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28 juin 2018 4 28 /06 /juin /2018 03:57

« La mort n’est, en définitive, que le résultat d’un défaut d’éducation, puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir-vivre. » (Pierre Dac, 1972).


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L’ancienne ministre et ancienne Présidente du Parlement Européen Simone Veil est morte il y a un an le 30 juin 2017. Lors de l’hommage solennel dans la cour d’honneur des Invalides le 5 juillet 2017, le Président Emmanuel Macron avait annoncé que ses cendres seraient transférées au Panthéon. La famille a accepté seulement si elle était accompagnée de son mari Antoine Veil, qu’elle avait épousé le 26 octobre 1946 et qui est mort le 12 avril 2013, il y a cinq ans. L’Élysée a annoncé le 19 février 2018 la date du transfert de leurs cendres, ce dimanche 1er juillet 2018.

C’est la première fois qu’un homme va être inhumé au Panthéon parce qu’il est le "mari de". La première femme qui y a été inhumée fut, elle aussi, une "femme de", Sophie Berthelot, morte le 18 mars 1907 quelques heures avant son mari Marcellin Berthelot, le célèbre chimiste et ministre, effondré par la mort de sa femme. Le 24 mars 1907, les parlementaires votèrent leur inhumation au Panthéon qui a eu lieu le lendemain avec un discours du Ministre de l’Instruction publique Aristide Briand, en présence du Président du Conseil Georges Clemenceau.

La deuxième femme le fut ès qualités mais cependant, encore en couple, puisqu’il s’agit de Marie Curie entourée de son mari Pierre au Panthéon le 20 avril 1995 avec des discours du Président de la République François Mitterrand, du Président polonais Lech Walesa et du Prix Nobel de Physique Pierre-Gilles de Gennes, en présence du Premier Ministre Édouard Balladur, de la famille Curie (notamment leur fille Ève, morte à 102 ans le 22 octobre 2007, et leurs descendants), et de la soprano Carole Casadesus (petite-fille de Gisèle Casadesus, une autre grande famille).

Deux autres femmes ont été honorées au Panthéon, Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz-De Gaulle, le 27 mai 2015, par le Président François Hollande (aux côtés de Jean Zay et de Pierre Brossolette), mais leurs dépouilles sont restées dans leur cimetière respectif, selon le vœu de leur famille.

Simone Veil est donc la troisième (cinquième honorée) à aller au Panthéon, accompagnée de son mari. C’est donc l’occasion d’évoquer la personnalité d’Antoine Veil, beaucoup moins connu que sa femme.

L’amour qu’il portait à Simone fut tel qu’il a accepté cette position de "mari de" : « Tous ceux qui l’ont connue savent très bien à quel point son mari Antoine Veil a eu un rôle plus discret, mais tout à fait éminent dans le parcours de Simone Veil. » (Laurence Parisot, sur France Inter, le 5 juillet 2017, ancienne présidente du Medef).

D’autant plus difficile à admettre par lui que tout le prédisposait à être "le" ministre du couple, l’homme politique du couple, lorsqu’ils étaient jeunes. D’autant plus difficile que l’époque (à la Libération) laissait encore peu de place aux femmes dans la société (qui, si elles venaient de gagner le droit de voter grâce à De Gaulle, ne pouvaient toujours pas ouvrir un compte bancaire sans leur mari).

Antoine Veil était originaire de Lorraine (né le 28 août 1926 à Blâmont), a suivi des études secondaires à Nancy puis à Grenoble, et enfin, des études de droit et l’IEP Paris (promotion 1948). Ce fut à Science Po que le futur couple se rencontra.

Simone Jacob (Veil) était très éprouvée de sa déportation à Auschwitz (arrêtée à Nice le 30 mars 1944, envoyée à Drancy le 13 avril 1944, à Auschwitz à 15 avril 1944, jusqu’au 27 janvier 1945 où elle fut transférée à Bergen-Belsen, libérée le 15 avril 1945). Elle a perdu sa mère morte du typhus, et n’a jamais retrouvé son père et son frère Jean, déportés en Lituanie. Sa sœur Madeleine fut sauvée et une autre sœur, Denise Vernay, résistante, fut également déportée, à Ravensbrück et a survécu.

Antoine Veil, lui, échappa de justesse à la déportation (mais sa sœur n’y échappa pas, et a survécu) et a pu se réfugier avec le reste de sa famille en Suisse pendant la guerre. À la Libération, il a repris ses études, diplômé de l’IEP Paris en 1948, puis de l’ENA en 1955 (promotion Albert-Thomas, même promo que Nicole Questiaux et Jean François-Poncet).

En fait, Antoine Veil avait déjà commencé son implantation politique avant l’ENA et même avant l’IEP, comme membre de cabinets ministériels, celui du centriste Pierre-Henri Teitgen en 1947, puis celui du centriste Alain Poher en 1948. Il continua à travailler comme membre de cabinets chez plusieurs ministres, notamment comme directeur de cabinet du centriste Joseph Fontanet (Industrie et Commerce puis Santé) de 1959 à 1962.

Pendant quelques années jusqu’en 1952, il fut nommé à Wiesbaden puis Stuttgart, et sa femme Simone accepta de l’accompagner en Allemagne, si peu de temps après son séjour dans les camps. Le couple Veil s’est forgé un esprit très favorable à la construction européenne en étant convaincu qu’elle passerait nécessairement par l’amitié franco-allemande. Simone Veil n’a jamais considéré que les Allemandes étaient intrinsèquement des nazis potentiels, car selon elle, le nazisme aurait pu se développer dans n’importe quel pays d’Europe.

Pendant une quinzaine d’années, Antoine Veil a été haut fonctionnaire (inspecteur des finances) et proche collaborateur de plusieurs ministres centristes, ce qui lui donnait une forte influence et un réseau jamais démenti. Cela aurait été donc naturel qu’il poursuivît sa trajectoire par un engagement politique beaucoup plus fort. Comme on le voit, à cette époque, le couple tournait autour de la carrière d’Antoine, plein d’ambition, et pas autour de Simone.

En 1962, les ministres centristes ont démissionné après la conférence de presse de De Gaulle du 15 mai 1962 qui s’était moqué de l’Europe. Notamment Joseph Fontanet, Maurice Schumann, Pierre Pflimlin et Robert Buron. La carrière d’Antoine Veil a alors un peu bifurqué vers le management d’entreprises. Délégué général des Armateurs français de 1964 à 1968, il fut ensuite directeur général adjoint de la Compagnie des chargeurs réunis de 1969 à 1971, puis directeur de l’Union des transports aériens, PDG de la Compagnie aéromaritime d’affrètement, administrateur d’Air Inter, PDG de Manurhin de 1982 à 1986, PDG d’Orlyval en 1992, etc. Il a fondé aussi son propre cabinet de conseil (en 1989), et conseilla Axa, GDF-Suez, Bolloré, etc.

Parallèlement, son épouse a dû convaincre son mari qu’elle pouvait faire autre chose que mère au foyer (trois enfants nés de 1947 à 1954). Après l’IEP, elle a suivi l’École de la magistrature et est devenue juge. Elle voulait initialement devenir avocate mais son mari ne voulait pas qu’elle défendît des criminels. Curieusement, Simone Veil n’a jamais été Ministre de la Justice. Antoine Veil a confié à "Gala", dans une des rares interviews où il se dévoilait un peu : « Ma mère était "esclavagisée" par mon père. J’étais probablement moi aussi esclavagiste ! Ma conversion à la parité dans le couple ne s’est pas fait aux forceps, mais à la lueur du temps qui passe. » (janvier 2011).

Lorsque le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing appela Simone Veil au Ministère de la Santé en 1974, elle ne se doutait pas encore qu’elle serait la première à défendre la loi sur la dépénalisation de l’IVG (normalement, son collègue de la Justice Jean Lecanuet aurait dû remplir cette mission). VGE l’avait appelée car il cherchait à promouvoir au gouvernement des femmes, trop absentes de la vie politique (on revient de loin !). Simone Veil avait tout pour lui plaire : encore jeune, expérimentée, sérieuse, diplômée, intelligente, d’un fort caractère et centriste.

Pour Antoine Veil, l’entrée de sa femme en politique par la grande porte du conseil des ministres à l’Élysée, lui a fermé les mêmes portes. Pas question de faire ce qu’a fait plus tard le couple Ségolène Royal et François Hollande. Antoine Veil resta donc un conseiller dans l’ombre : « Quand j’ai vu que [Simone] évoluait en Formule 1, je suis retourné au fond de la classe. Je ne voulais pas jouer les Poulidor. » ("Gala").

Il fut néanmoins très actif en politique, mais dans la discrétion, dans le remue-méninges et dans les réseaux centristes. Antoine Veil fut en quelques sortes l’aile gauche du couple centriste.

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Antoine Veil fut élu conseiller de Paris en 1971 et en 1983. Au Ministère de la Santé, il s’est activé pour convaincre une majorité de parlementaires de l’intérêt de la loi sur l’IVG. Il fut aussi trésorier du CDS pendant quelques moments, et réussit à convaincre la majorité de l’époque de faire de sa femme la tête de liste aux premières élections européennes au suffrage universel direct (en juin 1979).

Après l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République, Simone Veil est devenue une personnalité du centre droit durablement populaire. Toutefois, elle a toujours renoncé à être candidate à l’élection présidentielle, considérant que les électeurs n’étaient pas encore prêts à élire une femme à l’Élysée. Elle devait enf fait penser sans doute que la classe politique très machiste (Ségolène Royal l’a vite compris vingt-cinq ans plus tard) n’était pas encore prête, et elle ne se voyait pas ferrailler contre les Jacques Chirac ou les Valéry Giscard d’Estaing. Elle qui a vécu la Shoah, devait trouver ces jeux politiciens un peu trop futiles…

En 1983, Antoine Veil créa l’un des clubs de réflexion les plus actifs de Paris, le Club Vauban, du nom de la place où les époux habitaient à Paris et qui recevaient de nombreux invités. Antoine Veil faisait ainsi rencontrer des responsables politiques de tout horizon, droite comme gauche, en particulier Bernard Stasi et Michel Rocard.

D’ailleurs, la présence à ses obsèques, le 15 avril 2013 à Paris, de nombreuses personnalités n’était pas seulement le fait d’avoir été l’époux de Simone Veil, mais bien d’avoir été celui qui, pendant des décennies, a entremêlé la classe politique au centre de l’échiquier politique. En effet, il y avait beaucoup de monde autour de lui : Jacques Chirac, Édouard Balladur, François Fillon, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici, Philippe Douste-Blazy, Bertrand Delanoë, Élisabeth Guigou, Anne Hidalgo, Serge Dassault, etc.

Il avait d’ailleurs des opinions bien arrêtées sur certains Présidents : « Les gens consacrent tellement d’énergie à se faire élire qu’ils oublient, lorsqu’ils le sont, pourquoi ils ont été élus. (…) Mon amitié pour Jacques Chirac ? Elle est réelle, mais prendre le pouvoir n’est pas une fin en soi. Nicolas Sarkozy, lui, n’a pas oublié ce qu’il voulait faire, même s’il n’a pas fait les réformes assez vite à mon sens. » (janvier 2011). Il aurait été probablement l’un des promoteurs d’Emmanuel Macron s’il avait vécu plus longtemps.

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Comme sa femme, Antoine Veil a rencontré les grands de ce monde, et ne laissait pas son sens de l’humour dans sa poche. Lorsqu’il a rencontré le couple royal britannique, il confia à la reine qu’il avait le même âge qu’elle, et à son mari, le Prince Philip, qu’il pourrait présider l’Association des conjoints de femmes au pouvoir !

Soixante-six ans de vie commune. Avec la déportation dans la gorge. Quand le couple a vu leur voiture vandalisée avec une inscription "Veil = SS", à cause de la loi sur l’IVG, forcément, cela prenait une tournure tragique. Mais il était fier de Simone lorsqu’elle fit son entrée à l’Académie française.

Les voici tous les deux dans le Temple de la République, sanctifiés par la nation et unis dans l’exemplarité. Entrez, et veillez sur nous !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les époux Veil honorés au Panthéon.
Antoine Veil.
Simone Veil, un destin français.
L’hommage de la République à Simone Veil.
Discours d’Emmanuel Macron en hommage à Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Discours de Jean Veil et Pierre-François en hommage à leur mère Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Simone Veil, une Européenne inclassable.
Simone Veil académicienne.
Discours de réception de Simone Veil à l’Académie française (18 mars 2010).
Discrimination : rien à changer.
Rapport du Comité Veil du 19 décembre 2008 (à télécharger).
Mort d'Antoine Veil.
Bernard Stasi.
Bernard Stasi et Antoine Veil.
Denise Vernay.
Ne pas confondre avec Simone Weil.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180701-epoux-veil-pantheon.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-epoux-veil-honores-au-pantheon-205592

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/28/36521154.html


 

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