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9 février 2018 5 09 /02 /février /2018 04:33

« Qu’aurais-je été si Alain ne m’avait appris à douter, Simone Weil à croire, Marc Sangnier à aimer et De Gaulle à combattre ? » (Maurice Schumann). Première partie.



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Comment peut-on être à la fois gaulliste et centriste ? patriote et pro-européen ? démocrate et chrétien ? C’est en fait la voie de la France depuis la Libération, suivre à la fois son chemin national et encourager l’unification de la toute l’Europe pour maintenir la paix, toujours fragile, et pour devenir une véritable puissance du XXIe siècle, parmi d’autres grandes puissances à l’échelle mondiale (Chine, Indes, États-Unis, etc.).

Parmi les précurseurs de cette voie de la France, la voix de la France : Maurice Schumann, qui est mort il y a vingt ans, le 9 février 1998 à Paris, à l’âge de 86 ans (né le 10 avril 1911 à Paris). La République française l’a honoré au cours d’une cérémonie aux Invalides le 13 février 1998, puis il fut inhumé à Asnelles, près de Caen, dans le Calvados, pas loin du lieu où il avait débarqué le 6 juin 1944.

À ne pas confondre avec un autre partisan de la construction européenne, Robert Schuman, qu’il admirait, Maurice Schumann fut d’abord connu pour avoir été, pendant toute la Seconde Guerre mondiale, du 13 juillet 1940 au 30 mai 1944, la voix de la France libre à la BBC avec son émission quotidienne "Honneur et Patrie" qu’il a présentée environ mille deux cents fois.

J’ai eu la très grande et émouvante chance d’avoir rencontré Maurice Schumann vers 1995, dans les salons dorés de l’Hôtel de Ville de Nancy, à l’occasion de la remise des insignes de chevalier de la Légion d’honneur d’une grande résistante lorraine, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin (j’ai déjà évoqué le fait qu’il lui avait donné sa propre décoration qui était à titre militaire car elle l’avait mérité et que cela avait plus de sens qu’au titre du Ministère de la Justice). Il était impressionnant par sa stature très grande et fascinant par une bienveillance que j’appellerai "historique", celle qui arrive après le passage d’une terrible épreuve nationale. À ses côtés, on comprend tout de suite qu’on côtoyait l’Histoire, tout simplement.

Maurice Schumann a eu au moins trois vies en une : résistant, journaliste et écrivain, et enfin homme politique. Comme pour des personnalités telles que Jean-François Deniau et Jean-Jacques Servan-Schreiber (que je cite parmi de nombreuses autres personnalités), ce fut probablement le fait d’être à la fois écrivain (observateur) et homme politique (acteur) qui l’a empêché d’atteindre le sommet de l’État, comme Matignon ou l’Élysée, comme certains grands barons du gaullisme "historique" (issu de la Résistance) pouvaient y prétendre (comme Jacques Chaban-Delmas, Pierre Messmer, Michel Debré, etc.). Lui, au contraire, expliquait que c’était à cause de la guerre et de son engagement politique qu’il n’avait pas pu devenir un "grand" écrivain !


Avant la guerre

Maurice Schumann n’a pas été un "jeune" résistant dans le sens où il avait déjà eu une vie avant la guerre : il était plus proche de ses 30 ans que de ses 20 ans.

Après de brillantes études secondaires (il a obtenu le prix de philosophie au concours général) et une licence de philosophie à la Sorbonne, il est en effet devenu journaliste à l’agence Havas en 1931 où il écrivait dans différents journaux, dans les services de politique étrangère (il a travaillé trois ans à Londres entre 1933 et 1935). Il avait échoué à l’oral d’entrée à l’École normale supérieure à cause de sa santé fragile. Le sujet de son premier reportage fut l’assassinat du Président Paul Doumer le 6 mai 1932.

Pendant ses études, il a été marqué par trois penseurs qui ont façonné sa propre vision du monde : le philosophe Alain, dont il fut l’élève, Simone Weil (la philosophe, à ne pas confondre avec Simone Veil), qu’il rencontra à Londres quand il y travaillait avant la guerre, et Marc Sangnier (qu’il rencontra plusieurs fois). Admirateur de Léon Blum qu’il a rencontré (grâce à la seconde épouse de ce dernier) et dont il louait les qualités intellectuelles, il adhéra brièvement, étudiant, à la Ligue d’action universitaire républicaine (LAURS), dont le président était Pierre Mendès France, puis à la section de Paris de la SFIO (futur PS). Il adhéra ensuite au mouvement Jeune République de Marc Sangnier et en 1938, aux Nouvelles équipes françaises de Francisque Gay.

Pour ne pas confondre sa fonction de journaliste qui a vocation à la plus grande objectivité et son engagement politique forcément partial et partisan, Maurice Schumann avait adopté un pseudonyme pour ses écrits engagés, André Sidobre pour ses trois essais publiés avant la guerre mettant en garde contre la montée du nazisme.

Avec sa fonction d’observateur des jeux diplomatiques, Maurice Schumann a en effet compris assez tôt la montée du nazisme en Europe et a soutenu aux élections législatives de 1936 les idées de Paul Reynaud qui fut, pour lui, celui qui a le mieux compris cette menace. En 1938, il s’opposa donc aux Accords de Munich qui ne faisaient que retarder la guerre sans l’en empêcher : « Plus on redoute l’épreuve de force, plus on se condamne à l’affronter. Plus on se montrera lâche devant le risque de guerre, plus on accroîtra les chances de la guerre. » (dans un article paru dans "La Vie intellectuelle" du 25 janvier 1939). Il fut l’un des rares à avoir lu avant la guerre l’ouvrage très explicite "Mein Kampf" rédigé par Hitler.

Déjà dans "Jeune République", il écrivit le 23 août 1936 : « En présence des émeutes de février 1934, de la constitution et du développement des ligues paramilitaires à tendances fascistes, le peuple français a eu la sensation physique qu’on voulait abolir cent cinquante ans de son histoire, et le peuple français a dit : "Non !". Sursaut de la conscience historique ! Il n’est pas de force plus puissante. Il n’en est pas non plus de plus fragile. ».


Le résistant

Il faut d’abord rappeler que Maurice Schumann avait été réformé à son service militaire à cause de sa santé très fragile. Mais cette situation ne le satisfaisait évidemment pas car il voulait participer à la défense de la patrie, ce qui expliquait son engagement au début de la guerre.

Après s’être engagé volontaire en 1939 (avec le grade de lieutenant), Maurice Schumann n’a pas hésité, à l’âge de 29 ans, après avoir entendu par hasard dans la cour intérieure d’un bistrot de Niort, la fin de l’appel du 18 juin, à quitter la France le 21 juin 1940 (à Saint-Jean-de-Luz, grâce au capitaine Pierre de Chévigné et en même temps que François Jacob) pour rejoindre De Gaulle à Londres, qu’il rencontra le 30 juin 1940 et qui lui en a été reconnaissant : « Il fut l’un des premiers, l’un des meilleurs, l’un des plus efficaces. ».

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Ce fut tout de suite le "coup de foudre" entre les deux hommes. Son "job" fut celui de dynamiser les Français libres et d’animer l’une des émissions de radio de la France libre, "Honneur et Patrie", ouvertement gaulliste (au contraire de "Les Français parlent aux Français" plus proche de Churchill et favorable à l’amiral Darlan et au général Henri Giraud). De Gaulle pourtant trouvait que la voix de Maurice Schumann se prêtait peu à la radio mais l’esprit vif et alerte, l’enthousiasme et l’intelligence devaient l’avoir convaincu.

Toutefois, ce n’était pas du tout ce qu’avait envisagé Maurice Schumann qui voulait avant tout combattre. Arrivé à Londres le 26 juin 1940, il a signé son engagement à la France libre. Quelques jours plus tard, il a fait signer par De Gaulle un engagement qu’il pourrait participer personnellement au débarquement pour libérer le territoire français et être ainsi un "véritable" soldat (d’ailleurs, ce fut pour cet engagement qu’il fut Compagnon de la Libération).

Certains (notamment Robert Mengin, cité par Thibault Tellier) lui reprochèrent quand même d’avoir été un "planqué" et d’avoir voulu mobiliser les autres à l’action alors que lui-même était à l’abri. Le colonel Passy (1911-1998) amorça même, après la guerre, en 1946, une mauvaise polémique sur sa supposée bravoure, surtout pour des raisons politiques, pour s’en prendre au MRP, maître du gouvernement qui ne l’avait pas bien traité (Passy fut mis en prison provisoire car accusé injustement de détournement de fonds au profit du mouvement gaulliste, accusations par la suite abandonnées). Maurice Schumann n’était pas toujours à Londres et ses fonctions de porte-parole l’avaient amené à aller aussi dans l’empire colonial pour y structurer des bases gaullistes. Lucie Aubrac, qui l’a connu à l’époque, faisait partie de l’opinion majoritaire le concernant en disant : « Schumann a été un véritable soldat car chacun fait la guerre à la place où on le met. ».

La contribution de Maurice Schumann fut autant intellectuelle que politique : sa première allocution radiophonique fut une réponse cinglante à un article de François Mauriac favorable à Pétain, et l’écrivain le remercia après la guerre (écrivain qu’il appréciait, Mauriac lui avait déjà préfacé un ouvrage dès 1938). À partir de 1942, au centre de l’organisation, il travaillait avec Georges Bidault (à la tête du Bureau d’information et de presse mis en place par Jean Moulin) et Jacques Soustelle (commissaire à l’Information), qui devint son ami. Par sa position, Maurice Schumann fut au cœur de tous les renseignements concernant la France libre. Entre 1941 et 1944, le but politique était de structurer et d’unifier la Résistance intérieure.

Cité par C. Rimbaud en 2000 et repris par Thibault Tellier en 2003, Pierre Sudreau (résistant et futur ministre) affirma ainsi : « En 1941, la Résistance n’était encore faite que de groupuscules sans liens entre eux. Le ferment fondateur de ces multiples initiatives a été Maurice Schumann qui, de jour en jour, a encouragé le sursaut des Français. Sa voix, toujours chaleureuse, a joué un rôle essentiel dans l’éveil de la Résistance et son influence n’a cessé de s’amplifier jusqu’à la fin de la guerre. Maurice Schumann a été un commentateur exceptionnel des événements et un soutien quotidien pour les clandestins. ».

L’un des exemples les plus émouvants concerna le maquis des Glières. Le 2 février 1944, de son micro, Maurice Schumann a commencé ainsi pour prévenir les maquisards : « Alerte au maquis, alerte à la Haute-Savoie ! Allo, allo, maquis de Haute-Savoie, SOS, SOS, l’Oberführer Joseph Darnand a décidé demain, 3 février, je répète, demain, 3 février, une attaque massive contre les réfractaires et les patriotes retranchés dans les montagnes de Haute-Savoie. ». Et il a averti les miliciens français pourchassant les maquisards : « Chaque goutte de sang qui, demain, peut-être par votre faute, coulera dans les ravins et les gorges de notre Haute-Savoie, retombera sur vos têtes. ». Comme jeune chasseur alpin, j’ai eu l’occasion de me recueillir, dans un cadre collectif, au cimetière des Glières, c’était très impressionnant d’imaginer tant de jeunes patriotes massacrés en 1944.

L’historien Jean-Pierre Azéma rappela, lui aussi, le rôle essentiel de Maurice Schumann dans la guerre : « Sa voix portait et s’il y a eu un mouvement gaulliste plus ou moins diffus sans que l’on pût former des réseaux, encore moins des mouvements, cela tient à cette forme de guerre. La guerre contre qui ? contre Vichy et Radio-Vichy, également contre Radio-Paris, car c’est bien, notamment au moment des Glières, une lutte sans merci qui se livrait, notamment entre Maurice Schumann et Philippe Henriot qui était un tribun redoutable et redouté. On était dans une guerre des ondes entre la BCC d’une part, et Goebbels, les uns comme les autres étant, aussi bien du côté de la BBC que du côté de l’Allemagne nazie, des hommes de radio tout à fait redoutables. » (2003).

Des émissions pour la BBC furent enregistrées pour être diffusées entre le 30 mai et le 6 juin 1944, afin de ne pas laisser entrevoir l’idée d’un débarquement imminent (par l’absence d’émission).

Du 6 juin 1944 au 4 décembre 1944, Maurice Schumann participa en effet à la libération de la France, avec le grade de capitaine de la 2e DB (de Leclerc), et en particulier à la libération de Paris et de Strasbourg, sous les ordres du général Pierre Billotte (1906-1992), futur Ministre de la Défense d’Edgar Faure (du 6 octobre 1955 au 1er février 1956) et futur Ministre d’État de De Gaulle (du 8 janvier 1966 au 31 mai 1968).

Maurice Schumann fit sa dernière émission radiophonique comme porte-parole de De Gaulle et de la France libre le 8 mai 1945. Ce fut le 14 juillet 1945 que Maurice Schumann reçut des mains de De Gaulle, alors Président du Conseil, les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire, insignes qu’il redonna cinquante ans plus tard à Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.

Dans le prochain article, j’évoquerai la longue carrière politique de Maurice Schumann.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 février 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

"Maurice Schumann, la voix de la Résistance" (2003) par Thibault Tellier, de l’Université de Lille-3, p171-183 du livre "L’Engagement dans la Résistance (France du Nord et Belgique)" sous la direction de Robert Vandenbussche, publication de l’Institut de recherche historique du Septentrion.

Biographie de Maurice Schumann dans "Le Dictionnaire des parlementaires français".

Être patriote.
Maurice Schumann.
Général De Gaulle.
Maréchal Leclerc.
L’appel du 18 juin 1940.
Daniel Cordier.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
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Simone Veil.
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La démocratie chrétienne.
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Jacques Chaban-Delmas.
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Edmond Michelet.
Jean Foyer.
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Olivier Guichard.
Alain Peyrefitte.
Robert Galley.
Jean Charbonnel.
André Malraux.
Maurice Druon.
Robert Boulin.
Pierre Bas.

_yartiSchumannMaurice05



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180209-maurice-schumann.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/maurice-schumann-le-resistant-201444

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/02/10/36127256.html
 

 

 

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