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8 septembre 2024 7 08 /09 /septembre /2024 03:52

« Elle a le visage d'un ange prêté pour trop peu de temps à la Terre. » (Jacques Séguéla, 2006).


 


Ce dimanche 8 septembre 2024, je voudrais rendre hommage à une femme superbe, Sœur Marguerite, qui fête son 98e anniversaire. Tant d'années et autant de foi dans la vie, dans l'espérance d'un avenir meilleur, cela réconforte quand on lit tellement de mauvaises nouvelles, tellement de déclinisme, de pessimisme. Et puis, il est quand même quelques personnes charitables qui se sont engagées auprès de Dieu qui ne devraient pas décevoir, même après leur mort.

Dans le petit monde des religieuses, il y a beaucoup de sœurs Marguerite. La Sœur Marguerite que je veux honorer ici s'appelle pour l'état-civil Marguerite Tiberghien, née le 8 septembre 1926 à Roubaix, dans le Nord. Elle s'est engagée en 1948 dans les ordres chez les Filles de la charité de saint Vincent de Paul. Après avoir enseigné dans l'agglomération de Lille, Sœur Marguerite est partie en 1972 au Congo-Brazzaville pour enseigner également (le régime de ce pays africain était communiste de 1969 à 1992). Elle avait alors 46 ans.

Sa grande réalisation, ce fut d'avoir fondé l'École spéciale de Brazzaville en octobre 1975 qui permet de scolariser gratuitement les exclus, des enfants très pauvres ou en situation de handicap, des enfants déscolarisés, des adultes illettrés, etc. sur le programme de l'enseignement primaire en langue française. Elle y a enseigné la lecture et l'écriture pendant près de trente années, jusqu'en septembre 2004 où elle a pris sa retraite et est retournée vivre à Paris comme l'y conviait sa congrégation (elle avait 78 ans !). Cette école a essaimé et a fait des petites. En tout, 30 000 Congolais ont bénéficié de cette école très singulière et ont échappé à l'illettrisme. Sœur Marguerite a su trouver des financements tout au long de ces années, soit des pouvoirs publics (notamment congolais et français) soit d'origine privée (donateurs, etc.).

Au-delà de l'enseignement primaire, cette école assure aussi une formation professionnelle (menuiserie, jardinage, couture) et des activités d'éveil pour les élèves (enfants et adultes) atteints d'un handicap mental. Ces derniers restent à la charge de leur famille mais avec cette formation, ils ont progressé dans leur ouverture au monde, ce qui a renforcé leur intégration sociale. Les effectifs de l'école sont passés de 80 en 1975 à 2 500 en 2011. À partir du début des années 2000, en effet, c'est tout un réseau d'écoles qui a été mis en place pour instruire les exclus.

Toutes ces structures se basent sur les quatre principes suivants : accueil des exclus de l'école primaire, coexistence des trois sections pédagogiques (A : adultes de plus de 20 ans pour alphabétisation et préparation au CEP ; J pour enfants de moins de 14 ans pour atteindre le niveau CM2 ; T pour enfants de plus de 14 ans pour alphabétisation et préparation au CEP) et des ateliers professionnels ; gratuité avec participation financière libre des familles ; gestion d'un comité d'entraide.

Le 6 octobre 2021 (dans un entretien accordé à Marie Alfred Ngoma pour l'Agence d'information d'Afrique centrale), Sœur Marguerite a raconté ses débuts : « Nous avons commencé dans une salle qui n’était pas une classe. (…) Notre travail était d’assurer l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique mimée avec des gestes. Nous avions, pour chaque lettre de l’alphabet, une histoire accolée. Par exemple, celle de la lettre A, c’est l’histoire d’une jeune fille qui s’appelle Anne qui s’émerveille et exprime sa joie avec un énorme sourire devant la robe achetée par sa mère. La classe s’interroge : pourquoi Anne est contente ? Elle est contente parce que sa mère lui a acheté une belle robe. S’en suit l’exclamation Ah ! ».

Et de résumer l'essentiel pour les enfants congolais : « Tout comme les cinq doigts de la main : en premier, disposer d’un bon professeur ; ensuite, avoir le courage de travailler ; entretenir l’amitié dans la classe, éviter les moqueries ; veiller à la propreté dans l’école et enfin, lutter pour la vérité, admettre ses faiblesses au lieu de les cacher, pas d’évolution si on ne sait pas lire. (…) Plus, il y aura de femmes et d’hommes conscients de la richesse de la lecture, mieux ça ira ! C’est par l’apprentissage de la lecture pour tous que le Congo rendra la fierté aux populations, ôtant, au passage, le mépris de l’autre. ».

Malgré la guerre civile qui a sévi au Congo-Brazzaville entre le 10 mai et le 25 octobre 1997 et qui a fini par le retour au pouvoir de l'ancien autocrate communiste Dens Sassou-Nguesso (toujours au pouvoir aujourd'hui), la religieuse a préféré restait courageusement sur place, malgré les dangers, pour continuer à mener sa lutte contre l'illettrisme, car ses élèves avaient besoin d'elle.

En avril 2006, Sœur Marguerite a fait la connaissance du publicitaire Jacques Séguéla et ce fut le coup de foudre pour l'homme de communication qui l'a appelée Sœur Courage. Ce dernier lui a consacré un livre-interview où elle a nappé sa vie auprès des exclus. Un livre, publié en octobre 2006, dont les droits d'auteur ont été versés à l'Association des amis de l'École spéciale de Brazzaville.
 


La notoriété de l'ancien conseiller en communication politique de François Mitterrand lui a permis également de créer, avec l'aide notamment du père Alain de La Morandais (qui avait fait connaître Sœur Marguerite à Jacques Séguéla), le Fonds de dotation Sœur Marguerite le 20 août 2010 pour financer toutes les initiatives locales visant à concrétiser la gratuité et l'universalité de l'enseignement primaire en langue française (apprendre à lire, écrire et compter). Ce fonds a été reconnu à l'UNESCO au cours d'une journée sous le haut patronage de Carla Bruni, épouse du Président de la République, le 12 avril 2011.

Pierre Chausse, président de ce fonds, a expliqué : « [Ce fonds] a pour objet de pérenniser et de développer le modèle des Écoles Spéciales (qui combine enseignement primaire francophone pour tous et formations professionnelles) ainsi que de développer un réseau d’écoles dans le monde entier. En une décennie, l’action de soutien du Fonds de dotation en faveur de projets éducatifs s’est étendue auprès de nombreuses communautés francophones, qu’elles soient congolaises, indiennes ou libanaises. Aujourd’hui via ses partenariats avec d’autres ONG, les équipes enseignantes sur place et des acteurs locaux partageant ces mêmes valeurs d’universalité de l’éducation. Le Fonds de dotation réfléchit à différents projets d’infrastructures, notamment en faveur des personnes handicapées. ».


Quant à la religieuse, voici ce qu'elle disait, le 13 février 2011 sur RFI, à la journaliste Geneviève Delrue (vice-présidente de l'Association des journalistes d'information religieuse) : « Cela me donne un grand bonheur, parce que je suis de plus en plus persuadée que les questions de sous-développement de pays en retard, c'est avant tout une question d'instruction. Alors, maintenant, il y a l'École spéciale à soutenir, mais il y aurait aussi l'ensemble des jeunes mal instruits ou pas scolarisés du tout. Mon idée-là, toujours dans la tête : pas savoir lire à 80 ans, ce n'est pas grave, parce qu'on a encore toute l'oralité avec les contes, les proverbes, enfin, toute la belle poésie de cette oralité. Pas savoir lire à 50 ans, ce n'est pas grave, il y a des écoles qui sont prévues pour ça. Mais pas savoir lire à 15 ans, c'est inacceptable ! Surtout à notre époque. Parce que les analphabètes qui n'ont que la force de leurs bras, et qui, ayant grandi dans des villes immenses, n'ont pas bénéficié de la culture orale de leurs ancêtres, on est devant un orphelinat mental. (…) Maintenant, avec les avancées techniques et les robots, les analphabètes qui n'ont que la force de leurs mains, petit à petit, on n'en a pas besoin, c'est grave ! Voyez les chantiers de construction, et j'ai vu de grandes grues, des grosses pelleteuses, mais il y a deux trois ouvriers, pas plus, ce n'est pas la peine, la machine est là. C'est vrai, il faut savoir la diriger la machine, donc, il faut avoir fait des études ».

Effectivement, Sœur Marguerite a souvent parlé du « miracle de l'amitié » qui a sorti tant de ses élèves, enfants congolais, de « l'orphelinat mental ». Elle leur a souhaité joyeux Noël 2021 avec ces mots : « Qu’ils soient dans la posture où, avec peu, se multiplient les bonheurs à partager (…). [Je leur souhaite] d’avoir souvent l’occasion de dire, d’entendre : c’est bien, c’est bon, c’est beau ! ».
 


Elle a décrit la honte de l'exclusion scolaire : « Le premier point commun, c'est une espèce de honte. L'analphabète de 15 ans a honte de ne pas savoir lire. Et l'écriture pour lui, c'est des dessins. (…) Ils savent qu'ils n'ont pas d'avenir. Alors, vous les retrouvez où ? Vous les retrouvez dans les bandes armées, soit simplement des bandits, soit des bandes armées des milices dont s'entoure chaque personnage important. ».

Jusqu'au bout, jusqu'à son dernier souffle, Sœur Marguerite se consacrera donc à l'éducation, après avoir vu les massacres de la guerre civile en 1997 : « Au moins l'éducation primaire. D'abord, c'est marqué dans la Déclaration des droits de l'homme, article 26 : l'homme a droit à l'éducation gratuite, au moins la primaire. On ne peut pas se contenter de nourrir. On ne peut pas se contenter de vacciner. Ça va vite, un vaccin ; une minute, l'enfant est vacciné. Mais après ? Moi, je disais à un papa qui est tout fier d'aller annoncer à la mairie que sa femme lui a fait cadeau du plus beau bébé du monde, est-ce qu'il a pensé qu'il en avait jusqu'en 2030 à suivre la scolarité de son fils ? Maintenant, il faut compter vingt ans. Et là-bas, on trouve normal de les laisser comme ça parce que, c'est vrai, il y a un effort à faire. Quand je vois les belles écoles en France, et qu'on n'est pas contents, on a encore trop d'enfants qui arrivent en Sixième en ânonnant la lecture, bon, mais là-bas, chaque fois, je suis triste, je suis contente parce qu'on reçoit de bonnes aides des écoles françaises, ces jeunes sont généreux, les professeurs aussi, les directeurs sont très accueillants, mais chaque fois, quand je vois la différence avec les écoles du Congo que je connais (…), je dis : non, ça ne va pas, ils ne vont pas se rattraper. Et je supplie de tout mon cœur les chefs d'État de prendre ça en main. » (13 février 2011).

Le 28 mars 2013, Sœur Marguerite a suggéré pour l'hebdomadaire chrétien "La Vie" que Dieu avait laissé quatre graines dans le cœur des humains, et des seuls humains, la bonté qu'il faut cultiver, la science et l'intelligence, la beauté, et ce grand appel de l'infini : « Qu'est-ce qu'il y aura après la mort ? L'éternité qui nous attend, c'est la grande question qui se pose. ». Et de conclure : « Dieu, on l'a vu. C'était un homme ! ». Très bon anniversaire, ma sœur !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques Séguéla.
Les 98 ans de Sœur Marguerite.
Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
Assomption : pourquoi le 15 août est-il férié ?
Le pape François à Marseille (1) : ne pas légiférer sur l'euthanasie.
Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240908-soeur-marguerite.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/la-foi-de-soeur-marguerite-qui-256608

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/08/article-sr-20240908-soeur-marguerite.html




 

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14 août 2024 3 14 /08 /août /2024 03:47

« Enfin, la Vierge immaculée, préservée de toute tache de la faute originelle, au terme de sa vie terrestre, fut élevée à la gloire du ciel en son âme et en son corps et elle fut exaltée par le Seigneur comme Reine de l'univers afin de ressembler plus parfaitement à son Fils, Seigneur des seigneurs et vainqueur du péché et de la mort. » (Paul VI au Concile Vatican II, "Lumen Gentium" le 21 novembre 1964).




 


Paradoxe de la République française, la loi qui instaure la laïcité, c'est-à-dire la neutralité de l'État vis-à-vis de la religion, de toutes les religions, permet également de rendre fériés des jours considérés comme des fêtes religieuses, plus précisément des fêtes chrétiennes (la France étant la "fille aînée" de l'Église). Cette tradition remonte parfois à l'Ancien Régime et est désormais traduite dans le code du travail d'une France bien républicaine. Exemple estival : le 15 août.

Que fête-t-on à l'Assomption ? La montée aux cieux de la Vierge Marie, la mère de Jésus Christ. Ce dernier, après sa mort et sa résurrection (Pâques), est remonté aux cieux (auprès du Père) le jour de l'Ascension (du verbe latin ascendere, s'élever), à une date différente chaque année en fonction du jour de Pâques (le jeudi, quarante jours après Pâques). Pour la Vierge Marie, il ne s'agit pas d'une Ascension mais d'une Assomption (du verbe assumere, assumer, enlever). Elle est montée aux cieux selon la volonté de Dieu. C'est Dieu qui a assumé la perfection de Marie et l'a enlevée pour la placer auprès de son Fils.

Marie est élevée corps et âme dans la gloire de Dieu : il s'agit là d'un dogme de l'Église catholique, assez récent puisqu'il a été proclamé par le pape Pie XII seulement le 1er novembre 1950 ("Munificentissimus Deus"). Un dogme, pour les catholiques, est une vérité révélée de Dieu, considérée comme contraignante pour la foi. Ce jour est aussi célébré par les orthodoxes (Domition), sans qu'il ne soit un dogme (fêté le 15 août ou le 28 août pour les orthodoxes selon le calendrier utilisé). Les protestants se référant exclusivement à la Bible ne croient pas à l'Assomption et considèrent les dévotions mariales des catholiques comme de la "mariolâtrie".


L'idée est que Marie, préservée du péché originel, a pu entrer au royaume de Dieu après sa vie terrestre avec son enveloppe charnelle sans attendre la résurrection des corps à la nuit des temps. C'est la conséquence directe du dogme de l'Immaculée Conception (voir plus loin).
 


Je reviens sur cette proclamation de ce dogme qui veut que Marie soit montée au ciel avec son corps : c'est la seule proclamation (à ce jour) qui a fait usage de l'infaillibilité papale, sachant que l'infaillibilité papale (qui n'est pas permanente mais très précise et, comme je viens de l'indiquer, n'a été utilisée qu'une seule fois) est elle-même un dogme proclamé le 18 juillet 1870 par le pape Pie IX au cours du Concile Vatican I ("Pastor aeternus").

Sur le fond, croire que Marie s'est élevée aux cieux avec son corps (c'est-à-dire que son corps n'aurait pas subi l'effet du temps), comme du reste le Christ, est une question de foi et pas de science, de même que croire que Jésus Christ a été conçu mais sans relation entre Marie et Joseph (Marie est fêtée comme la Vierge). Là encore, il y a la foi (on y croit ou on n'y croit pas). Néanmoins, les choses sont peut-être plus compliquées qu'imaginables dans ce monde si diversifié et si sophistiqué. Par exemple, aujourd'hui, parler d'une femme vierge devenue enceinte et accouchant d'un enfant n'est pas vraiment le résultat de la magie ou d'une quelconque sorcellerie. En effet, la possibilité de fécondation in vitro et d'insémination artificielle donne une autre vision des possibles. Il est peu probable que ces techniques de procréation artificielle aient pu être envisagées il y a 2 000 ans, évidemment, mais finalement, elles ne sont pas impossibles.

Je note en passant que les Juifs ne s'interdisent que ce que leur texte biblique (l'Ancien Testament) leur interdit, et donc s'autorisent tout ce qui n'est pas interdit, en particulier tous les procédés novateurs dans tous les domaines, ce qui fait de l'État d'Israël un pays très performant sur le plan des sciences et de l'innovation (notamment dans le domaine génétique).


Toujours sur ce point, il faut enfin se rappeler la réflexion très poussée du pape Benoît XVI qui avait insisté pour mettre la raison à côté de la foi, les deux étant de nature différente et indispensable l'une de l'autre. Ce qu'on pouvait appeler miracles ne le sont peut-être pas d'un point de vue strictement scientifique, et avec notre progression des sciences dures, combien de phénomènes magiques pourraient-on proposer à des personnes d'un ancien temps ? Il y a une part de mystère qui pourrait sans doute être levée un jour ou l'autre avec les sciences, et, pour les chrétiens au moins, qui sera a priori levée le jour de notre mort (du moins, je l'espère !).

Revenons à l'Assomption qui n'est pas intégrée dans la Bible mais dont la célébration est très ancienne, remontant au Ve siècle. Elle est fêtée le 15 août car ce serait ce jour-là où la première église dédiée à la Vierge a été consacrée à Jérusalem. C'est l'évêque Cyrille d'Alexandrie (375-444) qui l'a introduite avec la christianisation de l'empire romain pour en faire une fête chrétienne qui a remplacé les Feriae Augusti, célébrant les victoires de l'empereur Auguste en mi-août (le mois d'Auguste), journées déjà fériées à l'époque. Théodore Ier (pape de 642 à 649) l'a généralisée et l'Assomption fut citée en 813 par le Concile de Mayence comme une fête d'obligation.


En France, la fête a connu une tournure plus politique et institutionnelle, puisqu'en 1637, le roi Louis XIII, marié depuis vingt-deux ans sans avoir pu encore donner naissance à un enfant (seulement des fausses couches), et qui devait avoir un héritier pour assurer sa succession sur le trône de France, a solennellement demandé au Parlement de Paris que chaque 15 août les sujets (et les fidèles) fassent une procession dans leur paroisse en l'honneur de Marie. Ça a marché puisque le futur Louis XIV est né le 5 septembre 1638 ! La grossesse de la reine Anne d'Autriche fut interprétée comme la réponse divine à cet hommage pour Marie (Notre-Dame) de la part du roi. C'est à partir de cette date que le 15 août est férié en France, pour permettre aux sujets du roi de se consacrer à Dieu et à Marie au cours de cette journée par des prières et des processions. L'une des plus importantes processions, de nos jours, a lieu à Lourdes (15 000 personnes en 2022), devenu un lieu de pèlerinage pour célébrer les apparitions de la Vierge faites à sainte Bernadette Soubirous en 1858.
 


Quelques années avant les apparitions à Lourdes, le pape Pie IX avait publié une bulle papale le 8 décembre 1854 ("Ineffabilis Deus") pour établir le dogme de l'Immaculée Conception (c'est-à-dire que la conception de la Vierge Marie a été faite "sans péché originel"). Entre 1854 et 1945, des millions de chrétiens, fidèles mais aussi des prêtres et des évêques, ont demandé par pétitions au Vatican que l'Assomption soit reconnue comme un dogme également, ce qui fut proclamé à la Toussaint 1950 (comme indiqué plus haut).

La fête de l'Assomption en France est donc un héritage à la fois de l'Église catholique et du Royaume de France mis sous la protection de Notre-Dame de l'Assomption par Louis XIII. À la Révolution, cette fête fut supprimée mais restaurée par Napoléon III au Second Empire... et maintenue dans les républiques suivantes, à la grande joie des vacanciers qui peuvent prolonger leurs vacances sans augmenter leurs CP ou des juillettistes qui peuvent faire le pont (cette année, jeudi 15 août 2024, est propice au pont pour anticiper le week-end !). La force de l'anticléricalisme républicain s'arrête aux jours fériés du calendrier chrétien reconnu par le code du travail. Étonnant, non ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Trois illustrations de l'Assomption :
1. "L'Assomption de la Vierge" par Michel Sittow, vers 1500 (National Gallery of Art à Washington).
2. "L'Assomption de la Vierge" par Guido Reni, en 1637 (Musée des Beaux-Arts de Lyon).
3. "L'Élévation de Marie vers les cieux" par Francesco Botticini, XVe siècle (National Gallery à Londres).


Pour aller plus loin :
Assomption : pourquoi le 15 août est-il férié ?
Le Jeudi de l'Ascension.
Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
Le génie olympique français !
Rose cendre.
Il est venu parmi les siens.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Les messes à l’épreuve du covid-19.
Il regarde le soleil dans tes yeux !
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Réflexions postpascales.
La Passion du Christ (1) : petites réflexions périphériques.
La Passion du Christ (2) : quel est le jour de la mort de Jésus ?
Noël à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.

Le Messie, c'est tout de suite !
La Passion du Christ selon saint Matthieu (texte intégral).

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240815-assomption.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/assomption-pourquoi-le-15-aout-est-256280

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/14/article-sr-20240815-assomption.html

 

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9 mai 2024 4 09 /05 /mai /2024 03:11

« Quand on est citoyen européen, je pense qu'il y a quelque chose de très important, c'est de se demander ce que l'Europe peut faire pour nous. Mais il faut toujours se poser la question de ce qu'on peut faire pour l'Europe aussi. » (Emmanuel Macron, le 9 mai 2024).


 


Cette année 2024, la Fête de l'Europe est un jour férié ! J'ai un peu la flemme de vérifier mais il me semble bien que c'est la première fois que cela arrive (non, en fait, c'est la quatrième fois, voir plus loin). Il n'y a pas de miracle et cette fête n'est en général pas un jour férié (ce qui est regrettable), mais cette année, par les coïncidences du calendrier, le 9 mai (qui est donc la fête de l'Europe) correspondant aussi au Jeudi de l'Ascension, fête religieuse que même les athées les plus irréductibles se satisfont de "célébrer" parce qu'il est un jour férié. Et la date correspond également au 150e anniversaire de la naissance du célèbre égyptologue Howard Carter.

Avec la fête de l'Armistice le 8 mai, cela nous donne, nous les Français, un week-end (8-9 mai) en plein milieu d'une semaine. Certains veulent la semaine à quatre jours, les hasards du calendrier proposent ainsi la semaine à trois jours, ou plutôt, la semaine aux trois week-ends ! Notons au passage que le 9 mai est chômé également en Russie dont c'est la principale fête nationale dans l'année, parce qu'il célèbre l'Armistice de 1945 (le décalage avec le 8 mai, c'est que la signature a eu lieu la nuit, et c'était déjà le 9 mai 1945 à l'heure de Moscou).

Le Jeudi de l'Ascension est une fête chrétienne importante puisqu'il célèbre l'élévation au Ciel de Jésus-Christ, qui était ressuscité. Cet événement a lieu quarante jours après Pâques (le jour de sa résurrection), cette année le 31 mars. Il ne s'agit pas du ciel au sens cosmique du terme, mais du Royaume de Dieu, invisible et présent. Dans les Actes des Apôtres, il est dit qu'au cours d'un repas, le Christ ressuscité annonce aux apôtres qu'ils vont recevoir une force nouvelle, « celle du Saint-Esprit » : « Alors, vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la Terre. ».


Et le texte continue ainsi : « Après ces paroles, ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se tenaient devant eux et disaient : "Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel". ». Et saint Luc ajoute que les apôtres « retournèrent à Jérusalem, remplis de joie ». L'esprit Saint-Esprit "arrive" sur les apôtres le jour de la Pentecôte, dix jours plus tard, donc un dimanche.

J'ai finalement vérifié (j'ai des scrupules à ne pas être rigoureux) et l'Ascension le 9 mai a été finalement assez fréquente ces dernières décennies puisque cela a été le cas en 1991, en 2002 et en 2013. Au XXe siècle, il y a eu encore en 1907, en 1918 en en 1929, et il n'y en aura plus d'autre cas jusqu'en 2050 au moins. Mais ce qui compte, c'est à partir du 1985 puisque c'est seulement le 9 mai 1985 qu'on a fêté pour la première fois l'Europe.

Pourquoi cette date ? Parce qu'elle commémore le grand discours de Robert Schuman qui a jeté les bases, le 9 mai 1950, de l'Europe actuelle, un discours qui allait construire l'Europe du charbon et de l'acier et qui avait pour objectif : dès lors que l'Allemagne et la France produisaient en commun le charbon et l'acier, il serait impossible matériellement de se faire la guerre. Par la suite, on a très vite proposé la Communauté Européenne de Défense (CED), bien avant le Traité de Rome et la Communauté Économique Européenne, mais elle ne s'est pas concrétisée à cause des députés français, si bien qu'aujourd'hui encore, on manque de cette fameuse Europe de la Défense qui commence à se faire, les pays européens prenant conscience de son importance stratégique avec la guerre qu'a déclarée la Russie à l'Ukraine et le probable désengagement militaire américain de l'Europe.

Plutôt que de parler de Fête de l'Europe (qui, par ailleurs, se trouve à un mois des élections européennes du 9 juin 2024), il vaut mieux parler de Semaine de l'Europe et de la France. En effet, avec l'Europe, la veille, on fêtait bien sûr le 79e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plus personne n'a parlé de la der des der en 1945, et pour cause. Et la situation actuelle n'est pas particulièrement ouverte à l'optimisme (mais soyons optimiste quand même !).


Le 7 mai 2024, les amateurs de musique et de l'Europe ont célébré à Vienne le 200e anniversaire de la création de la Neuvième Symphonie de Beethoven dont l'Union Européen a repris l'Hymne à la joie pour en faire un très émouvant hymne européen, tout à fait dans l'esprit du célèbre compositeur. Le texte de cette symphonie provient du poète allemand Schiller et est joyeux : « Joyeux, comme ses soleils volant à travers le somptueux dessein du ciel, hâtez-vous, frères, sur votre route, joyeux comme un héros vers la victoire ! ». Un hymne toujours vibrant et émouvant.

L'Europe est présente aussi dans les fiertés françaises de cette semaine. La première fierté est dans la réception du Président chinois Xi Jinping par la France et son Président Emmanuel Macron qui a, une fois encore, bien assuré pour les intérêts français et européens. Une importante visite d'État de deux jours, les 6 et 7 mai 2024, avec une visite aux Invalides le lundi, et dans les Pyrénées le mardi (il neigeait !). Au-delà du dialogue franco-chinois, il y a aussi le dialogue euro-chinois. Ce n'est pas un hasard si le Président chinois a choisi la France pour rencontrer aussi l'Europe, en ce sens que la Président de la Commission Européenne Ursula von der Leyen s'est rendue à Paris le lundi matin pour une réunion de travail à trois, Chine, France et Union Européenne. Il y a de quoi être fier d'être Français, car Emmanuel Macron est devenu l'interlocuteur incontournable du monde moderne, le leader incontesté de l'Europe.

 


Certes, au-delà des sourires diplomatiques, la réalité politique et économique est certainement moins rose et Xi Jinping s'est rendu ensuite en Hongrie, afin aussi de diviser l'Europe, et de faire un clin d'œil à Vladimir Poutine qui, lui, le 7 mai 2024, était investi pour un cinquième mandat de Président de la Fédération de Russie pourtant limité à deux dans la Constitution de la Fédération de Russie. Néanmoins, la Chine est dans une géopolitique de plus grands ensembles et souhaite avant tout détourner l'Europe des États-Unis. À ce propos, lors de la visite du numéro un chinois à Paris, où étaient donc les manifestants pour protester contre la répression des Ouïghours, ceux-là même si prompts à s'indigner, parfois violemment, pour les Palestiniens parfois au prix de la perception d'un soutien implicite aux terroristes du Hamas ?
 


Je garde pour la fin la matière à d'autres fiertés françaises jusqu'à la fin de l'été : les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) qui se tiendront à Paris cet été. La première étape des festivités a eu lieu ce mercredi 8 mai 2024 dans le port de Marseille : le Belem a accosté avec la flamme olympique ! On pourra dire ce qu'on veut, dénigrer les JOP parce qu'on est râleur professionnel (jamais content) ou parce qu'on déteste Emmanuel Macron (je doute que les sportifs français qui vont participer aux JOP aient tous voté pour Emmanuel Macron !), la fête de mercredi fut une très belle fête.

Au-delà de la France, il y a Marseille et on sait l'attention soutenue que porte le Président de République à la deuxième ville de France. Ce n'est pas Marseille mais les Marseillais qui sont en fête, et qui apportent le sourire à tout ce qu'ils touchent. Ce n'est pas nouveau et les Marseillais sont joyeux de voir que leur ville est enfin citée dans les actualités autrement que pour un règlement de compte entre deux bandes rivales. Cette bonne humeur devrait être le standard de la France de l'été 2024, la joie devrait l'emporter sur la politique politicienne parce que fêter le sport n'est pas si fréquent. Certes, il y a eu quelques aventures footballistiques au plus haut niveau, qui ont incarné la communion nationale, mais ces moments de liesse restent très rares. Les Marseillais, dans les rues, partout, dans les stations de métro, etc., avaient déjà montré leur bonne humeur lors de la visite du pape François le 23 septembre 2023, parce que Marseille est prise en considération comme une métropole elle aussi incontournable dans le monde moderne.
 


La fête du Belem, c'était donc la fête du sport, la fête des Jeux Olympiques et Paralympiques, la fête de la France bien sûr, mais aussi la fête de la beauté. On croirait presque à un tableau de Turner, en voyant le Belem arriver avec ses parures tricolores. Le journaliste Renaud Pila ne cachait pas son enthousiasme, partagé par de nombreux autres de ses confrères : « Quelle idée magnifique de faire arriver la flamme sur le Belem, à Marseille. Les images de la journée vont être dingues. Ça ne vous met pas de bonne humeur ? » (Twitter).

Notons d'ailleurs que c'est bien le drapeau tricolore qui a accompagné la flamme olympique sans y voir de couleur de l'Europe. Jamais l'Europe n'a eu l'intention de diluer la nation française.
 


C'est le sens du message d'Emmanuel Macron, présent à Marseille ce 8 mai 2024 : « Je veux que nos compatriotes se représentent que c'est un moment d'unité et qu'on en est capables, et qu'on peut en être fiers. Et se représenter à nous-mêmes, nous représenter à nous-mêmes, que nous savons organiser cela, que quand on se met tous ensemble autour de la table, qu'on mêle nos énergies, le sport, la culture, les plus grands artistes, les plus grands sportifs, la sécurité, la gastronomie, l'art, nos paysages, nos élus, on fait ce qu'il y a de plus beau au monde. Et ça, on doit être fiers. Vous savez, j'ai cette petite pièce dans les mains, je voulais vous la montrer aujourd'hui à Marseille. C'est une pièce qu'on a fait avec la Monnaie de Paris, spécialement. Il y a 24 millions de ces pièces qui ont été battues, et elle a été offerte à nos enfants. (…) Il y a 4 millions d'enfants à l'école primaire qui l'ont eue avec un petit kit qu'on a fait sur les Jeux Olympiques et Paralympiques. Et vous avez représenté la Tour Eiffel qui court, Notre-Dame qui est là, représentant Marseille, la fleur de Tahiti. C'est ça, la France, qui unit sa première, sa deuxième ville, même si parfois elles sont en compétition ou divisées, sur un terrain de foot ou ailleurs, la France métropolitaine et ultramarine, derrière ces Jeux et les soixante-treize villes qui vont accueillir des épreuves et des athlètes. C'est notre force, cette unité, c'est l'esprit des Jeux. Et c'est aussi pour ça qu'on a voulu cette trêve olympique autour des Jeux Olympiques et Paralympiques. Et ce sera l'initiative diplomatique qu'on va déployer : des Jeux pour la paix. ».

Jamais la France n'a été aussi divisée qu'aujourd'hui, il y a la France des rigolus et la France des tristus. Il y a une façon de s'unir. Soyons des rigolus ! Soyons fiers de notre Nation, de notre pays !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 mai 2024)
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Pour aller plus loin :
L'hymne à l'Europe.
Le Jeudi de l'Ascension.
Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
Le Tunnel sous la Manche.
Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
La convergence des centres ?
Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
Enfin, une vision européenne !
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !

 





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http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/10/article-sr-20240509-ascension.html




 

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13 février 2024 2 13 /02 /février /2024 04:41

« Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra. » (Jésus dans l'Évangile selon saint Matthieu, Mt 6, 1-6.16-18).



 

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Le hasard des calendriers fait que cette année, le jour de la Saint-Valentin, le mercredi 14 février 2024, se trouve être également le mercredi des Cendres, ce qui est plutôt rare. Une sorte d'association un peu paradoxale. Une autre année, ça pourrait être le jour du Mardi-Gras (la veille), ce qui aurait plus de signification. Mardi-Gras et Saint-Valentin riment plutôt avec joie. Pour les Cendres, c'est un peu différent.

D'abord, rappelons ce qu'est le mercredi des Cendres. Nous sommes dans un pays catholique, et même, la France est la fille aînée de l'Église depuis Clovis, mais dans cette société quasi-totalement déchristianisée, où l'on préfère annoncer le début du Ramadan au début du Carême, on se demande de quelles origines on vient. Il y a quelques années déjà, des sondages trottoirs (donc, pas représentatifs mais quand même) montraient une totale ignorance de la signification non pas des Cendres ou du Vendredi Saint, mais de Pâques, qui est la principale fête chrétienne (même plus importante que Noël). Je n'ose donc voir les réponses que dirait un sondage sur la signification des Cendres.

Les Cendres est le premier jour du Carême. C'est une période qui retrace la fameuse traversée du désert de Jésus-Christ pendant quarante jours avant ce qu'on appelle la Passion (la Semaine Sainte, des Rameaux à Pâques). Le Carême est l'occasion d'un jeûne, mais le jeûne ne signifie pas mettre en danger sa santé (même si c'est finalement plutôt le non-jeûne qui mettrait en danger la santé dans cette société du trop-manger). Il s'agit plutôt d'une période de privation, de donation, de méditation, de contemplation.

En somme, de faire un effort pour mieux vivre, mais surtout, mieux vivre avec les autres, c'est-à-dire que la privation n'a pas un but narcissique (être en meilleure santé, par exemple) mais un but altruiste, d'amour du prochain. Les privations qu'on pourrait faire (ne pas manger de viande, par exemple) n'a du sens que si les dépenses liées à la viande, par exemple, amèneraient à donner l'équivalent à ceux qui en ont le besoin. C'est un exemple, mais il n'est pas seulement matériel, il peut être relationnel ou psychologique ou autre (faire des efforts pour ne plus s'énerver, par exemple, ou prendre plus de temps pour les autres, etc.). À chacun son Carême.


Dans la liturgie, l'Évangile lu au Cendres cette année reprend cette parole connue : « Que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite ! ». Quand j'étais petit, je m'amusais à la mettre en relation avec la gifle, si on te gifle une joue, présente l'autre joue, et je me disais : la main gauche ignore que la main droite a giflé. Trêve de souvenir, disons que cette parole est surtout une parole d'humilité. Il n'y a pas de don qui soit narcissique, d'autant plus qu'il est connu que donner fait plaisir (sur les petites boîtes de distributeurs automatiques de la foire attractive que je fréquentais, était indiquée l'expression "plaisir d'offrir").

Le vrai don est donc secret, ce qui peut être commode : on ne peut juger personne puisqu'on ne sait pas à quel point cette personne peut avoir donné, peut s'être donnée. Cela va un peu à l'opposé des temps actuels quand des émissions de télévision étalent les stars pour encourager à donner (pour diverses causes, toutes bien sûr louables). Quand un chanteur ou un acteur fait un gros chèque sous les flashs des projecteurs, je pense toujours à cette phrase écrite de l'Évangile, en sachant en plus que jamais un acte public est gratuit pour la réputation d'une star, il y a toujours une arrière-pensée commerciale (pour une personnalité politique, remplacez "commerciale" par "électorale"), même si cela n'empêche pas la sincérité et la générosité (la main sur le cœur). Cela dit, la star est aussi un modèle, un exemple, et son don pourrait encourager ceux qui aiment la star à donner, eux aussi, dans un réflexe un peu moutonnier sinon pavlovien.

Aux Cendres, il y a aussi une première lecture avec un extrait du livre de Joël (Jl 2, 12-18) qui commence ainsi : « Parole du Seigneur : "Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil !". Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d'amour, renonçant au châtiment. ». Suivie de ce psaume (Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14-17) : « Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. (…) Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint. Rends-moi la joie d'être sauvé ; que l'esprit généreux me soutienne. ».

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Déchirer son cœur, laver son cœur, c'est cela, le principe du Carême. Pendant les Cendres, on appose sur le front de chaque fidèle une petite croix faite en cendres (des cendres issues des branches de rameaux de l'année précédente), histoire de rester humble et de se rappeler qu'on est poussière et qu'on redeviendra poussière.


Mais on parle aussi de purifier son cœur. Ce qui est une bonne transition pour évoquer la Saint-Valentin le même jour en 2024. C'est la fête des cœurs. C'est la fête des amoureux, et donc, c'est un peu stupide toutes ces publicités qui proposent de déclarer sa flamme à la Saint-Valentin : c'est trop tard, il faut le faire avant. Bon, c'est vrai, c'est d'abord une fête commerciale, mais j'ai l'impression que la pression commerciale est moins forte que les années précédentes (ou je me trompe, juste une impression).

Les gens aimants n'ont pas besoin de Saint-Valentin, ou alors, ils ont besoin d'une Saint-Valentin chaque jour. C'est lorsque l'amour est naissant que cette journée est un test, test pour connaître l'élégance de l'attention portée à l'autre. Évidemment, cela peut finir en un gueuleton, quelques fleurs, et plus si affinités, mais c'est une sorte de journée en rose pour cœurs en pleine espérance (le rose, revoir l'excellent film "Drôle de frimousse" de Stanley Donen, sorti le 13 février 1957, avec l'inégalable Audrey Hepburn dansant et chantant dans Paris sur une musique de Gershwin).

Je conçois que les personnes isolées, qui n'ont plus d'amour dans la vie, peuvent ronchonner contre ce type de fête qu'elles diraient artificielle, et elles peuvent avoir raison, artificielle et commerciale, mais cette journée montre aussi que l'amour n'est pas réservé à une élite (heureusement, même les pauvres y ont droit !! et l'argent ne remplacera jamais le verbe aimer), car il s'adresse à tout le monde, à tout âge (j'oserais écrire aussi tout sexe), et surtout, à tout physique, même ingrat (car il n'y a pas que la beauté extérieure, n'est-ce pas ?).


Pas étonnant de fêter les amoureux en février : c'est généralement aussi la période de fécondité, qui n'a pas eu ou entendu des chats qui miaulent drôlement en cette période ? Maintenant que le Président de la République (lui et ses prédécesseurs) s'est enfin inquiété de la baisse de la natalité (à l'instar de Michel Debré depuis le début des années 1970), peut-être que l'État pourrait faire de la Saint-Valentin un jour férié ? Bon, c'est vrai, ce serait comme si on "aimait" un seul jour dans l'année.

Concomitance. On peut retomber sur ses pattes en retrouvant l'origine de la fête de la Saint-Valentin. Car c'est une origine religieuse, bien sûr, catholique. Valentin de Terni était un prêtre du IIIe siècle, sous le règne de l'empereur romain Claude II le Gothique. Valentin célébrait des mariages d'amour clandestinement. Quand l'empereur l'a su, il l'a arrêté (car il préférait amener les hommes à la guerre qu'à l'amour), mais en prison, Valentin a fait la connaissance de Julia, la fille de son gardien, qui était aveugle de naissance, et à qui il a rendu la vue, ce qui a décidé l'empereur, de rage, à l'exécuter par décapitation le 14 février 269 à Rome. La famille de la miraculée s'est alors convertie au christianisme pour rendre hommage à Valentin.


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À la chute de l'empire romain, Valentin fut canonisé en 495 par le pape Gélase Ier pour son sacrifice et célébré comme fête de l'amour le 14 février dans un but particulier. En effet, à la même époque (milieu du mois de février) se déroulaient les Lupercales qui étaient une fête romaine de la fertilité. Une fête terrible pour les jeunes filles célibataires puisque les hommes couraient après elles pour faire l'amour et enfanter (c'était en fait plutôt la fête du viol, la fête des gros dégueulasses).


Le pape ne voulant pas cautionner une telle fête païenne a créé sa propre fête chrétienne qui est devenue la fête des amoureux avec le pape Alexandre VI en 1496. Comme Noël (début de l'hiver) et Pâques (début du printemps et de l'année), une fête chrétienne a remplacé une fête païenne, mais finalement, ce sont les mêmes. La tradition commerciale commença vers 1840 aux États-Unis avec l'envoi de poèmes, cartes de vœu et messages d'amour. Elle s'est amplifiée après la Seconde Guerre mondiale.

Épilogue morbide (que je cite car je suis allé visiter les deux premier lieux suivants) : la tête de saint Valentin aurait été transférée au Xe siècle à la très belle abbaye de Saint-Michel de Cuxa, dans les Pyrénées, puis aurait été déplacée sous la Révolution à l'église Saint-Pierre de Prades (drôle de coïncidence, le maire de Prades a longtemps était... Jean Castex, de 2008 à 2020 !). D'autres reliques ont été transférées en 1868 à la collégiale Saint-Jean-Baptiste de Roquemaure et en 1874 à l'église Saint-Remy de Montignies-sur-Sambre (en Belgique).

Avec la Saint-Valentin et les Cendres le même jour, c'est donc l'occasion, dans un couple, de faire un peu plus d'effort d'attention à l'autre pour nourrir un amour qui a toujours besoin de création permanente pour durer. L'amour est un feu, il faut l'alimenter... et ça donne des braises puis de la cendre !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Rose cendre.
Il est venu parmi les siens.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Les messes à l’épreuve du covid-19.
Il regarde le soleil dans tes yeux !
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Réflexions postpascales.
La Passion du Christ (1) : petites réflexions périphériques.
La Passion du Christ (2) : quel est le jour de la mort de Jésus ?
Noël à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.

Le Messie, c'est tout de suite !
La Passion du Christ selon saint Matthieu (texte intégral).


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https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/rose-cendre-252744

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31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 04:46

« La Toussaint est le jour où les morts de demain visitent ceux d'hier. » (Henri Duvernois, écrivain mort en 1937).




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Et voici qu'arrive Halloween avec son cortège d'enfants déguisés en quête de friandises. Disons-le clairement, je suis né trop tôt et si j'avais eu quelques années (enfin, quelques décennies !) de moins, j'aurais adoré me déguiser en vieux sorcier et aller sonner à la porte de mes voisins pour y faire l'aumône de quelques sucreries (même si mon cerveau a du mal à trouver un intérêt intellectuel à Harry Potter, toujours ce problème de génération, sans doute). Dans les magasins, on passe au noir et à l'orange et j'ai même vu un magasin très connu d'électroménager qui a imposé à ses vendeurs de se déguiser eux-mêmes en vampires (les pauvres ! Je comprends pour les magasins de jouets, mais les autres ?). Avant de passer au rouge et vert, les couleurs de Noël.

Bref, je trouve cette fête d'Halloween plutôt bon enfant et sympathique. À cause du niveau de vigilance accrue pour risque terroriste, les rassemblements doivent être très sécurisés (par les forces de l'ordre), mais je considère comme un devoir de continuer ce petit rite social sans conséquences : continuer absolument à vivre normalement, à s'amuser, à rester insouciants. Les terroristes n'attendent qu'une chose, qu'on se terre et qu'on ait peur. Dans ma commune, les enfants se rassemblent à 18 heures puis se dispersent pour aller visiter seulement les maisons qui ont indiqué qu'elles avaient des bonbons pour eux (ainsi, ils ne gênent personne).

Halloween n'est-il pas une invasion de la culture américaine ? Bien sûr, oui, c'est sûr, même si, en y regardant de plus près, cette fête était à l'origine européenne, celte, irlandaise, gauloise. C'est la grande émigration irlandaise à la suite de la famine de 1845 qui a apporté cette coutume aux États-Unis. Qu'elle nous revienne en France à partir des années 1990 après avoir retraversé l'Atlantique n'est donc ni très exceptionnel ni très scandaleux, surtout si l'on comprend qu'elle est avant tout un événement commercial (il faut bien s'équiper pour la fête). Même en Russie, elle fait une percée malgré les réticences de l'Église orthodoxe (la fête est désormais interdite dans les écoles à Moscou).

La diffusion massive de téléfilms américains nunuches sur la période de Noël à la télévision française me paraît beaucoup plus grave pour notre santé mentale qu'une petite fête censée s'amuser à se faire peur. Halloween concurrence-t-elle la Toussaint ? Là encore, pourquoi opposer des torchons et des serviettes ? La Toussaint est l'un des jours fériés (et fêtes religieuses) les plus meurtriers sur les routes de France avec la Pentecôte. Malgré la déchristianisation de la société, ces fêtes se sont laïcisées et sont devenues des références majeures dans le calendrier civil.

À l'origine, la Toussaint était fêtée le 13 mai à partir de 610, entre Pâques et la Pentecôte ; le pape Boniface IV voulait célébrer tous les martyrs de l'Église catholique. Par la suite, la date a changé en 1er novembre et le pape Grégoire IV l'a généralisée. Attention à ne pas faire de contresens : la Toussaint n'est pas la fête des morts, mais la fête des saints, pas seulement les personnes canonisées, nombreuses mais d'une proportion très faible, aussi tous les anonymes, tous les inconnus qui ont vécu comme des saints, dans la charité, la piété et la bonté (selon l'ancien archevêque de Toulouse, Mgr Robert Le Gall, ceux qui sont « dans la béatitude divine »).

Dans la liturgie, au cours de la messe, tous les saints sont célébrés, dans une longue litanie. Quand j'étais enfant, j'attendais mon prénom et je ne l'attendais jamais en vain. Je doute maintenant que tous les enfants y trouvent le leur aujourd'hui, car le nombre de prénoms, outre le fait que beaucoup ne sont plus chrétiens, voire sont musulmans (ce qui ne me gêne pas du tout, c'est le choix intime des familles), est devenu beaucoup plus important, les prénoms sont beaucoup trop diversifiés pour pouvoir citer tout le monde (il y a cinquante ans, le prénom le plus répandu dans une génération correspondait à 30% des naissances, maintenant, à peine à 5%).

La fête des défunts a lieu le lendemain, le 2 novembre, célébrée à l'origine par les moines de Cluny et leur abbé, saint Odilon de Cluny, en 998 comme fête des trépassés. Le pape Léon IX approuva cette initiative et l'encouragea. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, même cette fête des défunts n'est pas une fête de la mort mais une fête de la vie, parce que pour les chrétiens, les défunts ont franchi une étape mais sont toujours en vie : « Ceux qui sont passés sur l'autre sont aussi, et davantage, vivants que nous. » explique le Missel de la vie chrétienne.

Personnellement, j'ai toujours été un peu étonné de la forte fréquentation des cimetières pendant la Toussaint. Je pense à "mes" morts tous les jours. Et en tout lieu, certainement pas dans les cimetières dont j'adore la fréquentation mais pour d'autres raisons, pour les tombes, les inscriptions historiques. Les êtres, les âmes, selon ce qu'on croit, s'ils sont toujours là, ou simplement leurs souvenirs pour être plus factuel, sont assurément hors de ce qui reste de leur corps qui n'est plus qu'une simple écorce sans vie (il suffit de voir un corps sans vie pour s'en convaincre ; la flamme, si flamme il y a encore, est ailleurs).

Le poète Tristan Maya (mort en 2000) avait cette formule : « Un cimetière un jour de Toussaint ressemble à une exposition un jour de vernissage. ». Tandis que Jean Cocteau, plus cynique : « Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants. ». La liturgie, elle, propose à la Toussaint le très beau texte des Béatitudes : « (…) Heureux les affligés, car ils seront consolés (…) ; heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (…). ». Texte que beaucoup interprètent mal, plus ou moins volontairement (« heureux les pauvres en esprit »).

En effet, la Toussaint, c'est la fête de tous les saints ; il faut comprendre que tout le monde peut être saint, que tous les humains peuvent l'être s'ils ont, pour règles de vie, amour, bonté, justice, pardon et paix : « Cette fête est donc aussi l’occasion de rappeler que tous les hommes sont appelés à la sainteté, par des chemins différents, parfois surprenants ou inattendus, mais tous accessibles. La sainteté n’est pas une voie réservée à une élite : elle concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ. » explique le site catholique.fr.

Justice, pardon et paix : pas de paix sans justice et pardon. C'est sans doute ce qui manque le plus de nos jours, dans nos petits conflits ou dans les conflits actuels les plus meurtriers, que l'on pense à l'Ukraine ou à Israël et à la Palestine, entre autres...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (28 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Toussaint vs Halloween ?
Apocalypse à la Toussaint ?
Joyeux Noël !
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Noël à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.

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26 septembre 2023 2 26 /09 /septembre /2023 05:22

 

« Le véritable mal social n'est pas tant l'augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. » (pape François, le 23 septembre 2023 à Marseille).



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Je consacrerai plusieurs articles sur la venue du pape François à Marseille les 22 et 23 septembre 2023, une venue historique à bien des égards qui rappelle aux chrétiens que la foi déplace toujours des montagnes, que l'émotion qui était au rendez-vous n'est pas sans rapport avec une communion très large, rappelons que catholique veut dire universel, et qui rappelle aussi aux aigris de droite comme de gauche qu'un message de foi n'a pas grand-chose à voir avec un message politique ; vouloir mélanger les deux, c'est confondre ce qui est du temporel et ce qui est du spirituel. Rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Le pape est venu pour un jour et demi sur le sol français, c'est bien peu et en même temps, il a eu le temps de parler publiquement à près d'une dizaine d'occasions. Trois temps forts : le recueillement œcuménique à Notre-Dame de la Garde le vendredi après-midi, la clôture des Rencontres Méditerranéennes le samedi matin et, enfin, la grande messe au stade Vélodrome, une fierté des Marseillais, le samedi après-midi.

Impossible de parler du pape sans évoquer quelques aspects politiques : le Président de la République Emmanuel Macron était là le 23 avec le pape ; la veille, la Première Ministre Élisabeth Borne l'a accueilli à l'aéroport de Marignane. La clôture des Rencontres Méditerranéennes se faisait en présence non seulement du couple présidentiel, mais aussi du maire de Marseille Benoît Payan (PS), de son prédécesseur Jean-Claude Gaudin, qui avait tant voulu accueillir le pape lorsqu'il était en fonction, aussi du président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur Renaud Muselier, etc. À la messe étaient présents également le couple présidentiel (Emmanuel Macron a tenu à ne pas communier, et il a tenu à le faire savoir), la présidente de la BCE Christine Lagarde, et beaucoup d'autres responsables politiques dont Gérald Darmanin, Muriel Pénicaud, Sabrina Agresti-Roubache, François-Xavier Bellamy, Valérie Boyer, etc.

J'évoquerai ultérieurement les propos du pape sur les réfugiés et leur accueil, ainsi que sur la laïcité. Le message du pape sur l'immigration n'est pas nouveau mais a hystérisé la classe politique française, parfois à contre-sens : le bouffe-curés Jean-Luc Mélenchon applaudissait tandis que certains identitaires d'extrême droite qui se revendiquent une supposée origine chrétienne nient la légitimité du pape puisqu'il ne va pas dans leur sens ! Quelle paradoxe de devoir admettre que le chef de l'Église catholique, institution doublement millénaire, va à l'inverse d'une pensée supposée catho... mais d'extrême droite.

Le message du pape n'a jamais varié sur l'accueil des réfugié, même du temps de Jean-Paul II. Les identitaires (je les appelle comme ça) sont ainsi face à leurs propres contradictions et ils ont beau affirmer que le clergé est gauchiste (voire bobo), c'est bien mal connaître nos évêques (et notre pape) dont la neutralité politique est aussi sensible que la neutralité religieuse chez les politiques.

Le message du Christ a toujours été dérangeant, en particulier pour les institutions. Tant qu'existeront la misère humaine et l'horreur humaine, les pouvoirs seront malmenés par ceux qui défendent les humains et en particulier les plus faibles, les plus démunis.

Ce qui faut bien noter aujourd'hui, et c'est un vrai signe d'évolution idéologique depuis une trentaine d'années (je ne saurai dire si c'est positif ou négatif), c'est que si la venue du pape en France a toujours été un sujet à discussion politique, voire à polémiques, les thèmes sensibles ont assurément changé de rives. Dans les années 1990, on reprochait à Jean-Paul II d'être contre l'avortement mais aussi contre la peine de mort, et le mariage des prêtres, les femmes prêtres restaient des marronniers qui faisaient le succès des médias, même si cela représentait une toute petite part des messages du pape. Aujourd'hui, ces sujets (qui n'ont pas varié) sont relégués derrière le sujet du moment (qui était pourtant déjà d'actualité dans les années 1970), l'immigration. À aucun moment le pape François n'a voulu donner des leçons de morale, il a simplement donné des leçons de bonté et de bienveillance. Le contraire de la haine si présente aujourd'hui dans le débat public.

La présence du Président Emmanuel Macron avait son intérêt : certes, pour sa communication personnelle, il était évident, surtout lorsque le pape l'a publiquement placé parmi les personnes de bonne volonté qui recherchent la paix (parmi d'autres, donc), mais cela permettait aussi au pape de s'adresser directement à lui en marquant date.

Si l'immigration était le thème majeur de ces Rencontres Méditerranéennes, c'est bien sûr qu'elle est l'un des sujets majeurs de cette mer cimetière, mais cela ne signifiait pas que d'autres messages ne pouvaient pas être transmis. En particulier sur la fin de vie et l'euthanasie.

Dans son discours de clôture de ces Rencontres, le pape François a évoqué implicitement d'autres sujets qu'il considère comme majeurs sans pour autant les développer. Évoquant les trafics et les mafias dans une des villes les plus "torrides", François a constaté : « Là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé. L'engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire "non" à l'illégalité et "oui" à la solidarité, ce qui n'est pas une goutte d'eau dans la mer, mais l'élément indispensable pour en purifier les eaux. ».


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C'est à cette solidarité que le pape a appelé pour accompagner les personnes, nos aînés généralement, en fin de vie. Sa question (laissée sans réponse et sans développement) n'en est pas moins crûe : « Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d'être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d'une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? ». Une critique à peine "voilée" des conditions souvent scandaleuses des personnes âgées dans les EHPAD et la volonté majoritaire d'une société à vouloir les faire disparaître jusqu'à physiquement.

Ce thème de la fin de vie et de l'euthanasie est majeur et aujourd'hui, le risque est grand que l'équilibre fragile mais précieux de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 soit cassé définitivement par une nouvelle loi plus démagogique que sage.

Car l'euthanasie est d'abord une demande de gens bien-portants. En effet, les personnes malades en fin de vie demandent rarement (il en existe, mais c'est rare) d'en finir avec la vie, il suffit de se renseigner auprès des médecins qui vivent ces moments douloureux de leurs patients, d'autant plus qu'aujourd'hui, il y a des solutions, principalement chimiques, pour empêcher ce qui doit être à tout prix évité, la souffrance.

C'est même plus que cela : les personnes en fin de vie qui sont aimées, accompagnées par des proches, n'invoquent jamais cette volonté d'être aidées à mourir parce qu'elles se sentent aimées, et donc, en quelque sorte, utiles. L'euthanasie, c'est quand on arrive à la conclusion, monstrueuse, que la vie ne vaut plus d'être vécue. À quel moment, à quel seuil une vie ne doit plus être vécue ? Dès lors qu'on fixe un seuil, les abus afflueront parce que c'est la loi humaine de dériver : la levée des interdits, c'est une digue qui s'ouvre et qui ensuite lâche, malgré toutes les précautions juridiques ou sociales qu'on inventera.

La loi interdit la souffrance et l'obligation de soins : depuis plus de vingt ans, le patient n'est soigné que s'il a donné son accord. Et la loi oblige les médecins à traiter la souffrance ; la plupart du temps, celle-ci peut être traitée.

Il existera toujours des cas où ce n'est pas possible d'éviter la souffrance. L'euthanasie peut s'avérer une solution ultime et si elle est choisie, elle doit se faire dans le secret des consciences, pas seulement de la famille et des soignants, mais cela arrive même que dans la "boucle", il y ait aussi un prêtre.

Pourquoi dans le secret des consciences et pas dans la loi ? C'est là, je crois, l'enjeu du choix de société. Le secret des consciences serait une hypocrisie ? Certains lobbyistes de l'euthanasie vont même jusqu'à dire que légiférer éviterait les dérives. Mais quelles dérives ? Celles que connaît aujourd'hui la Belgique où des personnes atteintes de déficience mentale, sans leur avis, sont euthanasiées parce que "ne servant plus à rien" (l'utilité d'une vie, un sujet à méditer), ou alors des enfants en pleine dépression ?


Les dérives existent et aujourd'hui, lorsque c'est illégal, cela passe par la justice. Il n'y a pas de généralité à faire sur la mort : il y a autant de fins de vie que d'humains, toutes sont différentes et légiférer, c'est de faire des généralisations qui ne doivent pas avoir lieu. Comment éviter l'infirmière meurtrière qui "aidait" ou plutôt accélérait ses patients à mourir pour des questions d'héritages et de legs si la loi le permettait officiellement ? L'illégalité de l'euthanasie permet un retour à la justice lorsque les situations ne sont pas claires, lorsqu'un proche s'étonne voire s'y oppose : aucun juge n'a condamné un soignant qui avait fait preuve d'humanité en précipitant la mort d'un patient en situation très difficile. Le juge, par son enquête approfondie, peut apprécier la sincérité de l'acte, le désintéressement aussi des personnes en cause, car une légalisation ouvrirait une boîte de Pandore sur l'économique : les héritiers pressés, comme les assureurs, les caisses de retraites, les caisses d'assurance maladie, toute la société ferait des économies énormes si les gens mouraient six mois plus tôt !

Les fins de vie dans la douleur, ce n'est pas de supprimer la personne qui souffre, c'est de supprimer la douleur. C'est cela la solidarité et l'accompagnement, au sens de ce que disait le pape ce samedi. Ne pas laisser les personnes âgées isolées, dans leur torpeur du couloir de la mort, les remettre dans le cercle des vivants, et heureusement, certains établissements le font et ce sont des initiatives très encourageantes, notamment lorsqu'on demande aux personnes âgées de s'occuper des petits enfants... et réciproquement.


En évoquant en outre la fausse dignité (« faussement digne »), le pape s'offusque également de cette expression pourrie de "mourir dignement", comme si, en laissant l'heure arriver à son terme, on n'était pas digne, plus digne, que des personnes en vie n'étaient plus dignes de vivre et que leur dignité se résumait à les faire mourir.

Oui, ce pape, comme tous les papes, du moins depuis qu'ils communiquent au monde grâce à leurs voyages et aux technologies, secoue les consciences parce que son job, ce n'est pas de rechercher des voix, de faire du clientélisme, de brosser dans le sens du poil toutes nos petites lâchetés. C'est de rappeler les fondamentaux (le fondamental, c'est "aimez-vous les uns les autres"), et dans un monde en crise multiple, où l'inquiétude du lendemain l'emporte souvent sur la sagesse et l'optimisme, un référent est un point d'ancrage salutaire pour une société à la dérive.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (23 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le pape François à Marseille (1) : ne pas légiférer sur l'euthanasie.
Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230923-pape-francois.html

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16 septembre 2023 6 16 /09 /septembre /2023 05:41

« Qui est le responsable de ce sang ? (…) Qui est le responsable du sang de ces frères et sœurs ? Personne ! Tous nous répondons ainsi : ce n’est pas moi, moi je ne suis pas d’ici, ce sont d’autres, certainement pas moi. (…). Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle ; nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parlait Jésus dans la parabole du Bon Samaritain : nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous "le pauvre", et continuons notre route, ce n’est pas notre affaire ; et avec cela, nous nous mettons l’âme en paix, nous nous sentons en règle. La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-même, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! » (le pape François, le 8 juillet 2013 à Lampedusa).




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Décidément, le pape François, qui va sur ses 87 ans (en décembre), a une santé d'enfer (ou de fer). À la fin du mois de mars, il souffrait d'une grave infection respiratoire, le 26 avril, il était hospitalisé pour une « forte pneumonie aiguë dans la partie inférieure des poumons » (selon l'intéressé le 30 avril 2023 de retour d'un voyage en Hongrie), et le 7 juin, il était hospitalisé pour une opération délicate à l'abdomen... et malgré cela, à la fin de l'été, il a quand même réussi à tenir le coup pour participer aux JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) au Portugal du 2 au 6 août 2023 et aussi pour effectuer une visite en Mongolie du 31 août au 4 septembre 2023, un voyage qu'il considérait très important pour s'adresser aux catholiques chinois depuis Oulan-Bator. Dans quelques jours, il inaugurera l'automne en se rendant à Marseille, invité par le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille.

La venue du pape à Marseille, dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes 2023 qui démarrent ce week-end, a été officiellement annoncée le 31 mars 2023 par l'archevêché de Marseille. Au fil des mois, elle a été confirmée malgré les pépins de santé. À l'origine, le pape ne devait venir qu'une petite journée, celle du samedi 23 septembre 2023, la participation à la clôture de la semaine de rencontres et une grande messe. Cette messe aura bien lieu au stade Vélodrome samedi après-midi, 67 000 fidèles y sont attendus (deux jours après un match de la Coupe du monde de rugby, France vs Namibie), mais le programme pontifical à la cité phocéenne s'est entre-temps étoffé.

Le pape François arrivera en effet la veille, le vendredi 22 septembre après-midi à l'aéroport de Marignane. Il sera accueilli par le Président de la République française Emmanuel Macron qui a par ailleurs confirmé qu'il serait présent à la messe pontificale. En outre, les deux hommes s'entretiendront le 23 septembre en fin de matinée au Palais du Pharo.

Faut-il s'indigner que le chef de l'État participe à une messe ? Il fut un temps où chaque Président de la République assistait aux messes dominicales, c'était le cas des trois premiers Présidents de la République De Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing. C'était le cas aussi de Jacques Chirac. Même François Mitterrand a eu "sa" messe à Notre-Dame-de-Paris ! Au fur et à fur que la religion musulmane est entrée dans la société française, certains zélateurs de la laïcité se sont crus autoriser à fustiger la pratique religieuse des chefs de l'État. Ils ont bien le droit de faire ce qu'ils veulent. Quant à représenter la France auprès du pape, qui est également un chef d'État (du Vatican), qui le reprochera à Emmanuel Macron ? Ne pas vouloir le faire aurait été au contraire critiquable et on ne s'en serait d'ailleurs pas privé...

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La première destination du pape durant son séjour marseillais est Notre-Dame de la Garde, pour un temps de prière avec les prêtres du diocèse puis, vendredi en fin d'après-midi, un temps de recueillement interreligieux devant la stèle dédiée aux marins et aux migrants noyés en mer où le pape prendra la parole.

Le lendemain en début de matinée, le pape rencontrera à l'archevêché des personnes en situation de précarité économique avant de prendre part à la clôture des Rencontres Méditerranéennes au palais du Pharo où il prendra la parole pour la conclusion. Il quittera Marseille pour Rome à l'issue de la grande messe au Vélodrome.

Les Marseillais ont de quoi se réjouir de cette visite papale, car c'est extrêmement rare qu'un pape vienne séjourner à Marseille. Le précédent remonte au 5 novembre 1533 avec Clément VII (1478-1534), il y a presque cinq siècles ! Cela change de l'actualité souvent très négative et terrible qu'on entend généralement de Marseille : la dernière en date est certainement l'une des actualités les plus scandaleuses, la mort de Socayna, cette étudiante de 24 ans en seconde année de droit qui étudiait ses cours tranquillement dans sa chambre, chez elle, et qui a été mortellement blessée le 10 septembre 2023 par un tir de kalachnikov.

Les Français peuvent aussi être fiers de la venue du pape. On lui a reproché d'avoir précisé qu'il venait à Marseille et pas en France. Effectivement, lorsqu'il est arrivé au Vatican, le pape François avait souhaité ne visiter aucun des grands pays d'Europe, afin de se concentrer sur les "petits" pays. En dix ans de pontificat, il n'est donc jamais allé en France, pourtant "fille aînée de l'Église" selon une terminologie ancienne (qui date du roi Charles VIII en référence au baptême de Clovis) et qui est un tantinet datée depuis qu'elle est l'une des nations les plus laïques au monde.

Plus exactement, le pape a dit le 5 février 2023, dans l'avion de retour de son voyage au Soudan du Sud : « Le critère est le suivant : j'ai choisi de visiter les plus petits pays d'Europe. Vous me direz : "Mais vous êtes allé en France". Non, je suis allé à Strasbourg, j’irai à Marseille, pas en France. Les plus petits, les plus petits, pour connaître un peu l'Europe cachée, l'Europe qui a tant de culture mais qui n'est pas connue de tout le monde, pour accompagner des pays, par exemple l'Albanie, qui a été le premier, qui est le pays qui a souffert de la dictature la plus cruelle de l'histoire. Mon choix est un peu le suivant : essayer de ne pas tomber moi-même dans la mondialisation de l'indifférence. ».

Il a récidivé le 6 août 2023, dans l'avion de retour de Lisbonne, pour expliquer les raisons profondes de sa venue à Marseille : « Je suis allé à Strasbourg, j'irai à Marseille, mais en France non !... Il y a un sujet qui me préoccupe, c'est le sujet de la Méditerranée. C'est pour ça que je vais en France. L'exploitation des migrants est criminelle. Pas ici en Europe, parce que nous sommes plus cultivés, mais dans les camps d'Afrique du Nord... Je recommande la lecture : il y a un petit livre, petit, qu'un migrant a écrit, qui pour venir de Guinée en Espagne a passé je crois trois années parce qu'il a été capturé, torturé, réduit en esclavage. Les migrants dans ces camps du nord : c'est terrible. En ce moment, la semaine dernière, l'association Mediterranea Saving Humans, travaillait pour récupérer des migrants qui se trouvaient dans le désert entre la Tunisie et la Libye, parce qu'ils les avaient abandonnés là, à mourir. Ce livre s'appelle "Hermanito", en italien, il a pour sous-titre "Petit frère", il se lit en deux heures, ça en vaut la peine. Lisez-le et vous verrez le drame des migrants avant leur embarquement. Les évêques de la Méditerranée feront cette rencontre, avec aussi quelques responsables politiques, pour réfléchir sérieusement sur le drame des migrants. La Méditerranée est un cimetière, mais ce n'est pas le cimetière le plus grand. Le plus grand cimetière, c'est l'Afrique du Nord. C'est terrible, lisez-le. Je vais à Marseille pour cela. ».

Effectivement, le pape François a déjà foulé le sol français le 25 novembre 2014 mais pour s'exprimer au Parlement Européen de Strasbourg et à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, il n'était donc pas exactement en France mais en Union Européenne et au Conseil de l'Europe. Le choix des voyages de pape (lieux et dates) est crucial, d'autant plus aujourd'hui où sa santé est diminuée, son âge très avancé, le plus avancé depuis Léon XIII (1810-1903), et donc, forcément, son temps compté. Le pape le remarquait le 4 septembre 2023 à son retour de Mongolie : « Je vais vous dire la vérité, pour moi faire un voyage maintenant n’est pas aussi facile qu’au début, il y a des limitations dans la marche et cela conditionne. Mais nous verrons. ».

C'est donc pour la France et pour Marseille une heureuse exception que le pape a accepté de faire afin de participer aux Rencontres Méditerranéennes 2023. C'est ce qu'a déclaré l'archevêque de Reims, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, devant ses confrères évêques réunis le 31 mars 2023 à Lourdes en assemblée plénière : « Le pape, nous en sommes conscients, vient pour la Méditerranée, nous lui sommes reconnaissants d’avoir accepté de rencontrer au moins le temps d’une messe le peuple de Marseille et les Français. (…) Cette rencontre sera pour notre Église en France un moment de joie. ».

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Il avait réservé son premier voyage hors du Vatican à Lampedusa, le 8 juillet 2013 afin de prier pour les réfugiés noyés dans la Méditerranée, et comme une sorte de cercle vicieux permanents, l'actualité est retournée à cette île italienne qui reçoit encore un grande nombre de réfugiés partis des côtés nord-africaines, toujours au péril de leur vie. La situation n'a guère évolué même si les raisons géopolitiques ont peut-être un peu changé. Pendant ces dix ans de pontificat, le pape François a sillonné la Méditerranée, se rendant à Naples, Malte, Chypre, Jérusalem, Le Caire, Tirana, Lesbos, etc.

Il y a dix ans à Lampedusa, le pape François protestait déjà contre l'indifférence des souffrances, l'absence de compassion : « Qui a pleuré pour la mort de ces frères et sœurs ? Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour les jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leurs propres familles ? Nous sommes une société qui a oublié l’expérience des pleurs, du "souffrir avec: la mondialisation de l’indifférence nous a ôté la capacité de pleurer ! (…) Demandons au Seigneur la grâce de pleurer sur notre indifférence, de pleurer sur la cruauté qui est dans le monde, en nous, aussi en ceux qui dans l’anonymat prennent les décisions socio-économiques qui ouvrent la voie à des drames comme celui-ci. » (8 juillet 2013). Il est probable qu'il renouvellera à Marseille son appel salutaire contre la mondialisation de l'indifférence avec ce genre de paroles.


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Sylvain Rakotoarison (16 septembre 2023)
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Pour aller plus loin :
Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
Mgr Jacques Gaillot.
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L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
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L’abbé Bernard Remy.

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12 avril 2023 3 12 /04 /avril /2023 18:57

« Nous ne sommes pas faits pour copier quelqu’un, pour reproduire un modèle. Il ne s’agit pas de s’aligner sur les autres et de faire comme eux. Celui qui ne fait que suivre les autres ne vit pas vraiment. Mais nous nous inspirons de la vie des personnes qui nous marquent. » (Mgr Jacques Gaillot, septembre 2015).



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L'ancien évêque d'Évreux Jacques Gaillot vient de s'éteindre à l'hôpital après une saleté de maladie ce mercredi 12 avril 2023 à Paris à l'âge de 87 ans. Très connu dans les années 1980 et 1990 pour s'être répandu dans de nombreux médias, parlant de nombreux sujets de société avec une liberté et un franc-parler qui pouvaient terroriser sa hiérarchie catholique, il a été écarté de son diocèse le 13 janvier 1995 et s'est fait plus discret.

Malgré cet éloignement de la scène médiatique plus que pastorale, Mgr Gaillot n'a jamais été vraiment sanctionné par le Vatican même s'il a été très vivement encouragé à démissionner. Il a tenu bon et son évêché s'est transformé en une sorte de diocèse virtuel.

Porte-parole des plus démunis, telle était sa vocation de leur faire profiter de son aura médiatique en les défendant sans relâche, aux côtés d'autres intellectuels ou artistes du genre (par exemple Albert Jacquard et Josiane Balasko pour le droit à avoir un logement décent). Auteur de vingt-quatre essais, Mgr Gaillot a notamment publié "Coup de gueule contre l'exclusion" en 1994 chez Ramsay. Cet ouvrage avait été très remarqué, d'autant plus qu'il y avait, quelques mois plus tard, une élection présidentielle (que Jacques Chirac a gagnée sur le thème de la fracture sociale).

Dans sa biographie officielle, il était expliqué ceci : « Il a une parole libre qui ne craint pas de dire "je", d'être simple et clair. Sa fidélité à l'Évangile s'exprime par quelques traits majeurs : le souci des pauvres et des marginaux, le refus de toute complaisance, l'attachement au droit, à la justice et à la paix, la conviction que Jésus appartient à l'humanité et non aux seuls chrétiens, l'évidence que les brebis hors bergerie, valent qu'on laisse les autres au bercail pour aller les chercher. ».

Le prélat adorait le pape François parce qu'il était avant tout le pape des humbles et il a commenté son élection en novembre 2013 ainsi : « Voilà un pape qui ouvre des portes, donne envie de vivre avec humanité et nous engage à rendre la Terre plus habitable à tous. Il ne fait pas la morale, ne juge pas, ne rappelle pas la discipline. Il indique une autre façon d’être en allant vers les déshérités, invite à prier, à écouter la Parole de Dieu pour que notre cœur devienne brûlant. ».

Jacques Gaillot a mis le point sur un élément important : la morale n'est pas la foi, n'est pas la religion. C'est peut-être difficile à comprendre mais sa réflexion était qu'il fallait partir de l'humain avant de partir des principes. Toujours l'humain. Ainsi, en juin 1989, il affirmait dans le magazine "Globe" : « La vie des individus me préoccupe plus que leur morale. Je relève avec plaisir que la peur du "qu’en-dira-t-on" ne fait plus recette. ».

Pour lui, les considérations morales, si elles sont bien sûr importantes, ne doivent pas cacher les considérations humaines. En s'affranchissant de cette limite, Mgr Gaillot laissait libre cours à toutes les tendances de son époque, en particulier la reconnaissance des couples homosexuels en période de forte épidémie de sida. Ainsi, il ne cachait pas son agacement des questions permanentes des journalistes aux évêques alors qu'il aurait préféré que l'Église évoluât : « Célibat des prêtres, homosexualité, préservatif, avortement, place de la femme : sur toutes ces questions, l’Église est en retard. » (a-t-il suggéré le 5 avril 2010).

Dans "Le Point" du 1er septembre 2015, Jacques Gaillot a raconté sa rencontre le jour même avec le pape François au Vatican, une audience de moins d'une heure (en français) : « Je lui ai dit qu'il m'arrivait de bénir des couples divorcés-remariés et même des couples homosexuels. J'ai ajouté : "On bénit bien des maisons, on peut donc bénir des personnes". Cette phrase a fait sourire le pape. Il a abondé dans mon sens et il a dit : "La bénédiction de Dieu est pour tout le monde". ». Par ailleurs, le pape François lui a assuré, lui qui a défendu si souvent les sans-papiers à Paris : « Les migrants sont la chair de l'Église. ».

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Au fil de ses prises de position, on comprenait que Mgr Jacques Gaillot avait des affinités très à gauche et qu'il soutenait une ligne progressiste étonnante pour un évêque.

Ainsi, le 18 avril 2013 dans le "HuffingtonPost", il a déclaré : « La reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe et de leur droit, en adoptant, de fonder une famille, s'imposera peu à peu en France, comme ailleurs. On s'apercevra alors que ce mariage tant décrié ne fait perdre aucun droit aux autres, qu'il n'est en aucune manière une menace pour les familles dites "normales", ni une régression pour la société et encore moins la fin de la civilisation. ». Il pensait cela juste avant l'examen du projet de loi visant à créer le "mariage pour tous" très contesté par la Manif pour tous.

Il a exprimé son progressisme de manière déconcertante pour un évêque : « La reconnaissance du couple homosexuel s'inscrit dans le puissant mouvement de modernité qui, au fil des ans, fait valoir les droits imprescriptibles de l'individu et de son autonomie. L'individu est au centre. D'où l'importance accordée aux relations entre les individus. Voilà qui relativise le modèle familial dominant et les références à un ordre naturel ou divin. Le droit a fini par rejoindre l'évolution des mœurs : l'amour entre deux personnes de même sexe est un droit humain fondamental. Le principe d'égalité a joué. (…) Nous sommes tous concernés. Notre responsabilité n'est-elle pas d'éveiller des libertés ? Des libertés pour aimer ? ». En quelque sorte, il rejetait le concept de la famille derrière l'absolu concept de liberté individuelle.

C'était aussi au nom de la liberté individuelle que Jacques Gaillot avait pris position pour l'euthanasie, au risque de choquer ses amis catholiques qui considèrent que la vie est sacrée. Dans le "HuffingtonPost" du 17 décembre 2013, il a expliqué : « C'est une question d'humanité, de compassion et de solidarité. ». Autrement dit : « La mort fait partie de la vie puisqu'elle l'achève. Si la vie doit être défendue et protégée, c'est vrai de la mort qui en fait partie. Personne ne peut vivre et mourir à notre place. Comment ne pas désirer avoir les moyens d'aimer la vie jusqu'au bout et de mourir dignement. Comment entourer et soutenir les personnes pour que la dernière étape de la vie reste conforme à la condition humaine ? ». Le mot "dignement" était lâché.

Et d'ajouter : « La question posée par l'euthanasie est celle du sens de la vie, du goût à la vie, du bonheur d'être vivant. Qu'est-ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, que la relation à soi-même et aux autres reste tonifiante ? Les humains gardent toute leur valeur et vérité profonde, même lorsque la santé s'altère et que les forces diminuent. (…) Par humanité et par compassion, on comprend que des malades puissent se trouver dans des situations d'exception. Des situations d'exception qui n'entrent pas actuellement dans le cadre de la loi mais que la loi devrait envisager. ».

Interrogé en avril 2010 sur le scandale des prêtres pédophiles en Allemagne (le scandale n'avait pas encore touché la France), Mgr Jacques Gaillot s'était contenté de faire une remarque générale : « En pensant à toutes les victimes et à leurs familles, je reste sans voix et suis dans la peine. Ce scandale est sans précédent. Qu’un phénomène d‘une telle ampleur ait pu se produire, jette un discrédit considérable sur l’Église catholique. ».

Et pourtant, lui-même a contribué, à son échelle, à ce scandale, et il l'a reconnu dans "Le Parisien" du 5 avril 2010, il avait accepté en juin 1988 d'accueillir dans son diocèse d'Évreux un prêtre québécois qui avait été condamné en 1985 pour des faits de pédophilie mais il lui avait redonné sa chance, fait confiance et confié une paroisse en tant que curé. L'évêque a regretté de l'avoir couvé alors qu'il a été condamné en 2005 aux assises de l'Eure à douze de prison ferme pour avoir violé plusieurs fois un mineur entre 1989 et 1992. Il s'est dit qu'il aurait dû le signaler à la justice à l'époque.

Mais en 2010, on se préoccupait encore peu des victimes et pour Mgr Gaillot, bien mal inspiré intellectuellement, le scandale des prêtres pédophiles était plutôt l'occasion de faire avancer l'une de ses idées "modernistes", en finir avec le célibat des prêtres : « Pour l’avenir, il ne suffit pas de jouer la transparence et de vouloir confier à la justice des cas qui se produiraient. C’est le fonctionnement de l’institution elle-même qui est mis en cause et qu’il faudrait changer. Alors que le monde change vite, nous gardons des structures d’un autre âge avec une conception de l’autorité désuète qui ne laisse pas de place où si peu à la démocratie, une vision de la sexualité dépassée qui n’intègre pas les acquis de la modernité, un statut clérical inadapté qui maintient une discipline du célibat anachronique. Les victimes de la pédophilie mériteraient que le Vatican ait le courage de l’avenir pour éviter de tels drames. » (avril 2010).

Or dans ce texte, Mgr Gaillot laissait entendre que c'était parce qu'ils étaient célibataires que des prêtres étaient pédophiles. Pourtant, tous les prêtres n'étaient pas forcément pédophiles, et il y a eu beaucoup d'hommes mariés parmi les pédophiles (en particulier des pères de famille qui sont coupables d'inceste). Ce n'est donc pas parce que les prêtres seraient mariés qu'ils ne seraient pas enclin à abuser d'adolescents ou d'enfants dans la solitude de leur mission pastorale (en d'autres termes, s'en prendre aux adolescents et aux enfants, surtout si on les encadre, est une grande forme de lâcheté). C'est donc dommage que l'évêque Gaillot ait pu glisser ainsi de la réflexion spirituelle au simple militantisme de mauvaise foi, alors qu'il avait montré à de nombreuses reprises qu'il était un homme réfléchi et intelligent.

Commentant en février 2010 un passage de l'Évangile selon saint Marc, Mgr Jacques Gaillot a écrit : « Alors oui, le Royaume de Dieu est plein de ces "estropiés" dont la joie est plus grande que les renoncements auxquels ils ont consenti. C’est une joie partagée, car c’est toute l’humanité qui en sort grandie. Le Royaume de Dieu n’est pas autre chose que cet appel à faire naître le bonheur dans une humanité en paix où l’on se respecte mutuellement et où l’on veille ensemble à la sauvegarde de la Création. ».

J'espère que sa définition du Royaume de Dieu colle avec la réalité, lui qui désormais est un migrant vers cette destination si mystérieuse et si méditée depuis plus de soixante-deux ans de sacerdoce. Qu'il repose en paix.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (12 avril 2023)
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Pour aller plus loin :
L'évêque qui était aimé par ceux qui n'ont pas la foi.
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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9 avril 2023 7 09 /04 /avril /2023 05:33

« Je n'ai jamais rien demandé ni prévu. » (Albert Decourtray).



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Est-ce une coïncidence que le centenaire de la naissance du cardinal Albert Decourtray corresponde à la fête de Pâques, la fête de la Résurrection, la fête la plus importante des chrétiens, parce qu'elle consacre le mystère de la mort et de la vie ? (La réponse est oui). Mgr Albert Decourtray, archevêque de Lyon du 29 octobre 1981 à sa mort, le 16 septembre 1994, est né effectivement il y a 100 ans, le 9 avril 1923, dans le Nord. Ce n'était pas un Lyonnais mais un Nordiste. Tellement pas Lyonnais que le 8 décembre 1981, il était absent à la Fête des Lumières !

Dans l'Église de France, les années 1980 et le début des années 1990 furent marquées par les deux cardinaux Jean-Marie Lustiger et Albert Decourtray, l'un archevêque de Paris et l'autre de Lyon, primat des Gaules. Ces deux fortes personnalités étaient des pointures, des hautes statures tant intellectuelles, spirituelles, morales que... médiatiques voire politiques (même s'ils ne voulaient évidemment pas soutenir un parti plutôt qu'un autre). C'était une période faste car, sans être irrespectueux pour leurs successeurs, ils n'ont jamais été vraiment remplacés. Irremplaçables, ils manquent encore aujourd'hui à l'Église de France. De plus, ils symbolisaient parfaitement la génération Jean-Paul II, en n'hésitant pas à être, au-delà de prélats attentifs, de bons communicateurs, pas seulement à destination des catholiques et chrétiens, mais aussi des athées et des croyants d'autres religions (en particulier l'islam ; aux funérailles de Mgr Decourtray, le 22 septembre 1994 à la primatiale Saint-Jean-Baptiste de Lyon, les imams étaient présents).

Albert Decourtray a été nommé évêque de Dijon le 22 avril 1974. C'était son premier diocèse et il ne connaissait rien de la Bourgogne. Il a commencé à exercer ses responsabilités progressivement avec d'autres évêques, puisqu'il était évêque auxiliaire de Dijon depuis le 27 mai 1971. Très vite, il a été très apprécié par les Dijonnais et a su commencer à nouer des relations avec les journalistes. Il était tellement apprécié dans la hiérarchie catholique qu'on pensa à lui pour la succession de Mgr François Marty à l'archevêché de Paris.

Mais entre-temps, en 1980, Albert Decourtray a été atteint d'une grave maladie, un cancer des cordes vocales. Traitements et surtout, silence, il était incapable de parler, ses traitements l'avaient rendu muet, ce qui n'était pas la panacée pour un porteur de la foi. Néanmoins, il a su en tirer profit : « En un sens, j'étais ravi, très heureux... très heureux de ce silence quand j'étais seul. J'aime le silence. J'aime la solitude. Être astreint à une plus grande solitude ne me déplaisait point : je réfléchissais longuement, je lisais, je parlais au Seigneur tout bas... Mais ce même silence me pesait terriblement quand j'étais en compagnie. ». Sa guérison et le retour de sa voix (sa voix est revenue en pleine conférence à la fin de novembre 1980, et sa première réaction a été de dire : « C'est amusant ! ») ont été vécus par lui comme un miracle : « Le miracle n'est pas incompatible avec la médecine. ». Il ajoutait par la suite : « Je dirais, comme Bernanos, que tout est grâce. On le dit après. Et parce que cela a bien tourné... ».

Finalement, ce fut Jean-Marie Lustiger qui fut nommé archevêque de Paris le 31 janvier 1981 (jusqu'au 11 février 2005), après avoir exercé pendant un an comme évêque d'Orléans. Lui, l'évêque Decourtray, donc par une sorte de grâce, a guéri de son mal et a été nommé à Lyon quelques mois plus tard. En plus de cette charge, il fut élu président de la Conférence des évêques de France le 6 novembre 1987, pour trois mandat d'un an, en d'autres termes, il était le représentant de tous les évêques de France, tant vis-à-vis du Vatican que des fidèles.

Les deux hommes furent à la fois de bons complices intellectuels, mais aussi en légère rivalité ...professionnelle, dirais-je. Les deux étaient voués à être créés cardinaux car ce sont deux fonctions, à Paris et à Lyon, qui sont traditionnellement porteuses de ce titre. Jean-Marie Lustiger fut créé cardinal le 2 février 1983, tandis qu'Albert Decourtray a dû attendre quatre ans, créé cardinal seulement le 25 mai 1985, ce qui entraîna son agacement, pas que cette nomination fût tardive, mais que les médias ne cessaient d'en déduire des supputations erronées (qu'il serait mal-aimé du Vatican, etc.).

Plutôt que d'être mal-aimé, il était au contraire considéré par beaucoup comme le porte-parole officieux du pape Jean-Paul II en France. Il l'a d'ailleurs accueilli à Lyon du 4 au 7 octobre 1986 à l'occasion de la béatification du prêtre franciscain Antoine Chevrier. À son arrivée à l'aéroport de Lyon-Satolas, le 4 octobre 1986, Jean-Paul II dit à François Mitterrand : « Vous permettrez, Monsieur le Président, que je salue aussi mes Frères dans l’épiscopat, qui m’ont invité, avec votre agrément, et qui sont venus m’accueillir ici, notamment monsieur le cardinal Albert Decourtray, l’archevêque de ce lieu, Mgr Jean Vilnet, président de la Conférence épiscopale, avec les cardinaux français, les cardinaux et prélats invités d’autres pays, et les évêques de la région, en particulier Mgr Gabriel Matagrin, dont le diocèse est tout proche. Avec eux, avec les fidèles catholiques de ce pays, nous aurons beaucoup d’autres occasions de nous entretenir. ».

Et inversement, ce fut Albert Decourtray qui entra le premier des deux à l'Académie française (au fauteuil du pieux Maurice Barrès), élu le 1er juillet 1993 (sans avoir été lui-même candidat, il a cru à un canular) et reçu le 10 mars 1994 (quelques mois avant sa mort), et son successeur fut justement Jean-Marie Lustiger, rapidement élu le 15 juin 1995 et reçu le 14 mars 1996, ce qui fut, pour l'archevêque de Paris, l'occasion émouvante de faire l'éloge de son ami et prédécesseur : « Je me souviens de la joie ressentie par un autre cardinal, Albert Decourtray, au moment où vous l’avez appelé à devenir l’un des vôtres, voilà deux ans. Joie pure de toute vanité, car il était persuadé que vous vouliez, par fidélité à l’histoire et à la mission de l’Académie, faire, en lui, honneur à l’Église. Permettez-moi, alors que je veux partager la même joie, de ne pouvoir écarter ma tristesse de son départ. Soyez remerciés de me confier, en m’appelant à lui succéder, le devoir de rendre hommage à un ami, à un frère. ».

Communicants rayonnants, les deux cardinaux n'hésitaient donc pas à descendre dans l'arène médiatique, et les journalistes en étaient ravis. Ils participaient, comme des ministres, des chefs de parti ou des candidats à l'élection présidentielle, non seulement aux deux grandes émissions politiques de l'époque, "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 et "Sept sur sept" sur TF1, mais aussi à d'autres émissions comme "Face à la presse" sur FR3, "Découvertes" sur Europe 1, "Question à domicile" sur TF1, "Le Journal inattendu" sur RTL, "Le Club de la presse" sur Europe 1, etc. ...et même "Apostrophe" sur Antenne 2.

Le cardinal Decourtray connaissait bien les dangers d'une forte médiatisation : « Je suis conscient du risque que peut présenter une conférence de presse, un "face à la presse télévisée", un échange téléphonique, un interview spontané, etc. On peut ne pas être en forme, on peut se laisser piéger. On peut exprimer maladroitement sa pensée. On peut être incompris. Et surtout, on a des limites et des faiblesses, que le journaliste a le redoutable pouvoir de souligner. ». En revanche, parler à la télévision donnait une caisse de résonance incroyable au message de l'Église.

Un exemple avec le préservatif le 4 novembre 1988 : répondant à la question d'un journaliste, le cardinal Decourtray répondit un peu rapidement : « Si l'on croit que le préservatif est le remède, c'est bien triste. ». S'il a rétropédalé un peu plus tard, dans "L'Heure de vérité" du 12 décembre 1988 : « Quand il faut choisir entre donner la mort et prendre un moyen qui n'est pas bon, il faut choisir le moindre mal... » (mais on s'étonna encore huit ans plus tard que l'Église catholique puisse tolérer le préservatif alors qu'elle ne l'a jamais interdit), le mal était fait et la porte ouverte aux humoristes, même un amateur, par ailleurs ancien ministre et député-maire d'une grande ville de banlieue, André Santini, qui n'a pas pu s'empêcher de sortir cette formule bien léchée : « Mgr Decourtray n'a rien compris au préservatif. La preuve, il le met à l'index. » (1990).

Bernard Berthod et Régis Ladous, auteurs d'une biographie de l'archevêque de Lyon publiée en 1996, insistaient sur l'amitié entre les deux cardinaux : « Leur amitié est fraternelle : Lustiger a tendance à se prendre pour l'aîné [alors qu'il est né le 17 septembre 1926], et Decourtray n'est pas fâché d'annoncer, après son premier passage à l'émission télévisée "L'Heure de vérité", qu'il y a "tangenté Chirac et dépassé Lustiger". (…) La synergie Decourtray/Lustiger fonctionne comme un tourbillon, elle attire et happe les dossiers bien plus que ne l'aurait fait un responsable solitaire et débordé. ».

De son côté, le journaliste spécialiste du christianisme Henri Tincq écrivait dans "Le Monde" du 26 juillet 1987 : « Il n'est pas un dossier important dans l'Église de France qui (…) ne passe par le couple Lustiger-Decourtray et ne fasse entre eux l'objet d'une répartition des tâches. Ils sont l'un et l'autre appréciés à Rome et souvent reçus à la table du pape. ».

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Jean-Marie Lustiger et Albert Decourtray n'ont été réellement amis qu'à la suite du voyage très important du pape du 16 au 23 juin 1983. Jean-Paul II revenait pour la deuxième fois en Pologne, dans son ancien diocèse de Cracovie, pour visiter l'ancien camp d'extermination d'Auschwitz le dernier jour de son périple. Le pape avait proposé à Mgr Lustiger de venir car sa mère avait péri dans ces lieux (et il était d'origine polonaise). Jean-Marie Lustiger avait alors demandé à Albert Decourtray de l'accompagner, comme second prélat français de la délégation, afin de lui permettre, lui, le fils d'une victime, de ne pas aller jusqu'au bout du voyage, car il imaginait la dureté de l'épreuve.

Les deux historiens biographes cités plus haut ont raconté : « S'il découvre de l'intérieur ce que fut la Shoah, [Decourtray] le doit à ce que Lustiger lui dit et peut-être surtout ne lui dit pas ; Lustiger qui demande de l'accompagner car il n'est pas sûr de pouvoir aller jusqu'au bout ; Lustiger qui, en effet, ne va pas jusqu'au bout et se recueille et prie au seuil du camp où sa mère a été assassinée. Decourtray entre seul dans Auschwitz, il va s'agenouiller devant le mur du souvenir (…). Pas question, il le comprend alors, d'une prière publique, d'un geste qui pourrait ressembler à une appropriation. "En ce lieu où la cendre des victimes est mêlée pour toujours à la terre et à la mémoire d'un peuple, où la terre crie l'offense qui lui a été faite, on ne peut faire que silence". Le geste symbolique, Lustiger et Decourtray le font devant le monument commémoratif de l'insurrection du ghetto de Varsovie ; ils déposent, au nom des catholiques de France, une gerbe (…). ».

Mgr Decourtray a été, dit-on, très proche des Juifs et c'était effectivement vrai, au point d'avoir en son hommage un mémorial à Jérusalem, inauguré en mai 2000. Il s'impliqua beaucoup dans le procès du bourreau nazi Klaus Barbie, commentant les témoignages qu'ils considéraient utiles alors qu'il voyait que les victimes avaient beaucoup plus honte que leurs tortionnaires. Il a été traumatisé par l'histoire de la rafle des enfants d'Izieu, victimes seulement de leur nom juif et de rien d'autre.

Dans "Passages" de juillet 1989, il criait sa révolte : « Que ce Dieu puisse paraître passif devant l'extermination de Son peuple, voilà le scandale absolu. Absolu, puisqu'il se nourrit de la foi en un amour sans mesure. De ce scandale ne peut naître que l'athéisme (…) ou la protestation contre l'absence apparente de Celui en qui on ne cesse de croire malgré son silence. ». Il ne mâchait pas ses mots, quitte à surprendre et même choquer, quitte à toujours bousculer les consciences.

Dans cet esprit, il n'était pas étonnant qu'Albert Decourtray reçût du pape en juillet 1996 la très délicate mission de gérer l'installation d'un Carmel dans l'enceinte d'Auschwitz (douze religieuses voulaient s'y installer, avec l'accord du parti communiste polonais, le POUP), à savoir, de trouver une solution consensuelle. Sa mission était faite de négociations avec Théo Klein pour aboutir à un accord le 22 février 1987 qui proposait l'installation à l'extérieur du camp, à quelques centaines de mètres de là, mais celui-ci fut rejeté par l'épiscopat polonais, les carmélites étaient soutenues notamment par le primat de Pologne, le cardinal Glemp. Mgr Decourtray avait reçu le soutien de Jean-Paul II en 1988, mais il ne voulait pas imposer l'accord par le haut, et la chute du parti communiste en Pologne en 1989 a également bouleversé la situation. En juillet 1989, des militants juifs se heurtèrent aux ouvriers polonais qui rénovaient une partie des lieux pour le Carmel.

Ce conflit lui tenait à cœur, il se sentait proche tant des Juifs que des carmélites, car quand il était évêque à Dijon et qu'il était réduit au silence par sa maladie, il avait fait de la carmélite mystique Élisabeth de la Trinité, morte de maladie le 9 novembre 1906 à l'âge de 26 ans, l'une des références spirituelles de son engagement religieux : « Sa liberté en éveil se déploie : cette brèche spirituelle ouvre son esprit par le dedans, rend son intelligence disponible à ce qu’elle n’avait pas encore vraiment rencontré. » (selon les mots de Mgr Lustiger). La jeune femme, qui a laissé de nombreux écrits, a été béatifiée à Rome le 25 novembre 1984 par Jean-Paul II (en présence de Mgr Decourtray) et canonisée à Rome le 16 octobre 2016 par le pape François.

Dans le "Journal du dimanche" du 13 août 1989, Albert Decourtray ne savait plus où se mettre dans l'affaire du Carmel : « Qu'il y a quelque chose qui blesse la conscience juive m'est intolérable (…). J'avoue que j'ai été tenté de renoncer. J'ai été assailli par une impression d'échec. ». Finalement, ce fut bien un acte d'autorité qui résolut le problème : par sa lettre du 14 avril 1993, le pape demanda aux carmélites de se déplacer du périmètre international d'Auschwitz. Elles n'ont pas compris pourquoi on voulait les déloger alors qu'elles y étaient venues pour prier pour les Juifs. C'était là un sujet de grand agacement pour Albert Decourtray qui avait expliqué le 19 novembre 1988 au Collège de France : « Je pense toujours qu'une des formes nouvelles mais essentielles du respect du peuple juif par tous les hommes de bonne volonté est de perdre l'habitude séculaire et tragique de lui dire ce qu'il doit dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire, être ou ne pas être. ».

Ce n'était pas non plus étonnant que le 9 juin 1989, Albert Decourtray ouvrît complètement aux historiens les archives de son archevêché pendant la guerre, notamment sur les possibles soutiens de l'Église au milicien Paul Touvier. En 1990, le cardinal affirma : « Un tort bien établi, et que l’on porte dans la vérité et le courage, est préférable à l’innocence suspecte. ».

Cette phrase résonne différemment de nos jours avec le scandale des prêtres coupables de pédocriminalité. Pourtant, malheureusement, le primat des Gaules a fait preuve pour le moins de légèreté sur ce problème très grave, sans en réduire la gravité. Sur le prêtre (condamné en 2020) Bernard Preynat, sa réaction, devant les parents de victimes qui lui avaient signalé le prêtre fautif en 1991, aurait été celle-ci : « Il y a du "diabolique" dans cette affaire et le "coupable" n'est qu'une victime que je vais aussi tenter de libérer. ». Bernard Preynat lui-même a témoigné bien plus tard : « Quand le cardinal Decourtray m’a convoqué en 1991, j’ai commencé par lui dire que c’était une longue histoire. Là, il a fait un geste du bras pour exprimer qu’il n’avait pas envie d’en entendre plus. Il m’a fait promettre de ne jamais recommencer et m’a dit “Bernard, je vous fais confiance”. ».

À l'évidence, les évêques n'étaient pas formés pour réagir à une telle situation remettant en cause toute la confiance qu'ils avaient mise dans les prêtres de leur diocèse au cours d'une période de baisse énorme des vocations. Albert Decourtray, pas plus que d'autres, n'ont saisi l'importance du phénomène. Mais aussi ne voulaient pas en savoir plus, pas découvrir la vérité qui n'a pu s'exprimer qu'en 2021 avec le rapport Sauvé (et ces affaires lyonnaises ont atteint le lointain successeur de Mgr Decourtray, le cardinal Philippe Barbarin qui a dû démissionner de ses fonctions).

Le cardinal Decourtray était très à l'écoute des souffrances de toute sorte de son diocèse. Ainsi, dès le 9 avril 1982 (le Vendredi Saint), il s'est rendu aux Minguettes, invité par les habitants. Le 20 février 1985 (le mercredi des Cendres), inquiet de l'audience de certaines thèses politiques, il a mis en garde : « Nous avons assez de voir grandir la haine contre les immigrés. Nous en avons assez des idéologies qui la justifient et d'un parti dont les thèses sont incompatibles avec l'enseignement de l'Église. ». Au risque de choquer, il fallait bien rappeler quelques fondamentaux. Et être clair, comme dans cette interview à "Lyon Figaro" le 10 novembre 1987 : « Il est bien certain que l'accueil de l'étranger et de l'immigré fait partie de l'Évangile. Je ne veux pas peser sur les consciences, mais contribuer, à ma place, à éclairer les hommes pour qu'ils se décident en connaissance de cause et au nom des valeurs essentielles de la conscience humaine. ».

L'homme est passion et compassion. Mgr Jean-Marie Lustiger lui a rendu sans doute le meilleur hommage en dévoilant les ressorts de cette personnalité exceptionnelle : « Lorsque Albert Decourtray nous dit qu’il n’y a pas de différence entre le gamin et le cardinal, il nous fait comprendre sa trajectoire : la liberté et l’audace de l’homme dans la maturité de son âge se nourrissent de ces vertus intactes qui l’ont rendu, mieux que d’autres, sensible et disponible, non seulement à la découverte des tragédies du passé, mais aussi aux interrogations du présent et aux signes de l’avenir. Sinon, comment et par quelle magie un homme dont l’éducation et le parcours furent autant marqués par la culture catholique, aurait-il pu, cinquante ans plus tard, demeurant lui-même, entrer avec une aisance aussi généreuse dans le vif des questions de ses contemporains étrangers à son univers natif ? » (14 mars 1996).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
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Pour aller plus loin :
"Le cardinal Decourtray" par Bernard Berthod et Régis Ladous, éd.LUGD, 1996.
Une voix dans la rumeur du monde.
Mgr Albert Decourtray.

Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).

L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint  Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.

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5 avril 2023 3 05 /04 /avril /2023 05:59

« Quant au mal qui est en moi
Pardonne et nettoie
(…)
Donne-nous, donne-moi
La force et la lumière
Et nous changerons le monde. »
(Extrait d'une prière inédite de Maurice Bellet composée en juin 2016).




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Il y a déjà cinq ans, le 5 avril 2018, Maurice Bellet, grand philosophe chrétien, est mort à l’âge de 94 ans alors qu'il continuait toutes ses activités d'étude de l'humain, écrire, mais aussi parler, tenir des conférences, rencontrer ses contemporains et échanger avec eux, pratiquement jusqu'à ses derniers jours.

En janvier 2014, il écrivait : « Donc, j'ai eu 90 ans. Depuis quelques jours. Ça ne me plaît pas. Pas du tout. Il me semble que j'ai encore à faire avant le grand départ. Et le temps va me manquer. Illusion ? Vains désirs ? Rien n'est jamais tout à fait pur chez les humains, dont je suis. Il me semble pourtant que ce que je désire voir paraître, pas nécessairement par moi, mais du moins à quoi je participerai, c'est du côté de la vie. Et de l'urgence. ».

Difficile de dire correctement ce que Maurice Bellet était complètement. Philosophe, théologien, sociologue, prêtre, chercheur, enseignant, psychanalyste, essayiste, il était aussi, ne serait-ce que dans son style d'écriture très particulier (parfois un peu difficile à comprendre au premier abord, c'est vrai), un poète d'un genre inclassable. Maurice Bellet a soutenu deux thèses de doctorat, une en théologie, et une autre en philosophie. Cette dernière thèse fut dirigée par Paul Ricœur et dans son jury de thèse se trouvait Emmanuel Levinas (c'est assez impressionnant !) ; celle de théologie dirigée par le théologien et prêtre dominicain Claude Geffré, qui fut directeur de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem.

En tout cas, il était un écrivain très fécond, ce qui est précieux quand on quitte cette Terre : au moins soixante-trois ouvrages traduits dans une dizaine de langues à son actif (dont six romans et deux pièces de théâtre), un publié après sa disparition, et de très nombreux articles de fond dans des revues de philosophie ou de religion. Son principal thème (mais pas exclusif), c'est, si j'ose résumer un peu trivialement, l'épreuve des hommes. Maurice Bellet a écouté de très nombreuses personnes qui étaient dans des situations terribles, de malheur et de mal, et il a tenté de les comprendre, de comprendre en quelque sorte le Mal sur Terre, et de donner (car il était prêtre mais aussi homme optimiste) des raisons d'espérer, des raisons de croire que tout est encore possible, que la vie, malgré tous les problèmes parfois insoutenables, peut devenir une vie pleine de richesse, que leur place est toujours bien là, sur Terre.

L'un de ses livres majeurs, à mon sens (mais beaucoup de ses livres sont majeurs, c'est vrai), c'est "L'Épreuve ou le tout petit livre de la divine douceur", sorti en 1988 (chez Desclée de Brouwer), où il évoquait une épreuve personnelle très dure et son témoignage à destination de ceux qui vivent aussi des épreuves difficiles. Il l'a écrit dans son lit d'hôpital : « En écrivant ce livre (…), j’ai tâché de montrer qu’au sein même de la souffrance, de la douleur et de la dépendance… il est possible de vivre dans cet état de profonde paix, miséricordieuse et rassérénante (…). Une divine douceur qui nous invite ainsi à quitter la voie de la tristesse et de la cruauté pour passer sur un chemin de joie et de grâce. ».

Un extrait :
« L'amour d'amitié a trois visages : la présence, l'hospitalité, l'écoute. Les trois sont un. On peut parler avec ses mains, avec son regard, avec son silence ; avec la simple présence. Et même : avec l'absence nécessaire. Le vrai amour ne prend rien ; il vous laisse même à votre solitude, la bonne solitude où vous pouvez aller par vous-même, in-dépendant. Mais le vrai amour ne vous abandonne jamais. Ainsi la parole aimante est-elle comme une demeure où nous pouvons habiter jusque dans l'errance. ».

Un autre extrait qui secoue les cœurs :
« Ô vous, dont j’étais, dont je suis, les écartés, les allongés, les promis à la mort, les sans force et sans pouvoir, à tout être humain vivant, il est permis d’être le sel de la terre. Il lui suffit d’aimer, autant qu’il peut, la divine douceur. Il lui suffit, dans l’océan de trouble et de douleur, d’une goutte de cette eau pure. Alors, à la mesure même de son abîme, fût-ce le désespoir et la folie, sa vie humaine s’élève à la vie divine, qui est la vie humaine enfin libre de l’horreur et du démoniaque, libre en sa source et son principe. Alors, tout humain peut ouvrir la bouche, pour nourrir sa grande faim et donner sa parole au monde. Car tel est le mot de la divine douceur, le premier et le dernier, elle ne dit rien d’autre : il n’y a pas de bouche inutile. ».

D'autres livres ont connu un certain retentissement, et leur titre est d'ailleurs souvent très propre à la pensée de Maurice Bellet comme : "Essai d'une critique de la foi" (1968), "La Peur ou la foi" (1968), "Réalité sexuelle et morale chrétienne" (1971), "Le Dieu pervers" (1979), "Critique de la raison sourde" (1992), "L'Extase de la vie" (1995), "La Quatrième Hypothèse. Sur l'avenir du christianisme" (2001), "Le Paradoxe infini" (2003), "La Traversée de l'en-bas" (2005), "Le Meurtre de la parole ou l'épreuve du dialogue" (2006), "Le Dieu sauvage. Pour une foi critique" (2007), "Dieu, personne ne l'a jamais vue" (2008), "L'Explosion de la religion" (2014), "Notre Foi en l'humain" (2014), "La Chair délivrée" (2015), "Un Chemin sans chemin" (2016), "Le Messie crucifié. Scandale et folie" (2019), etc.

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Maurice Bellet a donc laissé beaucoup d'écrits qui sont, ce qui est normal pour un philosophe, toujours très denses, qui donnent souvent à penser, à méditer. Parmi ses articles, je propose quelques extraits puisés dans son blog qu'il alimentait régulièrement entre 2014 et 2017.

Sur l'identité chrétienne : « Dans l'ordre de la pensée, le fruit de l'Évangile n'est pas d'ajouter une idéologie chrétienne à la longue liste des idéologies. C'est de faire paraître l'autre lumière, le "logos" venu en chair, en vie humaine, et qui est entièrement amour. C'est une conversion de la pensée, une crucifixion est une résurrection de la pensée, elle met fin au prodigieux resserrement sur le spectacle et la manipulation qui, à travers son efficacité extrême, est aussi menace d'étouffement. Dans l'ordre de la pratique, le fruit n'est pas d'abord morale et moralisation, mais vivification de ce qui fait la vie humaine ; spécialement l'initiation, le soin, l'œuvre. Pour me borner à la première (qui ne laissera pas indifférents les enseignants), c'est donner aux êtres humains venant en ce monde de quoi porter leur humanité, leur naissance et leur mort, et par cette "sagesse" dont parle Paul, qui n'est point résignation à l'ordre du monde, mais prend appui prodigieusement sur ce qui vient. Quand on sait où en est l'éducation, c'est affaire d'actualité. Quant au poétique, enfin, le fruit n'est pas d'abord un rituel. Car le rite ne fait que dire ce qui d'abord est changement et élévation de toute la vie et qui se fait dans l'ordre symbolique, entendons : par le corps en tant que le corps et esprit. Là, l'écart est si grand entre ce que nous sommes et ce que nous avons à être que nous risquons de ne même pas le voir ! » (juillet 1987).

Sur la foi et la mort : « D’où viennent doute ou soupçon ? D’un constat, déjà, du côté de ce qu’on nomme culture, celle des gens cultivés. Le XXe siècle, là-dessus, nous a enseigné cette vérité terrible : on peut être un scientifique remarquable, un excellent artiste et pactiser avec l’atroce, voire le servir. On peut enseigner la philosophie, ou bien être un homme pieux et ne pas voir l’ignominie et s’en accommoder. À vrai dire, on pouvait s’en apercevoir depuis longtemps ; mais le XXe siècle a donné à ce constat une force inédite. La capacité de faire taire la voix humaine, de réduire des êtres humains, non à l’état de bêtes, mais de choses sans nom, y a pris des proportions inouïes. Nous savons désormais que cette dérive monstrueuse est possible, comme nous savons que nos propres techniques peuvent passer sous le pouvoir de la destruction. C’est au point que la recherche même de la vérité se trouve compromise, puisque celle qui réussit si admirablement en mathématiques et en physique peut se trouver incompétente et impuissante devant les assauts de la Mort. » (septembre 2014).

Sur la décomposition du christianisme : « Bien sûr, une adaptation est nécessaire. Bien sûr il faut quitter ces images de l'enfer, du sacrifice, de la mission, et plus encore ces théorisations prétendument dogmatiques qui donnaient à ces thèmes-là une rigidité insupportable. Quittons ce qu'il faut quitter, disent-ils. L'essentiel reste sauf. Il est tout entier du côté d'une foi heureuse, débarrassée des vieilles peurs, des illusions pieuses, des controverses meurtrières. La foi ne craint plus la modernité. Elle y trouve comme une jeunesse nouvelle. L'Évangile, la liturgie, une morale ouverte à la psychologie, une dogmatique qui ose intégrer ce que l'exégèse ébranle des vieux clichés, tout signifie le renouveau. L'Église se refait une santé (le pape François !). » (janvier 2016).

Dans un billet sur la foi, la sagesse et la raison, il rappelait l'impossibilité d'être neutre : « Pas de neutralité possible. Ici paraît l'illusion critique : croire qu'on peut se tenir en une pensée "objective" qui n'impliquerait pas tout ce qu'il en est du "sujet". On est neutre pour ce qui n'a pas d'importance. Pour le grave et l'essentiel, impensable. On n'est pas neutre devant Auschwitz. Ou alors !... Il faut bien qu'il y ait un absolu. Mais le grand problème des humains, c'est de ne pas savoir où il est. La ligne de séparation change. L'impossibilité et l'interdit ne sont pas fixés. ».

C'était un sujet qui lui a donné l'occasion de suggérer le sens général de son œuvre monumentale : « Il se trouve que mon lieu, mon lieu essentiel (du moins je le crois et l'espère), c'est la foi chrétienne. Voilà qui situe avec force ! L’Évangile n'est soluble dans rien d'autre ; c'est une parole, c'est un homme, un nom qui se disent avènement de l'inouï, et au-delà de toute particularité, pour tous les humains. Comment concilier cela avec cette ouverture, cette diversité que semble exiger l'universel (et le dialogue) ? Il n'y a pas de conciliation. Il y a, c'est vrai, deux positions possibles, aussi mauvaises l'une que l'autre : la prétention des chrétiens à posséder, seuls, la Vérité ; tout le reste est erreur ou attente. Ou le christianisme enfin en accord avec la mentalité contemporaine ; tout ce qui, en lui, résiste à cet arrangement doit se défaire. Deux façons de voir qui ont cet avantage : ça ne coûte rien, on est à l'aise, c'est immédiat (je l'entends du fond ; car bien sûr, on peut développer, publier, débattre... et mener sa vie dans un style ou dans l'autre). S'il n'y a pas de solution, quel chemin ? Je crois bien que tout ce que j'ai écrit (ou pourrais écrire) est dans l'espace de cette question. ». Relier l'Évangile et le monde vivant des humains d'aujourd'hui, c'était le vaste sujet d'étude du doux Bellet, merci à lui.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Site officiel de Maurice Bellet.
Maurice Bellet, le poète de la divine douceur.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse, dans La Voie.
Maurice Bellet, en pleine immersion dans son temps.
La disparition de Maurice Bellet.
Quelques citations de Maurice Bellet.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230405-maurice-bellet.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/maurice-bellet-le-poete-de-la-247619

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/03/39867269.html













 

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