En évoquant, vendredi 23 mai, l'assassinat de Robert Kennedy en 1968 pour justifier son maintien dans la course à l'investiture, la prétendante démocrate a provoqué un immense tollé. Pour le Washington Post, ce sont des propos indignes d'un candidat sensé et sérieux. Les candidats sensés n'évoquent pas la possibilité qu'un de leurs adversaires soit assassiné. Cela devrait aller sans dire. Sauf que, visiblement, il faut malgré tout le rappeler. "Nous n'avons pas oublié que [le candidat à l'investiture démocrate] Bobby Kennedy a été assassiné en juin [1968] en Californie", a déclaré Hillary Clinton le 23 mai dernier, rappelant que, par le passé, d'autres courses à l'investiture s'étaient poursuivies jusqu'au mois de juin pour expliquer pourquoi elle n'écoutait pas ceux qui l'invitaient à jeter l'éponge. Elle participait à la conférence de rédaction d'un quotidien du Dakota du Sud [où se tiendra une primaire le 3 juin prochain], et n'a pas eu l'air de s'apercevoir qu'elle venait de proférer l'indicible. Les étudiants en sciences politiques du pays, qui sont nos futurs stratèges et directeurs de campagne, feraient bien de prêter attention à cet instant. Dans une campagne présidentielle, il y a des tabous, et celui-ci est le plus énorme de tous. Invoquer le spectre de l'assassinat d'un rival, même involontairement, c'est conférer une réalité à une chose vraiment terrible. C'est donner l'impression que l'on attend qu'une chose terrible se produise, même si ce n'est pas le cas. Pour un peu, on dirait un souhait. Quiconque doute du caractère tabou d'un tel sujet n'a qu'à considérer la réaction de l'équipe de Barack Obama, qui a soigneusement évité de répéter ce que Clinton avait effectivement dit. Le répéter, ce serait évoquer une nouvelle fois la possibilité de cette chose terrible. Clinton a officiellement présenté ses excuses pour sa déclaration, "si" elle avait pu paraître "blessante en quoi que ce soit", et un de ses porte-parole a tenté d'en éclaircir le sens. "Elle parlait de la durée de la campagne et a cité l'élection de 1968 en guise d'exemple de la durée de telles campagnes dans le passé", a affirmé Howard Wolfson, passant ainsi complètement à côté de la question. Voilà ce qu'elle a voulu dire : on peut bien attendre encore un peu pour savoir qui sera le candidat démocrate. Mais le mot qu'elle a utilisé, c'est "assassiné". En fait, elle avait déjà tenu des propos similaires, quoique formulés avec davantage de prudence, lors d'un entretien accordé en mars au magazine Time : "Autrefois, les primaires duraient beaucoup plus longtemps. Nous nous souvenons tous de la grande tragédie de l'assassinat de Bobby Kennedy, en juin à Los Angeles. Et, en 1992, mon mari n'a décroché l'investiture qu'en juin. Il n'y a rien de particulièrement anormal à ce que des primaires durent jusqu'en juin." La crainte qu'un président ou un candidat soit abattu ou assassiné est d'autant plus horrible que l'histoire récente nous a enseigné que cela peut arriver. Nous n'avons pas besoin que l'on vienne nous le rappeler, ni, surtout, qu'on vienne le rappeler aux cinglés influençables susceptibles de rôder dans l'ombre. Dans le cas d'Obama, la déclaration de Clinton brise un double tabou car, depuis qu'il s'est lancé dans la course présidentielle, certains de ses partisans craignent que sa couleur de peau ne fasse de lui, plus encore que d'autres candidats, une cible de choix. Il a été placé très tôt, depuis un an au moins, sous la protection du Secret Service [agence fédérale chargée de la protection des personnalités]. Ne pas se rendre compte que ses propos semblent jouer sur la peur formidable qui plane dans une grande partie de l'électorat, la peur qu'Obama soit tué à cause de ses origines, est une erreur peu commune de la part d'un candidat présidentiel sérieux et extrêmement policé. |