« Il y a un vrai problème avec les balcons en Russie. Ce danseur était opposé à la guerre... mais c’est juste un hasard. Sans doute a-t-il perdu l’équilibre en essayant de s’étirer sur son balcon... » (Samantha de Bendern, le 19 novembre 2024 sur Twitter).
Le monde de la culture et des arts est en deuil en apprenant la mort du célèbre danseur étoile russe Vladimir Shklyarov à Saint-Pétersbourg ce samedi 16 novembre 2024 à l'âge de 39 ans (il est né à Saint-Pétersbourg, à l'époque encore Leningrad, le 9 février 1985 ; on peut aussi écrire son nom en français Chkliarov).
Selon les journaux locaux, Vladimir Shklyarov est mort après être tombé du balcon de son appartement, au cinquième étage d'un immeuble de Saint-Pétersbourg (il a fait une chute fatale de 18 mètres). Il aurait pris des analgésiques dans la perspective d'une opération chirurgicale qui avait été programmée. Selon sa collègue danseuse Irina Baranovskaya, il serait sorti dans son balcon pour aller fumer et aurait perdu l'équilibre. Sa mort est considérée comme accidentelle mais, selon RIA Novosti, une enquête a été malgré tout ouverte.
Comme l'a insinué assez malicieusement la politologue Samantha de Bendern, également chroniqueuse sur LCI, dans son tweet, il y a une véritable malédiction des balcons en Russie, vu le nombre très important de personnes en bonne santé qui chutent d'un balcon et en meurent malencontreusement. Elles avaient toutes pour point commun d'avoir émis des doutes voire des critiques sur la manière dont Vladimir Poutine conduit la Russie.
Et en effet, Vladimir Shklyarov s'était permis, le 7 mars 2022, quelques jours après le début de la tentative d'invasion de l'Ukraine par la Russie, d'exprimer dans les réseaux sociaux son profond dégoût en écrivant son envie de paix : « Je suis contre toutes les guerres !... Je ne veux ni guerre ni frontières ! », en ajoutant : « Les responsables politiques devraient pouvoir négocier sans tirer ni tuer des civils. Pour cela, on leur a donné une langue et une tête ! ». Mais il a ensuite prudemment supprimé ces messages et n'a plus commenté ultérieurement la guerre en Ukraine dans les réseaux sociaux.
On pourrait en effet plonger dans une sorte de complotisme mais les statistiques sont éloquentes : il y a beaucoup plus de morts par balcon que dans d'autres pays. Quant aux empoisonnements, il en a beaucoup aussi sur des citoyens russes, mais cette fois-ci, plutôt à l'étranger, très étrangement ! Par exemple, c'était le sixième étage pour l'oligarque Ravil Maganov le 1er septembre 2022 (pas de balcon, juste une fenêtre).
Ce qui est bien surprenant, c'est que, comme danseur, Vladimir Shklyarov était un grand sportif et avait donc un grand contrôle de son corps, au contraire des maladroits qui, eux, ne sont jamais en représentation artistique. La philosophe Valérie Kokoszka a conclu le 17 novembre 2024 sur Twitter : « La Russie de Poutine efface toute beauté et toute grâce. ». C'est peut-être un peu trop rapide en réflexion. On ne saura jamais mais le doute subsistera toujours.
Vladimir Shklyarov était un grand danseur depuis 2003, l'un des danseurs principaux du Ballet Mariinsky, la compagnie du Théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg. Il était également danseur invité au Ballet de Bavière à Munich, au Royal Ballet de Londres ainsi qu'à l'American Ballet Theater. Il s'est marié en 2013 avec Maria Shirinkina, première soliste au Mariinsky, et ils ont eu deux enfants.
Pour lui rendre hommage, voici quelques représentations trouvées sur Internet de sa vingtaine d'années de belle carrière. Les funérailles auront lieu ce jeudi 21 novembre 2024. Condoléances à la famille.
1. XIII International Ballet Festival Mariinsky (le 10 mars 2013)
2. Don Quichotte (le 10 mai 2014 avec Viktoria Tereshina)
3. Roméo et Juliette (en 2013 avec Diana Vishneva)
« Je dirais que le peuple ukrainien m'a bien traité. Je me rappelle avec enthousiasme les années que j'y ai passé. Il s'agissait d'une période pleine de responsabilités mais plaisante car elle m'apportait de la satisfaction... Mais loin de moi l'idée d'accroître mon importance. L'ensemble du peuple ukrainien a réalisé de grands efforts. J'attribue le succès de l'Ukraine au peuple ukrainien dans son ensemble. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce thème, mais en principe, il est très facile à démontrer. Je suis moi-même Russe et je ne veux pas offenser les Russes. » (Khrouchtchev, dans ses Mémoires publiées en 1970).
Il y a exactement soixante ans, le 14 octobre 1964, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev a été limogé de ses postes par une nouvelle troïka. Leonid Brejnev a pris la relève à la tête de la dictature communiste appelée URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques plus simplement appelée Union Soviétique). Pour la première fois, une purge politique n'était plus associée à une élimination physique. Au contraire, pour sa retraite, on lui a attribué un appartement à Moscou et une datcha à la campagne. Il a sombré dans une grande dépression et il est mort à l'âge de 77 ans, d'une crise cardiaque le 11 septembre 1971 à Moscou, après avoir réussi à faire publier ses Mémoires en Occident en 1970.
L'appréciation historique de Nikita Khrouchtchev est paradoxale. Il est avant tout connu pour cette journée du 25 février 1956, en séance extraordinaire du XXe congrès du PCUS (parti communiste d'Union Soviétique). Hors programme, le dirigeant soviétique a pris l'initiative de lire un long rapport aux cadres communistes en leur demandant de garder les informations confidentielles et de ne pas en débattre. Un rapport accablant sur la gestion du pays par Staline : « C'est ici que Staline a montré à de nombreuses reprises son intolérance, sa brutalité et son abus de pouvoir (…). Il a souvent choisi le chemin de la répression et de la destruction physique, pas seulement contre ses véritables ennemis mais aussi contre des individus qui n'avaient commis aucun crime contre le parti ou le gouvernement soviétique. ».
C'était le début de la déstalinisation. Mikhaïl Gorbatchev, d'une autre génération, a étudié l'expérience de Khrouchtchev pour réformer lui-même l'URSS après le glacis gérontologique formé par Leonid Brejnev, Youri Andropov et Konstantin Tchernenko. Mais les réformes n'ont pas plus fonctionné. Wiliam Tompson, le biographe de Khrouchtchev, a rappelé en 1995 : « Tout au long des années Brejnev et durant le long interrègne qui suivit, la génération qui a atteint la majorité durant le “premier printemps russe” des années 1950 attendit son tour. Alors que Brejnev et ses collègues décédaient ou se retiraient, ils furent remplacés par des hommes et des femmes pour qui le discours secret [le rapport du 25 février 1956] et la première vague de déstalinisation avaient été une expérience formatrice et ces enfants du XXe Congrès prirent les rênes du pouvoir sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev et de ses collègues. L'ère Khrouchtchev fournit à cette seconde génération de réformateurs une inspiration et une morale. ».
Dans ses Mémoires non plus, Khrouchtchev n'était pas tendre avec Staline : « Staline appelait tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui des "ennemis du peuple". Il disait qu'ils voulaient restaurer l'ordre ancien et que pour y parvenir, les "ennemis du peuple" s'étaient liés aux forces réactionnaires internationales. Par conséquent, plusieurs centaines de milliers de personnes honnêtes ont péri. Tout le monde vivait dans la peur. Tout le monde s'attendait à tout moment à être réveillé au milieu de la nuit par des coups à leur porte et à ce que cet événement leur soit fatal... Les personnes qui n'étaient pas du goût de Staline étaient supprimées, des membres honnêtes du parti, des personnes irréprochables, loyales et travaillant de tout leur cœur pour notre cause qui avaient suivi l'école de la lutte révolutionnaire sous la direction de Lénine. C'était l'arbitraire total et complet. Et maintenant, tout cela doit être oublié et pardonné ? Jamais ! ».
Mais le déstalinisateur en chef n'était pas forcément celui qu'on pourrait croire. Il était avant tout un fidèle disciple de Staline, pas moins cruel que lui ! Khrouchtchev est né le 15 avril 1894 dans la région (oblast) de Koursk. Il a eu un rôle important auprès de Staline. Dès 1932, Khrouchtchev était un familier de Staline qui l'appréciait bien. Khrouchtchev a soutenu les grandes purges d'avant-guerre (des documents attestent de son implication dans les purges). En 1936, il déclara même : « Tous ceux qui se réjouissent des succès de notre pays, des victoires de notre parti mené par le grand Staline, ne trouveront qu'un seul mot convenable pour les mercenaires, les chiens fascistes du gang zinovievo-trotskyste. Ce mot est exécution. » (cité par William Taubman en 2003).
En 1939, Staline l'a nommé chef du PCUS en Ukraine (c'est d'ailleurs en raison de son expérience en Ukraine et de son épouse ukrainienne qu'il aurait "donné", plus tard, la Crimée à l'Ukraine dans les contours des républiques à l'intérieur de l'URSS, une modification seulement symbolique, en principe, puisque le pays qui comptait, c'était l'URSS). Pendant la guerre, Khrouchtchev fut un commissaire politique de Staline, avec rang de général, et était chargé de la liaison entre ce dernier et les (vrais) généraux. Il a fait partie de la Bataille de Stalingrad et de Bataille de Koursk, et après la guerre, il a rejoint Staline à Moscou pour le conseiller.
À la mort de Staline, ce fut une véritable lutte interne du pouvoir pour s'octroyer la succession. Très vite, Gueorgui Malenkov fut rétrogradé par ses collègues au profit de Khrouchtchev, mais les deux se sont ligués pour faire échouer les premières réformes de Lavrenti Beria après Staline (plus d'un million de prisonniers politiques furent amnistiés). Tous les dirigeants craignaient un coup d'État de Beria qui avait sous ses ordres 1,2 million d'agents.
Le passé très stalinien de Khrouchtchev ne le présentait donc pas en 1953 comme le futur déstalinisateur. Melenkov cherchait à mettre le pouvoir dans l'appareil de l'État car il contrôlait le gouvernement, tandis que Khrouchtchev voulait maintenir le pouvoir au sein du parti qu'il contrôlait. Finalement, Khrouchtchev a gagné la lutte interne contre Beria rapidement éliminé. Soyons clairs : Beria a été éliminé le 26 juin 1953 probablement sur ordre de Khrouchtchev. Beria fut le dernier dirigeant soviétique éliminé autant physiquement que politiquement (les conditions de sa mort reste encore un mystère).
La prise de pouvoir de Khrouchtchev a eu lieu en deux temps. Le 14 septembre 1953, il a été désigné Premier Secrétaire du comité central du PCUS, en d'autres termes, la réalité du pouvoir en URSS (comme en Chine, le contrôle du parti engendre le contrôle de l'État). À ses côtés, les deux autres de sa troïka : Nicolaï Boulganine, Président du Conseil des ministres (et avant lui, Gueorgui Malenkov) et Anastase Mikoyan, Vice-Président du Conseil des ministres (et avant lui, Lazare Kaganovitch qui l'a introduit au Politburo dans les années 1930). À partir du 27 mars 1958, comme Staline lui-même, Khrouchtchev a pris aussi la tête du gouvernement soviétique (Présidence du Conseil des ministres).
La réussite du programme spatial est l'une des rares réussites de Khrouchtchev. En particulier, le premier lancement d'un satellite, celui de Spoutnik-1 le 4 octobre 1957, et le premier vol habité dans l'Espace, avec Youri Gagarine pilotant la mission Vostok-1 le 12 avril 1961, ont mis l'URSS largement devant les États-Unis dans la conquête spatiale (jusqu'à la réussite de la mission Apollo-11 le 21 juillet 1969 et le lancement des navettes spatiales dans les années 1980 qui ont redonné une avance technologique majeure aux États-Unis).
Mais, à part cette réussite spatiale, la réputation de réformateur du système soviétique et d'ouverture politique ne convient pas non plus à la réalité de son bilan à la tête de l'URSS entre 1953 et 1964. En effet, si Khrouchtchev a tenu à nouer des relations diplomatiques avec l'Occident, en particulier avec les États-Unis (rencontre en septembre 1959 avec Dwight Eisenhower et Richard Nixon puis en juin 1961 avec John Kennedy) et avec la France (rencontre en mars 1960 avec De Gaulle), ce fut sous sa responsabilité qu'il y a eu les pires crises de la guerre en froide.
En particulier, trois. La crise de Berlin avec la construction du mur de Berlin, la crise hongroise et la crise des missiles à Cuba. Cette dernière crise était particulièrement grave puisque le monde était à deux doigts d'être plongé dans une guerre thermonucléaire ! Le caractère de Khrouchtchev était très vif, si bien qu'ulcéré par des propos du délégué philippin qu'il entendait le 12 octobre 1960 à l'Assemblée Générales des Nations Unis (le Philippin fustigeait l'hypocrisie anticolonialiste de l'URSS qui avait elle-même colonisé l'Europe centrale et orientale), il a pris sa chaussure dans la main pour protester énergiquement (après avoir cassé sa montre à force de taper sur la table avec son poignet). William Tompson l'a décrit ainsi : « Il pouvait être charmant ou vulgaire, exubérant ou renfrogné ; il exposait sa rage (souvent forcée) en public avec des hyperboles explosives dans sa rhétorique. Mais quelles que soient ses actions, il était plus humain que son prédécesseur ou même que la plupart de ses homologues étrangers et pour une grande partie des gens, cela suffisait à rendre l'URSS moins mystérieuse ou dangereuse. ».
La crise de Berlin. L'ancienne capitale du Reich était divisé en quatre zones : soviétique, américaine, britannique et française, mais concrètement, en deux zones, soviétique (RDA) et occidentale (RFA). De nombreux Allemands de l'Est ont fui la RDA vers l'Allemagne de l'Ouest par Berlin (située au centre de la RDA). Un pont aérien permettait l'acheminement des réfugiés de l'Est à l'Ouest. Avec l'autorisation de Khrouchtchev, Walter Ulbricht, Président du Conseil d'État (chef d'État) de la RDA et Premier Secrétaire du parti communiste d'Allemagne de l'Est, a fait ériger le mur de Berlin dans la nuit du 12 au 13 août 1961 dans le plus grand des secrets. Ce mur pollua les relations Est-Ouest pendant trente ans (jusqu'à la Réunification).
La crise hongroise. L'année 1956 a mal commencé pour l'URSS. La Pologne, qui venait de perdre soudainement son dirigeant communiste Boreslaw Bierut (le16 mars 1956), a basculé dans des grèves avec des répressions. Mais finalement, le pouvoir communiste polonais a fait beaucoup concessions aux ouvriers (à cause du sentiment antisoviétique des Polonais) et le vent de libéralisation s'est étendu à la Hongrie avec une insurrection populaire le 23 octobre 1956 à cause de la répression d'une manifestation d'étudiants à Budapest. Pour apaiser la situation, le pouvoir communiste hongrois a installé au pouvoir le Premier Ministre réformateur Imre Nagy le 24 octobre 1956. Ce dernier a annoncé des élections libres et le retrait de la Hongrie du Pacte de Varsovie, ce qui a déclenché l'intervention militaire directe des troupes soviétiques à Budapest le 4 novembre 1956. La répression a été terrible, plusieurs milliers de personnes ont péri, les chars soviétiques dans les rues de Budapest ont donné une image très négative de l'URSS (malgré l'attention déportée vers la crise de Suez). Imre Nagy a été arrêté et a été exécuté le 16 juin 1958. Khrouchtchev s'est montré menaçant le 18 novembre 1956 lors d'une réception des diplomates occidentaux à l'ambassade de Pologne à Moscou avec son discours : « Que vous le vouliez ou non, l'histoire de notre côté. Nous vous enterrerons ! ».
La crise des missiles à Cuba. Probablement la plus grave crise internationale. L'URSS venait d'installer des missiles nucléaire à moyenne portée à Cuba, dirigé par Fidel Castro, à moins de 140 kilomètres des côtes de Floride. Ce qui était inacceptable pour les États-Unis qui ont découvert des rampes de lancement le 16 octobre 1962. John Kennedy a prononcé une allocution télévisée le 22 octobre 1962 pour annoncer au peuple américain l'existence de cette menace et la réaction des États-Unis, un blocus contre Cuba. Khrouchtchev craignait alors une invasion de Cuba par les Américains. Les tensions diplomatiques furent extrêmes. Finalement, le 25 octobre 1962, Khrouchtchev renonça à ces missiles, les a fait démanteler, en échange d'une non invasion de Cuba par les États-Unis (et aussi d'un retrait des missiles américains de la Turquie, proche de l'URSS, ce qui n'a pas été communiqué ni réalisé, d'où la crise s'est soldée par ce qui a été considéré comme une défaite soviétique).
Sur le plan intérieur, Khrouchtchev a effectivement fait des réformes d'ouverture politique. Il a ainsi supprimé les tribunaux spéciaux de Staline, même si, selon Roy Medvedev, « la terreur politique comme méthode journalière de gouvernement fut remplacée sous Khrouchtchev par des moyens de répression administratifs » (1978). Il voulait aussi le remplacement d'au moins un tiers de toutes les assemblées, y compris le comité central du PCUS, lors de leur renouvellement (cette mesure a été rapidement supprimée par Brejnev en 1964). Il a rendu publiques les séances du comité central, ce qui avait pour effet d'obliger les éventuels dissidents à s'expliquer publiquement, ce qui n'encourageait pas la dissidence.
L'un des échecs des réformes sur le plan intérieur a été la politique agricole. Khrouchtchev a promu depuis longtemps la culture du maïs, mais ce fut un échec (on appelait Khrouchtchev "Mister K" mais aussi "Kukuruznik", Monsieur Maïs). Par ailleurs, il se faisait conseiller par l'imposteur agronome en chef, Trofim Lyssenko ! qui prétendait pouvoir augmenter les rendements agricoles (échec complet qui a fait énormément retarder le développement de la recherche génétique en URSS). En 1957, Khrouchtchev voulait pourtant supplanter les États-Unis pour la production de viande, de lait et de beurre. En 1962, le prix de ces produits en URSS ont augmenté de 30%, ce qui a engendré des révoltes et des grèves, vite réprimées dans le sang par l'armée. La sécheresse de 1963 ne l'aida pas non plus, avec une production de seulement 80% de celle de 1958 (l'URSS a dû importer des produits agricoles pour éviter la famine).
Ces échecs répétés, tant sur le plan intérieur (politique agricole) que sur le plan international (l'humiliation de la fin de la crise de Cuba) ont convaincu certains dirigeants soviétiques qu'il fallait évincer Khrouchtchev du pouvoir. Le complot a été préparé dès le début de l'année 1964 sous la direction de Leonid Brejnev, Président du Praesidium du Soviet Suprême de l'URSS du 7 mai 1960 au 15 juillet 1964. Khrouchtchev, toujours en voyage à l'étranger, était peu souvent présent au Kremlin cette année, ce qui a aidé le complot. Khrouchtchev était en vacances dans sa datcha le 12 octobre 1964 lorsque Brejnev lui a informé d'une réunion du Praesidium le surlendemain. Khrouchtchev s'y est rendu en se doutant du piège. Mis en accusation, il ne s'est pas défendu, aurait pleuré selon des témoins et a donné sa démission.
Selon William Taubman, le dirigeant démissionnaire-destitué aurait dit à son dernier fidèle Anastase Mikoyan, devenu le 15 juillet 1964 Président du Praesidium du Soviet Suprême (jusqu'au 9 décembre 1965), au téléphone : « Je suis vieux et fatigué. Laissons-les faire face à eux-mêmes. J'ai fait le principal. Quelqu'un aurait-il pu rêver de pouvoir dire à Staline qu'il ne nous convenait plus et lui proposer de prendre sa retraite ? Pas même une tache humide ne serait restée là où nous nous serions tenus. Aujourd'hui, tout est différent. La peur a disparu et nous pouvons parler d'égal à égal. C'est ma contribution. Je ne me battrai pas. ».
Une nouvelle troïka lui a succédé : Leonid Brejnev, Premier Secrétaire du PCUS le 14 octobre 1964 (jusqu'à sa mort), Alexeï Kossyguine, Président du Conseil des ministres du 14 octobre 1964 au 23 octobre 1980, et Nikolaï Podgorny, Président du Praesidium du Soviet Suprême du 9 décembre 1965 au 16 juin 1977. Une dictature communiste de dix-huit ans a succédé à une dictature communiste de onze ans...
« La France exprime sa solidarité avec les victimes, leurs proches et tout le peuple russe. » (Emmanuel Macron, le 22 mars 2024).
Terreur indicible. Scène de guerre horrible. L'impression de revivre l'attentat du Bataclan du 13 novembre 2015, mais en Russie. Cela s'est passé ce vendredi 22 mars 2024 vers 18 heures 30 (heure de Paris), avant le début d'un concert à guichet fermé du groupe de rock russe Piknik, dans la grande salle de spectacle inaugurée le 25 octobre 2009, le Crocus City Hall à Krasnogorsk, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Moscou. La salle contenait environ 6 200 personnes. Deux à cinq hommes camouflés ont réussi à pénétrer dans l'enceinte de la salle et ont tiré au fusil automatique sur les spectateurs. Cet attentat a été suivi d'un incendie du toit qui s'est effondré. Les assaillants auraient réussi à quitter les lieux et les forces de l'ordre russes sont à leur recherche active.
À ce stade, le bilan, qui risque d'être bien plus lourd, serait d'au moins 60 personnes assassinées [au 28 mars 2024, au moins 143 victimes dont trois enfants et 360 blessés] et de plus de 130 personnes blessées dont une soixantaine dans un état grave. Une centaine d'ambulances ont été amenées sur place, des hélicoptères et des pompiers aussi, pour soigner les blessés, évacuer les rescapés, éteindre l'incendie, etc. Il semblerait qu'au contraire de l'attentat du 13 novembre 2015 au Bataclan, les personnes évacuées auraient quitté les lieux librement sans avoir été interrogées par les forces de l'ordre pour connaître le déroulement exact des faits. Selon Tass, les membres du groupe Piknik ont pu être exfiltrés par les forces de l'ordre.
Au cours de sa pseudo-campagne électorale, Vladimir Poutine avait promis la sécurité au peuple russe. On s'aperçoit hélas ce soir que rien n'est sous contrôle en Russie et qu'à quelques kilomètres du Kremlin, un petit groupe armé est capable de provoquer un carnage. Dans tous les cas, la peur va s'installer durablement dans la population russe.
Très rapidement, l'organisation terroriste islamiste Daech a revendiqué cet attentat meurtrier sur son compte Telegram : « Les combattants de l'État islamique ont attaqué un grand rassemblement de chrétiens dans la ville de Krasnogorsk, à la périphérie de Moscou, tuant et blessant des centaines de personnes et causant de grandes destructions avant de se retirer en toute sécurité. ». Apparemment, l'origine de cette revendication serait authentifiée. La risque terroriste en Russie n'a jamais baissé, en particulier provenant de Daech en raison de l'intervention militaire russe en Syrie.
Évidemment, le contexte, double ou triple contexte, en particulier la guerre en Ukraine, l'escalade des discours de plus en plus tendus entre la Russie et les pays de l'OTAN, et la réélection supposée triomphale de Vladimir Poutine, apporte des réflexions qui pourraient être biaisées.
Ainsi, la Russie pourrait soupçonner l'Ukraine d'être à l'origine de cet attentat, ce qui est peu pertinent pour de nombreuses raisons, et les services de Volodymyr Zelensky a tenu très vite à affirmer : « Soyons clairs, l'Ukraine n'a absolument rien à voir avec ces événements. ». Tandis que l'ancien Président Dmitri Medvedev, le hurleur professionnel depuis 2022, promettait de tuer des dirigeants ukrainiens si ceux-ci étaient liés à cet attentat.
On pouvait aussi craindre que ce fût un attentat sous faux drapeau, réalisé par le FSB, ce que soupçonne le renseignement militaire ukrainien qui accuse les services spéciaux russes. Mais cette hypothèse non plus n'est pas très crédible, parce que dans ce cas, le pouvoir russe aurait rendu responsable un supposé groupe terroriste ukrainien et pas islamique.
Le plus vraisemblable reste donc que cette revendication de Daech soit exacte, d'autant plus que le mode opératoire particulièrement horrible (et il y a des images avec les smartphones des participants au concert) correspond malheureusement à un déroulement sanglant déjà connu notamment des Français avec les attentats de 2015, tant de "Charlie Hebdo" (7 janvier 2015) que du Bataclan (13 novembre 2015), où les terroristes prennent leur temps pour viser et tirer sur les victimes.
Les États-Unis avaient averti la Russie le 7 mars 2024 qu'il y avait des risques très élevés d'attentat islamique en Russie, la Grande-Bretagne également l'avait signalé, et ils avaient recommandé à leurs ressortissants en Russie de ne pas aller dans des grands rassemblements. Le pouvoir de Vladimir Poutine avait interprété cet avertissement comme une menace directe des pays de l'OTAN contre la Russie. Il aurait mieux fait de le prendre au sérieux et de protéger sa population.
Les circonstances ont été très réfléchies par les terroristes. La situation des forces de l'ordre russes sous tension permanente avec la guerre en Ukraine était une opportunité pour Daech. Même le passage pour entrer dans la salle aurait été une passoire (détecteurs en panne, etc.).
Il faut se rappeler que lors des attentats du Word Trade Center, le 11 septembre 2001, Vladimir Poutine avait été le premier chef d'État ou de gouvernement étranger à avoir exprimé sa solidarité et apporté son soutien à George W. Bush et au peuple américain, rompant définitivement (croyait-on) à la guerre froide (du moins entre les États-Unis et la Russie) par le surgissement d'un ennemi commun, le terrorisme islamique (la Russie était en guerre contre les séparatistes tchétchènes).
En France, bien entendu, comme en Europe et dans tous les pays étrangers, c'est la consternation, la condamnation et la solidarité avec le peuple russe. L'Élysée a communiqué la position claire du Président français Emmanuel Macron : « Le Président de la République suit de près la situation à Moscou. Il condamne fermement cette attaque terroriste revendiquée par l'État islamique (…). La France exprime sa solidarité avec les victimes, leurs proches et tout le peuple russe. ». Le Ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné va dans le même sens : « Les images qui nous parviennent de Moscou sont terribles. Nos pensées vont aux victimes et blessés et au peuple russe. Toute la lumière doit être faite sur ces actes odieux. ».
Du reste, les deux leaders populistes français soupçonnés de sympathie avec le régime de Poutine, à savoir Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, ont été parmi les premiers à twitter leur condamnation et leur solidarité (on aimerait qu'ils en fassent de même, avec la même rapidité, lorsque l'armée russe massacre des civils ukrainiens).
Cette attaque de Daech a profité d'un contexte qui lui était favorable en Russie, tout occupée à guerroyer en Ukraine. Elle rappelle brutalement que la Russie est dans le même bateau que ce qu'elle croyait être ses adversaires occidentaux, celui de la lutte contre le terrorisme islamique, bien plus grave pour la sécurité du peuple russe que les frontières occidentales de la Russie, alors qu'aucun pays à l'Ouest ne menaçait la Russie. Elle rappelle aussi que le risque terroriste est au plus haut niveau partout, et en particulier en France pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques.
Alors, évidemment, condamnation totale de cette tuerie abominable, soutien total au peuple russe, aux victimes, aux civils qui sont traumatisés et qui vont avoir peur, et toujours méfiance vis-à-vis du pouvoir de Vladimir Poutine, qui n'a pas encore réagi, et honte à lui s'il osait rendre responsables de cet attentat de supposées forces ukrainiennes. La signature, hélas, est trop caractéristique, cette brutalité dans l'horreur, cette joie, presque, cette joie sadique de pouvoir massacrer le plus de chrétiens possible, ne sont pas celles de combattants ukrainiens mais celles d'islamistes qui ont déclaré la guerre totale et permanente au vrai Occident, c'est-à-dire en y incluant bien sûr la Russie...
« On joue toujours plus ou moins la comédie que ce soit avec les autres ou avec soi-même et peut-être surtout ou plutôt quand on croit être le plus sincère c’est fou ce que nous pouvons tous aimer mentir tu me diras que c’est parce qu’il est tellement difficile de savoir ce qui est la vérité de sorte qu’on ne peut jamais dire tu sais on finit par revenir de pas mal de choses et d’ailleurs on ne peut pas faire autrement que raconter des histoires parce que en admettant qu’il y en ait une les gens ont horreur de la vérité est-ce que tu ne t’en es pas déjà aperçu ils sont disposés à croire tout ce que tu pourras leur raconter ou tout ce qu’ils pourront se raconter eux-mêmes excepté la vérité c’est sans doute qu’elle est quelque chose d’insupportable. » ("Le Sacre du Printemps" par Claude Simon, 1954, éd. Calmann-Lévy).
87%... ou 88%... C'est une victoire ! Que dis-je ? C'est un triomphe ! Les trompettes de la gloire universelle sonnent et résonnent dans le ciel étoilé de Russie ! Bon... arrêtons la plaisanterie. La pseudo-élection présidentielle qui s'est déroulée en Russie du 15 au 17 mars 2024 a donc confirmé ce que tout le monde savait depuis 2020 : Vladimir Poutine aurait été réélu Président de la Fédération de Russie avec un pourcentage autour de 87 ou 88%.
Parler d'élection est un bien gros mot, et parler de démocratie est carrément une insulte aux démocrates. Du reste, Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine l'avait déjà expliqué le 6 août 2023 : « Notre élection présidentielle n’est pas vraiment une démocratie, c’est une bureaucratie coûteuse. M. Poutine sera réélu l’année prochaine avec plus de 90% des voix. (…) Théoriquement, les élections ne devraient même pas avoir lieu. ». C'était vrai, quelle perte de temps et d'argent alors que la réélection était prévue par avance !
C'est curieux comme les dictatures doivent garder un semblant de formalisme pour faire comme si. Vladimir Poutine a employé les bonnes vieilles ficelles du KGB et de l'URSS. Tellement grosses qu'il n'a pas vu qu'elles le trahissaient elles-mêmes. Car la démocratie, bien sûr, elle est toujours fragile, mais il y a une chose qui paraît évidente dans un monde globalisé qui est mieux informé mais aussi plus angoissé : il n'y a jamais de score de 88% dans une démocratie réelle. Au premier tour.
Il suffit de regarder dans chaque pays. Je ne parle pas des vieilles démocraties où les scrutins se remportent avec à peine plus de 50% des voix, et de manière durable. La France, les États-Unis, par exemple. La France, dès 1974, il y avait un écart très faible. Il a perduré. Et si Jacques Chirac a eu 82% en 2002, c'était au second tour après un très mauvais premier tour pour lui (19% !) et ce n'était que 82, pas 88% ! Aux États-Unis, les scrutins en voix ont été souvent très serrés, en 2000, en 2016, en 2020, etc. On peut même comparer avec la Turquie, là aussi le dernier scrutin présidentiel du 28 mai 2023 a été serré et la réélection d'Erdogan n'était pas évidente, n'était pas écrite.
Alors, le peuple russe serait-il un peuple consensuel qui adore voire adule son dirigeant suprême ? Bien sûr que non. Il faut regarder les scrutins présidentiels russes de 1991 ou de 1996 pour se rendre compte que les clivages existaient, nombreux, disparates. Là non plus, en 1996, la réélection de Boris Eltsine n'était pas évidente, au contraire, tout le monde expliquait qu'il allait être renvoyé par les urnes.
Avec Vladimir Poutine, la pseudo-élection présidentielle est une multiple imposture. La première imposture est déjà sa candidature alors que la Constitution russe du 12 décembre 1993 a limité à deux mandats successifs. Oui mais bon, le 4 juillet 2020, on a dit qu'on reprenait à partir de zéro. Donc, Vladimir Poutine pourra même se représenter en mars 2030. Son objectif, aller jusqu'en 2036 ? (il aura 83 ans). Ou simplement 2031 ? 2032... l'idée étant de durer plus longtemps que Staline ? Autre imposture constitutionnelle puisque, le 30 décembre 2008, le mandat présidentiel a été prolongé de 50% du temps, de quatre à six ans. Tout est bon pour s'éterniser au pouvoir sur de pseudo-bases légales.
L'autre imposture en amont de cette pseudo-élection présidentielle, c'est l'impossibilité aux vrais opposants de se présenter. Soit parce qu'ils ont des barrages administratifs curieux, au mieux, soit parce qu'ils ont été purement et simplement éliminés physiquement, au pire. La mort d'Alexeï Navalny rappelle à ceux qui ont oublié ou qui ne veulent pas voir la réalité du régime actuel en Russie. Au lieu d'eux, on a encouragé quelques députés ou anciens députés à se présenter pour faire vitrine et laisser entendre qu'il y a un véritable choix.
Et même si des candidatures libres avaient pu se présenter, leurs traitements médiatiques auraient été très inégaux puisqu'il n'y a plus de presse ou de médias libres. Ils sont tous à la dévotion du chef.
Enfin, la pseudo-élection présidentielle de 2024 a été une imposture jusque dans ses opérations électorales, puisqu'une élection démocratique, c'est lorsque le vote est libre, sincère et secret. Sans pression d'aucune sorte. Or, de secret, il n'y en avait pas quand les urnes étaient installées en pleine rue et que les électeurs devaient cocher leur bulletin devant les responsables des bureaux de vote. Sans compter que des opérations électorales ont eu lieu sur territoire ukrainien et pas russe.
Avec tout cela, pas la peine de truander les urnes, l'élection était déjà truandée en amont. Ce qu'on peut dire, en quelque sorte, c'est que Vladimir Poutine a été confirmé par une sorte de plébiscite, et la seule chose qui mériterait une observation attentive mais validée, c'est la participation. Le 18 mars 2018, il était convenu que même si c'était avec un score plus faible que l'officiel, Vladimir Poutine avait bien gagné l'élection. En 2024, forcément qu'il ne pouvait que gagner puisqu'il était le seul candidat connu.
Le journaliste Jean-François Bouthors, membre de l'Association de soutien des principes de la démocratie humaniste, expliquait dans "Ouest France" le 14 mars 2024 : « La question de la régularité du vote ne se pose tout simplement pas. Poutine et son clan, prêts à tout pour garder le pouvoir et l’étendre au-delà de la seule Russie, s’en moquent. La Russie dans tout ça ? Il est tentant de jeter, sans discernement, le bébé avec la très sale eau du bain. Évitons cependant de parler de "la Russie" comme d’un bloc. Ça, c’est ce que Poutine construit à longueur de journée, en écartant systématiquement, parfois de la plus cruelle des manières, tout ce qui détonne, diverge ou s’oppose. La réalité est plus complexe. Il faut, pour comprendre, partir du fait que cette uniformisation par la peur ne laisse presque aucune place à des manifestations de dissensus. Pourtant, elles ne manquent pas, pour des prétextes divers. Les obsèques de Navalny ; les nombreux soutiens à la tentative de candidature de Boris Nadéjdine ; le succès phénoménal du film de Michael Lockshin (cinéaste en exil qui s’est prononcé contre la guerre), "Le Maître et Marguerite", au parfum antitotalitaire ; les protestations des mères de soldats et celles de quelques hommes de troupe ; les habitants qui dénoncent l’absence de chauffage dans leur logement ; les doléances contre l’inflation galopante et la disparition des œufs sur les marchés ; jusqu’aux hommages à l’effroyable Prigojine après son élimination… ». Et il poursuivait : « La Russie n’a connu qu’un épisode très bref de liberté politique. (…) Mais dans ce bref intervalle, de très nombreux Russes ont manifesté un vrai désir de liberté. ».
Dans son discours de ce dimanche 17 mars 2024, Vladimir Poutine a voulu faire comme si c'était une véritable élection : « Je tiens tout d’abord à remercier les citoyens, nous sommes tous une seule et même équipe, tous les citoyens de Russie qui se sont rendus dans les bureaux de vote et qui ont voté. (…) Nous avons beaucoup de tâches concrètes et importantes à accomplir. Les résultats de l’élection témoignent de la confiance des citoyens du pays et de leur espoir que nous ferons tout ce qui est prévu. ». Avec lui, le cynisme est roi. Il serait triste de la mort d'Alexeï Navalny, il avait rendu hommage à Evgueni Prigojine, à l'écouter, celui qui n'a jamais participé à un seul débat contradictoire de sa vie regretterait presque d'être réélu avec un si haut score qui ne s'obtient, je le répète, que dans les républiques bananières ou dans les dictatures communistes.
Pour certains poutinolâtres, cette pseudo-élection présidentielle célèbre le dixième anniversaire de l'annexion de la Crimée à la Fédération de Russie (référendum aussi "libre et sincère" le 16 mars 2014, modification de la Constitution le 21 mars 2014). Moi, j'insisterais plus sur le premier anniversaire de la signature du mandat d'arrêt international contre Vladimir Poutine par la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale de La Haye le 17 mars 2023. Pour crimes de guerre commis en Ukraine.
Certains pensent que cette confirmation plébiscitaire de Vladimir Poutine à rester au pouvoir jusqu'à, au moins, mars 2030 (il aura alors 77 ans, l'âge au début de son premier mandat de Joe Biden) va entraîner un durcissement plus grand encore du régime. À quoi bon alors que la peur règne déjà dans le pays ? L'absence de toute préparation à sa succession va même être catastrophique dans quelques années, non seulement pour la Russie mais aussi pour le monde.
Et la seule sagesse, c'est de le mettre hors d'état de nuire à l'Ukraine dans les meilleurs délais. Qu'un dirigeant européen comme Emmanuel Macron ose se dresser contre ses lubies paranoïaques, cela devrait l'interpeller, et heureusement qu'il y en a au moins un ! Vladimir Poutine est un danger pour l'Europe et la paix mondiale. Son imposture électorale n'y changera rien. Triste sire.
« On peut entretenir des relations amicales, mais celles-ci ne doivent pas aller jusqu’à l’inféodation. » (Jean-Pierre Chevènement, le 2 mai 2023 à Paris).
L'ancien ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement fête son 85e anniversaire ce samedi 9 mars 2024. L'adjectif "socialiste" est un "gros" mot pas très exact mais je l'ai utilisé car c'était en sa qualité de membre du PS qu'il a été membre des gouvernements de Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Michel Rocard et Lionel Jospin à des fonctions économiques ou régaliennes (Recherche et Industrie, Éducation nationale, Défense et Intérieur) qu'il a quittés trois fois en claquant la porte (c'est rare un ministre qui démissionne, c'est rare un ministre qui démissionne trois fois !). Dans le gouvernement Jospin, il s'était déjà séparé du PS mais en restait proche.
Au-delà de ses fonctions gouvernementales, Jean-Pierre Chevènement, considéré avant 1981 comme un gaullo-marxiste, a été élu député, sénateur, maire de Belfort, président du conseil régional de Franche-Comté, et enfin, après son éloignement du PS au début des années 1990 pour des raisons européennes, il s'est présenté à l'élection présidentielle de 2002 et a recueilli 5,3% des suffrages exprimés. Figure du souverainisme de gauche, gardien de la Constitution, vigile d'un État fort et régulateur, Jean-Pierre Chevènement est devenu inclassable au fil des décennies : sa candidature élyséenne avait en effet entraîné dans son sillage des souverainistes de droite qui se situait à l'aile droite de l'échiquier politique, et ces derniers temps, il a soutenu la candidature du Président Emmanuel Macron, et a même participé à son unique grand meeting du 2 avril 2022. Le macronisme de Jean-Pierre Chevènement est compréhensible en ce sens que l'actuel Président de la République est surtout le représentant d'un État fort au volontarisme élevé, et plus jacobin que girondin. L'antieuropéen appréciait aussi celui qui prenait le leadership de l'Europe en inondant ses discours de souverainisme national et européen.
Depuis deux ans, une partie de la classe politique est en pleine remise en cause : les relations avec la Russie, les liens avec Vladimir Poutine sont auscultés sous un jour nouveau, celui d'un agresseur, d'un faiseur de guerre et d'un voyou menaçant l'Europe et, plus généralement, la paix mondiale.
Jean-Pierre Chevènement a "acté" ce changement brutal (qu'on aurait pu prévoir, certes), en concédant notamment, le 1er mars 2022 sur France 5, parlant de la guerre en Ukraine : « C’est une erreur colossale d’interprétation de la réalité qui part d’une anticipation noire de ce que peut être l’évolution des relations internationales et en même temps d’un mépris caricatural de l’Occident, celui-ci se retrouvant assimilé à des groupes de soutien aux LGBT, etc. ».
Nommé le 23 octobre 2012 représentant spécial de la France pour la Russie par François Hollande (et reconduit par Emmanuel Macron jusqu'en 2021), Jean-Pierre Chevènement a été décoré le 4 novembre 2017 au Kremlin par Vladimir Poutine de l'Ordre de l'Amitié russe, la plus grande récompense russe, pour ses efforts pour « renforcer la paix, l'amitié et la compréhension mutuelle entre les peuples ». À cette occasion, l'ancien ministre de la défense a proclamé : « En renforçant les liens de tout type entre la France et la Russie, nous permettons la création d'une meilleure Europe, d'un équilibre et de la paix en Europe. ». C'était pourtant bien après l'annexion forcée de la Crimée par la Russie.
Sa fonction de représentant spécial en a fait un acteur important des relations entre la France et la Russie entre 2012 et 2021 : « J’ai accompagné François Hollande à Moscou en février 2013, puis Emmanuel Macron a reçu Vladimir Poutine dès le mois de mai 2017 à Versailles et il lui a rendu visite en 2018 ainsi qu’à plusieurs autres reprises par la suite. Il m’a chargé, comme son prédécesseur, d’entretenir la relation avec les dirigeants russes. À ce titre, j’ai été porteur de lettres du Président de la République au Président de la Russie pour essayer de circonscrire un conflit qui pouvait devenir grave, le conflit ukrainien, qui, si l’on peut dire qu’il a éclaté en 2013-2014, avait en fait des antécédents plus anciens. ».
Jean-Pierre Chevènement a exposé à la commission un résumé des relations entre la France et la Russie depuis les années 2000. Il a daté du discours de Vladimir Poutine à la Conférence de Munich en 2007 le point d'inflexion de la position russe. La Russie était alors inquiète d'une possible intégration de l'Ukraine dans l'OTAN et dans l'Union Européenne. Après l'enlisement des Accords de Minsk et la crise sanitaire, les choses se sont gâtées : « Peut-être l’abcès était-il d’emblée purulent, mais le niveau de violence avait beaucoup baissé dans un premier temps et l’on pouvait s’estimer satisfait de constater que le nombre de prisonniers, de morts et de blessés avait diminué et que les choses paraissaient s’arranger au cours des années 2017 2018 ; or tout a dégénéré avec la décision russe d’intervenir directement sur le sol ukrainien. ».
Il a aussi décrit les conditions de sa décoration par Vladimir Poutine : « Je ne l’ai pas acceptée spontanément et me suis enquis auprès des plus hautes autorités de l’État de savoir si je pouvais le faire. Y ayant été vivement encouragé, la lettre de mission que j’ai reçue du ministère des affaires étrangères évoque d’ailleurs cette décoration comme un élément positif, je n’ai pas cru devoir la refuser, pensant qu’il était dans l’intérêt de la France d’avoir de bonnes relations avec les autorités russes afin de faire avancer nos affaires dans d’innombrables domaines, qu’il s’agisse des questions économiques et culturelles ou de la libération de certaines personnalités indûment emprisonnées, ou encore des marins ukrainiens arrêtés en mer d’Azov. Le nombre de mes interventions est considérable, notamment auprès de grandes sociétés russes avec lesquelles nous pouvions développer des coopérations, comme Rostekhnologii ou Roscosmos, coopérations parfois très anciennes, du reste, comme dans le cas de Roscosmos pour le domaine spatial, où elle remonte à 1966. ».
Jean-Philippe Tanguy rappelait à Jean-Pierre Chevènement qu'il présidait la Fondation Res Publica qui a des contacts avec de nombreux experts, y compris de Russie. Le désormais président d'honneur de la fondation lui a répondu : « J’ai vu que vous aviez interrogé M. Thierry Mariani [député européen RN, ancien ministre LR] sur son association Dialogue franco-russe, certes nombreuse, mais dépourvue de toute audience réelle et qui tenait, une ou deux fois l’an, une réunion consacrée à des thématiques très générales. Je ne crois pas qu’il s’agisse pour autant d’ingérence. À ce compte, il faudrait interdire toutes les réunions organisées par l’institut Carnegie ou diverses fondations allemandes qui ne se privent nullement d’organiser des séances de travail, généralement très instructives et auxquelles il m’arrive de me rendre pour le compte de la Fondation Res Publica. Cette dernière a d’ailleurs elle aussi une activité. En 2006, par exemple, elle a invité M. Sergueï Lavrov, qui nous a assuré que la Russie voulait évoluer dans le sens de l’État de droit. Les actes de cette réunion sont publics. ».
Dans son rôle, ses rapports avec le Quai d'Orsay étaient essentiels. Jean-Pierre Chevènement a même lu sa deuxième lettre de mission, lorsque Jean-Yves Le Drian l'a reconduit : « J’en lis le deuxième paragraphe : "L’exercice des fonctions de représentant spécial pour la Russie depuis 2012 vous a permis de nouer des relations fructueuses avec des personnalités des sphères dirigeantes comme de la société civile russes et de soutenir le dialogue franco-russe sur plusieurs dossiers stratégiques. En témoigne la décision du président de la Fédération de Russie de vous décerner l’Ordre de l’Amitié, la plus haute distinction pouvant être attribuée à un étranger en reconnaissance de son action en faveur du rapprochement des sociétés et des cultures". Si donc le Quai d’Orsay est intervenu auprès de moi, ce n’était pas pour me décourager mais, au contraire, pour "densifier notre relation, en particulier la présence des entreprises françaises dans les régions russes, aider au développement des investissements français en Russie et russes en France". On peut évidemment interpréter, par exemple, le rachat de GEFCO, la filiale logistique de Peugeot, par les chemins de fer russes comme de l’ingérence, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Les investissements russes en France n’ont guère dépassé les 3 milliards d’euros tandis que, selon les dernières informations dont je dispose, les investissements français en Russie représentaient plus de 18 milliards, mais sans doute n’ont-ils pas été, en réalité, aussi élevés, du fait d’un phénomène de désinvestissement des entreprises françaises dans leurs implantations en Russie. Cet ordre de grandeur montre cependant que nous étions plutôt accueillants pour les investissements russes potentiels. ».
Jean-Pierre Chevènement a précisé qu'à l'origine, en 2012, Laurent Fabius voulait développer une diplomatie économique pour renforcer les relations économiques et industrielles avec certains pays majeurs, d'où le principe des représentants spéciaux (il y a eu aussi Martine Aubry puis Jean-Pierre Raffarin pour la Chine).
Comme actions concrètes de sa mission, Jean-Pierre Chevènement n'a pas hésité à en donner quelques-unes : « Dans ces fonctions, j’ai été amené à intervenir pour la mise sur pied du format Normandie ou pour le suivi des Accords de Minsk, ce qui n’était pas du tout prévu à l’origine. (…) [De plus], il peut s’agir du soutien aux implantations d’une firme comme Auchan ou Schneider Electric, ou de démarches visant à la libération de personnes injustement détenues, comme Oleg Sentsov, ou à la facilitation de l’obtention de visas permettant aux étudiants russes de venir étudier en France, ils sont actuellement 5 000, ce qui n’est pas beaucoup, mais ce chiffre se compare avantageusement à ceux qu’affichent de nombreux autres pays. (…) À vrai dire il est peu de dossiers sur lesquels je n’aie pas été actif pour mettre de l’huile dans les rouages, ce qui est très important. Ainsi, lorsque j’étais reçu par un ministre russe, l’ambassadeur m’accompagnait et c’était pour lui l’occasion d’avoir un contact avec les autorités du pays car, parfois, ce contact ne se faisait pas naturellement. Outre Rosatom, Roscosmos et Rostekhnologii, que j’ai déjà évoqués, nous avons travaillé et établi des joint-ventures avec d’autres gros groupes russes. Lorsque j’ai pris mes fonctions, les exportations de la France s’élevaient à 7 milliards, ce qui, comparé à notre déficit extérieur global de 165 milliards, est tout à fait estimable. J’aurais aimé pouvoir les développer davantage, mais les sanctions n’ont malheureusement pas favorisé l’essor des relations commerciales franco russes. ».
La présentation plutôt assumée de Jean-Pierre Chevènement n'a pas vraiment été du goût de la rapporteure de la commission, la députée Renaissance Constance Le Grip, peu convaincue, qui a attaqué dans le vif du sujet : « Je rappelle que les premières sanctions commerciales ont été prises après l’annexion, internationalement reconnue comme illégale, de la Crimée par la Russie en 2014. (…) Les agissements de la Russie de Poutine contre certains pays européens et contre nos systèmes démocratiques sont avérés et documentés par toutes sortes de travaux, recherche universitaire, journalisme d’investigation, rapports parlementaires, etc. Je songe par exemple à l’action menée contre les intérêts français en Afrique par certaines officines plus ou moins directement liées au régime du Kremlin. On est loin de l’esprit de coopération et de relations apaisées et constructives. La Russie se livre également depuis des années à des cyberattaques, à une guerre informationnelle par la manipulation de l’information, par exemple à travers la création de médias russes visant à déstabiliser nos processus démocratiques, ou encore à la captation d’élites politiques et économiques. Tout cela est bien connu. Et que dire de l’évolution très autoritaire du régime de Vladimir Poutine ? L’assassinat d’Anna Politkovskaïa a eu lieu en 2006 et les tentatives d’assassinat ou d’empoisonnement d’opposants russes, parfois sur le territoire de pays européens, a commencé à cette période. Tous ces éléments ayant été rappelés, n’y a-t-il pas eu de votre part, comme de la part d’autres acteurs, une forme de naïveté vis-à-vis du régime de Vladimir Poutine ? ».
L'alternative qui fâche : naïveté... ou trahison, somme toute. Comme pour François Fillon qui ne reconnaissait plus le Poutine des années 2007-2012. Mais Jean-Pierre Chevènement a rejeté catégoriquement cette interprétation : « Je suis très fier d’être intervenu comme je l’ai fait pour éviter une guerre ravageuse en Europe. Ce que je regrette, c’est que des efforts parallèles n’aient pas été faits par certains, que je ne veux pas désigner, dans le but de circonscrire un conflit qui, au départ, était limité à deux circonscriptions du Donbass et qui aurait pu ne pas dégénérer en une grande guerre potentiellement mondiale. Je pense qu’il fallait prendre ses responsabilités et, pour ma part, je me rattache plutôt à l’école réaliste. Je n’ai jamais pris le Président Poutine pour un enfant de chœur : ce n’était pas mon problème. J’ai reçu deux lettres de mission très détaillées qui m’encourageaient à aller dans le sens où je suis allé. Et je regrette naturellement de n’avoir pas connu meilleur succès. Mas tout ne dépendait pas de moi. ».
L'ancien ministre de la défense considérait ainsi que, même si à court terme, c'était difficile d'aller dans ce sens, il fallait rester dans une optique de long terme de relations privilégiées avec la Russie : « Nous sommes, sinon en état de guerre, du moins en état de conflit avec la Russie au sujet de l’Ukraine. Nos intérêts sont nettement divergents et je me place dans la ligne qui est celle du gouvernement. Toutefois, si l’on envisage les choses à plus long terme, tous nos Présidents ont eu une attitude ouverte vis-à-vis de la Russie, et je crois qu’ils ont eu raison. Ç’aurait été une erreur de rejeter la Russie vers l’Asie, de la tenir à bout de gaffe et de ne pas chercher à l’associer au destin européen. Cette association a pu prendre des formes différentes : en 1966, De Gaulle parlait d’entente et Mitterrand a proposé, en 1989, la création d’une Confédération européenne incluant la Russie. C’est le Président Chirac qui a fait preuve de la plus grande ouverture mais, d’une manière générale, la politique de la France a toujours consisté à ne pas rejeter la Russie, à l’associer au destin européen et à aller dans le sens du courant occidentaliste, né à l’époque de Pierre le Grand, et qui s’oppose au courant que l’on pourrait qualifier de slavophile ou d’eurasiatique. Notre intérêt a toujours été d’encourager le courant occidentaliste, celui des grands tsars, Catherine II, Alexandre Ier, des gouvernements qui ont suivi la révolution de 1905 et, plus près de nous, de Gorbatchev. On peut d’ailleurs regretter que l’Europe et les États-Unis n’aient pas davantage tendu la main à la Russie dans les années qui ont débouché sur la décennie tragique au cours de laquelle le pays a perdu la moitié de son PIB : je vous laisse imaginer ce que cela a pu signifier pour des dizaines de millions de salariés, de retraités et de gens pauvres. Le rétablissement de l’État russe, grâce, il faut le dire aussi, au prix du pétrole et du gaz, dans les années 2000, a fortement contrasté avec la période précédente. (…) Je pense qu’il faudra à l’avenir, et sous une forme qui reste à déterminer, associer la Russie au destin démocratique de l’Europe. ».
Mais pour le moment, selon lui, la Russie a peu à voir avec une démocratie : « La Russie est un État autoritaire et l’a toujours été, pour des raisons qui tiennent à sa vastitude, onze fuseaux horaires et 17 millions de kilomètres carrés, à son climat rigoureux et à la diversité des nationalités qui la peuplent, plus de cent. Il faut admettre que la Russie n’est pas un pays comme les autres et que, bien loin d’aller dans le sens qu’elle indiquait il y a encore une dizaine d’années, elle s’est engagée dans une voie funeste, avec l’agression gravissime commise contre l’Ukraine et contre les principes dont l’URSS était garante en tant que signataire de la Charte des Nations Unies. La réalité est ce qu’elle est. ».
Sur les formes d'ingérence ou de compromission dont il aurait pu éventuelle être le témoin : « Je ne peux pas considérer comme délictueux le fait, pour une entreprise française installée en Russie, de commercer avec la Russie ou d’essayer de nouer des relations d’affaires. Elle est dans son rôle et le mien est de l’y encourager et de lui faciliter les choses, dès lors qu’elle reste dans le cadre de la légalité. (…) Je n’ai pas été témoin de faits délictueux ; sinon je les aurais dénoncés comme la loi m’y oblige. Quant aux hommes politiques, les groupes d’amitié et leurs fréquents déplacements constituent-ils une forme d’ingérence ? Je ne le pense pas. Ce sont des relations interparlementaires normales. Je me souviens même d’une coopération originale entre le Sénat français et le Conseil de la Fédération de Russie, il y a une dizaine d’années, où chacun exposait ses thèses et écoutait les questions de l’autre, de façon à ne pas entrer dans un débat. C’était une initiative de M. Konstantin Kosachev et de M. Christian Cambon. Non seulement je n’ai rien trouvé à y redire, mais il m’a semblé que c’était une forme originale de diplomatie parlementaire qui permettait de se dire beaucoup de choses. (…) Il est clair que les agissements d’un groupe comme Wagner en Afrique sont contraires aux intérêts de la France. (…) Je pense en particulier au Mali ou au Burkina Faso. Les accords passés entre, d’une part, les gouvernements du Burkina et du Mali et, de l’autre, les autorités russes et un groupe comme Wagner, que j’aurais du mal à qualifier car il m’évoque moins une formation légale que les grandes compagnies du temps de Charles VII, ont une dimension profondément inamicale, c’est tout à fait clair. ».
Sur l'annulation de la vente de deux navires Mistral à la Russie par François Hollande : « La France a en effet réussi à s’en sortir grâce à l’Égypte. (…) Je dois vous préciser que je ne suis pas intervenu sur ce dossier. ». Rappelons que cette histoire d'annulation de la vente a refait surface il y a quelques jours par une méconnaissance totale des faits par un député RN qui, visiblement, ne s'ennuie par avec la réalité historique en laissant entendre, ce qui est complètement, qu'Emmanuel Macron aurait livré les deux navires à la Russie.
Jean-Pierre Chevènement a bien compris que sa mission d'origine, le développement des relations économiques et industrielles avec la Russie, a été complètement perturbée par la crise en Ukraine dès 2014. Toutefois, il se croyait encore utile pour garder les liens même dans la tempête. La déclaration de guerre de la Russie à l'Ukraine a étonné et déçu Jean-Pierre Chevènement comme tant d'autres personnalités politiques françaises (dont François Fillon), en ce sens qu'elles ont pu se sentir manipulées par Vladimir Poutine, utilisant leur réputation, leur expérience et leur réseau à des fins d'influence pro-russe. Comme François Fillon, quelques minutes plus tard, Jean-Pierre Chevènement aurait pu préciser qu'il n'avait pas reçu un seul centime de la Russie. Mais ce n'était pas la peine de le dire, c'était l'évidence...
« La Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre, nous soutiendrons l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire. » (Emmanuel Macron, le 5 mars 2024 à Prague).
Le Président Emmanuel Macron s'est rendu ce mardi 5 mars 2024 à Prague, en République tchèque, pour signer le Plan d'action du partenariat stratégique 2024-2028 entre la République française et la République tchèque : « Face aux défis globaux, notamment ceux liés à la situation internationale et aux transitions climatique et numérique en cours, ainsi que face aux enjeux de renforcement de la compétitivité européenne, la France et la République tchèque ont un rôle à jouer ensemble pour la construction d’une réponse européenne. Confrontés en Europe aux tentatives de remise en cause des principes démocratiques, de l’État de droit et des libertés qui fondent nos sociétés, nos deux pays doivent également renforcer la défense des valeurs communes qui définissent notre appartenance européenne et transatlantique et s'efforcer d'approfondir la coordination stratégique dans le domaine des activités de communication. ».
Il était bien évidemment question, à Prague, de la guerre en Ukraine et de la défense européenne. Le chef de l'État français a voulu calmer les esprits en affirmant la veille dans une interview au quotidien tchèque "Pravo" : « J'ai toujours été clair sur le cadre qui était le nôtre, nous ne sommes pas en guerre contre le peuple russe et nous refusons d'entrer dans une logique d'escalade ». Au cours de la journée du 5 mars 2024, il s'est montré toutefois un peu donneur de leçon de géopolitique : « Nous avons tendance à trop dire ce que nous allons faire ou ne pas faire, face à quelqu'un qui ne dit rien. ». Et il a voulu insister sur le fait que l'Europe est menacée et doit réagir pour bâtir une défense européenne sans compter sur la protection des États-Unis : « Nous partageons la certitude que nous sommes touchés par cette guerre, que s'y jour une partie de notre avenir. ».
Les dirigeants tchèques se sont ralliés à l'éventualité de troupes au sol en Ukraine émise par Emmanuel Macron. En effet, le Président tchèque Petr Pavel a déclaré à ses côtés : « Je suis favorable à la recherche de nouvelles options, y compris un débat sur une présence potentielle en Ukraine. ». Cela montre bien que le Président français est loin d'être isolé diplomatiquement. Je reviendrai à la fin de cet article sur les déclarations d'Emmanuel Macron à Prague.
Heureusement que la France a Emmanuel Macron comme Président de la République et que l'Europe l'a parmi ses (rares) dirigeants influents et importants. Je suis fier encore une fois d'avoir voté pour lui en 2017 et en 2022 et l'époque mouvementée que nous connaissons, les crises multiples, la fin des habitudes molles imposaient assurément un chef d'État jeune, dynamique, imaginatif, volontariste et audacieux.
La déclaration du Président de la République à l'issue de la clôture de la Conférence de soutien à l'Ukraine à l'Élysée le 26 février 2024 a suscité bien des incompréhensions mais aussi des oppositions hypocrites et politiciennes. Pendant que les opposants franco-français hurlaient par réflexe pavlovien d'un antimacronisme primaire qui est d'autant plus insignifiant qu'il est excessif, Vladimir Poutine, lui, continuait à bombarder l'Ukraine, continuait à massacrer des centaines de milliers d'Ukrainiens et continuait à déplacer des millions d'Ukrainiens... en guise de campagne électorale.
Ces mêmes détracteurs professionnels de la France du progrès fustigeaient il y a deux ans les tentatives d'Emmanuel Macron à raisonner Vladimir Poutine, à dialoguer avec lui pour éviter une longue guerre en Ukraine. Ceux-là lui reprochaient sa mollesse, ses tentatives ridicules (qui ont été un échec, c'est vrai, mais il fallait essayer). Et justement, c'est parce que le Président français a fait tout son possible diplomatique pour tenter d'empêcher la guerre qu'il a compris quel était l'état d'esprit de Vladimir Poutine et qu'il n'y a plus rien à attendre d'éventuelles négociations qui, pour la Russie, se résumerait à une capitulation sans condition de l'Ukraine.
Laisser Vladimir Poutine s'emparer d'une partie de l'Ukraine, c'est l'encourager à poursuivre son funeste projet de Grande Russie, en mettant en péril la souveraineté nationale de pays indépendants, en particulier de la Moldavie (on voit bien à quel point Vladimir Poutine prépare les esprits pour une intervention russe en Transnistrie), mais aussi les Pays Baltes, et même la Roumanie et la Pologne ont des raisons historiques de s'inquiéter. On a vu ce que donnait la Grande Allemagne avec l'Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne. Les leçons de l'histoire ne sont-elles donc pas suffisantes ?!
C'est fort de café de dire que ceux qui veulent défendre leur patrie face à un agresseur sans scrupules, ainsi que leurs alliés, sont des va-t-en-guerre, surtout quand les mêmes se prétendent patriotes ! On a déjà connu ce genre de patriotisme entre juin 1940 et août 1944 avec les maurrassiens.
Le 26 février 2024, Emmanuel Macron l'a répété plusieurs fois : « Nous avons la conviction que la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe. ». C'était donc le message ultime d'Emmanuel Macron aux Européens, l'Europe ne serait plus protégée, ne serait plus en sécurité si la Russie ne perdait pas cette guerre en Ukraine, car cela la conforterait dans son expansionnisme territorial anachronique mais bien réel, et plus rien ne l'arrêterait, pas même les États-Unis qui risquent, dans quelques mois, après les élections présidentielles, de se replier dans un isolationnisme particulièrement fatal à l'Europe. C'est pourquoi l'Europe de la Défense n'est pas un vain idéal d'eurobéats, mais une simple nécessité géopolitique dans un monde qui bouge trop vite et qui laisse agir Vladimir Poutine à sa guise.
C'est la version ukrainienne et moderne de la fameuse phrase de François Mitterrand venu dire le 13 octobre 1983 à Bruxelles, en pleine crise des euromissiles (SS20 contre Pershing) : « Je suis, moi aussi, contre les euromissiles. Seulement, je constate des choses tout à fait simples, dans le débat actuel, le pacifisme et tout ce qu’il recouvre, il est à l’Ouest et les euromissiles, ils sont à l’Est ; et je pense qu’il s’agit là d'un rapport inégal. ».
On peut aussi retrouver des déclarations de De Gaulle, contre ce qu'il appelait l'impérialisme soviétique. Dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, en pleine construction du mur de Berlin, il affirmait ainsi : « Si ceux-ci veulent, par la force, réduire les positions et couper les communications des Alliés à Berlin, les Alliés doivent, par la force, maintenir leurs positions et maintenir leurs communications. Assurément, de fil en aiguille, comme on dit, et si tout cela fait multiplier les actes hostiles des Soviets, actes auxquels il faudrait répondre, on pourrait en venir à la guerre générale. Mais alors, c'est que les Soviets l'auraient délibérément voulu. Et dans ce cas, tout recul préalable de l'Occident n'aurait servi qu'à l'affaiblir et à le diviser. Et sans empêcher l'échéance, à un certain point de menace de la part d'un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l'agresseur, de le pousser à redoubler sa pression et finalement, facilite et hâte son assaut. Au total, actuellement, les puissances occidentales n'ont pas de meilleur moyen de servir la paix du monde que de rester droites et fermes. Est-ce que ça veut dire que pour toujours les deux camps devront s'opposer ? Ce n'est pas du tout ce que pense la France, parce que ce serait vraiment très bête et que ce serait vraiment très cher. Si le conflit mondial doit éclater, alors, le progrès mécanique moderne aura abouti à la mort. Sinon, c'est la paix qu'il faut tenter de faire. Que les Soviets cessent de menacer ! Qu'ils aident la détente à s'établir au lieu de l'empêcher ! Qu'il favorisent une atmosphère internationale pacifique, tandis qu'ils la rendent étouffante ! Alors il sera possible aux trois puissances de l'Occident d'étudier, avec eux, tous les problèmes du monde, et notamment celui de l'Allemagne. ».
Emmanuel Macron n'a pas dit autre chose que De Gaulle en 1961. Il a parlé de la possibilité de mettre des troupes au sol pour créer une incertitude qui est la première étape de la dissuasion. Et faire prendre conscience à Vladimir Poutine que l'Europe ne se laisserait pas faire, et aux Européens, que la situation est très grave et menaçante. Visiblement, cela a marché puisque le débat public s'est porté justement sur cette hypothèse. Et que, quelques heures plus tard, Vladimir Poutin a rappelé la menace nucléaire. Cela montre bien que le message est bien reçu par Moscou.
De plus, les réactions des autres pays, un peu trop timorés, prêts à se coucher devant Vladimir Poutine, en disent long sur les relations d'amitié et de loyauté, car tous ces pays avaient été avertis dès la semaine précédente de cette déclaration importante d'Emmanuel Macron, en particulier l'Allemagne et les États-Unis. Ils n'ont pas été pris au dépourvu et leur étonnement est très hypocrite. Le temps où l'Europe déléguait sa défense aux États-Unis est bien terminé. Cela devrait même réjouir les antiaméricains primaires.
L'Allemagne a épargné en plusieurs décennies des centaines de milliards d'euros de son budget en ne finançant pas sa propre défense et sa propre armée, pas étonnant alors d'avoir un budget à l'équilibre, mais un jour, il va bien falloir se poser la question de la défense européenne et de son financement. Les menaces répétées de Vladimir Poutine ont montré qu'elles n'étaient pas que du bluff, puisqu'il a tenté d'envahir l'Ukraine il y a deux ans à un moment où quasiment aucune chancellerie n'imaginait cette information crédible !
Les déclarations d'Emmanuel Macron sont donc stratégiques. L'ancien ministre Clément Beaune l'a confirmé le 1er mars 2024 sur France Info : « C’est aussi un message à la Russie pour dire : ne croyez pas que nous arrêterons notre effort et que nous ne sommes pas prêts à aller plus loin. ». Un peu plus tard, Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine, a déclaré : « Il est temps de prendre conscience que nous avons affaire à un pouvoir qui ne recule devant rien. ».
Dès le lendemain de la Conférence de l'Élysée, le 27 février 2024 sur LCI, l'éditorialiste Caroline Fourest tenait des propos très clairs sur le sujet : « Réaffirmer le fait qu'être démocrate, ce n'est pas être faible, et que la démocratie a du muscle, et qu'elle est capable justement de ce sens du sacrifice quand l'essentiel est en jeu, ça, c'est le rétablissement d'une dissuasion absolument indispensable, d'autant que, et là, c'est la même chose que pour l'islamisme, on a toujours du retard, parce que justement, nous, démocrates, nous ne sommes pas va-t-en-guerre, nous n'avons pas envie d'être en guerre, et donc, nous sommes toujours en retard sur ceux qui nous la font. Mais de même que sur l'islamisme, pendant des années, moi, j'ai eu des conversations avec des gens qui disaient "mais si on ne fait pas des provocations, mais si on ne fait pas des caricatures, ça va bien se passer, on ne va pas se faire attaquer". Non, ça ne se passe pas bien quand des gens vous déclarent à longueur de discours qu'ils en veulent à vos valeurs, ils finissent toujours par passer à l'acte. Ils sont passés à l'acte. Mais avec la Russie, tout le monde ne l'a pas encore réalisé, mais je pense que c'est en train de progresser, c'est exactement ce qui se passe, nous sommes déjà en guerre. Les opérations sur notre sol sont déjà commencées, que ce soit l'assassinat d'opposants russes sur notre sol, mais jusqu'à la déstabilisation de nos élections. (…) On sait qu'il y a un nombre de boîtes à trolls et de robots russes faits pour amplifier toutes nos crises, qui sont considérables, mais on sait aussi tirer les leçons de ce qui se passe aux États-Unis en ce moment. Alexander Smirnov vient d'être réarrêté, et rappelez-vous, c'est par cet indic du FBI qu'est arrivé le scandale qui a frappé le fils de Biden, ce n'est pas rien. C'est-à-dire que c'est un indic du FBI qui a été manipulé par les services russes pour accréditer une affaire de corruption qui devait nuire à Joe Biden pendant la campagne présidentielle face à qui, face à monsieur Trump, pour faire élire qui ? monsieur Trump, c'est-à-dire quelqu'un dont le Kremlin peut peut-être penser qu'il lui est plus favorable, en tout cas, qu'il lui est plus manipulable. Donc, les Présidents européens, même s'ils ne sont pas d'accord avec ce qu'a dit Emmanuel Macron, doivent bien prendre la mesure de ça. Les États-Unis ne sont pas à l'abri de manipulations sur leurs élections, nous ne le sommes pas non plus. La Russie étudie toute la journée les moyens de faire en sorte de faire élire ses alliés à la tête de la France, de l'Italie, c'est peut-être déjà le cas en dépit des apparences, de l'Allemagne, et j'ajoute ce point (…) qui est le plus triste, en réalité, le plus inquiétant. C'est inquiétant de voir l'Europe désunie là, on aurait préféré voir Meloni, et Scholz, et Emmanuel Macron, aller tous les trois, par exemple, et d'autres pays européens, à Kiev, ensemble, pour annoncer des choses fortes ensemble. C'est l'image qui nous manque. (…) Mais si demain, on a deux, trois pays européens qui ont des marionnettes de monsieur Poutine à leur tête, on n'en sera plus à pouvoir débattre tranquillement au Parlement de s'il faut envoyer des troupes ou pas en Ukraine, effectivement, de toute façon, nos troupes seront du côté de la Russie. ».
Le 29 février 2024, toujours sur LCI, le journaliste Jean Quatremer a réagi aux menaces nucléaires de Vladimir Poutine : « Ça montre qu'Emmanuel Macron a parlé juste parce que, pourquoi il a évoqué la possibilité d'envoyer un jour des troupes au sol ? (…) Le but d'Emmanuel Macron, qui n'a pris personne par surprise, hein, tout le monde a été prévenu avant, les Allemands ont été prévenus la semaine dernière, les Américains ont été prévenus la semaine dernière, qu'il allait parler de cette hypothèse d'envoyer des troupes au sol (…), vendredi, Scholz et Macron se sont parlé au téléphone, voilà, il a été averti avant, donc, après, cela a été de la gesticulation. Et quel était le but d'Emmanuel Macron ? C'était de réintroduire de l'incertitude justement stratégique, c'est-à-dire de faire de la dissuasion, de dire à Vladimir Poutine : attention, certes, l'armée ukrainienne est actuellement en difficulté, mais on ne sait pas à quel moment nous allons réagir plus brutalement, on ne peut pas l'exclure. Et le message a parfaitement été compris par Vladimir Poutine qui, comme toute grande puissance, parle le langage de la dissuasion. Il y a quelques puissances qui savent ce que c'est le langage de la dissuasion, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie, qui reste une grande puissance, qui connaît cette grammaire de la dissuasion, et là, c'est de grande puissance à grande puissance. (…) Les Européens, et c'est un véritable problème, ne comprennent pas ce langage de la dissuasion, et notamment l'Allemagne. ».
Le 26 février 2024, il ne s'agissait donc pas d'un coup de politique franco-française d'Emmanuel Macron. Tous les partenaires de la France ont été prévenus longtemps à l'avance avant cette conférence de presse. Il s'agit avant tout de réveiller l'Europe trop habituée à la paix pour être capable de se défendre.
Et Jean Quatremer de poursuivre sur l'Allemagne : « L'Allemagne de Scholz montre aujourd'hui qu'elle a un problème majeur avec ça. Ça fait depuis 1945 qu'elle ne gère plus les affaires de défense, qu'elle n'a aucune idée des enjeux géostratégiques, qu'elle n'a pas voulu s'en occuper, qu'elle a désarmé totalement, les Allemands auraient dû dépenser depuis 2000 pour faire les mêmes efforts que les Français environ 400 milliards d'euros de plus, en tout, en vingt-cinq ans, qu'ils n'ont pas dépensés, c'est pour ça qu'ils ont un budget à l'équilibre et qu'ils donnent des leçons à la Terre entière, mais en réalité, c'est parce qu'ils ont détruit leur armée. Et aujourd'hui, que la France joue son rôle naturel, pour le coup, en Europe, qui n'est pas économique mais qui est politique, qui est diplomatique et qui est militaire, les Allemands montrent qu'ils n'ont pas compris ce changement d'époque. (…) Le changement d'époque, ça veut dire quoi ? Ça veut dire un, qu'il [Scholz] doit apprendre cette grammaire militaire qu'il ne maîtrise pas, et puis deux, que dans ce nouveau monde qui est en train de se dessiner, la France joue un rôle de leadership majeur. En économie, ça reste l'Allemagne, c'est clair, c'est net, personne ne discute, l'Allemagne impose ses priorités, ça, c'est clair, mais sur le plan militaire et géostratégique, c'est la France. ».
Même réflexion sur le nain géopolitique allemand exprimée par la correspondante diplomatique du journal "Le Figaro", Isabelle Lasserre le 5 mars 2024 sur France 5 : « Scholz, c'est l'homme de l'Allemagne d'hier. Le monde change à une telle rapidité, et certains leaders arrivent à suivre la marche et la rapidité des changements du monde, et d'autres n'y arrivent pas. Scholz, il est le prototype de ça, c'est-à-dire qu'en fait, c'est le produit d'un pacifisme des années 1990, d'ailleurs de bien avant, et en fait, il a été incapable de moderniser son logiciel pour le faire coller à ce qui se passe aujourd'hui. Évidemment, la France a un rôle de leader naturel de par son rôle militaire, son rôle de puissance nucléaire, etc. Par contre, aujourd'hui, en fait, aucun pays n'est capable de faire les choses tout seul. Et donc, si la France n'arrive pas à s'allier ses partenaire, et en fait, à établir un consensus sur ce qu'il faut faire, eh bien les efforts risquent d'être vains. (…) Si [Emmanuel Macron] ne fait pas l'éléphant dans le magasin de porcelaines, s'il ne lance pas le gros caillou dans la marre, il ne se passera rien en Europe ! Ce n'est pas Olaf Scholz qui va bouger l'Europe ! Les Pays Baltes, ils peuvent la bouger, mais ils sont beaucoup trop petits. ».
Face aux détracteurs politiques français qui considèrent qu'Emmanuel Macron a jeté de l'huile sur le feu, Elsa Vidal, la rédactrice en chef du service en langue russe de RFI, a répondu, le 27 février 2024 sur France 5, avec une certaine véhémence : « Vous voulez la paix, nous aussi. Avec quels moyens ? Je vous répète que ça fait trente ans qu'on applique votre recette et qu'elle ne marche pas. Donc, si la question c'est : aujourd'hui, on peut avoir une négociation de paix avec Moscou en acceptant pour l'Ukraine à nouveau des pertes territoriales de 20%, c'est la recette qui a été appliquée et elle a mené, je le répète, à cinq autres guerres. Si vous donnez satisfaction à nouveau au régime, alors que nous sommes entrés quand même dans une période de tension, il y a fort à parier que ce régime se réarme, et continue avec la Moldavie, et avec d'autres pays et potentiellement la Pologne, ou potentiellement les États Baltes, à créer des zones de tension, on ne sait pas comment ces États pourront être amenés à réagir s'ils se sentent en insécurité, je ne vois pas ce que vous proposez comme paix, une paix qui se fasse au prix d'une intégrité territoriale de l'Ukraine, c'est ça ma question. Et la paix, je suis désolée de le dire, ça a été la mégacampagne soviétique en Europe pour nous demander de bien vouloir nous calmer. Je ne pense pas que la paix soit un programme politique en soi. Et je suis absolument navrée qu'une phrase, une seule phrase, en presque deux ans de guerre, du Président qui envisage comme potentielle la présence d'hommes, troupes, au sol en Ukraine, potentiellement pour faire de la logistique sur des missiles, vous amène tout de suite à sauter à la conclusion de guerre mondiale et d'irresponsabilité, et de faire de nous des faiseurs de guerre. Objectivement, les guerres aux frontières de l'Europe, c'est Vladimir Poutine qui les a menées. Je ne comprends pas qu'il y ait une telle détestation de la capacité française à réagir quand on est en permanence attaqué par des attaques hybrides, quand il y a un État qui s'immisce dans nos élections présidentielles, qui détourne des éléments d'information contre nous, je ne comprends pas ! ».
De même, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès de l'ONU, se révoltait le 28 février 2024 sur France 2 : « Les Russes font ce qu'ils veulent depuis deux ans, et nous, on se cache sous la table en disant : pourvu qu'ils n'écoutent pas ce qu'on est en train de dire. Eh bien non, il y a un moment... La Russie est forte à cause de nos faiblesses. Il faut bien se rappeler ça. La Russie est forte parce qu'en 2014, on n'a pas réagi à la prise de [la Crimée], et du coup, monsieur Poutine s'est dit en 2022 : bah, je peux y aller. Et les Américains lui ont dit : pas de problème, nous, on n'enverra pas de soldats. Et en plus, on plie notre ambassade… Il faut être fort. Monsieur Poutine ne comprend que le bras de fer. Il sait très bien que face aux Européens, et je ne parle même pas de l'OTAN, il n'a pas les moyens. Il n'est pas capable aujourd'hui de vaincre la petite Ukraine. Que voulez-vous qu'il fasse si on déploie des moyens ? Les Européens ne sont pas prêts. Aujourd'hui, ils doivent augmenter leur potentiel, c'est ce qu'ils font, pour être prêts demain. (…) Je rappelle, article 51 de la Charte des Nations Unies, c'est l'Ukraine qui est agressée. Il ne faut pas inverser les choses. C'est la Russie qui a attaqué. Nous, on n'attaque pas la Russie. Nous, on va aider l'Ukraine qui a été attaquée. Ce n'est pas exactement la même chose. (…) La dissuasion doit être crédible. ».
C'est donc un mauvais procès de croire que, d'une part, Emmanuel Macron est un va-t-en-guerre (c'est le monde à l'envers : c'est Vladimir Poutine l'agresseur, et le seul agresseur dans cette guerre), et que, d'autre part, Emmanuel Macron a voulu faire un coup de politique intérieure. Après ses tentatives de dialogue avec Vladimir Poutine (jusqu'à rappeler un peu à contre-emploi qu'il ne fallait pas humilier la Russie), Emmanuel Macron a compris que seul le langage de la fermeté et de l'incertitude (clef de la dissuasion) pouvaient fonctionner face au cynisme belliqueux du Kremlin.
C'est ce même message qu'il a répété lors de son déplacement à Prague ce mardi 5 mars 2024, notamment lorsqu'il s'est exprimé à la conférence de presse commune avec le Président tchèque : « [Mes propos] étaient clairs, assumés et précis. (…) Moi, je veux simplement constater que vingt-sept pays se sont rendus à l'invitation de la France lundi dernier, que nous avons pu en tirer des conséquences opérationnelles. Les vingt-sept étaient d'accord pour investir davantage, c'est un message de mollesse ou de fermeté ? de fermeté. Six avaient déjà signé leurs accords bilatéraux. Nous avons invité tous les autres à le faire, avec l'Ukraine. Et nous avons décidé de faire davantage, c'est lundi dernier à Paris qui a été décidé à la fois de soutenir l'initiative tchèque en matière de munitions, mais la création d'une nouvelle coalition capacitaire pour justement les tirs à haute précision, qui sont nécessaires sur le front aux Ukrainiens, comme vous le savez. Ensuite, nous avons bâti un consensus sur les cinq leviers de coopération avec l'Ukraine que je viens de rappeler. Et ensuite, j'ai dit quel était le cadre. Je n'ai pas dit qu'il y avait consensus encore, mais je considère que c'était important de le faire car nous devons tous être conscients que cette guerre nous touche. Et on n'a jamais envie de voir les choses telles qu'elles sont, mais nous devons être lucides. Cela fait deux ans maintenant, que nous répétons à longueur de conférences de presse : la guerre revient sur le sol européen. Cela fait deux ans, nous avons révélé l'étendue des matériels déjà livrés, les montants déjà livrés. Est-ce notre guerre ou n'est-ce pas notre guerre ? Pouvons-nous nous détourner, considérer que les choses peuvent continuer à se jouer ? Je ne crois pas. Et donc, c'est un sursaut stratégique auquel j'ai appelé et que j'assume pleinement. Il nous faut être lucides sur la réalité de la situation qui se joue en Europe, les risques qui sont à l'œuvre, et ce que nous devons assumer. Je suis convaincu que justement la clarté assumée de ces propos est ce dont l'Europe avait besoin. Mais allez plutôt demander au Président Poutine ce qu'il est prêt à ne pas faire. Qui a lancé la guerre en Ukraine ? Vladimir Poutine. Qui menace, quoi que nous fassions, quoi que nous disions, avec l'arme nucléaire ? Le Président Poutine. Tournez-vous tous vers lui pour savoir quelles sont ses limites stratégiques. Mais si chaque jour, nous expliquons quelles sont nos limites face à quelqu'un qui n'en a aucune et a lancé cette guerre, je peux déjà vous dire que l'esprit de défaite est là qui rode. Pas chez nous. ».
Devant la communauté française à Prague, Emmanuel Macron a confié avec un air grave sa démarche : « En évoquant Milan Kundera, je parlais d'une conscience qui avait vécu dans sa chair une Europe coupée en deux. Elle avait été coupée en deux par, il faut bien le dire, la lâcheté, une volonté, d'une partie de l'Europe, de ne pas voir les difficultés de l'autre, abandonnant en quelque sorte le destin de celle-ci au totalitarisme. Nous abordons à coup sûr un moment de notre Europe où il conviendra de ne pas être lâche. On ne veut jamais voir les drames qui viennent. On ne veut jamais voir ce qui se jour. Et je crois que nos deux pays ont conscience de ce qui est à l'œuvre en Europe. Le fait que la guerre est revenue sur notre sol, que des puissances devenues inarrêtables sont en train d'étendre la menace chaque jour de nous attaquer, et nous-mêmes davantage. Il nous faudra être à la hauteur de l'histoire et du courage qu'elle implique. Ce sera aussi notre responsabilité aux uns et aux autres. ».
C'est dans ce climat que les députés français auront à débattre en séance publique, le 12 mars 2024, de la guerre en Ukraine et de la réaction européenne. Nul doute que les arguments seront à nouveau malaxés avec plus ou moins de bonne foi et d'esprit de responsabilité.
« J’ai siégé dans cette assemblée pendant vingt-deux ans et au Sénat pendant trois ; j’ai été membre du gouvernement de la République pendant douze ans. Jamais, durant quelque trente-six années de vie publique, on n’a trouvé une seule action de ma part qui ait été influencée par une puissance étrangère. J’ai toujours défendu l’intérêt national, tel que je le conçois, et cette attitude n’a pas changé. » (François Fillon, le 2 mai 2023, auditionné à l'Assemblée Nationale).
L'ancien Premier Ministre et ancien candidat à l'élection présidentielle François Fillon atteint son 70e anniversaire ce lundi 4 mars 2024. Que devient-il ? À part dans les chroniques judiciaires ? Des trois rivaux de la primaire LR de novembre 2016, il est probablement celui qui a tourné le plus facilement la page de la politique.
En effet, dès le 19 novembre 2017, il a transmis la présidence de son mouvement Force républicaine à Bruno Retailleau, son dauphin, en disant à ses sympathisants de n'avoir ni regrets ni soupirs à cause de sa défaite : « Dans la défaite, le chef se retire sans chercher d'excuses, et sans donner de leçons ! ». Dès lors, il a définitivement quitté la vie politique et se consacre depuis 2017 à d'autres activités professionnelles : « En 2017, dans les circonstances que chacun ici connaît, j’ai quitté la vie publique de manière définitive et entamé une carrière professionnelle. Cette carrière ne regarde que moi : je n’ai de comptes à rendre à personne sur la manière dont je la conduis, dans le respect naturellement des lois de la République et des règlements européens. Depuis cette date, je suis une personne privée. ». Alors que Nicolas Sarkozy, qui a aussi quitté l'avant-scène politique après son échec cinglant à cette primaire, reste toujours sur son observatoire, prêt à surgir pour tenter d'influencer sur certains sujets, et Alain Juppé, le plus accro des trois, est membre du Conseil Constitutionnel depuis mars 2019, c'est-à-dire jusqu'en mars 2028, où il aura 82 ans !
Cette commission, présidée par le député RN Jean-Philippe Tanguy et dont la rapporteure est la députée Renaissance Constance Le Grip, a été créée sous l'impulsion du RN (chaque groupe a le droit à une commission d'enquête par session) pour tenter de réduire les rumeurs sur les relations entre le RN et la Russie. Ce n'est pas le sujet de cet article, je ne l'évoquerai donc pas. En revanche, ce qui était intéressant, c'est que François Fillon, qui a quitté la vie publique notamment pour protéger sa famille après la sinistre affaire qui porte son nom, a trouvé d'autres sources très rémunératrices dans le domaine économique et financier, notamment en créant un fonds d'investissement international consacré à la transition énergétique (qui gère aujourd'hui 2 milliards d'euros d'actifs), ce qui est son droit.
Ce qui inquiétait plutôt, c'était sa nomination, en 2021, dans le conseil d'administration de deux entreprises russes, le groupe pétrolier Zaroubejneft (juillet 2021) et le groupe de pétrochimie Sibur (décembre 2021) contrôlé par des oligarques russes proches de Vladimir Poutine et du FSB, ce qui n'est pas rare parmi les anciens chefs de gouvernement européens puisqu'on connaît aussi (entre autres) les accointances de deux autres anciens Premier Ministres sociaux-démocrates, l'Allemand Gerhardt Schröder et l'Italien Matteo Renzi. C'est pourquoi la commission d'enquête a souhaité interroger François Fillon pour comprendre plus précisément ses liens avec la Russie.
À la déclaration de guerre de la Russie à l'Ukraine, le 24 février 2022, ce fut donc un choc de découvrir ou redécouvrir cet état de fait. Il a fallu une journée de pression médiatique pour que François Fillon acceptât finalement de démissionner de ces deux postes d'administrateur le 25 février 2022, mais c'était à contre-cœur. Le 24 février 2022, il avait choqué jusqu'à ses amis de LR pour avoir trouvé des circonstances atténuantes à Vladimir Poutine : « En 2014, j’ai regretté les conditions de l’annexion de la Crimée et aujourd’hui je condamne l’usage de la force en Ukraine. Mais depuis dix ans, je mets en garde contre le refus des Occidentaux de prendre en compte les revendications russes sur l’expansion de l’OTAN. Cette attitude conduit aujourd’hui à une confrontation dangereuse qui aurait pu être évitée. ». Quant à ses opposants, le député européen PS Raphaël Glucksmann a même été très loin dans ses accusations : « François Fillon est un employé de Vladimir Poutine. Il va falloir mettre un terme à toutes ces trahisons. ».
À son audition parlementaire, François Fillon a évidemment rejeté toute idée d'avoir été influencé par la Russie en rappelant qu'il a toujours eu cette conviction que la relation avec la Russie était un élément stratégique majeur tant pour la France que pour l'Europe : « Une immense partie de la Russie appartient au continent européen. On peut aimer ou non la Russie, être en accord ou en désaccord, et il y a bien des raisons de l’être, avec ses régimes successifs, il est incontestable que sa proximité nous oblige à trouver un mode de relations susceptible d’assurer la paix et la sécurité. ». Cela a expliqué pourquoi, tout jeune président de la commission de la défense de l'Assemblée Nationale, il a fait son premier déplacement en Russie en 1986, et il y est retourné quand il était redevenu député de l'opposition, en 1988, accompagnant alors Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la Défense, qui avait insisté pour qu'il l'accompagnât afin de montrer à la Russie (encore soviétique) le consensus national de la France sur les questions de défense.
En tant que membre de l'exécutif, François Fillon n'aurait pas été confronté lui-même à des ingérences russes, au contraire des ingérences américaines, mais il en a réduit la portée éventuelle : « Je n’ai pas été concerné directement par des ingérences russes, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas : la Russie, comme toutes les grandes puissances, tente de faire prévaloir son point de vue ; elle le fait souvent d’une façon assez grossière et, de mon point de vue, peu efficace. (…) Ces tentatives d’ingérence sont tellement visibles ! Comment penser que les populations de nos pays soient à ce point influençables, que des comptes fantômes sur les réseaux sociaux, effectivement massivement utilisés par les Russes comme par d’autres, aient une influence réelle sur les scrutins ? L’idée que la Russie aurait été à l’origine du Brexit, comme on l’entend assez souvent, me paraît totalement farfelue. Non que les Russes n’aient pas cherché à influencer les votes, mais il y avait en Grande-Bretagne un mouvement de fond favorable au Brexit indépendamment de toute ingérence russe. De même, soutenir, comme le font des Américains y compris de très haut niveau, que les Russes ont fait élire le Président Trump me semble relever du fantasme. Non, là encore, qu’ils n’aient pas essayé d’agir en ce sens. Mais de façon générale, l’effet des opérations de désinformation sur les réseaux sociaux me semble, sinon négligeable, du moins marginal. D’une manière générale, la Russie est un pays qui fonctionne de manière assez brutale. ». Un peu plus tard, il a répété cette conviction en confiant un élément de vie personnelle : « Quand on connaît la Grande-Bretagne comme je la connais, on sait que le sentiment anti-européen y est historiquement très important. Certes, il peut y avoir une ingérence étrangère, mais on ne peut pas dire qu’elle est précisément la cause du Brexit. Comme chacun sait, j’ai épousé une Anglaise et dès mes premières visites chez elle, j’ai eu droit à chaque repas à la leçon anti-européenne de son père, qui est mort sans jamais changer d’avis sur le sujet. ».
Et l'ancien Premier Ministre s'est dit convaincu très tôt que la Russie ne constituait plus un danger militaire pour l'Europe : « Lors du voyage de la délégation de la commission de la défense en 1986, nous étions déjà un certain nombre à être convaincus que l’URSS ne présentait plus de menace militaire vraiment existentielle pour les Européens, exception faite du nucléaire. Le système soviétique fonctionnait mal. Les Russes avaient beau accumuler les armes et les soldats, disposer d’une puissance immense, il y avait toujours quelque chose qui clochait, on avait oublié de mettre de l’essence dans le réservoir du char, il y avait des problèmes d’organisation, il manquait quelqu’un à son poste, untel n’avait pas fait son boulot. Au cours de mes visites en URSS puis en Russie, rien ne se passe jamais comme prévu. L’exemple le plus triste mais le plus significatif du mauvais fonctionnement du pays est l’accident qui a coûté la vie à M. de Margerie, le PDG de Total : on confie à un employé qui a sans doute un peu abusé de la vodka un matériel qu’il n’a jamais conduit et on l’envoie dans une partie de l’aéroport où il n’est jamais allé. La Russie est un immense pays, mais d’une assez grande fragilité en raison de ses dysfonctionnements. ».
Lorsqu'il était à Matignon, François Fillon constatait qu'il y avait une possibilité de dialoguer, certes difficilement, avec la Russie. Deux exemples, la Géorgie et l'aéronautique : « Au mois d’août 2008, la Russie était (…) entrée en conflit avec la Géorgie. Le Président Sarkozy, qui était Président de l’Union européenne en exercice, s’était rendu à Moscou. Après une discussion assez orageuse, il avait obtenu l’arrêt des combats et le retrait des forces russes. (…) Les contrats ont été signés dans le respect des règles françaises et russes. Nous avons eu parfois des discussions un peu difficiles avec le gouvernement russe et avec Vladimir Poutine, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir perdu une seule négociation, j’ai vérifié avant de me rendre à cette audition. Il y eut par exemple une négociation extrêmement difficile à propos d’un avion de transport, le Soukhoï SuperJet 100, une sorte de petit Airbus, construit en coopération avec Thales, qui s’occupait de l’avionique, et Safran, qui fournissait les moteurs. Vladimir Poutine voulait que nous en achetions. Il menaçait, dans le cas contraire, de retirer aux Airbus A380 le droit de survoler la Sibérie. La discussion a duré trois heures. L’ensemble des gouvernements français et russe attendaient pour déjeuner : nous avons terminé à seize heures mais nous n’avons pas acheté le SuperJet 100 et l’A380 a continué à survoler la Sibérie ! Cela montre qu’à cette époque, la négociation avec la Russie était parfois difficile, mais elle était possible. ».
Aux membres de la commission d'enquête, François Fillon a expliqué en détail comment il en est venu à devenir administrateur de deux entreprises russes : « Dans le cadre de mes missions en Russie pour le compte d’un nombre important d’entreprises françaises, j’ai été amené à plusieurs reprises à rencontrer le président de Zaroubejneft, une entreprise pétrolière qui n’intervient qu’en dehors de la Russie. Elle exploite pour l’essentiel des gisements de pétrole et de gaz en Asie, beaucoup au Vietnam, et quelques-uns en Amérique latine et en Asie centrale. Je lui ai proposé des coopérations avec des entreprises françaises, notamment avec CIFAL. Cela n’a jamais abouti mais, à la suite de ces discussions, il m’a proposé d’entrer au conseil d’administration de Zaroubejneft. J’ai considéré que c’était utile au développement de mes activités professionnelles en Russie, puisque mon projet était de continuer à y développer des activités de conseil pour les entreprises françaises et européennes. J’ai accepté. Je l’ai fait d’autant plus facilement qu’il n’y a strictement aucune friction entre Zaroubejneft et la France : cette entreprise n’intervient pas en France et n’a pas de rapports avec notre pays ou avec les entreprises pétrolières françaises. Dans la foulée de cette nomination au conseil d’administration de Zaroubejneft, j’ai été sollicité par le président de Novatek, la société pétrolière associée à Total notamment pour l’exploitation des gisements gaziers de Yamal, pour siéger au conseil d’administration de Sibur, une société privée de pétrochimie. J’ai accepté. J’étais chargé, cela fera sourire certains, mais c’est ainsi, d’une certaine occidentalisation de l’entreprise, c’est-à-dire d’introduire dans sa gestion des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Je ne vais pas pouvoir vous en dire beaucoup plus, pour une raison très simple : tout cela a eu lieu à la fin de l’année 2021. J’ai assisté à un conseil d’administration de Zaroubejneft, à un de Sibur, en visioconférence en raison du covid, et dès l’invasion de l’Ukraine par la Russie, j’ai démissionné de ces conseils d’administration. ».
Titillé par la rapporteure Constance Le Grip, ancienne membre de LR (et désormais élue de la majorité présidentielle), François Fillon a reconnu les motivations des propositions que lui avaient faites des entreprises russes : « C’est évidemment mon expérience d’ancien Premier Ministre et d’ancien ministre qui est souhaitée lorsque je siège dans un conseil d’administration, que ce soit en Russie ou dans une société d’investissement en France. Il serait quand même utile qu’on reconnaisse qu’avoir été pendant cinq ans chef du gouvernement vous donne une certaine expérience, et pas seulement un carnet d’adresses, comme je le lis si souvent. Quand on a exercé des responsabilités politiques, dans la gestion de grandes collectivités locales puis au gouvernement, on a un savoir-faire, une capacité à gérer des situations difficiles qui sont naturellement recherchés par des entreprises. ».
Jusqu'à presque s'énerver : « Je rappelle que j’ai quitté la vie publique. Je suis une personne privée et je mène ma carrière professionnelle comme je l’entends. Si j’ai envie de vendre des rillettes sur la place Rouge, je vendrai des rillettes sur la place Rouge ! L’idée que je n’aurais plus le droit d’avoir quelque activité professionnelle que ce soit parce que j’ai été Premier Ministre n’est, selon moi, pas acceptable. Ce n’est pas du tout ce que vous avez dit, mais c’est ce qu’un certain nombre d’observateurs pensent. ».
Il a toutefois tenu à répondre à la rapporteure sur les risques d'ingérence : « Vous êtes fondée à me demander s’il s’agit d’un cas d’ingérence étrangère. Je réponds non, pour trois raisons. La première est que c’est moi qui suis allé en Russie pour développer mes activités professionnelles, avant que n’éclate la guerre. Ce ne sont pas les Russes qui sont venus me chercher. Deuxième raison, les entreprises dans lesquelles j’ai accepté de siéger n’ont pas de relations stratégiques avec la France. Sibur lui vend un peu de matériaux qui servent à fabriquer des pneus, et Zaroubejneft rien du tout. La troisième raison, mais là il faudra me croire sur parole, est que tout mon parcours montre que je ne suis pas sensible aux ingérences étrangères. Mes convictions sur la nécessité d’une relation réaliste entre la France et la Russie ne datent pas de l’époque où j’ai siégé dans des conseils d’administration : elles remontent à 1986, à l’époque où la Russie s’appelait l’URSS. Personne ne peut donc espérer me faire changer d’avis, d’une manière ou d’une autre. Je considère qu’il n’y a là aucune ingérence étrangère. ».
Il en a donné d'ailleurs une définition précise : « La frontière entre influence et ingérence est par exemple franchie lorsqu’un État appelle à voter pour un candidat à une élection présidentielle, ou finance la vie politique, ce qui n’est plus possible en France mais le reste dans d’autres pays. Pour le reste, si des télévisions défendent le point de vue de la Russie, du Qatar ou de je ne sais qui, il faut simplement le savoir et faire confiance à la capacité de jugement de nos concitoyens et à la pluralité de l’information dans un pays comme le nôtre. La ligne qui ne doit pas être franchie est celle qui consiste à s’ingérer directement par des consignes de vote, par le choix de candidats ou par le financement de la vie politique. ».
Interrogé par le député FI Aurélien Saintoul, l'ancien Premier Ministre a précisé les conditions de son entrée dans les deux conseils d'administrations dont il était question : « Il faut préciser que siéger au conseil d’administration n’est pas une fonction exécutive. Toutes les entreprises du monde ont un conseil d’administration, avec des administrateurs qui y siègent en général de trois à cinq fois dans l’année. Ils apportent leur regard, leur jugement. Ils sont membres du comité d’audit ou censeurs. Ils exercent des fonctions non pas exécutives, mais de contrôle, auxquelles chacun, dès lors qu’il a une certaine compétence et une certaine connaissance du fonctionnement des affaires, peut apporter une plus-value. (…) La société Zaroubejneft est incontestablement une société d’État. Le processus de mon recrutement a été le suivant : une sollicitation du directeur de l’entreprise ; une discussion sur la mission, par exemple sur ses contraintes et le rythme des réunions ; puis une nomination par décret, car c’est ainsi que cela fonctionne en Russie. Que pouvais-je apporter à Zaroubejneft ? Un regard sur la situation internationale. En Asie, j’ai développé des activités pour le fonds d’investissement français dont j’étais partenaire, notamment au Japon et à Singapour. Depuis que j’ai changé de vie, je vais souvent en Asie. Quant à la société Sibur, elle est totalement privée. Elle m’a demandé d’être une sorte de référent sur les sujets d’environnement et de gouvernance, ainsi que sur les sujets sociaux. Je ne peux vous en dire beaucoup plus, n’ayant jamais réellement siégé dans ces conseils d’administration. Je précise d’ailleurs que je n’ai jamais touché un centime d’argent venu de Russie, dans toute ma vie politique et privée. Certes, si j’étais resté membre de ces deux conseils d’administration, j’aurais été rémunéré, comme tout membre d’un conseil d’administration. Mais ayant démissionné dans les conditions que vous savez, je n’ai jamais touché un centime d’argent en provenance de Russie. ».
Cette dernière phrase est finalement essentielle, même s'il a l'honnêteté d'ajouter qu'il n'a reçu aucune rémunération en provenance de la Russie parce qu'il n'en a pas eu le temps à cause de la guerre en Ukraine, mais cela signifie qu'il a toujours gardé sa liberté de discernement sur la politique avec la Russie et que cette affirmation est plus facilement crédible lorsqu'on n'en reçoit rien.
Au cours de son audition, François Fillon est revenu aussi sur la guerre en Ukraine : « Il y aurait d’ailleurs beaucoup de choses à dire sur ce conflit, et vous savez que j’ai une opinion qui n’est pas forcément tout à fait la même que ce qu’on entend à longueur d’émissions sur les chaînes d’information en continu. Mais je ne m’exprime pas sur ce sujet parce que, la France étant en conflit avec la Russie, à tort ou à raison, ce qui compte pour moi est l’intérêt de mon pays et je ne ferai donc rien qui puisse gêner son gouvernement dans la gestion de ce conflit. (…) Je pourrais vous [dire] que les signes avant-coureurs auraient pu nous conduire à prendre des mesures pour éviter cette catastrophe absolue. Toutefois, soucieux de ne pas gêner l’action du gouvernement par des jugements sur la façon dont toute cette affaire a été gérée, je m’abstiendrai. Je me suis trompé sur un point et le reconnais bien volontiers : j’étais convaincu que le Président Poutine ne passerait pas à l’acte. La veille de l’invasion, j’ai eu une discussion avec le Vice-Premier Ministre russe en charge de l’énergie dans le cadre de l’organisation, notamment pour CIFAL, d’une sorte de forum ou de colloque réunissant des entreprises russes et toutes les grandes entreprises françaises intéressées par les questions de l’hydrogène et de la production d’hydrogène propre. Si vous vous souvenez du déroulé des événements, une partie des forces russes massées à la frontière avec l’Ukraine pour des exercices avait été retirée. Tout le monde y avait vu le signe d’une forme de détente. Tel était exactement le climat de l’entretien que j’ai eu la veille de l’invasion. Si l’on y réfléchit, la décision d’envahir l’Ukraine est terrible. Elle est terrible pour tout le monde, mais d’abord pour la Russie, qui a commis une erreur et une faute qui aura des conséquences à très long terme pour elle, pour l’Ukraine et pour l’Europe. ».
Et de confier sa propre expérience : « Cela ne ressemble pas au Président Poutine que j’ai rencontré de manière intense de 2007 à 2012. Je l’ai revu à deux reprises, dans des manifestations publiques, de 2012 à 2017. Par la suite, je l’ai vu une fois, en 2018. Je participais au Conseil mondial du sport automobile de la Fédération internationale de l’automobile, dont j’étais l’un des vice-présidents et qui se tenait à Saint-Pétersbourg. Le Président Poutine, apprenant que j’y étais, a demandé à me voir. En chemin vers Moscou, n’exerçant plus aucune responsabilité publique, je me suis demandé de quoi nous allions parler. Après avoir passé en revue les thèmes de l’entretien, j’ai choisi de lui dire d’emblée que la situation d’isolement diplomatique dans laquelle la Russie s’installait en raison du conflit au Donbass et de la question de la Crimée était une impasse, et qu’il devait ouvrir le dialogue diplomatique pour essayer d’en sortir. Je me souviendrai toujours de sa réponse : il m’a regardé d’un air dubitatif et m’a dit : "Ah oui ? Et avec qui parler ?". N’ayant pas suffisamment réfléchi à cette question, j’ai pensé à la totalité des chefs d’État et de gouvernement européens et ai fini par lui dire de parler avec le Président Macron. En rentrant de ce voyage, j’ai appelé le Président Macron pour le tenir informé de cet échange et lui indiquer qu’il y avait, de mon point de vue, une voie de dialogue avec la Russie qu’il fallait ouvrir. C'est tout ce que je puis vous dire à ce niveau. Je pense qu’il y avait des solutions pour éviter cette crise. Nous avons réussi à arrêter la Russie en Géorgie ; je pense qu’il était possible de le faire en Ukraine, peut-être pas au moment où nous nous y sommes pris, mais en 2014, lorsque la dégradation des relations a commencé. C’est en 2014 qu’il aurait sans doute fallu être plus actif sur le plan diplomatique. À présent, ce constat ne sert pas à grand-chose. La situation est dramatique, durera longtemps et ouvrira, de mon point de vue, une fracture très importante entre le monde occidental et une grande partie du reste du monde. (…) Je pense sincèrement qu’il y a un Poutine d’avant et un Poutine d’après : le Président Poutine a d’abord été obnubilé par le développement économique de son pays, cela correspond à la période que j’ai évoquée tout à l’heure. Puis, ses résultats économiques n’étant sans doute pas excellents et surtout le temps passant, son caractère et son comportement ont évolué. ».
Enfin, sur les sanctions contre la Russie, François Fillon ne les a pas trouvées pertinentes : « Personne ne m’a interrogé sur les sanctions mais vous savez que j’y suis totalement hostile, pour trois raisons. La première raison, c’est que cela n’a jamais marché : il n’y a pas un seul exemple dans le monde d’un pays important qui a baissé la tête parce qu’on lui a imposé des sanctions économiques. (…) La deuxième raison, c’est qu’elles ont des répercussions assez désastreuses sur notre économie mais pas forcément aussi graves qu’on le dit sur l’économie d’en face. En Russie, entre 2014 et 2020, tout un pan de l’économie s’est créé pour répondre aux sanctions : la Russie produit aujourd’hui du fromage et de la viande bovine, ce qui n’était pratiquement pas le cas autrefois, et c’est vrai aussi dans bien d’autres secteurs. La troisième raison est encore plus grave. Il faut se rendre compte que les sanctions viennent toujours du même endroit : les États-Unis et l’Europe. Ce sont les Occidentaux qui imposent des sanctions au reste du monde. Si vous ne ressentez pas à quel point cette politique fait monter dans le monde un ressentiment contre les Occidentaux, alors vous ne voyez pas arriver l’orage qui va malheureusement s’abattre sur nous. Nous ne pouvons plus parler au reste du monde comme si nous étions les maîtres de la classe. Nous avons le devoir de faire preuve d’un tout petit peu plus de compréhension et de tact dans notre manière de traiter le reste du monde. Si une immense majorité de la population mondiale réside dans des pays qui ne s’associent pas aux sanctions contre la Russie, ce n’est pas parce qu’ils soutiennent la Russie mais parce qu’ils ne supportent plus ce qu’ils considèrent comme une forme d’arrogance de la part de pays riches face à des pays plus pauvres. ».
Le journaliste Jacques Follorou n'a pas semblé convaincu par l'ancien candidat à l'élection présidentielle si l'on en croit son compte rendu dans "Le Monde" du 3 mai 2023 qui a lâché de manière un peu simpliste et lapidaire : « Tout au long des deux heures et demie d’audition, le débat aura eu des airs de dialogue de sourds. Refusant que l’on mette en doute sa probité, François Fillon revendique une liberté de choix et ne comprend pas que les membres de la commission trouvent malice à ce qu’un ancien Premier Ministre vende à une puissance autoritaire un savoir et un réseau acquis dans le cadre de ses fonctions publiques. ». Reste à imaginer la réaction de la France le 24 février 2022 , si elle avait été dirigée par François Fillon. Pas sûr que l'intérêt national aurait été le seul guide. Mais justement, il n'est plus "aux affaires", il fait juste des "affaires".
« Nikolaï Ivanovitch a coopéré activement avec les forces patriotiques du peuple jusqu’à son dernier jour. Il a été sénateur pendant vingt ans. » (Guennadi Ziouganov, 28 février 2023).
Le dernier survivant des anciens dirigeants de l'Union Soviétique, Nikolaï Ryjkov, est mort ce mercredi 28 février 2024. Il allait avoir 95 ans dans sept mois (le 28 septembre prochain). Il était originaire de Toretsk (anciennement Dzerjynsk), une ville minière de la région de Donetsk, en Ukraine.
Nikolaï Ryjkov fut, non pas le dernier, comme certains médias le présentent, mais l'avant-dernier chef du gouvernement de l'URSS, ou alors, le chef de l'avant-dernier gouvernement de l'URSS, celui de l'époque de Mikhaïl Gorbatchev. Il était formellement le Président du Conseil des ministres de l'URSS du 27 septembre 1985 au 14 janvier 1991. À l'âge de 56 ans, il a succédé à Nikolaï Tikhonov, 80 ans, l'un des gérontocrates de la fin de la période brejniévienne, à ce poste depuis près de cinq ans sous Leonid Brejnev, Youri Andropov et Konstantin Tchernenko (Tikhonov, successeur d'Alexeï Kossyguine, était d'ailleurs plus âgé que ces derniers !).
Quand Mikhaïl Gorbatchev a fait de l'URSS un (très bref) régime présidentiel, les appellations des fonctions ont changé, le chef de l'État devenait le Président de l'Union Soviétique (au lieu de Président du Soviet Suprême de l'Union Soviétique) et le chef du gouvernement devenait Premier Ministre (au lieu de Président du Conseil des ministres), poste dévolu à Valentin Pavlov à qui Nikolaï Ryjkov a laissé la place (pour une période courte puisque l'URSS est morte le 25 décembre 1991 et que Ivan Silaïev, mort il y a un an, lui a succédé après le coup d'État d'août 1991).
Le climat politique (qui a abouti au putch et à l'effondrement de l'URSS) était très mauvais au premier semestre 1991 : Gorbatchev voulait moderniser l'URSS, en faire une nation aux institutions classiques, mais il fallait encore un accord pour permettre une cohabitation des républiques de l'URSS pour qu'elles soient à la fois autonomes et unifiées, c'est sur ce problème que le putsch s'est déclenché. Parallèlement à cela, Boris Eltsine s'est hissé à la tête de l'une de ces républiques intégrées à l'URSS, la plus grosse, la plus importante, la Fédération de Russie, élu par les députés Président du Soviet Suprême de la république socialiste fédérative soviétique de Russie du 29 mai 1990 au 10 juillet 1991 et a organisé une élection présidentielle pluraliste au suffrage universel direct pour désigner le Président de la Fédération de Russie (à partir du 10 juillet 1991), ainsi qu'un Vice-Président (ce fut Alexandre Routskoï). Petit à petit, dans son coin, la Russie allait remplacer l'URSS.
L'élection a eu lieu le 12 juin 1991 (pour le premier tour). Face au ticket Eltsine-Routskoï, Nikolaï Ryjkov s'est présenté en prenant pour Vice-Président le colonel Boris Gromov, dernier commandant de l'Armée rouge en Afghanistan et dernier soldat soviétique à avoir quitté l'Afghanistan, sous l'étiquette officielle du PCUS (tandis qu'Eltsine était un candidat indépendant). Nikolaï Ryjkov, qui était le premier dirigeant soviétique à se prêter au jeu démocratique libre et sincère, n'a pas été élu mais s'est retrouvé à la deuxième place avec 17,2% des voix (13,4 millions de voix), devant le populiste Vladimir Jirinovski (8,0%) et derrière Boris Eltsine élu dès le premier tour avec 58,6% des voix (pour une participation de 74,7% des inscrits). C'est la première élection démocratique en Russie !
Pendant les cinq ans à la tête du gouvernement soviétique, Nikolaï Ryjkov a accompagné la volonté de Gorbatchev de réformer en profondeur le régime soviétique (qui était cependant irréformable), même s'il était plus du camp des conservateurs (à l'instar de Grigori Romanov). Et cela en interne mais aussi à l'extérieur. Ainsi, le 27 septembre 1990, l'URSS a rejoint Interpol, l'organisation internationale de la police, fondée en 1923 à Vienne (et dont le siège est en France, à Lyon). Ryjkov a ainsi rencontré le président d'Interpol à Moscou à cette occasion.
Au début du mois de décembre 1990, il a par ailleurs exclu toute intervention militaire en Irak après l'annexion du Koweït par l'Irak et s'est réjoui que 1 000 des 3 200 ressortissants soviétiques retenus en Irak seraient libérés. Interrogé par l'agence Interfax, Nikolaï Ryjkov a mis les points sur les i : « Nous ne devons en aucun cas prendre part à une action militaire au Proche-Orient (…) ni avec des troupes, ni par aucun autre moyen. Le pays ne le comprendrait pas. L'Afghanistan nous suffit. En ce qui concerne l'envoi des troupes, j'ai déjà dit et je redis que j'y suis catégoriquement opposé. Nous avons soutenu politiquement la communauté internationale, en votant pour la résolution du Conseil de Sécurité. Mais il ne faut pas envoyer nos enfants là-bas. ». Le natif du Donbass aurait pu prôner la même logique en Ukraine.
L'annonce de sa mort a provoqué beaucoup d'émotion en Arménie car Nikolaï Ryjkov y a reçu le titre prestigieux de "héros national d'Arménie" le 5 décembre 2008. En effet, le 7 décembre 1988, il a été choisi pour présider la commission pour venir en aide à la population arménienne à la suite du grave séisme qui a dévasté la région de Spitak, il a secouru les victimes, organisé les urgences, reconstruit les villages, etc. (le tremblement de terre, de magnitude 6,9, a provoqué entre 20 000 et 30 000 morts, en Arménie, à l'époque intégrée à l'Union Soviétique). Nikolaï Ryjkov est retourné souvent en Arménie pour encourager l'amitié entre l'Arménie et la Russie.
Le Président arménien Armen Sarkissian a adressé le 28 septembre 2019 à Nikolaï Ryjkov un message très chaleureux d'amitié à l'occasion de son 90e anniversaire : « Vous êtes un ami sincère et fiable pour l’Arménie et le peuple arménien qui a été avec nous au moment de la joie, des épreuves difficiles. Nous nous souvenons toujours de votre exploit pendant les premiers semaines et mois du tremblement de terre de Spitak en 1988. Vous vous trouviez dans les zones sinistrées du catastrophe et dirigiez les travaux de sauvetage et de reconstruction nuit et jour. Avec votre sincère compassion, chaleur et délicatesse, vous avez mérité la gratitude et l’amour universels, ainsi que le titre de Héros national d’Arménie. ». Cela donne une idée de la gratitude que les Arméniens ont eue pour Nikolaï Ryjkov jusqu'à sa disparition.
Ryjkov était aussi à la tête du gouvernement soviétique lors de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986. Il a été nommé président du groupe spécial chargé de la liquidation de l'accident nucléaire. Il a été prévenu le matin juste avant de partir à son bureau, et a compris rapidement que c'était très sérieux. Dès le lendemain, la ville de Pripiat, et ses 50 000 habitants, ont été évacués d'urgence, une consigne donnée par la commission de scientifiques qu'il avait mise en place.
Au cours du procès en 1992, il a justifié le retard de l'annonce officielle : « La première information officielle sur le drame a été rendue publique par les médias soviétiques le 28 avril. Les pays occidentaux clamaient déjà haut et fort que quelque chose de sérieux s’était passé dans la région, mais que la direction soviétique niait tout. La nouvelle arrivait en quatrième position à la radio de Moscou et seulement en onzième à la radio de Kiev. Au journal télévisé principal du pays, Vremia, le dossier de Tchernobyl figurait à la vingt et unième place. Un appel télévisé a été enregistré par le Secrétaire Général du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev, dix-huit jours plus tard. Ce sont les Suédois qui ont été les premiers à enregistrer les émissions [radioactives]. Dans la nuit du 26 avril, leurs capteurs ont révélé une radioactivité élevée et ils ont conclu à une fuite. Ce qui était le cas. Nous n’avons compris que le matin ce que c’était. Tout le reste est faux. Personne n’a caché les informations pendant trois jours. En effet, les nouvelles accordées au public étaient très prudentes. Mais devions-nous crier sur les toits "Sauve qui peut" ? Sommes-nous assez idiots pour déclencher la panique afin que des centaines de milliers de personnes se jettent de tous côtés, notamment celui de la source de l’irradiation ? Nous n’étions pas si bêtes. Il fallait évacuer la population de manière organisée. Certains ne comprenaient pas ce qu’est une irradiation. À Pripiat, tout le monde le savait, étant donné que la majorité des habitants travaillaient à la centrale nucléaire. Moi, je suis arrivé sur les lieux le 2 mai et je roulais en voiture depuis Kiev. On s’arrêtait dans certains villages proches de la zone contaminée. J’ai été abordé par une femme qui m’a demandé ce qui se passait. "C’est irradié, c’est sale", ai-je répondu. "Sale ? Mais non, regardez comme les pommes de terre sont propres", a-t-elle dit. Les gens ne se rendaient pas compte de la situation. (…) Durant la première année après l’accident, les travaux de liquidation ont été effectués par 350 000 personnes. Sur conseil des scientifiques, il a été décidé de combler la bouche du réacteur de sable et de plomb. Ce dernier était fourni d’urgence sur les lieux depuis tout le pays. On se frayait un chemin dans un monde entièrement inconnu. » (cité par "Russia Beyond" le 26 avril 2017).
Après 1991, Nikolaï Ryjkov a continué sa carrière politique au sein de la Fédération de Russie, d'abord en se faisant élire député de la Douma de décembre 1995 à septembre 2003, puis en se faisant élire sénateur du Conseil de la Fédération comme représentant de l'oblast de Belgorod, jusqu'en septembre 2023, date à laquelle il a démissionné (à l'âge de 94 ans !).
Annonçant la disparition de Nikolaï Ryjkov, Guennadi Ziouganov, le chef des communistes russes, héritiers du PCUS, lui a rendu un vibrant hommage en évoquant certains aspects de son existence : « J’ai eu la chance de travailler avec lui pendant plus de quarante ans. Je l’ai connu intimement, en commençant par le légendaire Uralmash, où il est passé de contremaître à directeur de l’usine la plus grande et la plus importante du monde. (…) Il a été le premier vice-ministre de la construction de machines lourdes et de transport de l’URSS, puis est devenu le premier vice-président du comité de planification de l’État de l’URSS, a participé au comité central du PCUS dans le domaine de l’économie et a dirigé le plus grand gouvernement de ce grand pays. Si, dans les années 90, la ligne de trois membres du Politburo qui avaient suivi l’école soviétique, Ryjkov, [Grigori] Romanov et [Vladimir] Dolgikh, avait prévalu, le sort du pays tout entier aurait été plus favorable. Au début des années 1990, lorsque Eltsine et Routskoï ont remporté les élections, ils ont introduit la politique américaine dans le pays. À l’époque, Ryjkov a proposé des solutions alternatives réelles pour le développement de notre pays, qui ont malheureusement été rejetées à l’époque. (…) Nikolaï Ivanovitch Ryjhkov a vécu une vie étonnamment brillante, riche et intéressante. Il nous a laissé un grand héritage. Le pays l’a honoré à juste titre en lui décernant de hautes récompenses. Héros de la Russie, il a reçu l’Ordre de Lénine, l’Ordre de la Révolution d’octobre, l’Ordre du drapeau rouge du travail. Il a été lauréat de nombreux prix. ».
« C’est un crime du régime, c’est évident. C’est une terrible nouvelle, une tragédie pour nous tous ! » (Oleg Orlov, le 16 février 2024).
C'est par ces quelques mots que le dissident russe Oleg Orlov (qui n'est pas Prix Nobel de la Paix 2022 contrairement à ce qu'indiquait LCI, mais Prix Sakharov 2009), désigné comme "agent de l'étranger" le 2 février 2024 par le Ministère russe de la Justice pour avoir déclaré qu'à son avis, le lancement des troupes russes en Ukraine portait atteinte à la paix et à la sécurité internationales et allait à l'encontre des intérêts des citoyens russes, a accompagné, ému, la nouvelle tragique de la mort d'un autre dissident russe, Alexeï Navalny annoncée ce vendredi 16 février 2024 au début de l'après-midi par les services pénitentiaires russes.
Selon cette source et les agences de presse russes, Alexeï Navalny serait mort au cours d'une promenade dans sa prison de Kharp, dans le district autonome de la Iamalo-Nénétsie, près de l'Oural polaire. Un médecin a tenté de le réanimer pendant trente minutes, sans succès, et une enquête a été ouverte pour connaître les causes exactes du décès. Bien entendu, comme pour Prigojine, on ne saura jamais vraiment la vérité.
Si cette mort est bien confirmée, comme cela semble être le cas, cela crée un très grand choc tant en Russie qu'à l'extérieur. En Russie, le choc sera plus lent à venir car cette information n'est pas en Une, au contraire des médias étrangers, français par exemple. Une certaine indifférence plus ou moins sincère, ou une certaine méfiance plus ou moins authentique renforcent ce sentiment qu'en Russie, il ne faut vraiment pas chercher à s'opposer à Vladimir Poutine.
Pourtant, il n'y a là rien de très surprenant de la part d'un ancien agent du KGB cynique et froid, pour qui la valeur de la vie humaine ne vaut pas grand-chose. La France venait d'honorer son grand humaniste, Robert Badinter, pour qui, justement, la vie humaine est précieuse et à protéger, même pour celle des pires criminels. C'est une question de civilisation. On a vu comment Poutine a résolu des prises d'otages, que ce soit au théâtre Doubrovka à Moscou (23 au 26 octobre 2002) ou dans une école primaire à Beslan (1er septembre 2004), cela s'est soldé par des centaines de morts innocentes (dont de nombreux enfants) tuées parce que les forces de l'ordre n'avaient pas fait dans la dentelle (128 otages tués et 646 blessés à Moscou ; 334 otages tués, dont 186 enfants, et 783 blessés à Beslan).
Quelques jours après l'invalidation de la candidature de Boris Nadejdine à l'élection présidentielle de mars 2024, Vladimir Poutine montre à l'évidence que les limites sont bien claires dans la liberté d'expression. Tout le monde est libre de s'exprimer, tant qu'on approuve le pouvoir actuel !
Avocat depuis 1998, auteur d'un blog décapant à partir de 2009, Alexeï Navalny a été un opposant acharné à Poutine pendant des années (depuis février 2011), il voulait se présenter aux élections présidentielles russes de 2012 et 2018. Il avait enquêté sur l'enrichissement phénoménal de Président russe. À partir de 2011, il a sans arrêt été mis en difficulté avec la justice russe, souvent incarcéré pendant les campagnes électorales, etc.
Le 20 août 2020, il a été victime d'un empoissonnement au Novitchok sur la ligne aérienne entre Tomsk et Moscou, une signature claire d'une tentative d'assassinat russe. En coma depuis deux jours, il a été hospitalisé d'urgence à Berlin le 22 août 2020 (il est sorti d'hôpital le 22 septembre 2020, pratiquement rétabli). Il a été incarcéré dès son retour en Russie, le 17 janvier 2022, considéré comme un terroriste, et (entre autres !) il fut condamné à neuf ans d'internement en régime sévère en mars 2022, puis à dix-neuf ans en août 2023 pour extrémisme. Enfin, il a été transféré en décembre 2023 dans la région arctique au fin fond de la Sibérie dans des conditions d'existence très dures.
Alexeï Navalny a reçu le Prix Sakharov, décerné par le Parlement Européen le 20 octobre 2021. Il s'est par la suite opposé à la tentative d'invasion de l'Ukraine par les troupes russes et a mis en garde les électeurs français contre la candidate Marine Le Pen à l'élection présidentielle française de 2022 en évoquant une collusion entre le RN et le pouvoir poutinien (ce qu'elle a nié à l'époque, parlant de désinformation).
À 47 ans, Alexeï Navalny n'aura pas survécu à sa détention très dure. Il semblait pourtant en santé correcte et, d'un grand humour et capable de prendre beaucoup de recul, il avait encore plaisanté il y a quelques jours dans les réseaux sociaux. Selon le journal "Novaïa Gazeta", qui fut longtemps le seul journal russe indépendant avant son interdiction en Russie en 2022, le sort d'Alexeï Navalny depuis plus d'une décennie était le moyen du pouvoir de montrer aux contestataires russes quelles étaient les lignes à ne pas franchir, des lignes qui ont évolué depuis la guerre en Ukraine.
Quelle que soit la vérité sur cette mort tragique qui émeut le monde entier, par sa terreur qui rappelle un pouvoir impitoyable face à ses opposants d'autant plus qu'ils sont nationalistes, comme Prigojine, quelle que soit la part de responsabilité directe ou indirecte de Vladimir Poutine et de ses sbires, il est clair que la vie d'un détenu dans une prison est sous la responsabilité directe de l'État qui l'y a placé. Hommage soit rendu au courage d'une personnalité comme Alexeï Navalny. Il aspirait à la liberté. La Russie est retournée dans son cauchemar stalinien.
« En somme, la preuve est faite qu'un excès de stabilité peut conduire à une certaine instabilité. » (Georges Bortoli, journaliste d'Antenne 2, le 13 février 1984).
Il y a quarante ans, le 9 février 1984, est mort Youri Andropov. Dirigeant de l'Union Soviétique depuis moins d'un an et demi, son court règne allait laisser ensuite place à un règne encore plus court, celui de Konstantin Tchernenko, qui a mis trois jours pour se faire élire Secrétaire Général du Parti communiste d'Union Soviétique (PCUS), le poste le plus important de l'URSS depuis la Révolution russe. Le lendemain, le 14 février 1984, il présidait les funérailles nationales de Youri Andropov sur la Place Rouge. Wikipédia écrit avec justesse : « Il en découlera un découragement évident du peuple face à cette valse, au sommet de l'État, des vieux caciques du régime, signe de la déliquescence de la toute-puissante Union Soviétique. ». "Le Canard enchaîné" titra à l'époque : « Le triomphe du marxisme-sénilisme » !
Les autorités soviétiques ont d'ailleurs attendu le 10 février 1984 pour rendre publique la mort de Youri Andropov, quasi-invisible depuis environ six mois. À l'époque, pendant cette semaine-là, je séjournais chez mes grands-parents et mon grand-père, qui regardait l'actualité par habitude, le journal télévisé à 20 heures, s'amusait avec les noms de dirigeants soviétiques qu'il ne connaissait pas vraiment. Pendant plusieurs jours, en effet, les journalistes évoquaient les noms en -ov ou en -ev (en général, parfois en -ko), passaient leurs photos en gros plan sur l'écran, annonçaient leurs noms et fonctions, et entendre autant de Popov amusait mon grand-père qui, comme sa femme, considérait la Russie comme un pays très lointain, là-bas vers l'Est et surtout, vers le grand froid (avec port de la chapka de rigueur). Moi, au contraire, j'ai passionné, ou plutôt, fasciné par ces jeux de pouvoirs, immenses (l'URSS avait la bombe nucléaire quand même, et même le plus grand arsenal au monde), dans un pays aussi secret, aussi mystérieux dont on ne connaissait pas les tenants et aboutissants de politique intérieure, à tel point qu'il y avait des kremlinologues, dont les deux plus connus en France étaient Hélène Carrère d'Encausse et Alexandre Adler.
Des noms en -ov ou en -ev, ils étaient nombreux. L'instance cruciale, à cette époque-là, était le politburo (bureau politique) du PCUS. Le politburo qui fut choisi au XXVIe congrès du PCUS fut en fonction du 3 mars 1981 au 6 mars 1986, pendant toute cette succession de vieillards. Sur la vingtaine de membres, six sont morts avant la fin de leur mandat (dont trois chefs d'État). Parmi les membres (dont certains, suppléants, sont devenus titulaires au fil du mandat), on peut citer : Leonid Brejnev, Youri Andropov, Konstantin Tchernenko, Mikhaïl Souslov (l'idéologue du parti, mort le 25 janvier 1982, avant Brejnev), Dimitri Oustinov, Mikhaïl Gorbatchev, Andreï Gromyko, Andreï Kirienko, Grigory Romanov, Nikolaï Tikhonov, Viktor Grichine, et arrivés après 1981, entre autres, Nikolaï Ryjkov, Egor Ligatchev, Edouard Chevardnadze, Viktor Tchebrikov (chef du KGB), Vitaly Vorotnikov, etc. Vassili Kouznetsov, Sergueï Sokolov et Boris Eltsine, quant à eux, en étaient des membres suppléants. Nikolaï Tikhonov avait une position particulière pendant cette période puisqu'il fut le Président du Conseil des ministres du 23 octobre 1980 au 27 septembre 1985.
Revenons un peu en arrière. La Russie depuis la Révolution russe a été gouvernée de manière particulièrement stable. Noyautant tout l'appareil d'État russe puis soviétique (à partir de 1922), le PCUS était l'organe décisionnel majeur. Son parlement était le comité central, ses dirigeants le politburo du comité central, et le chef suprême le Secrétaire Général du PCUS. Or, jusqu'en 1982, il y en a eu peu dans toute l'histoire de l'URSS : Lénine du 8 novembre 1917 au 3 avril 1922, Staline du 3 avril 1922 au 16 octobre 1952 (officiellement, il n'y en avait plus quelques mois avant sa mort mais il dirigeait le PCUS jusqu'à sa mort le 5 mars 1953), Nikita Khrouchtchev du 7 septembre 1953 au 14 octobre 1964, Leonid Brejnev du 14 octobre 1964 au 10 novembre 1982. Quatre dirigeants en plus de soixante ans !
À la différence des dictateurs de républiques bananières, le dirigeant suprême dépendait d'une entité décisionnelle collective (le politburo), et parfois, il pouvait être évincé par ses pairs. Ce fut le cas de Khrouchtchev en 1964 (l'unique cas).
L'époque de Leonid Brejnev était significative. Il formait une "équipe" avec Anastase Mikoyan (Président du Praesidium du Soviet Suprême du 15 juillet 1964 au 9 décembre 1965), Nikolaï Podgorny (Président du Praesidium du Soviet Suprême du 9 décembre 1965 au 16 juin 1977) et Alexis Kossyguine (Président du Conseil des ministres du 14 octobre 1964 au 23 octobre 1980). À partir de juin 1977 et pas systématiquement, le dirigeant suprême du PCUS occupait aussi les fonctions de chef de l'État, à savoir Président du Praesidium du Soviet Suprême. Cette "équipe" était de la génération du siècle (tous nés entre 1903 et 1906, sauf Mikoyan 1895), si bien qu'ils ont pris le pouvoir au moment où ils sont devenus sexagénaires.
Dix-huit ans plus tard, comme l'expliquait le journaliste Georges Bortoli sur Antenne 2 le 13 février 1984, la stabilité en a fait une équipe de vieillards, à peine aptes à se tenir debout (les dernières années de Brejnev furent souvent moquées, avec raison, comme symptomatiques du régime soviétique), et la mort de ce dernier, au lieu de tourner la page, a au contraire renforcé cette impression de régime finissant.
Le choix du politburo à la mort de Brejnev se résumait à deux possibilités : soit le fidèle des fidèles de Brejnev, à savoir Konstantin Tchernenko (71 ans), soit l'irremplaçable Youri Andropov (68 ans), président du KGB du 18 mai 1967 au 26 mai 1982. Andropov, né le 2 juin 1914, fut choisi le 12 novembre 1982, comme numéro un, surtout soutenu par le complexe militaro-industriel soviétique dirigé par le maréchal Oustinov (ce fut Tchernenko qui proposa sa candidature acceptée à l'unanimité du comité central). Son avènement aurait pu inquiéter les Soviétiques car être patron du KGB, c'est-à-dire des actions toujours répressives, laissait un arrière-goût de crainte justifiée, mais en même temps, on le disait parfois "libéral" (un mot avec des guillemets car on était en URSS).
Youri Andropov était un diplomate et s'était retrouvé ambassadeur de l'URSS en Hongrie entre 1953 et 1957. C'est par ses rapports alarmants qu'il a convaincu Moscou d'envoyer des chars soviétiques à Budapest contre l'insurrection populaire. Cela a entraîné la mort de 2 500 personnes. Andropov resta toute sa vie choqué par l'expérience hongroise : il avait vu une véritable insurrection et craignait qu'elle ait lieu également à Moscou. La conséquence a été double : d'une part, tenter de réformer l'URSS pour éviter d'en arriver à une telle extrémité ; d'autre part, empêcher toute critique extérieure du régime soviétique. Lucidité et langue de bois ; lucidité en interne, langue de bois en externe.
Khrouchtchev l'a bien apprécié au point d'en faire, au sein du PCUS, le responsable des relations avec les partis communistes des pays socialistes (entre 1957 et 1967), tout en montant dans les échelons du parti (secrétaire du comité central en 1962). Cité par "Russia Beyond", le politologue Gueorgui Arbatov raconta, de cette époque, qu'Andropov voulait parler avec efficacité et lucidité en annonçant la couleur à ses collaborateurs : « Dans cette salle, nous pouvons tous exprimer nos opinions, de manière absolument ouverte. Mais dès que vous la quittez, respectez les règles ! ».
Ensuite, Brejnev a nommé Youri Andropov à la tête du KGB, où il resta incontournable une quinzaine d'années, durant lesquelles il réprima sévèrement les dissidents soviétiques (les envoyant dans les goulags en Sibérie ou les internant dans des asiles psychiatriques) et il participa notamment aux invasions de la Tchécoslovaquie et de l'Afghanistan. En 1969, Andropov a pourchassé la mafia du caviar en Azerbaïdjan, au Kazakhstan et au Turkménistan. On l'a aussi soupçonné d'être à l'origine de l'attentat contre le pape Jean-Paul II le 13 mai 1981, fiché par le KGB en 1973 comme un "danger potentiel principal" pour ses sympathies avec le Solidarnosc.
Dans son livre "Au cœur du Kremlin" (sorti en 2018 chez Stock), le diplomate et écrivain Vladimir Fédorovski, ami personnel d'Alexandre Iakovlev, expliquait à propos de Youri Andropov : « C'est un bolchevik convaincu, à l'instar de Khrouchtchev, à cette différence près qu'il est intelligent. (…) Il est puritain comme on l'était à l'époque et regarde avec effarement l'évolution de la classe dirigeante qui n'aime que les avantages matériels, les femmes, l'alcool et la triche, pour lesquels il conçoit une sainte horreur. Il hait le laisser-aller général dominant les années Brejnev. Ce qui ne l'empêche nullement de se façonner une image d'homme moderne en écoutant des tubes américains et en sirotant de temps en temps un whisky. (…) Selon (…) Alexandre Iakovlev, Andropov est un néostalinien convaincu, sans le tropisme sanguinaire du petit père des peuples. Doté d'une personnalité complexe, très structurée, il fait de la lutte contre les dissidents un cheval de bataille. (…) S'il pratique la persécution, sa préférence va toutefois à une politique d'expulsion systématique. (…) Contrairement à Khrouchtchev qui pratique l'élimination systématique, Andropov n'aime pas tuer. (…) Son but profond est la stabilisation su pays. ».
Youri Andropov est devenu Secrétaire Général du PCUS du 12 novembre 1982 au 9 février 1984, et Président du Praesidium du Soviet Suprême du 16 juin 1983 au 9 février 1984. Sur le plan intérieur, il voulait réformer en profondeur l'économie soviétique et réprimer le travail au noir. Ainsi, il a lutté contre la corruption, très forte à la fin de l'ère Brejnev (il a limogé dix-huit ministres), contre l'alcoolisme en augmentant considérablement le prix de la vodka (ce qui a fait émerger une vodka à bas prix appelée Andropovka), encouragé la police à arrêter les gens en ville pendant les heures de travail ou d'enseignement pour qu'ils retournassent à leur travail et cours (pour lutter contre l'absentéisme), etc.
Vladimir Fédorovski analysait ainsi l'esprit d'Andropov : « L'entourage d'Andropov se vante d'avoir inventé la perestroïka. Ce n'est pas totalement faux, si ce n'est qu'Andropov est influencé par le style de Deng Xiaoping qui consistait à conserver le système politique tout en pratiquant des ouvertures sur le plan économique. Il est assurément l'homme le mieux informé du pays et le plus lucide sur sa situation réelle. Outre les statistiques de façade qui ont leur utilité pour la propagande, il détient les chiffres exacts. ».
Anatoli Loukianov, le dernier Président du Soviet Suprême du 15 mars 1990 au 25 décembre 1991, évoqua les réformes économiques voulues par Andropov ainsi : « Je ne doute pas que si le destin avait laissé à Youri Vladimirovitch encore quelques années de vie, nous n'aurions pas eu de déstabilisations catastrophiques, pas de conflits interethniques sanglants, pas d'affaiblissement généralisé du pouvoir de l'État. » (cité par "Russia Beyond"). Quant à Alexandre Iakovlev (1923-2005), futur architecte de la perestroïka, il disait non sans ironie : « Les réformes d’Andropov ont été aussi efficaces que d’essayer de perfectionner un train à court de carburant pour le rendre plus rapide ! ».
Sur le plan extérieur, Andropov se retrouvait en pleine crise des euromissiles, face à un Occident renforcé par la Présidence de Ronald Reagan. Il a initié une détente dans différents pays, en Pologne avec la libération de Lech Walesa, en Tchécoslovaquie avec une lettre de sympathie à Alexander Dubcek, en Afghanistan en négociant une trêve avec le commandant Ahmed Chah Massoud, etc. Ce qui n'empêchait pas des fortes tensions, comme les tirs de missile qui ont abattu le Boeing 747 faisant un vol de la Korean Air Lines entre New York et Séoul le 1er septembre 1983 (239 morts).
Youri Andropov n'hésitait toutefois pas à montrer des signes d'ouverture. Ainsi, à son arrivée au pouvoir, il a reçu, parmi des milliers d'autres, la lettre d'une jeune Américaine de 10 ans, Samantha Smith, très inquiète des risques de guerre nucléaire entre les États-Unis et l'URSS. Youri Andropov lui a répondu le 28 avril 1983 en voulant la rassurer en style bisounours : « Oui, Samantha, nous en Union Soviétique tâchons de tout faire pour qu’il n’y ait pas de guerre sur Terre. C’est ce que veut tout Soviétique. (…) Les Soviétiques savent à quel point la guerre est une chose terrible. (…) Nous voulons la paix, et nous avons d’autres occupations : faire pousser du blé, construire et inventer, écrire des livres et s’envoler dans l’Espace. Nous voulons la paix pour nous-mêmes et pour tous les peuples de cette planète. Pour nos enfants et pour toi, Samantha. ». Et il l'invita à venir en URSS pour visiter le pays, ce qu'elle fit du 7 au 22 juillet 1983, comme la plus jeune ambassadrice des États-Unis, dans un voyage très médiatisé. Elle n'a pas pu rencontrer physiquement Youri Andropov parce qu'il était trop malade mais a pu discuter avec lui au téléphone. En visitant le pays (elle est passée par la Crimée), elle s'est fait beaucoup d'amis soviétiques (anglophones). Beaucoup d'Américains y virent quand même une honteuse manipulation de propagande sur une enfant. Démarrant une carrière d'actrice pour une série télévisée, la jeune Samantha trouva hélas la mort avec son père le 25 août 1985 dans le crash de son avion dans le Maine, de retour d'un tournage. Mikhaïl Gorbatchev a envoyé l'ambassadeur soviétique aux États-Unis aux obsèques de la jeune fille de 13 ans.
Très malade, Andropov l'était effectivement tout au long de son court pouvoir d'État. Ses huit derniers mois se passèrent principalement dans les hôpitaux en raison d'une insuffisance rénale chronique qui empirait de jour en jour, ainsi que d'un diabète. Il était sous dialyse permanente à partir de mars 1983 (ce qui faisait dire qu'il était le dirigeant soviétique "le plus branché" de l'histoire !). Son dernier discours public a été prononcé le 1er septembre 1983. Il était absent à l'anniversaire de la Révolution le 7 novembre 1983, et il est tombé dans le coma en décembre 1983 avant de mourir le 9 février 1984 à l'âge de 69 ans (ce qui, vu de 2024, est maintenant relativement jeune pour mourir).
Comme écrit plus haut, Konstantin Tchernenko, né le 11 septembre 1911 d'origine ukrainienne, fut désigné par le politburo comme le successeur de Youri Andropov. Ce fut Nikolaï Tikhonov qui le proposa au comité central. Le clivage était le suivant : ou les dirigeants communistes gardaient la prudence et désignaient le plus âgé (72 ans) au plus haut grade des leurs, Tchernenko, ou ils osaient ouvrir une nouvelle période en désignant le plus jeune (52 ans), Mikhaïl Gorbatchev, le dauphin désigné de Youri Andropov. En effet, Gorbatchev avait compris, lui aussi, la nécessité de faire des réformes économiques parce qu'il avait la même lucidité sur l'impossibilité de pérenniser le régime soviétique en l'État (il s'effondrait de lui-même, ce qu'il fit finalement en 1991). Tchernenko a cumulé son pouvoir, lui aussi, avec les fonctions de chef d'État, Président du Praesidium du Soviet Suprême, du 11 avril 1984 jusqu'à sa mort. Au contraire d'Andropov, Tchernenko était peu instruit, et grabataire, ce qui permettait un statu quo (et quelques affaires en plus pour les plus corrompus).
Vladimir Fédorovski en a parlé sans complaisance : « Tchernenko était le type même de l'apparatchik qui n'avait dû sa providentielle ascension qu'à sa rencontre dans les années 1950 avec Leonid Brejnev, dont il fut le secrétaire personnel. Fils de paysan, et de formation intellectuelle limitée, ce personnage mou et blême avait pour seule caractéristique politique de constituer une alternative au KGB et à l'armée. ». Un peu plus tôt dans son livre, il n'était décidément pas tendre avec Tchernenko « compagnon de beuverie et premier courtisan de Brejnev, surnommé son "ouvreur de bouteilles" ».
L'avènement de Konstantin Tchernenko n'était donc pas un signal très optimiste porté tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'URSS. Gros fumeur, il était déjà très malade, atteint d'insuffisances respiratoire et cardiaque, également d'une cirrhose du foie, et s'était déjà absenté trois mois l'année précédente pour pleurésie et pneumonie. On le décrivait déjà comme un zombie ! Très proche de Brejnev, Tchernenko est entré au politburo le 27 novembre 1978. Il était à peine capable de prononcer l'éloge funèbre de son prédécesseur tant cela supposait un énorme effort physique (on a monté un élévateur mécanique pour lui faire gravir les quelques marches sur la Place Rouge). Il a cependant réussi à participer à l'anniversaire de la Révolution le 7 novembre 1984, mais était souvent absent, le politburo se réunissait sans lui, parfois en prenant lui-même l'initiative des réunions. Et depuis Andropov, c'était Gorbatchev qui faisait office de Secrétaire Général par intérim.
Symbole du communisme déclinant, Tchernenko a même tenté, sans succès, de réhabiliter Staline (il a quand même réintégré l'historique Viatcheslav Molotov, né en 1890, au parti communiste, ce qui faisait dire des plaisanteries par les gens du peuple en considérant Molotov, 94 ans, comme le futur successeur de Tchernenko !). Il refusa qu'Erich Honecker, chef de la RDA (Allemagne de l'Est), se rendît en Allemagne de l'Ouest (RFA). Il a boycotta les Jeux olympiques de 1984 à Los Angeles en représailles au boycott américain des JO de 1980 à Moscou. Pour autant, les liens n'étaient pas rompus avec "l'Occident", puisque Tchernenko rencontra en juillet 1984 à Moscou François Mitterrand qui avait auparavant rompu avec l'URSS (le Président français assista aux obsèques de Tchernenko au contraire de ses deux prédécesseurs ; Mitterrand évoqua devant lui le sort du dissident Andreï Sakharov, ce qui ne manquait pas d'audace sinon de courgae), il rencontra aussi Neil Kinnock, leader du parti travailliste au Royaume-Uni (et candidat au poste de Premier Ministre britannique), en novembre 1984.
La dernière déclaration publique de Konstantin Tchernenko a eu lieu le 28 février 1985, six jours après que sa maladie fut officiellement annoncée pour la première fois. Hospitalisé à partir de la fin du mois de février 1985, il est tombé dans le coma le 9 mars et est mort le 10 mars 1985 en début de soirée. Cette fois-ci, deux "jeunes" s'affrontaient pour la succession, Grigory Romanov (62 ans), dauphin de Tchernenko, et Mickhaïl Gorbatchev (54 ans), dauphin d'Andropov. Ce dernier, soutenu à la fois par le KGB, l'armée et l'intelligentsia, et présenté par l'indéboulonnable Andreï Gromyko à qui on avait promis le poste de chef de l'État, a convaincu à l'unanimité le politburo qu'il fallait en finir avec cette génération de vieillards. Un nouveau vent arriva à Moscou, celui de la perestroïka et de la glasnost. On connaît la suite.
Quarante ans après cette succession de vieillards au Kremlin, la gérontocratie s'est déplacée à Washington. Lors de la prochaine élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024, tout laisse entendre, même si cela peut changer, que cela se jouera entre deux Présidents vieillards, entre Joe Biden (81 ans) et Donald Trump (78 ans). Quant au Kremlin, la gérontocratie a encore de beaux jours devant elle, puisque Vladimir Poutine (71 ans) a de grandes probabilités d'être réélu Président de la Fédération de Russie le 17 mars 2024 pour six ans (77 ans) voire douze ans (83 ans). Au moins, en France, nous avons des dirigeants jeunes et dynamiques, les deux têtes de l'exécutif, Emmanuel Macron (46 ans) et Gabriel Attal (34 ans), ne totalisent même pas l'âge du Président des États-Unis, seulement 80 ans !