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29 octobre 2024 2 29 /10 /octobre /2024 03:55

« Michel Barnier [alors Ministre des Affaires étrangères] aurait souhaité se trouver parmi nous aujourd’hui, il m’a chargée de vous transmettre à vous, Madame, et à ceux ici rassemblés, les marques de son plus profond respect pour la personnalité et l’œuvre du Professeur Curien. » (Claudie Haigneré à Anne Perrine Dumézil-Curien, le 14 mars 2005 à Paris).


 


Le père de l'Europe spatiale, c'est ainsi qu'on le qualifie en général et avec raison. Mais ce serait encore plus complet de l'appeler le père de l'Europe de la Science. En somme, un Père de l'Europe ! Le physicien Hubert Curien est né il y a 100 ans, le 30 octobre 1924 dans la commune vosgienne de Cornimont. Hubert Curien était ce que j'appellerais un grand administrateur de la recherche française et européenne, tout en étant un mandarin de l'université, et la gauche au pouvoir en a fait aussi un homme politique. C'est donc une trajectoire hors du commun qu'a suivie Hubert Curien. Avec ses sourcils très broussailleux et très pompidoliens, sa voix très grave mais bienveillante, Hubert Curien était ce qu'on aurait pu aussi appeler un capitaine de recherche, comme on parle de capitaine d'industrie. Un grand commis de la recherche.

Mais avant d'avoir été un scientifique, Hubert Curien a été un résistant. À l'âge de 19 ans, quittant ses études parisiennes, il a rejoint le maquis de la Piquante Pierre, dans les Vosges, près de La Bresse et pas loin de sa ville natale. En 1945, il a intégré l'École normale supérieur et en est ressorti agrégé de physique. Il a également soutenu une thèse de doctorat en physique spécialisée en cristallographie (l'étude de la structure de la matière). À 28 ans, sa thèse d'État portait sur « l'étude des ondes élastiques et de la diffusion thermique des rayons X dans un réseau cubique centré : application au fer alpha ». Ses travaux de recherche ont commencé au sein du laboratoire de minéralogie de Jean Wiart, il a étudié l'effet Compton, les défauts des cristaux par irradiation, etc. Il a étudié et déterminé des structures de minéraux complexes, a découvert une nouvelle forme cristallographique du gallium, a étudié aussi des matériaux biologiques, etc. et même la curiénite, un minérau baptisé de son nom (pas par lui !) qu'il avait découvert au Gabon.

À la fin des années 1940, il a épousé Anne Perrine, astrophysicienne et fille du grand linguiste et académicien Georges Dumézil chez qui il se rendait souvent à Vernon pour suivre le programme spatial dans les années 1970. Anne Perrin Dumézil-Curien est morte cette année 2024, à l'âge de 98 ans. Ils ont eu trois enfants, Nicolas Curien, polytechnicien et docteur en mathématiques appliquées, membre de l'Académie de la Technologie, professeur au CNAM (Centre national des arts et métiers), ancien membre du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de 2015 à 2021 (il a présidé le CSA par intérim quelques semaines au printemps 2018), Christophe Curien, artiste peintre, et Pierre-Louis Curien, mathématicien, directeur de recherches au CNRS et spécialisé en informatique théorique. Hubert Curien était en outre le petit frère de l'ambassadeur Gilles Curien, membre voire directeur de plusieurs cabinets ministériels dans les années 1960.

Maître de conférences de minéralogie-cristallographie à la faculté des sciences de Paris en 1953, à 28 ans, puis professeur des universités à la future Université Pierre-et-Marie-Curie Paris-6 en 1958 à 33 ans (ce qui est très jeune), il a enseigné aussi à l'École normale supérieure, Hubert Curien a intégré également le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en 1966 à un haut niveau puisqu'il a été bombardé (jeune) premier directeur scientifique du département science physique et mathématiques (le titre était directeur scientifique pour la physique au CNRS).

À partir de ce moment-là, Hubert Curien a travaillé moins sur les paillasses et plus derrière un bureau classique de manager avec des responsabilités administratives et organisationnelles très larges et nombreuses. Ainsi, il est devenu directeur général du CNRS de 1969 à 1973, puis Délégué général à la recherche scientifique et technique de 1973 à 1976.

Le CNES (Centre national d'études spatiales) était alors en pleine crise existentielle. Hubert Curien a été alors nommé président du CNES de 1976 à 1984 pour redresser cet organisme de recherche, redonner de la motivation aux chercheurs et préparer le premier vol de la fusée Ariane le 24 décembre 1979, nommé en outre président du conseil d'administration du Palais de la Découverte de 1977 à 1984. Il est nommé dans sa lancée premier président de l'Agence spatiale européenne (ESA) de 1979 à 1984, et aussi premier président de l'Association des musées et centres de culture scientifique et industrielle en 1982. Il fut également le président du CERN de 1994 à 1996, président de l'Académie des sciences de 2001 à 2003 (membre élu le 8 novembre 1993 dans la section de sciences de l'univers), directeur de l'École supérieure Chimie Physique Électronique de Lyon (CPE Lyon) de 1993 à 2005, et président de la Fondation de France de 1998 à 2000.

C'est son action au sein du CNES qui a été probablement la plus importante pour la recherche française (et européenne) en lançant le programme Ariane, en créant Arianespace, la société de commercialisation d'Ariane, en lançant aussi la mission de Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français, en lançant le programme SPOT (satellites de télédétection français civils d'observation de la Terre), ainsi qu'en lançant les participation françaises aux projets de l'ESA qu'il a créée et présidée. C'est la raison pour laquelle on l'a souvent qualifié de père de l'Europe spatiale qui n'a plus grand-chose à voir avec sa spécialité d'origine, la cristallographie. Il était en quelque sorte un grand ordonnateur de la recherche française et européenne, tant dans le domaine physique (au CNRS) que spatial (au CNES, à l'ESA, etc.).
 


En été 1984, la venue de Laurent Fabius à Matignon a précipité la carrière d'Hubert Curien appelé à siéger au gouvernement : il fut nommé Ministre de la Recherche et de la Technologie du 19 juillet 1984 au 20 mars 1986, puis, après la réélection de François Mitterrand, renommé au même ministère du 12 mai 1988 au 29 mars 1993 dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Loin de prendre cela comme un honneur, ce fut pour lui une aubaine pour faire avancer de nombreuses idées et intuitions.

À ce poste, sa principale action a été de mettre la science à disposition du peuple, la rendre accessible à l'ensemble des gens, ce qui est difficile car la science étudie souvent des choses complexes. Son idée de génie a été d'organiser en mai 1991 une journée portes ouvertes de son ministère à l'occasion du dixième anniversaire de sa création, ce qui est devenu très rapidement la Fête de la Science dès l'année suivante, en juin 1992 et qui, chaque année, fait rencontrer les chercheurs avec les citoyens, chaque chercheur ouvrant son laboratoire et montrant son travail aux gens, en leur donnant les enjeux, les objectifs, les applications.

Cette manifestation scientifique et culturelle, qui a le rôle de propagateur de la science, a lieu désormais en octobre de chaque année et est très suivie des chercheurs, ravis d'exposer leurs travaux aux profanes (d'autant plus qu'en France, les sciences dures jouissent d'un très faible intérêt médiatique, à part quelques excellents documentaires sur Arte ; il y a beaucoup trop peu d'attrait des journalistes pour les sciences, disciplines jugées trop compliquées et pas assez sexy). C'est bien pour les citoyens qui peuvent comprendre un peu mieux l'époque technologique dans laquelle nous vivons, et ses perspectives, mais aussi pour les chercheurs eux-mêmes qui doivent synthétiser, vulgariser, résumer leurs travaux dans un travail pédagogique très utile également pour la science (dans la mise en forme des connaissances).

D'un côté, il y a des scientifiques, beaucoup trop rares, qui font de la vulgarisation scientifique et qui ont acquis un peu de notoriété médiatique (Hubert Reeves, par exemple), et de l'autre côté, il y a des structures, c'était le rôle d'Hubert Curien, qui a joué surtout sur les structures, qui a été un grand organisateur de la recherche scientifique et de son accessibilité aux profanes.

La conclusion d'une étude sur le personnel dirigeant du CNRS entre 1937 et 1966 réalisée par l'historien Christophe Charle, de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine du CNRS), publiée par les "Cahiers pour l'histoire du CNRS" en 1989 est intéressante dans son contraste : « L'étude du personnel dirigeant du CNRS permet de voir la naissance progressive d'un nouveau type d'élite, issue de l'Université scientifique mais de plus en plus distincte d'elle, dans la mesure où l'accès aux responsabilités administratives se fait de plus en plus tôt. Les initiateurs de l'institution, dreyfusards et socialistes hostiles à l'État napoléonien seraient certainement surpris du résultat historique de leur entreprise : accumulation de niveaux écrans au sein de la hiérarchie universitaire, groupes de pression, etc. La république de la science dont ils rêvaient tend ainsi à nourrir des oligarchies qui se neutralisent ou à devenir un nouvel enjeu de pouvoir pour des élites extérieures. ».

Hubert Curien est mort le 6 février 2005 à l'âge de 80 ans. Depuis cette date, il est honoré par de nombreux organismes ou lieux qui ont pris son nom, des collèges, des écoles, des rues, des laboratoires, etc. Sa mémoire reste vivante. Le site de l'Académie des sciences lui a rendu hommage en février 2005 par ces quelques phrases : « Les qualités unanimement reconnues de ce très grand serviteur de l'État, sa clarté, sa précision, alliées à son écoute et à sa bienveillance, ont fait de lui non seulement un professeur exceptionnel et un modèle pour tous ses étudiants, mais également un scientifique, un collaborateur, un homme aimé, estimé, respecté de tous. ».
 


Une grande cérémonie a été organisée en son honneur le 14 mars 2005 à la Maison de la Chimie à Paris sous l'égide de l'Académie des sciences : scientifiques et politiques se sont succédé pour évoquer la personnalité attachantes d'Hubert Curien, en particulier Claude Allègre (membre de l'Académie des sciences et ancien Ministre de l'Éducation nationale), Claudie Haigneré (spationaute et Ministre déléguée aux Affaires européennes), Philippe Busquin (ancien Commissaire européen pour la Recherche), Laurent Fabius (ancien Premier Ministre), François Loos (Ministre délégué au Commerce extérieur), Christophe Desprez (ancien dircab d'Hubert Curien), Anne Lauvergeon (présidente d'Areva et surtout, ancienne Secrétaire Générale adjointe de l'Élysée), Édouard Brézin (président de l'Académie des sciences) et François d'Aubert (Ministre délégué à la Recherche). En tout, quinze personnalités se sont exprimées pendant cette après-midi d'hommages.

Petits extraits d'hommage à Hubert Curien durant cette journée-là.

Claude Allègre : « Je connaissais Hubert Curien depuis quarante-cinq ans. Il fut mon professeur de cristallographie à la faculté des sciences et je me souviens qu’il nous enseignait l’usage des rayons X et des neutrons pour déterminer les structures des cristaux. C’était un professeur lumineux. (…) Quelques années plus tard, alors que nous commencions à mettre en place le premier enseignement de géochimie à Paris, au niveau du troisième cycle, nous étions quatre jeunes scientifiques et nous n’avions pas encore terminé notre thèse d’État, Hubert Curien avec René Dars, Jacques Faucherre et Yves Rocard avec qui il gardait des liens d’amitié anciens, nous donna son patronage administratif pour créer un laboratoire dans une usine désaffectée (l’Université de Jussieu n’était pas construite) et un enseignement de 3e cycle dans lequel il enseigna la thermodynamique pour géologues. Je me souviens d’Hubert Curien participant à une excursion en Galice où il surprit tout le monde par ses connaissances géologiques et ses questions judicieuses, montrant qu’il appréciait les problèmes tectoniques pourtant bien éloignés de la minéralogie. Tout naturellement, il fut le rapporteur de ma thèse d’état car il y avait peu de monde qui s’intéressait de manière compétente alors à l’utilisation des isotopes en Sciences de la Terre. (…) Et puis, comme on le sait, il commença alors une carrière dans l’administration de la science qui allait être brillante. (…) Au risque de dévoiler quelques secrets, je crois que ce choix a résulté de deux circonstances. D’une part, il voyait l’émergence de la physique du solide que développaient en France ses amis Pierre Aigrain et Jacques Friedel vers laquelle il aurait voulu engager plus nettement le laboratoire de cristallographie et minéralogie de Paris, mais il sentait des résistances internes et non des moindres. D’autre part, Pierre Jacquinot, en réponse à une menace de dissolution du CNRS, avait créé des Directions scientifiques et réorganisé l’organisme. Il avait proposé la Direction de la physique à Hubert Curien. C’était une opportunité exaltante, reconstruire le CNRS, qu’il ne pouvait refuser dans une période de crise pour la recherche française. ».

Claudie Haigneré : « Je ne peux manquer de vous dire quelques mots sur les circonstances qui m'ont amenée à rencontrer Hubert Curien à de très nombreuses reprises pour l'espace, l'Europe, la Russie, la recherche et je dirais plutôt la Science. Hubert Curien et l’espace, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre passionnée. L’espace a probablement donné à Hubert Curien quelques-unes de ses plus grandes satisfactions professionnelles, ainsi que ses soucis les plus tenaces. Il n’était pas possible de le rencontrer, qu’il soit Ministre, Président de l’Académie des sciences, ou simple citoyen, sans que la conversation vienne sur le spatial et qu’il vous fasse part de ses soucis sur cette Ariane qui, décidément, aura pris beaucoup de place dans sa vie. (…) L'Europe, une autre grande affaire pour Hubert Curien. Vous comprendrez que j’y sois particulièrement sensible et que je commence par là. Avant d’être ministre, ses responsabilités de président du CNES l’avaient conduit à prendre la présidence du Conseil de l’Agence Spatiale Européenne. En tant que Ministre chargé de l’espace, il vécut deux Conseils ministériels de l’ESA : à Rome en 1985, et à Grenade en 1992. Nous savons tous, et Jean-Marie Luton le premier, qui en a été si proche et avec lequel il avait une relation privilégiée, que sa priorité absolue dans chacune de ces occasions consistait à préserver la dynamique européenne, à éviter que les divergences d’appréciations entre pays ne l’emportent sur la nécessité d’une œuvre commune, quand bien même cette œuvre commune ne répondrait que partiellement aux souhaits purement français, comme ce fut le cas avec les décisions si difficiles à prendre sur Hermès. Au sein de l’Europe, c’est bien sûr à la qualité du dialogue franco-allemand qu’il était le plus sensible, et il a, directement et personnellement, beaucoup œuvré pour que soient pris en compte les points de vue et contraintes réelles de l’Allemagne nouvellement réunifiée dans les décisions spatiales de l’Europe. Si l’ESA porte aujourd’hui encore l’ambition spatiale de l’Europe, elle le doit en particulier à Hubert Curien qui l’a aidée à traverser la période de grande difficulté qui a suivi la réunification allemande et qui coïncidait, d’une part avec de sérieuses contraintes budgétaires en Allemagne, et d’autre part avec une dangereuse accumulation de programmes spatiaux européens demandant des moyens quasi-impossibles à mobiliser. ».

Philippe Busquin : « Dans un article paru il y a quelques années, intitulé "Hubert Curien et l'Europe des chercheurs", l'ancien directeur général de la Commission Européenne, Paolo Fasella disait que Hubert Curien a joué un rôle clef dans la plupart des initiatives de coopérations scientifiques européennes prises ces dernières années. Hubert Curien, lui-même, faisait remarquer dans un article paru dans "La Recherche" à l'époque, que "construire pour l'Europe des programmes de recherche et rassembler l'Europe des chercheurs sont deux démarches qui doivent aller de pair en parfaite harmonie". Et cela reste d'une brûlante actualité. Comment concilier la dimension humaine des chercheurs à l'échelle européenne, élargie d'ailleurs, et cette conception de travailler ensemble dans un avenir commun ? Hubert Curien a été de tous les rendez-vous. (…) Et des initiatives, il y en a eu dès les années 80. En fait, l'histoire de la recherche européenne date des années 80 avec les premiers programmes-cadres et Hubert Curien était déjà un des six fondateurs du programme "Esprit" qui a joué un rôle essentiel à l'époque pour redonner à l'Europe une dimension dans la société de l'information. Il était avec le commissaire Davignon, Ilya Prigogine et quatre autres personnes à la base du programme "Esprit", qui a d'ailleurs été continué par un programme qui s'appelait "Brain" et qui a permis de donner des avancées dans l'Europe dans ce domaine. Il a été comme on l'a dit fondateur de la Fondation Européenne de la Science, premier Président de cette fondation, qui a joué aussi un rôle très important dans la mise en commun des capacités des chercheurs européens. Mais il n'a jamais négligé non plus le rôle de l'industrie. Je pense qu'il faut rappeler qu'il y avait les programmes "Brite Euram" qui ont été des programmes dans les années 80 qui ont permis d'associer à l'échelle européenne l'industrie et les milieux de la recherche. Et de la même manière, vous le savez comme moi, il a été un peu aussi à la base du programme "Eureka" qui vise aussi à donner à l'Europe des structures industrielles plus novatrices, plus liées à une recherche et à une innovation. Mais il n'a jamais négligé le facteur humain et dans le même temps qu'il y avait ces programmes industriels, on lançait les premiers programmes dits "Capital humain, mobilité". Ces programmes ont été lancés dans les années 80 et aujourd'hui ils sont certainement une des réussites à l'échelle européenne, avec les bourses Marie Curie, qui permettent à des chercheurs de l'Europe d'aller dans d'autres laboratoires et constituer cette communauté de la recherche européenne. À coté du facteur humain, il était évidemment très sensible aux infrastructures indispensables à l'échelle européenne. Ayant été président du CERN, il a été aussi initiateur avec d'autres présents ici dans la salle, du Synchrotron de Grenoble, qui était une des grandes réalisations à l'échelle européenne. Dans le domaine de l'espace européen de la recherche, j'ai eu de nombreuses occasions d'en discuter avec lui, il insistait aussi sur cette nécessité d'organiser, à l'échelle européenne, la discussion sur les infrastructures d'avenir. À cet égard, des progrès sont réalisés, puisque maintenant nous avons un forum des infrastructures qui aide les ministres de la science dans le choix des prochaines infrastructures, entre autres les lasers à électrons libres qui seront redistribués un peu partout dans l'Europe. ».

Laurent Fabius : « C’est en tant que chargé moi-même de la Recherche que j’avais appris à le connaître (…). Tout naturellement, je lui proposais de devenir ministre lorsque j’eus l’honneur ensuite d’être appelé par François Mitterrand à diriger le gouvernement. Ce choix me paraissait naturel, tant Hubert Curien symbolisait pour toute la communauté scientifique la réflexion et l’action dans le domaine de la science et tant il était apprécié des chercheurs. La recherche était tout simplement sa vie. Je me souviens d’une conversation avec lui et avec Jacques-Louis Lions, d’où une expression avait jailli, sans que je me rappelle exactement qui d’entre nous l’avait lancée : "l’horizon de la recherche, c’est l’horizon du forestier". Cette vision longue était chez lui une idée maîtresse, particulièrement précieuse lorsqu’on doit décider pour la collectivité. Éviter les à-coups, les fausses habilités de l’urgence, penser et agir à long terme : Hubert Curien, qui aimait tant ses forêts des Vosges, était, pour la recherche aussi, un forestier. Long terme et recherche fondamentale. Il savait par expérience et il professait, comme le Général De Gaulle et Pierre Mendès France qu’il admirait, qu’il n’y a pas de grand pays sans recherche puissante et pas de recherche puissante sans priorité à la recherche fondamentale, laquelle requiert évidemment des moyens et ne doit pas être subordonnée à l’aval. L’évaluation, devenue depuis une évidence, était une autre de ses idées pionnières. Il considérait qu’une sécurité matérielle des chercheurs, sans ostentation car tel n’était pas son genre, est nécessaire pour accomplir une bonne recherche, mais il soulignait que cette sécurité n’est pas contradictoire avec les évaluations nationales et internationales indispensables, ni avec les remises en cause qu’elles entraînent. (…) Il y a quelques mois, à l’issue d’une réunion au sein d’un groupe où nous aimions nous retrouver, déambulant nous plaisantions ensemble en pensant à ce temps où, ministre, il se voyait proposer régulièrement d’aller conquérir, en Île-de-France, en Isère ou dans ses Vosges natales, le suffrage universel. Chaque fois, il déclinait poliment, avec un bon sourire, ces sollicitations. Et il ajoutait : "ma circonscription, c’est mon laboratoire de l’Université Paris-6". ».
 


Christophe Desprez : « Hubert Curien était un homme bon, qui incitait ses collaborateurs à la patience et à la modestie. Quand, après un exposé argumenté de notre part [ses conseillers au ministère], il concluait "Vous avez raison, avançons dans ce sens", nous savions que nous étions dans la bonne direction. Quand il fronçait l’un de ses sourcils broussailleux et nous disait "Vous croyez ?", nous comprenions que nous n’avions pas convaincu ; alors, il consultait ; il recevait énormément de chercheurs, de patrons de laboratoires ou d’organismes ; il écoutait, et peu à peu se forgeait une opinion ; c’était sa façon de travailler, à l’écoute en permanence de la science en marche. Il était toujours au contact de la science, en visite en France ou à l’étranger. Il était passionné par la science, par toutes les sciences, et par les hommes et les femmes qui la font. (…) Je me souviens d’une sortie d’un conseil des ministres, où Jack Lang et Hubert Curien venaient de faire une communication sur la culture scientifique et technique. Les journalistes se précipitent sur le tapis rouge disposé au début de la cour de l’Élysée pour les prendre en photos. Et là, Hubert Curien se recule, pour que le Ministre de la Culture, ou était-ce déjà de l’Éducation ? , apparaisse mieux sur les photos. Comme je m’en étonnais à la lecture de la presse du lendemain, puisque c’était Hubert Curien qui était le principal artisan de cette communication, je m’entendis répondre "Mais Christophe, cela n’a aucune importance, et, en plus, cela fait tellement plaisir à Jack"… ».

Anne Lauvergeon : « Il est vrai qu'au moment du bouclage des budgets, quand on est à l'Élysée, on reçoit un certain nombre de coups de fil de ministres pas contents de leur sort. En général, le mode est toujours le même : "j'e n'ai pas assez" ; bien sûr, personne ne téléphone pour dire qu'il a trop de budget. C’est souvent sur un ton ou agressif ou du moins montrant qu'il y a un grave problème. Hubert Curien quand il m'appelait, s'excusait d'abord de m'appeler. Ensuite il me disait, il me l'a dit à plusieurs reprises, "qu'il était très très ennuyé… qu'il y avait un petit problème… que certainement il y avait une mauvaise compréhension… que les objectifs qui avaient été fixés n'étaient pas complètement remplis par l'aboutissement des discussions budgétaires. Mais, ce n'était pas la faute du Ministère du Budget, ce n'était pas la faute du Ministre du Budget, non, non… Ils avaient vraiment fait des efforts, ils avaient fait beaucoup de choses… mais …. est-ce qu'on ne pourrait pas néanmoins….", et à ce moment là, effectivement, on rentrait dans le problème qui se posait. Jamais aucune espèce d'acrimonie, aucune espèce de volonté de pouvoir, de volonté de revanche, de volonté de puissance. Uniquement faire aboutir, et faire aboutir non pas pour soi, pour son ministère, mais pour les gens, les chercheurs qui allaient effectivement pouvoir profiter de tout cela. Et je dois dire que cette espèce de calme, toujours, cette espèce de réserve en même temps, de souci de ne pas déranger, mais en même temps d'agir… ce mélange des deux était absolument, incroyablement efficace. Je dois dire que c'était également quelqu'un qui inspirait confiance à des gens très différents.(...) À la Renaissance, on aurait dit que c'était un humaniste. Je crois que Hubert Curien était assurément un humaniste. Curieux de tout et curieux de tous. Il était à l'écoute, il voulait comprendre, comprendre ce qu'étaient les gens. Cette volonté de compréhension qui est assez fréquente chez les scientifiques et qui s'applique souvent à la matière, il la portait aussi aux hommes. Je crois que tout au long de sa vie, il s'y est employé avec toujours le respect immense qu'il manifestait pour les autres, pour ne pas être trop pesant, pour ne pas surtout donner le sentiment qu'il cherchait à entrer dans un domaine ou un territoire que l'autre ne lui aurait pas laissé franchir. ».

François d'Aubert : « Fils d’un receveur municipal et d’une institutrice, il fut admis au prestigieux lycée Saint-Louis en classes préparatoires, puis il fut reçu aux concours de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qu’il intégra, et de l’École polytechnique. Exemplaire, Hubert Curien le fut aussi par ses qualités humaines. Son statut de scientifique éminent, et bientôt de grand commis de l’État, ne retrancha jamais rien à sa simplicité, qu’il attribuait à ses origines de montagnard vosgien, ni à son humour et son franc parler. Il déclarait ainsi avec lucidité et clairvoyance à propos de la recherche fondamentale : "la recherche fondamentale, c’est un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique ; quand il est parti, il ne savait pas où il allait ; quand il arrivait, il ne savait pas où il était et cependant il a découvert l’Amérique… Il n’est pas possible de dire à quelqu’un qui se consacre à la recherche fondamentale : n’allez pas par là, c’est ridicule, vous ne trouverez rien". (…) Pleinement conscient du lien si nécessaire entre la recherche et l’innovation, il fonda également le RDT, Réseau de développement technologique, destiné à diffuser la technologie vers des PME peu familiarisées avec le processus d’innovation, préfigurant ainsi les RRIT. C’est sur cette même voie que nous nous employons aujourd’hui à relancer la Recherche, à travers le redressement de l’effort financier national, le soutien à la recherche fondamentale et le renforcement de ses applications. ».

Et le Ministre délégué de la Recherche de l'époque de terminer sur cette petite citation qu'Hubert Curien aimait répéter : « Je voudrais revenir sur Terre, un instant, dans mille ans, juste le temps de voir ce que trente générations de savants auront su découvrir, et entendre ce que les hommes de science seront alors en humeur de dire. ». Ok Professeur Curien, rendez-vous en l'an 3005 !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2024)
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Hubert Curien.
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2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
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Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
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http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/25/article-sr-20241030-hubert-curien.html




 

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20 octobre 2024 7 20 /10 /octobre /2024 03:42

Tout juste quarante ans après sa mort, il reste le plus grand physicien britannique de tous les temps avec Isaac Newton. L’un des pionniers de la physique quantique, annonciateur du positron, peu sociable mais véritable génie des mathématiques, aurait été atteint du syndrome d’Asperger, selon une récente biographie.


yartiDirac50Imaginez que vous ayez 31 ans, que vous ayez soutenu votre thèse de doctorat sept ans plus tôt, publié déjà plus d’une dizaines d’articles majeurs dans des revues scientifiques d’importance internationale, et qu’on vous propose le Prix Nobel de Physique. À l’époque, on pouvait même l’avoir avant la soutenance. C’était en 1933, période particulièrement noire dans le contexte international, mais aussi période passionnante de la mise en forme de la physique quantique qui a occupé toute la première moitié du XXe siècle.

Paul Dirac a disparu
il y a exactement quarante ans le 20 octobre 1984 à l’âge de 82 ans, à Tallahassee, en Floride. Ce grand physicien a fait partie des pères fondateurs de la physique quantique, aux côtés de Max Planck, Niels Bohr, Albert Einstein, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, etc. Il fut l’un des trois plus grands physiciens du XXe siècle et cet anniversaire est l’occasion pour moi de le faire mieux connaître, car je trouve qu’il manque injustement de notoriété.


Un des plus grands génies de tous les temps

Prix Nobel en 1933, Paul Dirac fut un véritable génie, uniquement tourné vers ses recherches sur la théorie quantique. Toute sa vie n’a été qu’attention portée aux équations.

Selon l’épistémologue Norwood Russell Janson (1924-1967), ardent défenseur de l’interprétation de Copenhague, cité dans un article publié en 1980, la parution de la théorie relativiste des électrons de Paul Dirac en 1928 a été l’un des événements les plus marquants de l’histoire des sciences : « Theoretical physics has rarely witnessed such a powerful unification of concepts, data, theories and intuitions : Newton and Universal Gravitation ; Maxwell and Electrodynamics ; Einstein and Special Relativity ; Bohr and the hydrogen atom ; these are the high spots before Dirac. From a chaos of apparently unrelated facts and ideas, Newton in his way, and now Dirac in his, built a logically powerful and conceptuelly beautiful physical theory. » [La physique a rarement vu une unification aussi puissante de concepts, de données, de théories et d’intuitions : Newton et la Gravitation universelle ; Maxwell et l’Électrodynamique ; Einstein et la Relativité restreinte ; Bohr et l’atome d’hydrogène ; ce sont les grands éclairs avant Dirac. D’un chaos apparemment sans relation de faits et d’idées, Newton à sa manière, et maintenant Dirac à la sienne, ont construit une théorie physique logiquement solide et conceptuellement pleine de beauté] ("The Concept of the Positron", Cambridge, 1963 ; p. 146).

yartiDirac03


La beauté, c’est ce qui a obsédé Paul Dirac toute sa vie. Mais pas la beauté féminine : « This result is too beautiful to be false ; it is more important to have beauty in one’s equation than to have them fit experiment. » [Ce résultat est trop beau pour être faux ; il est plus important d’avoir la beauté dans les équations que de les voir confirmer par l’expérience] ("The evolution of the Physicist’s Picture of Nature", Scientific American, 208, 5, 1963).


La bosse des maths

Du côté de son père, qui enseignait le français, et comme son nom francophone l’indique, il était d’origine suisse (Valais) et française (Charente). Né le 8 août 1902 à Bristol, Paul Adrien Maurice Dirac était un fou de mathématiques dès son plus jeune âge. Il a suivi des études d’ingénieur en électricité à Bristol. À cause du climat économique très maussade, diplômé en 1921, il n’a pas trouvé de travail et finalement, a continué des études scientifiques à Cambridge parce qu’il était passionné par la théorie de la Relativité générale et qu’il avait réussi à obtenir une bourse.

En 1923, il travailla avec l’astrophysicien Ralph H. Fowler (1889-1944) sur la mécanique statistique des étoiles naines blanches. Six mois plus tard, il publia déjà ses deux premiers articles sur le sujet. En mai 1924, il publia son premier article sur la physique quantique. C’est en 1925 qu’il fit la rencontre essentielle de Niels Bohr (1885-1962) qui venait d’avoir le Prix Nobel en 1922, et de Werner Heisenberg (1901-1976), futur Prix Nobel en 1932. En novembre 1925, il avait publié quatre autres articles sur la théorie quantique. En tout, il a publié onze articles importants avant sa soutenance.

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Paul Dirac a soutenu sa thèse en juin 1926 sur la physique quantique, en faisant, par une intuition géniale, une analogie entre la formulation matricielle que venait de proposait Werner Heisenberg pour décrire la physique quantique et les crochets de Poisson de la mécanique hamiltonienne, reformulation de la mécanique classique en 1833 par William Rowan Hamilton (1805-1865).


Un acteur majeur dans l’élaboration de la théorie quantique

Après son doctorat, il est parti rejoindre Niels Bohr à Copenhague puis en février 1927, Werner Heisenberg à Göttingen où il a travaillé avec Robert Oppenheimer (1904-1967), Max Born (1882-1970), Prix Nobel en 1954, James Franck (1882-1964), Prix Nobel en 1925, et Igor Tamm (1895-1971), Prix Nobel en 1958, puis il a collaboré quelques semaines avec Paul Ehrenfest (1880-1933) à Leyde (Pays-Bas) avant de revenir à Cambridge où il fut recruté comme Fellow du St John’s College. Invité au 5e congrès Solvay en septembre 1927, il fit la rencontre d’Albert Einstein (1879-1955).

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Paul Dirac fit de nombreux voyages dans le monde, est allé pour la première fois en Union Soviétique en 1928, et aux États-Unis en 1929. Il s’amusait à profiter des colloques pour faire le tour du monde : après une visite aux États-Unis, il est allé directement au Japon et est rentré à Cambridge en prenant le Transsibérien.

À partir de ses premiers travaux où il "jouait" avec l’algèbre des opérateurs linéaires en introduisant la notation bra-ket (à partir du 29 avril 1939), il publia un recueil très pédagogique sur la nouvelle physique de l’atome (qui fait encore référence aujourd’hui) sous un titre assez banal : "Le Principe de la mécanique quantique" (éd. Oxford University Press) publié initialement le 29 mai 1930 (il n’avait alors que 27 ans !). L’ouvrage fut régulièrement réédité et complété, devenant l’un des manuels "classiques" pour la physique quantique (le dernier chapitre rédigé en 1947 dans la 3e édition présente l’électrodynamique quantique). On peut lire la quatrième édition révisée (publiée le 26 mai 1967) dans son intégralité ici.

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Paul Dirac était avant tout un théoricien des mathématiques. Il se moquait des expériences sinon de la pensée (il préférait la beauté des équations, voir la citation ci-dessus), et a été celui qui a construit la plus solide architecture mathématique pour la physique quantique, reprenant les travaux d’Erwin Schrödinger et de Werner Heisenberg dont le formalisme mathématique manquait de cohérence et d’harmonie.

Cela lui valut le Prix Nobel de Physique en 1933 « pour la découverte de formes nouvelles et utiles de la théorie atomique », partagé avec Erwin Schrödinger (1887-1961), célèbre pour son équation d’onde et son expérience de la pensée résumée sous l’expression "le chat de Schrödinger" (en physique quantique, un chat pourrait être à la fois vivant et mort, d’où le paradoxe philosophique que posait cette théorie probabiliste). Un peu avant son Prix Nobel (il avait refusé d’inviter son père à la remise à Stockholm), Paul Dirac avait publié un article essentiel sur la mécanique quantique lagrangienne que développa plus tard Richard Feynman (1918-1988), Prix Nobel en 1965, qui fut beaucoup influencé par lui.

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Le positron et l’antimatière, issus des équations de Dirac

Par ses avancées mathématiques, Paul Dirac a ainsi prédit en 1931 l’existence de l’antimatière, c’est-à-dire, des antiparticules, en particulier, du positron (aussi appelé positon pour les francophones), l’antiparticule associée à l’électron.

La raison, c’est que dans son équation qui décrit la mécanique quantique relativiste de l’électron (formulée en 1928), la description des particules se fait en fonction du carré de la charge électrique, laissant supposer que la charge d’une particule de même type (même masse et même spin) pourrait être positive ou négative. Jusqu’en 1932, cette idée était plutôt le point faible de sa théorie, car personne ne comprenait comment l’antimatière pouvait exister. Paul Dirac se moquait de l’imaginer, ses équations étaient trop belles pour être fausses !

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Par ailleurs, la collision d’une particule et de son antiparticule créerait une désintégration avec une forte dissipation d’énergie (émission de photon) qu’on peut retrouver dans la fameuse formule d’Einstein, E=mc2. C’est la base de toute la recherche sur les nouvelles particules élémentaires dans des accélérateurs à particules (fournir le plus d’énergie possible pour faire surgir de nouvelles particules).

Le positron fut découvert expérimentalement dès 1932 par Carl David Anderson (1905-1991) qui a vu la trace de « quelque chose de chargé positivement et de masse similaire à celle de l’électron » et cette découverte fut confirmée par Patrick Blackett (1897-1974) par l’observation de rayons cosmiques photographiés dans une chambre à brouillard qui est le premier détecteur de particules (certaines traces ne provenaient pas d’électrons mais d’électrons à charge positive).

Cette découverte valut Carl David Anderson le Prix Nobel en 1936 qui découvrit la même année le muon par le même type de détection. Quant à Patrick Blackett, il reçut le Prix Nobel en 1948 pour le développement de la chambre à brouillard conçue en 1911 par Charles T. R. Wilson (1869-1959) qui, lui aussi, avait obtenu le Prix Nobel en 1927. Sa chambre permettait de rendre visible, par condensation de la vapeur, la trajectoire des particules électriquement chargées.

Entre parenthèses, la découverte du positron est l’exemple même (il y en a plein d’autres) qui montre que la recherche scientifique n’a aucun sens réalisée de manière solitaire ou de manière nationaliste (et cela dans une période aux nationalismes exacerbés). Même si Paul Dirac travaillait plutôt seul (il détestait communiquer), il se nourrissait des travaux des autres, en particulier, pour son équation, des travaux d’Albert Einstein et de Wolfgang Pauli (1900-1958), Prix Nobel en 1945, pour donner les fondations théoriques des futures observations expérimentales. Et pour les expériences, il a fallu développer toute une instrumentation (Charles T. R. Wilson), puis utiliser l’appareil pour des applications données, être capable d’identifier une incompréhension de mesure par des théories récentes (Carl David Anderson) et de confirmer l’explication par des expériences focalisées sur cette découverte (Patrick Blackett). À noter également que d’autres physiciens reçurent le Prix Nobel pour le développement d’autres appareils de détection, comme Georges Charpak (1924-2010) qui fut récompensé en 1992 « pour son invention et le développement de détecteurs de particules, en particulier la chambre proportionnelle multifils ».

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Lorsque Albert Einstein s’est retrouvé en 1933 parmi les membres de la direction de l’Institute for Advanced Study à Princeton, et qu’on lui a demandé qui il voulait recruter, le premier nom qu’il a proposé était Paul Dirac qui venait juste d’avoir le Prix Nobel. Paul Dirac passa donc une année académique (1934-1935) à Princeton où il sympathisa beaucoup avec son collègue Eugene Wigner (1902-1995), Prix Nobel en 1963. Venant de Budapest où elle habitait, la sœur de ce dernier est venue le visiter alors que Paul Dirac était présent à cette rencontre…


De Newton à Hawking

Entre 1932 et 1969, Paul Dirac fut titulaire de la prestigieuse chaire de mathématiques de l’Université de Cambridge. Parmi ses prédécesseurs l’illustre Isaac Newton (1643-1727) entre 1669 et 1702, et l’hydrodynamicien Georges Stokes (1819-1903), célèbre pour son équation de mécanique des fluides, de 1849 à 1903. Certains de successeurs sont également très connus : Stephen Hawking (72 ans) de 1979 à 2009 et, depuis le 1er novembre 2009, Michael Boris Green (68 ans), l’un des pionniers de la théorie des cordes en 1984.

Michael Boris Green fut d'ailleurs lauréat en 1989 du Prix et Médaille Paul Dirac, qui a récompensé entre autres en 1987 Stephen Hawking, en 1988 John Stewart Bell (1928-1990), auteur du fameux théorème de Bell, en 1989 Roger Penrose (83 ans) et en 1997, Peter W. Higgs (85 ans), Prix Nobel en 2013. Cette gratification est attribuée par l’Institute of Physics (l’équivalent britannique de la Société française de Physique).

Une autre récompense a été instituée en l’honneur de Paul Dirac, la Médaille Dirac créée par le Centre international de physique théorique (ICTP basé à Trieste) juste après la disparition de Paul Dirac, en 1985, pour honorer des chercheurs en physique théorique et en mathématiques qui n’ont pas été récompensés par le Prix Nobel ni la Médaille Field ni le Prix Wolf (très prestigieux aussi). Alan H. Guth (67 ans), l’inventeur de la théorie de l’inflation cosmique après le Big Bang, et Édouard Brézin (76 ans), ancien président du CNRS, en furent lauréats respectivement en 2002 et 2011.


Quelques intuitions très mathématiques

Très curieux et fin observateur, perspicace et rigoureux, Paul Dirac avait voulu comparer en 1937 deux rapports de grandeurs physiques. Le premier était la longueur de l’univers observable (rayon de Hubble) sur le rayon d’un électron. Le second l’intensité de la force gravitationnelle sur celle de la force électromagnétique appliquée entre deux électrons. Or, il avait remarqué que ces deux rapports étaient sensiblement équivalents, le premier de l’ordre de 2x1040 (nombre d’Eddington-Dirac) et le second de l’ordre de 3x1041.

C’était la première fois qu’un scientifique "mélangeait" l’infini grand et l’infiniment petit, et Paul Dirac considérait que l’équivalence n’était pas une coïncidence. En considérant que ces deux rapports restaient dans le même ordre de grandeur, et sachant que seule, la constante de Hubble variait avec le temps, Paul Dirac en avait conclu qu’une autre constante devait forcément varier en fonction du temps (si ces rapports restaient équivalents), et suggérait que cela devait être la constante de la gravitation qui serait inversement proportionnelle au temps, ce qui contredisait la théorie de la Relativité générale qui la prédisait constante (conservation de l’énergie), ou alors que la masse de l’univers serait proportionnelle au carré du temps. Ces deux hypothèses sont rejetées par les cosmologistes d’aujourd’hui.

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Parmi les "objets" (de mathématiques ou de physique) attribués à Paul Dirac, on peut citer la constante de Dirac qui n’est que la constante de Planck réduite (h/2pi), la distribution de Dirac (aussi appelée fonction delta de Dirac) qui exprime une impulsion ponctuelle et qui permet de l’intégrer dans le calcul mathématique, le peigne de Dirac qui est un joli nom pour désigner une distribution de Dirac périodique, ces deux objets ont été repris et améliorés par le mathématicien français Laurent Schwartz (1915-2002), Médaille Field en 1950. Lui-même plutôt modeste, Paul Dirac a toute sa vie préféré parler de la "statistique de Fermi" pour évoquer la "statistique de Fermi-Dirac" qui décrit depuis 1926 les particules à spin demi-entier (fermions qui suivent le principe d’exclusion de Pauli), à opposer à la statistique de Bose-Einstein qui décrit les particules à spin entier (bosons pour lesquels le principe de Pauli ne s’applique pas). À cela, il faut aussi ajouter, dans ses contributions majeures, le positron prédit par Paul Dirac ainsi que les monopoles magnétiques.



Une tendance à tout théoriser

Dans une récente biographie, Graham Farmelo (61 ans), docteur en physique théorique des particules, évoque même le syndrome d’Asperger (une forme légère d’autisme) pour caractériser Paul Dirac, qui a détesté son père qui l’obligeait à lui parler uniquement en français (comme il n’en était pas capable, Paul Dirac gardait ainsi le silence) et il fut profondément troublé par le suicide de son frère Félix pendant la préparation de sa thèse (en mars 1925).

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Il existe de nombreuses anecdotes qui racontent à quel point Paul Dirac pouvait déconcerter ses interlocuteurs au cours de sa vie professionnelle ou personnelle. Par exemple, le jour où il a rencontré pour la première fois le jeune Richard Feynman, il lui a dit : « I have an equation. Do you have one too ? » [J’ai une équation. En avez-vous une aussi ?]. Ou encore lors d’une conférence à Toronto, au moment des questions, quelqu’un dans la salle lui déclara : « Professor Dirac, I do not understand how you derived the formula on the left side of the blackboard. » [Professeur Dirac, je ne comprends pas comment vous dérivez la formule au côté gauche du tableau]. Ce à quoi Paul Dirac répondit : « This is not a question. It is a statement. Next question, please. » [Ce n’est pas une question. C’est un commentaire. Question suivante, s’il vous plaît]. Paul Dirac était connu pour dormir en écoutant une conférence, mais il était capable de se réveiller soudainement et de poser une question très pointue et pertinente (un erreur de signe au tableau etc.).

Le besoin de tout théoriser pouvait étonner les personnes à côté de lui. Un jour qu’il discutait avec Piotr Kapitsa (1894-1984), Prix Nobel en 1978, il regardait en même temps l’épouse de celui-ci, Anya, tricoter à leur côté. Après la discussion, Paul Dirac s’est approché d’elle, assez excité : « You know, Anya, watching the way you were making this sweater, I got interested in the topological aspect of the problem. I found that there is another way of doing it and that there are only two possible ways. One is the one you were using ; another is like that… » [Vous savez, Anya, en regardant la manière dont vous réalisez ce pull, je me suis intéressé à l’aspect topologique du problème. J’ai conclu qu’il y a une autre manière de le faire et qu’il n’y avait que deux méthodes possibles. L’une est ce que vous faites ; l’autre est comme ça…] tout en montrant cette seconde manière avec ses longs doigts : il venait de réinventer le "purling" (le fait de tricoter à l’envers).


La femme, une équation à une inconnue

La personnalité de Paul Dirac était à la fois rigoureuse et peu conviviale. Il avait très peu d’amis, aimait bien la solitude qui lui permettait de réfléchir à ses travaux. Il était connu pour sa faible empathie. La seule fois où il a pleuré de sa vie d’adulte, c’était lorsqu’il avait appris la mort d’Albert Einstein en 1955.

Une anecdote donne une idée de sa très faible sociabilité. Le physicien n’était pas marié en août 1929, tout comme son collègue Werner Heisenberg. À l’occasion d’un colloque au Japon (déjà évoqué ci-dessus), comme ils étaient du même âge et encore célibataires, ils pouvaient discuter ouvertement des "femmes". Werner Heisenberg était un homme à femmes avec qui il aimait flirter et danser, tandis que lui restait renfermé. Paul Dirac lui demandait : « Pourquoi danses-tu ? » et Werner Heisenberg de répondre : « Quand il y a des filles charmantes, c’est un plaisir ! » mais Paul Dirac ne comprenait toujours pas : « Mais, Heisenberg, comme peux-tu savoir avant que ce sont des filles charmantes ? ».

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Un jour, au cosmologiste George Gamow (1904-1968), Paul Dirac expliqua qu’il y avait une distance optimale pour regarder le visage d’une femme. Théoricien, il évaluait tous les cas : à l’infini, on ne voit rien ; à zéro, l’image est trop déformée et on voit beaucoup trop les imperfections de la peau, les rides. Georges Gamow lui a alors demandé : « Tell me, Paul, how close have you seen a woman’s face ? » [Dis-moi, Paul, à quelle distance as-tu déjà regardé le visage d’une femme ?] et Paul Dirac de répondre : « Oh, about that close ! » [Oh, à peu près cette distance], en montrant ses mains à deux pieds de distance.

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Paul Dirac se maria tardivement pour l’époque, en janvier 1937 à Londres avec Margit Wigner (Manci), la sœur d’Eugene Wigner, et, bien qu’indispensable pour lui supprimer toutes les préoccupations matérielles de la vie quotidienne, il la considérait plus comme la sœur de son ami que comme son épouse, et la présentait à ses amis ainsi : « Oh ! I am sorry. I forgot to introduce you. This is… this is Wigner’s sister ! » [Oh ! Je suis désolé. J’ai oublié de te présenter. C’est… c’est la sœur de Wigner !]. Elle-même s’était présentée auprès de George Gamow ainsi : « That what Dirac actually says is : "This is Wigner’s sister, who is now my wife" ! » [Ce que dit habituellement Dirac est "C’est la sœur de Wigner, qui est maintenant ma femme" !]. Margit Wigner, née deux ans après lui, le 17 octobre 1904, disparut le 9 juillet 2002, près de dix-huit ans après lui.

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La retraite en Floride

À la fin de sa vie, de 1971 à 1984, Paul Dirac a continué à travailler en choisissant le Florida State University (Université de l’État de Floride). Pour lui, c’était un lieu agréable car il n’avait pas un traitement différent des autres, ses collègues le considéraient comme n’importe qui d’autre, malgré son Nobel et ses travaux prestigieux. Il ne voulait surtout pas se faire remarquer.

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En dépit de son caractère peu sociable, Paul Dirac a laissé un souvenir très attachant dans cette université où ses collègues ont pu apprécier sa curiosité intellectuelle, sa passion et sa capacité à la transmettre aux autres. Certes, il pouvait déjeuner (dans la cuisine du bâtiment) avec des collègues (comme Steve Edwards) sans sortir un mot pendant le repas. John Albright se souvenait ainsi : « Dirac était très avare avec les mots. Il n’emploierait pas cinq mots quand un seul pouvait suffire. ». Bien avant, ses collègues de Cambridge avait même inventé une nouvelle unité pour plaisanter, le "dirac" qui correspondait à un mot par heure !

Il adorait marcher, considérait que c’était essentiel pour réfléchir, il marchait ainsi de sa résidence à son bureau, par tous les temps (conduire l’aurait empêché de réfléchir à la physique quantique), il aimait aussi se baigner dans un lac même en hiver, et il était un passionné d’alpinisme, il escaladait beaucoup de montagnes (dans le Caucase par exemple) et lorsqu’il enseignait à Cambridge, on pouvait parfois le voir, pour s’entraîner, grimper aux arbres dans les collines environnantes tout en portant son habituel costume noir.


Ne pas s’occuper de l’extérieur

Homme introverti par excellence, Paul Dirac a donc été avant tout un génie cérébral. Il fallait bien cela pour avoir les quelques intuitions qui l’ont placé, malgré lui, sur le piédestal de la théorie quantique.

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Son père l’avait peut-être coupé de toute ambition affective, mais il l’avait encouragé à approfondir les mathématiques qui l’avaient passionné dès son enfance. Sa modestie l’a emporté : à l’égal d’un Newton, d’un Maxwell, d’un Einstein ou d’un Bohr, qui connaît donc Dirac en dehors de la communauté scientifique internationale, trente ans après sa mort ?



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 octobre 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Paul Dirac.
Livre à télécharger : "Les Principes de la mécaniques quantique" par Paul Dirac.
La théorie des électrons et des positrons (communication du 12 décembre 1933 à télécharger).
La genèse de la théorie relativiste des électrons de Paul Dirac (à télécharger).
Niels Bohr.
Albert Einstein.
L’attribution des Prix Nobel, une dérive depuis plusieurs décennies ? (octobre 2007).
Dirac, Einstein and physics (2 mars 2000).
Paul Dirac : the purest soul in physics (1er février 1998).

Une biographie de référence a été publiée le 22 janvier 2009 :
"The Strangest Man, The Hidden Life of Paul Dirac, Quantum Genius"
par Graham Farmelo (éd. Faber and Faber).

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-dirac.html

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-dirac.html











 

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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 18:35

« La symétrie m’avait fasciné depuis mes années d’étudiant et j’étais embarrassé par les symétries approximatives de la physique des particules. » (Peter Higgs, le 8 décembre 2013 à Stockholm).


 


Le physicien britannique Peter W. Higgs est mort ce lundi 8 avril 2024 à Édimbourg, en Écosse, des suites d'une "courte maladie" selon l'Université d'Édimbourg. Le Prix Nobel de Physique 2013 allait atteindre ses 95 ans le 29 mai prochain.

Avec lui est partie l'une des sommités mondiales de la physique des particules. D'un naturel très joyeux et souriant, il est le modèle (j'allais écrire standard) de l'excellent scientifique, à savoir la passion, l'observation mais avant tout, la réflexion. Il existe en effet deux types de physiciens : ceux qui observent des trucs bizarres, et qui tentent d'élaborer une théorie qui corresponde (ils sont les plus nombreux, ils sont aussi très coûteux car ils ont beaucoup d'équipements pour observer, on les appelle les expérimentaux) ; et puis il y a ceux qui pensent, réfléchissent, reprennent une équation, l'amènent jusqu'aux confins de la pensée humaine, et alors, ils pondent des lois, des théories, et ils attendent de les voir validées par l'observation ou l'expérience (ce sont les théoriciens). Sans mettre de hiérarchie dans les démarches scientifiques (elles sont toutes les deux nécessaires et surtout elles ont été indispensables et complémentaires pour faire avancer la science), je dois admettre que j'ai une grande admiration pour les seconds, les théoriciens, qui sont des champions intellectuels, évidemment à condition que leurs théories coïncident avec la réalité palpable du monde réel, comme ce le fut pour Einstein en énonçant la Relativité générale (exemple exceptionnel de génie intellectuel).

C'était un peu la réaction émue d'Étienne Klein sur Twitter, en apprenant la mort de Higgs : « Grâce à des esprits comme le sien, la physique devient à l’occasion capable de compléter le mobilier ontologique du monde. ». À méditer !

Peter Higgs était en effet de ces théoriciens qui prédisent les lois. En tout cas, une loi, l'existence d'une particule, qu'on a appelée par la suite le boson de Higgs, un peu en oubliant d'autres contributeurs, une première équipe (dans l'ordre chronologique) composée des chercheurs belges François Englert et Robert Brout de l'Université de Bruxelles, mais aussi une troisième équipe composée de Thomas Kibble, Gerald Guralnik et Carl Richard Hagen. Le prestigieux Prix Sakurai qui récompense les grands chercheurs en physique des particules avait effectivement récompensé le 10 février 2010 ces six physiciens. Peter Higgs n'était pas à l'origine de l'appellation du boson de Higgs et il aurait volontiers parlé de boson de Brout-Englert-Higgs, voire de BEHHGK (en reprenant les initiales des six chercheurs). L'histoire gardera seulement Higgs. Injustement par simplisme.

Le comité Nobel, au contraire du Prix Sakurai (mais comme le Prix Wolf de Physique 2004), n'a récompensé le 8 octobre 2013 que Peter Higgs, et François Englert, il aurait aussi récompensé Robert Brout mais il est mort en 2011, et il aurait pu aussi récompenser les trois autres. C'est toujours le problème de l'attribution des Nobel, car, d'une part, la science est toujours un travail d'équipe, qui se nourrit de l'expérience et des travaux des autres, communiqués lors de séminaires, symposiums, conférences, revues scientifiques, etc., et, d'autre part, il n'est pas rare que deux voire trois chercheurs, indépendamment l'un des autres, arrivent à prendre le même chemin et aboutir à la même conclusion, parce qu'à travers le monde, ils sont finalement formés de la même manière avec les mêmes réflexes (François Englert et Peter Higgs ne se connaissaient pas quand ils ont publié le même type de réflexion en 1964, à deux mois d'intervalle).

 


Quelle a été la découverte théorique de Peter Higgs (et de ses collègues) ? L'idée que l'univers manquait de masse, et que sa particule pourrait être une bonne candidate pour y remédier. Peter Higgs a surtout été fasciné par la symétrie des particules, d'un monde qui pourrait être parfait. Le Modèle standard de la physique a établi quatre interactions (forces) : la gravité, la force électromagnétique, l'interaction forte et l'interaction faible. À chaque interaction, il y a un boson qui est associé, généralement à masse nulle : le graviton (dont l'existence n'est pas encore prouvée), le photon, le gluon, etc.

 


Mais pour valider le modèle standard, il fallait une particule dont le champ scalaire redonnerait de la masse aux bosons de l'interaction faible. C'est ainsi que ces chercheurs ont imaginé l'existence du boson de Higgs, en quelque sorte, le chaînon manquant de la masse de l'Univers (lire pour plus de précision mon précédent article).

Malheureusement, cette découverte de 1964 n'avait jamais été suivie d'observation pendant très longtemps, et donc, sans validation de sa pertinences. Moi-même, je n'imaginais pas vivre une pareille validation et c'était presque l'Arlésienne. De nombreuses équipes de recherche, partout dans le monde, pendant une près d'une cinquantaine d'années, ont tenté d'observer ce fameux boson de Higgs. La difficulté, c'est l'extrême brièveté de sa durée de vie, de l'ordre de l'attoseconde.

Comme toujours dans ces cas-là, c'est la réalisation d'outils extrêmement puissants qui permet de valider des théories sur l'infiniment petit. En 2008, le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire à Genève) a mis en route un nouvel accélérateur de particules bien plus performant que les précédents, le plus puissant du monde, le LHC (Large Hadron Collider), un anneau de 27 kilomètres de longueur. Et beaucoup plus rapidement que prévu, le CERN a annoncé le 4 juillet 2012 que des bosons de Higgs avaient été observés : « Nous avons franchi une nouvelle étape dans notre compréhension de la nature. ». Les deux futurs Prix Nobel Peter Higgs et François Englert s'étaient déplacés pour observer eux-mêmes cet exploit. Higgs admettait volontiers : « Je n’aurais jamais pensé assister à cela de mon vivant. ». Trois mille chercheurs de cent pays ont été mobilisés sur ce projet géant de 4,3 milliards d'euros !

 


C'était sans doute la même joie qu'a dû ressentir l'astrophysicien ukrainien Klim Tchourioumov. À 31 ans, il a découvert par l'observation une comète (avec sa collègue de 24 ans), la comète Tchourioumov-Guérassimenko, dite comète Tchouri, et quarante-cinq ans plus, l'être humain était capable de poser un véhicule sur la surface (la sonde Rosetta et le robot Philae) de cet astre à près d'un milliard de kilomètres de la Terre et d'en observer précisément les contours ! Mais revenons à nos bosons.

C'est cette validation du boson de Higgs qui leur ont valu le Nobel de Physique l'année suivante. De simple hypothèse (à laquelle ne croyait pas, par exemple, Stephen Hawking), le boson de Higgs est devenu une réalité effective et reconnue.

Pour autant, l'histoire n'est pas terminée. Le boson de Higgs ne répond pas à toutes les questions du Modèle standard. Vers 2045 sera installé au CERN un nouvel outil encore plus puissant, le FCC (Future Circular Collider), un anneau de 90 kilomètres de longueur construit à 200 mètres de profondeur (le LHC était à 100 mètres de profondeur). Pour Higgs, en 2022, il y a encore beaucoup à découvrir des hautes énergies : « Oui, nous avons gratté la surface, mais il nous reste clairement bien plus à découvrir. ». La lucidité du savant qui sait qu'il ne sait rien ! (et l'humilité).

Peter Higgs était un chercheur encore à l'ancienne, prenant le temps de réfléchir. Il a fait toute sa carrière à l'Université d'Édimbourg, mais il ne s'entendait pas avec les dirigeants de l'université qui ne le trouvaient pas très productif. Il était resté, il était toléré simplement dans l'espoir qu'il reçût le Prix Nobel, prestige qui rejaillirait sur l'université du lauréat. Il s'est dit qu'il n'aurait pas été capable de faire une carrière comme aujourd'hui, avec une obligation folle de produire, produire, produire.

Il faut dire que Peter Higgs, c'était vraiment une autre époque. "Le Monde" le décrit ainsi : « Peter Higgs n’a jamais eu d’ordinateur, répondait aux e-mails par courriers postaux, et s’est passé de télévision et de téléphone mobile, jugé trop intrusif… ».

Étienne Klein a remarqué que le boson scalaire de Higgs avait pour anagramme l'horloge des anges ici-bas. Pour l'heure, un ange est monté dans ce cosmos si énigmatique, un ange qui ne croyait pas en Dieu, mais qui restait fermement attaché à croire au progrès, et à prendre la vie avec la bonne humeur. Peut-être que Dieu, c'est un peu Higgs maintenant, lui qui n'aimait pas une autre appellation de son boson, la particule de Dieu...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le discours de réception de Peter Higgs le 8 décembre 2013 à Stockholm (vidéo et texte à télécharger).
Les trois publications scientifiques qui ont prédit l’existence du boson de Higgs (à télécharger).
Sa particule, son champ, son Nobel.
Peter Higgs.
Georges Charpak.
Gustave Eiffel.
Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
Covid : la contre-offensive du variant Eris.
Hubert Reeves.
Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
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John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
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8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 04:42

« Débusquer la structure intime de la matière était ma passion. Les adeptes de Freud prétendent qu’il faut voir dans la démarche du chercheur la curiosité de l’enfant pour les phénomènes sexuels… Peut-être ont-ils raison car cette curiosité semble vraiment insatiable ! » (Georges Charpak, 1993).


 


Le physicien français Georges Charpak est né il y a exactement 100 ans, le 8 mars 1924 dans une ville à l'époque polonaise (Dabrowica) et aujourd'hui ukrainienne (pour l'instant), près de Tchernobyl. Issue d'une famille juive polonaise, il a émigré avec ses parents en France, à Paris, à l'âge de 7 ans après une tentative infructueuse en Palestine.

Il était, à lui tout seul, tout un roman, assez impressionnant. Militant antifasciste en 1939, Georges Charpak a échappé aux rafles du Vel' d'hiv' en fuyant Paris à temps en 1942, après son bac en 1941. On avait dénoncé sa famille. Réfugié à Montpellier, il a quitté les classes préparatoires après la violation de la ligne de démarcation par les nazis. Le jeune Charpak s'est alors engagé dans la Résistance mais était probablement trop jeune (18 ans) pour être efficace (il a commis beaucoup d'imprudences).

Parallèlement, en été 1943, il a raté le concours de Polytechnique mais a réussi celui des Mines de Paris. Cependant, il n'a pas eu connaissance tout de suite de son admission car il a été arrêté en novembre 1943 à cause d'une de ses imprudences et a été incarcéré dans une prison. Après l'échec d'une tentative d'évasion en 1944, il a été déporté le 11 juin 1944 à Dachau où il est resté près d'un an (le camp a été libéré le 29 avril 1945), un an d'enfer où il a pu survivre grâce à sa connaissance des langues étrangères.


En 1945, avoir 20 ans, avoir connu la guerre, la Résistance (lieutenant des FFL) et les camps d'extermination, c'était beaucoup ! Pour le jeune homme, la maturité est venue sans doute trop rapidement. Il a fait partie de cette génération tragique. Malgré tout, de retour en France où il a obtenu (enfin) la nationalité française, il a obtenu le diplôme d'ingénieur des Mines en 1947 et a commencé une grande carrière scientifique. Recruté très vite par le CNRS, il a travaillé au laboratoire de physique nucléaire de Frédéric Joliot-Curie au Collège de France où il a soutenu sa thèse de doctorat en physique en 1954.

Ses travaux portaient sur les détecteurs de particules. En 1959, il a rejoint le CERN à Genève et a conçu et réalisé sa chambre proportionnelle multifils en 1968 qui permettait de détecter des particules ionisées. L'intérêt sur les chambres à bulles alors utilisées était énorme puisque non seulement les détecteurs étaient beaucoup plus précis, mais on pouvait les brancher sur un ordinateur et faire un traitement informatique, alors que la chambre à bulles nécessitait de faire des photographies.


C'est cette invention, qu'il a brevetée, qui a permis de beaucoup progresser dans la physique des particules, et qui lui a valu de nombreuses récompenses comme la Médaille d'argent du CNRS en 1971, son élection à l'Académie des sciences en 1985, et surtout, en octobre 1992, le Prix Nobel de Physique, le Graal du scientifique.
 


À partir de 1980, Georges Charpak faisait des cours à l'École supérieure de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris (ESPCI Paris) dite Physique-Chimie fondée en 1882 par la ville de Paris, dont Paul Langevin fut le directeur entre 1925 et 1946 et aussi Pierre-Gilles de Gennes entre 1976 et 2003. L'ESPCI Paris a hébergé les travaux de plusieurs Prix Nobel dont Pierre et Marie Curie, ainsi qu'Irène et Frédéric Joliot-Curie. Georges Charpak a pris sa retraite du CERN en 1991. Ça tombait bien, car 1992 allait lui réserver une grande surprise !

Le début des années 1990 fut en effet faste pour ce qu'on pourrait appeler la "science française" (même si j'insiste beaucoup sur le fait que la science n'a pas de nationalité ni de frontières, je parle ici des chercheurs français) puisque, en deux années successives, Pierre-Gilles de Gennes en 1991 et Georges Charpak en 1992 ont reçu un Prix Nobel de Physique, et il faut préciser, ils l'ont reçu à 100%, sans autre colauréat (depuis 1992 et jusqu'à maintenant, en 2023, aucun lauréat n'a reçu ce Nobel seul).

Ce coup double a médiatisé ces deux chercheurs qui étaient inconnus du grand public auparavant (en revanche, bien connus de la communauté scientifique). Les deux ont alors commencé une petite vie médiatique, profitant de leur Nobel pour aller à la rencontre des plus jeunes et leur transmettre la passion des sciences.

Les deux Nobels étaient très différents en personnalité, l'un très expansif et très charismatique, Pierre-Gilles de Gennes, épanoui dans ses fonctions d'enseignement (il était directeur de son école d'ingénieur pendant vingt-sept ans !), tandis que Georges Charpak, un peu plus renfermé, était passionné par son métier de chercheur même s'il s'est beaucoup penché, après son Nobel, à la manière de transmettre les sciences.
 


J'ai eu la chance de rencontrer chacun de ces deux grands scientifiques à Grenoble, et j'avais été étonné, ou plutôt déçu, de la réponse de Georges Charpak en 1993 à l'une de mes questions. J'avais conclu peut-être un peu vite, par mon expérience personnelle, que les biologistes étaient plutôt athées (ne croyaient pas en Dieu) et que les physiciens étaient plutôt croyants. Ce qui m'étonnait, la matière vivante devrait plus faire penser à l'idée de Dieu que la matière inerte. Toutefois, Georges Charpak, qui était athée, ne m'a pas conforté dans ce schéma et n'y voyait aucune relation particulière entre la foi ou pas du chercheur et le sujet de recherches du chercheur. Le sujet n'a pas été plus creusé, dommage.

À partir de 1992, Georges Charpak a alors partagé son temps en communication auprès du grand public (médias, visites d'écoles, conférences dans les universités) et en activité de valorisation de ses travaux de recherches, notamment en épaulant plusieurs start-up pour des applications en imagerie médicale, etc.

Charpak est synonyme de chercheur, ou de savant, presque savant fou, la mèche romantique au vent ! Et un peu ours sur les bord. Plusieurs établissements scolaires portent désormais son nom et ce n'est pas un hasard car, comme je viens de l'écrire, il s'est beaucoup préoccupé de la culture scientifique des jeunes générations et des moins jeunes.

Il a pas mal travaillé dans le cadre du projet La Main à la pâte, qu'il a lancé en 1996 avec notamment le physicien Yves Quéré, une manière innovante de transmettre les sciences par l'expérimentation auprès des écoliers, une méthode qu'il a découverte à Chicago par l'initiative en 1992 du physicien qui l'avait recruté à CERN.

Georges Charpak était aussi ulcéré par la nullité de la culture scientifique de ses contemporains, qu'il pouvait jauger dans les sondages et sur des sujets d'actualité comme l'énergie nucléaire, le réchauffement climatique, etc. Geprges Charpak a multiplié les apparitions médiatiques, notamment des émissions à la télévision (comme "Sept sur Sept" sur TF1), pour donner son avis sur beaucoup de choses de l'actualité et pour promouvoir l'énergie nucléaire, mais aussi pour fustiger le projet ITER, qui coûtait beaucoup trop cher en mettant au péril le financement d'autres projets de recherche beaucoup plus stratégiques.

Dans un livre coécrit avec notamment Roland Omnès et Michel Serre, publié en 2004, Georges Charpak faisait ainsi état de son inquiétude sur ses contemporains : « Un sondage a montré que 65% des Français croyaient que le réchauffement de la planète était dû aux centrales nucléaires : en fait la contribution du nucléaire au réchauffement de la planète compte tout simplement pour zéro. En d'autres termes, on peut prendre une population relativement évoluée et lui bourrer le crâne à un degré incroyable. Si on veut faire quelque chose, il faut donc s'occuper d'éducation. ».

Un peu avant, en 2002, il pourchassait les forces de la désinformation scientifique (aujourd'hui, il se retournerait dans sa tombe s'il voyait ce qu'il y a de pourriture complotiste sur Internet !) : « Attitude scientifique et comportement citoyen nécessitent en fait le même terreau mental et moral spécifique pour leur développement. Une société véritablement démocratique présuppose nécessairement des citoyens aptes à la réflexion. Voilà pourquoi il serait encore plus grave qu'on ne le pense généralement que l'esprit scientifique, c'est-à-dire l'esprit critique, se trouve submergé par la crédulité. N'oublions jamais que le droit au rêve ne prend toute sa valeur qu'accompagné du droit à la lucidité. ».


Charpak a souvent exprimé l'idée qu'on n'était pas scientifique à mi-temps mais totalement, matin midi et soir, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an. Il écrivait ainsi en 1993 : « Toute épouse de physicien sait, généralement elle s’en plaint : quelle insolente rivale est la physique. Elle sait d’ailleurs qu’elle n’a plus qu’à capituler… ou à composer ! La physique ressemble à la plus exigeante et parfois à la plus destructrice des maîtresses. Nuit et jour, été, hiver, matin, soir, elle vous poursuit, vous envahit, vous comble ou vous désespère. Et vous l’aimez éperdument, incapable de vous en passer, ne serait-ce qu’une journée. Elle vous dévore comme la plus intense des névroses obsessionnelles. Mais elle vous donne l’excitation, la joie, la jouissance la plus aiguë ! ».

Il complétait dans l'émission "Bouillon de culture" animée par Bernard Pivot le 24 octobre 1993 sur France 2 : « La passion pour la physique, c'est inextinguible. C'est la curiosité et jusqu'à présent, tout au moins pour notre génération, il n'y a pas de fin, hein, il y a toujours des problèmes extraordinaires et on subodore même que le problème qu'on veut résoudre d'ici l'an 2000, il y en a de plus extraordinaires que nous ne pouvons pas aborder encore. Et nous sommes peut-être pervertis, mais il n'y a pas de doute que c'est une grande passion. (…) Gare aux vies privées. Beaucoup d'unions se sont brisées dessus. (…) Il arrive que les gens qui vous sont chers vous disent : coucou, je suis là, parce qu'ils vous parlent, et tout à coup, ils ont l'impression que vous êtes en train de penser à autre chose. Et c'est vrai que vous êtes en train de penser à autre chose. Des fois il faut des mois pour maturer quelque chose. ». La frontière est floue entre passion et obsession.
 


Je donne l'exemple d'une idée qui paraît comme cela à la fois complètement loufoque et farfelue, et pas forcément très utile sinon en termes de curiosité à la fois scientifique et historique, et qui montre l'esprit original et créatif du savant. Passionné par l'antiquité, Georges Charpak imaginait comment les populations parlaient, quelle était leur prononciation (ou même leur langue quand il ne reste pas d'écrit comme le gaulois ou l'étrusque). Sans enregistrement sonore, c'est très difficile de l'imaginer. C'est là où le cerveau d'un grand scientifique se sépare du commun. Il a dû travailler longtemps dans son esprit pour imaginer un moyen de connaître la prononciation d'une langue d'antiquité.

Et il a trouvé ! Enfin, il a trouvé une piste, pas forcément la bonne. Il s'est dit : de l'Antiquité, on retrouve surtout des amphores, des poteries, etc. Comment imaginer un enregistrement sonore ? Comme l'enregistrement d'un disque vinyle, en gravant le son. Comment retrouver du son gravé de l'époque ? Comme pour le microsillon, il faut tourner. Et alors, Georges Charpak imaginait un potier qui tournait en formant le pot avec ses mains. Soudain, sa femme lui dit : "Chéri, à table !". Et le mari de répondre : "J'arrive, chérie !". Quand il a prononcé ces mots, il a sans doute bougé ses doigts au rythme de ses paroles, pendant que sa poterie tournait. Ainsi, il s'est dit : il suffirait de reprendre toutes les poteries, amphores etc. trouvées dans les sites archéologiques et systématiquement, faire une étude précise de la surface au laser et voir les différentes distorsions qui pourraient apparaître provenant de paroles prononcées par le potier. C'est complètement fou, c'est très coûteux (qui financerait un tel programme ?), c'est complètement inutile (l'intérêt est en effet limité), mais cela montre à quel point la curiosité et l'esprit de créativité fonctionnent de pair chez Georges Charpak.

Pendant sa retraite, il n'a donc pas chômé. Ainsi, parmi d'autres, Georges Charpak a inauguré une école à Troyes en octobre 2002 en présence du Président de la République Jacques Chirac et bien sûr, du maire de Troyes, François Baroin. Troyes avait été la ville où il habitait dans sa fausse identité lorsqu'il a fui Paris en 1942. C'est ce que le Président Nicolas Sarkozy a rappelé lorsque Georges Charpak s'est éteint le 29 septembre 2010 à Paris, à l'âge de 86 ans et demi, en rendant hommage à « l'homme engagé, le résistant, le combattant infatigable du savoir et du progrès ».



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/georges-charpak-du-genie-concentre-253526






 

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13 avril 2023 4 13 /04 /avril /2023 05:29

« Le trou noir est une source d'illumination ! » (John Wheeler).



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Le physicien américain John Archibald Wheeler est mort il y a quinze ans, le 13 avril 2008, à l'âge de 96 ans (né le 9 juillet 1911 en Floride) dans le New Jersey (à la suite d'une simple pneumonie). Sa femme l'avait précédé en octobre 2007 et ils ont laissé trois enfants, huit petits-enfants et seize arrière-petits-enfants.

Il n'a pas eu de Prix Nobel mais il fut le dernier survivant des dinosaures de la belle aventure de la physique quantique du XX
e siècle. Au même titre que Stephen Hawking (1942-2018), John Wheeler était un spécialiste de physique théorique (tandis que le Prix Nobel récompense en principe des découvertes concrètes qui améliorent la vie quotidienne). Le cosmologue Mark Tegmark (né en 1967), qui avait profité de l'occasion des 90 ans de John Wheeler pour lui dédier un article sur quatre types d'univers multiples possibles, a exprimé son émotion dans le "New York Times" par cette formule : « Pour moi, il était le dernier Titan, le seul super-héros de la physique encore vivant ! ».

À l'annonce de son décès, le Président américain de l'époque, George W. Bush a été très ému par la nouvelle. Il a déclaré le 14 avril 2008 : « Laura et moi-même sommes attristés par la disparition de John Wheeler, un des plus grands physiciens américains. Durant sa carrière, le docteur Wheeler a collaboré avec des scientifiques tels qu’Albert Einstein et Nels Bohrn sur des projets qui ont changé le cours de l’Histoire. ». Bush Junior voulait sans doute parler de du grand physicien Niels Bohr (à ne pas confondre avec Max Born, autre physicien quantique) mais je ne sais pas s’il s’est agit d’une coquille de la dépêche de presse ou de la Maison Blanche (Bohr, victime d’une coquille quantique !).

Chercheur chevronné, John Wheeler a eu de très nombreux prix (comme la Médaille Franklin en 1969 et le Prix Wolf de physique en 1996, cette dernière récompense est considérée comme la plus prestigieuse après le Nobel), et il a été élu membre de l'Académie américaine des sciences en 1952, membre de la Royal Society (britannique) en 1995 et membre de la Société américaine de physique.

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Après sa thèse soutenue (très tôt) en 1933 à l'Université Johns-Hopkins (sous la direction du physicien Karl Herzfeld qui avait proposé dès 1912 un modèle pour l'atome d'hydrogène, peu avant le modèle de Bohr donc), John Wheeler a d'abord travaillé à Copenhague avec Niels Bohr (1885-1962) qui fut son mentor en physique : « Vous pouvez parler de personnes comme Bouddah, Jésus, Moïse, Confucius, mais ce qui m'a vraiment convaincu que de telles personnes avaient existé, ce sont mes conversation avec Bohr ! ».

Puis, il est retourné enseigner dans la prestigieuse Université de Princeton (de 1938 à 1941 et de 1945 à 1976) où il a dirigé la thèse de quarante-six physiciens, dont Richard Feynman (1918-1988), Prix Nobel de Physique 1965 pour ses travaux en électrodynamique quantique, Hugh Everett (1930-1982), auteur de la "théorie des mondes multiples" (baptisée ainsi par John Wheeler), et Kip Thorne (né en 1940), Prix Nobel de Physique 2017 pour ses travaux sur les ondes gravitationnelles (quarante-six, c'est énorme dans une carrière de chercheur et c'est plus que l'ensemble de ses collègues du département de physique de son université).

En quelques années, John Wheeler et Niels Bohr ont élaboré ensemble la théorie de la fission nucléaire : accueillant Bohr à son arrivée, en 1939, aux États-Unis, John Wheeler a appris du Prix Nobel de Physique 1922 que Lise Meitner et Otto Frisch venaient de démontrer que l'absorption d'un neutron par un noyau d'uranium pouvait casser ce noyau en deux et libérer une très grande énergie, qu'on allait appeler l'énergie nucléaire.

Pendant la guerre, John Wheeler a collaboré au fameux projet Manhattan dont l'objectif était de développer une bombe nucléaire (bombe à hydrogène). Ce qui a eu pour conséquence les bombardements de Hiroshima et Nagasaki. Il a regretté seulement qu’elle n’ait pas pu être mise au point plus tôt (son frère Joe est mort au combat en 1944). Bien plus tard, John Wheeler a soutenu l'idée d'un bouclier antimissile développée par le Président Ronald Reagan.

Après la guerre, il a retrouvé Albert Einstein (1879-1955) à Princeton avec qui il a longtemps travaillé pour unifier (en vain) la physique. L'idée générale de l'époque était d'harmoniser la physique quantique avec la relativité générale. L'impossible unification ! Il a conçu la géométrodynamique quantique (une description uniquement géométrique de l'espace-temps sans prendre en compte la notion de matière) qu’il a fini ensuite par abandonner car cette théorie ne pouvait expliquer l'existence des fermions (famille des particules de matière telles que l'électron, le neutrino ou les quarks qui constituent le proton).

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Très bon vulgarisateur, John Wheeler a mis à la mode des physiciens la théorie de la relativité générale et a publié la bible de la discipline, "Gravitation", en 1973, livre référence de 1 279 pages qui est en permanence réédité au fil des décennies (appelé par les initiales de ses trois auteurs MTW : Charles Misner, Kip Thorne et Wheeler).

En 1967, John Wheeler a expliqué dans une conférence : « L’étoile en implosion disparaît à la vue comme le chat du Cheshire [d’Alice au pays des merveilles]. L’un ne laisse que son sourire derrière lui, l’autre ne laisse que la gravité. La gravité mais pas la lumière. Ni lumière ni particule n’en émergent. De plus, lumières et particules incidentes qui pénètrent dans le trou noir ne font qu’accroître sa masse et sa gravité. ».

L’expression a alors été lâchée, "trou noir" qui allait servir à désigner ces puits gravitationnels (densité infinie, volume nul) qui attirent et retiennent tout, même la lumière (dans sa courte biographie au "Monde", Pierre Barthélémy a écrit que l'expression "trou noir" « paraîtra obscène aux Français »). John Wheeler était ainsi le père de cette expression (initialement, il avait utilisé l'expression "astre occlus") et c'est aussi lui qui a parlé le premier de "trou de ver" ou de la "structure en écume de l'espace-temps".

Un "trou de ver" est une sorte de raccourci entre deux points de l'espace-temps. Pour qu'il existe, il faut un élément qui aurait une masse négative, ce qui est hautement spéculatif et ressort d'une hypothèse que seules les mathématiques considèrent comme non farfelue. Kip Thorne avait ainsi proposé à un auteur de romans de science-fiction l'utilisation de trous de ver pour permettre de voyager dans le temps ou dans l'espace lointain.

Les travaux de John Wheeler allait anticiper ceux de Stephen Hawking sur beaucoup de découvertes de ce dernier. En particulier, John Wheeler a imaginé que les trous noirs puissent se désintégrer comme le noyau d'un atome se désintègre par radioactivité, idée que Kip Thorne a rejetée mais qu'a reprise Stephen Hawking en démontrant l'existence du rayonnement des trous noirs.

À partir des années 1970, John Wheeler s'est beaucoup concentré sur les questions philosophiques que posait la physique quantique, au point que certains de ses collègues se demander s'il n'était pas devenu un peu fou. Mais en fait, pas du tout, car ses intuitions étaient très pertinentes et préfiguraient l'informatique quantique et la théorie des automates cellulaires. Résumant sa carrière scientifique, il a écrit dans un essai publié en 1998 : « Je crois que ma vie en physique se divise en trois périodes (…). J'ai d'abord cru que tout était fait de particules (...). Dans ma deuxième période que tout était fait de champs (…). Dans cette troisième, mon impression est que tout est fait d'information. ».

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Dans la biographie écrite le 15 avril 2008 pour Futura Sciences, le journaliste Laurent Sacco a cité deux réflexions intéressantes de John Wheeler que « la génération actuelle de chercheurs méditera certainement encore avec profit ».

La première : « Nous vivons encore dans l'enfance de l'espèce humaine, toutes les horizons que sont la biologie moléculaire, l'ADN, la cosmologie commencent juste à s'ouvrir. Nous sommes justes des enfants à la recherche de réponses et à mesure que s'étend l'île de la connaissance, grandissent aussi les rivages de notre ignorance. ».

La deuxième : « Sûrement un jour, on peut l'espérer, nous saisirons l'idée centrale derrière toute chose. Elle sera si simple, si belle, si convaincante que nous nous dirons alors "Oh, comment cela aurait-il pu être autrement ! Comment avons-nous fait pour rester aveugle aussi longtemps !" ».

On peut aussi rappeler son excellente définition du temps, brève et dense (à méditer) : « Le temps, c'est ce qui empêche tous les événements de l'Univers de se produire en une seule fois. ».

Et comprendre la complexité du monde par cette remarque écrite en 1998 : « En m'inspirant de mon livre antérieur "Gravitation", j'ai écrit : "L'espace-temps indique à la matière comment se déplacer ; la matière indique à l'espace-temps comment se courber". En d'autres termes, un peu de matière (ou de masse, ou d'énergie) se déplace selon les préceptes de l'espace-temps courbé là où il se trouve. …En même temps, ce peu de masse ou d'énergie contribue lui-même à la courbure de l'espace-temps partout. ».

Et celle-ci, écrite en 1973 : « L'homme, c'est le début de l'analyse, l'homme, c'est la fin de l'analyse ; parce que le monde physique est, en un sens profond, lié à l'être humain. ».

Enfin, en 1983, John Wheeler parlait de méthode : « S'il y a une chose en physique dont je me sens plus responsable que toute autre, c'est cette perception de la façon dont tout s'emboîte. J'aime penser que j'ai le sens du jugement. Je suis prêt à aller n'importe où, à parler à n'importe qui, à poser n'importe quelle question qui fera avancer les choses. J'avoue être optimiste sur les choses, surtout sur le fait de pouvoir un jour comprendre comment les choses s'articulent. Tant de jeunes sont obligés de se spécialiser dans une ligne ou une autre qu'un jeune ne peut pas se permettre d'essayer de couvrir ce front de mer, seulement un vieux brumeux [comme moi] peut se permettre de se ridiculiser. Si je ne le fais pas, qui le fera ? ».

Et aussi, en 1980 : « Ceux qui connaissent les physiciens et les alpinistes connaissent les traits qu'ils ont en commun : un esprit "rêve et conduite", une ténacité de bouledogue et une ouverture à essayer n'importe quelle voie vers le sommet. ». Espérons que la postérité sera juste avec les apports décisifs de John Wheeler dans la physique quantique...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (10 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Biographie de John Wheeler par Pierre Barthélémy au journal "Le Monde" du 19 avril 2008.
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.

Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.









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https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/john-wheeler-hommage-au-pere-de-la-247420

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26 décembre 2022 1 26 /12 /décembre /2022 04:12

« Dans les champs de l'observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés. » (Louis Pasteur, le 7 décembre 1854 à Douai).




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La France fête cette année l'un de ses très grands scientifiques, Louis Pasteur, né il y a exactement 200 ans, le 27 décembre 1822, à Dole, dans le Jura. Il fait partie de ceux qui, comme Marie Curie et bien d'autres savants, ont construit la réputation d'une France scientifique et moderne dont le dernier représentant est le physicien Alain Aspect, lauréat 2022 du Prix Nobel de Physique. En ces temps actuels où l'obscurantisme reprend vigueur, via le processus qui tourne en rond des réseaux sociaux sur Internet, il est bon de temps en temps de rappeler que la France est la patrie de la science et des Lumières, comme l'imaginaient d'ailleurs les révolutionnaires de la fin du XVIIIsiècle, même si ceux-ci ont pourtant guillotiné le grand chimiste Antoine Lavoisier.

Louis Pasteur est mort le 28 septembre 1895 à 72 ans, l'Assemblée vota des funérailles nationales qui eurent lieu le 5 octobre 1895 à la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, et, la famille ayant refusé le Panthéon et après un temps dans un caveau de Notre-Dame, il fut enterré le 27 décembre 1896 dans une crypte de l'Institut Pasteur. La République n'a jamais été rancunière avec lui, elle qui célébra ses 70 ans avec faste, alors le grand scientifique, lui, était bonapartiste.

Son existence s'est donc déroulée durant tout ce XIXsiècle dont la modernité a permis de très nombreux progrès en sciences. Il était un physicien, un chimiste, un biologiste, un découvreur dans le sens encore ancien du terme, savant en ce sens qu'il fallait être polyvalent en science pour savoir relier les différentes observations. En revanche, et c'est important de le signaler, il n'était pas médecin et il devait donc collaborer avec des médecins dès qu'il s'agissait de soigner des personnes.

Élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, il est devenu agrégé de chimie, puis a soutenu sa thèse de doctorat en sciences en 1847 (sur la chiralité moléculaire), fut ensuite nommé professeur dans différentes universités, d'abord à Dijon, puis à Strasbourg en 1848, puis doyen de la faculté des sciences de Lille en 1854 (qui venait d'être créée), puis, enfin, en 1857, il a rejoint son ancienne école, l'École normale supérieure, où il a créé son propre laboratoire, avant de créer le 14 novembre 1888 l'Institut Pasteur, par souscription. Il fut aussi professeur de géologie, de physique et de chimie à l'École des Beaux-arts en 1863 puis professeur de chimie à la Sorbonne de 1867 à 1875.

Parmi les nombreuses reconnaissances scientifiques qu'il a eues de son vivant, véritable légende de la science, on peut citer qu'il a été élu à l'Académie des sciences en 1862 à la section minéralogie (secrétaire perpétuel en 1887), à l'Académie de médecine le 25 mars 1873, à l'Académie vétérinaire le 11 décembre 1878, enfin, élu à l'Académie française le 8 décembre 1881 au fauteuil d'Émile Littré, reçu le 27 avril 1882 par Ernest Renan. Sans compter les sièges dans de très nombreuses académies étrangères, en particulier la Royal Society en 1869. Il faut dire aussi que son épouse Marie a beaucoup travaillé, du vivant de son mari et après sa mort, à parfaire la légende de Pasteur.

Proche de Napoléon III, Pasteur était peu apprécié de ses collègues à Normale Sup., milieu très républicain. L'empereur a même nommé Pasteur sénateur le 27 juillet 1870, mais le décret fut sans suite en raison de l'effondrement du Second Empire. Il tenta de se faire élire sénateur en 1876, mais sans succès. Victime d'un AVC qui le rendit hémiplégique temporairement vers 1865 (il a gardé des séquelles : il ne pouvait plus bouger sa main gauche et ses déplacements étaient pénibles), il refusait cependant d'interrompre ses études.

Je reviendrai sans doute ultérieurement pour apporter certaines précisions sur les recherches de Pasteur et ce qui suit est un résumé très succinct et pas exhaustif de quelques découvertes de Pasteur. Il a découvert le rôle de plusieurs bactéries, en particulier, il a découvert le staphylocoque. Dans les années 1870 et 1880, Pasteur était en compétition avec le médecin allemand Robert Koch, une concurrence qui a été très fructueuse tant pour l'Allemagne que pour la France et plus généralement pour l'humanité, par cette saine émulation scientifique.

La plus connue des découvertes de Pasteur est le vaccin contre la rage en 1885. La nouveauté de la technique, utilisée d'abord contre le choléra des poules en 1880 et contre la maladie du charbon, c'est de provoquer artificiellement l'atténuation d'une souche initialement très virulente et c'est le résultat de cette atténuation qui est utilisé comme vaccin. C'est dans la moelle épinière d'un lapin mort de rage qu'il a pu obtenir le virus atténué de la rage.

Ses deux premières vaccinations sur l'humain ont eu lieu le 5 mai 1885 et le 22 juin 1885, sans publication car dans le premier cas, les symptômes de la rage n'étaient pas clairement établis, et dans le deuxième cas, la jeune fille vaccinée était morte le lendemain de la vaccination, mais d'une autre cause. Ce qui fut très connu, c'est la venue d'un gamin alsacien de 9 ans, Joseph Meister, mordu quatorze fois deux jours auparavant par un chien fou qui a été abattu, et Pasteur l'a vacciné le 6 juillet 1885, contre l'avis de son assistant, le médecin Émile Roux : deux autres médecins avaient levé l'hésitation de Pasteur car le risque était fort que l'enfant fût atteint de rage (la rage ne s'était pas encore déclarée). Joseph Meister n'a pas développé la rage après ses inoculations. Mais malgré l'autopsie du chien, il n'y a eu aucune preuve que ce chien fût enragé. L'expérience pourrait conclure qu'il n'y avait pas de danger avec la vaccination, moins qu'il avait sauvé le garçon de la rage. Sans compter qu'il s'agit ici d'un seul cas (les essais cliniques, de nos jours, portent sur des dizaines de milliers de personnes).

Wikipédia cite ainsi deux propos pour réduire l'importance scientifique de cette première vaccination. Louis Pasteur lui-même expliquait très franchement : « Joseph Meister a donc échappé, non seulement à la rage que ses morsures auraient pu développer, mais à celle que je lui ai inoculée pour contrôle de l'immunité due au traitement, rage plus virulente que celle des rues. L'inoculation finale très virulente a encore l'avantage de limiter la durée des appréhensions qu'on peut avoir sur les suites des morsures. Si la rage pouvait éclater, elle se déclarerait plus vite par un virus plus virulent que par celui des morsures. ». En d'autres termes, ne sachant pas s'il avait développé la rage, le gamin s'est vu inoculer un peu plus tard par Pasteur... la rage elle-même, avec un virus encore plus virulent, pour conforter l'intérêt du vaccin. Chose complètement impensable aujourd'hui, à cause de risque de mettre en danger la vie de l'enfant uniquement à des fins d'études scientifiques ! Maxime Schwartz, le lointain successeur de Pasteur, alors directeur général de l'Institut Pasteur, confiait en 1996, dans une préface à une biographie rédigée par Bruno Latour : « Pasteur n'est pas perçu aujourd'hui comme il y a un siècle ou même il y a vingt ans. Le temps des hagiographies est révolu, les images d'Épinal font sourire, et les conditions dans lesquelles ont été expérimentés le vaccin contre la rage ou la sérothérapie antidiphtérique feraient frémir rétrospectivement nos modernes comités d'éthique. ».

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L'un des dadas de Pasteur fut de travailler sur la fermentation, et son arrivée dans le Nord lui a permis de nouer de fructueuses collaborations avec les fabricants de bière qui cherchaient un moyen de pouvoir conserver leur produit le plus longtemps. Pasteur fut à cet égard un précurseur des relations entre la recherche scientifique et l'industrie, ce qui, dans le siècle qui allait suivre, a permis de très nombreuses avancées technologiques et scientifiques dans de très nombreux domaines.

C'est aussi Napoléon III qui demanda à Pasteur, spécialiste de la fermentation et de la putréfaction, de traiter les maladies du vin qui coûtaient très cher à l'économie. Pasteur a décelé un micro-organisme qui en était à l'origine (une bactérie). Il s'est installé à Arbois, dans le Jura, pour étudier le phénomène. En 1866, dans son "Étude sur le vin", il a proposé un procédé de chauffage de 50°C à 100°C pour tuer les germes bactériens et conserver le vin, ce qu'on a appelé la pasteurisation, qui fut brevetée le 11 avril 1865. Ce procédé fut aussi utilisé pour la bière, et en 1886, il fut appliquer au lait, c'est encore ce principe qui est appliqué sur le lait UHT et sur certains jus de fruit. La détermination de la bonne température est essentielle puisqu'il faut qu'elle soit suffisamment élevée pour détruire toutes les bactéries mais suffisamment faible pour éviter de disloquer les molécules de l'aliment d'origine.

Au début de sa carrière, Pasteur a découvert en 1848 la dissymétrie moléculaire, qui montrait différentes formes géométriques d'une molécule composée des mêmes atomes mais avec un emplacement différent (forme lévogyre ou forme dextrogyre, dont la lumière polarise vers la gauche ou vers la droite). Il l'a décelée dans l'acide tartrique issu de la vinification, avec un problème jamais résolu, car parfois, l'acide avait une autre propriété et était pourtant composé de la même manière. Même si d'autres scientifiques travaillaient déjà dans ces domaines, il faut noter qu'à l'époque, on n'avait pas de spectrographie et que la notion d'atomes et de molécules a été vraiment acquise à la fin du siècle (au même titre que les lois sur l'hérédité ont été proposées avant la connaissance de l'existence des gènes).

Pasteur a aussi nourri le débat intellectuel sur la génération spontanée, qu'il a prouvée impossible après six ans de recherches à partir de 1859 (mais ses études étaient incomplètes et étaient critiquables). Étrangement, ce débat fut aussi l'occasion des premières polémiques avec Georges Clemenceau, jeune futur médecin, qui fustigeait Pasteur parce qu'il était catholique. En effet, dans sa thèse de doctorat en médecine, Clemenceau a pris parti en faveur de la génération spontanée. Dans son livre sur Clemenceau, Gérard Minart écrit ainsi en 2005 : « À partir de 1863, il donne la priorité à sa thèse de médecine qu'il présente en 1865. Elle porte comme titre : "De la génération des éléments anatomiques". Il s'y montre, comme son maître Charles Robin, ardent matérialiste et fervent défenseur, contre Pasteur, de la génération spontanée. Cette thèse sera publiée une première fois dès 1865 et une seconde fois, avec une introduction de Charles Robin, en 1867. Ce sera son premier livre. ». Pasteur a écrit au docteur Godelier en décembre 1876 sur la non-spontanéité des maladies contagieuses : « Sans avoir de parti pris dans ce difficile sujet, j'incline par la nature de mes études antérieures du côté de ceux qui prétendent que les maladies contagieuses ne sont jamais spontanées (…). Je vois avec satisfaction les médecins anglais qui ont étudié la fièvre typhoïde avec le plus de vigueur et de rigueur repousser d'une manière absolue la spontanéité de cette terrible maladie. ».

Une légende se construit toujours à l'école. Dans un livre très connu des écoliers et avec lequel j'ai eu la chance d'apprendre à lire alors qu'il n'était plus du tout au programme, Pasteur est un héros. En effet, "Le Tour de France par deux enfants" de G. Bruno (une institutrice), dont la première édition date de 1877, soit du vivant de Pasteur, s'est vu rajouter un épilogue daté du 31 décembre 1904 pour évoquer notamment les découvertes de Pasteur. L'un des personnages venant du Jura explique ainsi aux deux héros : « Aussi bon que savant, il encourageait ceux qui avaient le désir de s'instruire. Il a aidé mon fils Victor, qui travaillait ferme, à obtenir une bourse dans un lycée de Paris ; ce qui lui a permis de faire de bonnes études, d'arriver à être vétérinaire et d'entrer plus tard comme aide dans plusieurs Instituts Pasteur. (…) Les découvertes de Pasteur profitent non seulement à la France, mais au monde entier (…). Ses recherches ont tracé la voie où d'autres se sont engagées. (…) Chaque année, des milliers de vies humaines échappent ainsi à la mort, grâce aux travaux et aux découvertes de Pasteur et de ses élèves. Le grand homme n'est plus ; mais le bien qu'il a fait, loin de s'éteindre avec lui, va s'augmentant chaque jour. ». On ne peut être plus hagiographique.

De nos jours, sans retirer son immense mérite ni son génie, on accorde à Pasteur plus le rôle du passeur que du découvreur. Ainsi, l'épistémologue André Pichot affirmait en 1994 : « C'est là le mot-clé de ses travaux : ceux-ci ont toujours consisté à mettre de l'ordre, à quelque niveau que ce soit. Ils comportent assez peu d'éléments originaux ; mais, le plus souvent, ils partent d'une situation très confuse, et le génie de Pasteur a toujours été de trouver, dans cette confusion initiale, un fil conducteur qu'il a suivi avec constance, patience et application. ». Et il faut savoir que c'est le rôle de tous les scientifiques modernes : reprendre des travaux anciens et les amenaient à maturité à force d'intuition et d'approfondissement, au prix parfois d'une révolution scientifique.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (17 décembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.

Frank Drake.
Marie Curie.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221227-pasteur.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/le-bicentenaire-de-louis-pasteur-245610

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7 octobre 2022 5 07 /10 /octobre /2022 05:03

« S'il y a une chose que la science a compris, de la physique quantique à la biologie, c'est que nous sommes tous liés. L'idée que nous sommes séparés les uns des autres n'est qu'une illusion. Plus une civilisation est développée, plus elle comprend cette réalité fondamentale. » (José Rodrigues dos Santos, "Signe de vie", 2017).



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À l'annonce du Prix Nobel de Physique ce mard 4 octobre 2022, j'ai eu beaucoup d'émotion en apprenant que le physicien français Alain Aspect faisait partie des lauréats. L'annonce de ses deux autres colauréats John F. Clauser et Anton Zeilinger, dont il partage un tiers du prix, a fait aussi le même effet, car ce n'est pas sa nationalité qui est en cause (du reste, les médias français en ont peu parlé, malgré le cocorico français, nous en sommes à un rythme de 1 Nobel de Physique français tous les cinq ans depuis une vingtaine d'années), mais parce qu'une véritable révolution scientifique a été récompensée par le Comité Nobel : l'intrication quantique.

Cela faisait une quarantaine d'années qu'Alain Aspect était nobélisable, ainsi que les deux autres lauréats, et cette nouvelle a fait plaisir aussi à une de ses anciennes collègues, physicienne et ancienne présidente de l'Université Paris-Saclay, l'actuelle Ministre de la Recherche Sylvie Retailleau, qui rappelle à quel point l'Université Paris-Saclay est un pôle d'excellence mondiale (classée 9e au classement de Shanghai pour la physique). Alain Aspect, professeur de l'Institut d'Optique sur le Plateau de Saclay (à Palaiseau ; chaire d'Augustin Fresnel), professeur associé à l'École Normale Supérieure de Paris-Saclay et à l'École Polytechnique, est à la fois un grand chercheur, passionné par son sujet, et un grand pédagogue.

Son objectif, au début de sa carrière de physicien, était philosophiquement et historiquement très ambitieux : départager par une validation expérimentale qui, de Einstein ou de Bohr, avait raison dans son interprétation de la physique quantique. Pour Einstein, la physique quantique n'était pas satisfaisante par son indétermination et ses probabilités, considérait qu'elle était incomplète et espérait des "variables cachées". Le physicien britannique John Bell a proposé des inégalités théoriques pour imaginer une expérience pouvant confirmer ou infirmer l'existence de ces variables. Et Alain Aspect a voulu la réaliser.

À la matinale de France Inter le lendemain (5 octobre 2022), Alain Aspect, avec son accent sympathique du Sud-Ouest (il est né à Agen il y a 75 ans : il est le cas typique du provincial débarqué à Paris), a rappelé tous les obstacles sur sa route à la journaliste (profane) Léa Salamé : « Quand j'ai démarré cette expérience, en 1974-1975, la plupart des gens pensaient que ça n'avait aucun intérêt de faire ce genre d'expérience. Quand je suis allé voir John Bell pour lui demander ce qu'il pensait de mon expérience, il m'a demandé "est-ce que vous avez un poste stable ? (...) Parce que sinon, je vous déconseille fortement de faire cette expérience, ça nuira à votre carrière" ! ».

John Bell fut présent dans le jury de thèse de doctorat d'Alain Aspect, qu'il a soutenue le 1er février 1983 (on peut télécharger sa thèse ici). Claude Cohen-Tannoudji (futur Prix Nobel en 1997 avec Steven Chu et William D. Phillips pour le refroidissement d'atomes par laser) et Bernard d'Espagnat furent aussi membres du jury. Paradoxalement, John Bell qui fut l'un des grands contributeurs dans l'histoire de la physique quantique (avec ses inégalités qui datent de 1964), n'a jamais été récompensé par un Prix Nobel, peut-être parce qu'il est mort relativement jeune en 1990, à l'âge de 62 ans, d'un AVC.

La récompense des trois lauréats a du sens dans l'histoire des sciences : « Ce que nous avons démontré, c'est la réfutation d'inégalités. En faisant des mesures, on démontre que des inégalités qui représentaient la vision du monde d'Einstein, nous les violons. Donc, ça ne suit pas cette vision du monde d'Einstein. Alors, il y a eu l'expérience de John Clauser en 1972 qui a été la première, la pionnière. Il y a eu mon expérience de 1982 qui est une expérience beaucoup plus raffinée et qui montre de façon encore beaucoup plus frappante ces propriétés incroyables de la physique quantique, qu'on appelle la non-localité. Et puis Anton Zeilinger, lui, plutôt, il a mis en œuvre cette intrication pour démarrer certaines applications. ».

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De quoi s'agit-il concrètement ? J'avais tenté d'expliquer il y a cinq ans l'expérience d'Alain Aspect dans cet article. Pour le grand public, je reprends l'explication d'Alain Aspect lui-même sur France Inter : « Dans le monde classique, si vous avez deux objets qui sont loin l'un de l'autre, ils n'interagissent pas, la propriété de l'ensemble, c'est la somme des propriétés du premier et du second, il n'y a rien de plus. Quand vous avez une paire d'objets intriquée, eh bien, il y a davantage d'informations, si vous voulez, il y a plus de propriétés dans l'ensemble des deux, bien qu'ils soient éloignés et qu'ils n'interagissent pas. Alors, quand vous n'avez que deux, l'augmentation de l'information est limitée, mais si vous en avez trois, quatre, cinq, ça croît exponentiellement. ».

Ce qui est frappant, étrange, curieux, incroyable, et cela a été donc prouvé expérimentalement (et de manière renouvelée et répétée), c'est que deux particules intriquées à l'origine ne se comportent pas de la même manière, même lorsqu'elles sont séparées d'une très grande distance, que deux particules non intriquées. En d'autres termes, lorsqu'elles sont éloignées l'une de l'autre, soit elles ont conservé une "mémoire" de leur liaison d'origine, soit elles ont pu échanger des informations immédiatement, or, cette seconde hypothèse est impossible car cela signifierait que la vitesse de la lumière n'est plus un seuil limite (et remettre en cause ce seuil bouleverserait toute la science actuelle, physique quantique et relativité générale).

C'est donc une avancée de la science historique à laquelle a contribué Alain Aspect avec ses équipes, lui qui a formé des générations de chercheurs, et d'abord ses deux collaborateurs pour son expérience de 1982, Philippe Grangier et Jean Dalibard qui sont devenus de grands physiciens de la physique quantique
, ainsi que Gérard Roger avec qui il a conçu et réalisé le dispositif expérimental. Il s'agit de la seconde révolution quantique, et elle a son importance même dans la vie de tous les jours. En effet, ses applications sont très importantes dans l'informatique quantique et aussi dans la cryptographie quantique, avec des générateurs de nombres aléatoires par exemple. Certains (comme Anton Zeilinger) ont imaginé la téléportation quantique qui utiliserait aussi cette propriété absolument inouïe d'intrication quantique.

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Alain Aspect n'est pas seulement un physicien passionné par ses sujets, mais aussi par l'histoire des sciences elle-même. Il a relu tous les manuscrits d'Einstein et les commentaires pour des physiciens français avec beaucoup de fascination et même si son expérience a confirmé qu'Einstein avait eu tort, toute sa résistance contre l'interprétation de Copenhague de la physique quantique a été très constructive puisqu'elle a amené de nombreux chercheurs, dont Alain Aspect, à la perfectionner, à la préciser, et finalement, à mieux la décrire. Et au-delà d'enseigner ou d'apporter ses propres pierres à la connaissance, il souhaiterait que la science fasse partie de la culture générale de la société, ce qui n'est pas le cas en constatant avec regret : « Je suis ulcéré de voir certaines célébrités se vanter de ne rien comprendre aux sciences. Car les mêmes ne se vanteront pas de leur ignorance de la littérature ou de la peinture ! » (2005).

Intéressé par les applications de la physique quantique, Alain Aspect a cocréé Pasqal, une start-up qui travaille sur un ordinateur quantique fonctionnant avec des atomes non ionisés refroidis à quelques microkelvins. Ce refroidissement des atomes a été aussi l'un des sujets étudiés très profondément par Alain Aspect à partir de 1985 avec le groupe de refroidissement par laser de Claude Cohen-Tannoudji. Il a réussi à descendre au microkelvin : « Pour atteindre ce résultat, il a fallu mettre l'atome dans un état quantique où chaque atome est présent simultanément à plusieurs endroits, comme le photon dans l'interféromètre. ». Et à partir de 1992-1995, Alain Aspect s'est intéressé aux condensats de Bore-Einstein dont le développement pourrait apporter de nombreuses applications.

D'ailleurs, en 2005, il laissait entrevoir une certaine nostalgie d'avoir abandonné si vite le sujet de l'intrication quantique : « Au départ, les expériences sur l’intrication visaient à trancher un débat conceptuel qui semblait devoir se clore avec nos travaux. Aurais-je quitté si facilement les photons intriqués si j’avais anticipé les développements actuels ? Mais l’aventure des atomes froids était si belle... ». De plus, il ne croit pas, à l'instar de Pierre-Gille de Gennes, à l'intérêt pour un scientifique de rester dans le même domaine trop longtemps, il n'est plus en capacité d'avoir de nouvelles idées originales et le changement lui permet d'apporter son talent sur d'autres sujets, à la manière de Candide. Félicitations, professor Alain Aspect !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 octobre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Portrait assez complet d'Alain Aspect par le Journal du CNRS en 2005.
Télécharger la thèse d'Alain Aspect soutenue le 1er février 1983.

L'expérience d'Alain Aspect.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.

Frank Drake.
Marie Curie.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221004-alain-aspect.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/alain-aspect-l-intrication-244169

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8 août 2022 1 08 /08 /août /2022 05:28

« On ne sait jamais vraiment quand on perd son temps ! » (Roger Penrose, 1973).



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C’est le principe de la recherche, on ne sait pas ce qui va advenir d’une pensée. Parfois, des observations dérisoires peuvent effectivement être à l’origine de grandes découvertes. C’est l’essentiel du scientifique : être une bon observateur et avoir de l’imagination. Or, ces deux qualités ne fonctionnent pas 35 heures par semaine, mais bien 24 heures sur 24, on n’arrête jamais un penseur de penser !

L’astrophysicien et mathématicien britannique Roger Penrose fête son 91e anniversaire ce lundi 8 août 2022. Ce spécialiste de physique théorique est très connu pour avoir beaucoup travaillé avec le physicien Stephen Hawking sur les trous noirs notamment.

Alors qu’on considérait que Stephen Hawking ne pourrait jamais avoir de Nobel car ce prix récompense des découvertes qui ont une incidence sur la vie quotidienne des gens, et a fortiori, on pouvait aussi le penser pour Roger Penrose, ce dernier a quand même eu la consécration, certes tardive, de ses travaux par l’obtention du Prix Nobel de Physique le 6 octobre 2020. À cause du covid-19, il n’y a pas eu de réception officielle en 2020, mais il a fait une lecture pour le Nobel le 8 décembre 2020 et a reçu la médaille des mains de l’ambassadeur de Suède au Royaume-Uni dans la résidence de celui-ci à Londres.

Roger Penrose a ainsi été récompensé par l’Académie royale des sciences de Suède « for the discovery that black hole formation is a robust prediction of the general theory of relativity » [pour la découverte que la formation des trous noirs était une prédiction solide de la théorie de la relativité générale].

Effectivement, le principal travail de Roger Penrose a été de faire en 1965 de la modélisation mathématique pour prouver que la théorie de la relativité générale, énoncée par Albert Einstein, avait pour conséquence l’existence de trous noirs. Un trou noir, c’est un objet cosmique qui a une telle densité en masse que la gravitation y est très forte, si forte que même les rayons de lumière ne peuvent s’y échapper (d’où le nom, en anglais "black hole", mais je trouve que l’expression prête à confusion car ce n’est pas un trou, ce serait plutôt un trop-plein).

En fait, Roger Penrose a partagé son Prix Nobel à moitié (50%, pas un tiers) avec deux autres physiciens, l’Allemand Reinhard Genzel et l’Américaine Andrea Ghez, ces deux derniers pour la découverte d’un trou noir massif au centre de la Voie lactée (Sagittarius A*), à 27 000 années-lumière de chez nous. La présence de ce trou noir massif, qui correspondrait à 4 millions de notre Soleil, explique la vitesse très élevée des étoiles à cet endroit de notre galaxie et son aspect général d’une spirale tourbillonnante.

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Au contraire des trous noirs "classiques" que la théorie avait prédit avant leur observation, notamment grâce aux travaux de Roger Penrose à partir de ceux d’Einstein, les trous noirs supermassifs n’étaient pas envisagés avant leurs observations par les astronomes. C’est pourquoi le Prix Nobel de 2020 a récompensé les deux composantes habituelles, complémentaires, très différentes de la science, la théorie qu’on valide ensuite par l’observation, et l’observation qu’on explique ensuite par la théorie.

Le trou noir était une idée conçue dès 1783 par John Michell, un physicien de Cambridge (où ont travaillé plus tard Stephen Hawking et Roger Penrose pour sa thèse sur le calcul tensoriel en géométrie algébrique en 1958), qui se demandait si un objet pouvait être suffisamment massif pour que sa gravitation empêche la lumière de quitter l’astre. Puisqu’on savait déjà à l’époque qu’il fallait une vitesse particulière pour pouvoir quitter un astre et sa gravité, l’astronome se demandait ce qui se passerait-il si la vitesse de libération était supérieure à la vitesse de la lumière.

Einstein a émis l’idée en 1915, dans sa théorie de la relativité générale, que de tels astres pourraient être des étoiles qui s’effondreraient sur elles-mêmes jusqu’à n’être qu’un point au volume nul et à la densité infinie, et donc, à la gravité infinie, ce qu’on appellerait une "singularité gravitationnelle". Mais il n’y croyait pas vraiment et l’existence de trous noirs a été sujet à caution dans la "communauté scientifique" jusqu’aux travaux de Stephen Hawking et Roger Penrose. Hawking a notamment démontré qu’il existait, malgré la forte gravité, un rayonnement qui s’échappait du trou noir, appelé Hawking radiation. En outre, il était quand même possible d’absorber de l’énergie du trou noir grâce à son moment cinétique.

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Pour les observer, les trous noirs étant par définition invisibles, c’est leur entourage qu’il faut apprécier, les déviations de la lumière qui est gobée par le trou noir. Einstein a ainsi montré par image qu’un trou noir pouvait être une sorte de puits dans une nappe homogène, comme une boule de pétanque qui enfoncerait la surface d’un drap vers le bas à cause de la gravité, et cette déformation du drap (assimilé à l’espace-temps) montre que le trou attire naturellement tout ce qui passe au voisinage. Par ailleurs, lorsqu’on s’approcherait d’un trou noir, si jamais il était possible de le faire, évidemment, on constaterait que le temps deviendrait de plus en plus lent jusqu’à s’arrêter à l’horizon des événements, tandis qu’au-delà du voisinage, le temps est toujours aussi rapide.

En 1969, Roger Penrose a aussi proposé la conjecture dite de la "censure cosmique" (jolie expression) selon laquelle il n’existerait pas de "singularité nue", c’est-à-dire d’espace qui soit à la fois visible et dont la lumière ne peut pas échapper …à l’exception du Big Bang. Pour Roger Penrose, les trous noirs sont à la base du second principe de la thermodynamique, comme il le précisait le 6 octobre 2020 à un responsable du Comité Nobel : « Ils sont en fait, voyez-vous, l’entropie dans l’univers, ou le caractère aléatoire si vous préférez, qui augmente avec le temps, et vous pourriez vous demander où se trouve la plus grande partie de l’entropie dans l’univers maintenant. Eh bien, de loin, avec un facteur absolument énorme, c’est dans les trous noirs. Et puis, où ça va ? Eh bien, Hawking nous dit que dans un avenir lointain, ces trous noirs s’évaporeront. ». Quand exactement ? Selon Hawking, dans 10 puissance 103 années (1 suivi de 103 zéros). On a encore le temps !

Interviewé sur CNews le 9 octobre 2020, Roger Penrose complétait : « Le Big Bang n’est pas le commencement. Il y avait quelque chose avant le Big Bang et ce quelque chose est précisément ce qui nous attend dans le futur. (…) Nous avons un univers qui se développe et se développe, et selon cette folle théorie qui est la mienne, dans un avenir lointain, toute cette masse finira par se désintégrer en un nouveau Big Bang donnant naissance à de nouveaux temps infinis. ».

Ce sont bien sûr des notions vertigineuses, qu’il est difficile de bien appréhender dans notre condition minuscule de petits Terriens sur une petite planète tournant autour d’une petite étoile qui anime un petit système solaire en banlieue périphérique d’une petite galaxie… Néanmoins, le génie humain est là, non seulement capable de réfléchir et d’arriver à des résultats théoriques intéressants mais aussi capable de fabriquer des instruments très sophistiqués, dont le dernier en date, mis en route très récemment, le télescope spatial James-Webb, promet de très belles découvertes à venir (premières images prises le 7 juin 2022 et diffusée par la NASA le 11 juillet 2022). Cet outil d’observation, de plus en plus puissant et de plus en plu précis, va nous permettre de voir en direct le Big Bang.

Roger Penrose a eu de très nombreuses récompenses avant le Nobel, en particulier le Prix Wolf en physique en 1988 avec Stephen Hawking, le Prix Dirac en 1989 et la Médaille Albert-Einstein en 1990.

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Au-delà de ses travaux sur les trous noirs, Roger Penrose a beaucoup joué avec la géométrie. En particulier, inspiré par les travaux de l’artiste suédois Oscar Reutersvärd, il a conçu en 1958 le triangle de Penrose, une tripoutre impossible à réaliser en trois dimensions à cause d’un paradoxe de perspective. Inspiré par Robert Berger, il a aussi conçu en 1974 les pavages de Penrose, qui sont un motif recouvrant tout un plan mais sans être périodique. Ces pavages non symétriques sont conçus par des règles telles qu’on les a utilisé comme modèles géométriques pour les quasi-cristaux (qui sont de pseudo-symétrie 5). Ces deux éléments géométriques, tripoutre et pavages, ont été beaucoup utilisés par le dessinateur MC Escher dans la composition de ses œuvres "impossibles".

Quand on manie autant de concepts théoriques, encore que lorsqu’il imagine les trous noirs, en quatre dimensions, Roger Penrose voit la géométrie avant d’y voir les équations, on ne peut pas rester insensible à la philosophie, on ne peut pas résister à la tentation de spéculer sur l’humain, le monde, l’univers alors qu’on tente une théorie du tout. C’est en cela que le cosmologue théoricien est également un grand philosophe et, pourquoi pas, également un grand poète.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 août 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Albert Einstein.
Roger Penrose.
La mort de l’horloge parlante.
Yves Coppens.
Cédric Villani.
Pierre-Gilles de Gennes.
Pierre Teilhard de Chardin.
Luc Montagnier.
La Science, la Recherche et le Doute.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Klim Tchourioumov.
L’exploit de Blue Origin, la fabrique du tourisme spatial écolo-compatible.
John Glenn.
Michael Collins.
Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
SpaceX en 2020.
Thomas Pesquet.
60 ans après Vostok 1.
Youri Gagarine.
Spoutnik.
Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
André Brahic.
Les petits humanoïdes de Roswell…
Evry Schatzman.
Le plan quantique en France.
Apocalypse à la Toussaint ?
Le syndrome de Hiroshima.
L’émotion primordiale du premier pas sur la Lune.
Stephen Hawking, Dieu et les quarks.
Les 60 ans de la NASA.
La relativité générale.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Bill Gates.
Benoît Mandelbrot.
Roland Omnès.
Marie Curie.










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https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/roger-penrose-le-mathematicien-des-243077

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23 juin 2022 4 23 /06 /juin /2022 04:37

« Cela fait trois millions d‘années que nous sommes libres. Trois millions d’années que nous avons la responsabilité de notre liberté : cela nous donne droit au bonheur et à l’espoir. » (Yves Coppens, le 28 octobre 2021 sur le site de RTE France).




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Le paléontologue français Yves Coppens est mort ce mercredi 22 juin 2022 à l’âge de 87 ans (il est né le 9 août 1934 à Vannes). Homme de science mais aussi homme des médias, il était très connu pour ses nombreux livres, conférences et émissions expliquant sa passion, la paléontologie et la paléoanthropologie. La plupart des scientifiques sont peu connus parce qu’ils ne communiquent pas au grand public, souvent ils préfèrent parler à leurs collègues ou futurs collègues (c’est-à-dire aux étudiants). Ce n’était pas le cas d’Yves Coppens par ailleurs multirécompensé dans le monde des sciences et entre autres, professeur au Collège de France de 1983 à 2005 à chaire de paléontologie et préhistoire, membre de nombreuses académies scientifiques, y compris au Vatican, mais pas de l’Académie française où il avait tenté en vain sa chance en 1998. Vanité du scientifique ?

À l’annonce de sa disparition, Bruno Maureille, chercheur au CNRS, a témoigné avec émotion : « Les sciences préhistoriques et plus globalement les sciences du passé, de la paléoanthropologie aux recherches sur les paléoenvironnements très anciens africains, viennent certainement de perdre leur meilleur ambassadeur français. Sa passion pour la transmission des savoirs lui permettait d’intéresser tous les publics, des plus petits aux plus âgés de nos aînés et que cela soit lors d’une conférence grand public, à la radio ou à la télévision. Sa voix était reconnue de tous, ou presque. ». C’est parce que Yves Coppens poussait les jeunes chercheurs que Bruno Maureille a pu présenter (pour la première fois) ses travaux au prestigieux Collège de France le 8 novembre 1994. Pédagogue, il était aussi découvreur de talents. Affecté par la disparition de toutes les personnalités qui ont fait rayonner la France, l’Élysée a communiqué notamment : « Le Président de la République salue le parcours de ce pionnier, scandé d’inestimables découvertes qui permirent à la paléontologie française d’éclairer d’une lumière nouvelle les origines de l’humanité tout entière. ».

L’avantage d’être un homme de science communicant est de pouvoir transmettre à des "profanes" les passions et les enjeux scientifiques, vulgariser les choses établies, mais aussi promouvoir des théories, des suppositions, des raisonnements, des hypothèses pas encore vérifiées ou encore infirmées par la suite, originales ou acquises par cette impalpable "communauté scientifique". Sur le plan des hypothèses, Yves Coppens en a imaginé beaucoup, parfois en était revenu, bref, il réfléchissait à voix haute et, comme tout le monde, pouvait être dans l’erreur.

Yves Coppens a au moins donné la passion à de nombreuses personnes non scientifiques sur un sujet très compliqué qui tente de répondre à cette question impossible : d’où venons-nous ? Et par-dessus le marché, il a même tenté la question : où allons-nous ? qui n’est finalement qu’un corollaire de la première question. En 2020, il reprenait ce questionnement dans son dernier livre "Le savant, le fossile et le prince" (éd. Odile Jacob) : « Il est en outre facile de comprendre que tout fossile pose les questions scientifiques et philosophiques fondamentales de l’histoire de la Terre et de celle de la Vie et, qui plus est, de l’origine et de l’évolution de l’Homme, questions auxquelles personne n’est vraiment tout à fait indifférent. ».

Au fil des découvertes (quelques os par-ci par-là), on a cru à une lignée simple où l’homo sapiens suivait l’australopithèque (concrètement, c’était ce que j’avais appris en classe et j’ai été profondément traumatisé de voir un savoir scolaire remis en cause aussi magistralement !). En fait, c’est bien plus compliqué, et chaque fossile retrouvé amène de la surprise et de la complexité. Il y a eu plein de branches d’hominidés à certaines époques, beaucoup de "tentatives humaines" qui n’ont pas abouti.

D’un père physicien à Nancy (professeur à l’INPL), Yves Coppens fut rapidement passionné par la paléontologie et par les fouilles archéologiques. Après une thèse de doctorat sur les proboscidiens à la Sorbonne, il commença ses travaux de recherches en 1956 au CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle et a collaboré avec des géologues qui ont trouvé des fossiles. À partir de années 1960, il a fait beaucoup d’expéditions en Afrique, en particulier au Tchad, au Kenya, en Éthiopie, au Sénégal, en Mauritanie, etc.

Au cours de ces expéditions, toujours collectives, il a fait quelques découvertes. La plus connue est un fossile à moitié complet d’Australopithecus afarensis dans la valléede l’Awash à Hadar, en Éthiopie, le 30 novembre 1974. Ce fut une codécouverte dans une grande expédition dirigée par lui mais aussi par le paléoanthropologue américain Donald Johanson, le géologue français Maurice Taieb et paléontologue français Claude Guillemot.

Du nom de Lucy (à cause d’une chanson des Beatles), c’est l’un des fossiles les plus complets trouvés au monde avec 52 fragments d’os (sur 206). Au fil des années d’analyse, il a été établi que c’était un primate femelle de 1 mètre 10 mort à l’âge de 25 ans possiblement d’une chute d’une douzaine de mètres. Ce qui est remarquable, c’est que Lucy date de 3,18 millions d’années et… marchait sur ses deux jambes (bien que le dos fût encore courbé). La bipédie n’était donc pas réservée aux seuls homo sapiens qui, eux, sont apparus seulement il y a 300 000 ans. Loin d’être notre grand-mère, elle est plutôt une cousine éloignée dans une branche parallèle aux homo sapiens.

Auparavant, en 1967, il a codécouvert un fossile de Paranthropus aethiopicus dans la vallée de l’Omo en Éthiopie. Yves Coppens pouvait se permettre de mimer Shakespeare en regardant un crâne d’australopithèque et se poser la question : naître ou ne pas naître ?

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Comment et pourquoi les primates sont-ils parvenus à se mouvoir sur deux seules jambes. Yves Coppens a tenté de proposer une théorie de l’évolution par l’environnement et considérait plus importants les facteurs culturels que les facteurs biologiques.

Dans son livre "Aux origines de l’humanité" (éd. Fayard) sorti en 2001, le paléontologue livrait quelques réflexions sur les bipèdes : « Le cerveau exige une régulation thermique très stricte ; chez un bipède parcourant la savane, la boîte crânienne est particulièrement exposée aux rayons solaires. Cette situation exige des solutions originales chez les mammifères, le poil sert à protéger des rayons solaires, tandis que l’halètement provoque une forte évacuation au niveau des muqueuses buccales. L’homme se distingue par la transpiration : seule la tête et les épaules sont durement exposées. Cela explique sûrement pourquoi la pilosité fut conservée autour de notre cerveau, alors que le développement de glandes sudoripares l’a ailleurs remplacée. De plus, la fin de l’halètement induit une respiration contrôlée, permettant un langage articulé. ».

Yves Coppens a pris part aussi aux débats sur l’origine de l’homo sapiens (l’homme moderne), considéré très majoritairement comme issu de l’Afrique il y a 300 000 ans et se déplaçant vers les autres continents il y a 100 000 à 60 000 ans. Yves Coppens toutefois croyait plutôt à une apparition sur plusieurs continents en parallèle mais là encore avec des branches parallèles aboutissant à l’homme de Neandertal), sans exclure un mélange entre les homo des lieux et l’homo sapiens arrivant.

C’est une discipline très analytique où le moindre fossile pourrait faire changer complètement une théorie. Parce qu’il communiquait beaucoup avec le grand public, Yves Coppens a su faire passer cette exaltante recherche auprès de nombreux Français.

Son rival français est le paléontologue Michel Brunet qui, lui, a codécouvert au Tchad en 1995 un fragment de l’australopithèque Abel, daté de 3,6 millions d’années, puis, toujours au Tchad, le19 juillet 2001, le crâne de Toumaï, encore une nouvelle espèce, daté de 7 millions d’années, la plus ancienne espèce d’hominine découverte à ce jour. Chaque nouveau fossile remet en cause les analyses des précédents.

Je propose cette vidéo d’un débat entre Yves Coppens et Michel Brunet à Poitiers où travaille Michel Brunet, ainsi que, plus loin, une vidéo d’une des nombreuses conférences d’Yves Coppens.





Malgré son grand âge, Yves Coppens restait toujours présent dans les médias et à l’affût de l’actualité. Le site de RTE France (Réseau de transport d’électricité) l’a interrogé le 28 octobre 2021 alors que la pandémie de covid-19 sévissait depuis un an et demi. Voici quelques extraits intéressants.

Les mutations du virus : « Un virus, c’est avant toute chose un petit être qui vit, comme les autres, avec l’obsession de survivre. Les virus mutent comme nous l’avons fait et ne cessons de le faire nous-mêmes. Mais ces organismes, à la vie plus courte, mutent plus vite. Et comme pour survivre, les virus doivent de mieux en mieux s’adapter, ils vont plus volontiers retenir, par sélection naturelle, les mutations qui leur sont le plus favorables, celles qui leur permettent par exemple de se transmettre plus vite. Ainsi, les "variants" qui réussissent sont ceux qui sont les plus contagieux. ».

Les vaccins : « L’homme est fascinant par sa faculté à trouver des solutions à ses malheurs. Face au coronavirus, il n’a pas seulement réussi à fabriquer un mais plusieurs types de vaccins (…). Cette réponse rapide à la situation pandémique est à la gloire de l’humanité… ».

Le réchauffement climatique : « L’humanité est suffisamment géniale pour trouver d’autres solutions que celle de ne plus circuler dans Paris… (…) Nous avons du coup mieux pris conscience des limites de la Terre et c’est un premier pas vers une réflexion en toute connaissance de cause. (…) L’humanité est magique, intelligente, et elle ne va pas se laisser avoir, même si elle réagit souvent au dernier moment. Avec nos milliards de cerveaux, on a d’autant plus de "forces vives" pour réfléchir, résoudre et agir. Et puis l’humanité va aussi aller s’installer sur d’autres planètes et décharger un petit peu la Terre. Cela m’intéresse d’ailleurs beaucoup car la séparation, par exemple, entre "terriens" et "martiens" entraînera une dérive génétique. Les descendants des deux populations ne seront plus les mêmes ; quand on retournera voir nos cousins martiens, on sera surpris de voir "la tête" qu’ils auront acquise et, du coup, "la tête" qu’ils feront en revoyant la nôtre ! ».

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Dans son livre "Évolution" (éd. Carnets nord) sorti le 25 octobre 2017, le sage Coppens a écrit, un brin malicieux voire excité : « L’homme de Neandertal était petit, râblé, puissant. On le voit bien meilleur boxeur et catcheur, quand l’homo sapiens était certainement plus fort à la course à pied. Ce serait drôle de voir leurs différentes qualités sportives si nous les mettions tous les deux sur un stade !: ». Cette idée de compétition sportive entre les espèces humaines est à la fois effrayante et passionnante. Mais la question ne se pose plus, il ne reste à ce jour qu’une seule espèce humaine, la nôtre : « Nous sommes tous des Africains, nés il y a trois millions d’années, cela devrait nous inciter à la fraternité ! ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 juin 2022)
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Pour aller plus loin :
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L’exploit de Blue Origin, la fabrique du tourisme spatial écolo-compatible.
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Atterrissage de la navette Atlantis le 21 juillet 2011.
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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 03:46

« Le vrai point d’honneur n’est pas d’être toujours dans le vrai. Il est d’oser, de proposer des idées neuves, et ensuite de les vérifier. » (Pierre-Gilles de Gennes).




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Le physicien français Pierre-Gilles de Gennes est mort à Orsay il y a juste quinze ans, le 18 mai 2007 des suites d’un cancer, à l’âge de 74 ans (il est né à Paris le 24 octobre 1932). C’est l’occasion de revenir sur cette personnalité hors du commun que certains de ses collègues ont appelé le "Newton de notre temps" (ce que sa modestie avait réfuté catégoriquement en parlant de « l’expression du lyrisme nordique »). Il est du reste, comme Pierre Curie, un descendant direct du grand physicien (et mathématicien) Johann Bernoulli (attention, un seul i !) dont le fils Daniel est bien connu pour ses équations de mécaflotte. Pierre-Gilles de Gennes fut marqué par des physiciens comme Yves Rocard (père de Michel Rocard), Pierre Aigrain, Giuseppe Occhialini, Alfred Kastler, etc.

Lorsque le 16 octobre 1991, l’Académie royale des sciences de Suède a attribué le Prix Nobel de Physique à Pierre-Gilles de Gennes, la plupart des journalistes et a fortiori le grand public ne connaissaient ni son nom ni ses travaux ni même parfois le nom des disciplines scientifiques dans lesquelles il travaillait. C’est toujours comme cela : nous sommes l’une des nations les plus scientifiques et en même temps, l’une où l’esprit scientifique est le moins développé. Il suffit de voir la transmission d’informations scientifiques par les journalistes généralistes pour voir le gap de culture et de connaissances. La crise du covid-19 en a d’ailleurs apporté un aperçu aux conséquences parfois graves (la vie de patients était en jeu).

Et donc, en France, le Prix Nobel, qui est une valeur sûre, un argument d’autorité indéniable pour le grand public et les médias, est essentiel pour les scientifiques pour faire connaître leurs travaux, les vulgariser (aussi trouver des financements), puisque le Palais de la Découverte, la Cité des Sciences et d’autres initiatives ne sont pas suffisants. Pour un scientifique de science dure (même s’il joue avec la "matière molle" !), c’est un accélérateur de notoriété.

Ainsi, Pierre-Gilles de Gennes est devenu du jour au lendemain une star, invité de tous les médias mais aussi de tous les établissements scolaires et universitaires. Il en a visité de nombreux pour faire des exposés, répondre aux questions, donner envie de faire de la science, etc. au point qu’après sa mort, plusieurs d’entre eux portent désormais son nom. Sa non-notoriété d’avant-Prix Nobel était plutôt injuste car il avait élu membre de l’Académie des sciences dès 1979 et reçu la Médaille d’or du CNRS dès 1980, qui est souvent l’antichambre du Prix Nobel (la Médaille d’or du CNRS me paraît être la récompense la plus prestigieuse obtenue en France, hors Nobel et Médaille Fields).

Le hasard a fait d’ailleurs que l’année suivante, en octobre 1992, un autre physicien français Georges Charpak a aussi obtenu le Prix Nobel de Physique, ce qui a fait que la physique était relativement célébrée par des médias généralistes à l’origine assez imperméables aux sciences dures.

Revenons à Pierre-Gilles de Gennes. Normalien, agrégé de physique, avec un doctorat préparé au CEA sur la physique des solides, il a eu une carrière scientifique prestigieuse, travaillant à Orsay puis à Paris et aussi à l’étranger (en particulier à Berkeley, en Californie). Professeur du Collège de France dès 1971 (il avait 38 ans) à la chaire de la matière condensée (c’est-à-dire solide ou liquide), il a surtout marqué de son empreinte "Physique Chimie" (PC), l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI Paris), qu’il a dirigée de 1976 à 2002, et dont il a sensiblement modifié les méthodes d’enseignement et de recherches (mettant en avant les procédés expérimentaux et aussi la biologie). Marie Curie a découvert le radium à Physique Chimie. Pierre-Gilles de Gennes a arrêté ses cours au Collège de France en 2004.

L’intérêt pour la biologie dans la physique n’était d’ailleurs pas nouveau pour lui puisqu’il avait fait une "prépa" qui intégrait la biologie, ce qui était rare chez les candidats aux concours des grandes écoles. Le Prix Nobel l’a d’ailleurs conforté tant dans ses travaux de recherches que dans ses responsabilités universitaires (dans les financements des programmes). Après l’ESPCI, il a travaillé à l’Institut Curie où il s’est surtout penché sur la biologie et les neurosciences.

Quand on regarde les disciplines abordées par Pierre-Gilles de Gennes au cours de toute sa carrière, on s’étonne de leur grand nombre. Il était un touche-à-tout génial et théorisait même l’idée qu’il fallait changer de domaine après un certain nombre d’années, car au bout d’un moment, on en a fait le tour et qu’on réagit plus par réflexe que comme candide. Or, l’œil du candide est nécessaire pour trouver d’autres angles de recherches, d’autres perspectives, d’autres idées, d’autres pistes pour aborder les problèmes.

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Il a d’abord commencé par le magnétisme, une discipline très rigoureuse. Certains de mes anciens collègues grenoblois m’expliquaient que dans son jeune âge, Pierre-Gilles de Gennes ne croyait pas du tout en l’avenir des supraconducteurs (sur lesquels il avait travaillé en début de carrière), notamment parce que la température critique était bien trop faible (au niveau de l’hélium liquide, trop coûteux pour généraliser). Ils me l’avaient dit à l’époque où la supraconductivité était à la mode (dans les années 1990), car on en avait découvert à haute température critique (de l’ordre de l’azote liquide, là, cela devenait industriellement abordable). Mais l’histoire a finalement montré que l’optique quantique l’a emporté et aujourd’hui, les fibres optiques, la photonique, sont plus à l’ordre du jour que les supraconducteurs (on a trouvé un supraconducteur à la température ambiante en 2020, mais sous une pression équivalente à celle se trouvant au centre de la Terre !). On peut donc, dans une intuition, avoir tort ou raison selon des époques données. La fusion nucléaire non plus, il n’y croyait pas comme production contrôlée d’énergie (il a souvent critiqué le projet ITER).

Une très courte parenthèse : Pierre-Gilles de Gennes revendiquait l’idée de se tromper (beaucoup). Mais dans le flot des idées originales, certaines peuvent déboucher sur des découvertes réelles (lire la citation en début d’article).

Pierre-Gilles de Gennes s’est occupé de l’ordre dans la matière pour des systèmes complexes. Il a ainsi décrit les phénomènes dans des dipôles magnétiques ainsi que les transitions de phases magnétiques (par exemple, au-delà de la température de Curie, les matériaux ferromagnétiques, c’est-à-dire, aimants, deviennent paramagnétiques). Il expliquait la transition de phase comme un « basculement d’opinion » (ce qui est très original comme analogie mais très bien vu).

Cela lui a permis de proposer des nouvelles applications pour les cristaux liquides qui furent l’une de ses expertises. Les cristaux liquides ont eu effectivement des applications très importantes à partir des années 1960 pour l’affichage des calculatrices, des montres, etc. Les molécules sont arrangées selon l’application d’un faible champ électrique ou magnétique. Ils mobilisent peu d’espace et peu d’énergie. Les cristaux liquides ont remplacé très rapidement les gros afficheurs peu commodes des années 1950-1960. Pierre-Gilles de Gennes a pu définir de nombreuses phases dans lesquelles le matériau s’écoule comme un liquide, ou alors comme dans du savon, en deux dimensions, en couches parallèles, etc. Il fut l’auteur d’un livre référence sur le sujet, la bible des cristaux liquides : "The Physics of Liquiq Crystals" (sorti en 1974).

Il a ensuite poursuivi dans une branche très différente de la physique du solide, du moins en apparence, les polymères (les "matériaux plastiques"). Or, il a réussi à décrire des transitions de phase (ordre vers désordre) avec le même modèle mathématique quels que ce soient les matériaux, des cristaux liquides, des polymères, des aimants, des supraconducteurs. Cette généralisation mathématique était assez bluffante, alors que ses prédécesseurs s’étaient gardés de trop explorer dans ces contrées complexes.

Avec les polymères, Pierre-Gilles de Gennes a complètement changé de domaine et surtout, de point de vue. Il a abordé les polymères sous l’œil du "magnéticien" ! Il a utilisé des techniques de calcul de physique des particules pour la  dynamique des polymères, en reprenant le principe des transitions de phases. Mettre en équation l’écoulement d’un tas de sable n’est pas si évident que cela (la matière est simple, la description mathématique est très compliquée), et c’était sur ce genre de problématique que travaillait Pierre-Gilles de Gennes. Ou encore sur les gels, les milieux poreux, sur les colles et le phénomène d’adhésion entre deux surfaces, bref, tout ce qu’on a appelé plus tard la "matière molle". L’un de ses livres références sur le sujet est "Scaling Concepts in Polymer Physics" (sorti en 1979) qui lui a valu sa notoriété scientifique (à défaut du grand public).

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Bien que sa modestie en souffrît, certains jurés du Nobel l’ont appelé le Newton. Dans le communiqué annonçant son Nobel, on justifiait le titre ainsi : « Pierre-Gilles de Gennes has by some judges been called "the Isaac Newton of our time". The reason for this hyghly appreciative epithet is probably that De Gennes has succeeded in perceiving common features in order phenomena in very widely differing physical systems, and has been able to formulate rules for how such systems move from order to disorder. Some of the systems De Gennes has treated have been so complicated that few physicists had earlier thought it possible to incorporate them at all in a general physical description. Physicists often take pride in dealing with systems that are as simple and "pure" as possible, but De Gennes’ work has shown that even "untidy" physical systems can successfully be described in general terms. In this way he has opened new fields in physics and stimulated a great deal of theoretical and experimental work in these fields. ».

J’ai préféré mettre le texte d’origine en anglais car on ne qualifie pas sérieusement un chercheur de Newton des temps modernes sans en donner rigoureusement la justification. Cet extrait peut être traduit en français ainsi : « Pierre-Gilles de Gennes a été appelé "l’Isaac Newton de notre temps". La raison de cette épithète très flatteuse est probablement que De Gennes a réussi à saisir des caractères communs dans les phénomènes d’ordre dans des systèmes physiques très différents, et a été capable de formuler des règles sur la façon dont ces systèmes passe de l’ordre au désordre. Certains de ces systèmes que De Gennes a traités ont été si compliqués que peu de physiciens avaient auparavant pensé qu’il était possible de les inclure dans une description physique générale. Les physiciens sont souvent fiers de traiter de systèmes aussi simples et élémentaires ("purs") que possible, mais les travaux de De Gennes ont montré que même des systèmes physiques "désordonnés" (compliqués) pouvaient être décrits avec succès de manière générale. Ainsi, il a ouvert de nouveaux horizons en physique et a favorisé un grand nombre de travaux théorique et expérimentaux dans ces domaines. ».

La question que certains se posaient a été : qu’a fait Pierre-Gilles de Gennes du montant de son Prix Nobel ? À ma connaissance, il l’a réinjecté dans ses activités de recherches et de pédagogie, mais aussi, il en a consacré une partie au restaurant qu’avait ouvert son épouse à Orsay en 1975.

La même année que son Prix Nobel, Pierre-Gilles de Gennes a reçu également le Prix Wolf de Physique, qui est aussi un prix international très prestigieux. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les autres lauréats de ce prix en physique, en particulier : Giuseppe Occhialini (1979), Martin Perl (1982), Erwin Hahn (1983), Philippe Nozières (1985), Roger Penrose et Stephen Hawking (1988), Benoît Mandelbrot (1993), John Wheeler (1997), Robert Brout, François Englert et Peter Higgs (2004), Albert Fert (2006), Alain Aspect (2010), etc.


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Sylvain Rakotoarison (14 mai 2022)
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