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13 février 2024 2 13 /02 /février /2024 04:41

« Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra. » (Jésus dans l'Évangile selon saint Matthieu, Mt 6, 1-6.16-18).



 

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Le hasard des calendriers fait que cette année, le jour de la Saint-Valentin, le mercredi 14 février 2024, se trouve être également le mercredi des Cendres, ce qui est plutôt rare. Une sorte d'association un peu paradoxale. Une autre année, ça pourrait être le jour du Mardi-Gras (la veille), ce qui aurait plus de signification. Mardi-Gras et Saint-Valentin riment plutôt avec joie. Pour les Cendres, c'est un peu différent.

D'abord, rappelons ce qu'est le mercredi des Cendres. Nous sommes dans un pays catholique, et même, la France est la fille aînée de l'Église depuis Clovis, mais dans cette société quasi-totalement déchristianisée, où l'on préfère annoncer le début du Ramadan au début du Carême, on se demande de quelles origines on vient. Il y a quelques années déjà, des sondages trottoirs (donc, pas représentatifs mais quand même) montraient une totale ignorance de la signification non pas des Cendres ou du Vendredi Saint, mais de Pâques, qui est la principale fête chrétienne (même plus importante que Noël). Je n'ose donc voir les réponses que dirait un sondage sur la signification des Cendres.

Les Cendres est le premier jour du Carême. C'est une période qui retrace la fameuse traversée du désert de Jésus-Christ pendant quarante jours avant ce qu'on appelle la Passion (la Semaine Sainte, des Rameaux à Pâques). Le Carême est l'occasion d'un jeûne, mais le jeûne ne signifie pas mettre en danger sa santé (même si c'est finalement plutôt le non-jeûne qui mettrait en danger la santé dans cette société du trop-manger). Il s'agit plutôt d'une période de privation, de donation, de méditation, de contemplation.

En somme, de faire un effort pour mieux vivre, mais surtout, mieux vivre avec les autres, c'est-à-dire que la privation n'a pas un but narcissique (être en meilleure santé, par exemple) mais un but altruiste, d'amour du prochain. Les privations qu'on pourrait faire (ne pas manger de viande, par exemple) n'a du sens que si les dépenses liées à la viande, par exemple, amèneraient à donner l'équivalent à ceux qui en ont le besoin. C'est un exemple, mais il n'est pas seulement matériel, il peut être relationnel ou psychologique ou autre (faire des efforts pour ne plus s'énerver, par exemple, ou prendre plus de temps pour les autres, etc.). À chacun son Carême.


Dans la liturgie, l'Évangile lu au Cendres cette année reprend cette parole connue : « Que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite ! ». Quand j'étais petit, je m'amusais à la mettre en relation avec la gifle, si on te gifle une joue, présente l'autre joue, et je me disais : la main gauche ignore que la main droite a giflé. Trêve de souvenir, disons que cette parole est surtout une parole d'humilité. Il n'y a pas de don qui soit narcissique, d'autant plus qu'il est connu que donner fait plaisir (sur les petites boîtes de distributeurs automatiques de la foire attractive que je fréquentais, était indiquée l'expression "plaisir d'offrir").

Le vrai don est donc secret, ce qui peut être commode : on ne peut juger personne puisqu'on ne sait pas à quel point cette personne peut avoir donné, peut s'être donnée. Cela va un peu à l'opposé des temps actuels quand des émissions de télévision étalent les stars pour encourager à donner (pour diverses causes, toutes bien sûr louables). Quand un chanteur ou un acteur fait un gros chèque sous les flashs des projecteurs, je pense toujours à cette phrase écrite de l'Évangile, en sachant en plus que jamais un acte public est gratuit pour la réputation d'une star, il y a toujours une arrière-pensée commerciale (pour une personnalité politique, remplacez "commerciale" par "électorale"), même si cela n'empêche pas la sincérité et la générosité (la main sur le cœur). Cela dit, la star est aussi un modèle, un exemple, et son don pourrait encourager ceux qui aiment la star à donner, eux aussi, dans un réflexe un peu moutonnier sinon pavlovien.

Aux Cendres, il y a aussi une première lecture avec un extrait du livre de Joël (Jl 2, 12-18) qui commence ainsi : « Parole du Seigneur : "Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil !". Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d'amour, renonçant au châtiment. ». Suivie de ce psaume (Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14-17) : « Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. (…) Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint. Rends-moi la joie d'être sauvé ; que l'esprit généreux me soutienne. ».

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Déchirer son cœur, laver son cœur, c'est cela, le principe du Carême. Pendant les Cendres, on appose sur le front de chaque fidèle une petite croix faite en cendres (des cendres issues des branches de rameaux de l'année précédente), histoire de rester humble et de se rappeler qu'on est poussière et qu'on redeviendra poussière.


Mais on parle aussi de purifier son cœur. Ce qui est une bonne transition pour évoquer la Saint-Valentin le même jour en 2024. C'est la fête des cœurs. C'est la fête des amoureux, et donc, c'est un peu stupide toutes ces publicités qui proposent de déclarer sa flamme à la Saint-Valentin : c'est trop tard, il faut le faire avant. Bon, c'est vrai, c'est d'abord une fête commerciale, mais j'ai l'impression que la pression commerciale est moins forte que les années précédentes (ou je me trompe, juste une impression).

Les gens aimants n'ont pas besoin de Saint-Valentin, ou alors, ils ont besoin d'une Saint-Valentin chaque jour. C'est lorsque l'amour est naissant que cette journée est un test, test pour connaître l'élégance de l'attention portée à l'autre. Évidemment, cela peut finir en un gueuleton, quelques fleurs, et plus si affinités, mais c'est une sorte de journée en rose pour cœurs en pleine espérance (le rose, revoir l'excellent film "Drôle de frimousse" de Stanley Donen, sorti le 13 février 1957, avec l'inégalable Audrey Hepburn dansant et chantant dans Paris sur une musique de Gershwin).

Je conçois que les personnes isolées, qui n'ont plus d'amour dans la vie, peuvent ronchonner contre ce type de fête qu'elles diraient artificielle, et elles peuvent avoir raison, artificielle et commerciale, mais cette journée montre aussi que l'amour n'est pas réservé à une élite (heureusement, même les pauvres y ont droit !! et l'argent ne remplacera jamais le verbe aimer), car il s'adresse à tout le monde, à tout âge (j'oserais écrire aussi tout sexe), et surtout, à tout physique, même ingrat (car il n'y a pas que la beauté extérieure, n'est-ce pas ?).


Pas étonnant de fêter les amoureux en février : c'est généralement aussi la période de fécondité, qui n'a pas eu ou entendu des chats qui miaulent drôlement en cette période ? Maintenant que le Président de la République (lui et ses prédécesseurs) s'est enfin inquiété de la baisse de la natalité (à l'instar de Michel Debré depuis le début des années 1970), peut-être que l'État pourrait faire de la Saint-Valentin un jour férié ? Bon, c'est vrai, ce serait comme si on "aimait" un seul jour dans l'année.

Concomitance. On peut retomber sur ses pattes en retrouvant l'origine de la fête de la Saint-Valentin. Car c'est une origine religieuse, bien sûr, catholique. Valentin de Terni était un prêtre du IIIe siècle, sous le règne de l'empereur romain Claude II le Gothique. Valentin célébrait des mariages d'amour clandestinement. Quand l'empereur l'a su, il l'a arrêté (car il préférait amener les hommes à la guerre qu'à l'amour), mais en prison, Valentin a fait la connaissance de Julia, la fille de son gardien, qui était aveugle de naissance, et à qui il a rendu la vue, ce qui a décidé l'empereur, de rage, à l'exécuter par décapitation le 14 février 269 à Rome. La famille de la miraculée s'est alors convertie au christianisme pour rendre hommage à Valentin.


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À la chute de l'empire romain, Valentin fut canonisé en 495 par le pape Gélase Ier pour son sacrifice et célébré comme fête de l'amour le 14 février dans un but particulier. En effet, à la même époque (milieu du mois de février) se déroulaient les Lupercales qui étaient une fête romaine de la fertilité. Une fête terrible pour les jeunes filles célibataires puisque les hommes couraient après elles pour faire l'amour et enfanter (c'était en fait plutôt la fête du viol, la fête des gros dégueulasses).


Le pape ne voulant pas cautionner une telle fête païenne a créé sa propre fête chrétienne qui est devenue la fête des amoureux avec le pape Alexandre VI en 1496. Comme Noël (début de l'hiver) et Pâques (début du printemps et de l'année), une fête chrétienne a remplacé une fête païenne, mais finalement, ce sont les mêmes. La tradition commerciale commença vers 1840 aux États-Unis avec l'envoi de poèmes, cartes de vœu et messages d'amour. Elle s'est amplifiée après la Seconde Guerre mondiale.

Épilogue morbide (que je cite car je suis allé visiter les deux premier lieux suivants) : la tête de saint Valentin aurait été transférée au Xe siècle à la très belle abbaye de Saint-Michel de Cuxa, dans les Pyrénées, puis aurait été déplacée sous la Révolution à l'église Saint-Pierre de Prades (drôle de coïncidence, le maire de Prades a longtemps était... Jean Castex, de 2008 à 2020 !). D'autres reliques ont été transférées en 1868 à la collégiale Saint-Jean-Baptiste de Roquemaure et en 1874 à l'église Saint-Remy de Montignies-sur-Sambre (en Belgique).

Avec la Saint-Valentin et les Cendres le même jour, c'est donc l'occasion, dans un couple, de faire un peu plus d'effort d'attention à l'autre pour nourrir un amour qui a toujours besoin de création permanente pour durer. L'amour est un feu, il faut l'alimenter... et ça donne des braises puis de la cendre !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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Il est venu parmi les siens.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
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Les messes à l’épreuve du covid-19.
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Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Réflexions postpascales.
La Passion du Christ (1) : petites réflexions périphériques.
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Noël à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.

Le Messie, c'est tout de suite !
La Passion du Christ selon saint Matthieu (texte intégral).


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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240214-cendres-saint-valentin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/rose-cendre-252744

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/02/12/40202994.html
















 

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31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 04:46

« La Toussaint est le jour où les morts de demain visitent ceux d'hier. » (Henri Duvernois, écrivain mort en 1937).




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Et voici qu'arrive Halloween avec son cortège d'enfants déguisés en quête de friandises. Disons-le clairement, je suis né trop tôt et si j'avais eu quelques années (enfin, quelques décennies !) de moins, j'aurais adoré me déguiser en vieux sorcier et aller sonner à la porte de mes voisins pour y faire l'aumône de quelques sucreries (même si mon cerveau a du mal à trouver un intérêt intellectuel à Harry Potter, toujours ce problème de génération, sans doute). Dans les magasins, on passe au noir et à l'orange et j'ai même vu un magasin très connu d'électroménager qui a imposé à ses vendeurs de se déguiser eux-mêmes en vampires (les pauvres ! Je comprends pour les magasins de jouets, mais les autres ?). Avant de passer au rouge et vert, les couleurs de Noël.

Bref, je trouve cette fête d'Halloween plutôt bon enfant et sympathique. À cause du niveau de vigilance accrue pour risque terroriste, les rassemblements doivent être très sécurisés (par les forces de l'ordre), mais je considère comme un devoir de continuer ce petit rite social sans conséquences : continuer absolument à vivre normalement, à s'amuser, à rester insouciants. Les terroristes n'attendent qu'une chose, qu'on se terre et qu'on ait peur. Dans ma commune, les enfants se rassemblent à 18 heures puis se dispersent pour aller visiter seulement les maisons qui ont indiqué qu'elles avaient des bonbons pour eux (ainsi, ils ne gênent personne).

Halloween n'est-il pas une invasion de la culture américaine ? Bien sûr, oui, c'est sûr, même si, en y regardant de plus près, cette fête était à l'origine européenne, celte, irlandaise, gauloise. C'est la grande émigration irlandaise à la suite de la famine de 1845 qui a apporté cette coutume aux États-Unis. Qu'elle nous revienne en France à partir des années 1990 après avoir retraversé l'Atlantique n'est donc ni très exceptionnel ni très scandaleux, surtout si l'on comprend qu'elle est avant tout un événement commercial (il faut bien s'équiper pour la fête). Même en Russie, elle fait une percée malgré les réticences de l'Église orthodoxe (la fête est désormais interdite dans les écoles à Moscou).

La diffusion massive de téléfilms américains nunuches sur la période de Noël à la télévision française me paraît beaucoup plus grave pour notre santé mentale qu'une petite fête censée s'amuser à se faire peur. Halloween concurrence-t-elle la Toussaint ? Là encore, pourquoi opposer des torchons et des serviettes ? La Toussaint est l'un des jours fériés (et fêtes religieuses) les plus meurtriers sur les routes de France avec la Pentecôte. Malgré la déchristianisation de la société, ces fêtes se sont laïcisées et sont devenues des références majeures dans le calendrier civil.

À l'origine, la Toussaint était fêtée le 13 mai à partir de 610, entre Pâques et la Pentecôte ; le pape Boniface IV voulait célébrer tous les martyrs de l'Église catholique. Par la suite, la date a changé en 1er novembre et le pape Grégoire IV l'a généralisée. Attention à ne pas faire de contresens : la Toussaint n'est pas la fête des morts, mais la fête des saints, pas seulement les personnes canonisées, nombreuses mais d'une proportion très faible, aussi tous les anonymes, tous les inconnus qui ont vécu comme des saints, dans la charité, la piété et la bonté (selon l'ancien archevêque de Toulouse, Mgr Robert Le Gall, ceux qui sont « dans la béatitude divine »).

Dans la liturgie, au cours de la messe, tous les saints sont célébrés, dans une longue litanie. Quand j'étais enfant, j'attendais mon prénom et je ne l'attendais jamais en vain. Je doute maintenant que tous les enfants y trouvent le leur aujourd'hui, car le nombre de prénoms, outre le fait que beaucoup ne sont plus chrétiens, voire sont musulmans (ce qui ne me gêne pas du tout, c'est le choix intime des familles), est devenu beaucoup plus important, les prénoms sont beaucoup trop diversifiés pour pouvoir citer tout le monde (il y a cinquante ans, le prénom le plus répandu dans une génération correspondait à 30% des naissances, maintenant, à peine à 5%).

La fête des défunts a lieu le lendemain, le 2 novembre, célébrée à l'origine par les moines de Cluny et leur abbé, saint Odilon de Cluny, en 998 comme fête des trépassés. Le pape Léon IX approuva cette initiative et l'encouragea. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, même cette fête des défunts n'est pas une fête de la mort mais une fête de la vie, parce que pour les chrétiens, les défunts ont franchi une étape mais sont toujours en vie : « Ceux qui sont passés sur l'autre sont aussi, et davantage, vivants que nous. » explique le Missel de la vie chrétienne.

Personnellement, j'ai toujours été un peu étonné de la forte fréquentation des cimetières pendant la Toussaint. Je pense à "mes" morts tous les jours. Et en tout lieu, certainement pas dans les cimetières dont j'adore la fréquentation mais pour d'autres raisons, pour les tombes, les inscriptions historiques. Les êtres, les âmes, selon ce qu'on croit, s'ils sont toujours là, ou simplement leurs souvenirs pour être plus factuel, sont assurément hors de ce qui reste de leur corps qui n'est plus qu'une simple écorce sans vie (il suffit de voir un corps sans vie pour s'en convaincre ; la flamme, si flamme il y a encore, est ailleurs).

Le poète Tristan Maya (mort en 2000) avait cette formule : « Un cimetière un jour de Toussaint ressemble à une exposition un jour de vernissage. ». Tandis que Jean Cocteau, plus cynique : « Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. ». La liturgie, elle, propose à la Toussaint le très beau texte des Béatitudes : « (…) Heureux les affligés, car ils seront consolés (…) ; heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (…). ». Texte que beaucoup interprètent mal, plus ou moins volontairement (« heureux les pauvres en esprit »).

En effet, la Toussaint, c'est la fête de tous les saints ; il faut comprendre que tout le monde peut être saint, que tous les humains peuvent l'être s'ils ont, pour règles de vie, amour, bonté, justice, pardon et paix : « Cette fête est donc aussi l’occasion de rappeler que tous les hommes sont appelés à la sainteté, par des chemins différents, parfois surprenants ou inattendus, mais tous accessibles. La sainteté n’est pas une voie réservée à une élite : elle concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ. » explique le site catholique.fr.

Justice, pardon et paix : pas de paix sans justice et pardon. C'est sans doute ce qui manque le plus de nos jours, dans nos petits conflits ou dans les conflits actuels les plus meurtriers, que l'on pense à l'Ukraine ou à Israël et à la Palestine, entre autres...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (28 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Toussaint vs Halloween ?
Apocalypse à la Toussaint ?
Joyeux Noël !
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Noël à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.

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26 septembre 2023 2 26 /09 /septembre /2023 05:22

 

« Le véritable mal social n'est pas tant l'augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. » (pape François, le 23 septembre 2023 à Marseille).



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Je consacrerai plusieurs articles sur la venue du pape François à Marseille les 22 et 23 septembre 2023, une venue historique à bien des égards qui rappelle aux chrétiens que la foi déplace toujours des montagnes, que l'émotion qui était au rendez-vous n'est pas sans rapport avec une communion très large, rappelons que catholique veut dire universel, et qui rappelle aussi aux aigris de droite comme de gauche qu'un message de foi n'a pas grand-chose à voir avec un message politique ; vouloir mélanger les deux, c'est confondre ce qui est du temporel et ce qui est du spirituel. Rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Le pape est venu pour un jour et demi sur le sol français, c'est bien peu et en même temps, il a eu le temps de parler publiquement à près d'une dizaine d'occasions. Trois temps forts : le recueillement œcuménique à Notre-Dame de la Garde le vendredi après-midi, la clôture des Rencontres Méditerranéennes le samedi matin et, enfin, la grande messe au stade Vélodrome, une fierté des Marseillais, le samedi après-midi.

Impossible de parler du pape sans évoquer quelques aspects politiques : le Président de la République Emmanuel Macron était là le 23 avec le pape ; la veille, la Première Ministre Élisabeth Borne l'a accueilli à l'aéroport de Marignane. La clôture des Rencontres Méditerranéennes se faisait en présence non seulement du couple présidentiel, mais aussi du maire de Marseille Benoît Payan (PS), de son prédécesseur Jean-Claude Gaudin, qui avait tant voulu accueillir le pape lorsqu'il était en fonction, aussi du président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur Renaud Muselier, etc. À la messe étaient présents également le couple présidentiel (Emmanuel Macron a tenu à ne pas communier, et il a tenu à le faire savoir), la présidente de la BCE Christine Lagarde, et beaucoup d'autres responsables politiques dont Gérald Darmanin, Muriel Pénicaud, Sabrina Agresti-Roubache, François-Xavier Bellamy, Valérie Boyer, etc.

J'évoquerai ultérieurement les propos du pape sur les réfugiés et leur accueil, ainsi que sur la laïcité. Le message du pape sur l'immigration n'est pas nouveau mais a hystérisé la classe politique française, parfois à contre-sens : le bouffe-curés Jean-Luc Mélenchon applaudissait tandis que certains identitaires d'extrême droite qui se revendiquent une supposée origine chrétienne nient la légitimité du pape puisqu'il ne va pas dans leur sens ! Quelle paradoxe de devoir admettre que le chef de l'Église catholique, institution doublement millénaire, va à l'inverse d'une pensée supposée catho... mais d'extrême droite.

Le message du pape n'a jamais varié sur l'accueil des réfugié, même du temps de Jean-Paul II. Les identitaires (je les appelle comme ça) sont ainsi face à leurs propres contradictions et ils ont beau affirmer que le clergé est gauchiste (voire bobo), c'est bien mal connaître nos évêques (et notre pape) dont la neutralité politique est aussi sensible que la neutralité religieuse chez les politiques.

Le message du Christ a toujours été dérangeant, en particulier pour les institutions. Tant qu'existeront la misère humaine et l'horreur humaine, les pouvoirs seront malmenés par ceux qui défendent les humains et en particulier les plus faibles, les plus démunis.

Ce qui faut bien noter aujourd'hui, et c'est un vrai signe d'évolution idéologique depuis une trentaine d'années (je ne saurai dire si c'est positif ou négatif), c'est que si la venue du pape en France a toujours été un sujet à discussion politique, voire à polémiques, les thèmes sensibles ont assurément changé de rives. Dans les années 1990, on reprochait à Jean-Paul II d'être contre l'avortement mais aussi contre la peine de mort, et le mariage des prêtres, les femmes prêtres restaient des marronniers qui faisaient le succès des médias, même si cela représentait une toute petite part des messages du pape. Aujourd'hui, ces sujets (qui n'ont pas varié) sont relégués derrière le sujet du moment (qui était pourtant déjà d'actualité dans les années 1970), l'immigration. À aucun moment le pape François n'a voulu donner des leçons de morale, il a simplement donné des leçons de bonté et de bienveillance. Le contraire de la haine si présente aujourd'hui dans le débat public.

La présence du Président Emmanuel Macron avait son intérêt : certes, pour sa communication personnelle, il était évident, surtout lorsque le pape l'a publiquement placé parmi les personnes de bonne volonté qui recherchent la paix (parmi d'autres, donc), mais cela permettait aussi au pape de s'adresser directement à lui en marquant date.

Si l'immigration était le thème majeur de ces Rencontres Méditerranéennes, c'est bien sûr qu'elle est l'un des sujets majeurs de cette mer cimetière, mais cela ne signifiait pas que d'autres messages ne pouvaient pas être transmis. En particulier sur la fin de vie et l'euthanasie.

Dans son discours de clôture de ces Rencontres, le pape François a évoqué implicitement d'autres sujets qu'il considère comme majeurs sans pour autant les développer. Évoquant les trafics et les mafias dans une des villes les plus "torrides", François a constaté : « Là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé. L'engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire "non" à l'illégalité et "oui" à la solidarité, ce qui n'est pas une goutte d'eau dans la mer, mais l'élément indispensable pour en purifier les eaux. ».


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C'est à cette solidarité que le pape a appelé pour accompagner les personnes, nos aînés généralement, en fin de vie. Sa question (laissée sans réponse et sans développement) n'en est pas moins crûe : « Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d'être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d'une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? ». Une critique à peine "voilée" des conditions souvent scandaleuses des personnes âgées dans les EHPAD et la volonté majoritaire d'une société à vouloir les faire disparaître jusqu'à physiquement.

Ce thème de la fin de vie et de l'euthanasie est majeur et aujourd'hui, le risque est grand que l'équilibre fragile mais précieux de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 soit cassé définitivement par une nouvelle loi plus démagogique que sage.

Car l'euthanasie est d'abord une demande de gens bien-portants. En effet, les personnes malades en fin de vie demandent rarement (il en existe, mais c'est rare) d'en finir avec la vie, il suffit de se renseigner auprès des médecins qui vivent ces moments douloureux de leurs patients, d'autant plus qu'aujourd'hui, il y a des solutions, principalement chimiques, pour empêcher ce qui doit être à tout prix évité, la souffrance.

C'est même plus que cela : les personnes en fin de vie qui sont aimées, accompagnées par des proches, n'invoquent jamais cette volonté d'être aidées à mourir parce qu'elles se sentent aimées, et donc, en quelque sorte, utiles. L'euthanasie, c'est quand on arrive à la conclusion, monstrueuse, que la vie ne vaut plus d'être vécue. À quel moment, à quel seuil une vie ne doit plus être vécue ? Dès lors qu'on fixe un seuil, les abus afflueront parce que c'est la loi humaine de dériver : la levée des interdits, c'est une digue qui s'ouvre et qui ensuite lâche, malgré toutes les précautions juridiques ou sociales qu'on inventera.

La loi interdit la souffrance et l'obligation de soins : depuis plus de vingt ans, le patient n'est soigné que s'il a donné son accord. Et la loi oblige les médecins à traiter la souffrance ; la plupart du temps, celle-ci peut être traitée.

Il existera toujours des cas où ce n'est pas possible d'éviter la souffrance. L'euthanasie peut s'avérer une solution ultime et si elle est choisie, elle doit se faire dans le secret des consciences, pas seulement de la famille et des soignants, mais cela arrive même que dans la "boucle", il y ait aussi un prêtre.

Pourquoi dans le secret des consciences et pas dans la loi ? C'est là, je crois, l'enjeu du choix de société. Le secret des consciences serait une hypocrisie ? Certains lobbyistes de l'euthanasie vont même jusqu'à dire que légiférer éviterait les dérives. Mais quelles dérives ? Celles que connaît aujourd'hui la Belgique où des personnes atteintes de déficience mentale, sans leur avis, sont euthanasiées parce que "ne servant plus à rien" (l'utilité d'une vie, un sujet à méditer), ou alors des enfants en pleine dépression ?


Les dérives existent et aujourd'hui, lorsque c'est illégal, cela passe par la justice. Il n'y a pas de généralité à faire sur la mort : il y a autant de fins de vie que d'humains, toutes sont différentes et légiférer, c'est de faire des généralisations qui ne doivent pas avoir lieu. Comment éviter l'infirmière meurtrière qui "aidait" ou plutôt accélérait ses patients à mourir pour des questions d'héritages et de legs si la loi le permettait officiellement ? L'illégalité de l'euthanasie permet un retour à la justice lorsque les situations ne sont pas claires, lorsqu'un proche s'étonne voire s'y oppose : aucun juge n'a condamné un soignant qui avait fait preuve d'humanité en précipitant la mort d'un patient en situation très difficile. Le juge, par son enquête approfondie, peut apprécier la sincérité de l'acte, le désintéressement aussi des personnes en cause, car une légalisation ouvrirait une boîte de Pandore sur l'économique : les héritiers pressés, comme les assureurs, les caisses de retraites, les caisses d'assurance maladie, toute la société ferait des économies énormes si les gens mouraient six mois plus tôt !

Les fins de vie dans la douleur, ce n'est pas de supprimer la personne qui souffre, c'est de supprimer la douleur. C'est cela la solidarité et l'accompagnement, au sens de ce que disait le pape ce samedi. Ne pas laisser les personnes âgées isolées, dans leur torpeur du couloir de la mort, les remettre dans le cercle des vivants, et heureusement, certains établissements le font et ce sont des initiatives très encourageantes, notamment lorsqu'on demande aux personnes âgées de s'occuper des petits enfants... et réciproquement.


En évoquant en outre la fausse dignité (« faussement digne »), le pape s'offusque également de cette expression pourrie de "mourir dignement", comme si, en laissant l'heure arriver à son terme, on n'était pas digne, plus digne, que des personnes en vie n'étaient plus dignes de vivre et que leur dignité se résumait à les faire mourir.

Oui, ce pape, comme tous les papes, du moins depuis qu'ils communiquent au monde grâce à leurs voyages et aux technologies, secoue les consciences parce que son job, ce n'est pas de rechercher des voix, de faire du clientélisme, de brosser dans le sens du poil toutes nos petites lâchetés. C'est de rappeler les fondamentaux (le fondamental, c'est "aimez-vous les uns les autres"), et dans un monde en crise multiple, où l'inquiétude du lendemain l'emporte souvent sur la sagesse et l'optimisme, un référent est un point d'ancrage salutaire pour une société à la dérive.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (23 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le pape François à Marseille (1) : ne pas légiférer sur l'euthanasie.
Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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16 septembre 2023 6 16 /09 /septembre /2023 05:41

« Qui est le responsable de ce sang ? (…) Qui est le responsable du sang de ces frères et sœurs ? Personne ! Tous nous répondons ainsi : ce n’est pas moi, moi je ne suis pas d’ici, ce sont d’autres, certainement pas moi. (…). Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle ; nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parlait Jésus dans la parabole du Bon Samaritain : nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous "le pauvre", et continuons notre route, ce n’est pas notre affaire ; et avec cela, nous nous mettons l’âme en paix, nous nous sentons en règle. La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-même, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! » (le pape François, le 8 juillet 2013 à Lampedusa).




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Décidément, le pape François, qui va sur ses 87 ans (en décembre), a une santé d'enfer (ou de fer). À la fin du mois de mars, il souffrait d'une grave infection respiratoire, le 26 avril, il était hospitalisé pour une « forte pneumonie aiguë dans la partie inférieure des poumons » (selon l'intéressé le 30 avril 2023 de retour d'un voyage en Hongrie), et le 7 juin, il était hospitalisé pour une opération délicate à l'abdomen... et malgré cela, à la fin de l'été, il a quand même réussi à tenir le coup pour participer aux JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) au Portugal du 2 au 6 août 2023 et aussi pour effectuer une visite en Mongolie du 31 août au 4 septembre 2023, un voyage qu'il considérait très important pour s'adresser aux catholiques chinois depuis Oulan-Bator. Dans quelques jours, il inaugurera l'automne en se rendant à Marseille, invité par le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille.

La venue du pape à Marseille, dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes 2023 qui démarrent ce week-end, a été officiellement annoncée le 31 mars 2023 par l'archevêché de Marseille. Au fil des mois, elle a été confirmée malgré les pépins de santé. À l'origine, le pape ne devait venir qu'une petite journée, celle du samedi 23 septembre 2023, la participation à la clôture de la semaine de rencontres et une grande messe. Cette messe aura bien lieu au stade Vélodrome samedi après-midi, 67 000 fidèles y sont attendus (deux jours après un match de la Coupe du monde de rugby, France vs Namibie), mais le programme pontifical à la cité phocéenne s'est entre-temps étoffé.

Le pape François arrivera en effet la veille, le vendredi 22 septembre après-midi à l'aéroport de Marignane. Il sera accueilli par le Président de la République française Emmanuel Macron qui a par ailleurs confirmé qu'il serait présent à la messe pontificale. En outre, les deux hommes s'entretiendront le 23 septembre en fin de matinée au Palais du Pharo.

Faut-il s'indigner que le chef de l'État participe à une messe ? Il fut un temps où chaque Président de la République assistait aux messes dominicales, c'était le cas des trois premiers Présidents de la République De Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing. C'était le cas aussi de Jacques Chirac. Même François Mitterrand a eu "sa" messe à Notre-Dame-de-Paris ! Au fur et à fur que la religion musulmane est entrée dans la société française, certains zélateurs de la laïcité se sont crus autoriser à fustiger la pratique religieuse des chefs de l'État. Ils ont bien le droit de faire ce qu'ils veulent. Quant à représenter la France auprès du pape, qui est également un chef d'État (du Vatican), qui le reprochera à Emmanuel Macron ? Ne pas vouloir le faire aurait été au contraire critiquable et on ne s'en serait d'ailleurs pas privé...

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La première destination du pape durant son séjour marseillais est Notre-Dame de la Garde, pour un temps de prière avec les prêtres du diocèse puis, vendredi en fin d'après-midi, un temps de recueillement interreligieux devant la stèle dédiée aux marins et aux migrants noyés en mer où le pape prendra la parole.

Le lendemain en début de matinée, le pape rencontrera à l'archevêché des personnes en situation de précarité économique avant de prendre part à la clôture des Rencontres Méditerranéennes au palais du Pharo où il prendra la parole pour la conclusion. Il quittera Marseille pour Rome à l'issue de la grande messe au Vélodrome.

Les Marseillais ont de quoi se réjouir de cette visite papale, car c'est extrêmement rare qu'un pape vienne séjourner à Marseille. Le précédent remonte au 5 novembre 1533 avec Clément VII (1478-1534), il y a presque cinq siècles ! Cela change de l'actualité souvent très négative et terrible qu'on entend généralement de Marseille : la dernière en date est certainement l'une des actualités les plus scandaleuses, la mort de Socayna, cette étudiante de 24 ans en seconde année de droit qui étudiait ses cours tranquillement dans sa chambre, chez elle, et qui a été mortellement blessée le 10 septembre 2023 par un tir de kalachnikov.

Les Français peuvent aussi être fiers de la venue du pape. On lui a reproché d'avoir précisé qu'il venait à Marseille et pas en France. Effectivement, lorsqu'il est arrivé au Vatican, le pape François avait souhaité ne visiter aucun des grands pays d'Europe, afin de se concentrer sur les "petits" pays. En dix ans de pontificat, il n'est donc jamais allé en France, pourtant "fille aînée de l'Église" selon une terminologie ancienne (qui date du roi Charles VIII en référence au baptême de Clovis) et qui est un tantinet datée depuis qu'elle est l'une des nations les plus laïques au monde.

Plus exactement, le pape a dit le 5 février 2023, dans l'avion de retour de son voyage au Soudan du Sud : « Le critère est le suivant : j'ai choisi de visiter les plus petits pays d'Europe. Vous me direz : "Mais vous êtes allé en France". Non, je suis allé à Strasbourg, j’irai à Marseille, pas en France. Les plus petits, les plus petits, pour connaître un peu l'Europe cachée, l'Europe qui a tant de culture mais qui n'est pas connue de tout le monde, pour accompagner des pays, par exemple l'Albanie, qui a été le premier, qui est le pays qui a souffert de la dictature la plus cruelle de l'histoire. Mon choix est un peu le suivant : essayer de ne pas tomber moi-même dans la mondialisation de l'indifférence. ».

Il a récidivé le 6 août 2023, dans l'avion de retour de Lisbonne, pour expliquer les raisons profondes de sa venue à Marseille : « Je suis allé à Strasbourg, j'irai à Marseille, mais en France non !... Il y a un sujet qui me préoccupe, c'est le sujet de la Méditerranée. C'est pour ça que je vais en France. L'exploitation des migrants est criminelle. Pas ici en Europe, parce que nous sommes plus cultivés, mais dans les camps d'Afrique du Nord... Je recommande la lecture : il y a un petit livre, petit, qu'un migrant a écrit, qui pour venir de Guinée en Espagne a passé je crois trois années parce qu'il a été capturé, torturé, réduit en esclavage. Les migrants dans ces camps du nord : c'est terrible. En ce moment, la semaine dernière, l'association Mediterranea Saving Humans, travaillait pour récupérer des migrants qui se trouvaient dans le désert entre la Tunisie et la Libye, parce qu'ils les avaient abandonnés là, à mourir. Ce livre s'appelle "Hermanito", en italien, il a pour sous-titre "Petit frère", il se lit en deux heures, ça en vaut la peine. Lisez-le et vous verrez le drame des migrants avant leur embarquement. Les évêques de la Méditerranée feront cette rencontre, avec aussi quelques responsables politiques, pour réfléchir sérieusement sur le drame des migrants. La Méditerranée est un cimetière, mais ce n'est pas le cimetière le plus grand. Le plus grand cimetière, c'est l'Afrique du Nord. C'est terrible, lisez-le. Je vais à Marseille pour cela. ».

Effectivement, le pape François a déjà foulé le sol français le 25 novembre 2014 mais pour s'exprimer au Parlement Européen de Strasbourg et à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, il n'était donc pas exactement en France mais en Union Européenne et au Conseil de l'Europe. Le choix des voyages de pape (lieux et dates) est crucial, d'autant plus aujourd'hui où sa santé est diminuée, son âge très avancé, le plus avancé depuis Léon XIII (1810-1903), et donc, forcément, son temps compté. Le pape le remarquait le 4 septembre 2023 à son retour de Mongolie : « Je vais vous dire la vérité, pour moi faire un voyage maintenant n’est pas aussi facile qu’au début, il y a des limitations dans la marche et cela conditionne. Mais nous verrons. ».

C'est donc pour la France et pour Marseille une heureuse exception que le pape a accepté de faire afin de participer aux Rencontres Méditerranéennes 2023. C'est ce qu'a déclaré l'archevêque de Reims, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, devant ses confrères évêques réunis le 31 mars 2023 à Lourdes en assemblée plénière : « Le pape, nous en sommes conscients, vient pour la Méditerranée, nous lui sommes reconnaissants d’avoir accepté de rencontrer au moins le temps d’une messe le peuple de Marseille et les Français. (…) Cette rencontre sera pour notre Église en France un moment de joie. ».

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Il avait réservé son premier voyage hors du Vatican à Lampedusa, le 8 juillet 2013 afin de prier pour les réfugiés noyés dans la Méditerranée, et comme une sorte de cercle vicieux permanents, l'actualité est retournée à cette île italienne qui reçoit encore un grande nombre de réfugiés partis des côtés nord-africaines, toujours au péril de leur vie. La situation n'a guère évolué même si les raisons géopolitiques ont peut-être un peu changé. Pendant ces dix ans de pontificat, le pape François a sillonné la Méditerranée, se rendant à Naples, Malte, Chypre, Jérusalem, Le Caire, Tirana, Lesbos, etc.

Il y a dix ans à Lampedusa, le pape François protestait déjà contre l'indifférence des souffrances, l'absence de compassion : « Qui a pleuré pour la mort de ces frères et sœurs ? Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour les jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leurs propres familles ? Nous sommes une société qui a oublié l’expérience des pleurs, du "souffrir avec: la mondialisation de l’indifférence nous a ôté la capacité de pleurer ! (…) Demandons au Seigneur la grâce de pleurer sur notre indifférence, de pleurer sur la cruauté qui est dans le monde, en nous, aussi en ceux qui dans l’anonymat prennent les décisions socio-économiques qui ouvrent la voie à des drames comme celui-ci. » (8 juillet 2013). Il est probable qu'il renouvellera à Marseille son appel salutaire contre la mondialisation de l'indifférence avec ce genre de paroles.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (16 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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12 avril 2023 3 12 /04 /avril /2023 18:57

« Nous ne sommes pas faits pour copier quelqu’un, pour reproduire un modèle. Il ne s’agit pas de s’aligner sur les autres et de faire comme eux. Celui qui ne fait que suivre les autres ne vit pas vraiment. Mais nous nous inspirons de la vie des personnes qui nous marquent. » (Mgr Jacques Gaillot, septembre 2015).



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L'ancien évêque d'Évreux Jacques Gaillot vient de s'éteindre à l'hôpital après une saleté de maladie ce mercredi 12 avril 2023 à Paris à l'âge de 87 ans. Très connu dans les années 1980 et 1990 pour s'être répandu dans de nombreux médias, parlant de nombreux sujets de société avec une liberté et un franc-parler qui pouvaient terroriser sa hiérarchie catholique, il a été écarté de son diocèse le 13 janvier 1995 et s'est fait plus discret.

Malgré cet éloignement de la scène médiatique plus que pastorale, Mgr Gaillot n'a jamais été vraiment sanctionné par le Vatican même s'il a été très vivement encouragé à démissionner. Il a tenu bon et son évêché s'est transformé en une sorte de diocèse virtuel.

Porte-parole des plus démunis, telle était sa vocation de leur faire profiter de son aura médiatique en les défendant sans relâche, aux côtés d'autres intellectuels ou artistes du genre (par exemple Albert Jacquard et Josiane Balasko pour le droit à avoir un logement décent). Auteur de vingt-quatre essais, Mgr Gaillot a notamment publié "Coup de gueule contre l'exclusion" en 1994 chez Ramsay. Cet ouvrage avait été très remarqué, d'autant plus qu'il y avait, quelques mois plus tard, une élection présidentielle (que Jacques Chirac a gagnée sur le thème de la fracture sociale).

Dans sa biographie officielle, il était expliqué ceci : « Il a une parole libre qui ne craint pas de dire "je", d'être simple et clair. Sa fidélité à l'Évangile s'exprime par quelques traits majeurs : le souci des pauvres et des marginaux, le refus de toute complaisance, l'attachement au droit, à la justice et à la paix, la conviction que Jésus appartient à l'humanité et non aux seuls chrétiens, l'évidence que les brebis hors bergerie, valent qu'on laisse les autres au bercail pour aller les chercher. ».

Le prélat adorait le pape François parce qu'il était avant tout le pape des humbles et il a commenté son élection en novembre 2013 ainsi : « Voilà un pape qui ouvre des portes, donne envie de vivre avec humanité et nous engage à rendre la Terre plus habitable à tous. Il ne fait pas la morale, ne juge pas, ne rappelle pas la discipline. Il indique une autre façon d’être en allant vers les déshérités, invite à prier, à écouter la Parole de Dieu pour que notre cœur devienne brûlant. ».

Jacques Gaillot a mis le point sur un élément important : la morale n'est pas la foi, n'est pas la religion. C'est peut-être difficile à comprendre mais sa réflexion était qu'il fallait partir de l'humain avant de partir des principes. Toujours l'humain. Ainsi, en juin 1989, il affirmait dans le magazine "Globe" : « La vie des individus me préoccupe plus que leur morale. Je relève avec plaisir que la peur du "qu’en-dira-t-on" ne fait plus recette. ».

Pour lui, les considérations morales, si elles sont bien sûr importantes, ne doivent pas cacher les considérations humaines. En s'affranchissant de cette limite, Mgr Gaillot laissait libre cours à toutes les tendances de son époque, en particulier la reconnaissance des couples homosexuels en période de forte épidémie de sida. Ainsi, il ne cachait pas son agacement des questions permanentes des journalistes aux évêques alors qu'il aurait préféré que l'Église évoluât : « Célibat des prêtres, homosexualité, préservatif, avortement, place de la femme : sur toutes ces questions, l’Église est en retard. » (a-t-il suggéré le 5 avril 2010).

Dans "Le Point" du 1er septembre 2015, Jacques Gaillot a raconté sa rencontre le jour même avec le pape François au Vatican, une audience de moins d'une heure (en français) : « Je lui ai dit qu'il m'arrivait de bénir des couples divorcés-remariés et même des couples homosexuels. J'ai ajouté : "On bénit bien des maisons, on peut donc bénir des personnes". Cette phrase a fait sourire le pape. Il a abondé dans mon sens et il a dit : "La bénédiction de Dieu est pour tout le monde". ». Par ailleurs, le pape François lui a assuré, lui qui a défendu si souvent les sans-papiers à Paris : « Les migrants sont la chair de l'Église. ».

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Au fil de ses prises de position, on comprenait que Mgr Jacques Gaillot avait des affinités très à gauche et qu'il soutenait une ligne progressiste étonnante pour un évêque.

Ainsi, le 18 avril 2013 dans le "HuffingtonPost", il a déclaré : « La reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe et de leur droit, en adoptant, de fonder une famille, s'imposera peu à peu en France, comme ailleurs. On s'apercevra alors que ce mariage tant décrié ne fait perdre aucun droit aux autres, qu'il n'est en aucune manière une menace pour les familles dites "normales", ni une régression pour la société et encore moins la fin de la civilisation. ». Il pensait cela juste avant l'examen du projet de loi visant à créer le "mariage pour tous" très contesté par la Manif pour tous.

Il a exprimé son progressisme de manière déconcertante pour un évêque : « La reconnaissance du couple homosexuel s'inscrit dans le puissant mouvement de modernité qui, au fil des ans, fait valoir les droits imprescriptibles de l'individu et de son autonomie. L'individu est au centre. D'où l'importance accordée aux relations entre les individus. Voilà qui relativise le modèle familial dominant et les références à un ordre naturel ou divin. Le droit a fini par rejoindre l'évolution des mœurs : l'amour entre deux personnes de même sexe est un droit humain fondamental. Le principe d'égalité a joué. (…) Nous sommes tous concernés. Notre responsabilité n'est-elle pas d'éveiller des libertés ? Des libertés pour aimer ? ». En quelque sorte, il rejetait le concept de la famille derrière l'absolu concept de liberté individuelle.

C'était aussi au nom de la liberté individuelle que Jacques Gaillot avait pris position pour l'euthanasie, au risque de choquer ses amis catholiques qui considèrent que la vie est sacrée. Dans le "HuffingtonPost" du 17 décembre 2013, il a expliqué : « C'est une question d'humanité, de compassion et de solidarité. ». Autrement dit : « La mort fait partie de la vie puisqu'elle l'achève. Si la vie doit être défendue et protégée, c'est vrai de la mort qui en fait partie. Personne ne peut vivre et mourir à notre place. Comment ne pas désirer avoir les moyens d'aimer la vie jusqu'au bout et de mourir dignement. Comment entourer et soutenir les personnes pour que la dernière étape de la vie reste conforme à la condition humaine ? ». Le mot "dignement" était lâché.

Et d'ajouter : « La question posée par l'euthanasie est celle du sens de la vie, du goût à la vie, du bonheur d'être vivant. Qu'est-ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, que la relation à soi-même et aux autres reste tonifiante ? Les humains gardent toute leur valeur et vérité profonde, même lorsque la santé s'altère et que les forces diminuent. (…) Par humanité et par compassion, on comprend que des malades puissent se trouver dans des situations d'exception. Des situations d'exception qui n'entrent pas actuellement dans le cadre de la loi mais que la loi devrait envisager. ».

Interrogé en avril 2010 sur le scandale des prêtres pédophiles en Allemagne (le scandale n'avait pas encore touché la France), Mgr Jacques Gaillot s'était contenté de faire une remarque générale : « En pensant à toutes les victimes et à leurs familles, je reste sans voix et suis dans la peine. Ce scandale est sans précédent. Qu’un phénomène d‘une telle ampleur ait pu se produire, jette un discrédit considérable sur l’Église catholique. ».

Et pourtant, lui-même a contribué, à son échelle, à ce scandale, et il l'a reconnu dans "Le Parisien" du 5 avril 2010, il avait accepté en juin 1988 d'accueillir dans son diocèse d'Évreux un prêtre québécois qui avait été condamné en 1985 pour des faits de pédophilie mais il lui avait redonné sa chance, fait confiance et confié une paroisse en tant que curé. L'évêque a regretté de l'avoir couvé alors qu'il a été condamné en 2005 aux assises de l'Eure à douze de prison ferme pour avoir violé plusieurs fois un mineur entre 1989 et 1992. Il s'est dit qu'il aurait dû le signaler à la justice à l'époque.

Mais en 2010, on se préoccupait encore peu des victimes et pour Mgr Gaillot, bien mal inspiré intellectuellement, le scandale des prêtres pédophiles était plutôt l'occasion de faire avancer l'une de ses idées "modernistes", en finir avec le célibat des prêtres : « Pour l’avenir, il ne suffit pas de jouer la transparence et de vouloir confier à la justice des cas qui se produiraient. C’est le fonctionnement de l’institution elle-même qui est mis en cause et qu’il faudrait changer. Alors que le monde change vite, nous gardons des structures d’un autre âge avec une conception de l’autorité désuète qui ne laisse pas de place où si peu à la démocratie, une vision de la sexualité dépassée qui n’intègre pas les acquis de la modernité, un statut clérical inadapté qui maintient une discipline du célibat anachronique. Les victimes de la pédophilie mériteraient que le Vatican ait le courage de l’avenir pour éviter de tels drames. » (avril 2010).

Or dans ce texte, Mgr Gaillot laissait entendre que c'était parce qu'ils étaient célibataires que des prêtres étaient pédophiles. Pourtant, tous les prêtres n'étaient pas forcément pédophiles, et il y a eu beaucoup d'hommes mariés parmi les pédophiles (en particulier des pères de famille qui sont coupables d'inceste). Ce n'est donc pas parce que les prêtres seraient mariés qu'ils ne seraient pas enclin à abuser d'adolescents ou d'enfants dans la solitude de leur mission pastorale (en d'autres termes, s'en prendre aux adolescents et aux enfants, surtout si on les encadre, est une grande forme de lâcheté). C'est donc dommage que l'évêque Gaillot ait pu glisser ainsi de la réflexion spirituelle au simple militantisme de mauvaise foi, alors qu'il avait montré à de nombreuses reprises qu'il était un homme réfléchi et intelligent.

Commentant en février 2010 un passage de l'Évangile selon saint Marc, Mgr Jacques Gaillot a écrit : « Alors oui, le Royaume de Dieu est plein de ces "estropiés" dont la joie est plus grande que les renoncements auxquels ils ont consenti. C’est une joie partagée, car c’est toute l’humanité qui en sort grandie. Le Royaume de Dieu n’est pas autre chose que cet appel à faire naître le bonheur dans une humanité en paix où l’on se respecte mutuellement et où l’on veille ensemble à la sauvegarde de la Création. ».

J'espère que sa définition du Royaume de Dieu colle avec la réalité, lui qui désormais est un migrant vers cette destination si mystérieuse et si méditée depuis plus de soixante-deux ans de sacerdoce. Qu'il repose en paix.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (12 avril 2023)
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Pour aller plus loin :
L'évêque qui était aimé par ceux qui n'ont pas la foi.
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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9 avril 2023 7 09 /04 /avril /2023 05:33

« Je n'ai jamais rien demandé ni prévu. » (Albert Decourtray).



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Est-ce une coïncidence que le centenaire de la naissance du cardinal Albert Decourtray corresponde à la fête de Pâques, la fête de la Résurrection, la fête la plus importante des chrétiens, parce qu'elle consacre le mystère de la mort et de la vie ? (La réponse est oui). Mgr Albert Decourtray, archevêque de Lyon du 29 octobre 1981 à sa mort, le 16 septembre 1994, est né effectivement il y a 100 ans, le 9 avril 1923, dans le Nord. Ce n'était pas un Lyonnais mais un Nordiste. Tellement pas Lyonnais que le 8 décembre 1981, il était absent à la Fête des Lumières !

Dans l'Église de France, les années 1980 et le début des années 1990 furent marquées par les deux cardinaux Jean-Marie Lustiger et Albert Decourtray, l'un archevêque de Paris et l'autre de Lyon, primat des Gaules. Ces deux fortes personnalités étaient des pointures, des hautes statures tant intellectuelles, spirituelles, morales que... médiatiques voire politiques (même s'ils ne voulaient évidemment pas soutenir un parti plutôt qu'un autre). C'était une période faste car, sans être irrespectueux pour leurs successeurs, ils n'ont jamais été vraiment remplacés. Irremplaçables, ils manquent encore aujourd'hui à l'Église de France. De plus, ils symbolisaient parfaitement la génération Jean-Paul II, en n'hésitant pas à être, au-delà de prélats attentifs, de bons communicateurs, pas seulement à destination des catholiques et chrétiens, mais aussi des athées et des croyants d'autres religions (en particulier l'islam ; aux funérailles de Mgr Decourtray, le 22 septembre 1994 à la primatiale Saint-Jean-Baptiste de Lyon, les imams étaient présents).

Albert Decourtray a été nommé évêque de Dijon le 22 avril 1974. C'était son premier diocèse et il ne connaissait rien de la Bourgogne. Il a commencé à exercer ses responsabilités progressivement avec d'autres évêques, puisqu'il était évêque auxiliaire de Dijon depuis le 27 mai 1971. Très vite, il a été très apprécié par les Dijonnais et a su commencer à nouer des relations avec les journalistes. Il était tellement apprécié dans la hiérarchie catholique qu'on pensa à lui pour la succession de Mgr François Marty à l'archevêché de Paris.

Mais entre-temps, en 1980, Albert Decourtray a été atteint d'une grave maladie, un cancer des cordes vocales. Traitements et surtout, silence, il était incapable de parler, ses traitements l'avaient rendu muet, ce qui n'était pas la panacée pour un porteur de la foi. Néanmoins, il a su en tirer profit : « En un sens, j'étais ravi, très heureux... très heureux de ce silence quand j'étais seul. J'aime le silence. J'aime la solitude. Être astreint à une plus grande solitude ne me déplaisait point : je réfléchissais longuement, je lisais, je parlais au Seigneur tout bas... Mais ce même silence me pesait terriblement quand j'étais en compagnie. ». Sa guérison et le retour de sa voix (sa voix est revenue en pleine conférence à la fin de novembre 1980, et sa première réaction a été de dire : « C'est amusant ! ») ont été vécus par lui comme un miracle : « Le miracle n'est pas incompatible avec la médecine. ». Il ajoutait par la suite : « Je dirais, comme Bernanos, que tout est grâce. On le dit après. Et parce que cela a bien tourné... ».

Finalement, ce fut Jean-Marie Lustiger qui fut nommé archevêque de Paris le 31 janvier 1981 (jusqu'au 11 février 2005), après avoir exercé pendant un an comme évêque d'Orléans. Lui, l'évêque Decourtray, donc par une sorte de grâce, a guéri de son mal et a été nommé à Lyon quelques mois plus tard. En plus de cette charge, il fut élu président de la Conférence des évêques de France le 6 novembre 1987, pour trois mandat d'un an, en d'autres termes, il était le représentant de tous les évêques de France, tant vis-à-vis du Vatican que des fidèles.

Les deux hommes furent à la fois de bons complices intellectuels, mais aussi en légère rivalité ...professionnelle, dirais-je. Les deux étaient voués à être créés cardinaux car ce sont deux fonctions, à Paris et à Lyon, qui sont traditionnellement porteuses de ce titre. Jean-Marie Lustiger fut créé cardinal le 2 février 1983, tandis qu'Albert Decourtray a dû attendre quatre ans, créé cardinal seulement le 25 mai 1985, ce qui entraîna son agacement, pas que cette nomination fût tardive, mais que les médias ne cessaient d'en déduire des supputations erronées (qu'il serait mal-aimé du Vatican, etc.).

Plutôt que d'être mal-aimé, il était au contraire considéré par beaucoup comme le porte-parole officieux du pape Jean-Paul II en France. Il l'a d'ailleurs accueilli à Lyon du 4 au 7 octobre 1986 à l'occasion de la béatification du prêtre franciscain Antoine Chevrier. À son arrivée à l'aéroport de Lyon-Satolas, le 4 octobre 1986, Jean-Paul II dit à François Mitterrand : « Vous permettrez, Monsieur le Président, que je salue aussi mes Frères dans l’épiscopat, qui m’ont invité, avec votre agrément, et qui sont venus m’accueillir ici, notamment monsieur le cardinal Albert Decourtray, l’archevêque de ce lieu, Mgr Jean Vilnet, président de la Conférence épiscopale, avec les cardinaux français, les cardinaux et prélats invités d’autres pays, et les évêques de la région, en particulier Mgr Gabriel Matagrin, dont le diocèse est tout proche. Avec eux, avec les fidèles catholiques de ce pays, nous aurons beaucoup d’autres occasions de nous entretenir. ».

Et inversement, ce fut Albert Decourtray qui entra le premier des deux à l'Académie française (au fauteuil du pieux Maurice Barrès), élu le 1er juillet 1993 (sans avoir été lui-même candidat, il a cru à un canular) et reçu le 10 mars 1994 (quelques mois avant sa mort), et son successeur fut justement Jean-Marie Lustiger, rapidement élu le 15 juin 1995 et reçu le 14 mars 1996, ce qui fut, pour l'archevêque de Paris, l'occasion émouvante de faire l'éloge de son ami et prédécesseur : « Je me souviens de la joie ressentie par un autre cardinal, Albert Decourtray, au moment où vous l’avez appelé à devenir l’un des vôtres, voilà deux ans. Joie pure de toute vanité, car il était persuadé que vous vouliez, par fidélité à l’histoire et à la mission de l’Académie, faire, en lui, honneur à l’Église. Permettez-moi, alors que je veux partager la même joie, de ne pouvoir écarter ma tristesse de son départ. Soyez remerciés de me confier, en m’appelant à lui succéder, le devoir de rendre hommage à un ami, à un frère. ».

Communicants rayonnants, les deux cardinaux n'hésitaient donc pas à descendre dans l'arène médiatique, et les journalistes en étaient ravis. Ils participaient, comme des ministres, des chefs de parti ou des candidats à l'élection présidentielle, non seulement aux deux grandes émissions politiques de l'époque, "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 et "Sept sur sept" sur TF1, mais aussi à d'autres émissions comme "Face à la presse" sur FR3, "Découvertes" sur Europe 1, "Question à domicile" sur TF1, "Le Journal inattendu" sur RTL, "Le Club de la presse" sur Europe 1, etc. ...et même "Apostrophe" sur Antenne 2.

Le cardinal Decourtray connaissait bien les dangers d'une forte médiatisation : « Je suis conscient du risque que peut présenter une conférence de presse, un "face à la presse télévisée", un échange téléphonique, un interview spontané, etc. On peut ne pas être en forme, on peut se laisser piéger. On peut exprimer maladroitement sa pensée. On peut être incompris. Et surtout, on a des limites et des faiblesses, que le journaliste a le redoutable pouvoir de souligner. ». En revanche, parler à la télévision donnait une caisse de résonance incroyable au message de l'Église.

Un exemple avec le préservatif le 4 novembre 1988 : répondant à la question d'un journaliste, le cardinal Decourtray répondit un peu rapidement : « Si l'on croit que le préservatif est le remède, c'est bien triste. ». S'il a rétropédalé un peu plus tard, dans "L'Heure de vérité" du 12 décembre 1988 : « Quand il faut choisir entre donner la mort et prendre un moyen qui n'est pas bon, il faut choisir le moindre mal... » (mais on s'étonna encore huit ans plus tard que l'Église catholique puisse tolérer le préservatif alors qu'elle ne l'a jamais interdit), le mal était fait et la porte ouverte aux humoristes, même un amateur, par ailleurs ancien ministre et député-maire d'une grande ville de banlieue, André Santini, qui n'a pas pu s'empêcher de sortir cette formule bien léchée : « Mgr Decourtray n'a rien compris au préservatif. La preuve, il le met à l'index. » (1990).

Bernard Berthod et Régis Ladous, auteurs d'une biographie de l'archevêque de Lyon publiée en 1996, insistaient sur l'amitié entre les deux cardinaux : « Leur amitié est fraternelle : Lustiger a tendance à se prendre pour l'aîné [alors qu'il est né le 17 septembre 1926], et Decourtray n'est pas fâché d'annoncer, après son premier passage à l'émission télévisée "L'Heure de vérité", qu'il y a "tangenté Chirac et dépassé Lustiger". (…) La synergie Decourtray/Lustiger fonctionne comme un tourbillon, elle attire et happe les dossiers bien plus que ne l'aurait fait un responsable solitaire et débordé. ».

De son côté, le journaliste spécialiste du christianisme Henri Tincq écrivait dans "Le Monde" du 26 juillet 1987 : « Il n'est pas un dossier important dans l'Église de France qui (…) ne passe par le couple Lustiger-Decourtray et ne fasse entre eux l'objet d'une répartition des tâches. Ils sont l'un et l'autre appréciés à Rome et souvent reçus à la table du pape. ».

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Jean-Marie Lustiger et Albert Decourtray n'ont été réellement amis qu'à la suite du voyage très important du pape du 16 au 23 juin 1983. Jean-Paul II revenait pour la deuxième fois en Pologne, dans son ancien diocèse de Cracovie, pour visiter l'ancien camp d'extermination d'Auschwitz le dernier jour de son périple. Le pape avait proposé à Mgr Lustiger de venir car sa mère avait péri dans ces lieux (et il était d'origine polonaise). Jean-Marie Lustiger avait alors demandé à Albert Decourtray de l'accompagner, comme second prélat français de la délégation, afin de lui permettre, lui, le fils d'une victime, de ne pas aller jusqu'au bout du voyage, car il imaginait la dureté de l'épreuve.

Les deux historiens biographes cités plus haut ont raconté : « S'il découvre de l'intérieur ce que fut la Shoah, [Decourtray] le doit à ce que Lustiger lui dit et peut-être surtout ne lui dit pas ; Lustiger qui demande de l'accompagner car il n'est pas sûr de pouvoir aller jusqu'au bout ; Lustiger qui, en effet, ne va pas jusqu'au bout et se recueille et prie au seuil du camp où sa mère a été assassinée. Decourtray entre seul dans Auschwitz, il va s'agenouiller devant le mur du souvenir (…). Pas question, il le comprend alors, d'une prière publique, d'un geste qui pourrait ressembler à une appropriation. "En ce lieu où la cendre des victimes est mêlée pour toujours à la terre et à la mémoire d'un peuple, où la terre crie l'offense qui lui a été faite, on ne peut faire que silence". Le geste symbolique, Lustiger et Decourtray le font devant le monument commémoratif de l'insurrection du ghetto de Varsovie ; ils déposent, au nom des catholiques de France, une gerbe (…). ».

Mgr Decourtray a été, dit-on, très proche des Juifs et c'était effectivement vrai, au point d'avoir en son hommage un mémorial à Jérusalem, inauguré en mai 2000. Il s'impliqua beaucoup dans le procès du bourreau nazi Klaus Barbie, commentant les témoignages qu'ils considéraient utiles alors qu'il voyait que les victimes avaient beaucoup plus honte que leurs tortionnaires. Il a été traumatisé par l'histoire de la rafle des enfants d'Izieu, victimes seulement de leur nom juif et de rien d'autre.

Dans "Passages" de juillet 1989, il criait sa révolte : « Que ce Dieu puisse paraître passif devant l'extermination de Son peuple, voilà le scandale absolu. Absolu, puisqu'il se nourrit de la foi en un amour sans mesure. De ce scandale ne peut naître que l'athéisme (…) ou la protestation contre l'absence apparente de Celui en qui on ne cesse de croire malgré son silence. ». Il ne mâchait pas ses mots, quitte à surprendre et même choquer, quitte à toujours bousculer les consciences.

Dans cet esprit, il n'était pas étonnant qu'Albert Decourtray reçût du pape en juillet 1996 la très délicate mission de gérer l'installation d'un Carmel dans l'enceinte d'Auschwitz (douze religieuses voulaient s'y installer, avec l'accord du parti communiste polonais, le POUP), à savoir, de trouver une solution consensuelle. Sa mission était faite de négociations avec Théo Klein pour aboutir à un accord le 22 février 1987 qui proposait l'installation à l'extérieur du camp, à quelques centaines de mètres de là, mais celui-ci fut rejeté par l'épiscopat polonais, les carmélites étaient soutenues notamment par le primat de Pologne, le cardinal Glemp. Mgr Decourtray avait reçu le soutien de Jean-Paul II en 1988, mais il ne voulait pas imposer l'accord par le haut, et la chute du parti communiste en Pologne en 1989 a également bouleversé la situation. En juillet 1989, des militants juifs se heurtèrent aux ouvriers polonais qui rénovaient une partie des lieux pour le Carmel.

Ce conflit lui tenait à cœur, il se sentait proche tant des Juifs que des carmélites, car quand il était évêque à Dijon et qu'il était réduit au silence par sa maladie, il avait fait de la carmélite mystique Élisabeth de la Trinité, morte de maladie le 9 novembre 1906 à l'âge de 26 ans, l'une des références spirituelles de son engagement religieux : « Sa liberté en éveil se déploie : cette brèche spirituelle ouvre son esprit par le dedans, rend son intelligence disponible à ce qu’elle n’avait pas encore vraiment rencontré. » (selon les mots de Mgr Lustiger). La jeune femme, qui a laissé de nombreux écrits, a été béatifiée à Rome le 25 novembre 1984 par Jean-Paul II (en présence de Mgr Decourtray) et canonisée à Rome le 16 octobre 2016 par le pape François.

Dans le "Journal du dimanche" du 13 août 1989, Albert Decourtray ne savait plus où se mettre dans l'affaire du Carmel : « Qu'il y a quelque chose qui blesse la conscience juive m'est intolérable (…). J'avoue que j'ai été tenté de renoncer. J'ai été assailli par une impression d'échec. ». Finalement, ce fut bien un acte d'autorité qui résolut le problème : par sa lettre du 14 avril 1993, le pape demanda aux carmélites de se déplacer du périmètre international d'Auschwitz. Elles n'ont pas compris pourquoi on voulait les déloger alors qu'elles y étaient venues pour prier pour les Juifs. C'était là un sujet de grand agacement pour Albert Decourtray qui avait expliqué le 19 novembre 1988 au Collège de France : « Je pense toujours qu'une des formes nouvelles mais essentielles du respect du peuple juif par tous les hommes de bonne volonté est de perdre l'habitude séculaire et tragique de lui dire ce qu'il doit dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, être ou ne pas être. ».

Ce n'était pas non plus étonnant que le 9 juin 1989, Albert Decourtray ouvrît complètement aux historiens les archives de son archevêché pendant la guerre, notamment sur les possibles soutiens de l'Église au milicien Paul Touvier. En 1990, le cardinal affirma : « Un tort bien établi, et que l’on porte dans la vérité et le courage, est préférable à l’innocence suspecte. ».

Cette phrase résonne différemment de nos jours avec le scandale des prêtres coupables de pédocriminalité. Pourtant, malheureusement, le primat des Gaules a fait preuve pour le moins de légèreté sur ce problème très grave, sans en réduire la gravité. Sur le prêtre (condamné en 2020) Bernard Preynat, sa réaction, devant les parents de victimes qui lui avaient signalé le prêtre fautif en 1991, aurait été celle-ci : « Il y a du "diabolique" dans cette affaire et le "coupable" n'est qu'une victime que je vais aussi tenter de libérer. ». Bernard Preynat lui-même a témoigné bien plus tard : « Quand le cardinal Decourtray m’a convoqué en 1991, j’ai commencé par lui dire que c’était une longue histoire. Là, il a fait un geste du bras pour exprimer qu’il n’avait pas envie d’en entendre plus. Il m’a fait promettre de ne jamais recommencer et m’a dit “Bernard, je vous fais confiance”. ».

À l'évidence, les évêques n'étaient pas formés pour réagir à une telle situation remettant en cause toute la confiance qu'ils avaient mise dans les prêtres de leur diocèse au cours d'une période de baisse énorme des vocations. Albert Decourtray, pas plus que d'autres, n'ont saisi l'importance du phénomène. Mais aussi ne voulaient pas en savoir plus, pas découvrir la vérité qui n'a pu s'exprimer qu'en 2021 avec le rapport Sauvé (et ces affaires lyonnaises ont atteint le lointain successeur de Mgr Decourtray, le cardinal Philippe Barbarin qui a dû démissionner de ses fonctions).

Le cardinal Decourtray était très à l'écoute des souffrances de toute sorte de son diocèse. Ainsi, dès le 9 avril 1982 (le Vendredi Saint), il s'est rendu aux Minguettes, invité par les habitants. Le 20 février 1985 (le mercredi des Cendres), inquiet de l'audience de certaines thèses politiques, il a mis en garde : « Nous avons assez de voir grandir la haine contre les immigrés. Nous en avons assez des idéologies qui la justifient et d'un parti dont les thèses sont incompatibles avec l'enseignement de l'Église. ». Au risque de choquer, il fallait bien rappeler quelques fondamentaux. Et être clair, comme dans cette interview à "Lyon Figaro" le 10 novembre 1987 : « Il est bien certain que l'accueil de l'étranger et de l'immigré fait partie de l'Évangile. Je ne veux pas peser sur les consciences, mais contribuer, à ma place, à éclairer les hommes pour qu'ils se décident en connaissance de cause et au nom des valeurs essentielles de la conscience humaine. ».

L'homme est passion et compassion. Mgr Jean-Marie Lustiger lui a rendu sans doute le meilleur hommage en dévoilant les ressorts de cette personnalité exceptionnelle : « Lorsque Albert Decourtray nous dit qu’il n’y a pas de différence entre le gamin et le cardinal, il nous fait comprendre sa trajectoire : la liberté et l’audace de l’homme dans la maturité de son âge se nourrissent de ces vertus intactes qui l’ont rendu, mieux que d’autres, sensible et disponible, non seulement à la découverte des tragédies du passé, mais aussi aux interrogations du présent et aux signes de l’avenir. Sinon, comment et par quelle magie un homme dont l’éducation et le parcours furent autant marqués par la culture catholique, aurait-il pu, cinquante ans plus tard, demeurant lui-même, entrer avec une aisance aussi généreuse dans le vif des questions de ses contemporains étrangers à son univers natif ? » (14 mars 1996).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Le cardinal Decourtray" par Bernard Berthod et Régis Ladous, éd.LUGD, 1996.
Une voix dans la rumeur du monde.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230409-decourtray.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/mgr-albert-decourtray-en-toute-247622

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5 avril 2023 3 05 /04 /avril /2023 05:59

« Quant au mal qui est en moi
Pardonne et nettoie
(…)
Donne-nous, donne-moi
La force et la lumière
Et nous changerons le monde. »
(Extrait d'une prière inédite de Maurice Bellet composée en juin 2016).




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Il y a déjà cinq ans, le 5 avril 2018, Maurice Bellet, grand philosophe chrétien, est mort à l’âge de 94 ans alors qu'il continuait toutes ses activités d'étude de l'humain, écrire, mais aussi parler, tenir des conférences, rencontrer ses contemporains et échanger avec eux, pratiquement jusqu'à ses derniers jours.

En janvier 2014, il écrivait : « Donc, j'ai eu 90 ans. Depuis quelques jours. Ça ne me plaît pas. Pas du tout. Il me semble que j'ai encore à faire avant le grand départ. Et le temps va me manquer. Illusion ? Vains désirs ? Rien n'est jamais tout à fait pur chez les humains, dont je suis. Il me semble pourtant que ce que je désire voir paraître, pas nécessairement par moi, mais du moins à quoi je participerai, c'est du côté de la vie. Et de l'urgence. ».

Difficile de dire correctement ce que Maurice Bellet était complètement. Philosophe, théologien, sociologue, prêtre, chercheur, enseignant, psychanalyste, essayiste, il était aussi, ne serait-ce que dans son style d'écriture très particulier (parfois un peu difficile à comprendre au premier abord, c'est vrai), un poète d'un genre inclassable. Maurice Bellet a soutenu deux thèses de doctorat, une en théologie, et une autre en philosophie. Cette dernière thèse fut dirigée par Paul Ricœur et dans son jury de thèse se trouvait Emmanuel Levinas (c'est assez impressionnant !) ; celle de théologie dirigée par le théologien et prêtre dominicain Claude Geffré, qui fut directeur de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem.

En tout cas, il était un écrivain très fécond, ce qui est précieux quand on quitte cette Terre : au moins soixante-trois ouvrages traduits dans une dizaine de langues à son actif (dont six romans et deux pièces de théâtre), un publié après sa disparition, et de très nombreux articles de fond dans des revues de philosophie ou de religion. Son principal thème (mais pas exclusif), c'est, si j'ose résumer un peu trivialement, l'épreuve des hommes. Maurice Bellet a écouté de très nombreuses personnes qui étaient dans des situations terribles, de malheur et de mal, et il a tenté de les comprendre, de comprendre en quelque sorte le Mal sur Terre, et de donner (car il était prêtre mais aussi homme optimiste) des raisons d'espérer, des raisons de croire que tout est encore possible, que la vie, malgré tous les problèmes parfois insoutenables, peut devenir une vie pleine de richesse, que leur place est toujours bien là, sur Terre.

L'un de ses livres majeurs, à mon sens (mais beaucoup de ses livres sont majeurs, c'est vrai), c'est "L'Épreuve ou le tout petit livre de la divine douceur", sorti en 1988 (chez Desclée de Brouwer), où il évoquait une épreuve personnelle très dure et son témoignage à destination de ceux qui vivent aussi des épreuves difficiles. Il l'a écrit dans son lit d'hôpital : « En écrivant ce livre (…), j’ai tâché de montrer qu’au sein même de la souffrance, de la douleur et de la dépendance… il est possible de vivre dans cet état de profonde paix, miséricordieuse et rassérénante (…). Une divine douceur qui nous invite ainsi à quitter la voie de la tristesse et de la cruauté pour passer sur un chemin de joie et de grâce. ».

Un extrait :
« L'amour d'amitié a trois visages : la présence, l'hospitalité, l'écoute. Les trois sont un. On peut parler avec ses mains, avec son regard, avec son silence ; avec la simple présence. Et même : avec l'absence nécessaire. Le vrai amour ne prend rien ; il vous laisse même à votre solitude, la bonne solitude où vous pouvez aller par vous-même, in-dépendant. Mais le vrai amour ne vous abandonne jamais. Ainsi la parole aimante est-elle comme une demeure où nous pouvons habiter jusque dans l'errance. ».

Un autre extrait qui secoue les cœurs :
« Ô vous, dont j’étais, dont je suis, les écartés, les allongés, les promis à la mort, les sans force et sans pouvoir, à tout être humain vivant, il est permis d’être le sel de la terre. Il lui suffit d’aimer, autant qu’il peut, la divine douceur. Il lui suffit, dans l’océan de trouble et de douleur, d’une goutte de cette eau pure. Alors, à la mesure même de son abîme, fût-ce le désespoir et la folie, sa vie humaine s’élève à la vie divine, qui est la vie humaine enfin libre de l’horreur et du démoniaque, libre en sa source et son principe. Alors, tout humain peut ouvrir la bouche, pour nourrir sa grande faim et donner sa parole au monde. Car tel est le mot de la divine douceur, le premier et le dernier, elle ne dit rien d’autre : il n’y a pas de bouche inutile. ».

D'autres livres ont connu un certain retentissement, et leur titre est d'ailleurs souvent très propre à la pensée de Maurice Bellet comme : "Essai d'une critique de la foi" (1968), "La Peur ou la foi" (1968), "Réalité sexuelle et morale chrétienne" (1971), "Le Dieu pervers" (1979), "Critique de la raison sourde" (1992), "L'Extase de la vie" (1995), "La Quatrième Hypothèse. Sur l'avenir du christianisme" (2001), "Le Paradoxe infini" (2003), "La Traversée de l'en-bas" (2005), "Le Meurtre de la parole ou l'épreuve du dialogue" (2006), "Le Dieu sauvage. Pour une foi critique" (2007), "Dieu, personne ne l'a jamais vue" (2008), "L'Explosion de la religion" (2014), "Notre Foi en l'humain" (2014), "La Chair délivrée" (2015), "Un Chemin sans chemin" (2016), "Le Messie crucifié. Scandale et folie" (2019), etc.

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Maurice Bellet a donc laissé beaucoup d'écrits qui sont, ce qui est normal pour un philosophe, toujours très denses, qui donnent souvent à penser, à méditer. Parmi ses articles, je propose quelques extraits puisés dans son blog qu'il alimentait régulièrement entre 2014 et 2017.

Sur l'identité chrétienne : « Dans l'ordre de la pensée, le fruit de l'Évangile n'est pas d'ajouter une idéologie chrétienne à la longue liste des idéologies. C'est de faire paraître l'autre lumière, le "logos" venu en chair, en vie humaine, et qui est entièrement amour. C'est une conversion de la pensée, une crucifixion est une résurrection de la pensée, elle met fin au prodigieux resserrement sur le spectacle et la manipulation qui, à travers son efficacité extrême, est aussi menace d'étouffement. Dans l'ordre de la pratique, le fruit n'est pas d'abord morale et moralisation, mais vivification de ce qui fait la vie humaine ; spécialement l'initiation, le soin, l'œuvre. Pour me borner à la première (qui ne laissera pas indifférents les enseignants), c'est donner aux êtres humains venant en ce monde de quoi porter leur humanité, leur naissance et leur mort, et par cette "sagesse" dont parle Paul, qui n'est point résignation à l'ordre du monde, mais prend appui prodigieusement sur ce qui vient. Quand on sait où en est l'éducation, c'est affaire d'actualité. Quant au poétique, enfin, le fruit n'est pas d'abord un rituel. Car le rite ne fait que dire ce qui d'abord est changement et élévation de toute la vie et qui se fait dans l'ordre symbolique, entendons : par le corps en tant que le corps et esprit. Là, l'écart est si grand entre ce que nous sommes et ce que nous avons à être que nous risquons de ne même pas le voir ! » (juillet 1987).

Sur la foi et la mort : « D’où viennent doute ou soupçon ? D’un constat, déjà, du côté de ce qu’on nomme culture, celle des gens cultivés. Le XXe siècle, là-dessus, nous a enseigné cette vérité terrible : on peut être un scientifique remarquable, un excellent artiste et pactiser avec l’atroce, voire le servir. On peut enseigner la philosophie, ou bien être un homme pieux et ne pas voir l’ignominie et s’en accommoder. À vrai dire, on pouvait s’en apercevoir depuis longtemps ; mais le XXe siècle a donné à ce constat une force inédite. La capacité de faire taire la voix humaine, de réduire des êtres humains, non à l’état de bêtes, mais de choses sans nom, y a pris des proportions inouïes. Nous savons désormais que cette dérive monstrueuse est possible, comme nous savons que nos propres techniques peuvent passer sous le pouvoir de la destruction. C’est au point que la recherche même de la vérité se trouve compromise, puisque celle qui réussit si admirablement en mathématiques et en physique peut se trouver incompétente et impuissante devant les assauts de la Mort. » (septembre 2014).

Sur la décomposition du christianisme : « Bien sûr, une adaptation est nécessaire. Bien sûr il faut quitter ces images de l'enfer, du sacrifice, de la mission, et plus encore ces théorisations prétendument dogmatiques qui donnaient à ces thèmes-là une rigidité insupportable. Quittons ce qu'il faut quitter, disent-ils. L'essentiel reste sauf. Il est tout entier du côté d'une foi heureuse, débarrassée des vieilles peurs, des illusions pieuses, des controverses meurtrières. La foi ne craint plus la modernité. Elle y trouve comme une jeunesse nouvelle. L'Évangile, la liturgie, une morale ouverte à la psychologie, une dogmatique qui ose intégrer ce que l'exégèse ébranle des vieux clichés, tout signifie le renouveau. L'Église se refait une santé (le pape François !). » (janvier 2016).

Dans un billet sur la foi, la sagesse et la raison, il rappelait l'impossibilité d'être neutre : « Pas de neutralité possible. Ici paraît l'illusion critique : croire qu'on peut se tenir en une pensée "objective" qui n'impliquerait pas tout ce qu'il en est du "sujet". On est neutre pour ce qui n'a pas d'importance. Pour le grave et l'essentiel, impensable. On n'est pas neutre devant Auschwitz. Ou alors !... Il faut bien qu'il y ait un absolu. Mais le grand problème des humains, c'est de ne pas savoir où il est. La ligne de séparation change. L'impossibilité et l'interdit ne sont pas fixés. ».

C'était un sujet qui lui a donné l'occasion de suggérer le sens général de son œuvre monumentale : « Il se trouve que mon lieu, mon lieu essentiel (du moins je le crois et l'espère), c'est la foi chrétienne. Voilà qui situe avec force ! L’Évangile n'est soluble dans rien d'autre ; c'est une parole, c'est un homme, un nom qui se disent avènement de l'inouï, et au-delà de toute particularité, pour tous les humains. Comment concilier cela avec cette ouverture, cette diversité que semble exiger l'universel (et le dialogue) ? Il n'y a pas de conciliation. Il y a, c'est vrai, deux positions possibles, aussi mauvaises l'une que l'autre : la prétention des chrétiens à posséder, seuls, la Vérité ; tout le reste est erreur ou attente. Ou le christianisme enfin en accord avec la mentalité contemporaine ; tout ce qui, en lui, résiste à cet arrangement doit se défaire. Deux façons de voir qui ont cet avantage : ça ne coûte rien, on est à l'aise, c'est immédiat (je l'entends du fond ; car bien sûr, on peut développer, publier, débattre... et mener sa vie dans un style ou dans l'autre). S'il n'y a pas de solution, quel chemin ? Je crois bien que tout ce que j'ai écrit (ou pourrais écrire) est dans l'espace de cette question. ». Relier l'Évangile et le monde vivant des humains d'aujourd'hui, c'était le vaste sujet d'étude du doux Bellet, merci à lui.


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Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Site officiel de Maurice Bellet.
Maurice Bellet, le poète de la divine douceur.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse, dans La Voie.
Maurice Bellet, en pleine immersion dans son temps.
La disparition de Maurice Bellet.
Quelques citations de Maurice Bellet.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230405-maurice-bellet.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/maurice-bellet-le-poete-de-la-247619

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12 mars 2023 7 12 /03 /mars /2023 13:17

« Vous savez que la tâche du conclave était de donner un évêque à Rome. Il semble bien que mes frères cardinaux soient allés le chercher quasiment au bout du monde… Mais nous sommes là… Je vous remercie pour votre accueil. La communauté diocésaine de Rome a son Évêque : merci ! Et tout d’abord, je voudrais prier pour notre Évêque émérite, Benoît XVI. (…) Et maintenant, initions ce chemin : l’Évêque et le peuple. Ce chemin de l’Église de Rome, qui est celle qui préside toutes les Églises dans la charité. Un chemin de fraternité, d’amour, de confiance entre nous. Prions toujours pour nous : l’un pour l’autre. Prions pour le monde entier afin qu’advienne une grande fraternité. » (pape François, le 13 mars 2013 à Rome).




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Il y a dix ans, le mercredi 13 mars 2013, au second jour du conclave, le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires depuis le 18 février 1998, a été élu pape de l'Église catholique. Le conclave a été provoqué par un événement historique, sans précédent depuis six siècles, la renonciation du pape Benoît XVI le 28 février 2013, épuisé par ses fonctions, trop fatigué pour pouvoir continuer dans son rôle pontifical après presque huit ans de pontificat.

D'un contact simple, le pape François allait devenir l'évangéliste, après le communicant (Jean-Paul II) et l'intello (Benoît XVI). Les premiers mots, souvent, marquent un pontificat. Jean-Paul II, à son élection, avait proclamé : « N'ayez pas peur ! ». François, dans la joie et l'étonnement de son élection, s'est proclamé pape du bout du monde, l'Argentine, qui connaît ainsi son premier pape de l'histoire doublement millénaire de l'Église.

Lors de la proclamation de son élection, le nom du nouveau pape a été mal compris en France. Dans les premières minutes, on parlait, à la télévision française, du pape Francis, parce qu'en latin, on disait Francesco (et surtout, qu'en anglais, on disait Francis). François, pour honorer saint François d'Assise, premier pape du nom, ce qui est très rare. Même Karol Wojtyla, qui avait voulu s'appeler Stanislas Ier, en l'honneur à sa patrie, la Pologne, y a renoncé : on lui a déconseillé, il valait mieux se référer à des anciens papes, il a donc honoré la mémoire de son prédécesseur, l'un des papes les plus brefs de l'histoire, Jean-Paul Ier, qui avait choisi ce nom, à la fois nouveau et ancien, en référence à ses deux prédécesseurs qui ont mené le Concile Vatican II, Jean XXIII et Paul VI (il était aussi évêque de Venise où il y a la basilique des Saints-Jean-et-Paul, San Zanipolo). Se faire appeler François (et pas François Ier a-t-il bien insisté), c'était donc une petite révolution au Vatican, mais quelques semaines après la renonciation historique de Benoît XVI, on n'était plus à cela près.

Dans une interview à l'occasion du deuxième anniversaire de son pontificat, le 13 mars 2015, le pape François n'imaginait pas du tout fêter ce dixième anniversaire : « J'ai le sentiment que mon pontificat sera bref, quatre ou cinq ans, peut-être même deux ou trois (…). Deux années ont déjà passé. C'est une sensation étrange. J'ai le sentiment que le Seigneur m'a placé là pour une courte période de temps. ». Et il a ajouté qu'il ne se refuserait pas de renoncer à ses fonctions si c'était nécessaire : « Je pense que Benoît a courageusement ouvert la porte aux papes émérites. Benoît ne doit pas être considéré comme une exception mais comme une institution. ».

Dix ans plus tard, le pape émérite Benoît XVI a disparu (le 31 décembre 2022) et le pape François a déjà plus de 86 ans : il est déjà parmi les dix papes qui ont vécu le plus longtemps de toute l'histoire de la papauté, bien plus âgé que Benoît XVI (qui a renoncé avant ses 86 ans), que Jean-Paul II (mort à presque 85 ans), et il faut remonter au grand pape Léon XIII, mort à 93 ans en 1903, pour connaître un pape "en exercice" aussi âgé. De même, si la durée moyenne d'un pontificat depuis un siècle est de onze ans et dix mois, ce dixième anniversaire du pontificat de François le place largement au-dessus de la moyenne de ses prédécesseurs dans l'histoire depuis près de mille ans (avant, les dates sont trop incertaines pour faire le calcul), qui est de huit ans et huit mois pour les pontificats à partir de celui de Lucius III en 1181.

En dix ans, le pape François a créé 44 cardinaux électeurs, mais dont seulement 5 ont été affectés au service de la Curie). Reprenant le bâton de pèlerin de son prédécesseur polonais avec le même rythme, François a effectué 40 voyages apostoliques hors d'Italie, visitant une soixantaine de pays des cinq continents (il a consacré 176 jours à ces voyages). Il a en particulier visité des peuples qui n'avaient encore jamais reçu la visite d'un pape, à savoir l'Irak, la Birmanie, la Macédoine du Nord, les Émirats arabes unis, le Soudan du Sud et Bahreïn. À ma connaissance (selon mes vérifications), il n'a pas posé les pieds en France en tant que pape (très étrangement), et très rarement en Europe occidentale. Il a également effectué 28 visites pastorales en Italie.

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Son premier voyage hors du Vatican fut d'ailleurs pour l'île italienne de Lampedusa le 8 juillet 2013 pour venir se révolter comme le drame des réfugiés naufragés en haute mer : « Immigrés morts en mer, dans ces bateaux qui au lieu d’être un chemin d’espérance ont été un chemin de mort. Ainsi titrent des journaux. Il y a quelques semaines, quand j’ai appris cette nouvelle, qui malheureusement s’est répétée tant de fois, ma pensée y est revenue continuellement comme une épine dans le cœur qui apporte de la souffrance. Et alors j’ai senti que je devais venir ici aujourd’hui pour prier, pour poser un geste de proximité, mais aussi pour réveiller nos consciences pour que ce qui est arrivé ne se répète pas. Que cela ne se répète pas, s’il vous plaît ! Mais tout d’abord, je voudrais dire une parole de sincère gratitude et d’encouragement à vous, habitants de Lampedusa et Linosa, aux associations, aux volontaires et aux forces de sécurité, qui avez montré et montrez de l’attention aux personnes dans leur voyage vers quelque chose de meilleur. Vous êtes une petite réalité, mais vous offrez un exemple de solidarité ! Merci ! ».

D'autant plus révoltant que personne ne s'en sent responsable : « Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle ; nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parlait Jésus dans la parabole du Bon Samaritain : nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous "le pauvre", et continuons notre route, ce n’est pas notre affaire ; et avec cela, nous nous mettons l’âme en paix, nous nous sentons en règle. La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-mêmes, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! Revient la figure de l’Innommé de Manzoni. La mondialisation de l’indifférence nous rend tous "innommés", responsables sans nom et sans visage. ».

Dès ses premiers pas au Vatican, le pape François a marqué les esprits par son style fait de simplicité et de proximité ; il a montré un comportement de pasteur, celui d'être proche des humbles, loin des protocoles, loin des formalismes, avec un retour à l'essentiel, aux fondamentaux, en d'autres termes, un retour à l'humain. En quelque sorte, il s'incarne comme le pape du peuple.

Sur la chaîne catholique KTO sera diffusé le lundi 13 mars 2023 à 20 heures 35 un documentaire, réalisé par Gualtiero Peirce, qui commence par des images extrêmes de solitude : le pape adressant seul sa bénédiction urbi et orbi à une foule inexistante devant une place Saint-Pierre complètement vide. C'était le 27 mars 2020 en pleine première vague de la pandémie de covid-19.

Le libellé du documentaire explique : « Dès son entrée au Vatican, le Saint Père, de manière très confidentielle, a commencé à faire des visites impromptues dans certains endroits, chaque vendredi de la Miséricorde. Il arrive avec une Ford blanche anonyme et, à la stupéfaction et à l’incrédulité des passants, se jette dans la foule. Les prisons, les hôpitaux, les bidonvilles, les familles pauvres, les écoles et les établissements pour personnes âgées font partie de ces lieux où le souverain pontife se plaît à brouiller périodiquement la distinction entre les hautes sphères de l’Église et le peuple des fidèles. Une expérience pastorale inédite, faite de proximité et d’échanges chaleureux qui a été portée à la connaissance des médias en pleine pandémie de covid-19 et de confinement généralisé. Malgré l’éloignement imposé par les mesures sanitaires, le pape semble dire, par son attitude, que la seule façon de s’en sortir c’est "ensemble". ». L'émission est diffusée aussi sur Youtube (vidéo proposée à la fin de l'article).





Dans sa dernière intervention publique, ce dimanche 12 mars 2023 à midi, à l'Angélus, sur la place Saint-Pierre, le pape François a parlé à la fois de pauvreté et d'écologie sur le thème de la soif : « Un appel parfois silencieux qui s'élève chaque jour vers nous et nous demande de prendre soin de la soif des autres. Prendre soin de la soif des autres. "Donne-moi à boire", nous disent ceux qui, dans la famille, sont si nombreux sur le lieu de travail, dans les autres lieux que nous fréquentons, soif de proximité, d'attention, d'écoute, ceux qui ont soif de la parole de Dieu et qui ont besoin de trouver dans l'Église une oasis où ils peuvent s'abreuver. "Donne-moi à boire" est l'appel de notre société où la précipitation, la course à la consommation et surtout l'indifférence, la culture de l'indifférence, génèrent l'aridité et le vide intérieurs. Et ne l'oublions pas, "donne-moi à boire" est le cri de tant de frères et sœurs qui manquent d'eau pour vivre, alors que nous continuons à polluer et à défigurer notre Maison commune, elle aussi épuisée et desséchée par cette soif. Face à ces défis, l'Évangile d'aujourd'hui offre à chacun de nous l'eau vive qui peut faire à chacun de nous un point d'eau pour les autres. ».

À la fin de la bénédiction, il a terminé par cette demande (régulière) : « À vous tous, je souhaite un bon dimanche. S'il vous plaît, n'oubliez pas de prier pour moi ! Bon appétit et au revoir ! ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (12 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.
Maurice Bellet.










https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230313-pape-francois.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/francois-les-10-ans-de-pontificat-247164

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/03/11/39841700.html








 

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5 janvier 2023 4 05 /01 /janvier /2023 08:07

(vidéo)


Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230102-benoit-xvi.html











https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230105-obseques-benoit-xvi.html




 

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4 janvier 2023 3 04 /01 /janvier /2023 04:42

« Du fond du cœur, je remercie Dieu pour les nombreux amis, hommes et femmes, qu'il a toujours placés à mes côtés (…). À tous ceux que j'ai lésés d'une manière ou d'une autre, je demande pardon de tout mon cœur. » (Benoît XVI, le 29 août 2006).



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Le pape émérite Benoît XVI est mort avec l'année 2022, le matin de la Saint-Sylvestre. Ses obsèques seront célébrées le jeudi 5 janvier 2023 à partir de 9 heures 30 à la Basilique Saint-Pierre-de-Rome (cérémonie qu'on peut suivre ici).

Son décès a provoqué une vague d'émotion à l'échelle mondiale, ce qui est bien naturel pour cette personnalité marquante du christianisme, pour ce pape qui restera dans l'histoire, bien malgré lui, comme celui qui a rompu avec le pontificat à vie en renonçant à rester pape jusqu'à sa mort :
« J’ai fait ce pas en pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. Aimer l’Église signifie aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, douloureux, en ayant toujours à cœur le bien de l’Église et non soi-même. » (27 février 2013).

Il est par ailleurs l'un des papes qui a vécu le plus longtemps dans l'histoire du christianisme, près de 96 ans (il a vécu plus longtemps que Léon XIII, décédé à 93 ans, et saint Agathon aurait été le seul pape à avoir vécu plus longtemps, mort à 104 ans en 681 après deux ans et demi de pontificat). Pour la comparaison, le pape François, qui a un peu plus de 86 ans, est déjà plus âgé que Benoît XVI lorsque ce dernier a renoncé à rester pape (à ce titre, le pape François fait partie des dix papes les plus vieux de l'histoire). Jean-Paul II est mort, quant à lui, quelques semaines avant ses 85 ans.

Parmi les réactions dans le monde, celle du Président français Emmanuel Macron : « Le pape émérite Benoît XVI nous a quittés, après avoir marqué l’Église du sceau de son érudition théologique et œuvré inlassablement pour un monde plus fraternel. (…) Loin de rechercher la fusion de l’État et de l’Église, il rappela l’importance d’une distinction du religieux et du politique, dont l’indépendance mutuelle n’implique pas indifférence, mais dialogue. Aussi invitait-il les chrétiens à s’investir comme citoyens. Ses encycliques appellent à une mondialisation respectueuse qui redistribue les ressources entre riches et pauvres, à une économie humaine qui garde le sens du don et du partage, à une écologie intégrale qui respecte la planète comme la dignité de l’Homme. Son affection pour la France lui valut d’être nommé membre étranger de notre Académie des Sciences morales et politiques. Les années de séminaire lui avaient permis d’imprégner sa pensée des écrits de Bergson, Sartre ou Camus, de se prendre de passion pour Claudel, Bernanos, Mauriac ou Maritain. Ces affinités intellectuelles s’étaient enrichies d’amitiés humaines, tissées au fil de ses échanges de ses voyages à Paris et de ses échanges avec les prélats et théologiens français qui exercèrent une forte influence sur le concile de Vatican II, notamment les futurs cardinaux Daniélou, de Lubac et Congar. (…) Devenu Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, il parcourut la France en septembre 2008, impressionnant ses auditeurs par la finesse de sa culture et l’élégance de son français. ».

Dans les articles dans la presse sur Benoît XVI, il est couramment évoqué son supposé conservatisme et sa supposée opposition avec l'actuel pape François. Pendant tout le temps de son retrait (2013-2022), au contraire, Benoît XVI a souhaité venir en aide à son successeur, participant même le 27 avril 2014 à la canonisation de Jean-Paul II et de Jean XXIII, lors d'une cérémonie appelée des quatre papes (c'était la première fois de l'histoire que l'Église a canonisé deux papes en même temps). De même, le pape François a repris les travaux de Benoît XVI, ce qui se reconnaît dans la première encyclique de François en partie rédigée par son prédécesseur ("Lumen fidei", publiée le 5 juillet 2013, peu de temps après l'élection de François).

Pour exemple, la nécrologie de Stéphanie Le Bars publiée dans Le Monde du 31 décembre 2022 était très stéréotypée : « Intimement marqué par l’histoire tourmentée de l’Europe du XXe siècle, profondément troublé par le « relativisme » qui imprègne, selon lui, les sociétés modernes, le pape allemand aura gouverné l’Eglise entre effacement et renoncement, entre coups de menton et laisser-faire, entre maladresses et rigueur intellectuelle. Son règne a déstabilisé le monde catholique, abîmé l’image de l’Eglise catholique à l’extérieur, laissé en friche nombre de chantiers, et en a ouvert d’autres, demeurés inachevés. Il faut dire que ce très proche collaborateur de Jean Paul II avait accepté la charge à reculons. (…) Avocat de l’alliance entre la foi et la raison, il a plaidé pour que le christianisme ait une voix dans l’espace public, exhortant les croyants à jouer un rôle dans les débats actuels. ».

Théologien moderne, il le fut dès le Concile Vatican II auquel il a participé et Benoît XVI a sans doute laissé son meilleur texte avec l'encyclique "Caritas in veritate" publiée le 29 juin 2009. La charité, c'est la foi et la vérité, c'est la raison : « Le faire sans le savoir est aveugle, et le savoir sans amour est stérile. (…) L’amour dans la vérité demande d’abord et avant tout à connaître et à comprendre, en reconnaissant et en respectant la compétence spécifique propre à chaque champ du savoir. La charité n’est pas une adjonction supplémentaire, comme un appendice au travail une fois achevé des diverses disciplines, mais au contraire elle dialogue avec elles du début à la fin. Les exigences de l’amour ne contredisent pas celles de la raison. Le savoir humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne pourront pas, à elles seules, indiquer le chemin vers le développement intégral de l’homme. Il est toujours nécessaire d’aller plus loin : l’amour dans la vérité le commande. Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction des conclusions de la raison ni contredire ses résultats. Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour : il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour. ».

Il faut signaler en outre qu'il fut le premier pape à avoir voulu faire toute la lumière (et la transparence) sur la pédocriminalité dans l'Église catholique, intention louable et noble même si, et chaque jour hélas en apporte son grain de sel, il n'a su opérer efficacement. Dans une interview qu'il a accordée aux journalistes dans son avion en vol vers les États-Unis, Benoît XVI expliquait le 15 avril 2008, à propos des scandales de certains prélats américains : « Quand je lis les comptes-rendus de ces événements, j'ai du mal à comprendre comment certains prêtres ont pu manquer à ce point à la mission d'apporter la guérison, d'apporter l'amour de Dieu à ces enfants. J'ai honte et nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour faire en sorte que cela ne se renouvelle plus. Je crois que nous devons agir à trois niveaux : tout d'abord au niveau de la justice et au niveau politique. (…) Nous exclurons de manière absolue les pédophiles du ministère sacré ; c'est totalement incompatible. Celui qui s'est rendu coupable de pédophilie ne peut pas être prêtre. À ce premier niveau, nous pouvons faire justice et aider les victimes, car elles sont profondément blessées ; les deux côtés de la justice sont d'une part que les pédophiles ne peuvent pas être prêtres et de l'autre, l'aide aux victimes, de toutes les manières possibles. Il y a ensuite un niveau pastoral. Les victimes auront besoin de guérison, d'aide, d'assistance et de réconciliation : il s'agit d'un engagement pastoral important et je sais que les évêques, les prêtres et tous les catholiques aux États-Unis feront tout ce qu'ils pourront pour aider, assister, guérir. Nous avons visité les séminaires et nous ferons tout ce qui sera possible pour donner aux séminaristes une profonde formation spirituelle, humaine et intellectuelle. Seules des personnes saines et qui ont vie personnelle profondément enracinée dans le Christ et dans les sacrements peuvent être admises au sacerdoce. Je sais que les évêques et les recteurs de séminaires feront tout leur possible pour avoir un discernement très très sévère car il est plus important d'avoir de bon prêtres que beaucoup de prêtres. Ceci est également notre troisième niveau et nous espérons pouvoir faire, avoir fait et faire encore à l'avenir, tout ce qui est en notre pouvoir pour guérir ces blessures. ».

À l'occasion d'un discours aux cardinaux le 20 décembre 2010, Benoît XVI est revenu sur le sujet : « Nous avons été d’autant plus bouleversés quand, justement en cette année et en une dimension inimaginable pour nous, nous avons eu connaissance d’abus contre les mineurs commis par des prêtres, qui transforment le Sacrement en son contraire ; sous le manteau du sacré, ils blessent profondément la personne humaine dans son enfance et lui cause un dommage pour toute la vie. Dans ce contexte, m’est venue à l’esprit une vision de sainte Hildegarde de Bingen qui décrit de façon bouleversante ce que nous avons vécu cette année. (…) Dans la vision de sainte Hildegarde, le visage de l’Église est couvert de poussière, et c’est ainsi que nous l’avons vu. (…) Nous devons accueillir cette humiliation comme une exhortation à la vérité et un appel au renouvellement. Seule la vérité sauve. Nous devons nous interroger sur ce que nous pouvons faire pour réparer le plus possible l’injustice qui a eu lieu. Nous devons nous demander ce qui était erroné dans notre annonce, dans notre façon tout entière de configurer l’être chrétien, pour qu’une telle chose ait pu arriver. Nous devons trouver une nouvelle détermination dans la foi et dans le bien. Nous devons être capables de pénitence. Nous devons nous efforcer de tenter tout ce qui est possible, dans la préparation au sacerdoce, pour qu’une telle chose ne puisse plus arriver. C’est aussi le lieu pour remercier de tout cœur tous ceux qui s’engagent pour aider les victimes et pour leur redonner la confiance dans l’Église, la capacité de croire à son message. Dans mes rencontres avec les victimes de ce péché, j’ai toujours trouvé aussi des personnes qui, avec grand dévouement, se tiennent aux côtés de celui qui souffre et a subi un préjudice. C’est l’occasion pour remercier aussi les si nombreux bons prêtres qui transmettent dans l’humilité et la fidélité, la bonté du Seigneur et qui, au milieu des dévastations, sont témoins de la beauté non perdue du sacerdoce. Nous sommes conscients de la gravité particulière de ce péché commis par des prêtres et de notre responsabilité correspondante. Mais nous ne pouvons pas taire non plus le contexte de notre temps dans lequel il est donné de voir ces événements. Il existe un marché de la pornographie concernant les enfants, qui, en quelque façon, semble être considéré toujours plus par la société comme une chose normale. La dévastation psychologique d’enfants, dans laquelle des personnes humaines sont réduites à un article de marché, est un épouvantable signe des temps. (…) Tout plaisir devient insuffisant et l’excès dans la tromperie de l’ivresse devient une violence qui déchire des régions entières, et cela au nom d’un malentendu fatal de la liberté, où justement la liberté de l’homme est minée et à la fin complètement anéantie. (…) Rien ne serait en soi-même bien ou mal. Tout dépendrait des circonstances et de la fin entendue. Selon les buts et les circonstances, tout pourrait être bien ou aussi mal. La morale est substituée par un calcul des conséquences et avec cela cesse d’exister. Les effets de ces théories sont aujourd’hui évidentes. Contre elles, le pape Jean-Paul II, dans son encyclique "Veritatis splendor" de 1993, a indiqué avec une force prophétique, dans la grande tradition rationnelle de l’ethos chrétien, les bases essentielles et permanentes de l’agir moral. Ce texte doit aujourd’hui être mis de nouveau au centre comme parcours dans la formation de la conscience. C’est notre responsabilité de rendre de nouveau audibles et compréhensibles parmi les hommes ces critères comme chemins de la véritable humanité, dans le contexte de la préoccupation pour l’homme, où nous sommes plongés. ».

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Je propose par ailleurs de revenir ici sur le testament spirituel de Benoît XVI. Il l'a rédigé il y a déjà longtemps, puisqu'il a été publié le 29 août 2006, il y a plus de 16 ans, un peu plus d'un an après avoir été élu pape. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, surtout de la part d'un savant théologien, le texte est court et simple. Il ne s'embarrasse pas de fioritures, il va droit à l'essentiel, et l'essentiel, c'est ceci : « Ne vous laissez pas détourner de la foi ! ».

Son message est d'autant plus important qu'il est instruit. Il correspond à l'une de ses focalisations : la foi et la raison sont de concert dans l'existence, l'une renforce l'autre, et sont loin d'être incompatibles. Les deux sont même nécessaires. Car le domaine de la foi n'est pas le domaine de la raison, qui est aussi le domaine de la science.

Il l'a écrit avec une étonnante clarté : « Restez fermes dans la foi ! Ne vous laissez pas troubler ! Il semble souvent que la science, les sciences naturelles d'une part et la recherche historique (en particulier l'exégèse des Saintes Écritures) d'autre part, soient capables d'offrir des résultats irréfutables en contraste avec la foi catholique. J'ai vécu les transformations des sciences naturelles depuis longtemps et j'ai pu voir comment, au contraire, des certitudes apparentes contre la foi se sont évanouies, se révélant être non pas des sciences, mais des interprétations philosophiques ne relevant qu'en apparence de la science ; tout comme, d'autre part, c'est dans le dialogue avec les sciences naturelles que la foi aussi a appris à mieux comprendre la limite de la portée de ses revendications, et donc sa spécificité. ».

Et il était encore plus explicite avec son expérience de philosophe : « Depuis soixante ans, j'accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j'ai vu s'effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses : la génération libérale (Harnack, Jülicher etc.), la génération existentialiste (Bultmann etc.), la génération marxiste. J'ai vu et je vois comment, à partir de l'enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie, et l'Église, avec toutes ses insuffisances, est vraiment son corps. ».

Il terminait avec une grande humilité : « Enfin, je demande humblement : priez pour moi, afin que le Seigneur, malgré tous mes péchés et mes insuffisances, me reçoive dans les demeures éternelles. De tout cœur, ma prière va à tous ceux qui, jour après jour, me sont confiés. ». Au moment où il rejoint son Seigneur, Benoît XVI laissera le souvenir d'un pape intellectuel qui a su saisir quelques bribes des temps modernes.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 janvier 2023)
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Pour aller plus loin :
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.
Maurice Bellet.

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https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-testament-de-benoit-xvi-245828

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