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20 juillet 2023 4 20 /07 /juillet /2023 05:12

« Faisons donc ce rêve où le Maghreb serait un partenaire laïcisant et finalement assez vigoureux dans le monde musulman, hostile à la montée de l’islamisme politique. » ("L'Islamisme va-t-il gagner ?", éd. du Rocher, 2012).




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Admis à l'hôpital Pompidou de Paris, Alexandre Adler est mort ce mardi 18 juillet 2023 à l'âge de 72 ans (il est né le 23 septembre 1950 à Paris). D'origine allemande, russe et juive et marié à la philosophe Blandine Kriegel, Alexandre Adler était un normalien, agrégé d'histoire, professeur des universités, historien et journaliste, spécialisé en géopolitique et plus particulièrement à tout ce qui traitait de l'Union Soviétique, de la Russie et de l'Europe centrale et orientale.

On pouvait le croiser de temps en temps près de la Maison de la Radio (il tenait pendant longtemps une chronique sur France Culture). Alexandre Adler, à la voix claire et posée, était un bonhomme très sympathique, poli, courtois, érudit, et aussi très créatif, qui avait une vision très personnelle des relations internationales, qui posait les sujets avec une grande culture, une grand connaissance historique, en faisant des liens très audacieux voire farfelus entre différents événements dans le temps et l'espace.

Si les analyses géopolitique d'Alexandre Adler devaient toujours être sujettes à caution, elles avaient l'intérêt de l'originalité, de l'érudition et de l'intelligence, car l'intelligence, somme toute, qui vient du verbe comprendre en latin, c'est relier entre elles des connaissances éparses pour y déceler un sens, un chemin, et Alexandre Adler était très friand des sentiers qu'il balisait lui-même, proposant une vision très particulière du monde. Beaucoup ont parlé justement de ses analyses "audacieuses" car cet adjectif n'apporte aucune connotation négative ou positive, elle apporte surtout la notion d'un monde revu et corrigé.

Parallèlement à sa carrière universitaire, Alexandre Adler a eu une activité journalistique intense qui l'a fait connaître du grand public. Par écrit ou par oral, il intervenait depuis une quarantaine d'années dans de nombreux médias, en particulier "Libération", "Le Matin de Paris", "Courrier international" (dont il a été le directeur éditorial), "Le Monde", "Le Point", "L'Express", "Le Figaro", mais aussi à la radio, Europe 1, RTL, France Culture, et à la télévision Arte, France 5, Direct 8, etc. Auteur d'une trentaine d'essais depuis la fin des années 1970, il n'a jamais laissé indifférent ses auditeurs ou lecteurs par son audace, qui a été rarement prédictive (ou, si c'était le cas, seulement par chance et hasard, selon ses détracteurs).

Ses considérations ont aussi beaucoup évolué et il serait même difficile d'y voir une cohérence durable : communiste ou socialiste, selon les époques avant la chute du mur de Berlin (dans les années 1980, il était proche de François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Régis Debray, Max Gallo, François Hollande, Jean-Pierre Jouyet, etc.), Alexandre Adler est devenu partisan d'une alliance très forte avec les États-Unis après l'autre événement majeur de l'après-guerre, les attentats du 11 septembre 2001, au point de soutenir la croisade menée par George W. Bush contre l'islamisme (et en particulier, la guerre en Irak).

Néanmoins, cet ami de Kissinger a soutenu John Kerry en 2004 (il a pronostiqué la victoire de Kerry) et Barack Obama en 2008 (il a pronostiqué l'échec d'Obama). On a alors parlé d'un "virage atlantiste" d'Alexandre Adler. Il soutenait alors l'intervention des États-Unis au Moyen-Orient, en particulier en Irak et en Afghanistan, alors que quelques années auparavant, il estimait que l'invasion soviétique en Afghanistan était défendable, notamment parce que le gouvernement afghan a été le premier des gouvernements à reconnaître la future Union Soviétique en 1919 et à établir des liens diplomatiques.

Par ailleurs, il était partisan du Traité constitutionnel européen au référendum de 2005, après avoir soutenu deux fois pour Jacques Chirac en 1995 et en 2002 (malgré sa proximité socialiste d'origine et, plus tard, sa position favorable à la guerre en Irak), et a souvent fustigé le courant altermondialiste qu'il assimilait au courant illibéral.

Parmi ses détracteurs, Mathias Reymond, maître de conférences en sciences économiques à l'Université d'Évry, s'en est pris plusieurs fois à Alexandre Adler. Notamment sur le site Acrimed le 18 novembre 2004 avec un article au titre évocateur : "Les facéties d'Alexandre Adler : feu sur les altermondialistes" : « À longueur d’antenne et de colonnes, Adler rumine toujours les mêmes poncifs, à grands renforts d’analogies historiques dont la vacuité n’a d’égale que la vanité d’un cuistre, dissimulant derrière son érudition apparente (destinée à produire des effets de sidération) les haines recuites dont il parsème son vocabulaire. Ce pamphlétaire tous-médias (…) ne doit la place qu’il occupe qu’à la magie qui le fait passer pour un commentateur avisé auprès de nombre de ses confrères. Dans l’orchestre, Adler fait office de grosse caisse... ».

Et dans "Le Monde diplomatique" de juin 2005 avec un autre article au titre tout aussi évocateur : "Alexandre Adler, portrait d'un omniscient" : « Considéré par de nombreux journalistes comme la référence en matière de géopolitique et de conflits internationaux, Alexandre Adler (…) est présenté comme un commentateur avisé par ses confrères. Ils lui décernent le Prix du livre politique 2003 pour "J’ai vu finir le monde ancien" (…). Nul ne nie l’immense culture d’Alexandre Adler, dont la panoplie des connaissances embrasse l’histoire des États-Unis, le conflit du Proche-Orient, sans oublier la Russie, l’Amérique latine et l’Afrique. Cette science lui permet d’expliquer successivement que la victoire électorale de M. Silvio Berlusconi en 2001 est une "catastrophe morale. (...) On peut rapprocher les figures de Mussolini et de Berlusconi" ("Courrier international", 3 mai 2001), avant de se reprendre : "La victoire totale de Berlusconi permet de liquider enfin la Ligue (...). C’est en soi une victoire de la démocratie". ("L’Expansion", 23 mai 2001). (…) Assurément, Alexandre Adler ne peut être spécialiste de tous les sujets ; ses chroniques régulières dans un nombre important de médias ne lui laissent pas autant de temps qu’il le souhaiterait pour enquêter. (…) Alexandre Adler apprécie les rapprochements insolites. Il a signalé aux auditeurs de France-Culture que la "campagne [d’attentats du Hamas] a fait plus de morts en trois mois que l’ETA en vingt-cinq ans" (19 octobre 2004). Il a également mêlé M. Oussama Ben Laden, la capitulation franco-britannique de 1938 à Munich et la victoire électorale de M. José Luis Zapatero en Espagne : "Ben Laden vient de remporter une victoire stratégique importante. (...) L’électorat [espagnol] a voté pour la trouille, pour le renoncement, pour Munich. Donc le terrorisme parvient à ses fins, il est justifié puisqu’il obtient des résultats spectaculaires" (France-Culture, 15 mars 2004). (…) Souvent présenté comme un visionnaire de génie, notre expert a accumulé les prévisions malencontreuses. ».

Ces extraits sont un condensé de ce qui était souvent reproché à Alexandre Adler, à savoir de connecter des faits historiques entre eux qui n'auraient peut-être aucun lien, d'une part, et de faire des pronostics erronés, d'autre part.

Je propose ici quelques réflexions d'Alexandre Adler, qui restent très "adlériennes".

Jeudi noir et Staline :
« Pour cela, [Staline] fait concocter par ses services idéologiques une théorie de la stratégie mondiale dite de la "troisième période révolutionnaire", où il annonce, coup de chance, le début d’une nouvelle tempête révolutionnaire pour 1929. Or, celle-ci va bien avoir lieu, à Wall Street, mais sans que cette analyse soit liée à la moindre lucidité économique des théoriciens du Komintern. Ce faisant, il entraîne tous les partis communistes d’Occident dans un affrontement total et sans répit contre la social-démocratie, notamment allemande, désormais qualifiée de "social-fascisme", pour mieux rompre les ponts avec la stratégie léniniste du front unique, à un moment où le chômage de masse va affaiblir le réformisme syndical dans la République de Weimar. » ("Le Communisme", éd. PUF Que sais-je ?, 2001).

Anti-américanisme et islamisme :
« [L'anti-américanisme est] un sentiment fascisant qui, de fait, se trouve en sympathie avec le "fascisme musulman" propagé par les islamistes. » (Proche-Orient.info, le 14 octobre 2003).

Massoud et l'Iran :
« Face à la pression de l’armée pakistanaise et des intégristes arabes, n’est-ce pas vers Téhéran que s’est spontanément tourné le leader des Tadjiks afghans Ahmed Shah Massoud, ainsi que son allié le mollah sunnite modéré antiwahabbite Burhanuddin Rabbi ? De même au Tadjikistan, c’est Téhéran qui soutenait avec Massoud, depuis son réduit afghan, l’insurrection "islamo-démocrate" locale ; Massoud y a d’ailleurs poussé, dès 1995, ses alliés à se réconcilier avec les communistes soutenus par Moscou, dans le cadre plus général de l’alliance globale de l’Iran avec la Russie. » ("Rendez-vous avec l'Islam", 2005).

Covid-19 :
« Hormis un conflit planétaire majeur, que nous jugeons improbable, une pandémie serait l’autre événement de grande échelle qui, selon nous, pourrait stopper ce processus [de mondialisation]. » ("Comment sera le monde en 2020 ?", Rapport de la CIA, éd. Le Grand Livre du mois, 2005).

Islam et laïcité :
« L’existence d’un affrontement qui s’étend aujourd’hui, à divers degrés, à tout le monde musulman, renvoie à ce que nous avons connu à la Renaissance entre une conception religieuse fanatique et une conception orientée vers les Lumières et la tolérance. » ("L'Islamisme va-t-il gagner ?", éd. du Rocher, 2012).

Erdogan et Daech :
« Daech poursuit le même raisonnement que Ben Laden avant le 11 septembre 2001 : faire basculer les pays sunnites arabes dans une guerre contre l'Iran, de même que Ben Laden voulait déclencher une guerre globale contre l'Amérique. Pour l'Instant cette stratégie ne fonctionne pas. Le seul allié qui reste à Daech est la Turquie, et c'est un paradoxe total. La Turquie est, de loin, le pays le plus laïc, le plus moderne et le plus proche culturellement de l'Europe par sa civilisation matérielle (…). Erdogan défie la foudre, les meilleures volontés internationales qui lui étaient peu ou prou acquises s'étiolent, le bloc musulman grâce auquel il a encore une fois gagné les élections commence à se craqueler. » ("Le Califat du sang", éd. Grasset, 2014).

Europe et Brexit :
« Un train peut en cacher un autre : l'express monétaire allemand me semble bien plus redoutable encore pour l'avenir de l'Europe que l'eczéma souverainiste de l'Angleterre, de la Scandinavie et de la Pologne. Mais une certitude se présente déjà : c'est le gouvernement français qui sera bientôt sur la sellette pour son usage alterné de démagogie gauchiste et de geignardise conjoncturelle. La tempête ne fait que commencer. » ("Valeurs actuelles", le 30 juin 2016).

Trump : « L'irruption de Trump n'a pas de racine culturelle dans le sentiment démocratique américain, ni aucune racine biographique au-delà des préjugés les plus courants dans son milieu ; elle est réellement l'irruption du nouveau, et d'un nouveau fort désagréable, au cœur de la République américaine. » ("La Chute de l'empire américain", éd. Grasset, 2017).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (19 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alexandre Adler.
Antone Sfeir.
Anne Sinclair.
Jean-François Kahn.

Victoria Amelina.
Éric Zemmour.
Denise Bombardier.
Pierre Loti.
Laurent Ruquier.
François Cavanna.
La santé à la radio.
Philippe Tesson.
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230718-alexandre-adler.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/alexandre-adler-de-l-audace-249457

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/07/19/39979675.html










 

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