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3 juillet 2021 6 03 /07 /juillet /2021 02:44

Écrire dans un blog est une magnifique aventure intellectuelle et humaine !





Et voici un petit papier (électronique) d’autonarcissisme égotique : mon blog a été lu par son millionième visiteur unique dans la journée du vendredi 2 juillet 2021 (je n’ai pas l’heure, désolé pour cette imprécision !). Un million de visiteurs uniques, c’est à la fois beaucoup (merci à tous les lecteurs) et ridiculement bas si on fait quelques comparaisons. Mais néanmoins, c’est pas mal, comme on pourrait dire par chez moi (je suis d’origine lorraine). 1 000 008 visiteurs uniques et 1 625 389 pages vues au 2 juillet 2021. Attention à la notion de visiteurs uniques, cela ne veut certainement pas dire qu’un million de personnes différentes sont venues sur ce blog, certains y reviennent.

Ce n’est pas beaucoup si on compare à l’extérieur, à d’autres, et ce n’est pas beaucoup parce que cela fait déjà longtemps que j’ai ouvert ce blog, plus de quatorze ans (deux septennats ou trois quinquennats) à l’occasion de la campagne de l’élection présidentielle de 2007. J’avais découvert ce nouveau moyen d’expression à cette occasion, même si j’avais déjà une longue expérience éditoriale, dans le cadre étudiant, politique et associatif.

Même à un petit niveau, la fréquentation du mon blog m’a donné des indications précieuses sur l’évolution du monde, ou plutôt, de la France (puisque le blog est francophone), un bruit de fond même étonnant. J’ai pu comprendre, par exemple, la victoire future de certains candidats à l’élection présidentielle rien que parce que ceux-ci bénéficiaient d’une nettement meilleure audience que d’autres lorsque j’écrivais sur eux ou lorsque je rendais accessible leur programme.

J’ai eu aussi une augmentation inédite de fréquentation générale lors du premier confinement (lors des autres confinements, les "gens" ont continué à travailler), et depuis le début du dernier déconfinement, au contraire, j’ai eu une forte baisse de fréquentation qui m’a paru parallèle à la très faible participation aux dernières élections des 20 et 27 juin 2021 : à ce début d’été, mes contemporains ont d’autres choses à faire, ils ont l’urgence de se détendre et de profiter des beaux jours (avant peut-être une quatrième vague ?).

Bref, ce blog a un fréquentation qui suit l’air du temps dans la manière dont il s’insère dans cette mégasphère du Web et plus généralement du monde réel. Beaucoup d’articles sont lus aussi hors du temps, comme s’ils étaient des éléments de cours, sans rapport avec l’actualité. J’ai même reçu des demandes d’adolescents (collégiens ou lycéens) me demandant de faire moi-même leurs exposés !

À ce jour, 6 436 publications sont sorties, mais ce ne sont pas seulement des articles, aussi des documents que l’on peut télécharger ou lire directement, car il m’a semblé qu’il est essentiel d’avoir accès aux documents originels et pas seulement à l’interprétation parfois erronée ou incomplète, souvent biaisée, de différents intermédiaires (le sens du mot médias). La grande joie de l’Internet, c’est d’avoir accès (gratuitement souvent) à tous les documents possibles et inimaginables et ne réfléchir que sur des informations prémâchées et préfabriquées m’a toujours laissé un goût amer quand un océan de documentation se dresse devant moi. Il faut toujours revenir aux fondamentaux et pas se baser aux bouche-à-oreille planétaires.

C’était déjà le cas avant Internet mais il faut bien avouer que la constante de temps n’était pas la même : demander un rapport parlementaire était long, parfois coûteux (si on ne frappait pas à la bonne porte), et il fallait savoir qu’il existait, alors que maintenant, en deux minutes, je récupère les mille pages d’un rapport dont je n’avais pas connaissance la minute d’avant sur un sujet quelconque. C’est aussi un peu le but de ce blog, donner les documents pour réfléchir par soi-même, en dehors des commentaires que les prétendus spécialistes feraient. Heureusement, sur Internet, il y a aussi de "vrais" spécialistes, des avocats, des médecins, des scientifiques, des collaborateurs parlementaires, etc. dont l’avis ou le témoignage offrent de précieux outils de compréhension du monde.

Dans l’idée des philosophes des Lumières, des révolutionnaires de 1789 et des républicains de 1870, la démocratie ne peut être servie que par des citoyens éclairés qui voteraient en connaissance de cause. La complexification de la réalité et des enjeux est un réel problème pour voter le plus honnêtement possible dans l’intérêt général car on ne peut pas tout savoir, on ne peut pas tous être à la fois avocat, médecin, physicien du nucléaire, chimiste de l’agroalimentaire, ingénieur automobile, etc.

Pour l’anecdote, la journée qui a reçu le plus de lectures sur mon blog a été le 17 mai 2011 avec 15 372 pages vues ! C’était dans la fièvre de l’affaire DSK au Sofitel… Et le mois le plus lu fut juin 2007 avec 89 964 pages vues (victoire de Nicolas Sarkozy et élections législatives qui ont suivi).

Mes motivations ? Le besoin irrésistible de dire mon grain de sel sur les choses qui m’entourent, les personnes, les idées, les faits, les actes, les événements… et puis cet agacement diffus et récurrent sur toutes les inepties que je peux entendre ou lire ici ou là (et la crise sanitaire a apporté son flot d’inepties). Des négligences, des incompétences, de la mauvaise foi, et puis, phénomène nouveau, des volontés conscientes et délibérées de dire n’importe quoi pour des motivations parfois qui m’échappent…

Je n’ai aucune vocation de donneur de leçon ni de redresseur de tort, encore moins de Don Quichotte qui foncerait sur les moulins à vent de la désinformation ambiante, mais j’aime la rigueur et l’honnêteté intellectuelles et même si je fais moi-même des erreurs (j’ai parfois honte quand je me relis), j’essaie toutefois d’en faire le moins possible et de désamorcer des erreurs qu’on entend régulièrement dans les espaces médiatiques supposés les mieux informés.

Pour lire tous les articles de fond, vous pouvez prendre ce lien-ci :

https://www.over-blog.com/community/actupolitique

Alors, évidemment, n’hésitez pas à intervenir ici ou là, pour commenter, compléter, rectifier, et vous pouvez aussi me contacter à ce lien :

https://rakotoarison.over-blog.com/pages/Contacter_lauteur-1329653.html

Pour finir, donc, merci de votre fidélité !



« Seul est éternel le devoir envers l'être humain comme tel. »
Citation de la philosophe Simone Weil tirée de son livre "L'Enracinement" (éd. Gallimard) publié après sa mort, en 1949.


« La contestation peut être vive, le jugement sévère, mais à condition de se tenir à un certain niveau intellectuel et moral qui n'en rend que plus percutants la contestation et le jugement. » (Étienne Borne)


« L'homme n'est rien en lui-même. Il n'est qu'une chance infinie. Mais il est le responsable infini de cette chance. » (Albert Camus, "Carnets II", 1942-1951)


« En général, il est de droit naturel de se servir de sa plume comme de sa langue, à ses périls, risques et fortune. Je connais beaucoup de livres qui ont ennuyé, je n’en connais point qui aient fait de mal réel. (…) Mais paraît-il parmi vous quelque livre nouveau dont les idées choquent un peu les vôtres (supposé que vous ayez des idées), ou dont l’auteur soit d’un parti contraire à votre faction, ou, qui pis est, dont l’auteur ne soit d’aucun parti : alors vous criez au feu ; c’est un bruit, un scandale, un vacarme universel dans votre petit coin de terre. (…) Un livre vous déplaît-il, réfutez-le ; vous ennuie-t-il, ne le lisez pas. » (Voltaire, "Questions sur l’Encyclopédie", 1772)


« Marcher de long en large dans une église romane, belle, assez grande, Saint-Philibert de Tournus par exemple, ou dans une église gothique, Chartres, Reims, Bourges, ou baroque, comme la Wieskirche, et ne penser à rien, rien du tout, laisser le regard errer, laisser la pierre chanter, laisser le lieu dire et s’en aller, au bout d’un temps, sans aucune hâte. » (Maurice Bellet, 1993)


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 juillet 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Mon premier million !
Ruptures (7 février 2017).
Blog mis en abyme (7 février 2012).
Les aboyeurs citoyens de l’Internet (25 mars 2009).
Les corbeaux citoyens de l’Internet (19 septembre 2008).
Il y aura bien rupture (7 février 2007).
L’éclatement attendu de l’UMP (1er avril 2008).
L’inexactitude de Nicolas Sarkozy (7 février 2009).






https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210702-blog.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/06/25/39030072.html


 

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5 juin 2021 6 05 /06 /juin /2021 03:23

« La mort, cependant, finit par s’imposer, l’armure moléculaire se fendille, le processus de désagrégation reprend son cours. » (Michel Houellebecq, "Sérotonine", 4 janvier 2019).




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Cela faisait des mois, et même, des années que j’imaginais la conclusion. La triste conclusion. Que cette conclusion m’obsédait. Me triturait le cerveau. Me malaxait l’âme. Parfois m’empêchait de dormir et j’ai pourtant un excellent sommeil (va savoir pourquoi). C'était comme si j'attendais l'inattendu.

Dans l’absolu, en théorie, on vit toujours avec cette idée, on vit toujours avec la connaissance intime de sa mortalité et de celle de ses proches. On peut même dire qu’elle est dans les gènes humains, dans la gêne humaine. On peut même être soulagé de cette mortalité. Comment imaginer un monde d’immortels ? Imaginer de voir ces milliards d’êtres humains, il me semble, je ne sais plus où je l’ai lu, qu’il y a eu en tout quelques dizaines de milliards de vies humaines apparues, nées sur Terre depuis le début de l’humanité (à définir). De toute façon, c’est assez simple, nous n’étions pas trop nombreux jusqu’à il y a un ou deux siècles, quelques centaines de millions. Ce décompte sans prendre en compte les éventuels cas de réincarnation (auquel cas, faudrait-il compter double ou triple une âme qui a plusieurs vies ?).

Après cette constatation que l’enfant arrive souvent à atteindre de lui-même, par l’observation du monde ambiant, ou un deuil dans le cercle restreint, certains peuvent croire ou ne pas croire, et quand on croit, on croit un peu à sa religion personnelle, architecturée ou pas par une "grande religion", mais finalement, on voit bien, à l’instar d’un François Mitterrand, athée mais "une messe est possible" (à son enterrement), chacun, aujourd’hui, dans le prêt-à-penser, peut prendre une religion avec ou sans quelques options, et il y en a même qui prennent seulement les options sans la religion elle-même. Tout est possible.

Cette connaissance intime de sa finitude, je viens de l’écrire, peut soulager. Les égalitaristes sont ravis de savoir que la mort tombe sur tout le monde, sans distinction de classe sociale, sexe, ethnie, etc. Un dicton célèbre dit que la chemise d’un mort n’a pas de poche. Ma grand-tante disait régulièrement, dans sa sagesse tellement émouvante, qu’on n’emporte rien dans la tombe. À quoi bon être riche ? Certes, il faut pouvoir vivre, mais il y a un seuil à partir duquel cela n’a plus de sens, sinon dans la redistribution personnelle (quoi qu'en disent les complotistes de canapé, que Bill Gates décide de dépenser sa fortune dans une fondation pour sauver des vies humaines en aidant massivement dans la lutte contre certaines maladies, là où les États ont failli, non seulement cela me convient mais apporte une certaine moralité à l’argent que certains pensent sale par essence).

L’autre égalité, c’est que la mort affecte tout le monde, touche tout le monde, les autres, soi. C’est une chose certaine, absolument certaine, je mourrai. Vous mourrez. J’ai toujours de l’émotion quand je regarde un vieux film, un film des années 1930 par exemple, avec une foule. Je sais, sauf s’il y avait un bébé, que tous ces figurants, tous ces acteurs, toute cette animation, cette joie, cette colère, etc. tout cela est passé, tout le monde est mort, repose dans un cimetière ou ailleurs… Carnage. Naturel. La seule chose qui compte, finalement, c’est la chronologie, ou plutôt, c’est l’ordre de passage. Il y a un ordre naturel (les plus âgés partent avant les plus jeunes, les parents avant les enfants, etc.) mais il n’est pas toujours bien suivi. Il y a la maladie, l’accident, le crime…

Mourir tard, c’est nécessairement connaître plus de deuils que ceux qui meurent tôt. On peut bien sûr prendre l’option de la misanthropie : on n’aime plus personne et l’on n’est plus affecté par les départs intempestifs de cette Terre. C’est une option mais elle n’est pas plus vivable que ceux qui aiment et sont ensuite désespérés.

On le dit souvent avec les animaux domestiques, les chats ou les chiens. On est affecté par le départ d’un chat (c’est d’autant plus éprouvant qu’on n’est pas bien sûr que c’est politiquement correct d’évoquer son chagrin pour la perte d’un chat quand il y a autant de détresse humaine autour de soi), et puis on se dit, je n’en reprends plus, c’est trop triste. Mais avec cette logique, il ne faut pas faire d’enfants, il ne faut pas avoir de conjoint, il ne faut même pas connaître ses parents… Et puis, les amoureux des chats replongeront, nécessairement. Et seront encore tristes car les espérances de vie ne sont pas les mêmes, et d’ailleurs, c’est souvent encore plus triste quand le propriétaire du chat meurt avant lui.

Je m’égare. Il ne faut pas me laisser divaguer, je divague rapidement, loin, parfois avec un point de non retour. Ce point de non retour, c’est ce que Jankélévitch appelait l’irréversible. L’impossibilité de faire marche arrière. Et je dois dire que cela m’effraie encore plus que la mort elle-même. Par exemple, cette évolution inéluctable vers la mort. Oui, chaque seconde qui passe m’y conduit aussi, évidemment, comme le veut la formule omnes vulnerant ultima necat, mais il est des marches temporelles qui ne sont pas linéaires mais exponentielles. On ne le dit pas, les médecins ne le disent pas, mais on peut le sentir, le pressentir, tout le monde, l’entourage, soi-même.

On peut le savoir et faire comme si on ne le savait pas. D’ailleurs, c’est ce que tout le monde fait, ou pratiquement, à moins d’en devenir névrosé voire psychopathe : la connaissance intime de sa mortalité est un petit morceau d’humanité qu’on tente de bien cacher dans son placard des affaires non traitées. On sait bien qu’il y a les affaires importantes à traiter et les affaires urgentes à traiter. Et comble de la stupidité, on préfère traiter des affaires urgentes sans importance à traiter des affaires importantes moins urgentes. La mort, c’est une affaire pas urgente (on n’est pas pressé, on croit que ce n’est pas urgent). Sauf quand il y a quelques signes avant-coureurs, bien sûr. Cela peut donner de la sérénité, comme le montre avec une dignité incroyable le professeur Axel Kahn. Ou un certain détachement, que l’on peut, je pense, je l’espère, gagner avec l’âge ou l’évolution d’une maladie.

L’humain est souvent un dur à cuire. J’ai vu aussi que le chat était un dur à cuire, et plus généralement, la vie est une dure à cuire. On ne s’extrait pas du monde des vivants innocemment, impunément, sans lutte, sans combat. Même au dernier quart d’heure. Même avec détachement et sérénité.

J’habitais loin. Environ quatre cents kilomètres. Une demi-journée pour y aller. C’est beaucoup maintenant. Avant, ce n’était rien, je prenais sur mes nuits. Mais maintenant, il faut bien dormir un peu. Chaque fois que je venais le voir, j’étais inquiet. C’était très étrange. Serait-ce de la grâce ? Je ne sais pas, je ne pense pas. Mais la réalité, c’était que chaque fois que je repartais, j’étais comme regonflé, comme rassuré. Oui, il était vivant et bien vivant. En mauvais état, oui, incontestablement, et un état pas stationnaire, évolutif, c’était pire, mais il était là.

Une maladie particulièrement merdique. Désolé pour le mot, je m’aperçois que depuis la pandémie de covid-19, j’emploie des mots que mon éducation et ma culture m’interdisaient jusque-là d’employer …du moins, publiquement, dirons-nous ! Saloperie pour le coronavirus, une vraie merde pour la maladie associée, le covid-19 (que je persiste à mettre au masculin, on ne va pas vouloir défendre un féminisme sémantique par ailleurs stupide et mettre au féminin le premier fléau mondial venu ! les ouragans ont déjà donné et heureusement, maintenant, on alterne les genres).

Oui, une maladie merdique. Une maladie qui ne s’annonce même pas. Ce n’est pas comme : un problème, on fait des analyses, on fait des analyses complémentaires, on fait le diagnostic, ou plutôt, on donne le verdict comme un couperet et l’on se démerde (bigre, je me lâche dans mon vocabulaire). C’est plus sournois, c’est plus diffus. Elle ne s’annonce pas, elle ne dit pas son nom et d’ailleurs, a-t-elle vraiment un nom, y en a-t-il plusieurs ? elle a plutôt un ou des syndromes, c’est plus vague.

C’est une maladie neurodégénérative. C’est infect comme maladie. Elle surprend, elle apparaît là où on ne l’attend pas. On a mis bien longtemps à comprendre que c’était une maladie. C’est peut-être le mal de ce nouveau siècle, parce que l’espérance de vie et les progrès de la médecine font apparaître des maladies que les humains n’avaient pas le temps d’appréhender avant. Ce n’est ni Parkinson ni Alzheimer. Deux mots, deux gros mots qui font peur et qui ont raison de faire peur. Mais non, ce n’étaient pas elles. Il y en a des milliers d’autres.

La raison ? L’hérédité ? Peut-être. L’alcool ? Peut-être. Le tabac ? Les médecins l’ont dit mais serait-ce pour donner un argument pour arrêter de fumer, car quand il y a une maladie, autant éviter qu’il y en ait d’autres (oui, je sais, autant que je meurs de quelque chose, et là où j’en suis, qu’est-ce que je risque ? ai-je entendu des dizaines de fois dans des circonstances diverses). Toujours est-il qu’en remontant dans la mémoire, oui, cela a donné la motivation pour arrêter. Et quand on est hospitalisé plusieurs mois, de toute façon, on n’a pas le choix et l’on est sevré (il paraît que ce sont les premiers mois qui sont les plus difficiles, je dis cela, mais je n’ai jamais arrêté de fumer, je ne suis pas fumeur, je ne fais que compatir).

Le premier vrai signal, c’était sept ans trois quarts auparavant. Un mal au ventre qui s’est terminé à l’hôpital avec septicémie. Entré en août (il se trouvait alors momentanément seul), il en est ressorti en novembre. Seulement après sa sortie, les médecins ont avoué qu’ils avaient failli le perdre (c’est moi qui formule). Je savais que c’était plutôt grave, mais pas que le boulet était passé si près. On parlait de nécrose de l’intestin, ou un truc comme cela. Là encore, c’est moi qui formule et je m’étais interdit de rechercher plus sur Internet.

Et puis, cela a continué. En fait, on ne savait pas très bien que c’était une continuité. C’était juste des "fonctions", ou plutôt, parlons smartphone, des "applications" qui s’effilochaient. Et c’était très voyant, très impressionnant. Par exemple, la main gauche. Tremblante, puis incapable de la commander. Mais le plus impressionnant, évidemment, c’était la parole. Plus aucune capacité à parler. Oui, le langage est une barrière. Pouvoir s’exprimer. Alors, heureusement, il lui restait la main droite (il était droitier), il pouvait écrire de sa délicate et sensible écriture de prof, mais il n’avait pas toujours à disposition une feuille de papier et un crayon… si en fait, à la longue, si.

C’était à ce moment-là que je me disais qu’un très léger TOC, un petit mouvement de la bouche, qu’il avait depuis des dizaines d’années, n’était peut-être pas si anodin que cela. Ce n’était pas le même, mais celui que Jacques Chirac avait à la fin de sa vie était du même genre. L’air de rien mais qui disait en fait déjà tout. D’ailleurs, je ne suis pas dans le secret des dieux et je n’ai pas eu connaissance du dossier médical de Jacques Chirac, je ne veux du reste pas en avoir connaissance car cela ne me regarde pas, mais je subodore que le problème de Jacques Chirac était similaire. De ce que j’en ai vu, uniquement.

Maladie évolutive. Alors, inévitablement, cela s’est propagé à la main droite. Il ne pouvait plus écrire. Il pouvait encore montrer du doigt. Alors son épouse lui a confectionné un petit carton avec un alphabet, des lettres, des chiffres, quelques mots entiers (genre merci) et il pouvait ainsi montrer les mots, les phrases qu’il voulait dire. Parfois, je ne le comprenais pas et il renonçait, c’était trop fatigant alors qu’il ne voulait dire qu’une boutade sans importance. C’est ainsi qu’il s’est enfermé dans un silence où ce qui n’était pas indispensable à dire n’était plus dit (du reste, il n’était pas très bavard avant cela). Trop fatigant. Trop insignifiant. Alors, naturellement, les seules communications se basaient sur ses besoins.

On avait tenté l’ordinateur, avec des logiciels spécifiques, mais c’était trop tard. Il n’a écrit que deux ou trois phrases, mais c’était déjà trop compliqué pour lui. C’est émouvant de les relire, de les revoir, car c’était enregistré dans un logiciel. Il pouvait ainsi l’envoyer à distance. Cela n’a pas duré très longtemps, à peine quelques semaines. La maladie allait plus vite que l’imagination pour la contourner. Pas facile de refaire le monde soi-même. Aucune aide alors. Connue du moins.

Ne plus parler était une chose, ne plus pouvoir manger était une autre qui a apparu assez vite. Il fallait lui donner à manger. Comme un retour à l’enfance. Rien à mâcher. Tout en purée. Il avait le goût. Il a toujours gardé le goût et malgré son état de plus en plus affaibli, de plus en plus dépendant, il gardait des petits moments de bonheur, comme manger ces fraises un peu hachées pour qu’elles pussent passer.

C’est très difficile d’en parler comme cela, froidement. Petit à petit, il ne pouvait plus marcher. Il fallait l’aider pour se déplacer, pour se laver, pour plein d’autres choses que la nature nécessite de faire. Son épouse était à ses côtés. S’est mise à arrêter de travailler (elle avait l’âge de la retraite mais elle voulait faire un peu de rab et finalement, elle a anticipé sa fin d’activité d’un an car c’était trop difficile à assurer).

Il lui a fallu longtemps, plusieurs années, avant de comprendre qu’elle était une conjointe aidante d’une personne dépendante. Elle ne le savait pas car ce n’était pas comme un accident où je perds par exemple l’usage de mes jambes et ma conjointe doit alors m’aider du jour au lendemain à me passer de mes jambes : c’est ponctuel, c’est singulier, une discontinuité et on peut, ne serait-ce que psychologiquement, acter que c’est un handicap, qu’il va falloir de l’aide, de la solidarité nationale aussi. Mais là, c’est différent, c’est une maladie qui chauffe lentement la marmite où la grenouille est plongée, elle ne se rend pas compte qu’elle va être ébouillantée.

Au bout de quelque temps, son épouse découvre qu’il existe toute une série d’aides, dont elle a droit ou pas droit. Dédale des aides sociales. C’est très compliqué, il y a plein de "guichets", mais généralement, c’est auprès du conseil général (maintenant conseil départemental) que la plupart des dossiers sont montées. Cela varie beaucoup d’une ville à l’autre, d’un département à l’autre et quand j’ai entendu Nicolas Sarkozy imaginer ce fameux cinquième pilier de la sécurité sociale, l’aide à la dépendance, évidemment que j’ai applaudi. François Hollande l’a poliment laissé dans le placard des choses non urgentes (mais les gens meurent vite, le savait-ils ?) et je me réjouis que c’est dans les intention de son successeur Emmanuel Macron, même si la crise sanitaire a, encore une fois, comme après la crise de 2008, retardé sa mise en œuvre.

Ainsi avait-elle droit à une infirmière qui puisse le toiletter et à une aide ménagère qui lui fasse les repas et l’aide à manger : « Il y a des moments où la pudeur cède, parce qu’on n’a simplement plus les moyens de la maintenir. » (Houellebecq). Pour son épouse, c’était aussi l’obligation de se conformer aux horaires des aides à domicile, être prête le matin, être là pour les accueillir, etc. En fait, elle a cherché ses aides quand elle ne pouvait plus le porter. Il faut insister, répéter, il existe des aides pour accompagner les personnes dépendantes, même si elles sont très insuffisantes, elles sont encore très peu connues des personnes qui ne sont pas encore confrontées à ce problème majeur.

Dans les statistiques, c’est d’ailleurs terrible : dans 50% des cas, c’est le proche aidant (souvent le conjoint) qui meurt avant la personne dépendante ! Parce que c’est une charge bien trop lourde. Il faut des professionnels. Il en manque. Gisement d’emplois. Mais solidarité nationale. Financements publics. Déficit. Dette. Blablabla.

Petit à petit, son épouse a trouvé une maison médicalisée qui pouvait le prendre en charge temporairement, deux semaines par exemple. C’était très cher, mais cela permettait d’avoir un peu de répit, des "vacances" (psychologiques : réduire la charge mentale) ou de réelles vacances, des déplacements, se changer les idées, continuer ses activités antérieures, etc. Je me souviens d’ailleurs être allé le voir à une époque d’alerte à la gastro ! Il n’y avait pas de masque (ce n’est pas un virus respiratoire), en revanche, il était obligatoire de se laver les mains au gel hydroalcoolique avant et après avoir tourné la poignée d’une porte, appuyé sur un bouton d’ascenseur, etc.

J’étais rassuré de ces précautions et je n’ose imaginer ce qu’il en aurait été en période covid, comme cela aurait été source supplémentaire de stress constant à double titre, éviter les contaminations mais aussi impossibilité de lui rendre visite.

Et puis, lorsqu’il n’était plus capable de marcher, malgré l’installation d’un lit médicalisé (loué il me semble), malgré l’acquisition d’un fauteuil très sophistiqué lui permettant de se déplacer à l’intérieur de son domicile, avec difficulté, il a bien fallu imaginer l’étape suivante, celle d’habiter en permanence dans une maison médicalisée.

Je suis allé le voir une fois à cette maison (parce qu’il n’y est pas resté longtemps), en plein centre-ville, un quartier que j’aimais bien (qui a été complètement transformé depuis quelques années), tenue par des bonnes sœurs charmantes et même aimantes, chaque fois que je les croisais, les rencontrais, je ressentais cet amour de Dieu qui devait les guider toute leur existence. Comme écrivait Michel Houellebecq dans son roman "Sérotonine" : « [Elles] appartiennent au contingent faible et courageux de ces "petites personnes admirables" qui permettent le fonctionnement de la société dans une période globalement inhumaine et merdique. ».

J’en étais très impressionné, moi, le méchant saint Thomas, qui attend plus des preuves concrètes que la grâce. Indubitablement, il était dans de bonnes mains, et c’était rassurant. La priorité à l’humain, l’humain d’abord, ce n’était pas un vulgaire slogan électoral, aussi insipide que les autres, c’était une réalité quotidienne rassurante. J’ai même visité seul dans les couloirs, j’ai ouvert des portes, j’ai un peu fouiné pour voir le genre d’établissement. À l’évidence, ce n’était pas un mouroir. Et comme c’était une institution catholique, ce n’était pas non plus une entreprise qui avait besoin de rentabilité. Ou plutôt, qui était obsédée par la rentabilité.

Ce qui était frappant, c’était son sourire. Quand je le voyais, il ne parlait plus. Mais son silence n’était pas silencieux. Il souriait. Comme si lui avait accepté, mieux que ses proches, les choses. J’ai su plus tard qu’il avait marqué le personnel soignant par ce sourire, une sorte de bonté, celle de vouloir aider ceux qui l’aidaient, un peu une anti-Tatie Danielle du film. Si bien qu’il était très apprécié dans cette maison.

Comme je suis d’un naturel bavard, son silence n’empêchait pas la conversation. Je me souviens de cette dernière fois que je l’ai rencontré. Je me suis retrouvé quelques minutes seul avec lui. Il était dans son fauteuil, moi assis sur le bord de son lit. On devait l’aider pour aller du lit au fauteuil et du fauteuil au lit. La télévision était branchée sur France 3. Il en avait eu marre de devoir demander chaque fois à changer de chaîne. C’était trop compliqué. Communiquer avec le carton alphabet était possible pour ses proches, pas les soignants qui avaient quand même moins de patience et moins de temps, et lui, il ne voulait surtout pas déranger, gêner. Il avait donc choisi une chaîne et je crois qu’il était encore capable d’allumer ou d’éteindre le téléviseur. Le programme de France 3 passait sans le son cette après-midi-là pendant que je lui expliquais ce que j’allais faire. C’était le pont du 8 mai et j’allais aussi profiter d’un autre pont, celui de l’Ascension.

J’irais à l’île de Ré. Je rencontrerais des enfants ânes tellement bidonnants que je trouverais qu’ils sont aussi mignons que des chatons lorsqu’ils sont excités. Je regretterais de ne pas lui avoir envoyé une carte postale directement à sa maison médicalisée mais à son ancien domicile. Le courrier a été évidemment retransmis mais je n’avais pas eu l’idée qu’il la reçût directement à sa nouvelle maison.

Je reviens sur sa maladie. C’est très compliqué à imaginer. Il n’avait pas de problème musculaire. Pas de problème d’os, de rhumatisme. Donc, une canne ne servait à rien, la canne sert à porter ce que les membres ne sont plus capables de porter, mais là n’était pas le problème. Le problème était neurologique. Le nerf moteur ne fonctionnait plus, ou mal, selon les endroits. C’est-à-dire que mécaniquement, il pouvait peut-être encore marcher, encore parler, mais il ne pouvait plus commander le nerf pour le faire. Peut-être, j’espère, qu’on pourra trouver des solutions à ce problème, des solutions technologiques, électriques peut-être.

Chaque fois que je le revoyais, je me rassurais. Il était bien en vie, avec toute sa lucidité, tout son esprit, et même toute sa finesse que je n’avais pas encore vraiment perçue auparavant. J’écris avec émotion, je m’étais dit que je n’écrirais jamais et finalement, même lointain, il le fallait peut-être.

Toujours est-il que les nerfs, progressivement, dégénéraient, ce qui ne pouvait que provoquer de sérieuses inquiétudes. Par exemple, il ne pouvait plus tousser. Cela a l’air ballot, mais quand vous ne toussez plus, que se passe-t-il ? Vous ne pouvez plus rejeter une saleté qui est entrée dans la gorge voire dans le poumon. Un problème très simple et pourtant, qui peut être fatal. Qui a été fatal.

Je pressentais l’horreur à proximité. Mes nuits étaient torturées par cette hypothèse inconcevable : être appelé en pleine nuit pour apprendre la nouvelle. Je n’imaginais pas que ce fût autrement qu’en pleine nuit. Plus je m’écartais de la dernière visite, plus cette angoisse reprenait corps et meublait le cerveau. Jusqu’à la visite suivante où tout se réinitialisait et revenait à zéro. Pour quelques jours.

Après l’île de Ré, un dimanche, je me suis couché très tardivement. Je traînais des pieds pour me coucher. J’ai dormi à peine une heure. Il était deux heures du matin, la sonnerie du téléphone a fouetté le cœur. Palpitations. Je ressentais la terreur du condamné à mort qu’on réveillait à l’aube pour l’exécuter. Je comprenais la suite. À l’appareil, Maman : Papa est mort.


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Sylvain Rakotoarison (05 juin 2021)
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Pour aller plus loin :
Au revoir les enfants.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.
L’abbé Bernard Remy.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Miss Corny.
Sœurs de Saint-Charles.
La chemise du mort n’a pas de poche.
Joyeux drilles.
Aide aux aidants.
Dépendance et science.
Prince sans rire.
Un arrière-goût d'inachevé.
Omnes vulnerant, ultima necat.
Fin de vie, nouvelle donne.
Proust au coin du miroir.
Dépendances.
Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Soins palliatifs.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
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27 août 2020 4 27 /08 /août /2020 03:14

« Il n’y a pas de fatalité extérieure. Mais il y a une fatalité intérieure : vient une minute où l’on se découvre vulnérable ; alors les fautes vous attirent comme un vertige. » (Saint-Exupéry, 1931).



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Il y a un homme qui, depuis deux ans, depuis le 30 août 2018, doit se mordre les doigts d’avoir voulu bien faire : le propriétaire d’une résidence à South Pasadena, dans la proche banlieue de Los Angeles. Sa locataire, elle aurait eu 50 ans le 21 décembre 2018, semblait en pleine crise d’épilepsie.

Le propriétaire s’inquiétait de son état de santé et a appelé la police. Celle-ci est arrivée comme dans une série télévisée. La femme n’était pas "coopérative" et semblait souffrir de troubles d’ordre mental (elle aurait souffert de problèmes alimentaires, d’une addiction aux achats compulsifs, d’une dépression depuis plusieurs années). Elle a discuté pendant une heure et demie avec la police et avec un psychiatre qui avait accompagné la police. Soudain, la femme a sorti un pistolet et l’a pointé vers les policiers. Ces derniers, surpris, ont alors ont tiré par légitime défense, selon le témoignage du lieutenant Joe Mendoza. Elle est morte avant d’arriver à l’hôpital. L’arme n’était qu’un simple pistolet à air comprimé.

Ce tragique drame aurait pu n’être qu’un fait-divers hélas relativement courant mais sans écho médiatique. La première fois que j’étais allé aux États-Unis pour une mission professionnelle, mes collègues m’avaient vivement recommandé de bien écouter les policiers si je me faisais arrêter sur la route au volant d’une voiture et surtout, de montrer mes mains bien sagement, car ils ont la gâchette facile.

Mais l’information a franchi les océans et est sortie en brève internationale jusqu'en France dès lors que cette femme était Vanessa Marquez, une chanteuse et une actrice connue du grand public principalement pour avoir joué le rôle d’une infirmière, Wendy Goldman, aux côtés de George Clooney, dans les vingt-sept premiers épisodes de la très célèbre série télévisée "Urgences" entre le 19 septembre 1994 et e 24 avril 1997 (du 1er épisode de la saison 1 au 19e épisode de la saison 3).

Les dépêches en France ont indiqué très laconiquement que Vanessa Marquez a été "abattue par la police" à Los Angeles, sans préciser plus d’éléments, si ce n’est parfois en indiquant que c’était lors d’un "contrôle", laissant entendre que la police américaine était brutale et inhumaine.

Je serais bien incapable de savoir exactement ce qu’il s’est passé et je pense que la justice, si ce n’est en interne la police, enquête à ce sujet. On peut imaginer qu’une personne qui sort un flingue pourrait s’en servir et que l’urgence, sans "s" cette fois-ci, c’était d’éviter qu’elle ne nuise à ses interlocuteurs. Et les nombreux drames, certains très récents, qui ont endeuillé les États-Unis (quelques jours avant le drame, comme l’attentat dans une salle de jeu vidéo à Jackson le 27 août 2018 faisant deux morts plus son auteur) n’ont pas contribué à faire garder le sang-froid.

Faut-il croire que les forces de l’ordre françaises seraient mieux entraînées que celles des États-Unis à ce sujet ? J’aurais tendance à le croire, même si cela mériterait approfondissement. Pays de cow-boys, où l’arme à feu est aussi chérie que le stylo ou le smartphone maintenant, on pourrait croire que la règle est : on tire d’abord et l’on réfléchit ou l’on discute après (méthode Trump ?). Ce qui n’était pas le cas pour cet accident, puisqu’il y a eu, au contraire, une heure et demie de discussion avant le tir.

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Je voudrais ici évoquer un petit témoignage personnel sur des faits qui m’ont doublement impressionné : d’abord, avec cette crainte d’être touché par ce qu’on appelle un fait-divers, ensuite, avec cette admiration pour la réponse des forces de l’ordre.

L’aventure même pas au bout de la rue. De l’autre côté de la porte. Cela s’est passé …presque chez moi il y a une vingtaine d’années, dans un immeuble dans la banlieue parisienne. Seulement deux appartements par étage. Je ne croisais que peu souvent mon voisin de palier, environ 35 ans (mais je ne suis pas très doué pour deviner les âges), et une fois, il a sonné à ma porte très stressé pour me demander très courtoisement si j’avais des antidépresseurs. Non, je n’en avais pas et si j’en avais eu, je ne suis pas sûr que je lui en aurais fourni sans voir une ordonnance même périmée.

Un jour, je crois que c’était un dimanche midi, ce voisin était devenu "fou". Réellement fou. Une folie courte mais intense. Il criait, jetait tous ses meubles par la fenêtre, etc. Il y avait de la rage, de la violence, de la rancœur et surtout, du désespoir. Or, le désespoir m’a paru toujours très dangereux : quand on n’a rien à perdre (ou que l’on croit qu’on n’a rien à perdre), on peut tout se permettre.

J’étais très impressionné par une telle violence et j’étais aux premières loges. Ce que j’avais compris, c’était qu’il était seul dans son appartement et qu’il criait son désespoir ainsi, à la Terre entière, et de manière suicidaire. J’avais peur, disons-le franchement, car à l’époque, il y avait des échafaudages pour un ravalement de façade, si bien qu’il était facile, pour lui, d’aller par ceux-ci de son appartement au mien, mes vitres étant peu solides.

Je me suis aperçu de la situation (au début, je n’avais pas fait très attention) quand, en regardant par la fenêtre de la cuisine, j’ai aperçu un attroupement, des badauds, des voisins, aussi des policiers et même des ambulanciers, bref, tout le monde qui regardait dans "ma" direction. J’ai pris peur et j’ai appelé la police pour savoir avant tout quel était le problème : un incendie ? une fuite de gaz ?… Mon interlocutrice, au standard, m’a conseillé ensuite de me tenir le plus loin possible de la porte d’entrée et d’attendre, et surtout, de ne pas sortir dans la cage d’escalier et ne pas gêner les forces de l’ordre.

Cela a duré une ou deux heures, je ne me souviens plus. Je craignais le pire pour ce voisin qui avait dû craquer. Je craignais qu’il se jetât du cinquième étage après avoir jeté tous ses meubles par dehors (spectacle de désolation sur le parking). Ce que j’avais compris, c’était que sa femme l’avait quitté et qu’elle avait emmené leur fille et qu’il en était malheureux. On pourrait dire un "simple" chagrin d’amour, mais le cuir n’est pas le même selon les individus. Il demandait le retour de sa femme, et au moins, qu’elle lui parle au téléphone. Un homme qui a disjoncté. Fragile (dépressif) et qui a craqué. Ce qui pourrait survenir à beaucoup de monde, dans une vie urbaine parfois absurde, au sens d’Albert Camus.

J’ai entendu les forces de l’ordre négocier avec l’homme, monter doucement les escaliers pour atteindre notre palier. C’était presque comme dans un film, je ne sais pas si c’était le GIGN mais cela y ressemblait. Des professionnels, bien équipés, très souples, silencieux, agiles, calmes, posés. L’avantage, c’était qu’à l’exception du "forcené", il n’y avait pas d’otage, pas de petite fille retenue en otage et à sauver. Juste un homme, dépassé par sa vie, qui pouvait commettre un acte définitif et qu’il fallait convaincre.

Pendant toute la discussion, j’ai été très impressionné par la finesse psychologique de ces forces de l’ordre. En gros, elles cherchaient, dans leur communication, à convaincre le voisin qu’elles n’étaient pas contre lui mais de son côté, pour le calmer. Parmi les bribes entendues, on lui disait que non, sa vie n’était pas finie, qu’ils n’allaient évidemment pas le tuer (que ce n’était pas une série américaine, justement !), que personne ne lui voulait du mal, et surtout, je crois que c’était l’argument massue, que sa fille avait besoin d’un père, qu’elle serait traumatisée si elle n’avait plus de père, s’il se jetait par la fenêtre.

Il a alors ouvert la porte, et s’est laissé emmener par elles. Probablement plus à l’hôpital ou chez un médecin qu’à la gendarmerie ou au poste de police. Dans le trip qu’il s’était fait, le voisin ne voyait plus d’autre issue qu’assiégé par les forces de l’ordre, il serait forcément tué par elles. Il n’envisageait pas de ressortir de chez lui vivant. La voix, plutôt rassurante, qui parlementait avec lui, a réussi à désamorcer toute cette angoisse, toute cette montagne qui avait surgi comme un volcan.

Le calme, le sérieux et surtout, le sang-froid des forces de l’ordre en France est vraiment à saluer. C’est pourquoi l’affaire Benalla, qui venait d'éclater en juillet 2018, est un scandale qui n’entache pas seulement le fonctionnement de l’Élysée mais aussi la réputation de la police, car justement, la police sait rester calme et ne pas répondre aux provocations de militants excités parfois très violents, car une bavure se retournerait toujours contre la police, quelles que soient les circonstances, et ce serait probablement avec raison. En deux ans de violences, des gilets jaunes aux "supporters" du PSG aux Champs-Élysées, malgré la casse et l'ultraviolence, les forces de l'ordre sont restées calmes et ont gardé leur sang-froid dans la plupart des situations difficiles.

La France est donc loin, très loin des États-Unis de ce point de vue. Mais ce n’est pas une raison pour dire sans plus de mot d’explication que la malheureuse Vanessa Marquez a été "abattue par la police au cours d’un contrôle". La situation était un petit peu plus compliquée, tant pour l’actrice que pour la police…


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Sylvain Rakotoarison (26 août 2020)
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Pour aller plus loin :
Vanessa Marquez.
Micheline Presle.
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Annie Cordy.
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Pierre Bellemare.
Meghan Markle.
Pierre Desproges.
Georges Méliès.
Jeanne Moreau.
Louis de Funès.
Le cinéma parlant.
Charlie Chaplin.

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12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 02:08

« Je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines dont elle est semée. » (Madame de Sévigné, 16 mars 1672).


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C’était il y a juste vingt ans. Je me rappelle bien, j’étais vingt ans plus jeune ! J’avais trinqué avec lui le 1er janvier 2000. L’an 2000, c’était fantastique pour lui. Il avait tenu à aller jusqu’à l’an 2000. Quatre-vingt-onze ans.

C’était au début du mois de décembre que tout avait commencé à dégénérer.  Lorsque j’allais chez eux, cela sentait l’urine séchée. Incontinence. Prostate. Ils étaient tous les deux restés ensemble. Soixante-trois ans et demi, déjà. Ils ne s’étaient pas quittés mais on ne pouvait pas dire qu’ils s’aimaient. C’était même une sorte de guerre larvée sans mot. Une guerre froide. Elle garçon manqué. Lui inconsistant chez lui, peut-être le sentiment de culpabilité, car pas sans reproche sur le plan conjugal, et critiqué pour son égoïsme et son indifférence humaine.

En fait, son plus grand défaut était sans doute l’incapacité à communiquer. Ses sentiments notamment. On ne parle pas. On ne s’émeut pas. Milieu très modeste. Lui était un "immigré". Pas dans le sens d’aujourd’hui. Protestant. De culte protestant. Ou d’origine plutôt, car agnostique ou jmenfoutiste dans la réalité. Suisse de la frontière. Ses parents eux-mêmes étaient des "immigrés". De l’Allemagne, aussi à la frontière. Pas d’études. Pas d’argent. Pas de culture. Adolescent, il ramassait le crottin des chevaux qui passaient. Un autre monde. Travailleur, polyglotte. Il a travaillé dans le transport international et il a fait ce qu’on pourrait dire une brillante carrière, qu’aujourd’hui, on serait bien incapable d’accomplir sans diplôme, sans réseau, sans recommandation… Ce n’était pas la même époque.

Il était quelque peu radin, avait un comportement machiste propre à son temps, jamais violent (et même très doux, jamais je ne l’ai vu en colère, il se réfugiait, il s’enfonçait dans une sorte de mutisme permanent). Ne s’occupait pas beaucoup de ses enfants. Indifférence apparente mais timidité réelle. Pudeur relationnelle probablement.

Moi, j’étais un peu à part. Dès le début de notre relation. Malgré la grande différence d’âge, je pouvais me permettre l’impertinence gentille : lui tirer la langue (qui lui faisait sortir de ses bajoues son grand sourire silencieux), lui balancer des gros mots en allemand (parce qu’en français ou en anglais, cela ne faisait aucun effet ; en allemand, si : "Oh !" avec les sourcils aussi sévères qu’étonnés par cette vulgarité).

Et puis un jour, assis près de moi sur un canapé, il s’est ouvert à moi, à ma grande surprise. Comme il ne l’avait jamais fait à propos de lui. En rangeant quelques affaires, il était tombé sur un vieux carnet à carreaux. Il l’avait apporté pour me le montrer. Il datait de 1928 ou de 1932, je crois. Il avait une vingtaine d’années. C’était avant son mariage. C’était une collection de notes d’hôtel et de restaurant : j’avais devant moi tout l’historique de ses relations affectives de l’époque ! Des coockies conservés bien au chaud, dans un tiroir ! Je le feuilletais tandis que son épouse se tenait de l’autre côté de la pièce, sans se douter de ce que je lisais. La morale était sauve, c’était avant leur mariage. J’étais très touché qu’il me l’ait montré. Lui, un petit sourire satisfait, presque content de ses quatre cents coups préhistoriques, le sourire du pécheur qui a été amnistié par le temps. C’était si loin. Il était observateur depuis longtemps.

Au milieu du mois de janvier, les douleurs ont été telles, sa marche si difficile, qu’il a été hospitalisé aux urgences. Nonagénaire en plein hiver, il traînait sur un lit dans un couloir en plein courant d’air pendant de nombreuses heures. Heureusement, la fille qui habitait dans la même ville a réussi à le faire installer dans une chambre réchauffée. Grève. On l’a transféré dans un centre spécialisé. Mauvais établissement. Quand je discutais avec une infirmière ou une aide-soignante, elle disait qu’il ne faisait aucun effort pour marcher… Quatre-vingt-onze ans et des reproches. Terrible service…

Changement rapide d’établissement. Un dimanche soir au début du mois de février. J’allais le revoir pour la première fois dans son nouvel établissement. Je devais repartir juste après, à Paris. J’allais le voir tous les week-ends, à ces moments-là. Juste avant de trouver sa chambre, dans les locaux sombres et déserts (les visites étaient supposées interdites à cette heure), j’ai croisé l’interne de service. Chance. Il m’a conduit à son bureau pour mieux discuter. Les internes sont moins prudents dans la communication. Et plus factuels. C’est plus simple. Plus glaçant mais plus simple.

J’ai appris l’horreur en une seconde. Sang glacé. Étrangement, malgré tout ce que je pouvais lire ou entendre à droite et à gauche depuis des dizaines d’années, la nouvelle m’a surpris. Je ne l’avais pas imaginée. Généralisé. Métastase. Os. Cela pouvait durer quelques jours, ou quelques mois. Rien à faire. Sinon l’accompagner. Attendre qu’une place se libérât dans un centre de soins palliatifs. Heureusement (ou malheureusement en fait), les places se libéraient assez rapidement…

J’ai eu cette conversation avant de le voir dans sa chambre. Il ne savait pas lui-même. L’interne disait qu’il semblait ne pas vouloir savoir. Je l’ai salué dans sa chambre. Ils étaient deux dans cette chambre. L’autre a été absent une grande partie de la journée. Il était impressionné, il m’a surtout dit que son compagnon de chambre avait beaucoup souffert avec une ponction lombaire. "Oh ! si tu savais comme il a souffert, mon voisin !". J’étais terrifié. Je l’ai regardé sans m’empêcher cet air stupide de pitié et de compassion. De celui qui savait. Il ne parlait pas de lui mais de la souffrance de l’autre. Il ne se plaignait pas. Avait-il mal ? Lui dont beaucoup critiquaient l’indifférence sinon l’égoïsme. Le voici compatissant face à la douleur des autres. Le voici avoir mal pour les autres. Et même pas pour lui.

Il est vrai que l’approche de la mort rend détaché, peut-être même inconsciemment. Inconscient d’être à l’approche de la mort, inconscient d’être détaché. Mécanique très complexe qu’est notre corps. Notre vie, notre conscience, notre âme.

On lui a trouvé assez vite, à la fin du mois de février, une place dans un centre de soins palliatifs. Dans un autre établissement encore. Si ça, ce n’était pas du tourisme hospitalier… Quand je suis allé le voir, quelques jours plus tard, je l’ai trouvé dans son fauteuil, près de la fenêtre, la tête complètement retournée vers l’avant. Il n’avait plus la force de la redresser et il était dans un état de panique complète. Incapable d’appuyer sur le bouton rouge. J’ai couru vers le local des aides-soignantes qui étaient en pause et plaisantaient. Je ne le leur reprochais rien mais il aurait sans doute fallu un peu mieux le surveiller, je n’ai jamais su combien de temps, en minutes, en heures ? il était resté dans cette position angoissante.

Il m’avait à peine reconnu. Les dames le placèrent allongé sur le lit. J’ai doucement pris sa main déjà durcie par la fonte des muscles mais je sentais que cela le gênait. Je suis parti juste en lui souhaitant bonne chance. J’aurais pu lui dire bon voyage, car je voyais bien que l’heure était proche. Mais que voulait dire proche ? Dans ma tête, encore quelques semaines. Pas quelques jours.

Je faisais alors le trajet chaque week-end depuis ces dernières semaines. Mais, la fatigue aidant, épuisé même, j’avais décidé de rester à Paris le week-end suivant. Cela ne servait à rien d’avoir un accident sur la route. J’ai toujours eu la chance d’être un bon dormeur, c’est-à-dire de pouvoir dormir n’importe où et n’importe quand dans n’importe quelles conditions, même les plus pénibles. Mais je n’ai pas réussi à dormir cette nuit du samedi au dimanche. Insomnie. Sa femme avait fait le "nécessaire" le vendredi. Elle était même soulagée d’avoir anticipé. Une idée qui glaçait le sang. Une tête de mort s’invitait à la place de mon sommeil. Je me sentais comme un intrus dans ce lit. Ma place était ailleurs. Levé très tôt, j’ai décidé de finalement reprendre la route. De faire un aller et retour dans la journée. Un pressentiment.

Ce dimanche matin, à la première heure, à l’hôpital, on avait appelé la fille qui habitait la même ville. On lui a dit qu’ils avaient préféré ne pas l’appeler en pleine nuit, car c’était inutile. Autant qu’elle passât sa nuit correctement. Je n’ai pas fait le déplacement ce dimanche-là. Je ne suis venu que trois jours plus tard. Cérémonie. C’était il y a vingt ans. Il n’a pas souffert.


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Sylvain Rakotoarison (12 mars 2020)
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Pour aller plus loin :
Sous le signe du Crabe.
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le plus dur est passé.
Une sacrée résistante !
La chemise du mort n’a pas de poche.
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Omnes vulnerant, ultima necat.
Fin de vie, nouvelle donne.
Proust au coin du miroir.
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Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
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2 février 2018 5 02 /02 /février /2018 03:03

« La plus grande charité envers les morts, c’est de ne pas les tuer une seconde fois en leur prêtant de sublimes attitudes. » (François Mauriac, 1928).


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Triste Noël pour la famille dont, la veille, la mort a saccagé la joie et l’espérance… La maladie est parfois comme un accident ou un attentat, venue d’un ciel bleu azur qui rien n’annonçait, elle s’abat sans crier gare avec une finalité en différé. Cette saleté en forme de crabe qui arrive d’un coup, du jour au lendemain, à une personne en presque pleine forme. Elle ne peut pas être soignée. L’inéluctable est là, sans lendemain. L’indescriptible silence. Les plus proches, un mari, trois enfants, trois petites-filles, encore une mère nonagénaire, deux sœurs… Des ressemblances frappantes.

Ces dernières semaines, la mort a touché beaucoup parmi les proches. C’est à la fois banal et exceptionnel, à la fois ordinaire et singulier, à la fois fréquent et jamais habituel. Le deuil est la chose le plus universellement partagée, sans distinction, pas même d’âge. Il ne s’agit pas ici d’étaler des sentiments de tristesse qui sont réservés au cadre privé, des sentiments évidemment très répandus et aussi vieux que le monde et l’amour, ni de rompre la pudeur des émotions et l’intimité du cercle personnel. Il s’agit juste d’ajouter très modestement des petites pierres de réflexion, par quelques phrases entendues, qui m’ont marqué, par une extraordinaire force de la famille au milieu de son désespoir.

Peu avant la cérémonie, lorsque je suis venu saluer le mari, je l’appelle comme cela ici parce que je ne veux pas en dire plus, il m’a embrassé en lançant : « Le plus dur est passé ! ». Comme un soulagement. Comme pour combattre tous les sentiments de tristesse qui le noyaient. Comme pour surmonter son propre effondrement avec une sagesse nourrie par l’amour. Oui, le plus dur était passé. Quelques minutes plus tard, un ami est venu lire un témoignage : « Elle ne souffre plus. Dérisoire consolation. ».

Oui, le "repose en paix" a pris ici un sens particulier. Pendant quelques semaines, la souffrance était là, palpable, prégnante. Des visites incessantes. C’était comme une condamnation à mort (un peu la situation d’une autre personne), tu apprends que tu as une maladie dont le nom fait lui-même peur. Et moins de deux mois plus tard, tu y es, dans cette boîte.

La maladie parfois laisse un peu de répit, un peu de temps pour se préparer, pour se faire à l’idée, pour se détacher. L’âge avancé aussi aide à s’imaginer le "no future" prochain. Ou à préparer les proches, car soi-même, la sagesse voudrait qu’on soit toujours prêt. La redoutable rapidité a dépassé les pronostics les moins encourageants des médecins. La peur, la tristesse, la colère, le sentiment d’injustice plus que d’abandon, tous ces sentiments qui se succèdent lorsqu’un sort effroyable vient tomber sur un cœur d’amour.

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La cérémonie n’était pas religieuse. Pas question de parler en "son" nom, le "son" reprend la famille qui ne voulait pas être dépossédée de son épouse, de sa mère, de sa grand-mère, de sa fille, de sa sœur, de son amie. Parler de la miséricorde de Dieu, cela l’aurait agacée, la famille. Alors, le préposé aux pompes funèbres a fait office de prêtre. Le maître des cérémonies a officié avec des petits discours de recueillement bien rodés, qui doivent sans doute resservir à chaque occasion, à coups de belles citations de Proust et de George Sand (j'ai proposé Mauriac). Uniquement des témoignages. L’essentiel, quoi. La vie. Le souvenir vivant.

Un peu plus de soixante-cinq ans, elle était là. Pas de signe de croix. Des jets de pétales de rose. Rose, synonyme d’amour. Peut-être aussi de brièveté dans ce passage dans ces lieux.

Heureusement, l’humour n’avait pas quitté l’esprit libre. Au cimetière, les employés des pompes funèbres ont pris congé. Le mari les a remerciés vivement. Mais en insistant : « Merci, mais je ne vous dis pas à bientôt ! ».

Seule assise sur une chaise pliante au milieu des tombes, la vieille dame, débordante de chagrin, voulait aller « jusqu’au bout » de la cérémonie. Tout le monde a maintenant rejoint la salle d'origine pour une petite collation conviviale. Elle peut retrouver un peu de couleurs et son sourire, entourée de visages chaleureux malgré l’œil encore humide. Le plus dur est passé.


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Sylvain Rakotoarison (29 décembre 2017)
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Pour aller plus loin :
Le plus dur est passé.
Une sacrée résistante !
Le cauchemar.
La chemise du mort n’a pas de poche.
Joyeux drilles.
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Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Soins palliatifs.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".

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2 août 2017 3 02 /08 /août /2017 05:45

« Détachement : élément d’une troupe chargé d’une mission particulière (militaire). » (Le Petit Larousse).



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Il y a un côté très altruiste à mourir. On sait qu’on n’est pas seul au monde, et qu’en mourant, on s’exfiltre de ce monde qui continuera à tourner sans soi. Pourtant, mourir est sans doute la chose la plus égocentrique qui soit. Probablement que la clef, c’est le détachement. Se détacher du monde. Progressivement. Et sans doute que c’est le grand âge qui permet un tel détachement. Ou la maladie.

Dans les informations plus ou moins récentes, on peut lire par exemple que Mbath Gotho est mort le 30 avril 2017 dans l’île de Java. Mbath Gotho était un Indonésien qui avait prétendu être né le 31 décembre 1870. Il aurait eu 146 ans à sa mort ! Malgré une attestation du bureau d’état-civil local, rien ne permet vraiment d’être assuré de la réalité de la date de naissance.

Plus certain en revanche, ce fut l’âge de la doyenne de l’humanité à sa mort, le 15 avril 2017. Emma Morano, une ouvrière italienne à la retraite, est partie à 117 ans. elle était née le 29 novembre 1899 d’une mère suisse et d’un père italien, et s’est séparée de son mari violent en 1927, quelques mois après leur mariage. Une jeune sœur est morte centenaire il y a six ans. Elle a vécu sur trois siècles ! Elle était la dernière survivante des personnes nées avant 1900 et doyenne de l’humanité à partir du 12 mai 2016.

Pourquoi ai-je évoqué ces centenaires à l’âge impressionnant ? Peut-être parce que 104 ans, cela m’impressionne déjà. Être né en 1913. Ce n’était pas la personne née le plus tôt que j’ai connue (j’en ai connu plusieurs nées avant 1890 !), mais celle qui a vécu le plus longtemps. J’avais ici déjà évoqué quelques-unes de mes rencontres. Gauthier.

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Je ne le voyais pas très souvent pour des raisons géographiques, mais je le voyais et c’était une chance incroyablement très précieuse. Car il était possible de discuter avec lui malgré ses faiblesses. Il avait conservé toute sa tête, tout son esprit, toute son écoute, tout son humour. Et toute sa mémoire. Il est parti le surlendemain de ses 104 ans. Je voulais le revoir le jour de son anniversaire, un empêchement m’a retardé d’un jour et quand je suis venu le voir, il venait d’être hospitalisé dans la nuit. Trop tard. Je l’ai appris un soir doux sur un pont majestueux d’une capitale européenne. Pas le Pont Charles, celui d’à-côté qui va à l’Opéra puis à la place centrale.

Je ne lui aurais de toute façon pas dit au revoir, ou plutôt, je lui aurais dit au revoir mais pas adieu. On pouvait s’y attendre. Cela faisait au moins vingt ans qu’il s’y attendait. Qu’il s’y préparait. Mais je revenais toujours le voir. En revenant, j’avais toujours un peu peur de trouver une chambre vide. On se croirait immortel dans cette société de surconsommation. Pas lui, il en était bien conscient. Lui, le jeune homme. Il avait une philosophie de "détaché", comme j’évoquais plus haut. Détaché des choses matérielles. Pas détaché des considérations matérielles, car il avait porté une attention très soutenue et encore tardive qu’après lui, ses enfants n’eussent pas de difficultés matérielles, ce qui, dans la situation en question, n’était pas forcément très facile.

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Lui-même, son épouse quand elle était encore là, avaient ce qu’on pourrait appeler un désintérêt à leurs propres intérêts matériels. Ils disaient régulièrement qu’on n’emportait rien dans la tombe. Donc, pas la peine d’amasser pour soi, à la fin, ça ne sert à rien, sauf à se construire un mausolée en or comme on en voit au Père Lachaise.

L’humour, Gauthier en avait toujours à revendre. Lorsqu’il y a deux étés, son épouse avait eu le mauvais goût de lui griller la politesse, après quelques mois de tristesse, il finissait par sourire en disant : elle a toujours voulu faire les choses trop vite !

Le cadeau le plus pétillant, le plus percutant, le plus précieux, ce fut ses souvenirs d’il y a un siècle, lorsqu’il côtoyait les joyeux drilles de l’aviation militaire. Des souvenirs poignants, émouvants. Il n’avait jamais vraiment voulu en parler, ou alors, il les avait enfouis très loin dans sa mémoire, mais à partir d’un certain âge, à partir d’un certain détachement, on en parle. C’est assez impressionnant.

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C’est vrai que la Première Guerre mondiale n’était pas si lointaine chez moi. Mon éducation lorraine remontait les temps récents à la "guerre de 70". Je n’aimais pas qu’on dît "70", je rectifiais toujours "1870" car j’aimais la précision et préférais éviter toute confusion. Quand, enfant, j’avais calculé que mon arrière-grand-mère, avec qui je discutais régulièrement, avait eu 30 ans en 1914, j’étais sonné ! Le vertige des dates. Elle n’avait pas connu 1870, mais de pas beaucoup d’années.

Aujourd’hui, les derniers combattants de la Seconde Guerre mondiale s’en vont. Les survivants des camps de la mort aussi, parmi eux, Simone Veil… Lorsque les témoins disparaissent, il ne reste plus que la transmission à assurer. Transmission entre les générations. Transmission des faits, transmission des valeurs, transmission de l’horreur, transmission des leçons.

Gauthier n’était pas perdu dans son enfance, il revenait à la réalité présente avec un mélange d’amertume, d’agacement et d’incompréhension pour sortir : "ceux qui parlent de la guerre, aujourd’hui, n’ont jamais connu la guerre : ils ne peuvent pas comprendre". La pudeur par l’indicible. L’horreur est une expérience qui se partage rarement.

Sans transmission, pas de leçon. Simone Veil se répétait dans son cauchemar à Auschwitz qu’il fallait unifier l’Europe : « J’y pensais constamment en déportation. Et je ne comprenais pas qu’on n’ait pas tiré la leçon des horreurs de 14-18. ». Sans transmission, pas de leçon tirée. Sans transmission, un perpétuel recyclage de l’horreur. Et c’est avec émotion que je me rends compte maintenant que j’ai un devoir car je suis devenu, parmi des millions d’autres, un modeste dépositaire de la précieuse mémoire de la guerre.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 juillet 2017)
http://www.rakotoarison.eu


NB. Le titre reprend une formule que la femme de Gauthier se plaisait à dire régulièrement pendant les trente dernières années de sa vie, histoire de dire que cela ne servait à rien d'accumuler de la richesse alors qu'on allait mourir, qu'il fallait juste la distribuer ou l'utiliser au bon moment. C'est un dicton populaire évoqué régulièrement dans l'Est de la France (avec un bon sens rural assez rare de nos jours).


Pour aller plus loin :
La chemise du mort n’a pas de poche.
Joyeux drilles.
Aide aux aidants.
Dépendance et science.
Prince sans rire.
Un arrière-goût d'inachevé.
Omnes vulnerant, ultima necat.
Fin de vie, nouvelle donne.
Proust au coin du miroir.
Dépendances.
Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Soins palliatifs.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170312-gauthier-g.html

http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-chemise-du-mort-n-a-pas-de-195355

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13 février 2017 1 13 /02 /février /2017 06:42

« Comme si réellement, on pouvait avoir le temps un jour, comme si l’on gagnait, à l’extrémité de la vie, cette paix bienheureuse que l’on imagine. Mais il n’y a pas de paix. Il n’y a peut-être pas de victoire. » (Saint-Exupéry, dans "Vol de nuit", 1931). Souvenir centenaire. Seconde partie.



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Dans le précédent article, j’ai commencé une conversation avec un ami centenaire. En fait, c’était uniquement lui qui parlait, qui racontait, qui "émotionnait". Ce qui vient est donc la suite et la fin de cette discussion.

Je lui ai demandé s’il pouvait boire de l’alcool dans cette maison médicalisée. Lui m’a répondu qu’il ne buvait jamais d’alcool. Son grand-père (ou son père ?), en revanche, buvait un litre et demi de vin rouge par jour… Nous sommes repartis dans ses souvenirs. Le grand-père avait raté son baccalauréat et il est parti aux États-Unis comme chasseur d’or. Gauthier ne savait pas où, aux États-Unis. Le grand-père est rentré en France avec …une montre en or !

Oui, pour la population civile, il y avait autant de rationnement sous la Première Guerre mondiale que sous la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes bien revenus en 1917. Petit, il adorait le chocolat. Quand il y en avait, tout le monde fonçait vers la boîte de chocolats pour en manger.

Une fois, Gauthier était monté dans un biplan, et il y avait toujours à l’avant une mitrailleuse. Le chasseur lui a dit : « Surtout, n’y touche pas ! Elle est encore chargée ! ». Ces moments chez sa "mémère" avec les pilotes, c’étaient de grands moments de sympathie et d’émotion. Les combats dans les airs, c’était du corps à corps.

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Puis, revenant un peu à notre début de siècle, Gauthier lâcha avec un peu d’angoisse : « Il y en a qui parlent de la guerre. Ils ne savent pas ce que c’est. C’est l’horreur ! ». Il a répété plusieurs fois cette idée en ponctuant ses souvenirs : « C’était incroyable [à l’époque] ! On parle de guerre sans savoir ce que c’était. ». Il y avait une sorte d’inconscience : « On tirait contre l’ennemi, c’était normal, et quand il était mort, on était content. ». Puis, de répéter : « Quelle horreur ! ». Martelant : « Ceux qui ne l’ont pas vécu ne se rendent pas compte. ».

Les femmes pleuraient quand l’un était abattu… Les enfants pleuraient aussi.

Puis, il reparla de sa tante. Sœur Lucie (cette fois-ci), sœur supérieure d’hôpital. Gauthier, enfant, entrait sans frapper dans le bureau et sa tante lui a dit qu’elle était occupée, car elle parlait …au général !

À cette époque, ils habitaient au Champ de Mars, avant d’habiter près de la capitale lorraine. J’étais étonné de l’entendre parler de Paris. Mais il me parla aussi d’une rue Erckman et Chabrian. Tout bien réfléchi, ils devaient habiter en fait à Lunéville. Il y avait aussi un Champ de Mars.

Gauthier habitait parfois chez tante Viviane. Juste après un feu d’artifice, avec un copain, ils avaient retrouvé un résidu de feu de Bengale, mouillé et laissé comme ça. Ils l’ont pris. Ils n’avaient pas d’allumettes. Le copain est allé en chercher chez lui alors que ses parents travaillaient. Et ils l’ont allumé, difficilement car c’était encore mouillé. Ils ont frotté beaucoup d’allumettes, cela a fait un feu de dix centimètres de diamètre ! Gauthier n’a pas vu le feu car il s’était retourné et le copain avait les poils et les cheveux brûlés, la tête toute noire de suie (« comme un nègre ! »). Gauthier a éclaté de rire mais fut sévèrement puni. Considéré comme responsable, il a dû retourner chez ses parents comme sanction. Gauthier en riait encore, allongé sur son lit, les yeux à moitié clos…

À la fin de la Première Guerre mondiale, son père avait racheté un fonds de commerce. Il était à la fois carrossier et maréchal-ferrant. Il avait été classé deuxième à l’école de la maréchaleraie de Metz. Il avait plus de responsabilités que s’occuper seulement des fers à cheval. Il avait aussi à s’occuper des roues des charrettes, et aussi à soigner les chevaux. Il adorait les chevaux. Quand il y avait un problème, le vétérinaire venait faire une piqûre antitétanique au cheval, puis laissait son père le soigner. Le vétérinaire repartait en lui disant : « Mathis, tu te débrouilles ! ». Mathis, c’était le nom de famille. Après les soins, enfant, Gauthier était chargé de ramener les chevaux chez leur propriétaire. Il n’avait pas à savoir l’adresse car le cheval savait où rentrer et parfois, on lui donnait une pièce de vingt-cinq centimes de pourboire.

Les chevaux mettaient eux-mêmes leur sabot sur l’épaule de son père. Le métier a changé avec l’arrivée des automobiles, avec des pneus sur les roues, etc. Parfois, l’avant-train ripait sur la bordure de trottoir.

Ensuite… Gauthier a commencé à parler de la première fois qu’il a rencontré sa future épouse, Angèle. Celle qui fut sa femme pendant plus de soixante-dix-huit ans et qui est partie quelques jours avant son centenaire. Je me suis alors léché les babines, impatient de connaître son histoire d’amour… quand soudain, a déboulé du couloir une aide-soignante avec son plateau repas. Il était déjà dix-huit heures. On a mis cinq minutes pour surélever le haut du lit pour se redresser et pouvoir manger. Soupe, purée, yaourt. En arrivant, je lui avais offert une boîte de chocolat et il m’a dit qu’il saurait défaire tout seul le nœud et ouvrir la boîte...

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Quand l’aide-soignante est repartie, l’hésitation s’installa dans mon esprit sur ce que j’allais faire. Le laisser tranquillement manger et m’éclipser poliment, ou revenir à la charge sur son histoire avec Angèle. La curiosité l’a emporté. Je n’aurais peut-être plus l’occasion d’une telle discussion. Heureusement, après sa purée, Gauthier a repris le fil, à ma demande. Son esprit est resté étonnamment vif et alerte.

Nous sommes revenus vingt ans plus tard, c’est-à-dire, il y a  à peu près quatre-vingts ans… Gauthier était un jeune homme comme les autres. Un dimanche, avec ses copains, ils ont remarqué une magnifique jeune femme, Angèle. Elle habitait dans la même commune. Ils étaient voisins. Le lundi matin suivant, il l’a suivie, elle allait travailler au centre ville de l’agglomération, et Gauthier a réussi à l’apostropher peu avant la cathédrale et lui a dit : « Bonjour, voudriez-vous bien m’accorder un rendez-vous ? ». Avec lui, c’était du direct ! Elle l’a regardé sans rien dire, un peu interloquée, et repartit.

Un peu plus tard, Odette, la jeune sœur d’Angèle, est allée à l’atelier du père de Gauthier sous un faux prétexte, celui d’aiguiser ses ciseaux. En fait, c’était un moyen d’atteindre le jeune homme et lui donner un rendez-vous avec Angèle. Les deux tourtereaux se sont vus alors une fois, sans embrassade bien sûr, car cela ne se faisait pas.

Le père de Gauthier, qui n’allait jamais au café, y est allé cependant ce jour-là pour récompenser ses ouvriers. Il y a rencontré le père Émile Courtemanche, un habitué du bistrot, et lui a raconté qu’il avait vu son fils avec la fille "au" père Truchot. Ce n’était pas de chance. Toute la commune l’a donc su. Gauthier en a été quitte pour une "engueulade". Heureusement, la mère de Gauthier était un peu plus fine. Elle lui a proposé de rencontrer la dulcinée chez eux, au salon, plutôt que dans la rue où ce n’était pas assez discret. Chez eux « pour se lécher tranquillement » ! Il fallait alors qu’ils passassent devant la cuisine où certains mangeaient. Mais cela ne faisait pas les affaires de Gauthier, car il était habitué à prendre beaucoup de premiers rendez-vous, mais sans conséquence : « Quand on commençait une liaison, c’était tout de suite important… ».

Je n’ai pas eu hélas la version d’Angèle, mais la version d’Odette, partie quelques mois avant Angèle, était un peu différente : Gauthier était éperdument amoureux de sa sœur, mais elle ne lui répondait pas favorablement. Il fut persévérant.

Près d’une heure et demi de souvenirs et d’histoires… Je me suis vraiment éclipsé pour le laisser terminer son dîner et se reposer un peu. À quelques semaines de ses 104 ans, je suis resté cependant ébahi par tant de mémoire, tant d’émotion, tant d’humour, tant de tendresse, tant d’esprit de répartie …même s’il n’est plus capable de faire du vélo comme un centenaire désormais célèbre.

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En fouinant un peu sur Internet, j’ai trouvé peu de documents sur les valeureux pilotes de chasse de la Première Guerre mondiale, leur bravoure, leur passion aussi pour l’aéronautique. Des enfants brûlés. J’ai retrouvé notamment le nom de deux de ceux-là, Louis Coudouret et Marcel Coadou. Qu’ils soient ici remerciés, ainsi que leurs copains, pour avoir su défendre avec tant héroïsme et courage la France, et bravo au petit Gauthier, enfant de 4 ans, pour avoir rallumé la petite flamme de leur souvenir, à moi, venu d’un autre siècle !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 février 2017)
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Pour aller plus loin :
Joyeux drilles.
Aide aux aidants.
Dépendance et science.
Prince sans rire.
Un arrière-goût d'inachevé.
Omnes vulnerant, ultima necat.
Fin de vie, nouvelle donne.
Proust au coin du miroir.
Dépendances.
Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Soins palliatifs.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".

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10 février 2017 5 10 /02 /février /2017 06:23

« Comme si réellement, on pouvait avoir le temps un jour, comme si l’on gagnait, à l’extrémité de la vie, cette paix bienheureuse que l’on imagine. Mais il n’y a pas de paix. Il n’y a peut-être pas de victoire. » (Saint-Exupéry, dans "Vol de nuit", 1931). Souvenir centenaire. Première partie.



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Sur le vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines, le 4 janvier 2017, Robert Marchand, un fringant jeune homme de 105 ans (il est né le 26 novembre 1911), a établi un "nouveau" record de vitesse en vélo, dans la catégorie des 105 à 110 ans : il a parcouru 22 547 mètres en une heure. Il ne s’est d’ailleurs pas foulé car il n’avait pas vu le dernier panneau à partir duquel il comptait accélérer.

Il y a trois ans, il avait atteint 26 927 mètres en une heure. Il a donc de la marge pour battre son propre record et l’a même envisagé pour dans deux ans. Mais l’homme est raisonnable et, hilare, pense d’abord qu’il doit déjà atteindre ces deux ans ! Il ne se considère pas comme un champion mais sa manière de bouger, à cet âge exceptionnel, a de quoi épater plus d’un "petit vieux" qui pourrait avoir l’âge d’un… de ses petit-fils !

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Mais refranchissons le seuil du nouvel an de quelques jours, avant de repartir encore bien plus loin, dans un autre siècle…

L’atmosphère était très chaude, environ vingt-trois degrés Celsius, et très sèche. Les lèvres, asséchées, avaient besoin de crème. Dans le lit, le corps paraissait fatigué, épuisé, maigre, les yeux fermés… Puis, les yeux s’ouvraient et souriaient. L’émotion remontait. Remontait vertigineusement le temps. Fortes paroles, d’une petite voix fluette mais commandée par une puissance, un roc.

Deux jours avant Noël 2016, je suis allé visiter Gauthier, dont j’ai déjà évoqué quelques brides de vie. Je ne le vois pas souvent, hélas, pour des raisons très géographiques. Quelques moments dans l’année. Dans quelques semaines, il aura 104 ans. À part Robert Marchand, personne ne peut vraiment imaginer cet âge, pas même lui. Quand il était à 97 ans, 98 ans, 99 ans, il y avait toujours cet horizon du centenaire, pourra-t-il aller jusque-là ? juste une convenance numérique, certes. Son épouse s’est arrêtée quelques jours avant ce mur symbolique. Mais lorsque le mur est déjà franchi ? vers où aller ?

La conversation avec lui est toujours un plaisir. Il a beau être "vieux", et même très "vieux", il s’exprime toujours avec un langage relevé. Pourtant, il n’est pas ce qu’on peut appeler un "intellectuel", mais dans les écoles, on apprenait mieux que maintenant. Par exemple, il a employé des verbes comme "turlupiner" quand il a raconté ses histoires. Je ne sais pas si beaucoup de monde emploie encore aujourd’hui ce genre de mot. Je les aime bien.

À quelques heures de la grande fête, il se souciait de la manière d’honorer son fils qui vient tous les jours le voir, qui lui fait les courses, ses achats, sur ses propres deniers : « Il dépense au bout d’une année un gros budget pour moi ! ». Mais lui, il ne pouvait plus trop faire de cadeau, il ne pouvait pas aller en acheter, sortir tout seul, sans que cela ne fût une véritable opération qui mobiliserait plusieurs personnes.

Puis, un ange passa. Le silence s’installa. La lumière était réduite car les yeux étaient fragiles. Une demi-obscurité. La fatigue, j’ai pensé. Ou l’épuisement. L’absence de sujet de conversation, lui habituellement si bavard. Il se faisait vieux, pourrait-on s’imaginer… Alors, juste pour relancer un peu la conversation, sans beaucoup d’originalité, sans non plus beaucoup d’attente, voyant la fatigue s’installer : « Tu ne trouves pas le temps long ? ».

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Cette question anodine et banale mit le feu aux poudres. L’expression est mal employée, mais c’était comme cela que je ressentais. La question l’a complètement réveillé, lui un peu somnolent après son déjeuner. Il répondit, très présent, très précis : « Non, je suis dans ma jeunesse, dans mon enfance… ».

En entendant cela, je n’imaginais pas que j’allais avoir droit à plus d’une heure d’histoire de France. De la vraie histoire de France, pas celle des livres, celle réellement vécue, avec des vrais témoins que je peux encore toucher. J’écris ces lignes avec une forte émotion. Avec les mains qui tremblent.

J’ai connu mon arrière-grand-mère qui est morte quand j’avais 8 ans. Quand je discutais avec elle, j’avais du mal à réaliser. Elle avait eu 30 ans en 1914. Moi, j’en avais quatre fois moins. J’avais du mal à imaginer que je suis né d’une telle manière, à une telle époque, que je pouvais "toucher du doigt", de la main, que je pouvais embrasser, au sens propre, quasiment trois siècles.

La guerre de 70, 1870, pour un Lorrain, ne m’était pas indifférente. Les chansons revanchardes, le traumatisme de la séparation, l’amputation du département de la Meurthe, et de celui de la Moselle, tout cela me disait quelque chose dès mon plus jeune âge. La Première Guerre mondiale était déjà plus récente. Et puis la Seconde… Si près. Je me souviens d’avoir vu enfant le film "Le jour le plus long". 1944, c’était à la fois lointain mais si présent dans toute la culture populaire, la littérature, le cinéma, le théâtre…

Aujourd’hui, j’ai du mal à réaliser que la Première Guerre mondiale est déjà centenaire. Que la Seconde Guerre mondiale, plus beaucoup de monde ne peut vraiment encore en parler. Si, quelques enfants, quelques adolescents de l’époque, bien sûr. Alors, il faut bien le dire ici, car j’en pleurerai sans doute encore, pouvoir discuter avec des contemporains de la Première Guerre mondiale, avec des témoins vivants, c’est extrêmement émouvant. Je ne suis plus un enfant, j’ai acquis connaissances cérébrales et affectives, j’ai acquis ce qu’on pourrait appeler la maturité. Je ne pouvais pas poser beaucoup de questions à mon arrière-grand-mère. J’étais trop jeune. Juste assoiffé de ce qu’elle pouvait bien me raconter mais sans plus. Impossible de poser des questions, de demander des précisions, d’approfondir certaines phrases, certains souvenirs. Maintenant, oui, je peux mais ils ne sont plus là. Si, il est encore là.

Gauthier avait 4 ans en 1917. Nous sommes partis avec lui en l’année 1917. C’était d’autant plus émouvant que nous allions justement franchir le seuil de l’année 2017. J’ai remonté le temps d’un siècle, emporté dans ses souvenirs. C’était très émouvant, c’est ce que je vais tenter de retranscrire ici. Gauthier a toujours eu la joie de raconter ses histoires. Parfois, bien sûr, il a pu un peu romancer, un peu embellir certains souvenirs, mais ce jour-là, j’étais convaincu que c’était la réalité brut, celle d’un homme qui vivait en 1917, qui avait 4 ans, qui, comme tous les gamins de cet âge, n’était qu’une éponge à émotions.

Ces émotions, je les voyais sur son visage, dans le ton de sa voix, dans le tremblement de ses mains, et même dans les larmes qui naissaient discrètement au creux de ses yeux. Je n’imaginais pas qu’en entrant dans cette chambre banale, au lit médicalisé, surchauffée, moderne, j’allais m’introduire dans une telle machine à remonter le temps.

Il a parlé de sa "mémère", difficile de savoir, mais elle serait plus sa mère que sa grand-mère. Sa mère faisait la "popote" tous les midis aux (très jeunes) pilotes de chasse. Ces soldats de l’air étaient de véritables héros de la Première Guerre mondiale. Ils n’avaient jamais froid aux yeux. Lui, le petit Gauthier, 4 ans, allait sur leurs genoux. Il était un peu leur "mascotte", leur oasis d’humanité. Ils devaient avoir des enfants du même âge. Des jeunes gens. Il montait sur la table sans demander la permission, mais sans doute encouragé par les convives, et il leur chantait la Marseillaise. À 4 ans.

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Gauthier n’était pas en train de se souvenir, il était carrément en train de revivre cette enfance particulière : « Les pilotes de chasse étaient de joyeux drilles, des rigolos ! ». En effet, ils plaisantaient beaucoup au cours de ces déjeuners. Parce que c’était très dur. Leurs femmes avaient peur, mouraient de peur. Du jour au lendemain, parfois, l’un d’eux ne revenait pas pour déjeuner suivant. Il avait été abattu par l’ennemi. Les convives pleuraient.

Lui aussi, Gauthier, il pleurait, par mimétisme émotionnel. Il sentait la désolation. Il demandait candidement au propriétaire des genoux : « Pourquoi tu pleures ? » et tout le monde de pleurer encore plus…  Les femmes aussi. Quand il a raconté cela, il était au bord des larmes, comme à l’époque. Tout son corps tremblait de cette tristesse si lointaine. Ce qui ne l’empêchait pas de retrouver le sourire quand il reparlait des plaisanteries de ces "joyeux drilles".

Le sourire pour raconter aussi les exploits de ces navigateurs du ciel, ou plutôt, ces cascadeurs du ciel : ces pilotes de chasse étaient des acrobates, ils étaient libres dans les airs, libres d’attaquer les avions ennemis (allemands) comme ils le voulaient, ils n’avaient pas de consignes particulières, il fallait tirer sur l’ennemi et éviter de se faire tirer dessus. C’était fou. Ils étaient des artisans avec tous les risques. Ils étaient dans des biplans, parfois, ils se cachaient dans les nuages pour faire une embuscade contre les avions ennemis. Parfois, les ennemis venaient par derrière. Lorsqu’ils abattaient un ennemi, ils ne cherchaient pas à savoir qu’ils l’avaient tué, qu’il était peut-être, lui aussi, le père d’un jeune enfant, et ils se réjouissaient. Mais cela pouvait être dans l’autre sens. Si leur avion était atteint, souvent, il tombait en torche, en flammes…

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Une fois, avec le verglas sur le trottoir, il s’était cassé le nez. Il est resté longtemps à l’hôpital, trois mois…

Puis, soudain, nous avons replongé dans le monde actuel, en fin 2016, il me parla alors des infirmières de sa maison médicalisée. Il y en a une qui lui dit : « On va te faire mal, Gauthier ! ». Mais il n’a pas su où elle avait fait la piqûre tellement elle était douce. Il n’a rien senti. Une autre infirmière, toutefois, était plus brutale. Elle trouvait qu’il ne se retournait pas assez vite.

Je continuerai, dans le prochain article, à raconter cette conversation inoubliable.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 février 2017)
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Pour aller plus loin :
Joyeux drilles.
Aide aux aidants.
Dépendance et science.
Prince sans rire.
Un arrière-goût d'inachevé.
Omnes vulnerant, ultima necat.
Fin de vie, nouvelle donne.
Proust au coin du miroir.
Dépendances.
Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Soins palliatifs.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161223-joyeux-drilles.html

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7 février 2017 2 07 /02 /février /2017 03:27

« Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. » (George Orwell).


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Il y a exactement dix ans, j’ai inauguré mon blog avec un premier article intitulé "Il y aura bien rupture" sur la montée irrésistible de François Bayrou. Il était en train de casser le clivage gauche/droite en imposant une "troisième voie". Enfin, je l’espérais : « Et c’est la bonne surprise de janvier 2007 : l’émergence d’un candidat dont tout le monde moquait la rugosité et la mollesse, François Bayrou. En fait de mollesse, voici un homme qui a des convictions dures comme le roc. Et qui a prouvé que son courage les servait. ». Bon, évidemment, on connaît la suite. Il a fait un bon score le 22 avril 2007, mais insuffisant pour arriver jusqu’au second tour.

François Bayrou n’a pas été élu, mais 2007 a marqué une réelle rupture dans l’histoire institutionnelle des Français. Après la très longue double présidence des septuagénaires François Mitterrand et Jacques Chirac (vingt-six ans de 1981 à 2007), le temps s’est accéléré. Les deux successeurs furent des quinquagénaires incapables de se faire réélire et très rapidement impopulaires.

À cela, trois raisons.

La première correspond à la conjoncture économique internationale particulièrement difficile pour un pays comme la France, difficile à réformer et à adapter aux évolutions du monde, en particulier aux conséquences de la grave crise financière de 2008 et du processus de globalisation du commerce qui, bien que pas nouveau, s’est amplifié ces dernières années.

La deuxième correspond à l’évolution institutionnelle de la Ve République. Ce n’est vraiment qu’à partir de 2007 qu’on a pu voir les effets pervers de l’instauration du quinquennat (je fus parmi les électeurs très peu nombreux, 6,8% des inscrits, qui ont voté "non" au référendum du 24 septembre 2000) et de la concomitance de l’élection présidentielle et des élections législatives, rendait chaque député de la majorité directement dépendant du Président élu, bien plus qu’auparavant, car le député est désormais élu grâce à la dynamique de l’élection présidentielle (ou malgré cette dynamique lorsqu’il est dans l’opposition). La mise en place d’un système de primaire renforce évidemment le poids du temps court, réduisant le temps utile du quinquennat par un rallongement du temps des campagnes (au point qu’on pourrait même envisager supprimer l’élection présidentielle).

Enfin, la troisième raison est l’avancée technologique qui a considérablement bouleversé le rapport entre administrés et administrateurs. Les réseaux sociaux, le Web plus généralement, permettent assez rapidement et même immédiatement, grâce aux smartphones, d’avoir la confirmation d’une information ou son infirmation, au point de démasquer les menteurs parmi les responsables politiques. Cela permet aussi de surréagir, surtout lorsqu’il n’est question que de cent quarante caractères, empêchant le développement de toute idée complexe et nuancée. La présence de caméra ou d’appareil photographique sur les téléphones mobiles rend aussi possible le témoignage en temps réel d’un incident, d’une erreur, d’une maladresse, ou d’un énervement (le plus connu au Salon de l’Agriculture, Nicolas Sarkozy insultant un opposant). Cela signifie que chaque personnalité politique est maintenant surveillée en permanence, et donc, doit rester vigilante à chaque moment de sa vie, même lorsqu’il s’exprime à titre privé.

Aujourd’hui, ce sont deux candidats qui prétendent être anti-système qui seraient en tête dans les sondages. Pourtant, ce sont au contraire des candidats en plein dans le système. Marine Le Pen profite tellement du système politique actuel que la justice la poursuit pour des rémunérations contestées au Parlement Européen. Emmanuel Macron est lui aussi complètement dans le système, faisant partie de l’élite et à l’origine de la politique économique du quinquennat sortant. La rupture de 2017, ce serait peut-être d’en finir avec la bipolarisation et d’en revenir à un système quadripolaire, comme c’était justement le cas en 1981 (RPR, UDF, PS, PCF). Aujourd’hui, ce serait FN, LR, EM et PS.

Mais revenons sur le principe du blog.
J’en ai déjà fait un rapide petit "bilan" il y a cinq ans.

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Pour moi, ce n’était pas nouveau d’écrire avant l'Internet, mais à l’époque, la diffusion était plutôt ciblée car sur un support matériel coûteux. Sur Internet, il y a à la fois un très large écho et en même temps, une absence de ciblage, si bien que tout le monde peut lire, ce qui est très avantageux. J’insiste d’ailleurs sur ce point : tout le monde peut lire, cela signifie aussi que personne n’est obligé de lire, heureusement.

Les rares informations que j’ai eues concernant l’audience du blog n’ont pas beaucoup d’intérêt et sont à mon avis trop égocentrées. Je peux juste remarquer mon étonnement par certaines statistiques. Par exemple, le million de vues a été dépassé depuis longtemps, mais je n’ai pas forcément idée des motivations certainement multiples.

En fait, les informations qui m’ont intéressé concernent plutôt le choix relatif entre tels et tels articles. J’ai appris parfois certains "pics" de "clics" sur des sujets que je n’imaginais pas. Une analyse assez fine pourrait même indiquer certaines tendances de fond que les sondages évaluent avec un léger retard. Par exemple, je pouvais deviner le succès de Benoît Hamon assez tôt en raison de l’intérêt porté à son programme et du désintérêt total des programmes de ses deux concurrents sérieux, que ce soient Manuel Valls ou Arnaud Montebourg.

Quels furent les principaux "pics" de "clics" dont j’ai eu connaissance et dont je me souvienne ?

Il y a eu beaucoup d’attente et d’enthousiasme pendant la campagne électorale de 2007, et étrangement, pas seulement pour l’élection présidentielle en mai 2007 mais aussi pour les élections législatives de juin 2007. Cette attente a pu se traduire assez rapidement par de la déception, logiquement.

Il y a eu ensuite mon poisson d’avril de 2008. J’avais envisagé dans un "papier" qui se voulait sérieux l’éclatement de l’UMP, et je dois dire que j’ai reçu des messages de quelques "collaborateurs" de parlementaires venus me demander inquiets si l’information était vraie, tellement elle était vraisemblable (ce sont ces réactions qui étaient significatives : l’UMP était bien au bord de l’explosion).

Également un article dans lequel j’avais relevé une "inexactitude" du Président Nicolas Sarkozy lors de sa prestation télévisée du 5 février 2009, une inexactitude qui n’avait alors été relevée par aucun média à mon grand étonnement.

L’arrestation rocambolesque de Dominique Strauss-Kahn fut également une autre source d’intérêt. Il faut se rappeler que les médias avaient déjà donné l’Élysée sur un plateau d’argent au directeur général du FMI qu’il était à l’époque. L’intérêt était au moins triple : politique, judiciaire et sexuel. La convergence du people et du populaire.

L’élection présidentielle de 2012 fut nettement moins enthousiaste et passionnelle qu’en 2007. Il est clair que l’élection de François Hollande a été acquise par défaut, pour "dégager" son prédécesseur, mais sans une grande adhésion pour le candidat lui-même.

La campagne de 2017 semble passionner un peu plus qu’en 2012 mais moins qu’en 2007. L’arrivée sur le "marché" de la candidature de nouvelles personnalités non seulement efface les anciennes mais apporte un intérêt nouveau sur l’idée que rien n’est joué d’avance et que tout peut encore évoluer dans un sens ou un autre.

Les candidats qui ont eu beaucoup d’attention sur mon blog correspondent en fait aux candidats qu’on n’attendait pas, que les sondages n’attendaient pas, et ils sont nombreux : d’abord François Fillon qui a nettement mobilisé la curiosité d’Internet, ensuite Benoît Hamon, comme j’ai expliqué plus haut, et enfin Emmanuel Macron, inconnu il y a deux ans et demi.

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Enfin, pour terminer mes "pics", sans être exhaustif, sans forcément avoir beaucoup d’explication, et cela m’a fait un peu plaisir car j’aime beaucoup ce dessinateur, la mort de l’ami Gotlib a tristement mobilisé aussi la petite boule du net pour en savoir un peu plus sur son œuvre graphique. Ce qui est mérité pour l’un des plus grands humoristes contemporains.

L’idée ici n’était donc pas de parler trop de moi, mais de ce que cette décennie 2007-2017 a porté en intérêt dans l’actualité. Curieusement, je n’ai pas senti un intérêt très fou pour ce qu’on appelle le "PenelopeGate" qui n’a pas eu la même attention que l’affaire DSK alors qu’elle était pourtant du même ordre : le candidat favori à l’élection présidentielle serait en passe de ne même plus être candidat.

Je n’évoquerai ici qu'à peine les commentaires suscités, parfois aimables et courtois, d’autres moins respectueux pour rester dans l’euphémisme. Mais qu’importe, chacun a le droit de s’exprimer et si cela devient un exutoire, c’est regrettable mais pas très grave. Certains d’ailleurs nie mon droit à m’exprimer sans se rendre compte qu’ils en profitent pour s’exprimer eux-mêmes. Paille, poutre.

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Je noterai seulement au passage que certaines personnes qui se croient de grands patriotes devraient d’abord apprendre à écrire correctement leur langue si elles tiennent vraiment à leur pays. Je considère que ceux qui massacrent la belle langue française font beaucoup plus de tort à la France que bien des étrangers qui parlent avec un français soutenu car appris de manière classique et qui, par conséquent, défendent nettement mieux que les premiers l’avenir de la France et des Français.

Cela ne m’empêchera d’ailleurs pas de faire moi-même des fautes, soit par inattention soit pour d’autres raisons, car comme tout humain, je suis faillible et j’ai droit à l’erreur, même après relecture (cela ne m’empêche pas d’en frémir quand j’en découvre). J’ai d’ailleurs observé que ce ne sont pas les mêmes parties de mon cerveau qui réagissent lorsque j’écris à la main ou lorsque j’écris avec un clavier et un écran d’ordinateur, où certaines fautes s’infiltrent beaucoup plus facilement (et sournoisement) dans le second cas.

On aurait pu croire d’ailleurs que le développement d’Internet, des messageries électroniques, des réseaux sociaux, des sites participatifs, etc., qui a véritablement assassiné l’envoi des cartes postales souvent laconiques et des longues lettres enflammées (quel dommage !) aurait apporté un renouveau du français écrit. Hélas, il semblerait que ce français écrit soit surtout du français oral retranscrit par écrit, et j’exprime cela sans aller jusqu’à la caricature du langage sms.

Mais qu’importe, l’important, c’est de pouvoir s’exprimer, et si possible, d’être compris par ceux qui prennent le temps de lire. J’en viens donc très naturellement à cette conclusion : la liberté d’expression ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Alors, il ne faut pas hésiter à s’en servir !

L’écrivain britannique Thomas Paine (1737-1809) avait d’ailleurs donné sa propre définition de la liberté d’expression qui me paraît très pertinente : « J’ai toujours vigoureusement défendu le droit de chaque homme à sa propre opinion, aussi différente qu’elle puisse être de la mienne. Celui qui refuse à un autre ce droit se rend lui-même esclave de son opinion présente car il se prive du droit d’en changer. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 février 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Ruptures (7 février 2017).
Blog mis en abyme (7 février 2012).
Les aboyeurs citoyens de l’Internet (25 mars 2009).
Les corbeaux citoyens de l’Internet (19 septembre 2008).
Il y aura bien rupture (7 février 2007).
L’éclatement attendu de l’UMP (1er avril 2008).
L’inexactitude de Nicolas Sarkozy (7 février 2009).

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170207-blog.html

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/ruptures-189405

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/02/07/34899080.html

 

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27 décembre 2016 2 27 /12 /décembre /2016 00:20

« En peinture, on doit éviter le souci d’accomplir un travail trop appliqué et trop fini dans le dessin des formes et la notation des couleurs, comme trop étaler sa technique, la privant ainsi de secret et d’aura. C’est pourquoi il ne faut pas craindre l’inachevé, mais bien plutôt déplorer le trop-achevé. » (Zhang Yanyuan, historien de l’art chinois du IXe siècle).


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Quatre mois. Une "divine douceur" ? Le visage est serein. Détendu. La bouche presque souriante. Non, pas presque. Complètement souriante. Dans son fauteuil comme le Chat de Geluck, après un bon film. Si ce n’était pas l’un des événements les plus tragiques de la vie, ce départ aurait été une sorte de conte enchanté.

Si l’on ne se plaçait que du point de vue de la raison, à savoir, que la question, ce n’est pas si l’on va mourir ou pas, mais c’est comment, dans quelles conditions, cela aurait été presque l’idéal. Parce qu’il avait toujours eu cette frayeur, en regardant ceux qui terminaient en enfer, dans une sorte d’enfer, dans une sorte de piège, de prison, de finir ainsi. Non, il peut être rassuré maintenant. Il ne s’est pas vu partir. Assoupi dans son fauteuil. La mort idéale.

Mais d’un point de vue émotionnelle, c’est évidemment différent. Le revers de la médaille, c’est qu’il est parti tôt. Pas tout jeune, non, mais tôt par rapport aux propres références familiales. Tôt aussi par rapport à l’espérance de vie du pays. Le matin de son anniversaire. Il est parti deux ans après sa mère. Même pas deux ans. Il y a comme un arrière-goût d’inachevé.

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Oui, c’est vrai, dans ces moments-là, il y a toujours un arrière-goût d’inachevé, un parfum furtif de trop grande rapidité. On ne fait que survoler la Terre. On ne s’enracine jamais. Pas le temps. On ne peut pas s’offrir à la fois une mort idéale et sa mûre préparation. Elle te saisit avec surprise, presque sournoisement.

Rien qu’une image sereine. Tu avais la peur de la dépendance. Tu l’as évitée. Tu es parti en grande forme. Pas les bottes aux pieds mais la vie pleine au cœur. À quoi bon décrire, évoquer, se souvenir ?… L’oubli ne fait pas partie des adieux. Les images restent, marquent, avaient marqué avant et resteront marquantes après.

Une R10… une bombe de crème fouettée… une R16… un Amstrad PC512… un tramway mal conçu, très mal conçu pour se croiser dans les virages. Pourtant, élémentaire. Il suffisait de se pencher sur la question en simple amateur. Esprit scientifique… aussi grande sensibilité. Les deux peuvent se cumuler. Forcément. Hémisphère gauche. Hémisphère droit. La raison et l’émotion. La double motivation de toute décision, de toute action, de toute réflexion.

Ne pas chercher à convaincre. Y renoncer même. Constater que tout le monde est c@n, mais à la différence d’autres, reconnaître qu’on est soi-même un c@n ! La bêtise humaine est-elle consciente ou involontaire ? Les deux. Cela dépend. Sans doute. De quoi développer une certaine forme de nihilisme. De misanthropie. Mais impossible ! Car il n’y a pas que la raison, il y a aussi l’émotion. La vie n’est pas qu’observation. Elle est action aussi. Un sourire de bébé suffit à reprendre goût à l’humain. La vie est tellement complexe, nuancée, et surtout ambivalente, contrastée.

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Le mystère tournait autour de lui. J’avais encore beaucoup à apprendre. De sa perspicacité d’observateur. Un observateur. Analyseur. Qui triture les choses en électron libre. Sans préjugé. Sans influence. Sans marketing. Juste penser à partir des fondamentaux. Penser par soi-même. Sans pollution extérieure. Ce n’était pas donné à tout le monde. La sérénité non plus. Même si, à court terme, les larmes l’emporteront sur les sourires. Comme à chaque départ…

« Les larmes comme les sourires allument le visage et l’éclairent, comme si on nous avait donné un visage inachevé, et qu’il ne trouvait sa perfection dans cette vie que dans la violence pure d’une rencontre ou d’une perte. Dans la grande douceur brûlante des larmes ou du sourire. (…) La vérité naît dans le ravinement des larmes ou dans le petit berceau des lèvres, car le sourire donne aux lèvres le dessin d’un tout petit berceau un peu tremblant. » (Christian Bobin, "La Lumière du monde").


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Prince sans rire.
Un arrière-goût d'inachevé.
Omnes vulnerant, ultima necat.
Fin de vie, nouvelle donne.
Proust au coin du miroir.
Dépendances.
Comme dans un mouchoir de poche.
Vivons heureux en attendant la mort !
Une sacrée centenaire.
Résistante du cœur.
Une existence parmi d’autres.
Soins palliatifs.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160828-inacheve.html

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/un-arriere-gout-d-inacheve-184925

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/26/34358286.html


 

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