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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 21:10

La journée du 2 avril 2009 fut très mouvementée pour la radio publique. À peine le successeur de Jean-Paul Cluzel a-t-il été nommé que d’autres nominations sont envisagées au sein de Radio France… émanant de l’Élysée.


Mon titre est un peu provocateur mais il permet d’exprimer la crainte du jour.

Si l’on peut admettre que le Président de la République ait exercé souverainement son droit de désignation du nouveau président de Radio France comme le lui permet désormais la nouvelle loi sur l’audiovisuel public, on peut être inquiet à l’écoute des informations qui ont circulé ce 2 avril 2009.


De nouvelles procédures

On peut certes regretter le retour à l’avant-1982, c’est-à-dire, avant le précurseur du CSA, la Haute autorité de l’audiovisuel (Michèle Cotta en a beaucoup parlé dans son dernier livre), avec des patrons de sociétés de l’audiovisuel public nommés directement par le pouvoir en place, mais comme c’est désormais une loi de la République, il convient de la respecter (tout en le déplorant le cas échéant).

La désignation de Jean-Luc Hees est d’autant plus respectable que le choix porté sur un professionnel de la radio (il a passé une trentaine d’années de sa carrière sur France Inter) est inattaquable sur le plan des compétences. Elle ne peut être considérée comme un parachutage.

En revanche, on peut s’inquiéter que l’Élysée cherche à s’immiscer dans la gestion interne à Radio France.


Ingérence élyséenne ?

Certes, le départ déjà prévu de l’actuel directeur général délégué Martin Ajdari (indépendamment de la fin de mandat de son président Jean-Paul Cluzel) rendait son remplacement nécessaire dès l’arrivée du nouveau patron de Radio France. Une décision qui revenait en principe à ce dernier mais qui vient d’être annoncée de façon inattendue par la Présidence de la République elle-même : il s’agirait de Patrick Collard, ancien directeur général délégué du groupe "Le Monde" (il a été aussi directeur général de "Télérama") et actuel directeur général délégué de "La Dépêche du Midi" (lire ici).

La seconde (et plus grande) surprise du 2 avril 2009 au soir, c’est l’annonce faite également par l’Élysée de la nomination future de Philippe Val comme directeur de France Inter. Je ne connais pas Philippe Val, je ne connais pas ses compétences, et donc je suis bien incapable de savoir s’il est l’homme de la situation.


Indécence

Cette annonce est cependant doublement indécente : d’une part, la nomination des directeurs de stations relève uniquement du président de Radio France.

Ancienne présidente de Radio France, Michèle Cotta avait été estomaquée que François Mitterrand lui avait reproché le 12 novembre 1981 de ne pas lui avoir parlé du remplacement du directeur de France Musique avec ces mots désabusés : « Mitterrand s’indigne, il me le dit au téléphone, que j’ai pu nommer André Jouve, le second de Vozinski, à la tête de France Musique sans lui en parler. Il se trouve que j’en avais parlé à Georges Fillioud [Ministre délégué à la Communication]. Devais-je passer par-dessus la tête de Fillioud et parler directement à Mitterrand de la nomination d’un chef de service ? Le Président est maître des armes, des arts et des lettres, certes ! De là à solliciter son avis sur tout, sur la musique en l’occurrence, qui n’est certes pas sa spécialité… ».

D’autre part, malgré le départ de Jean-Luc Hees de la direction de France Inter, cette direction n’est pas vacante depuis 2004 et son dernier successeur, Frédéric Schlesinger est, sauf erreur de ma part à ce jour, toujours en fonction et n’est pas démissionnaire. Imaginons sa tête en apprenant ces informations.


Pourquoi bientôt Philippe Val ?

"Le Nouvel Observateur" expliquait assez clairement les raisons possibles de la préférence de Nicolas Sarkozy pour Philippe Val, qui est un grand ami de Jean-Luc Hees (la bonne entente n’est pas à négliger dans le choix d’une équipe).

Directeur de "Charlie Hebdo", Philippe Val ne pourrait pas être taxé d’organiser une dérive droitière de France Inter même si, en limogeant Siné lors d’une affaire qui a fait mousser bien des médias, il était intervenu finalement pour défendre l’honneur d’un des fils du Président de la République et "Le Nouvel Observateur" rappelle aussi que Philippe Val est un ami de Carla Bruni.

C’est d’ailleurs cocasse d’imaginer que parmi les reproches formulés implicitement à Jean-Paul Cluzel, c’était de dire qu’il n’avait pas assez contrôlé les rédactions considérées beaucoup trop à gauche.

L’objectif de l’Élysée, ce serait de déstabiliser encore une fois la gauche après son ouverture au gouvernement à des personnalités de gauche, et d’avoir éventuellement les mains un peu plus libres pour France Télévisions (généralement, les hommes politiques sont beaucoup plus attentifs aux dirigeants de la télévision que de la radio).

Cela étant, ces informations ne pourraient que des suppositions très fortes comme cela a été le cas depuis trois mois sur la succession de Jean-Paul Cluzel. Un mode opératoire qu'explique très bien Bruno Roger-Petit.


Confusion entre Radio France et France Inter

Ce qu’il faut rappeler aussi, c’est que Radio France n’est pas seulement France Inter comme semblent l’oublier non seulement les hommes politiques mais aussi les autres journalistes quand ils évoquent par exemple les adieux de Jean-Paul Cluzel aux seuls salariés de France Inter (soit environ 500 salariés) alors qu’il s’agissait des adieux aux 4 000 salariés de Radio France.


Les adieux de Jean-Paul Cluzel

Dans cette lettre à ses employés, Jean-Paul Cluzel annonce officiellement la désignation de Jean-Luc Hees (à ma connaissance, il n’y a eu aucune autre communication formelle sur le sujet) et rappelle le bilan flatteur de son mandat en insistant notamment sur la « négociation serrée » du prix de la réhabilitation de la Maison de la Radio (qui devait depuis plusieurs années être remise en conformité aux normes de sécurité), ce qui lui a permis de faire gagner 85 millions d’euros d’économies.


Deux défis pour Jean-Luc Hees

L’arrivée de Jean-Luc Hees aux commandes est diversement ressentie par les salariés eux-mêmes : d’un côté, chez les producteurs et dans les rédactions, on se félicite qu’un "homme du métier" soit à ce poste, mieux capable de comprendre les enjeux du cœur de métier de la radio ; d’un autre côté, dans les services supports, administratifs, ressources humaines etc., on craint que ce changement de direction déstabilise une synergie entre les entités que Jean-Paul Cluzel avait réussi méthodiquement à construire au fil des années. Une inquiétude qui aurait été valable quel que soit le nouveau président.

Et cette crainte est d’autant plus grande que le premier défi de Jean-Luc Hees sera la renégociation de la convention collective qui, en raison de la réforme de l’audiovisuel public, va être formellement dénoncée au conseil d’administration du 29 avril 2009. Une convention négociée aux meilleures moments du gouvernement socialo-communiste (en 1982 avant la rigueur) et très favorable aux salariés. La direction et les syndicats disposeront de quinze mois pour négocier, et passé ce délai, si rien n’était signé, ce serait le minimum légal du Code du travail qui s’appliquerait. Il va donc falloir des nerfs solides aux protagonistes.

L’autre défi, ce sera les relations de Jean-Luc Hees avec le pouvoir politique.

Jean-Claude Cluzel vient de reconnaître « avoir sans doute eu tort de ne pas rencontrer suffisamment le Président de la République » pour valoriser son action, en ajoutant : « On voit bien l’esprit parfaitement compréhensible dans le quel souhaite travailler le Président de la République. C’est d’avoir une totale confiance entre les responsables d’entreprises publiques et lui-même car il souhaite avoir à la SNCF ou à Radio France des personnes avec lesquelles il puisse établir une relation plus directe. » en oubliant de dire que ce type de comportement est finalement assez éloigné de sa propre façon d’être, plus en discrétion et moins en vitrine.

Ce défi, c’est sans doute le concept qui veut cela. Michèle Cotta raconte qu’elle était en communication permanente avec le Président François Mitterrand pendant la durée de son court mandat à Radio France, au téléphone ou en entretien direct. Elle déjeunait régulièrement avec le Premier Ministre Pierre Mauroy dont elle est l’amie ou avec le Ministre délégué à la Communication Georges Fillioud. Elle était aussi en relations fréquentes avec des membres du cabinet présidentiel, notamment André Rousselet (le directeur), et avec Jérôme Clément, conseiller à Matignon (l’actuel président de Arte).

Pour Jean-Luc Hees, les informations de l’Élysée distillées ce 2 avril 2009 compliqueront à l’évidence sa tâche pour démontrer aux citoyens qu’il restera toujours autant d’indépendance entre Radio France et le pouvoir politique qu’avant son arrivée.


Disparition de Jacqueline Baudrier

Le 2 avril 2009, par un étrange entrecroisement du calendrier, c’est aussi le jour du décès de Jacqueline Baudrier à 87 ans, journaliste politique et grande dame de l’information qui fut la première présidente de Radio France de début janvier 1975 à fin juillet 1981 après l’éclatement de l’ORTF. Une disparition passée presque inaperçue hélas alors qu’elle mériterait les honneurs des médias pour son envergure. Elle avait notamment animé avec Alain Duhamel le premier débat présidentiel, entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, le 10 mai 1974 et Pierre Mauroy a eu quelques états d’âme à la limoger pour la remplacer par Michèle Cotta. Elle sera enterrée le mercredi 8 avril 2009, à 10h30, en l’église Notre Dame d’Auteuil, 4 rue Corot, à Paris 16e.


Jean-Luc Hees désigné nouveau président de Radio France le jour même de la disparition de sa première présidente. Drôle de coïncidence…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (3 avril 2009)


Pour aller plus loin :

L’arrivée de Jean-Luc Hees.

Le bilan très positif de Jean-Paul Cluzel.

Philippe Val nommé à France Inter ?

Comment ça fonctionne, les rumeurs autour des nominations ?

Les adieux de Jean-Paul Cluzel à ses collaborateurs.

Que va devenir la convention collective de Radio France ?

Patrick Collard, futur directeur général délégué de Radio France ?





http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=54054

http://fr.news.yahoo.com/13/20090403/tot-l-elysee-annexe-t-il-france-inter-89f340e.html

http://www.lepost.fr/article/2009/04/03/1482582_l-elysee-annexe-t-il-france-inter.html

Une de LePost du 3 avril 2009.

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-36

http://www.centpapiers.com/l’elysee-annexe-t-il-france-inter/6497/

http://www.kydiz.com/article/2225-L-Elysee-annexe-t-il-France-Inter.htm



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commentaires

M
Monsieur, Je suis très touché par votre analyse parce qu'étant moi même journaliste (radio) mais exerçant en Afrique plus précisément au Bénin dans l'audiovisuel du secteur public. Je connais parfaitement Paris pour y avoir été formé. Je suis inquièt pour la simple raison que tout ce qui se passe et se fait en France constitue un modèl pour les pays surtout francophones de l'Afrique, la France étant une référence pour ces Etats. Alors, on pourrait assister à des réformes du genre dans ces pays d'Afrique où déjà le contrôle des médias par certains  pouvoirs publics ne cesse de se renforcer chaque jour un peu plus. Bien dommage.Maurice Mahounon, Ph.DJournaliste-AnalysteRelations internationales et stratégiques.
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S
Je viens de faire un court article exactement sur le même sujet. sauf que le tien est plus consistant... . Je te mets en lien.
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