorjus, dès le lendemain matin, vers l’objectif que constitue la grotte afin de sonder la dispositif de l’adversaire. Au tout dernier moment, le substitut Bianconi surprend son entourage en demandant que l’autorisation lui soit donné d’accompagner Legorjus.
La présence d’un magistrat, argumente-t-il, ne pourra que rassurer Alphonse Dianou en lui prouvant que l’autorité judiciaire suit l’affaire de près et ne laissera pas les militaires faire “n’importe quoi”. Le général Vidal, tout en ne mésestimant pas le risque, se rend finalement à ses raisons.

La colonne s’ébranle donc à l’aube. Elle comprend le capitaine Legorjus, sans ses galons, le substitut Bianconi et six hommes du G.I.G.N. dont le capitaine Picon qui, trois années plus tôt, a dirigé l’opération au cours de laquelle Eloi Machoro a trouvé la mort près de la Foa.

Tous ensemble vont pénétrer à l’intérieur du dispositif adverse sans même s’en rendre compte, et c’est un miracle qu’aucun coup de feu n’ait été échangé car on découvrira plus tard que la progression s’était effectuée selon l’axe de tir de la mitrailleuse AA 52 dérobée à la gendarmerie de Fayaoué, pièce aussi essentielle que redoutable du dispositif de défense des ravisseurs.
Les sentinelles ont, bien entendu, donné l’alerte et, de part et d’autre, les index caressent nerveusement la détente des armes.
“Ne tirez pas! Ne tirez pas! Je suis le procureur de la République!” C’est Jean Bianconi qui a pris l’initiative courageuse de se porter en avant et de tendre une perche aux rebelles.
Il est immédiatement appréhendé, fouillé et conduit vers Alphonse Dianou. Legorjus et ses hommes n’en sont pas quittes pour autant.
Certes, ils leur restent la possibilité de tirer les premiers mais ils en sont vite dissuadés par un des meneurs qui leur crie de jeter bas les armes et de se rendre, sinon - éternel chantage - les otages seront exécutés.
Face à cette menace sans équivoque, ils décident d’obtempérer. En quelques instants, ils sont à leur tour neutralisés, menottés et conduits à l’intérieur d’un cratère à l’extrémité duquel s’ouvre une grotte au fond de laquelle ils vont retrouver le lieutenant Destremau, les “traîtres” de Gossanah qui viennent d’être passés à tabac et les seize otages de Fayaoué.
Alphonse Dianou connaît à cet instant une intense jubilation. Six membres du fameux G.I.G.N. faits comme des lapins sans qu’un coup de feu ait même été tiré!

Immédiatement transmise à Nouméa puis relayée sur Paris, la nouvelle va provoquer l’effet d’un coup de tonnerre. Le Premier ministre est au comble de la fureur et Bernard Pons éructe des insanités au téléphone, à qui veut l’entendre.
Ce soir-là, le malheureux général Vidal ne va pas parvenir à fermer l’œil de la nuit. Tous ses négociateurs sont tombés dans la souricière. Sa marge de manœuvre, désormais, apparaît infime. La situation peut être qualifiée, sans exagération, de catastrophique.

Autorités civiles et militaires vont dans un premier temps songer à demander la médiation des leaders du F.L.N.K.S., les mieux placés, a priori, pour nouer un dialogue constructif avec Alphonse Dianou. Mais l’espoir sera de courte durée.
Ces messieurs ont immédiatement réalisé qu’ils n’avaient rien à gagner en s’immisçant dans ce guêpier. L’affaire a pris de telles proportions qu’il leur semble plus judicieux d’adopter le profil bas, en un mot de se défiler.




Suite ou sommaire :

Partie 1

Partie 2

Partie 3

Partie 4

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