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10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 07:21

Nicolas Sarkozy est critiqué pour ses interventions dans les médias. Pourtant, avec sa réforme de l’audiovisuel, il avait voulu rompre avec l’hypocrisie institutionnalisée par François Mitterrand. Retour à une époque pas si lointaine. Première partie.

 

 

yartiMitterrandFrancois02Si l’année 2010 fut l’année du Général De Gaulle avec les commémorations de l’appel du 18 juin 1940, de sa disparition le 9 novembre 1970 et de sa naissance le 22 novembre 1890, l’année 2011 sera résolument celle de François Mitterrand avec les quinze ans de sa disparition le 8 janvier 1996, les trente ans de sa première élection à la Présidence de la République le 10 mai 1981 et on pourrait même envisager les quatre-vingt-quinze ans de sa naissance le 26 octobre 1916.

Depuis qu’un de ses dauphins politiques, Lionel Jospin, a exercé son "droit d’inventaire" (de son vivant, en 1994), la gauche et plus particulière le Parti socialiste hésitent entre se revendiquer de cet homme très contrasté et le jeter dans les oubliettes de l’Histoire.


Cynisme et habileté

Si Ségolène Royal se réclame volontiers, au contraire, de son héritage, jusqu’à maintenant, peu de ses concurrents avaient accepté d’assumer les mille contradictions qui ont placé cet homme de roman au centre d’amitiés très douteuses, de nombreuses affaires politiques bien étranges, et même d’opinions du passé paradoxalement très différentes de ce qu’il a prôné par la suite (en particulier l’abolition de la peine de mort, qui restera l’une des rares mesures à son crédit avec la construction européenne).

L’image qui reste au bout de quinze années d’une longue carrière politique, au bout de quatorze années à l’Élysée, un record qui ne pourra plus être battu avec la réforme des institutions (loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008) qui limite la durée à deux quinquennats successifs, c’est son extraordinaire habileté politique, qui lui a permis, d’une part, de s’emparer d’un des partis les plus vieux de France, le Parti socialiste, et d’autre part, de le conduire à l’unique victoire présidentielle sous la Ve République grâce à une stratégie d’union et d’absorption de la gauche.

Pour ce quinzième anniversaire de la mort de François Mitterrand, je m’arrêterai ponctuellement sur son comportement avec les médias au début de sa Présidence.


Entre le verbe et les faits

En vitrine, François Mitterrand tenait un discours très libéral en voulant découpler les médias, notamment la radio et la télévision, du pouvoir politique. Pour cela, il avait nommé Georges Fillioud, un vieux compère de l’époque de la Convention des institutions républicaines (très petit parti mitterrandien créé en 1964) aujourd’hui âgé de 80 ans et demi, au Ministère de la Communication de mai 1981 à mars 1986.

Le lancement des radios libres était l’une des mesures phares de son arrivée au pouvoir. Et l’autre mesure, ce fut la création de la Haute autorité de l’Audiovisuel (loi n°82-652 du 29 juillet 1982) qui, après quelques changements de majorité (loi n°86-1067 du 30 septembre 1986), a été définitivement pérennisée avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel par la loi n°89-25 du 17 janvier 1989.


Le précieux témoignage de Michèle Cotta

Le témoignage de la journaliste Michèle Cotta, qui n’a jamais caché sa proximité avec les socialistes, peut donc être très intéressant car après avoir présidé pendant une année Radio France, elle fut nommée par François Mitterrand la première présidente de la Haute autorité.

Rien que cette note du 15 novembre 1982 sur son repas avec l’ancien ministre Jean-Marcel Jeanneney est très intéressante pour la clairvoyance de ce dernier : « Déjeuné avec Jean-Marcel Jeanneney, ancien ministre du Général De Gaulle, père de Jean-Noël que nous venons de nommer président de Radio France. Je ne sais pas si ceci explique cela : il promet à la loi audiovisuelle de 1982 les meilleures destinées. Ce en quoi il est plus optimiste que moi. Il pense que dans dix ans, l’institution sera installée. Dix ans, une paille… ».

Et Jean-Marcel Jeanneney aura eu raison : en six ans, cette instance indépendante de régulation de l’audiovisuel, sous trois appellations, sera pérennisée.


Aussi transparent que ses bulletins de santé

Les cahiers de Michèle Cotta sont très instructifs car elle fait partie de ces journalistes intègres, compétents et indépendants tout en ayant leurs propres convictions. Or, elle a été en quelque sorte l’égérie mitterrandienne de l’audiovisuel (le mot est sans doute beaucoup trop fort) alors qu’elle-même, la fleur au fusil, croyait ce que lui avait affirmé de François Mitterrand.

Car François Mitterrand a toujours été comme cela dans sa vie politique : promettant tous les six mois la publication de ses bulletins de santé, par exemple, et falsifiant dès le premier pour cacher la maladie qu’on venait de détecter (il faut dire qu’il n’avait pas eu beaucoup de chance).

Le 7 décembre 1981, alors que Michèle Cotta fut dans le bureau de Pierre Bérégovoy, alors secrétaire général de l’Élysée, avec Pierre Desgraupes pour préparer une interview de François Mitterrand, ce dernier surgit dans la pièce : « Au premier regard, je suis frappée par le teint cireux, les yeux enfoncés, l’air inquiet. Et puis il parle. Sa voix est inchangée, ironique. Il me dit : "Il faut que vous me posiez des questions sur ma santé, par exemple…" ».

En prônant indépendance et transparence, François Mitterrand était dans la posture mais n’avait en fait jamais souhaité que les relations entre l’audiovisuel public et le pouvoir politique changeassent de nature. La Haute autorité de l’Audiovisuel fut sans doute une de ces grandes hypocrisie des septennats de François Mitterrand dont la première victime fut justement Michèle Cotta.

Je vais étayer cette affirmation par quelques exemples que Michèle Cotta a apportés elle-même.


À Radio France

À la présidence de Radio France, Michèle Cotta a été nommée pour succéder à Jacqueline Baudrier qui fut la première présidente, nommée par Valéry Giscard d’Estaing.

Michèle Cotta explique l’affaire : « Pierre Mauroy [Premier Ministre] m’a appelée (…) pour me demander si j’acceptais la présidence de Radio France. Je ne sais pas au juste ce que cela veut dire. Je connais bien France Inter où j’ai été éditorialiste quotidienne, puis hebdomadaire, de 1976 à 1980, date de mon entrée à RTL. Mais je n’en connais rien d’autre. Mauroy, qui respecte la présidente sortante, Jaqueline Baudrier, et hésitait à la débarquer de la radio, ne m’en avait pas parlé avant qu’il ne lui trouve une sortie convenable. Aujourd’hui, Jacqueline Baudrier est ambassadeur à l’Unesco [le poste de Rama Yade]. Pierre Mauroy m’appelle donc (…) : j’ai hésité puis dit oui. Autant la perspective d’appartenir à un cabinet, fût-ce celui de l’Élysée, me rebutait, car je trouvais que ce n’était pas ma place, autant Radio France me paraît intéressant, même si je ne connais rien au fonctionnement administratif de la maison ronde. ».

Michèle Cotta fut nommée à Radio France en même temps que Pierre Desgraupes à Antenne 2, et sur le quota de Pierre Mauroy.

« Mauroy ajoute (…) qu’il ne sera pas interventionniste et que son cabinet ne le sera pas davantage. Je lui demande : "Et l’Élysée ?". Il me répond en s’esclaffant : "ça, j’en suis moins sûr !" ».

Sa première crise, Michèle Cotta l’a due au directeur de France Musique Pierre Vosinski qui a démissionné le 15 octobre 1981 pour raison politique  : « Professionnellement, c’est un type indiscutable ! Il n’a pas son pareil pour recruter les musiciens, les faire travailler, choisir les chefs d’orchestre. Il connaît tout en matière de musique et jouit d’une réputation en béton dans le petit monde international de la musique. ».

Et quelques semaines plus tard, Michèle Cotta reçut un coup de téléphone en colère : « Mitterrand s’indigne, il me le dit au téléphone, que j’aie pu nommer André Jouve, le second de Vozinski, à la tête de France Musique sans lui en parler. Il se trouve que j’en avais parlé à Georges Fillioud. Devais-je passer par-dessus la tête de Fillioud et parler directement à Mitterrand de la nomination d’un chef de service ? Le Président est maître des armes, des arts et des lettres, certes ! De là à solliciter son avis sur tout, sur la musique en l’occurrence, qui n’est certes pas sa spécialité… Devais-je lui en dire un mot, ne fût-ce que par courtoisie ? Je n’en sais rien. Peut-être n’ai-je pas la manière… ».


Pressions contre Philippe Alexandre et Jean Boissonnat

Michèle Cotta a parlé aussi des pressions de l’Élysée sur des radios privées en février 1982 : « Restent deux exceptions qui n’ont rien à voir avec la télé ou la radio publiques, c’est Jean Boissonnat à Europe 1 et Philippe Alexandre à RTL. Pour les deux, la critique est un fonds de commerce : ils ne changeront pas de ton. Mieux vaut les laisser continuer plutôt que d’essayer de les éloigner de leurs rédactions respectives. Je fais là allusion à une démarche de Rousselet [directeur de cabinet de Mitterrand] auprès de Rigaud [patron de RTL] pour qu’il se débarrasse d’Alexandre. Erreur ! Rigaud a résisté à Giscard ; il résistera à Mitterrand, d’autant plus que son poste ne dépend pas de lui. ».


Définir le rôle d’une autorité indépendante

Après l’échec des élections cantonales de mars 1982, François Mitterrand pressa le pas pour la réforme de l’audiovisuel qu’il voudrait mettre en place rapidement. Michèle Cotta exprima dans les allées du pouvoir, le 26 mars 1982, toute l’ambiguïté de la réforme : « Ou bien la loi donne tous les pouvoirs à la Haute autorité, et, dans ce cas, les PDG des différentes chaînes ne sont que des directeurs généraux et la Haute autorité devient l’équivalent du Board des directeurs de la BBC ; ou bien elle n’a pas le pouvoir exécutif, et alors il faut qu’elle n’ait pas non plus le pouvoir de nomination, mais qu’elle se contente d’un pouvoir de contrôle. » [ce qui est précisément le cas avec la loi organique n°2009-257 du 5 mars 2009].

C’est là toute l’hypocrisie de François Mitterrand dans sa politique de l’audiovisuel : faire semblant de rendre indépendantes les nominations des présidents de chaîne mais influer comme dans le passé. Michèle Cotta venait de le comprendre avant même de savoir qu’elle en serait la première "applicatrice".

Michèle Cotta s’interrogeait même de sa mission à Radio France confiée par François Mitterrand : « Qu’attend-il de moi ? Que j’épure, que je vide l’eau de la baignoire ? Je suis incapable de le faire. Je ne le ferai pas. ».


Haute autorité à haut risque

Ce fut durant l’été 1982 que Mitterrand a réfléchi sur la composition de la Haute autorité, nommée comme les membres du Conseil Constitutionnel. Le 14 août 1982, Mitterrand « est soucieux d’une seule chose : de ne pas nommer à la Haute autorité quelqu’un qui le "trahisse". (…) Il ne demande pas, insiste-t-il, d’homme ou de femme lige. Mais quelqu’un qui le "protège". ».

Et finalement, il nomma Michèle Cotta à la présidence de la Haute autorité. Son installation a lieu le 30 août 1982 dans les locaux de la Maison de la Radio.

Pour l’anecdote, Jacques Boutet, conseiller d’État et nommé aussi par François Mitterrand, refusa de siéger dans une instance dirigée par une simple journaliste (il sera le premier président du Conseil supérieur de l’audiovisuel en 1989) et il fut remplacé par Stéphane Hessel, et Édouard Balladur, pressenti par Alain Poher, déclina l’offre pour une question de cumul de ses rémunérations et laissa la place à Gabriel De Broglie (futur unique président de la Commission nationale de la communication et des libertés).

La création de la Haute autorité de l’Audiovisuel avait pour but affiché de séparer la gestion de l’audiovisuel public du gouvernement et du pouvoir politique. C’est ce qu’avait en tout cas cru sa première présidente, Michèle Cotta. La suite montra qu’il n’en fut rien. Ce sera l’objet du prochain article.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 janvier 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Le congrès de Metz.
Le Parti socialiste.

Michèle Cotta.

La réforme de l’audiovisuel.

Jacqueline Baudrier.



yartiMitterrandFrancois03

 

 

http://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/l-audiovisuel-sous-francois-86953

 

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-237

 

 

 

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