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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 18:35

« La symétrie m’avait fasciné depuis mes années d’étudiant et j’étais embarrassé par les symétries approximatives de la physique des particules. » (Peter Higgs, le 8 décembre 2013 à Stockholm).


 


Le physicien britannique Peter W. Higgs est mort ce lundi 8 avril 2024 à Édimbourg, en Écosse, des suites d'une "courte maladie" selon l'Université d'Édimbourg. Le Prix Nobel de Physique 2013 allait atteindre ses 95 ans le 29 mai prochain.

Avec lui est partie l'une des sommités mondiales de la physique des particules. D'un naturel très joyeux et souriant, il est le modèle (j'allais écrire standard) de l'excellent scientifique, à savoir la passion, l'observation mais avant tout, la réflexion. Il existe en effet deux types de physiciens : ceux qui observent des trucs bizarres, et qui tentent d'élaborer une théorie qui corresponde (ils sont les plus nombreux, ils sont aussi très coûteux car ils ont beaucoup d'équipements pour observer, on les appelle les expérimentaux) ; et puis il y a ceux qui pensent, réfléchissent, reprennent une équation, l'amènent jusqu'aux confins de la pensée humaine, et alors, ils pondent des lois, des théories, et ils attendent de les voir validées par l'observation ou l'expérience (ce sont les théoriciens). Sans mettre de hiérarchie dans les démarches scientifiques (elles sont toutes les deux nécessaires et surtout elles ont été indispensables et complémentaires pour faire avancer la science), je dois admettre que j'ai une grande admiration pour les seconds, les théoriciens, qui sont des champions intellectuels, évidemment à condition que leurs théories coïncident avec la réalité palpable du monde réel, comme ce le fut pour Einstein en énonçant la Relativité générale (exemple exceptionnel de génie intellectuel).

C'était un peu la réaction émue d'Étienne Klein sur Twitter, en apprenant la mort de Higgs : « Grâce à des esprits comme le sien, la physique devient à l’occasion capable de compléter le mobilier ontologique du monde. ». À méditer !

Peter Higgs était en effet de ces théoriciens qui prédisent les lois. En tout cas, une loi, l'existence d'une particule, qu'on a appelée par la suite le boson de Higgs, un peu en oubliant d'autres contributeurs, une première équipe (dans l'ordre chronologique) composée des chercheurs belges François Englert et Robert Brout de l'Université de Bruxelles, mais aussi une troisième équipe composée de Thomas Kibble, Gerald Guralnik et Carl Richard Hagen. Le prestigieux Prix Sakurai qui récompense les grands chercheurs en physique des particules avait effectivement récompensé le 10 février 2010 ces six physiciens. Peter Higgs n'était pas à l'origine de l'appellation du boson de Higgs et il aurait volontiers parlé de boson de Brout-Englert-Higgs, voire de BEHHGK (en reprenant les initiales des six chercheurs). L'histoire gardera seulement Higgs. Injustement par simplisme.

Le comité Nobel, au contraire du Prix Sakurai (mais comme le Prix Wolf de Physique 2004), n'a récompensé le 8 octobre 2013 que Peter Higgs, et François Englert, il aurait aussi récompensé Robert Brout mais il est mort en 2011, et il aurait pu aussi récompenser les trois autres. C'est toujours le problème de l'attribution des Nobel, car, d'une part, la science est toujours un travail d'équipe, qui se nourrit de l'expérience et des travaux des autres, communiqués lors de séminaires, symposiums, conférences, revues scientifiques, etc., et, d'autre part, il n'est pas rare que deux voire trois chercheurs, indépendamment l'un des autres, arrivent à prendre le même chemin et aboutir à la même conclusion, parce qu'à travers le monde, ils sont finalement formés de la même manière avec les mêmes réflexes (François Englert et Peter Higgs ne se connaissaient pas quand ils ont publié le même type de réflexion en 1964, à deux mois d'intervalle).

 


Quelle a été la découverte théorique de Peter Higgs (et de ses collègues) ? L'idée que l'univers manquait de masse, et que sa particule pourrait être une bonne candidate pour y remédier. Peter Higgs a surtout été fasciné par la symétrie des particules, d'un monde qui pourrait être parfait. Le Modèle standard de la physique a établi quatre interactions (forces) : la gravité, la force électromagnétique, l'interaction forte et l'interaction faible. À chaque interaction, il y a un boson qui est associé, généralement à masse nulle : le graviton (dont l'existence n'est pas encore prouvée), le photon, le gluon, etc.

 


Mais pour valider le modèle standard, il fallait une particule dont le champ scalaire redonnerait de la masse aux bosons de l'interaction faible. C'est ainsi que ces chercheurs ont imaginé l'existence du boson de Higgs, en quelque sorte, le chaînon manquant de la masse de l'Univers (lire pour plus de précision mon précédent article).

Malheureusement, cette découverte de 1964 n'avait jamais été suivie d'observation pendant très longtemps, et donc, sans validation de sa pertinences. Moi-même, je n'imaginais pas vivre une pareille validation et c'était presque l'Arlésienne. De nombreuses équipes de recherche, partout dans le monde, pendant une près d'une cinquantaine d'années, ont tenté d'observer ce fameux boson de Higgs. La difficulté, c'est l'extrême brièveté de sa durée de vie, de l'ordre de l'attoseconde.

Comme toujours dans ces cas-là, c'est la réalisation d'outils extrêmement puissants qui permet de valider des théories sur l'infiniment petit. En 2008, le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire à Genève) a mis en route un nouvel accélérateur de particules bien plus performant que les précédents, le plus puissant du monde, le LHC (Large Hadron Collider), un anneau de 27 kilomètres de longueur. Et beaucoup plus rapidement que prévu, le CERN a annoncé le 4 juillet 2012 que des bosons de Higgs avaient été observés : « Nous avons franchi une nouvelle étape dans notre compréhension de la nature. ». Les deux futurs Prix Nobel Peter Higgs et François Englert s'étaient déplacés pour observer eux-mêmes cet exploit. Higgs admettait volontiers : « Je n’aurais jamais pensé assister à cela de mon vivant. ». Trois mille chercheurs de cent pays ont été mobilisés sur ce projet géant de 4,3 milliards d'euros !

 


C'était sans doute la même joie qu'a dû ressentir l'astrophysicien ukrainien Klim Tchourioumov. À 31 ans, il a découvert par l'observation une comète (avec sa collègue de 24 ans), la comète Tchourioumov-Guérassimenko, dite comète Tchouri, et quarante-cinq ans plus, l'être humain était capable de poser un véhicule sur la surface (la sonde Rosetta et le robot Philae) de cet astre à près d'un milliard de kilomètres de la Terre et d'en observer précisément les contours ! Mais revenons à nos bosons.

C'est cette validation du boson de Higgs qui leur ont valu le Nobel de Physique l'année suivante. De simple hypothèse (à laquelle ne croyait pas, par exemple, Stephen Hawking), le boson de Higgs est devenu une réalité effective et reconnue.

Pour autant, l'histoire n'est pas terminée. Le boson de Higgs ne répond pas à toutes les questions du Modèle standard. Vers 2045 sera installé au CERN un nouvel outil encore plus puissant, le FCC (Future Circular Collider), un anneau de 90 kilomètres de longueur construit à 200 mètres de profondeur (le LHC était à 100 mètres de profondeur). Pour Higgs, en 2022, il y a encore beaucoup à découvrir des hautes énergies : « Oui, nous avons gratté la surface, mais il nous reste clairement bien plus à découvrir. ». La lucidité du savant qui sait qu'il ne sait rien ! (et l'humilité).

Peter Higgs était un chercheur encore à l'ancienne, prenant le temps de réfléchir. Il a fait toute sa carrière à l'Université d'Édimbourg, mais il ne s'entendait pas avec les dirigeants de l'université qui ne le trouvaient pas très productif. Il était resté, il était toléré simplement dans l'espoir qu'il reçût le Prix Nobel, prestige qui rejaillirait sur l'université du lauréat. Il s'est dit qu'il n'aurait pas été capable de faire une carrière comme aujourd'hui, avec une obligation folle de produire, produire, produire.

Il faut dire que Peter Higgs, c'était vraiment une autre époque. "Le Monde" le décrit ainsi : « Peter Higgs n’a jamais eu d’ordinateur, répondait aux e-mails par courriers postaux, et s’est passé de télévision et de téléphone mobile, jugé trop intrusif… ».

Étienne Klein a remarqué que le boson scalaire de Higgs avait pour anagramme l'horloge des anges ici-bas. Pour l'heure, un ange est monté dans ce cosmos si énigmatique, un ange qui ne croyait pas en Dieu, mais qui restait fermement attaché à croire au progrès, et à prendre la vie avec la bonne humeur. Peut-être que Dieu, c'est un peu Higgs maintenant, lui qui n'aimait pas une autre appellation de son boson, la particule de Dieu...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le discours de réception de Peter Higgs le 8 décembre 2013 à Stockholm (vidéo et texte à télécharger).
Les trois publications scientifiques qui ont prédit l’existence du boson de Higgs (à télécharger).
Sa particule, son champ, son Nobel.
Peter Higgs.
Georges Charpak.
Gustave Eiffel.
Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
Covid : la contre-offensive du variant Eris.
Hubert Reeves.
Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
Des essais cliniques sauvages ?
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.
Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.
 







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240408-peter-higgs.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/peter-higgs-heros-des-temps-joyeux-254088

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/10/article-sr-20240408-peter-higgs.html







 

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8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 04:42

« Débusquer la structure intime de la matière était ma passion. Les adeptes de Freud prétendent qu’il faut voir dans la démarche du chercheur la curiosité de l’enfant pour les phénomènes sexuels… Peut-être ont-ils raison car cette curiosité semble vraiment insatiable ! » (Georges Charpak, 1993).


 


Le physicien français Georges Charpak est né il y a exactement 100 ans, le 8 mars 1924 dans une ville à l'époque polonaise (Dabrowica) et aujourd'hui ukrainienne (pour l'instant), près de Tchernobyl. Issue d'une famille juive polonaise, il a émigré avec ses parents en France, à Paris, à l'âge de 7 ans après une tentative infructueuse en Palestine.

Il était, à lui tout seul, tout un roman, assez impressionnant. Militant antifasciste en 1939, Georges Charpak a échappé aux rafles du Vel' d'hiv' en fuyant Paris à temps en 1942, après son bac en 1941. On avait dénoncé sa famille. Réfugié à Montpellier, il a quitté les classes préparatoires après la violation de la ligne de démarcation par les nazis. Le jeune Charpak s'est alors engagé dans la Résistance mais était probablement trop jeune (18 ans) pour être efficace (il a commis beaucoup d'imprudences).

Parallèlement, en été 1943, il a raté le concours de Polytechnique mais a réussi celui des Mines de Paris. Cependant, il n'a pas eu connaissance tout de suite de son admission car il a été arrêté en novembre 1943 à cause d'une de ses imprudences et a été incarcéré dans une prison. Après l'échec d'une tentative d'évasion en 1944, il a été déporté le 11 juin 1944 à Dachau où il est resté près d'un an (le camp a été libéré le 29 avril 1945), un an d'enfer où il a pu survivre grâce à sa connaissance des langues étrangères.


En 1945, avoir 20 ans, avoir connu la guerre, la Résistance (lieutenant des FFL) et les camps d'extermination, c'était beaucoup ! Pour le jeune homme, la maturité est venue sans doute trop rapidement. Il a fait partie de cette génération tragique. Malgré tout, de retour en France où il a obtenu (enfin) la nationalité française, il a obtenu le diplôme d'ingénieur des Mines en 1947 et a commencé une grande carrière scientifique. Recruté très vite par le CNRS, il a travaillé au laboratoire de physique nucléaire de Frédéric Joliot-Curie au Collège de France où il a soutenu sa thèse de doctorat en physique en 1954.

Ses travaux portaient sur les détecteurs de particules. En 1959, il a rejoint le CERN à Genève et a conçu et réalisé sa chambre proportionnelle multifils en 1968 qui permettait de détecter des particules ionisées. L'intérêt sur les chambres à bulles alors utilisées était énorme puisque non seulement les détecteurs étaient beaucoup plus précis, mais on pouvait les brancher sur un ordinateur et faire un traitement informatique, alors que la chambre à bulles nécessitait de faire des photographies.


C'est cette invention, qu'il a brevetée, qui a permis de beaucoup progresser dans la physique des particules, et qui lui a valu de nombreuses récompenses comme la Médaille d'argent du CNRS en 1971, son élection à l'Académie des sciences en 1985, et surtout, en octobre 1992, le Prix Nobel de Physique, le Graal du scientifique.
 


À partir de 1980, Georges Charpak faisait des cours à l'École supérieure de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris (ESPCI Paris) dite Physique-Chimie fondée en 1882 par la ville de Paris, dont Paul Langevin fut le directeur entre 1925 et 1946 et aussi Pierre-Gilles de Gennes entre 1976 et 2003. L'ESPCI Paris a hébergé les travaux de plusieurs Prix Nobel dont Pierre et Marie Curie, ainsi qu'Irène et Frédéric Joliot-Curie. Georges Charpak a pris sa retraite du CERN en 1991. Ça tombait bien, car 1992 allait lui réserver une grande surprise !

Le début des années 1990 fut en effet faste pour ce qu'on pourrait appeler la "science française" (même si j'insiste beaucoup sur le fait que la science n'a pas de nationalité ni de frontières, je parle ici des chercheurs français) puisque, en deux années successives, Pierre-Gilles de Gennes en 1991 et Georges Charpak en 1992 ont reçu un Prix Nobel de Physique, et il faut préciser, ils l'ont reçu à 100%, sans autre colauréat (depuis 1992 et jusqu'à maintenant, en 2023, aucun lauréat n'a reçu ce Nobel seul).

Ce coup double a médiatisé ces deux chercheurs qui étaient inconnus du grand public auparavant (en revanche, bien connus de la communauté scientifique). Les deux ont alors commencé une petite vie médiatique, profitant de leur Nobel pour aller à la rencontre des plus jeunes et leur transmettre la passion des sciences.

Les deux Nobels étaient très différents en personnalité, l'un très expansif et très charismatique, Pierre-Gilles de Gennes, épanoui dans ses fonctions d'enseignement (il était directeur de son école d'ingénieur pendant vingt-sept ans !), tandis que Georges Charpak, un peu plus renfermé, était passionné par son métier de chercheur même s'il s'est beaucoup penché, après son Nobel, à la manière de transmettre les sciences.
 


J'ai eu la chance de rencontrer chacun de ces deux grands scientifiques à Grenoble, et j'avais été étonné, ou plutôt déçu, de la réponse de Georges Charpak en 1993 à l'une de mes questions. J'avais conclu peut-être un peu vite, par mon expérience personnelle, que les biologistes étaient plutôt athées (ne croyaient pas en Dieu) et que les physiciens étaient plutôt croyants. Ce qui m'étonnait, la matière vivante devrait plus faire penser à l'idée de Dieu que la matière inerte. Toutefois, Georges Charpak, qui était athée, ne m'a pas conforté dans ce schéma et n'y voyait aucune relation particulière entre la foi ou pas du chercheur et le sujet de recherches du chercheur. Le sujet n'a pas été plus creusé, dommage.

À partir de 1992, Georges Charpak a alors partagé son temps en communication auprès du grand public (médias, visites d'écoles, conférences dans les universités) et en activité de valorisation de ses travaux de recherches, notamment en épaulant plusieurs start-up pour des applications en imagerie médicale, etc.

Charpak est synonyme de chercheur, ou de savant, presque savant fou, la mèche romantique au vent ! Et un peu ours sur les bord. Plusieurs établissements scolaires portent désormais son nom et ce n'est pas un hasard car, comme je viens de l'écrire, il s'est beaucoup préoccupé de la culture scientifique des jeunes générations et des moins jeunes.

Il a pas mal travaillé dans le cadre du projet La Main à la pâte, qu'il a lancé en 1996 avec notamment le physicien Yves Quéré, une manière innovante de transmettre les sciences par l'expérimentation auprès des écoliers, une méthode qu'il a découverte à Chicago par l'initiative en 1992 du physicien qui l'avait recruté à CERN.

Georges Charpak était aussi ulcéré par la nullité de la culture scientifique de ses contemporains, qu'il pouvait jauger dans les sondages et sur des sujets d'actualité comme l'énergie nucléaire, le réchauffement climatique, etc. Geprges Charpak a multiplié les apparitions médiatiques, notamment des émissions à la télévision (comme "Sept sur Sept" sur TF1), pour donner son avis sur beaucoup de choses de l'actualité et pour promouvoir l'énergie nucléaire, mais aussi pour fustiger le projet ITER, qui coûtait beaucoup trop cher en mettant au péril le financement d'autres projets de recherche beaucoup plus stratégiques.

Dans un livre coécrit avec notamment Roland Omnès et Michel Serre, publié en 2004, Georges Charpak faisait ainsi état de son inquiétude sur ses contemporains : « Un sondage a montré que 65% des Français croyaient que le réchauffement de la planète était dû aux centrales nucléaires : en fait la contribution du nucléaire au réchauffement de la planète compte tout simplement pour zéro. En d'autres termes, on peut prendre une population relativement évoluée et lui bourrer le crâne à un degré incroyable. Si on veut faire quelque chose, il faut donc s'occuper d'éducation. ».

Un peu avant, en 2002, il pourchassait les forces de la désinformation scientifique (aujourd'hui, il se retournerait dans sa tombe s'il voyait ce qu'il y a de pourriture complotiste sur Internet !) : « Attitude scientifique et comportement citoyen nécessitent en fait le même terreau mental et moral spécifique pour leur développement. Une société véritablement démocratique présuppose nécessairement des citoyens aptes à la réflexion. Voilà pourquoi il serait encore plus grave qu'on ne le pense généralement que l'esprit scientifique, c'est-à-dire l'esprit critique, se trouve submergé par la crédulité. N'oublions jamais que le droit au rêve ne prend toute sa valeur qu'accompagné du droit à la lucidité. ».


Charpak a souvent exprimé l'idée qu'on n'était pas scientifique à mi-temps mais totalement, matin midi et soir, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an. Il écrivait ainsi en 1993 : « Toute épouse de physicien sait, généralement elle s’en plaint : quelle insolente rivale est la physique. Elle sait d’ailleurs qu’elle n’a plus qu’à capituler… ou à composer ! La physique ressemble à la plus exigeante et parfois à la plus destructrice des maîtresses. Nuit et jour, été, hiver, matin, soir, elle vous poursuit, vous envahit, vous comble ou vous désespère. Et vous l’aimez éperdument, incapable de vous en passer, ne serait-ce qu’une journée. Elle vous dévore comme la plus intense des névroses obsessionnelles. Mais elle vous donne l’excitation, la joie, la jouissance la plus aiguë ! ».

Il complétait dans l'émission "Bouillon de culture" animée par Bernard Pivot le 24 octobre 1993 sur France 2 : « La passion pour la physique, c'est inextinguible. C'est la curiosité et jusqu'à présent, tout au moins pour notre génération, il n'y a pas de fin, hein, il y a toujours des problèmes extraordinaires et on subodore même que le problème qu'on veut résoudre d'ici l'an 2000, il y en a de plus extraordinaires que nous ne pouvons pas aborder encore. Et nous sommes peut-être pervertis, mais il n'y a pas de doute que c'est une grande passion. (…) Gare aux vies privées. Beaucoup d'unions se sont brisées dessus. (…) Il arrive que les gens qui vous sont chers vous disent : coucou, je suis là, parce qu'ils vous parlent, et tout à coup, ils ont l'impression que vous êtes en train de penser à autre chose. Et c'est vrai que vous êtes en train de penser à autre chose. Des fois il faut des mois pour maturer quelque chose. ». La frontière est floue entre passion et obsession.
 


Je donne l'exemple d'une idée qui paraît comme cela à la fois complètement loufoque et farfelue, et pas forcément très utile sinon en termes de curiosité à la fois scientifique et historique, et qui montre l'esprit original et créatif du savant. Passionné par l'antiquité, Georges Charpak imaginait comment les populations parlaient, quelle était leur prononciation (ou même leur langue quand il ne reste pas d'écrit comme le gaulois ou l'étrusque). Sans enregistrement sonore, c'est très difficile de l'imaginer. C'est là où le cerveau d'un grand scientifique se sépare du commun. Il a dû travailler longtemps dans son esprit pour imaginer un moyen de connaître la prononciation d'une langue d'antiquité.

Et il a trouvé ! Enfin, il a trouvé une piste, pas forcément la bonne. Il s'est dit : de l'Antiquité, on retrouve surtout des amphores, des poteries, etc. Comment imaginer un enregistrement sonore ? Comme l'enregistrement d'un disque vinyle, en gravant le son. Comment retrouver du son gravé de l'époque ? Comme pour le microsillon, il faut tourner. Et alors, Georges Charpak imaginait un potier qui tournait en formant le pot avec ses mains. Soudain, sa femme lui dit : "Chéri, à table !". Et le mari de répondre : "J'arrive, chérie !". Quand il a prononcé ces mots, il a sans doute bougé ses doigts au rythme de ses paroles, pendant que sa poterie tournait. Ainsi, il s'est dit : il suffirait de reprendre toutes les poteries, amphores etc. trouvées dans les sites archéologiques et systématiquement, faire une étude précise de la surface au laser et voir les différentes distorsions qui pourraient apparaître provenant de paroles prononcées par le potier. C'est complètement fou, c'est très coûteux (qui financerait un tel programme ?), c'est complètement inutile (l'intérêt est en effet limité), mais cela montre à quel point la curiosité et l'esprit de créativité fonctionnent de pair chez Georges Charpak.

Pendant sa retraite, il n'a donc pas chômé. Ainsi, parmi d'autres, Georges Charpak a inauguré une école à Troyes en octobre 2002 en présence du Président de la République Jacques Chirac et bien sûr, du maire de Troyes, François Baroin. Troyes avait été la ville où il habitait dans sa fausse identité lorsqu'il a fui Paris en 1942. C'est ce que le Président Nicolas Sarkozy a rappelé lorsque Georges Charpak s'est éteint le 29 septembre 2010 à Paris, à l'âge de 86 ans et demi, en rendant hommage à « l'homme engagé, le résistant, le combattant infatigable du savoir et du progrès ».



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 mars 2024)
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Pour aller plus loin :
Georges Charpak.
Gustave Eiffel.
Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
Covid : la contre-offensive du variant Eris.
Hubert Reeves.
Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
Des essais cliniques sauvages ?
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.

Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.






https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240308-charpak.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/georges-charpak-du-genie-concentre-253526






 

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13 avril 2023 4 13 /04 /avril /2023 05:29

« Le trou noir est une source d'illumination ! » (John Wheeler).



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Le physicien américain John Archibald Wheeler est mort il y a quinze ans, le 13 avril 2008, à l'âge de 96 ans (né le 9 juillet 1911 en Floride) dans le New Jersey (à la suite d'une simple pneumonie). Sa femme l'avait précédé en octobre 2007 et ils ont laissé trois enfants, huit petits-enfants et seize arrière-petits-enfants.

Il n'a pas eu de Prix Nobel mais il fut le dernier survivant des dinosaures de la belle aventure de la physique quantique du XX
e siècle. Au même titre que Stephen Hawking (1942-2018), John Wheeler était un spécialiste de physique théorique (tandis que le Prix Nobel récompense en principe des découvertes concrètes qui améliorent la vie quotidienne). Le cosmologue Mark Tegmark (né en 1967), qui avait profité de l'occasion des 90 ans de John Wheeler pour lui dédier un article sur quatre types d'univers multiples possibles, a exprimé son émotion dans le "New York Times" par cette formule : « Pour moi, il était le dernier Titan, le seul super-héros de la physique encore vivant ! ».

À l'annonce de son décès, le Président américain de l'époque, George W. Bush a été très ému par la nouvelle. Il a déclaré le 14 avril 2008 : « Laura et moi-même sommes attristés par la disparition de John Wheeler, un des plus grands physiciens américains. Durant sa carrière, le docteur Wheeler a collaboré avec des scientifiques tels qu’Albert Einstein et Nels Bohrn sur des projets qui ont changé le cours de l’Histoire. ». Bush Junior voulait sans doute parler de du grand physicien Niels Bohr (à ne pas confondre avec Max Born, autre physicien quantique) mais je ne sais pas s’il s’est agit d’une coquille de la dépêche de presse ou de la Maison Blanche (Bohr, victime d’une coquille quantique !).

Chercheur chevronné, John Wheeler a eu de très nombreux prix (comme la Médaille Franklin en 1969 et le Prix Wolf de physique en 1996, cette dernière récompense est considérée comme la plus prestigieuse après le Nobel), et il a été élu membre de l'Académie américaine des sciences en 1952, membre de la Royal Society (britannique) en 1995 et membre de la Société américaine de physique.

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Après sa thèse soutenue (très tôt) en 1933 à l'Université Johns-Hopkins (sous la direction du physicien Karl Herzfeld qui avait proposé dès 1912 un modèle pour l'atome d'hydrogène, peu avant le modèle de Bohr donc), John Wheeler a d'abord travaillé à Copenhague avec Niels Bohr (1885-1962) qui fut son mentor en physique : « Vous pouvez parler de personnes comme Bouddah, Jésus, Moïse, Confucius, mais ce qui m'a vraiment convaincu que de telles personnes avaient existé, ce sont mes conversation avec Bohr ! ».

Puis, il est retourné enseigner dans la prestigieuse Université de Princeton (de 1938 à 1941 et de 1945 à 1976) où il a dirigé la thèse de quarante-six physiciens, dont Richard Feynman (1918-1988), Prix Nobel de Physique 1965 pour ses travaux en électrodynamique quantique, Hugh Everett (1930-1982), auteur de la "théorie des mondes multiples" (baptisée ainsi par John Wheeler), et Kip Thorne (né en 1940), Prix Nobel de Physique 2017 pour ses travaux sur les ondes gravitationnelles (quarante-six, c'est énorme dans une carrière de chercheur et c'est plus que l'ensemble de ses collègues du département de physique de son université).

En quelques années, John Wheeler et Niels Bohr ont élaboré ensemble la théorie de la fission nucléaire : accueillant Bohr à son arrivée, en 1939, aux États-Unis, John Wheeler a appris du Prix Nobel de Physique 1922 que Lise Meitner et Otto Frisch venaient de démontrer que l'absorption d'un neutron par un noyau d'uranium pouvait casser ce noyau en deux et libérer une très grande énergie, qu'on allait appeler l'énergie nucléaire.

Pendant la guerre, John Wheeler a collaboré au fameux projet Manhattan dont l'objectif était de développer une bombe nucléaire (bombe à hydrogène). Ce qui a eu pour conséquence les bombardements de Hiroshima et Nagasaki. Il a regretté seulement qu’elle n’ait pas pu être mise au point plus tôt (son frère Joe est mort au combat en 1944). Bien plus tard, John Wheeler a soutenu l'idée d'un bouclier antimissile développée par le Président Ronald Reagan.

Après la guerre, il a retrouvé Albert Einstein (1879-1955) à Princeton avec qui il a longtemps travaillé pour unifier (en vain) la physique. L'idée générale de l'époque était d'harmoniser la physique quantique avec la relativité générale. L'impossible unification ! Il a conçu la géométrodynamique quantique (une description uniquement géométrique de l'espace-temps sans prendre en compte la notion de matière) qu’il a fini ensuite par abandonner car cette théorie ne pouvait expliquer l'existence des fermions (famille des particules de matière telles que l'électron, le neutrino ou les quarks qui constituent le proton).

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Très bon vulgarisateur, John Wheeler a mis à la mode des physiciens la théorie de la relativité générale et a publié la bible de la discipline, "Gravitation", en 1973, livre référence de 1 279 pages qui est en permanence réédité au fil des décennies (appelé par les initiales de ses trois auteurs MTW : Charles Misner, Kip Thorne et Wheeler).

En 1967, John Wheeler a expliqué dans une conférence : « L’étoile en implosion disparaît à la vue comme le chat du Cheshire [d’Alice au pays des merveilles]. L’un ne laisse que son sourire derrière lui, l’autre ne laisse que la gravité. La gravité mais pas la lumière. Ni lumière ni particule n’en émergent. De plus, lumières et particules incidentes qui pénètrent dans le trou noir ne font qu’accroître sa masse et sa gravité. ».

L’expression a alors été lâchée, "trou noir" qui allait servir à désigner ces puits gravitationnels (densité infinie, volume nul) qui attirent et retiennent tout, même la lumière (dans sa courte biographie au "Monde", Pierre Barthélémy a écrit que l'expression "trou noir" « paraîtra obscène aux Français »). John Wheeler était ainsi le père de cette expression (initialement, il avait utilisé l'expression "astre occlus") et c'est aussi lui qui a parlé le premier de "trou de ver" ou de la "structure en écume de l'espace-temps".

Un "trou de ver" est une sorte de raccourci entre deux points de l'espace-temps. Pour qu'il existe, il faut un élément qui aurait une masse négative, ce qui est hautement spéculatif et ressort d'une hypothèse que seules les mathématiques considèrent comme non farfelue. Kip Thorne avait ainsi proposé à un auteur de romans de science-fiction l'utilisation de trous de ver pour permettre de voyager dans le temps ou dans l'espace lointain.

Les travaux de John Wheeler allait anticiper ceux de Stephen Hawking sur beaucoup de découvertes de ce dernier. En particulier, John Wheeler a imaginé que les trous noirs puissent se désintégrer comme le noyau d'un atome se désintègre par radioactivité, idée que Kip Thorne a rejetée mais qu'a reprise Stephen Hawking en démontrant l'existence du rayonnement des trous noirs.

À partir des années 1970, John Wheeler s'est beaucoup concentré sur les questions philosophiques que posait la physique quantique, au point que certains de ses collègues se demander s'il n'était pas devenu un peu fou. Mais en fait, pas du tout, car ses intuitions étaient très pertinentes et préfiguraient l'informatique quantique et la théorie des automates cellulaires. Résumant sa carrière scientifique, il a écrit dans un essai publié en 1998 : « Je crois que ma vie en physique se divise en trois périodes (…). J'ai d'abord cru que tout était fait de particules (...). Dans ma deuxième période que tout était fait de champs (…). Dans cette troisième, mon impression est que tout est fait d'information. ».

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Dans la biographie écrite le 15 avril 2008 pour Futura Sciences, le journaliste Laurent Sacco a cité deux réflexions intéressantes de John Wheeler que « la génération actuelle de chercheurs méditera certainement encore avec profit ».

La première : « Nous vivons encore dans l'enfance de l'espèce humaine, toutes les horizons que sont la biologie moléculaire, l'ADN, la cosmologie commencent juste à s'ouvrir. Nous sommes justes des enfants à la recherche de réponses et à mesure que s'étend l'île de la connaissance, grandissent aussi les rivages de notre ignorance. ».

La deuxième : « Sûrement un jour, on peut l'espérer, nous saisirons l'idée centrale derrière toute chose. Elle sera si simple, si belle, si convaincante que nous nous dirons alors "Oh, comment cela aurait-il pu être autrement ! Comment avons-nous fait pour rester aveugle aussi longtemps !" ».

On peut aussi rappeler son excellente définition du temps, brève et dense (à méditer) : « Le temps, c'est ce qui empêche tous les événements de l'Univers de se produire en une seule fois. ».

Et comprendre la complexité du monde par cette remarque écrite en 1998 : « En m'inspirant de mon livre antérieur "Gravitation", j'ai écrit : "L'espace-temps indique à la matière comment se déplacer ; la matière indique à l'espace-temps comment se courber". En d'autres termes, un peu de matière (ou de masse, ou d'énergie) se déplace selon les préceptes de l'espace-temps courbé là où il se trouve. …En même temps, ce peu de masse ou d'énergie contribue lui-même à la courbure de l'espace-temps partout. ».

Et celle-ci, écrite en 1973 : « L'homme, c'est le début de l'analyse, l'homme, c'est la fin de l'analyse ; parce que le monde physique est, en un sens profond, lié à l'être humain. ».

Enfin, en 1983, John Wheeler parlait de méthode : « S'il y a une chose en physique dont je me sens plus responsable que toute autre, c'est cette perception de la façon dont tout s'emboîte. J'aime penser que j'ai le sens du jugement. Je suis prêt à aller n'importe où, à parler à n'importe qui, à poser n'importe quelle question qui fera avancer les choses. J'avoue être optimiste sur les choses, surtout sur le fait de pouvoir un jour comprendre comment les choses s'articulent. Tant de jeunes sont obligés de se spécialiser dans une ligne ou une autre qu'un jeune ne peut pas se permettre d'essayer de couvrir ce front de mer, seulement un vieux brumeux [comme moi] peut se permettre de se ridiculiser. Si je ne le fais pas, qui le fera ? ».

Et aussi, en 1980 : « Ceux qui connaissent les physiciens et les alpinistes connaissent les traits qu'ils ont en commun : un esprit "rêve et conduite", une ténacité de bouledogue et une ouverture à essayer n'importe quelle voie vers le sommet. ». Espérons que la postérité sera juste avec les apports décisifs de John Wheeler dans la physique quantique...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (10 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Biographie de John Wheeler par Pierre Barthélémy au journal "Le Monde" du 19 avril 2008.
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.

Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.









https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230413-john-wheeler.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/john-wheeler-hommage-au-pere-de-la-247420

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/10/39873996.html










 

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26 décembre 2022 1 26 /12 /décembre /2022 04:12

« Dans les champs de l'observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés. » (Louis Pasteur, le 7 décembre 1854 à Douai).




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La France fête cette année l'un de ses très grands scientifiques, Louis Pasteur, né il y a exactement 200 ans, le 27 décembre 1822, à Dole, dans le Jura. Il fait partie de ceux qui, comme Marie Curie et bien d'autres savants, ont construit la réputation d'une France scientifique et moderne dont le dernier représentant est le physicien Alain Aspect, lauréat 2022 du Prix Nobel de Physique. En ces temps actuels où l'obscurantisme reprend vigueur, via le processus qui tourne en rond des réseaux sociaux sur Internet, il est bon de temps en temps de rappeler que la France est la patrie de la science et des Lumières, comme l'imaginaient d'ailleurs les révolutionnaires de la fin du XVIIIsiècle, même si ceux-ci ont pourtant guillotiné le grand chimiste Antoine Lavoisier.

Louis Pasteur est mort le 28 septembre 1895 à 72 ans, l'Assemblée vota des funérailles nationales qui eurent lieu le 5 octobre 1895 à la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, et, la famille ayant refusé le Panthéon et après un temps dans un caveau de Notre-Dame, il fut enterré le 27 décembre 1896 dans une crypte de l'Institut Pasteur. La République n'a jamais été rancunière avec lui, elle qui célébra ses 70 ans avec faste, alors le grand scientifique, lui, était bonapartiste.

Son existence s'est donc déroulée durant tout ce XIXsiècle dont la modernité a permis de très nombreux progrès en sciences. Il était un physicien, un chimiste, un biologiste, un découvreur dans le sens encore ancien du terme, savant en ce sens qu'il fallait être polyvalent en science pour savoir relier les différentes observations. En revanche, et c'est important de le signaler, il n'était pas médecin et il devait donc collaborer avec des médecins dès qu'il s'agissait de soigner des personnes.

Élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, il est devenu agrégé de chimie, puis a soutenu sa thèse de doctorat en sciences en 1847 (sur la chiralité moléculaire), fut ensuite nommé professeur dans différentes universités, d'abord à Dijon, puis à Strasbourg en 1848, puis doyen de la faculté des sciences de Lille en 1854 (qui venait d'être créée), puis, enfin, en 1857, il a rejoint son ancienne école, l'École normale supérieure, où il a créé son propre laboratoire, avant de créer le 14 novembre 1888 l'Institut Pasteur, par souscription. Il fut aussi professeur de géologie, de physique et de chimie à l'École des Beaux-arts en 1863 puis professeur de chimie à la Sorbonne de 1867 à 1875.

Parmi les nombreuses reconnaissances scientifiques qu'il a eues de son vivant, véritable légende de la science, on peut citer qu'il a été élu à l'Académie des sciences en 1862 à la section minéralogie (secrétaire perpétuel en 1887), à l'Académie de médecine le 25 mars 1873, à l'Académie vétérinaire le 11 décembre 1878, enfin, élu à l'Académie française le 8 décembre 1881 au fauteuil d'Émile Littré, reçu le 27 avril 1882 par Ernest Renan. Sans compter les sièges dans de très nombreuses académies étrangères, en particulier la Royal Society en 1869. Il faut dire aussi que son épouse Marie a beaucoup travaillé, du vivant de son mari et après sa mort, à parfaire la légende de Pasteur.

Proche de Napoléon III, Pasteur était peu apprécié de ses collègues à Normale Sup., milieu très républicain. L'empereur a même nommé Pasteur sénateur le 27 juillet 1870, mais le décret fut sans suite en raison de l'effondrement du Second Empire. Il tenta de se faire élire sénateur en 1876, mais sans succès. Victime d'un AVC qui le rendit hémiplégique temporairement vers 1865 (il a gardé des séquelles : il ne pouvait plus bouger sa main gauche et ses déplacements étaient pénibles), il refusait cependant d'interrompre ses études.

Je reviendrai sans doute ultérieurement pour apporter certaines précisions sur les recherches de Pasteur et ce qui suit est un résumé très succinct et pas exhaustif de quelques découvertes de Pasteur. Il a découvert le rôle de plusieurs bactéries, en particulier, il a découvert le staphylocoque. Dans les années 1870 et 1880, Pasteur était en compétition avec le médecin allemand Robert Koch, une concurrence qui a été très fructueuse tant pour l'Allemagne que pour la France et plus généralement pour l'humanité, par cette saine émulation scientifique.

La plus connue des découvertes de Pasteur est le vaccin contre la rage en 1885. La nouveauté de la technique, utilisée d'abord contre le choléra des poules en 1880 et contre la maladie du charbon, c'est de provoquer artificiellement l'atténuation d'une souche initialement très virulente et c'est le résultat de cette atténuation qui est utilisé comme vaccin. C'est dans la moelle épinière d'un lapin mort de rage qu'il a pu obtenir le virus atténué de la rage.

Ses deux premières vaccinations sur l'humain ont eu lieu le 5 mai 1885 et le 22 juin 1885, sans publication car dans le premier cas, les symptômes de la rage n'étaient pas clairement établis, et dans le deuxième cas, la jeune fille vaccinée était morte le lendemain de la vaccination, mais d'une autre cause. Ce qui fut très connu, c'est la venue d'un gamin alsacien de 9 ans, Joseph Meister, mordu quatorze fois deux jours auparavant par un chien fou qui a été abattu, et Pasteur l'a vacciné le 6 juillet 1885, contre l'avis de son assistant, le médecin Émile Roux : deux autres médecins avaient levé l'hésitation de Pasteur car le risque était fort que l'enfant fût atteint de rage (la rage ne s'était pas encore déclarée). Joseph Meister n'a pas développé la rage après ses inoculations. Mais malgré l'autopsie du chien, il n'y a eu aucune preuve que ce chien fût enragé. L'expérience pourrait conclure qu'il n'y avait pas de danger avec la vaccination, moins qu'il avait sauvé le garçon de la rage. Sans compter qu'il s'agit ici d'un seul cas (les essais cliniques, de nos jours, portent sur des dizaines de milliers de personnes).

Wikipédia cite ainsi deux propos pour réduire l'importance scientifique de cette première vaccination. Louis Pasteur lui-même expliquait très franchement : « Joseph Meister a donc échappé, non seulement à la rage que ses morsures auraient pu développer, mais à celle que je lui ai inoculée pour contrôle de l'immunité due au traitement, rage plus virulente que celle des rues. L'inoculation finale très virulente a encore l'avantage de limiter la durée des appréhensions qu'on peut avoir sur les suites des morsures. Si la rage pouvait éclater, elle se déclarerait plus vite par un virus plus virulent que par celui des morsures. ». En d'autres termes, ne sachant pas s'il avait développé la rage, le gamin s'est vu inoculer un peu plus tard par Pasteur... la rage elle-même, avec un virus encore plus virulent, pour conforter l'intérêt du vaccin. Chose complètement impensable aujourd'hui, à cause de risque de mettre en danger la vie de l'enfant uniquement à des fins d'études scientifiques ! Maxime Schwartz, le lointain successeur de Pasteur, alors directeur général de l'Institut Pasteur, confiait en 1996, dans une préface à une biographie rédigée par Bruno Latour : « Pasteur n'est pas perçu aujourd'hui comme il y a un siècle ou même il y a vingt ans. Le temps des hagiographies est révolu, les images d'Épinal font sourire, et les conditions dans lesquelles ont été expérimentés le vaccin contre la rage ou la sérothérapie antidiphtérique feraient frémir rétrospectivement nos modernes comités d'éthique. ».

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L'un des dadas de Pasteur fut de travailler sur la fermentation, et son arrivée dans le Nord lui a permis de nouer de fructueuses collaborations avec les fabricants de bière qui cherchaient un moyen de pouvoir conserver leur produit le plus longtemps. Pasteur fut à cet égard un précurseur des relations entre la recherche scientifique et l'industrie, ce qui, dans le siècle qui allait suivre, a permis de très nombreuses avancées technologiques et scientifiques dans de très nombreux domaines.

C'est aussi Napoléon III qui demanda à Pasteur, spécialiste de la fermentation et de la putréfaction, de traiter les maladies du vin qui coûtaient très cher à l'économie. Pasteur a décelé un micro-organisme qui en était à l'origine (une bactérie). Il s'est installé à Arbois, dans le Jura, pour étudier le phénomène. En 1866, dans son "Étude sur le vin", il a proposé un procédé de chauffage de 50°C à 100°C pour tuer les germes bactériens et conserver le vin, ce qu'on a appelé la pasteurisation, qui fut brevetée le 11 avril 1865. Ce procédé fut aussi utilisé pour la bière, et en 1886, il fut appliquer au lait, c'est encore ce principe qui est appliqué sur le lait UHT et sur certains jus de fruit. La détermination de la bonne température est essentielle puisqu'il faut qu'elle soit suffisamment élevée pour détruire toutes les bactéries mais suffisamment faible pour éviter de disloquer les molécules de l'aliment d'origine.

Au début de sa carrière, Pasteur a découvert en 1848 la dissymétrie moléculaire, qui montrait différentes formes géométriques d'une molécule composée des mêmes atomes mais avec un emplacement différent (forme lévogyre ou forme dextrogyre, dont la lumière polarise vers la gauche ou vers la droite). Il l'a décelée dans l'acide tartrique issu de la vinification, avec un problème jamais résolu, car parfois, l'acide avait une autre propriété et était pourtant composé de la même manière. Même si d'autres scientifiques travaillaient déjà dans ces domaines, il faut noter qu'à l'époque, on n'avait pas de spectrographie et que la notion d'atomes et de molécules a été vraiment acquise à la fin du siècle (au même titre que les lois sur l'hérédité ont été proposées avant la connaissance de l'existence des gènes).

Pasteur a aussi nourri le débat intellectuel sur la génération spontanée, qu'il a prouvée impossible après six ans de recherches à partir de 1859 (mais ses études étaient incomplètes et étaient critiquables). Étrangement, ce débat fut aussi l'occasion des premières polémiques avec Georges Clemenceau, jeune futur médecin, qui fustigeait Pasteur parce qu'il était catholique. En effet, dans sa thèse de doctorat en médecine, Clemenceau a pris parti en faveur de la génération spontanée. Dans son livre sur Clemenceau, Gérard Minart écrit ainsi en 2005 : « À partir de 1863, il donne la priorité à sa thèse de médecine qu'il présente en 1865. Elle porte comme titre : "De la génération des éléments anatomiques". Il s'y montre, comme son maître Charles Robin, ardent matérialiste et fervent défenseur, contre Pasteur, de la génération spontanée. Cette thèse sera publiée une première fois dès 1865 et une seconde fois, avec une introduction de Charles Robin, en 1867. Ce sera son premier livre. ». Pasteur a écrit au docteur Godelier en décembre 1876 sur la non-spontanéité des maladies contagieuses : « Sans avoir de parti pris dans ce difficile sujet, j'incline par la nature de mes études antérieures du côté de ceux qui prétendent que les maladies contagieuses ne sont jamais spontanées (…). Je vois avec satisfaction les médecins anglais qui ont étudié la fièvre typhoïde avec le plus de vigueur et de rigueur repousser d'une manière absolue la spontanéité de cette terrible maladie. ».

Une légende se construit toujours à l'école. Dans un livre très connu des écoliers et avec lequel j'ai eu la chance d'apprendre à lire alors qu'il n'était plus du tout au programme, Pasteur est un héros. En effet, "Le Tour de France par deux enfants" de G. Bruno (une institutrice), dont la première édition date de 1877, soit du vivant de Pasteur, s'est vu rajouter un épilogue daté du 31 décembre 1904 pour évoquer notamment les découvertes de Pasteur. L'un des personnages venant du Jura explique ainsi aux deux héros : « Aussi bon que savant, il encourageait ceux qui avaient le désir de s'instruire. Il a aidé mon fils Victor, qui travaillait ferme, à obtenir une bourse dans un lycée de Paris ; ce qui lui a permis de faire de bonnes études, d'arriver à être vétérinaire et d'entrer plus tard comme aide dans plusieurs Instituts Pasteur. (…) Les découvertes de Pasteur profitent non seulement à la France, mais au monde entier (…). Ses recherches ont tracé la voie où d'autres se sont engagées. (…) Chaque année, des milliers de vies humaines échappent ainsi à la mort, grâce aux travaux et aux découvertes de Pasteur et de ses élèves. Le grand homme n'est plus ; mais le bien qu'il a fait, loin de s'éteindre avec lui, va s'augmentant chaque jour. ». On ne peut être plus hagiographique.

De nos jours, sans retirer son immense mérite ni son génie, on accorde à Pasteur plus le rôle du passeur que du découvreur. Ainsi, l'épistémologue André Pichot affirmait en 1994 : « C'est là le mot-clé de ses travaux : ceux-ci ont toujours consisté à mettre de l'ordre, à quelque niveau que ce soit. Ils comportent assez peu d'éléments originaux ; mais, le plus souvent, ils partent d'une situation très confuse, et le génie de Pasteur a toujours été de trouver, dans cette confusion initiale, un fil conducteur qu'il a suivi avec constance, patience et application. ». Et il faut savoir que c'est le rôle de tous les scientifiques modernes : reprendre des travaux anciens et les amenaient à maturité à force d'intuition et d'approfondissement, au prix parfois d'une révolution scientifique.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (17 décembre 2022)
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Pour aller plus loin :
Louis Pasteur.
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7 octobre 2022 5 07 /10 /octobre /2022 05:03

« S'il y a une chose que la science a compris, de la physique quantique à la biologie, c'est que nous sommes tous liés. L'idée que nous sommes séparés les uns des autres n'est qu'une illusion. Plus une civilisation est développée, plus elle comprend cette réalité fondamentale. » (José Rodrigues dos Santos, "Signe de vie", 2017).



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À l'annonce du Prix Nobel de Physique ce mard 4 octobre 2022, j'ai eu beaucoup d'émotion en apprenant que le physicien français Alain Aspect faisait partie des lauréats. L'annonce de ses deux autres colauréats John F. Clauser et Anton Zeilinger, dont il partage un tiers du prix, a fait aussi le même effet, car ce n'est pas sa nationalité qui est en cause (du reste, les médias français en ont peu parlé, malgré le cocorico français, nous en sommes à un rythme de 1 Nobel de Physique français tous les cinq ans depuis une vingtaine d'années), mais parce qu'une véritable révolution scientifique a été récompensée par le Comité Nobel : l'intrication quantique.

Cela faisait une quarantaine d'années qu'Alain Aspect était nobélisable, ainsi que les deux autres lauréats, et cette nouvelle a fait plaisir aussi à une de ses anciennes collègues, physicienne et ancienne présidente de l'Université Paris-Saclay, l'actuelle Ministre de la Recherche Sylvie Retailleau, qui rappelle à quel point l'Université Paris-Saclay est un pôle d'excellence mondiale (classée 9e au classement de Shanghai pour la physique). Alain Aspect, professeur de l'Institut d'Optique sur le Plateau de Saclay (à Palaiseau ; chaire d'Augustin Fresnel), professeur associé à l'École Normale Supérieure de Paris-Saclay et à l'École Polytechnique, est à la fois un grand chercheur, passionné par son sujet, et un grand pédagogue.

Son objectif, au début de sa carrière de physicien, était philosophiquement et historiquement très ambitieux : départager par une validation expérimentale qui, de Einstein ou de Bohr, avait raison dans son interprétation de la physique quantique. Pour Einstein, la physique quantique n'était pas satisfaisante par son indétermination et ses probabilités, considérait qu'elle était incomplète et espérait des "variables cachées". Le physicien britannique John Bell a proposé des inégalités théoriques pour imaginer une expérience pouvant confirmer ou infirmer l'existence de ces variables. Et Alain Aspect a voulu la réaliser.

À la matinale de France Inter le lendemain (5 octobre 2022), Alain Aspect, avec son accent sympathique du Sud-Ouest (il est né à Agen il y a 75 ans : il est le cas typique du provincial débarqué à Paris), a rappelé tous les obstacles sur sa route à la journaliste (profane) Léa Salamé : « Quand j'ai démarré cette expérience, en 1974-1975, la plupart des gens pensaient que ça n'avait aucun intérêt de faire ce genre d'expérience. Quand je suis allé voir John Bell pour lui demander ce qu'il pensait de mon expérience, il m'a demandé "est-ce que vous avez un poste stable ? (...) Parce que sinon, je vous déconseille fortement de faire cette expérience, ça nuira à votre carrière" ! ».

John Bell fut présent dans le jury de thèse de doctorat d'Alain Aspect, qu'il a soutenue le 1er février 1983 (on peut télécharger sa thèse ici). Claude Cohen-Tannoudji (futur Prix Nobel en 1997 avec Steven Chu et William D. Phillips pour le refroidissement d'atomes par laser) et Bernard d'Espagnat furent aussi membres du jury. Paradoxalement, John Bell qui fut l'un des grands contributeurs dans l'histoire de la physique quantique (avec ses inégalités qui datent de 1964), n'a jamais été récompensé par un Prix Nobel, peut-être parce qu'il est mort relativement jeune en 1990, à l'âge de 62 ans, d'un AVC.

La récompense des trois lauréats a du sens dans l'histoire des sciences : « Ce que nous avons démontré, c'est la réfutation d'inégalités. En faisant des mesures, on démontre que des inégalités qui représentaient la vision du monde d'Einstein, nous les violons. Donc, ça ne suit pas cette vision du monde d'Einstein. Alors, il y a eu l'expérience de John Clauser en 1972 qui a été la première, la pionnière. Il y a eu mon expérience de 1982 qui est une expérience beaucoup plus raffinée et qui montre de façon encore beaucoup plus frappante ces propriétés incroyables de la physique quantique, qu'on appelle la non-localité. Et puis Anton Zeilinger, lui, plutôt, il a mis en œuvre cette intrication pour démarrer certaines applications. ».

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De quoi s'agit-il concrètement ? J'avais tenté d'expliquer il y a cinq ans l'expérience d'Alain Aspect dans cet article. Pour le grand public, je reprends l'explication d'Alain Aspect lui-même sur France Inter : « Dans le monde classique, si vous avez deux objets qui sont loin l'un de l'autre, ils n'interagissent pas, la propriété de l'ensemble, c'est la somme des propriétés du premier et du second, il n'y a rien de plus. Quand vous avez une paire d'objets intriquée, eh bien, il y a davantage d'informations, si vous voulez, il y a plus de propriétés dans l'ensemble des deux, bien qu'ils soient éloignés et qu'ils n'interagissent pas. Alors, quand vous n'avez que deux, l'augmentation de l'information est limitée, mais si vous en avez trois, quatre, cinq, ça croît exponentiellement. ».

Ce qui est frappant, étrange, curieux, incroyable, et cela a été donc prouvé expérimentalement (et de manière renouvelée et répétée), c'est que deux particules intriquées à l'origine ne se comportent pas de la même manière, même lorsqu'elles sont séparées d'une très grande distance, que deux particules non intriquées. En d'autres termes, lorsqu'elles sont éloignées l'une de l'autre, soit elles ont conservé une "mémoire" de leur liaison d'origine, soit elles ont pu échanger des informations immédiatement, or, cette seconde hypothèse est impossible car cela signifierait que la vitesse de la lumière n'est plus un seuil limite (et remettre en cause ce seuil bouleverserait toute la science actuelle, physique quantique et relativité générale).

C'est donc une avancée de la science historique à laquelle a contribué Alain Aspect avec ses équipes, lui qui a formé des générations de chercheurs, et d'abord ses deux collaborateurs pour son expérience de 1982, Philippe Grangier et Jean Dalibard qui sont devenus de grands physiciens de la physique quantique
, ainsi que Gérard Roger avec qui il a conçu et réalisé le dispositif expérimental. Il s'agit de la seconde révolution quantique, et elle a son importance même dans la vie de tous les jours. En effet, ses applications sont très importantes dans l'informatique quantique et aussi dans la cryptographie quantique, avec des générateurs de nombres aléatoires par exemple. Certains (comme Anton Zeilinger) ont imaginé la téléportation quantique qui utiliserait aussi cette propriété absolument inouïe d'intrication quantique.

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Alain Aspect n'est pas seulement un physicien passionné par ses sujets, mais aussi par l'histoire des sciences elle-même. Il a relu tous les manuscrits d'Einstein et les commentaires pour des physiciens français avec beaucoup de fascination et même si son expérience a confirmé qu'Einstein avait eu tort, toute sa résistance contre l'interprétation de Copenhague de la physique quantique a été très constructive puisqu'elle a amené de nombreux chercheurs, dont Alain Aspect, à la perfectionner, à la préciser, et finalement, à mieux la décrire. Et au-delà d'enseigner ou d'apporter ses propres pierres à la connaissance, il souhaiterait que la science fasse partie de la culture générale de la société, ce qui n'est pas le cas en constatant avec regret : « Je suis ulcéré de voir certaines célébrités se vanter de ne rien comprendre aux sciences. Car les mêmes ne se vanteront pas de leur ignorance de la littérature ou de la peinture ! » (2005).

Intéressé par les applications de la physique quantique, Alain Aspect a cocréé Pasqal, une start-up qui travaille sur un ordinateur quantique fonctionnant avec des atomes non ionisés refroidis à quelques microkelvins. Ce refroidissement des atomes a été aussi l'un des sujets étudiés très profondément par Alain Aspect à partir de 1985 avec le groupe de refroidissement par laser de Claude Cohen-Tannoudji. Il a réussi à descendre au microkelvin : « Pour atteindre ce résultat, il a fallu mettre l'atome dans un état quantique où chaque atome est présent simultanément à plusieurs endroits, comme le photon dans l'interféromètre. ». Et à partir de 1992-1995, Alain Aspect s'est intéressé aux condensats de Bore-Einstein dont le développement pourrait apporter de nombreuses applications.

D'ailleurs, en 2005, il laissait entrevoir une certaine nostalgie d'avoir abandonné si vite le sujet de l'intrication quantique : « Au départ, les expériences sur l’intrication visaient à trancher un débat conceptuel qui semblait devoir se clore avec nos travaux. Aurais-je quitté si facilement les photons intriqués si j’avais anticipé les développements actuels ? Mais l’aventure des atomes froids était si belle... ». De plus, il ne croit pas, à l'instar de Pierre-Gille de Gennes, à l'intérêt pour un scientifique de rester dans le même domaine trop longtemps, il n'est plus en capacité d'avoir de nouvelles idées originales et le changement lui permet d'apporter son talent sur d'autres sujets, à la manière de Candide. Félicitations, professor Alain Aspect !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Portrait assez complet d'Alain Aspect par le Journal du CNRS en 2005.
Télécharger la thèse d'Alain Aspect soutenue le 1er février 1983.

L'expérience d'Alain Aspect.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.

Frank Drake.
Marie Curie.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221004-alain-aspect.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/alain-aspect-l-intrication-244169

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/10/04/39655799.html












 

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8 août 2022 1 08 /08 /août /2022 05:28

« On ne sait jamais vraiment quand on perd son temps ! » (Roger Penrose, 1973).



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C’est le principe de la recherche, on ne sait pas ce qui va advenir d’une pensée. Parfois, des observations dérisoires peuvent effectivement être à l’origine de grandes découvertes. C’est l’essentiel du scientifique : être une bon observateur et avoir de l’imagination. Or, ces deux qualités ne fonctionnent pas 35 heures par semaine, mais bien 24 heures sur 24, on n’arrête jamais un penseur de penser !

L’astrophysicien et mathématicien britannique Roger Penrose fête son 91e anniversaire ce lundi 8 août 2022. Ce spécialiste de physique théorique est très connu pour avoir beaucoup travaillé avec le physicien Stephen Hawking sur les trous noirs notamment.

Alors qu’on considérait que Stephen Hawking ne pourrait jamais avoir de Nobel car ce prix récompense des découvertes qui ont une incidence sur la vie quotidienne des gens, et a fortiori, on pouvait aussi le penser pour Roger Penrose, ce dernier a quand même eu la consécration, certes tardive, de ses travaux par l’obtention du Prix Nobel de Physique le 6 octobre 2020. À cause du covid-19, il n’y a pas eu de réception officielle en 2020, mais il a fait une lecture pour le Nobel le 8 décembre 2020 et a reçu la médaille des mains de l’ambassadeur de Suède au Royaume-Uni dans la résidence de celui-ci à Londres.

Roger Penrose a ainsi été récompensé par l’Académie royale des sciences de Suède « for the discovery that black hole formation is a robust prediction of the general theory of relativity » [pour la découverte que la formation des trous noirs était une prédiction solide de la théorie de la relativité générale].

Effectivement, le principal travail de Roger Penrose a été de faire en 1965 de la modélisation mathématique pour prouver que la théorie de la relativité générale, énoncée par Albert Einstein, avait pour conséquence l’existence de trous noirs. Un trou noir, c’est un objet cosmique qui a une telle densité en masse que la gravitation y est très forte, si forte que même les rayons de lumière ne peuvent s’y échapper (d’où le nom, en anglais "black hole", mais je trouve que l’expression prête à confusion car ce n’est pas un trou, ce serait plutôt un trop-plein).

En fait, Roger Penrose a partagé son Prix Nobel à moitié (50%, pas un tiers) avec deux autres physiciens, l’Allemand Reinhard Genzel et l’Américaine Andrea Ghez, ces deux derniers pour la découverte d’un trou noir massif au centre de la Voie lactée (Sagittarius A*), à 27 000 années-lumière de chez nous. La présence de ce trou noir massif, qui correspondrait à 4 millions de notre Soleil, explique la vitesse très élevée des étoiles à cet endroit de notre galaxie et son aspect général d’une spirale tourbillonnante.

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Au contraire des trous noirs "classiques" que la théorie avait prédit avant leur observation, notamment grâce aux travaux de Roger Penrose à partir de ceux d’Einstein, les trous noirs supermassifs n’étaient pas envisagés avant leurs observations par les astronomes. C’est pourquoi le Prix Nobel de 2020 a récompensé les deux composantes habituelles, complémentaires, très différentes de la science, la théorie qu’on valide ensuite par l’observation, et l’observation qu’on explique ensuite par la théorie.

Le trou noir était une idée conçue dès 1783 par John Michell, un physicien de Cambridge (où ont travaillé plus tard Stephen Hawking et Roger Penrose pour sa thèse sur le calcul tensoriel en géométrie algébrique en 1958), qui se demandait si un objet pouvait être suffisamment massif pour que sa gravitation empêche la lumière de quitter l’astre. Puisqu’on savait déjà à l’époque qu’il fallait une vitesse particulière pour pouvoir quitter un astre et sa gravité, l’astronome se demandait ce qui se passerait-il si la vitesse de libération était supérieure à la vitesse de la lumière.

Einstein a émis l’idée en 1915, dans sa théorie de la relativité générale, que de tels astres pourraient être des étoiles qui s’effondreraient sur elles-mêmes jusqu’à n’être qu’un point au volume nul et à la densité infinie, et donc, à la gravité infinie, ce qu’on appellerait une "singularité gravitationnelle". Mais il n’y croyait pas vraiment et l’existence de trous noirs a été sujet à caution dans la "communauté scientifique" jusqu’aux travaux de Stephen Hawking et Roger Penrose. Hawking a notamment démontré qu’il existait, malgré la forte gravité, un rayonnement qui s’échappait du trou noir, appelé Hawking radiation. En outre, il était quand même possible d’absorber de l’énergie du trou noir grâce à son moment cinétique.

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Pour les observer, les trous noirs étant par définition invisibles, c’est leur entourage qu’il faut apprécier, les déviations de la lumière qui est gobée par le trou noir. Einstein a ainsi montré par image qu’un trou noir pouvait être une sorte de puits dans une nappe homogène, comme une boule de pétanque qui enfoncerait la surface d’un drap vers le bas à cause de la gravité, et cette déformation du drap (assimilé à l’espace-temps) montre que le trou attire naturellement tout ce qui passe au voisinage. Par ailleurs, lorsqu’on s’approcherait d’un trou noir, si jamais il était possible de le faire, évidemment, on constaterait que le temps deviendrait de plus en plus lent jusqu’à s’arrêter à l’horizon des événements, tandis qu’au-delà du voisinage, le temps est toujours aussi rapide.

En 1969, Roger Penrose a aussi proposé la conjecture dite de la "censure cosmique" (jolie expression) selon laquelle il n’existerait pas de "singularité nue", c’est-à-dire d’espace qui soit à la fois visible et dont la lumière ne peut pas échapper …à l’exception du Big Bang. Pour Roger Penrose, les trous noirs sont à la base du second principe de la thermodynamique, comme il le précisait le 6 octobre 2020 à un responsable du Comité Nobel : « Ils sont en fait, voyez-vous, l’entropie dans l’univers, ou le caractère aléatoire si vous préférez, qui augmente avec le temps, et vous pourriez vous demander où se trouve la plus grande partie de l’entropie dans l’univers maintenant. Eh bien, de loin, avec un facteur absolument énorme, c’est dans les trous noirs. Et puis, où ça va ? Eh bien, Hawking nous dit que dans un avenir lointain, ces trous noirs s’évaporeront. ». Quand exactement ? Selon Hawking, dans 10 puissance 103 années (1 suivi de 103 zéros). On a encore le temps !

Interviewé sur CNews le 9 octobre 2020, Roger Penrose complétait : « Le Big Bang n’est pas le commencement. Il y avait quelque chose avant le Big Bang et ce quelque chose est précisément ce qui nous attend dans le futur. (…) Nous avons un univers qui se développe et se développe, et selon cette folle théorie qui est la mienne, dans un avenir lointain, toute cette masse finira par se désintégrer en un nouveau Big Bang donnant naissance à de nouveaux temps infinis. ».

Ce sont bien sûr des notions vertigineuses, qu’il est difficile de bien appréhender dans notre condition minuscule de petits Terriens sur une petite planète tournant autour d’une petite étoile qui anime un petit système solaire en banlieue périphérique d’une petite galaxie… Néanmoins, le génie humain est là, non seulement capable de réfléchir et d’arriver à des résultats théoriques intéressants mais aussi capable de fabriquer des instruments très sophistiqués, dont le dernier en date, mis en route très récemment, le télescope spatial James-Webb, promet de très belles découvertes à venir (premières images prises le 7 juin 2022 et diffusée par la NASA le 11 juillet 2022). Cet outil d’observation, de plus en plus puissant et de plus en plu précis, va nous permettre de voir en direct le Big Bang.

Roger Penrose a eu de très nombreuses récompenses avant le Nobel, en particulier le Prix Wolf en physique en 1988 avec Stephen Hawking, le Prix Dirac en 1989 et la Médaille Albert-Einstein en 1990.

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Au-delà de ses travaux sur les trous noirs, Roger Penrose a beaucoup joué avec la géométrie. En particulier, inspiré par les travaux de l’artiste suédois Oscar Reutersvärd, il a conçu en 1958 le triangle de Penrose, une tripoutre impossible à réaliser en trois dimensions à cause d’un paradoxe de perspective. Inspiré par Robert Berger, il a aussi conçu en 1974 les pavages de Penrose, qui sont un motif recouvrant tout un plan mais sans être périodique. Ces pavages non symétriques sont conçus par des règles telles qu’on les a utilisé comme modèles géométriques pour les quasi-cristaux (qui sont de pseudo-symétrie 5). Ces deux éléments géométriques, tripoutre et pavages, ont été beaucoup utilisés par le dessinateur MC Escher dans la composition de ses œuvres "impossibles".

Quand on manie autant de concepts théoriques, encore que lorsqu’il imagine les trous noirs, en quatre dimensions, Roger Penrose voit la géométrie avant d’y voir les équations, on ne peut pas rester insensible à la philosophie, on ne peut pas résister à la tentation de spéculer sur l’humain, le monde, l’univers alors qu’on tente une théorie du tout. C’est en cela que le cosmologue théoricien est également un grand philosophe et, pourquoi pas, également un grand poète.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 août 2022)
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Pour aller plus loin :
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Roger Penrose.
La mort de l’horloge parlante.
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Cédric Villani.
Pierre-Gilles de Gennes.
Pierre Teilhard de Chardin.
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La Science, la Recherche et le Doute.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Klim Tchourioumov.
L’exploit de Blue Origin, la fabrique du tourisme spatial écolo-compatible.
John Glenn.
Michael Collins.
Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
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60 ans après Vostok 1.
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Stephen Hawking, Dieu et les quarks.
Les 60 ans de la NASA.
La relativité générale.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
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Benoît Mandelbrot.
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23 juin 2022 4 23 /06 /juin /2022 04:37

« Cela fait trois millions d‘années que nous sommes libres. Trois millions d’années que nous avons la responsabilité de notre liberté : cela nous donne droit au bonheur et à l’espoir. » (Yves Coppens, le 28 octobre 2021 sur le site de RTE France).




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Le paléontologue français Yves Coppens est mort ce mercredi 22 juin 2022 à l’âge de 87 ans (il est né le 9 août 1934 à Vannes). Homme de science mais aussi homme des médias, il était très connu pour ses nombreux livres, conférences et émissions expliquant sa passion, la paléontologie et la paléoanthropologie. La plupart des scientifiques sont peu connus parce qu’ils ne communiquent pas au grand public, souvent ils préfèrent parler à leurs collègues ou futurs collègues (c’est-à-dire aux étudiants). Ce n’était pas le cas d’Yves Coppens par ailleurs multirécompensé dans le monde des sciences et entre autres, professeur au Collège de France de 1983 à 2005 à chaire de paléontologie et préhistoire, membre de nombreuses académies scientifiques, y compris au Vatican, mais pas de l’Académie française où il avait tenté en vain sa chance en 1998. Vanité du scientifique ?

À l’annonce de sa disparition, Bruno Maureille, chercheur au CNRS, a témoigné avec émotion : « Les sciences préhistoriques et plus globalement les sciences du passé, de la paléoanthropologie aux recherches sur les paléoenvironnements très anciens africains, viennent certainement de perdre leur meilleur ambassadeur français. Sa passion pour la transmission des savoirs lui permettait d’intéresser tous les publics, des plus petits aux plus âgés de nos aînés et que cela soit lors d’une conférence grand public, à la radio ou à la télévision. Sa voix était reconnue de tous, ou presque. ». C’est parce que Yves Coppens poussait les jeunes chercheurs que Bruno Maureille a pu présenter (pour la première fois) ses travaux au prestigieux Collège de France le 8 novembre 1994. Pédagogue, il était aussi découvreur de talents. Affecté par la disparition de toutes les personnalités qui ont fait rayonner la France, l’Élysée a communiqué notamment : « Le Président de la République salue le parcours de ce pionnier, scandé d’inestimables découvertes qui permirent à la paléontologie française d’éclairer d’une lumière nouvelle les origines de l’humanité tout entière. ».

L’avantage d’être un homme de science communicant est de pouvoir transmettre à des "profanes" les passions et les enjeux scientifiques, vulgariser les choses établies, mais aussi promouvoir des théories, des suppositions, des raisonnements, des hypothèses pas encore vérifiées ou encore infirmées par la suite, originales ou acquises par cette impalpable "communauté scientifique". Sur le plan des hypothèses, Yves Coppens en a imaginé beaucoup, parfois en était revenu, bref, il réfléchissait à voix haute et, comme tout le monde, pouvait être dans l’erreur.

Yves Coppens a au moins donné la passion à de nombreuses personnes non scientifiques sur un sujet très compliqué qui tente de répondre à cette question impossible : d’où venons-nous ? Et par-dessus le marché, il a même tenté la question : où allons-nous ? qui n’est finalement qu’un corollaire de la première question. En 2020, il reprenait ce questionnement dans son dernier livre "Le savant, le fossile et le prince" (éd. Odile Jacob) : « Il est en outre facile de comprendre que tout fossile pose les questions scientifiques et philosophiques fondamentales de l’histoire de la Terre et de celle de la Vie et, qui plus est, de l’origine et de l’évolution de l’Homme, questions auxquelles personne n’est vraiment tout à fait indifférent. ».

Au fil des découvertes (quelques os par-ci par-là), on a cru à une lignée simple où l’homo sapiens suivait l’australopithèque (concrètement, c’était ce que j’avais appris en classe et j’ai été profondément traumatisé de voir un savoir scolaire remis en cause aussi magistralement !). En fait, c’est bien plus compliqué, et chaque fossile retrouvé amène de la surprise et de la complexité. Il y a eu plein de branches d’hominidés à certaines époques, beaucoup de "tentatives humaines" qui n’ont pas abouti.

D’un père physicien à Nancy (professeur à l’INPL), Yves Coppens fut rapidement passionné par la paléontologie et par les fouilles archéologiques. Après une thèse de doctorat sur les proboscidiens à la Sorbonne, il commença ses travaux de recherches en 1956 au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle et a collaboré avec des géologues qui ont trouvé des fossiles. À partir de années 1960, il a fait beaucoup d’expéditions en Afrique, en particulier au Tchad, au Kenya, en Éthiopie, au Sénégal, en Mauritanie, etc.

Au cours de ces expéditions, toujours collectives, il a fait quelques découvertes. La plus connue est un fossile à moitié complet d’Australopithecus afarensis dans la valléede l’Awash à Hadar, en Éthiopie, le 30 novembre 1974. Ce fut une codécouverte dans une grande expédition dirigée par lui mais aussi par le paléoanthropologue américain Donald Johanson, le géologue français Maurice Taieb et paléontologue français Claude Guillemot.

Du nom de Lucy (à cause d’une chanson des Beatles), c’est l’un des fossiles les plus complets trouvés au monde avec 52 fragments d’os (sur 206). Au fil des années d’analyse, il a été établi que c’était un primate femelle de 1 mètre 10 mort à l’âge de 25 ans possiblement d’une chute d’une douzaine de mètres. Ce qui est remarquable, c’est que Lucy date de 3,18 millions d’années et… marchait sur ses deux jambes (bien que le dos fût encore courbé). La bipédie n’était donc pas réservée aux seuls homo sapiens qui, eux, sont apparus seulement il y a 300 000 ans. Loin d’être notre grand-mère, elle est plutôt une cousine éloignée dans une branche parallèle aux homo sapiens.

Auparavant, en 1967, il a codécouvert un fossile de Paranthropus aethiopicus dans la vallée de l’Omo en Éthiopie. Yves Coppens pouvait se permettre de mimer Shakespeare en regardant un crâne d’australopithèque et se poser la question : naître ou ne pas naître ?

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Comment et pourquoi les primates sont-ils parvenus à se mouvoir sur deux seules jambes. Yves Coppens a tenté de proposer une théorie de l’évolution par l’environnement et considérait plus importants les facteurs culturels que les facteurs biologiques.

Dans son livre "Aux origines de l’humanité" (éd. Fayard) sorti en 2001, le paléontologue livrait quelques réflexions sur les bipèdes : « Le cerveau exige une régulation thermique très stricte ; chez un bipède parcourant la savane, la boîte crânienne est particulièrement exposée aux rayons solaires. Cette situation exige des solutions originales chez les mammifères, le poil sert à protéger des rayons solaires, tandis que l’halètement provoque une forte évacuation au niveau des muqueuses buccales. L’homme se distingue par la transpiration : seule la tête et les épaules sont durement exposées. Cela explique sûrement pourquoi la pilosité fut conservée autour de notre cerveau, alors que le développement de glandes sudoripares l’a ailleurs remplacée. De plus, la fin de l’halètement induit une respiration contrôlée, permettant un langage articulé. ».

Yves Coppens a pris part aussi aux débats sur l’origine de l’homo sapiens (l’homme moderne), considéré très majoritairement comme issu de l’Afrique il y a 300 000 ans et se déplaçant vers les autres continents il y a 100 000 à 60 000 ans. Yves Coppens toutefois croyait plutôt à une apparition sur plusieurs continents en parallèle mais là encore avec des branches parallèles aboutissant à l’homme de Neandertal), sans exclure un mélange entre les homo des lieux et l’homo sapiens arrivant.

C’est une discipline très analytique où le moindre fossile pourrait faire changer complètement une théorie. Parce qu’il communiquait beaucoup avec le grand public, Yves Coppens a su faire passer cette exaltante recherche auprès de nombreux Français.

Son rival français est le paléontologue Michel Brunet qui, lui, a codécouvert au Tchad en 1995 un fragment de l’australopithèque Abel, daté de 3,6 millions d’années, puis, toujours au Tchad, le19 juillet 2001, le crâne de Toumaï, encore une nouvelle espèce, daté de 7 millions d’années, la plus ancienne espèce d’hominine découverte à ce jour. Chaque nouveau fossile remet en cause les analyses des précédents.

Je propose cette vidéo d’un débat entre Yves Coppens et Michel Brunet à Poitiers où travaille Michel Brunet, ainsi que, plus loin, une vidéo d’une des nombreuses conférences d’Yves Coppens.





Malgré son grand âge, Yves Coppens restait toujours présent dans les médias et à l’affût de l’actualité. Le site de RTE France (Réseau de transport d’électricité) l’a interrogé le 28 octobre 2021 alors que la pandémie de covid-19 sévissait depuis un an et demi. Voici quelques extraits intéressants.

Les mutations du virus : « Un virus, c’est avant toute chose un petit être qui vit, comme les autres, avec l’obsession de survivre. Les virus mutent comme nous l’avons fait et ne cessons de le faire nous-mêmes. Mais ces organismes, à la vie plus courte, mutent plus vite. Et comme pour survivre, les virus doivent de mieux en mieux s’adapter, ils vont plus volontiers retenir, par sélection naturelle, les mutations qui leur sont le plus favorables, celles qui leur permettent par exemple de se transmettre plus vite. Ainsi, les "variants" qui réussissent sont ceux qui sont les plus contagieux. ».

Les vaccins : « L’homme est fascinant par sa faculté à trouver des solutions à ses malheurs. Face au coronavirus, il n’a pas seulement réussi à fabriquer un mais plusieurs types de vaccins (…). Cette réponse rapide à la situation pandémique est à la gloire de l’humanité… ».

Le réchauffement climatique : « L’humanité est suffisamment géniale pour trouver d’autres solutions que celle de ne plus circuler dans Paris… (…) Nous avons du coup mieux pris conscience des limites de la Terre et c’est un premier pas vers une réflexion en toute connaissance de cause. (…) L’humanité est magique, intelligente, et elle ne va pas se laisser avoir, même si elle réagit souvent au dernier moment. Avec nos milliards de cerveaux, on a d’autant plus de "forces vives" pour réfléchir, résoudre et agir. Et puis l’humanité va aussi aller s’installer sur d’autres planètes et décharger un petit peu la Terre. Cela m’intéresse d’ailleurs beaucoup car la séparation, par exemple, entre "terriens" et "martiens" entraînera une dérive génétique. Les descendants des deux populations ne seront plus les mêmes ; quand on retournera voir nos cousins martiens, on sera surpris de voir "la tête" qu’ils auront acquise et, du coup, "la tête" qu’ils feront en revoyant la nôtre ! ».

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Dans son livre "Évolution" (éd. Carnets nord) sorti le 25 octobre 2017, le sage Coppens a écrit, un brin malicieux voire excité : « L’homme de Neandertal était petit, râblé, puissant. On le voit bien meilleur boxeur et catcheur, quand l’homo sapiens était certainement plus fort à la course à pied. Ce serait drôle de voir leurs différentes qualités sportives si nous les mettions tous les deux sur un stade !: ». Cette idée de compétition sportive entre les espèces humaines est à la fois effrayante et passionnante. Mais la question ne se pose plus, il ne reste à ce jour qu’une seule espèce humaine, la nôtre : « Nous sommes tous des Africains, nés il y a trois millions d’années, cela devrait nous inciter à la fraternité ! ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 juin 2022)
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Pour aller plus loin :
Yves Coppens.
Cédric Villani.
Pierre-Gilles de Gennes.
Pierre Teilhard de Chardin.
Luc Montagnier.
La Science, la Recherche et le Doute.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Klim Tchourioumov.
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Michael Collins.
Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
SpaceX en 2020.
Thomas Pesquet.
60 ans après Vostok 1.
Youri Gagarine.
Spoutnik.
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Apocalypse à la Toussaint ?
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Stephen Hawking, Dieu et les quarks.
Les 60 ans de la NASA.
La relativité générale.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Bill Gates.
Benoît Mandelbrot.
Roland Omnès.
Marie Curie.







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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 03:46

« Le vrai point d’honneur n’est pas d’être toujours dans le vrai. Il est d’oser, de proposer des idées neuves, et ensuite de les vérifier. » (Pierre-Gilles de Gennes).




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Le physicien français Pierre-Gilles de Gennes est mort à Orsay il y a juste quinze ans, le 18 mai 2007 des suites d’un cancer, à l’âge de 74 ans (il est né à Paris le 24 octobre 1932). C’est l’occasion de revenir sur cette personnalité hors du commun que certains de ses collègues ont appelé le "Newton de notre temps" (ce que sa modestie avait réfuté catégoriquement en parlant de « l’expression du lyrisme nordique »). Il est du reste, comme Pierre Curie, un descendant direct du grand physicien (et mathématicien) Johann Bernoulli (attention, un seul i !) dont le fils Daniel est bien connu pour ses équations de mécaflotte. Pierre-Gilles de Gennes fut marqué par des physiciens comme Yves Rocard (père de Michel Rocard), Pierre Aigrain, Giuseppe Occhialini, Alfred Kastler, etc.

Lorsque le 16 octobre 1991, l’Académie royale des sciences de Suède a attribué le Prix Nobel de Physique à Pierre-Gilles de Gennes, la plupart des journalistes et a fortiori le grand public ne connaissaient ni son nom ni ses travaux ni même parfois le nom des disciplines scientifiques dans lesquelles il travaillait. C’est toujours comme cela : nous sommes l’une des nations les plus scientifiques et en même temps, l’une où l’esprit scientifique est le moins développé. Il suffit de voir la transmission d’informations scientifiques par les journalistes généralistes pour voir le gap de culture et de connaissances. La crise du covid-19 en a d’ailleurs apporté un aperçu aux conséquences parfois graves (la vie de patients était en jeu).

Et donc, en France, le Prix Nobel, qui est une valeur sûre, un argument d’autorité indéniable pour le grand public et les médias, est essentiel pour les scientifiques pour faire connaître leurs travaux, les vulgariser (aussi trouver des financements), puisque le Palais de la Découverte, la Cité des Sciences et d’autres initiatives ne sont pas suffisants. Pour un scientifique de science dure (même s’il joue avec la "matière molle" !), c’est un accélérateur de notoriété.

Ainsi, Pierre-Gilles de Gennes est devenu du jour au lendemain une star, invité de tous les médias mais aussi de tous les établissements scolaires et universitaires. Il en a visité de nombreux pour faire des exposés, répondre aux questions, donner envie de faire de la science, etc. au point qu’après sa mort, plusieurs d’entre eux portent désormais son nom. Sa non-notoriété d’avant-Prix Nobel était plutôt injuste car il avait élu membre de l’Académie des sciences dès 1979 et reçu la Médaille d’or du CNRS dès 1980, qui est souvent l’antichambre du Prix Nobel (la Médaille d’or du CNRS me paraît être la récompense la plus prestigieuse obtenue en France, hors Nobel et Médaille Fields).

Le hasard a fait d’ailleurs que l’année suivante, en octobre 1992, un autre physicien français Georges Charpak a aussi obtenu le Prix Nobel de Physique, ce qui a fait que la physique était relativement célébrée par des médias généralistes à l’origine assez imperméables aux sciences dures.

Revenons à Pierre-Gilles de Gennes. Normalien, agrégé de physique, avec un doctorat préparé au CEA sur la physique des solides, il a eu une carrière scientifique prestigieuse, travaillant à Orsay puis à Paris et aussi à l’étranger (en particulier à Berkeley, en Californie). Professeur du Collège de France dès 1971 (il avait 38 ans) à la chaire de la matière condensée (c’est-à-dire solide ou liquide), il a surtout marqué de son empreinte "Physique Chimie" (PC), l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI Paris), qu’il a dirigée de 1976 à 2002, et dont il a sensiblement modifié les méthodes d’enseignement et de recherches (mettant en avant les procédés expérimentaux et aussi la biologie). Marie Curie a découvert le radium à Physique Chimie. Pierre-Gilles de Gennes a arrêté ses cours au Collège de France en 2004.

L’intérêt pour la biologie dans la physique n’était d’ailleurs pas nouveau pour lui puisqu’il avait fait une "prépa" qui intégrait la biologie, ce qui était rare chez les candidats aux concours des grandes écoles. Le Prix Nobel l’a d’ailleurs conforté tant dans ses travaux de recherches que dans ses responsabilités universitaires (dans les financements des programmes). Après l’ESPCI, il a travaillé à l’Institut Curie où il s’est surtout penché sur la biologie et les neurosciences.

Quand on regarde les disciplines abordées par Pierre-Gilles de Gennes au cours de toute sa carrière, on s’étonne de leur grand nombre. Il était un touche-à-tout génial et théorisait même l’idée qu’il fallait changer de domaine après un certain nombre d’années, car au bout d’un moment, on en a fait le tour et qu’on réagit plus par réflexe que comme candide. Or, l’œil du candide est nécessaire pour trouver d’autres angles de recherches, d’autres perspectives, d’autres idées, d’autres pistes pour aborder les problèmes.

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Il a d’abord commencé par le magnétisme, une discipline très rigoureuse. Certains de mes anciens collègues grenoblois m’expliquaient que dans son jeune âge, Pierre-Gilles de Gennes ne croyait pas du tout en l’avenir des supraconducteurs (sur lesquels il avait travaillé en début de carrière), notamment parce que la température critique était bien trop faible (au niveau de l’hélium liquide, trop coûteux pour généraliser). Ils me l’avaient dit à l’époque où la supraconductivité était à la mode (dans les années 1990), car on en avait découvert à haute température critique (de l’ordre de l’azote liquide, là, cela devenait industriellement abordable). Mais l’histoire a finalement montré que l’optique quantique l’a emporté et aujourd’hui, les fibres optiques, la photonique, sont plus à l’ordre du jour que les supraconducteurs (on a trouvé un supraconducteur à la température ambiante en 2020, mais sous une pression équivalente à celle se trouvant au centre de la Terre !). On peut donc, dans une intuition, avoir tort ou raison selon des époques données. La fusion nucléaire non plus, il n’y croyait pas comme production contrôlée d’énergie (il a souvent critiqué le projet ITER).

Une très courte parenthèse : Pierre-Gilles de Gennes revendiquait l’idée de se tromper (beaucoup). Mais dans le flot des idées originales, certaines peuvent déboucher sur des découvertes réelles (lire la citation en début d’article).

Pierre-Gilles de Gennes s’est occupé de l’ordre dans la matière pour des systèmes complexes. Il a ainsi décrit les phénomènes dans des dipôles magnétiques ainsi que les transitions de phases magnétiques (par exemple, au-delà de la température de Curie, les matériaux ferromagnétiques, c’est-à-dire, aimants, deviennent paramagnétiques). Il expliquait la transition de phase comme un « basculement d’opinion » (ce qui est très original comme analogie mais très bien vu).

Cela lui a permis de proposer des nouvelles applications pour les cristaux liquides qui furent l’une de ses expertises. Les cristaux liquides ont eu effectivement des applications très importantes à partir des années 1960 pour l’affichage des calculatrices, des montres, etc. Les molécules sont arrangées selon l’application d’un faible champ électrique ou magnétique. Ils mobilisent peu d’espace et peu d’énergie. Les cristaux liquides ont remplacé très rapidement les gros afficheurs peu commodes des années 1950-1960. Pierre-Gilles de Gennes a pu définir de nombreuses phases dans lesquelles le matériau s’écoule comme un liquide, ou alors comme dans du savon, en deux dimensions, en couches parallèles, etc. Il fut l’auteur d’un livre référence sur le sujet, la bible des cristaux liquides : "The Physics of Liquiq Crystals" (sorti en 1974).

Il a ensuite poursuivi dans une branche très différente de la physique du solide, du moins en apparence, les polymères (les "matériaux plastiques"). Or, il a réussi à décrire des transitions de phase (ordre vers désordre) avec le même modèle mathématique quels que ce soient les matériaux, des cristaux liquides, des polymères, des aimants, des supraconducteurs. Cette généralisation mathématique était assez bluffante, alors que ses prédécesseurs s’étaient gardés de trop explorer dans ces contrées complexes.

Avec les polymères, Pierre-Gilles de Gennes a complètement changé de domaine et surtout, de point de vue. Il a abordé les polymères sous l’œil du "magnéticien" ! Il a utilisé des techniques de calcul de physique des particules pour la  dynamique des polymères, en reprenant le principe des transitions de phases. Mettre en équation l’écoulement d’un tas de sable n’est pas si évident que cela (la matière est simple, la description mathématique est très compliquée), et c’était sur ce genre de problématique que travaillait Pierre-Gilles de Gennes. Ou encore sur les gels, les milieux poreux, sur les colles et le phénomène d’adhésion entre deux surfaces, bref, tout ce qu’on a appelé plus tard la "matière molle". L’un de ses livres références sur le sujet est "Scaling Concepts in Polymer Physics" (sorti en 1979) qui lui a valu sa notoriété scientifique (à défaut du grand public).

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Bien que sa modestie en souffrît, certains jurés du Nobel l’ont appelé le Newton. Dans le communiqué annonçant son Nobel, on justifiait le titre ainsi : « Pierre-Gilles de Gennes has by some judges been called "the Isaac Newton of our time". The reason for this hyghly appreciative epithet is probably that De Gennes has succeeded in perceiving common features in order phenomena in very widely differing physical systems, and has been able to formulate rules for how such systems move from order to disorder. Some of the systems De Gennes has treated have been so complicated that few physicists had earlier thought it possible to incorporate them at all in a general physical description. Physicists often take pride in dealing with systems that are as simple and "pure" as possible, but De Gennes’ work has shown that even "untidy" physical systems can successfully be described in general terms. In this way he has opened new fields in physics and stimulated a great deal of theoretical and experimental work in these fields. ».

J’ai préféré mettre le texte d’origine en anglais car on ne qualifie pas sérieusement un chercheur de Newton des temps modernes sans en donner rigoureusement la justification. Cet extrait peut être traduit en français ainsi : « Pierre-Gilles de Gennes a été appelé "l’Isaac Newton de notre temps". La raison de cette épithète très flatteuse est probablement que De Gennes a réussi à saisir des caractères communs dans les phénomènes d’ordre dans des systèmes physiques très différents, et a été capable de formuler des règles sur la façon dont ces systèmes passe de l’ordre au désordre. Certains de ces systèmes que De Gennes a traités ont été si compliqués que peu de physiciens avaient auparavant pensé qu’il était possible de les inclure dans une description physique générale. Les physiciens sont souvent fiers de traiter de systèmes aussi simples et élémentaires ("purs") que possible, mais les travaux de De Gennes ont montré que même des systèmes physiques "désordonnés" (compliqués) pouvaient être décrits avec succès de manière générale. Ainsi, il a ouvert de nouveaux horizons en physique et a favorisé un grand nombre de travaux théorique et expérimentaux dans ces domaines. ».

La question que certains se posaient a été : qu’a fait Pierre-Gilles de Gennes du montant de son Prix Nobel ? À ma connaissance, il l’a réinjecté dans ses activités de recherches et de pédagogie, mais aussi, il en a consacré une partie au restaurant qu’avait ouvert son épouse à Orsay en 1975.

La même année que son Prix Nobel, Pierre-Gilles de Gennes a reçu également le Prix Wolf de Physique, qui est aussi un prix international très prestigieux. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les autres lauréats de ce prix en physique, en particulier : Giuseppe Occhialini (1979), Martin Perl (1982), Erwin Hahn (1983), Philippe Nozières (1985), Roger Penrose et Stephen Hawking (1988), Benoît Mandelbrot (1993), John Wheeler (1997), Robert Brout, François Englert et Peter Higgs (2004), Albert Fert (2006), Alain Aspect (2010), etc.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mai 2022)
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Pour aller plus loin :
Pierre-Gilles de Gennes.
Pierre Teilhard de Chardin.
Luc Montagnier.
La Science, la Recherche et le Doute.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Klim Tchourioumov.
L’exploit de Blue Origin, la fabrique du tourisme spatial écolo-compatible.
John Glenn.
Michael Collins.
Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
SpaceX en 2020.
Thomas Pesquet.
60 ans après Vostok 1.
Youri Gagarine.
Spoutnik.
Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
André Brahic.
Les petits humanoïdes de Roswell…
Evry Schatzman.
Le plan quantique en France.
Apocalypse à la Toussaint ?
Le syndrome de Hiroshima.
L’émotion primordiale du premier pas sur la Lune.
Stephen Hawking, Dieu et les quarks.
Les 60 ans de la NASA.
La relativité générale.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Bill Gates.
Benoît Mandelbrot.
Roland Omnès.
Marie Curie.











https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220518-pierre-gilles-de-gennes.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/pierre-gilles-de-gennes-l-241651

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10 février 2022 4 10 /02 /février /2022 15:48

La disparition du professeur Luc Montagnier a été suivie d’une journée de silence médiatique consécutive à l’absence de confirmation de son décès. Retour sur un chercheur de haut niveau et sur des considérations un peu moins scientifiques.



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Le professeur Luc Montagnier, biologiste et virologue, est mort ce mardi 8 février 2022 à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine à six mois de ses 90 ans (il est né le 18 août 1932). L’annonce tardive de sa disparition a été l’objet d’un dernier pied de nez (involontaire) à la communauté médiatique si ce n’est scientifique.

Bien évidemment, j’éprouve de l’émotion pour le départ d’un homme qui a fait partie des talents français, des héros français, qui a contribué à l’excellence française, scientifique et médicale. Je l’avais évoqué lors de l’attribution de son Prix Nobel de Médecine le 6 octobre 2008. À l’époque, il avait 76 ans et (encore) toute sa tête et cela faisait déjà dix ans qu’il n’avait plus le droit d’exercer son métier de chercheur dans la recherche publique française à cause de cette stupide limite d’âge qui avait été instaurée par François Mitterrand pour virer Pierre Desgraupes de la tête d’Antenne 2. Il est parti quatre ans à New York pour y enseigner et faire de la recherche avant de faire de même à Shanghai, et il avait tenté aussi de faire de la recherche au Cameroun (sur la capacité de l’homéopathie à guérir du sida). Il a été un exemple en France de la "fuite des cerveaux" après la retraite (souvent, cette fuite des cerveaux apparaît en début de carrière, dès la fin du doctorat par manque de moyens de la recherche française). Il avait cependant continué à travailler parallèlement en France.

Sa colauréate française, Françoise Barré-Sinoussi, 61 ans à l’époque, continuait à travailler à l’Institut Pasteur (où Luc Montagnier avait fait sa carrière). Les deux chercheurs français ont partagé le Prix Nobel avec un virologue allemand, Harald zur Hausen (lui pour un autre sujet). Cette récompense suprême pour un chercheur rendait hommage, tardivement, à la découverte du virus du sida (le VIH, HIV en anglais) et à la reconnaissance de l’unique contribution française.

La paternité française exclusive de l’Institut Pasteur était contestée par l’équipe américaine du professeur Robert Gallo qui avait isolé un rétrovirus en cause dans les mécanismes d’une leucémie mais dont l’expertise a permis la caractérisation du VIH. Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi ont regretté que leur Prix Nobel ne fût pas partagé avec le professeur Jean-Claude Chermann, cosignataire de la publication du 20 mai 1983 dans "Science", grand oublié. Françoise Barré-Sinoussi a effectivement déclaré le 8 octobre 2008 sur France 3 : « C’est avec le professeur Chermann que je travaillais à l’époque ; mon responsable de laboratoire, c’était lui (…). C’est lui qui m’a formée à la recherche depuis le début (…). C’est lui qui m’a soutenue pour ma thèse (…). C’est lui qui m’a envoyée en post-doc à l’étranger [stage post-doctoral] (…). Je lui dois beaucoup (…). Comment voulez-vous que je comprenne qu’il ne soit pas primé ? ». À l’époque du conflit entre les deux équipes (française et américaine), Jean-Claude Chermann avait refusé de signer un accord avec Robert Gallo pour partager la paternité (il y avait de l’argent en jeu, avec le dépistage du sida), et a claqué la porte de l’Institut Pasteur tandis que Luc Montagnier, son responsable administratif, avait poursuivi ses travaux de recherche. Le Président Nicolas Sarkozy aurait tenté de compenser "l’injustice" en finançant les travaux du professeur Jean-Claude Chermann.

Il a fallu vingt-cinq ans pour obtenir cette reconnaissance de l’exclusivité de la paternité (le virus a été vu pour la première fois au microscope électronique à balayage le 4 février 1983 à l’Institut Pasteur), comme il a fallu aussi attendre plutôt la fin de sa vie au physicien américain Peter Higgs d’être récompensé en octobre 2013 par un Nobel pour son intuition, dans les années 1960, de l’existence d’une particule élémentaire, le boson de Higgs (qui s’appelle en fait en y ajoutant d’autres contributeurs également récompensés) qui a été observée finalement le 4 juillet 2012.

Comme beaucoup de chercheurs de haut niveau, le professeur Luc Montagnier alliait une très haute intelligence et des intuitions qui provenaient d’un esprit très original. Par ailleurs, il était un esprit indépendant. Il a multiplié les reconnaissances nationales et internationales, bien avant l’obtention de son Prix Nobel, membre de l’Académie des sciences, membre de l’Académie nationale de médecine, médaille d’argent du CNRS (dont il était un directeur de recherches), etc.

L’objet ici n’est pas de préciser l’ensemble de ses nombreux travaux de recherche, ni de remettre en question des compétences qu’il a démontrées tout au long de sa carrière, mais cependant d’évoquer deux points, un proche de la science et l’autre plus sociologique sur l’annonce de son décès.

Pour sa mémoire, il vaut mieux oublier ses dernières déclarations et supposés travaux scientifiques. Dès le milieu des années 2000 et ce fut plus fort après l’attribution de son Prix Nobel, le professeur Luc Montagnier a en effet "divergé" dans le processus scientifique. Il a créé plusieurs entreprises de biotechnologies pour poursuivre ses travaux de recherche, en particulier Nanectis à Jouy-en-Josas créée en 2006. Le Prix Nobel (qu’il a reçu après cette création) lui a permis en particulier d’assurer un financement, même si la réputation acquise valait plus (encore que pour lui, sa réputation internationale n’était plus à faire).

Pendant une quinzaine d’années, il a détonné dans plusieurs domaines sans passer par les règles classiques et rigoureuses de la démarche scientifique. En ce sens, on peut comprendre que le professeur Didier Raoult ne soit pas le seul à tordre la réalité scientifique, il existe des chercheurs qui, souvent réputés, se permettent de ne plus avoir cette culture du doute et de la preuve scientifiques.

L’une des preuves d’un phénomène scientifique, c’est sa reproductibilité : un chercheur ayant le même savoir-faire doit être capable de reproduire le phénomène et obtenir les mêmes résultats d’origine. L’un des exemples très connus est la "mémoire de l’eau" du professeur Jacques Benveniste. Curieux de ses hypothèses, je me souviens l’avoir rencontré dans le Var en 1989 et ce qui était très étonnant, c’était son apparente sincérité, d’ailleurs, son jusqu’au-boutisme ne lui était pas favorable puisqu’il a eu sa carrière brisée par ce sujet. On peut se tromper de bonne foi. J’écris "apparente" car ses travaux étaient à enjeux pécuniaires très élevés puisqu’ils justifieraient scientifiquement l’homéopathie (d’un enjeu industriel très profitable). Or, encore maintenant, personne n’a pu reproduire ce que prétendait prouver Jacques Benveniste.

Fallait-il alors s’étonner que justement, Luc Montagnier fût allé dans ces domaines de la "mémoire de l’eau" pour s’y fourvoyer ? Il a tenté plusieurs domaines qui sortaient des sentiers battus, même si c’est le propre des grands scientifiques de s’y rendre. Malheureusement, tous ces travaux depuis cette quinzaine d’années ont été rejetés par ses pairs, au point même que lorsqu’il a fallu confirmer l’annonce de son décès (voir plus loin), Françoise Barré-Sinoussi, contactée par "Libération", a avoué qu’elle n’entretenait plus de relations avec lui depuis longtemps, tant il s’était éloigné des standards de la recherche scientifique. Entre autres "intuitions", Luc Montagnier étudiait les ondes électromagnétiques émises par l’ADN.

Plusieurs sujets polémiques ont fait régulièrement les titres de journaux (téléportation d’ADN, guérison du sida par un régime alimentaire, etc.) qui malheureusement n’étaient plus de la science, mais ce que j’appellerais de la "parascience". Dans ces sujets, rien n’est anodin et leur publicité entraîne des espoirs parmi les malades du sida, toujours déçus. Le "pire" a été ces deux dernières années de pandémie de covid-19 où il s’est enfoncé dans des déclarations malheureuses qui ont nourri le complotisme antivax dont l’influence a pu coûter de nombreuses vies de personnes crédules, confortées par leurs croyances.

Je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de "la vieillesse qui est un naufrage" pour cet exemple, mais certains, comme le cancérologue David H. Gorski, l’appellent plutôt la "maladie du Nobel", on parle aussi d’ultracrépidarianisme (sutor, ne supra crepidam). Tout le monde ne l’a pas, heureusement, mais il est vrai que le fait de recevoir un Nobel vous expose médiatiquement et surtout, vous êtes écouté, on vous considère comme un "gourou" (que vous n’êtes pas, en principe). Sur le sujet où vous êtes spécialement compétent, c’est justifié, mais dans les autres domaines, c’est très exagéré. Pierre-Gilles de Gennes (autre Prix Nobel) avait certes fait l’éloge du candide, en disant qu’on aborde mieux un domaine scientifique quand on ne le connaît pas au départ car cela apporte une autre vision des problèmes (et lui est passé des supraconducteurs aux polymères au cours de sa carrière, ce qui était très téméraire en terme de carrière), mais en travaillant toujours avec la rigueur scientifique.

Le biochimiste américain James Dewey Watson, codécouvreur de l’ADN et Prix Nobel de Médecine en 1962, a, depuis une quinzaine d’années, fait des déclarations jugées racistes qui promeuvent l’eugénisme et qui ont provoqué plusieurs polémiques qui sortaient de son champ de compétences. Beaucoup de physiciens quantiques ont aussi émis des spéculations philosophiques, mais la plupart ont séparé alors la science de la croyance, même si ce n’est pas facile pour le lecteur profane de faire la différence. Moins polémique et plus intéressant, Georges Charpak, Prix Nobel, avait proposé une démarche pour essayer de connaître la prononciation des langues parlées dans l’Antiquité. Cela sortait aussi de son champ de compétences, montrait beaucoup d’intuition et de créativité (deux qualités des chercheurs en plus de la raison), paraissait pertinent et ne créait aucune polémique.

Ce qui a été navrant, c’est la sorte de prise d’otage par les complotistes antivax de la réputation du professeur Luc Montagnier (en a-t-il était conscient ou pas ? probablement), au point de croire que la supposée "science officielle" (expression qui n’a aucune pertinence, il n’y a pas de science officielle, il y a juste des approches démontrées ou démontées, validées ou réfutées, en tout cas, réfutables) aurait fait le black out sur son décès. C’est d’autant plus stupide que le professeur Luc Montagnier était au sommet de la hiérarchie des chercheurs, par sa carrière de chercheur et d’universitaire, par ses prix dont le plus prestigieux, une des réussites éclatantes du "système".

J’en viens à mon second point, l’annonce de son décès. Il est mort à l’hôpital le 8 février 2022. Logiquement (et c’est la loi), l’hôpital, de lui-même en tout cas, n’a voulu communiquer aucune information à cause du secret médical. Ce qui est étonnant, c’est que la famille n’ait pas communiqué tout de suite la nouvelle de son décès, ou ses proches collaborateurs s’il était encore concrètement en activité. Le lendemain, dans l’après-midi du 9 février 2022, le pseudo-journal "FranceSoir" a eu l’information (parce qu’il était souvent son invité pour développer des thèses complotistes sur la pandémie), et l’a donc annoncé, entre autres par tweet : « Le professeur Luc Montagnier, Prix Nobel de Médecine 2008, s’est éteint paisiblement le 8 février 2022 en présence de ses enfants. (…) Paix à l’âme de ce grand homme. ».

Toute la nuit et la matinée du surlendemain, 10 février 2022, aucune confirmation n’a eu lieu, sinon de l’autoconfirmation, très typique avec les réseaux sociaux qui, désormais, font tourner en rond. Ainsi, si vous êtes un "proche" d’une personnalité mais que vous n’avez pas eu de contact personnel avec lui depuis plusieurs semaines, mois ou années, et que vous voyez cette information, même non confirmée, vous êtes choqué, ému, et vous retransmettez cette information pour exprimer votre tristesse. Or, ce transfert par vous, qui connaissiez la personnalité, vaut valeur de confirmation alors que vous-mêmes n’aviez pas cherché à confirmer.

C’est ce qu’il s’est passé en septembre 2021 pour Paul Quilès, dont un ami, un élu local du Tarn, avait confirmé le décès alors qu’il n’était pas (encore) mort. Il n’y a rien de plus terrible pour la crédibilité d’un journaliste que d’annoncer la mort d’une personne vivante, et avec les réseaux sociaux, ce risque augmente car des anonymes peuvent émettre de fausses informations pour une raison ou un autre (mauvais compréhension, canular, médisance, etc.). J’ai à l’esprit plusieurs illustrations. Marcel Dassault, par exemple, en avril 1986, dont la mort avait été annoncée quelques jours avant sa vraie mort. Il avait eu le temps de lire la une de son journal attristé par la nouvelle et avait pu dire en rigolant : j’ai aimé lire ma nécro. Il y a aussi l’exemple de Jacques Chazot, il me semble, en juillet 1993, dont la mort avait été annoncée quelques jours avant l’heure. Généralement, ces rumeurs, même fausses, n’augurent rien de bon et anticipent seulement de quelques jours. Même le Président Jacques Chirac a été victime de cette anticipation puisque des sources journalistiques le donnaient mort le 21 septembre 2016, trois ans avant son décès réel. On peut aussi évoquer les rumeurs d’une fin imminente du Président François Mitterrand en septembre 1994, ce n’était pas l’annonce de sa mort, mais j’avais eu des sources m’affirmant qu’il n’était question que de quelques jours sinon heures. Il a vécu encore plus d’une année.

Parallèlement, il y a sur le Web des petits sites Internet servant à faire des clics qui se jouent de ces fausses rumeurs. L’un en particulier est divisé en trois sites dont ils précisent, en tout petit en bas à droit, que c’est faux : un site qui annonce la mort d’une personnalité à la date du jour du clicc (c’est un robot, ce site le décline avec des milliers de personnalités connues et vivantes, plus elles sont connues, plus cela fait des clics) ; un autre site qui fait référence au premier site en disant que c’est faux et que cette rumeur "odieuse" est "démentie" ; enfin, un troisième site qui évoque un pseudo-sondage disant que X% (une majorité) des sondés est "en colère" contre cette "odieuse" rumeur. Ce sont des robots, qui roulent avec toutes les personnalités tous les jours, juridiquement, cela doit être suffisamment verrouillé pour que cela soit légal (c’est spécifié que les articles de ces sites sont par nature imaginaire basés sur la presse réelle), et des pubs y sont présentes, entreprise commerciale. Souvent, c’est rarement visible car on ne recherche pas la mort de quelqu’un qui n’est pas mort et dont aucune rumeur n’en fait état. Pour Luc Montagnier, ça a marché à plein puisque le robot de ce site avait sa page "rumeur démentie", de quoi rassurer les lecteurs dupés.

Plus précautionneux, le site Wikipédia fait très attention à ses informations et demande à ses contributeurs de ne pas se précipiter, car c’est un site encyclopédique, pas site d’actualité. Ainsi, je peux témoigner avoir lu sur Wikipédia la mort de Gérard Depardieu le jour de l’annonce de la mort de son fils Guillaume, un contributeur ayant dû faire la confusion entre les deux acteurs. Généralement, ce type d’erreur ne reste pas longtemps en ligne et est vite corrigée, mais cela explique la désormais extrême prudence de tous les passeurs d’informations sur une information non confirmée, d’autant plus si elle a été annoncée par un site complotiste comme FranceSoir, qui, depuis septembre 2019, n’a plus rien à voir avec du journalisme (les derniers journalistes ont été licencié en 2019) ou même du sérieux (même si pour le coup, c’était là une information exacte).

Le silence pendant 24 heures des grands médias (qui paient de vrais journalistes) s’est donc justifié par l’impossibilité d’avoir une confirmation du décès du professeur Montagnier. Des personnalités comme le docteur Willy Rozenbaum, codécouvreur du virus du sida et coauteur de la publication d’origine, ont été interrogées et affirmaient ne plus avoir de contact avec le professeur Montagnier depuis des décennies. Willy Rozenbaum : « Il s’était trop éloigné de la sphère scientifique et ne suscitait guère une empathie suffisante pour maintenir un lien ne serait-ce que social. » ("Le Parisien", le 10 février 2022).

À ma connaissance, la première confirmation a été diffusée par "Libération" le 10 février 2022 à 16 heures 34 : « Selon deux sources différentes jointes par ChecksNews, l’une médicale, l’autre politique, Luc Montagnier est bien décédé, mardi, à l’âge de 89 ans, à l’hôpital américain de Neuilly. La docteure Béatrice Milbert (avec qui il avait été question qu’il organise un colloque à Genève en janvier 2021) nous a également informé de sa mort. La mairie de Neuilly, enfin, nous a confirmé, en fin d’après-midi, le dépôt du certificat de décès. ».

De son côté, "Le Parisien" a aussi enquêté pendant cette journée de silence : « "Le Parisien" a passé plus de 24 heures à tenter de se faire confirmer ou infirmer l’information. ». L’article de Nicolas Berrod et Clémence Bauduin, diffusé le 10 février 2022 à 18 heurs 59, explique les investigations des deux journalistes. Le quotidien a contacté la maire de Jouy-en-Josas Marie-Hélène Aubert car Luc Montagnier y avait le siège d’une de ses entreprises de biotechnologies, et la maire a répondu qu’elle ne savait pas et que même le préfet des Yvelines l’avait appelée pour en savoir plus ! Même au plus haut niveau de l’État (l’Élysée), on a demandé des nouvelles, et un "conseiller ministériel" a lâché, agacé : « On n’a jamais demandé au gouvernement de confirmer ou d’infirmer la mort de quelqu’un. ». Et "Le Parisien" conclut que tant que le certificat de décès n’a pas été annoncé (d’où le temps d’attente), aucune confirmation n’a eu lieu : « Notre rédaction a lancé de très nombreuses pistes pour se faire confirmer l’information depuis la publication de l’article de FranceSoir mercredi. Aucun autre média n’y était parvenu faute de contact informé du décès, mais l’information du site a été largement diffusée. ».

Toujours est-il que les complotistes antivax, se croyant seuls dépositaires de l’importance scientifique du professeur Montagnier, ont mis ce silence médiatique pendant une journée sur le dos d’un nouveau "complot", les médias "officiels" se relayant pour garder silence sur ce décès. Les heures qui ont suivi ont évidemment démenti ces stupides assertions, non seulement parce qu’une fois la nouvelle hélas confirmée, c’est bien l’hommage unanime qui a pris le dessus dans tous les médias sur toute autre considération, y compris ses récents errements farfelus, qu’il vaudrait mieux oublier, et même la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal, dès qu’elle l’a appris, a exprimé, en son nom et au nom de toute la nation, sa grande émotion. Tous les médias ont annoncé cette disparition au niveau que cette personnalité méritait.

Pour preuve que la France est officiellement endeuillée, même sur le site du Président de la République Emmanuel Macron, le 10 février 2022 (où est rappelé aussi l’apport du professeur Jean-Claude Chermann), il est indiqué : « Dès lors, premier chef du département "Sida et rétrovirus" de l’Institut Pasteur, qu’il dirige de 1991 à 1997, Luc Montagnier fait de la lutte contre le VIH une préoccupation de chaque instant, créant aussi, en 1993, la Fondation Mondiale Prévention et Recherche Sida, sous l’égide de l’UNESCO, pour développer des centres de recherche partout dans le monde et les coordonner entre eux. Ses travaux précurseurs, son inlassable combat, lui valurent en 2008 cette consécration suprême : un Prix Nobel de Médecine, partagé avec Françoise Barré-Sinoussi. Le Président de la République salue la contribution majeure de Luc Montagnier à la lutte contre le sida, qui reste l’un des grands défis médicaux et scientifiques du XXIe siècle. Il adresse toutes ses condoléances à sa famille et à ses proches. ».

Quant à la manière dont l’annonce de la disparition a été diffusée, cela fera certainement l’objet de nombreuses études sociologiques dans les écoles de journalisme. Que sa mémoire soit honorée et pas salie par des récupérateurs de complots.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 février 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Le fameux premier article publié par l’équipe de Luc Montagnier sur le virus du sida :

Barré-Sinoussi F, Chermann JC, Rey F, Nugeyre MT, Chamaret S, Gruest J, Dauguet C, Axler-Blin C, Vézinet-Brun F, Rouzioux C, Rozenbaum W, Montagnier L., « Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). », dans "Science", n°220, 20 Mai 1983, 4599, p. 868-71.


Luc Montagnier.
La Science, la Recherche et le Doute.
Le Nobel 2008 conforte la paternité française de la découverte du virus du sida.
Un nouvel espoir contre le sida ? (31 octobre 2007).
Réflexions sur l’attribution des Prix Nobel (17 octobre 2007).
Omicron tue encore !
Luc Montagnier nobélisé.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Li Wenliang.
Karine Lacombe.
Didier Raoult.
Claude Malhuret.
Martin Blachier.
Agnès Buzyn.
Olivier Véran.
Martin Hirsch.
Bertrand Guidet.
Axel Kahn.
Bernard Debré.
Claude Huriet.
Albert Jacquard.
Maurice Tubiana.

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25 août 2021 3 25 /08 /août /2021 03:21

« Le bonheur est une potiche posée sur le nez d’un mandarin ivre et qui éternue. » (Pierre Loti).



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La question de mon titre mérite d’être abordée puisque depuis le 18 août 2021, il est question de la succession du professeur Didier Raoult à la tête de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Depuis un an et demi, Didier Raoult, microbiologiste désormais très connu médiatiquement, a fait beaucoup de tort en disant sans prudence beaucoup trop de choses peu pertinentes, tort tant à la lutte contre la pandémie de covid-19 en France qu’à la réputation scientifique internationale du prestigieux organisme de recherche qu’il dirige.

La première remarque introductive est sans doute la seule vraie réponse valable, certes banale, à la question : Didier Raoult a 69 ans et demi, né le 13 mars 1952, ce qui en fait une personne déjà d’un certain âge, comme on le dit généralement, ce qui est tout à son honneur car cela signifie expérience et (en principe) sagesse. Vouloir jouer sur les deux tableaux, prendre sa retraite d’une part (le monde est ce qu’il est, le temps passe), et jouer la victime d’autre part, a évidemment un avantage médiatique. On l’a vu dans d’autres circonstances avec d’autres métiers (par exemple, le départ très victimaire de l’humoriste Stéphane Guillon de France Inter). Une retraite du reste programmée depuis des années !

Grâce à Nicolas Sarkozy, il a pu d’ailleurs poursuivre sa carrière au-delà des fatidiques 68 ans, car il a permis à tous les actifs de pouvoir travailler jusqu’à 70 ans (ce qui a coûté assez cher aux entreprises au moment de la crise de 2008). Le président de l’Université Aix-Marseille Éric Berton a en effet annoncé sa mise à la retraite le 31 août 2021 en tant que professeur des universités-praticien hospitalier.

Car Didier Raoult, en tant que mandarin, a plusieurs métiers en un : médecin (praticien), enseignant (à l’université), mais aussi chercheur (microbiologiste, l’un des recordman français comme auteur de publications scientifiques, je n’insiste pas sur le sujet mais il y aurait beaucoup de choses à dire), et enfin, gestionnaire d’un grand organisme public de recherche, qui est l’IHU Méditerranée Infection qu’il dirige d’une main de fer depuis sa création, en 2011.

Représentant à l’extrême le système de la recherche publique, Didier Raoult a d’ailleurs bénéficié une précédente fois des décisions présidentielles de Nicolas Sarkozy. Grâce aux investissements d’avenir décidés le 22 juin 2009, il a pu ainsi recevoir la subvention publique plus élevée consacrée à la recherche médicale en France, à savoir 72,3 millions d’euros, et faire construire un nouveau bâtiment plus adapté de 27 000 mètres carrés qui a été inauguré en mars 2018. Il s’agissait de réunir dans un même organisme tout ce que la "région" de Marseille comptait en moyen de lutter contre les maladies infectieuses. 75 lits ont été créés sur place mais aucune place en réanimation, les patients en soins critiques sont transférés à l’hôpital de la Timone. L’IHU Méditerranée Infection, qui a obtenu des fonds européens et des aides d’entreprises privées, emploie 800 salariés dont un tiers consacré à la recherche. Près d’une dizaine de start-up sont hébergées à l’institut ; Didier Raoult possède ainsi 23% du capital de Techno-Jouvence, selon la presse.

Parmi les membres fondateurs de l’IHU Méditerranée Infection, il y a ses tutelles, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), l’Université d’Aix-Marseille, BioMérieux, l’Établissement du sang, le Service santé des armées, l’IRD (qui souhaite se désengager). L’INSERM et le CNRS ont du reste retiré leur label à cet institut dès 2018, après l’évaluation scientifique médiocre de l’IHU par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, une autorité administrative indépendante de l’État créée par la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013. Cette évaluation trouve notamment qu’il y a un gros volume de publications sans intérêt, que la création d’une revue scientifique est une tentative "désespérée" de publier des articles refusés par d’autres revues, qu’il y a un manque d’expertise dans des domaines clefs, etc.

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Nommé directeur général de l’AP-HM par décret le 3 juin 2021, François Crémieux (51 ans) vient de succéder à Jean-Olivier Arnaud, en poste depuis mai 2017, qui a fait valoir ses droits à la retraite après quarante et unes années de bons et loyaux services consacrés à l’hôpital public. Très expérimenté dans le management hospitalier, François Crémieux était auparavant le directeur général adjoint de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) depuis septembre 2018 après avoir été notamment le conseiller de la ministre Marisol Touraine entre 2012 et 2014. Il a par ailleurs une longue expérience des pays en guerre et des politiques de santé dans les périodes de reconstruction après un conflit.

Ses premières déclarations sont donc sans surprise : « L’AP-HM est un des premiers CHU de France comme en témoignent sa place au cœur de l’offre de soins en région Sud Provence Alpes Côte d’Azur, ses missions d’établissement de référence au-delà de sa seule région et dans certains domaines, son excellence et son leadership de niveau national voire international. Je mettrai tout mon engagement pour mobiliser l’AP-HM autour d’une ambition collective positive de grand CHU européen. ».

François Crémieux a donc demandé à Didier Raoult de quitter son poste de directeur de l’IHU. En principe, le fait d’être retraité interdit administrativement à Didier Raoult de continuer à diriger un organisme public afin de ne pas cumuler sa retraite avec un emploi.

Alors, certes, on pourra dire que le "méchant pouvoir" a voulu limoger le professeur Didier Raoult, mais la réalité, c’est qu’il existe un âge de la retraite et que celui-ci est déjà passé, et il fait déjà du "rab". Si le gouvernement avait voulu s’en "débarrasser", il n’aurait sans doute pas attendu un an et demi pour le faire. La gouvernance de la recherche et des universités est d’ailleurs très particulière, et suit un principe auquel les chercheurs tiennent avant tout : leur indépendance du pouvoir, justement.

Cela n’entraîne pas la fin de la vie intellectuelle de Didier Raoult, au contraire, il aura même beaucoup plus le temps de se répandre dans les médias et sur ses vidéos personnelles (où trouvait-il donc le temps de communiquer autant ?). Et ce sera très bien pour le débat scientifique. Sa propre réputation restera la même mais il y aura un élément majeur qui changera : il n’engagera plus la réputation scientifique de l’un des plus grands organismes de recherche médicale en France, subventionné par l’État. Et pour les contribuables que nous sommes tous, c’est certainement un grand soulagement.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Veut-on vraiment virer le professeur Didier Raoult de la direction de l’IHU Méditerranée Infection ?
Covid-19 : la France plus vaccinée qu’Israël.
Les supposés "bons" résultats de l’IHU Méditerranée du professeur Didier Raoult…
Didier Raoult, candidat des populistes à l’élection présidentielle de 2022 ?
Hydroxychloroquine : l’affaire est entendue…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Hydroxychloroquine : attention au populisme scientifique !
Polémique avec le professeur Didier Raoult : gardons notre sang-froid !
Hydroxychloroquine vs covid-19 : Didier Raoult est-il un nouveau Pasteur ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210818-didier-raoult.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/veut-on-vraiment-virer-le-235305

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/08/24/39106893.html










 

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