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1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 04:54

« L’Union s’est engagée, dans le cadre de son objectif "Vision zéro", à ce qu’il n’y ait plus aucun décès lié à la circulation d’ici 2050, comme le rappelle la stratégie de 2020 pour une mobilité durable et intelligente. » (Texte de la résolution législative du Parlement Européen P9_TA(2024)0095 du 28 février 2024).





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Georges Pompidou avait lâché, venu du cœur : « Arrêtez d'emmerder les Français ! » qui l'avait rendu assez populaire. Je serais tenté d'aller plus loin, au risque de la démagogie : « Arrêtez d'emmerder les Européens ! ». Le thème du jour : le permis de conduire. Et la question du jour : sa validité doit-il être renouvelée régulièrement par un certificat médical ? L'enjeu du jour : réduire les accidents dont la cause est le vieillissement des personnes âgées. J'avais déjà abordé ce sujet (important) en avril 2023.

On dit que la bureaucratie européenne est imbitable, c'est déjà un peu vrai pour s'y retrouver dans les travaux du Parlement Européen. Le fonctionnement même des institutions européennes (simplement répondre à la question : qui fait quoi ?) est très peu connu des Européens eux-mêmes et j'espère que la campagne des élections européennes qui s'ouvre (du moins en France, maintenant, toutes les têtes de listes sont connues) sera l'occasion d'explications pédagogiques sur l'Europe à côté des propos démagogiques qu'on ne pourra évidemment pas empêcher de dire.

Ce mercredi 28 février 2024, la "résolution législative du Parlement Européen P9_TA(2024)0095 du 28 février 2024 sur la proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative au permis de conduire, modifiant la directive (UE) 2022/2561 du Parlement Européen et du Conseil et le règlement (UE) 2018/1724 du Parlement Européen et du Conseil et abrogeant la directive 2006/126/CE du Parlement Européen et du Conseil et le règlement (UE) nº 383/2012 de la Commission (COM(2023)0127 – C9-0035/2023 – 2023/0053(COD))" (ouf) a été adoptée en séance plénière au Parlement Européen par 339 voix pour, 240 voix contre et 37 abstentions, après une heure de débat général la veille, le 27 février 2024 (on peut suivre ce débat dans la vidéo à la fin de l'article).

Elle donne la position du Parlement Européen sur ce dossier qui sera repris par le prochain Parlement Européen élu le 9 juin 2024. Il s'agit d'une mise à jour de la Directive Permis de conduire que la Commission Européenne voulait compléter. L'une des mesures cruciales était l'instauration d'un contrôle médical obligatoire qui a été finalement supprimée du texte final par les députés européens dans leur grande sagesse.


Il faut rappeler que c'est le Conseil Européen (donc, les chefs d'État et de gouvernement des États membres) qui a le pouvoir de donner des consignes "législatives" à la Commission Européenne et le Parlement Européen peut les refuser (le pouvoir des députés européens a été renforcé par le Traité de Lisbonne, notamment dans la désignation des membres de la Commission Européenne). Il faut imaginer la "directive européenne" comme une loi au niveau européen. Elle doit être ensuite suivie des faits dans le droit national de chaque État membre, ce qui signifie chaque fois une discussion parlementaire nationale sur les dispositions de la directive européenne. Par cette manière, la démocratie est sauve puisque des parlements nationaux peuvent refuser la transposition d'une directive.

Le problème, c'est le nombre de directives européennes, beaucoup trop nombreuses et pas forcément adaptées à l'ensemble des États membres. Cette tentation à la réglementation est probablement une véritable tare de l'Europe, mais trop méconnue pour que les démagogues puissent en faire leur gras ! L'un des principes des pères de l'Europe était le principe de subsidiarité. Mot compliqué pour expliquer qu'il ne faut légiférer qu'au niveau où c'est utile. Bien sûr, sur l'écologie, par exemple, le niveau planétaire est nécessaire sinon, les efforts des uns seraient détruits par le je-m'en-foutisme des autres (d'où les COP, encore plus complexes que les Conseils Européens !).


Pour le permis de conduire, il me paraît peu nécessaire de réglementer de manière européenne, ne serait-ce que parce que les routes, le relief, les usages sont très différents d'un pays à l'autre. Par exemple, la configuration des routes imposent des vitesses limites différentes, les routes plus étroites ont une vitesse maximale autorisée plus faible, ce qui est normal. Et malgré le Brexit, certains pays font encore rouler à gauche (l'Irlande, Malte et Chypre), et c'est leur droit (changer de côté serait une catastrophe psychologique pour les résidents des pays qui changeraient).

Le texte de la résolution commence mal puisqu'il évoque l'objectif du Zéro accident de la circulation pour 2050. Objectif insensé et je ne comprends pas comment on a pu le laisser ainsi. Certes, l'idéal, c'est le Zéro accident, mais la réalité, c'est que c'est "mécaniquement" impossible. Prendre le volant constitue toujours un risque, bien sûr, et l'objectif de Zéro accident, c'est un objectif qui signifie ne prendre aucun risque sur la route, et à cela, il n'y a qu'une seule réponse, interdire de conduire. Les objectifs à Zéro machin, c'est toujours à la limite du totalitaire (l'objectif Zéro artificialisation nette des sols est, lui aussi, louable et idéal, mais reste totalitaire en ce sens qu'il ne tient pas compte des conditions particulières de certains territoires).


Mais dire cela ne signifie pas ne rien faire pour la sécurité routière, et on sait bien que la sécurité routière augmente avec une forte volonté politique, c'était le cas avec Jacques Chaban-Delmas au début des années 1970, avec Michel Rocard au début des années 1990 et avec Jacques Chirac au début des années 2000. Je place expressément ces trois personnalités politique majeures de notre histoire nationale parce qu'une volonté politique efficace ne peut être servie que par des personnalités qui ont une caisse de résonance, un écho médiatique et intellectuel importants.

L'objectif de réduire drastiquement le nombre de morts sur la route doit être un objectif commun à tous les Français comme à tous les Européens. Le nombre de victimes fait que la plupart des citoyens ont pu être touchés de près ou de loin par un accident de la route qui a coûté la vie à un proche. Mais dans la définition d'une politique nationale (ou européenne), il faut avoir conscience que plus on met de sécurité, plus on enlève de liberté. C'est d'ailleurs curieux que l'extrême droite qui s'oppose généralement aux mesures de sécurité routière au nom de la sacro-sainte liberté prône un autre jour des mesures ultrasécuritaires qui mettent en cause nos libertés fondamentales alors qu'il y a beaucoup plus de morts sur la route que d'homicides en France (un rapport de l'ordre de 3 ; autour de 1 000 homicides et plus de 3 000 morts sur la route chaque année en France, et ce rapport était nettement supérieur avant les années 2000 car le nombre d'homicides, même s'il est en légère augmentation, n'a pas fondamentalement changé depuis des décennies).

Les pouvoirs publics doivent donc régler le curseur entre sécurité routière et liberté de circulation, et c'est important de l'avoir en tête (au même titre que sur les sujets écologiques, les zones à faibles émissions sont contraires au principe fondamental de liberté de circulation). Ce curseur doit être manié avec une prudence importante et l'idée générale qui me paraît pertinente, c'est que la mesure qui retire une partie de la liberté de circulation doit entraîner une augmentation efficace de la sécurité routière. C'est le principe de proportionnalité en droit.


Si j'ai beaucoup apprécié les propositions du professeur Claude Got (disparu l'été dernier) en matière de sécurité routière parce qu'il avait une démarche scientifique et rationnelle, je n'allais pas aussi loin que lui qui proposait la limitation à 120 kilomètres par heure sur les autoroutes. Cette mesure n'était pas motivée par une meilleure sécurité routière (il y a peu de morts sur les autoroutes), mais par des considérations écologiques qui sont très louables (on pollue moins à 120 qu'à 130 kilomètres par heure, et aussi, cela coûte moins cher au conducteur), mais qui réduisent la liberté de circulation sans compenser par des gains en vies sauvées équivalents. Or, je considère qu'une démarche attentionnée sur le plan écologique doit être adoptée par la pédagogie et la responsabilité des citoyens et pas par une réglementation qui impose plus qu'elle résout les problèmes.

J'ai toujours été favorable aux mesures efficaces de la sécurité routière, qu'on peut énumérer rapidement (au-delà des progrès de la technique qui, évidemment, jouent aussi leur rôle dans la sécurité) : mise en place de vitesses maximales autorisées en fonction des routes, bouclage de la ceinture de sécurité, permis à points, contrôle technique du véhicule, radar automatique supprimant l'impunité (notamment) sur les excès de vitesse, et la dernière a, elle aussi, été efficace (avec le temps, c'est maintenant prouvé), la réduction de 90 à 80 kilomètres par heure sur les routes à deux fois une voie. Typiquement, cette dernière mesure, portée par le Premier Ministre Édouard Philippe avec détermination et courage, était une mesure qui a enlevé très peu de liberté (conduire 10 kilomètres par heure en moins ne change que de quelques minutes son temps de parcours habituel) tout en renforçant la sécurité routière (plusieurs centaines de vies sauvées).

C'est très différent de vouloir imposer un contrôle médical pour les personnes âgées. Soyons clairs : tout le monde s'est déjà posé, un jour, la question sur la capacité de rouler d'un grand-père, ou autre, particulièrement âgé, qui a perdu un certain nombre de réflexes. Le vieillissement n'est pas agréable ni à voir ni à reconnaître, et surtout, il ne se fait pas de la même manière pour tout le monde. D'ailleurs, beaucoup de personnes âgées, d'elles-mêmes, décident plus ou moins consciemment et volontairement d'arrêter de conduire car elles ne se sentent plus trop en état de le faire. D'autres, évidemment, sont moins lucides, et peuvent être des dangers sur la route (au même titre qu'un conducteur ivre ne reconnaîtra que difficilement qu'il n'est pas en état de conduire).


Dans la réglementation actuelle, en France, les médecins peuvent aller jusqu'à signaler au procureur de la République qu'un patient n'est plus en état de conduire. C'est un cas limite car généralement, le médecin, qui est proche du patient, qu'il connaît bien, va tenter de le dissuader de continuer à conduire le cas échéant. Certains pépins de santé, comme un AVC, mais aussi des opérations chirurgicales particulières, imposent une consultation d'un médecin agréé pour confirmer le permis de conduire (encore que cette mesure a été récemment assouplie). Donc, dans ce domaine, il y a déjà quelques limites médicales, mais elles sont de nature à encadrer le vieillissement, pas à contraindre de façon lourde et pesante.

Le problème, en effet, c'est qu'instituer un contrôle médical sur les personnes âgées (à partir de quel âge est-on une "personne âgée" ?) serait une catastrophe pour certaines personnes et la liberté de circulation serait atteinte avec des gains en vies humaines très faibles, car malgré les apparences, les personnes âgées sont rarement celles qui sont à l'origine des accidents mortels (ce sont bien sûr les jeunes conducteurs de 18 à 25 ans qui en provoquent le plus). Certes, leurs capacités sont limitées, mais leur lucidité est généralement là, en ce sens que les personnes âgées roulent plus lentement, pas partout, sont plus prudentes, etc.

Bien sûr, si la personnes âgées vit à Paris, elle n'a pas de problème pour se déplacer hors automobile. Dans les zones rurales, c'est bien plus difficile, et souvent, interdire de conduire signifie isolement total voire impossibilité même d'acheter ses biens de consommation habituels. Pour un avantage très faible en matière de mortalité routière. Car les principales causes de mortalité routière sont connues depuis longtemps : excès de vitesse, défaut de ceinture de sécurité, utilisation du smartphone et conduite sous stupéfiant ou sous alcool.


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La résolution européenne énonce aussi : « Il convient d'actualiser la cadre actuel pour l'adapter à la nouvelle ère, durable, inclusive, intelligente et résiliente. Celui-ci devrait tenir compte de la nécessité de réduire les émission et la consommation énergétique provenant des transports, notamment par une utilisation accrue de véhicules à énergie de substitution, ainsi que de la numérisation, des tendances démographiques et des évolutions technologies afin de renforcer la compétitivité de l'économie européenne. ». Phrase ultralongue (on a le souffle coupé) qui se trompe d'objectif, qui n'est plus la sécurité routière mais l'écologie et l'économie. Je doute que la numérisation du permis de conduire (téléchargeable depuis quelques jours sur son smartphone) soit un progrès écologique (les centrales des serveurs en ligne sont une catastrophe pour l'environnement) et je suis sûr que ce n'est pas inclusif (tout le monde n'a pas de smartphone), au même titre qu'imposer un contrôle médical va à l'encontre de l'inclusif puisqu'il va exclure des personnes âgées en milieu rural (et pas seulement).

Aujourd'hui, il y a chaque année autour de 20 000 morts sur les routes de l'Union Européennes, c'est beaucoup. La France se situe dans la moyenne. Ce nombre a été réduit de manière énorme en vingt ans : il était de 51 400 en 2001 à 19 800 en 2021, avec surtout une diminution nette pendant la première décennie et une stagnation pendant la décennie suivante (c'était le cas aussi en France avec même une régression lors du quinquennat de François Hollande, complètement désintéressé des questions de sécurité routière). Bien entendu, 20 000 morts est encore beaucoup trop (400 morts par semaine) et il faut encore les faire baisser. On a vu que pour les accidents du travail, on a baissé le nombre de morts en France avec une politique volontariste en responsabilisant les employeurs. Il faut donc surtout responsabiliser les conducteurs plus que les contraindre.

La résolution en question a été portée par la députée européenne écologiste française Karima Delli qui veut « créer un cadre plus solide pour protéger tout le monde contre les accidents ». Heureusement, la résolution n'impose finalement pas de contrôle médical obligatoire à partir d'un certain âge mais propose une auto-évaluation de l'aptitude à conduire. En effet, le communiqué du Parlement Européen explique : « [Les députés européens] ne sont pas favorables à la réduction de la validité des permis de conduire pour les personnes âgées, comme le propose la commission, afin d’éviter les discriminations et de garantir leur droit à la libre circulation et à la participation à la vie économique et sociale. ».


La résolution ne fait donc qu'alerter les pays européens des risques que le vieillissement apportent à la conduite. Le communiqué de presse précise en effet : « Les députés ont accepté que les conducteurs évaluent leur propre aptitude à conduire lors de la délivrance et du renouvellement du permis de conduire, laissant les pays de l'UE décider si l'auto-évaluation doit être remplacée par un examen médical avec un ensemble minimum de contrôles sur la vue et les conditions cardiovasculaires des conducteurs, entre autres. Toutefois, les députés souhaitent que les gouvernements de l'UE déploient davantage d'efforts pour sensibiliser le public aux signaux mentaux et physiques qui peuvent mettre une personne en danger lorsqu'elle conduit. ».

Donc, cette résolution est heureusement plus raisonnable que les propositions antérieures (défendues par les écologistes) qui visaient à limiter bien plus durement la liberté de circulation des personnes âgées. Les mesures de la résolution sont donc beaucoup moins "fortes" mais beaucoup plus réalistes. Elle dit par exemple que les permis de conduire (de véhicule léger) doivent être valables pendant au moins quinze ans, et cinq ans pour les bus et les camions. Sur le plan professionnel, la pénurie de main-d'œuvre (400 000 emplois non pourvus) a au contraire fait assouplir la possibilité de conduire des camions ou des bus de 16 passagers en l'élargissant aux jeunes de 18 ans voire aux jeunes de 17 ans s'ils sont accompagnés d'un conducteur expérimenté.

Dans un trip extrémiste (car il s'agit bien d'extrémisme), Karima Delli s'est parée des quatorze États membres qui ont déjà institué le contrôle médical obligatoire : le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la République tchèque, la Grèce, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande, la Belgique, la Hongrie, la Lituanie (elle n'en a cité que onze), et même à l'extérieur de l'Union Européenne, l'Argentine, la Suisse, etc. pour défendre l'idée d'imposer à tous les États membres ce contrôle médical obligatoire. Karima Delli a justifié cette proposition par un supposé "bon sens" (méfions-nous des supposés bons sens !) : « Nous vous proposons aujourd'hui cette visite qui aura lieu tout au long de la vie parce que notre condition physique évolue et que l'âge n'est pas seulement le seul facteur qui peut altérer la conduite. Voyez les choses comme cela. C'est un geste de bon sens, véritablement un geste simple comme une deuxième ceinture de sécurité. Notre parlement peut envoyer un message historique face à des drames qu'on ne peut qualifier. Je dois vous avouer que dans ma carrière de députée européenne, jamais je n'ai reçu autant de témoignages, jamais je n'ai ressenti autant de souffrance, jamais je n'avais réalisé que n'importe qui d'entre nous, du jour au lendemain, peut avoir un accident grave, une fraction de seconde, basculer dans le camp des victimes. ».

J'ai qualifié le trip des écologistes d'extrémiste car non seulement ils souhaitent l'interdiction de conduire des personnes âgées qui ne passeraient pas favorablement un contrôle médical obligatoire, mais aussi l'interdiction de la conduite accompagnée à 17 ans (qui est une très grande réussite pour la sécurité routière au contraire) et faire adopter un permis spécial pour conduire les SUV sous prétexte que le véhicule serait lourd alors que les voitures électriques sont également très lourdes à cause des batteries électriques (une mesure anti-UV que la mairie de Paris a prise également pour augmenter de manière discriminatoire le prix du stationnement).

En revanche, la Commission ne veut pas d'un contrôle médical obligatoire mais la possibilité du conducteur d'avoir une auto-évaluation : « Pour nous, c'est toujours une alternative viable et proportionnelle. ». Le PPE (centre droit) non plus ne veut pas d'un contrôle médical obligatoire et sa représentante a mis en garde contre les risques électoraux de mesures impopulaires : « Je ne veux pas que des décisions erronées découragent les jeunes en Union Européenne parce que celles-là pourraient ouvrir la porte à ceux qui sont contre la communauté européenne. ».

Au contraire, le groupe S&D (social-démocrate) considère que le contrôle médical obligatoire est indispensable, et son responsable l'a expliqué : « À mon avis, c'est un des points fondamentaux pour garantir un haut niveau de sécurité routière. (…) En tant que législateurs, nous devons toujours faire prévaloir le principe de précaution et garantir les niveaux de sécurité les plus élevés. Je pense par exemple au contrôle de la vue qui est un élément essentiel pour un conducteur. La perte de dioptries peut difficilement être constatée via une auto-certification. C'est pour cette raison que j'espère que demain, la plénière confirmera la position arrêtée au sein de la commission Transports et qu'ainsi qu'un signal soit lancé, un signal historique en fait en faveur d'une plus grande sécurité routière. ». [Attention, ne pas confondre la commission Transports du Parlement Européen et la Commission Européenne qui n'est pas du même avis sur le sujet].

Enfin, le troisième principal groupe politique, Renew (centriste), par la voix de son représentant, le député européen français (du parti radical) Dominique Riquet a déclaré que l'instauration d'un examen médical obligatoire tous les quinze ans lors du renouvellement administratif afin de juger des aptitudes physiques et mentales des conducteurs était « une mesure controversée mais nécessaire ». Cet examen « n'est pas destiné à pénaliser les conducteurs, mais à protéger l'ensemble des usagers de l'espace public ». Pour lui, « il s'agit non pas de s'en prendre à la mobilité mais d'assurer une mobilité sécurisée, comme la ceinture de sécurité qui a fait l'objet des mêmes débats que l'examen médical il y a de cela il y a quarante ans, et que plus personne ne songerait maintenant à reprendre ». La différence, c'est que la ceinture a sauvé énormément de vies et que ce n'était pas une interdiction de conduire, il suffit de boucler sa ceinture de sécurité pour pouvoir retrouver l'autorisation de conduire. Pour lui, il y a également une nécessité urgente à harmoniser les règles du permis de conduire au niveau européen (ce qui n'est pas mon avis, d'autant plus que cette harmonisation va renforcer l'antieuropéanisme primaire).

Dans la discussion parlementaire du 27 février 2024, on s'aperçoit aisément que le contrôle médical obligatoire pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Il est très controversé car il ne donne aucune solution de rechange à ceux que cela toucherait et n'apporte pas une réelle amélioration de la sécurité routière. Heureusement, les députés européens ont retiré cette disposition du texte voté, si bien que les eurosceptiques ne pourront pas utiliser ce texte pour faire de la démagogie à deux balles à l'approche des élections européennes.

Oui, conduire présente un risque et il faut le réduire au maximum, mais vivre présente aussi le risque, celui de mourir, qui adviendra un jour de toute façon. L'approche raisonnable consistait à appuyer toutes les mesures qui pouvaient renforcer efficacement la sécurité routière sans supprimer la liberté de circulation à certaines personnes, ce qui aurait été discriminatoire. Bravo donc au Parlement Européen d'avoir fait preuve de sagesse en repoussant la mesure tout en acceptant l'ensemble de ce texte qui renforce la sécurité routière !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Contrôle médical obligatoire pour le permis de conduire : une erreur de vision ?
Émotion nationale pour Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
Claude Got.
Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
Le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du lundi 17 juillet 2023.
Le refus d'obtempérer est un délit routier.
Faut-il interdire aux insomniaques de conduire ?
Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
L'avenir du périph' parisien en question.
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

 

 

 

 

 

https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240228-permis-de-conduire.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/controle-medical-obligatoire-pour-253387


 



 

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17 juillet 2023 1 17 /07 /juillet /2023 18:05

« On avait un homicide involontaire par conducteur (…). Demain, au lieu de parler d’homicide involontaire, on parlera d’homicide routier : on ne change rien d’autre, on change la dénomination des faits. (…) C’est une reconnaissance des victimes. » (Matignon, le dimanche 16 juillet 2023).




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Pour le gouvernement, la journée du lundi 17 juillet 2023 a été consacrée à la sécurité routière : une visite de la Première Ministre Élisabeth Borne avec le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin et le Ministre de la Santé et de la Prévention François Braun au centre de soins de suite et de réadaptation à Coubert, en Seine-et-Marne, qui accueille des victimes d'accidents de la route, puis, l'après-midi, la tenue à Matignon du Conseil interministériel de la sécurité routière, le premier depuis le 9 janvier 2018 : « L’ambition de ce CISR est de porter des mesures protectrices, équilibrées et adaptées aux quotidiens des millions de Français qui partagent les routes de notre pays. » (Matignon).

En tout, la "feuille de route" (c'est le cas de le dire !) de la Première Ministre adoptée le 17 juillet 2023 comporte sept "axes" et trente-huit mesures, au risque de diluer les importantes dans les moins importantes, autour de trois "maillons" : éducation, prévention et répression. En fait, très globalement, il n'y a aucune mesure révolutionnaire, aucune parmi celles qui ont compté pour réduire nettement la mortalité routière depuis cinquante ans (ceinture obligatoire, permis à points, radars automatiques, limitation à 80 kilomètres par heure, etc.).

Il y a eu 3 260 personnes tuées sur la route en 2022, revenant au niveau de 2019 (après deux années très impactées par la pandémie de covid-19). Cette inquiétante stabilité devrait être, espère-t-on, passagère et les six premiers mois de 2023 semblent repartir à la baisse, même s'il y a des disparités avec une augmentation des victimes à vélo et en trottinette, et aussi géographiquement, avec une hausse dans les outre-mer. La situation des deux-roues motorisés n'est pas non plus meilleure : 2% du trafic routier et près de 25% des morts sur la route (d'où l'importance d'un véritable contrôle technique sur les deux-roues motorisés).

Avant d'évoquer quelques autres mesures notables, prenons la plus importante, celle qui a même bénéficié d'un "teasing" la veille par Matignon, la création du "délit d'homicide routier" à inscrire dans le code pénal ainsi que la notion de "blessures routières" à la place de "blessures involontaires". Lors d'un point de presse, Élisabeth Borne a exposé sa mesure ainsi : « Nous allons créer une qualification spécifique d’homicide routier. Tout conducteur qui tue une personne sur la route, et serait poursuivi aujourd’hui pour homicide involontaire, sera poursuivi demain pour homicide routier. Cette dénomination s’appliquera que le conducteur ait consommé ou non de l’alcool ou des stupéfiants. ».

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En effet, jusqu'à maintenant, les conducteurs responsables d'accidents mortels étaient mis en examen et éventuellement condamnés pour "homicide involontaire" et de nombreuses associations de victimes de violence routière trouvaient insupportable le mot "involontaire" quand le chauffard a pris consciemment le volant malgré l'alcool ou les stupéfiants. C'est donc une avancée sémantique qui a sa valeur symbolique, devenue très pressante après l'accident commis par Pierre Palmade, puis la mort de quatre personnes, dont trois policiers, percutées à Villeneuve-d'Ascq par un chauffard sous emprise de l'alcool et la drogue, mais, pour l'instant, cela ne va pas plus loin.

Et cette mesure fait peut-être l'amalgame entre celui qui prend consciemment sa voiture alors qu'il est imbibé d'alcool ou d'autres substances qui renforcent énormément la probabilité d'un accident mortel, qu'il faut punir sévèrement et si possible avant l'accident, et celui qui, sans alcool, sans drogue, sans vitesse excessive, sans utilisation de smartphone, etc., commet un accident mortel par distraction, négligence, faute d'inattention. Ce dernier est évidemment responsable et doit être sanctionné, mais il n'est pas dans la même catégorie d'intentionnalité.

À l'issue du CISR, le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a ainsi commenté la mesure : « Il n’y a rien d’involontaire à consommer des stupéfiants et de l’alcool, les gens qui sont victimes de cela sont dans un désarroi total lorsqu’on leur annonce que le conducteur sera jugé pour homicide involontaire. (…) L’homicide involontaire, c’est de l’“imprudence”, le pot de fleurs qui se détache de votre balcon et qui vient percuter un voisin et le tue (…). Tuer un gamin quand on est sous l’emprise de l’alcool ou [de] stupéfiants, ça ne peut pas être assimilé à cet homicide involontaire. ».

Certains juristes se sont inquiétés de rendre confus un fondement du droit pénal français, la distinction entre "infraction volontaire" et "infraction involontaire". Ce qu'a rejeté la sénatrice LR Alexandra Borchio-Fontimp, auteure d'une proposition de loi qui introduit justement cette expression "homicide routier", sur Public Sénat : « En droit, chaque mot à un sens. Volontaire, involontaire, routier… ces mots ne veulent pas dire la même chose. Il s’agit de reconnaître que l’acte n’est pas purement accidentel. De par son comportement, le conducteur ne peut ignorer qu’il transforme son véhicule en machine à tuer. ».

D'autres ont critiqué la valeur seulement cosmétique de la mesure. Ainsi, le président de la Ligue contre la violence routière Jean-Yves Lamant a regretté à l'AFP que le gouvernement ne soit pas allé plus loin : « On pensait quand même qu’ils iraient plus loin que le changement sémantique. C’est mieux que rien mais quel est le message ? On voulait surtout des sanctions plus sévères et des mesures d’accompagnement. ».

En effet, les sanctions n'ont pas été revues à la hausse contre les conducteurs responsables d'un accident mortel. Elles sont déjà lourdes (selon l'article L. 221-6-1 du code pénal) : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende « lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité (…) est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur », sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende avec une circonstance aggravante (alcool, stupéfiants, défaut de permis, délit de fuite, vitesse très excessive), et dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsqu'il y a plusieurs circonstances aggravantes.

C'est plutôt l'action des juges qu'il faudrait faire évoluer en sensibilisant la justice sur le caractère très grave de tuer une personne avec sa voiture (jusqu'à très récemment, les auteurs d'homicides routiers étaient très faiblement condamnés, et, pire, au début des années 1970, le fait d'avoir bu de l'alcool était considéré comme une circonstance atténuante et pas aggravante, car cela expliquait, sinon excusait, qu'on conduisît mal !).

Parmi les autres mesures adoptées au CISR du 17 juillet 2023, on peut citer un alourdissement de la sanction des grands excès de vitesse (supérieur à 50 kilomètres par heure), et si l'excès de vitesse est aggravé par l'alcool ou les stupéfiants, le conducteur se verra retirer huit points (au lieu de six), le permis sera systématiquement suspendu, le véhicule systématiquement immobilisé et mis en fourrière. Mais cet alourdissement ne contrebalancera pas l'effet pervers de l'indulgence pour les petits excès de vitesse (moins de 5 kilomètres par heure) annoncée par Gérald Darmanin pour le 1er janvier 2014 qui donne un signal de relâchement dans la politique volontariste du gouvernement.

D'autres mesures anecdotiques ont été prises comme la création d'une attestation scolaire de sécurité routière (sorte de pré-code de la route), des obligations renforcées pour les médecins sur l'aptitude à la conduite, des radars à signal sonore pour sécuriser les agents qui interviennent sur la route, la dématérialisation du permis de conduire (avec une application sur smartphone qui permet de connaître le nombre de points restant) et de la carte verte d'assurance (depuis 2019, il existe un fichier alimenté en temps réel par les compagnies d'assurance qui rend inutile l'affichage de la vignette verte sur le pare-brise et la présentation de la carte verte, cette mesure s'appliquera à partir du 1er avril 2024, et ce n'est pas un poisson), une campagne de sensibilisation à la sécurité routière spécifique à l'outre-mer dont la mortalité routière a empiré, etc.

Intervenant dans les médias à cette occasion, Vincent Julé-Parade, avocat spécialisé dans la défense des victimes de la violence routière, a fait le parallèle entre la voiture en France et l'arme à feu aux États-Unis, ce sont tous les deux des permis de tuer et les gouvernements ont toujours eu peur de prendre des mesures efficaces de protection à cause des pressions. Pour lui : « Malheureusement, cela ne changera pas grand-chose. C’est une opération de communication pour dire que le gouvernement s’intéresse à la sécurité routière et elle intervient surtout en réaction à l’affaire Pierre Palmade (…). Si on veut vraiment faire baisser le nombre de morts sur les routes, il faut oser prendre des mesures impopulaires. ». Par exemple, réduire la vitesse maximale autorisée à 110 kilomètres par heure sur les autoroutes (ce qui serait aussi un bon point pour l'environnement ; mais personnellement, j'y serais opposé), revenir sur l'assouplissement des 80 kilomètres par heure, renoncer à ne pas retirer de point pour les petits excès de vitesse, etc.

Le journal "Le Monde" ne disait pas autre chose dans son éditorial (non signé) du 5 juin 2023 intitulé très clairement "Démagogie automobile contre sécurité routière" : « En matière de sécurité routière et d’environnement aussi, les mauvais choix se traduisent en nombre de morts. Cette vérité, moins largement admise qu’en ce qui concerne la santé, les responsables politiques devraient l’avoir en tête dans un pays, la France, où, chaque année, la route tue plus de 3 000 personnes et en laisse lourdement handicapées plus de 3 000 autres. (…) À l’heure où, à la tête de l’exécutif, on s’inquiète d’un "processus de décivilisation", pourquoi ne pas considérer que le comportement des citoyens dans leurs usages des modes de transport individuels est précisément, par le respect des autres, de la santé et de la vie de chacun, l’un des marqueurs de notre civilité ? ».

Le mot de la conclusion peut revenir à Jean-Yves Lamant qui a lâché amèrement à l'AFP : « Ce n’est pas un recul mais c’est une occasion ratée. Ça n’aura aucun effet dans la réalité des choses. ». Espérons que ce CISR sera suivi d'un autre assez rapidement qui viendra renforcer sur le plan pénal les avancées administratives.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
Le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du lundi 17 juillet 2023.
Le refus d'obtempérer est un délit routier.
Faut-il interdire aux insomniaques de conduire ?
Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
L'avenir du périph' parisien en question.
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230717-homicide-routier.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/creation-du-delit-d-homicide-249403

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/07/16/39975965.html






 

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11 mai 2023 4 11 /05 /mai /2023 05:56

« Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent. » (article R 412-6 du code de la route).



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Dans le code de la route, il n'existe aucune infraction correspondant à un manque de sommeil en conduisant. Et pourtant, la somnolence au volant est la troisième cause de la mortalité routière après la vitesse et l'alcool (et les stupéfiants). Sur le réseau autoroutier, un accident mortel sur trois est causé par la somnolence.

Si la première cause a été réduite, la vitesse grâce à l'impunité zéro provoquée par les radars automatiques, la deuxième cause a été plus difficilement réduite même si le contrôle d'alcoolémie et de stupéfiant est facilement verbalisable grâce à des tests rapides (air expiré et salive) avant une éventuelle prise de sang (et malgré une sanction très sévère).

En revanche, aucune mesure réelle n'a été prise pour empêcher la somnolence au volant, malgré ses conséquences désastreuses pour la conduite. Certes, il existe certains équipements modernes dans les véhicules qui vous auscultent en permanence, en particulier le regard, pour détecter un manque de concentration et un début d'endormissement, mais cela reste des mesures volontaires et coûteuses pour l'automobiliste.

S'il n'y a aucune loi pour empêcher de dormir au volant, c'est tout simplement parce qu'il était impossible, jusqu'à maintenant, de distinguer un conducteur frais et reposé d'un conducteur fatigué et en manque de sommeil. Je veux signifier par là, de distinguer de manière objective et quantitative.

Le site de la Sécurité routière (du gouvernement français) explique d'ailleurs qu'il ne faut pas confondre fatigue et somnolence. La fatigue :
« C’est la difficulté à rester concentré. Ses signes annonciateurs sont le picotement des yeux, le raidissement de la nuque, les douleurs de dos et le regard qui se fixe. Une solution : toutes les deux heures, la pause s’impose ! ». La somnolence est moins simple à "résoudre" : « C’est la difficulté à rester éveillé, avec le risque d’endormissement, quelle que soit la longueur du trajet. Elle se manifeste par des bâillements et des paupières lourdes. En outre, la somnolence entraîne des périodes de "micro-sommeils" (de 1 à 4 secondes) pouvant être extrêmement dangereuses pour la sécurité de tous. La pause alors ne suffit plus, la solution la plus efficace pour restaurer sa vigilance : s’arrêter dans un endroit sécurisé pour se reposer au moins un quart d’heure. ».

Les accidents dus à la somnolence sur des trajets domicile-lieu de travail sont en hausse en raison de l'augmentation de la durée moyenne de ces trajets (éloignement du domicile) qui se fait au détriment du temps de sommeil. Près d'un Français sur deux a reconnu avoir déjà conduit en état de somnolence. C'est donc une donnée importante de la société qui n'est, pour l'instant, pas prise véritablement en compte.

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Les périodes les plus propices à la somnolence sont entre 14 heures et 16 heures (pour la digestion du déjeuner) et la nuit, entre 2 heures et 6 heures du matin. Le mieux pour un trajet long est de ne pas changer ses horaires de lever et d'avoir dormi au moins sept à huit heures dans les vingt-quatre dernière heures. Avoir vécu dix-sept heures de veille de suite équivaut, au volant, à 0,5 gramme d'alcool par litre dans le sang !

Damien Léger, qui préside le conseil scientifique de l'Institut national du sommeil et de la vigilance, rappelle d'ailleurs les conséquences : « Dès les premiers signes de somnolence, le conducteur doit s’arrêter parce que les risques d’avoir un accident dans la demi-heure qui suit sont multipliés par 3 ou 4. Ses réflexes sont altérés et plus il roule vite et plus les conséquences sont graves en cas d’accident. ». Cette dernière phrase est essentielle. Effectivement, ce n'est pas la monotonie de la conduite qui endort (ni une vitesse modérée), mais la conduite rapide : plus on roule vite, plus l'organisme fait un effort de concentration pour tout contrôler (vision, etc.), il doit traiter un grand nombre d'informations en un minimum de temps, ce qui le fatigue beaucoup plus et entraîne la perte de vigilance tant redoutée.

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Une étude scientifique de chercheurs australiens publiée le 4 avril 2023 dans la revue "Nature and Science of Sleep" indique, sur la base de nombreuses données, que conduire après avoir dormi moins de cinq heures dans la nuit présentait les mêmes risques d'accident que d'avoir une alcoolémie au-dessus du seuil légal.

Selon les auteurs de cette étude : « Le risque d'accident semble être environ 30% plus élevée après 6 ou 7 heures de sommeil, par rapport aux personnes bien reposées. Après une nuit de sommeil de 4 ou 5 heures, les performances de conduite diminuent fortement et le risque d'accident est environ deux fois plus élevé que chez les adultes ayant bien dormi. ».

Le quotidien britannique "The Guardian" a publié le 8 mai 2023 un article ("Blood test for sleepy drivers could pave way for prosecutions" par Linda Geddes) qui fait état d'une belle avancée scientifique : on pourra bientôt quantifier le manque de sommeil de l'automobiliste ! Ce qui signifie donc qu'on pourra le verbaliser dès lors qu'il n'aura pas dormi suffisamment longtemps auparavant. Cela risque d'être redoutable et de présenter un changement de paradigme.

L'équipe des chercheurs australiens a en effet identifié cinq biomarqueurs dans le sang qui sont capables de dire si une personne était en état de veille pendant vingt-quatre heures et plus, avec une précision de 90%. Clare Anderson, professeure spécialisée en neuroscience du sommeil à l'Université Monash de Melbourne, impliquée dans le projet, a expliqué :
« Ces biomarqueurs sont étroitement liés à la durée d’éveil d’une personne et sont constants d’un individu à l’autre. Certains d’entre eux sont des lipides, d’autres sont produits dans l’intestin, ils proviennent donc de différentes parties du corps, ce qui est intéressant, car le sommeil est impliqué dans un certain nombre de problèmes de santé. Mais ce ne sont pas des métabolites (impliqués dans l'anxiété ou l'adrénaline) qui pourraient être affectées si quelqu'un a été impliqué dans un accident de la route. ».

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La possibilité de déterminer si un automobiliste a dormi plus ou moins cinq heures pourra donc être réelle par des tests sanguins d'ici à deux ans (les tests portatifs au bord de la route d'ici à cinq ans). L'idée serait d'utiliser ces tests
« au moins dans les secteurs où la sécurité est essentielle, tels que le fret routier, l’aviation commerciale et l’exploitation minière », selon le professeur Shantha Rajaratnam, également impliqué dans l'étude. On pourrait aussi imaginer que ce test serait réalisé systématiquement en cas de décès ou de blessure corporelle lors d'un accident de la route, comme c'est déjà le cas pour les tests d'alcoolémie et de stupéfiants. Le cas échéant, son résultat négatif (pas assez dormi) pourrait ainsi devenir une circonstance aggravante.

Interrogé également par "The Guardian", le professeur Derk-Jan Dijk, directeur du centre de recherches sur le sommeil de l'Université de Surrey (au Royaume-Uni) a admis que légiférer dans ce domaine serait « un concept effrayant pour les gens, parce que beaucoup dorment mal, mais je pense qu’il est raisonnable de comparer cela à la conduite en état d’ébriété : si vous n’avez pas dormi pendant plus de quatre heures, vous ne devriez pas être au volant. ». Selon la Sécurité routière britannique, 467 personnes sont mortes ou ont été très gravement blessées en 2021 sur les routes britanniques à cause d'accidents dont la cause principale état la fatigue et la perte de vigilance.

De son côté, le professeur Ashleigh Filtness, spécialiste de la fatigue au volant pour la Sécurité routière britannique, a rappelé que la loi britannique demandait déjà que les conducteurs soient aptes à conduire, et être capable de vigilance est donc obligatoire : « Un test de vigilance sur la route serait un outil utile pour l'application de la loi. Toutefois, un tel test n'exclurait pas la responsabilité individuelle du conducteur. La fatigue ne vient pas instantanément, c'est une accumulation progressive. Il est essentiel de dormir suffisamment avant de conduire. ».

Bien entendu, un tel test, si intrusif de la vie privée voire médicale d'une personne, pourrait faire des ravages dans d'autres domaines, par exemple, s'il était utilisé par les employeurs afin de vérifier que leurs salariés soient suffisamment reposés pour utiliser des machines dangereuses. Il est dommage que le Comité d'éthique n'ait pas encore été saisi (à ma connaissance) de ce genre de nouveauté technologique qui viendra rapidement en France.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 mai 2023)
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Pour aller plus loin :
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Anne Heche.
Diana Spencer.
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80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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29 avril 2023 6 29 /04 /avril /2023 05:11

« En termes d’aptitude à la conduite, si on n’est plus capable de conduire, c’est très difficile de laisser soi-même les clés de sa voiture. Il faut du courage, et tout le monde n’en a pas, c’est pour cela qu’il faut un cadre législatif, et c’est ce que je défends. » (Pauline Déroulède, le 26 avril 2023 sur Actu.fr).




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Interrogée par Michel Seimando et Jean-Jacques Peyre le 26 avril 2023 pour le site Actu.fr, Pauline Déroulède, originaire de Voisins-le-Bretonneux, championne de France du tennis fauteuil et se préparant aux championnats du monde avant de représenter la France aux Jeux paralympiques de 2024, mène un combat depuis quatre ans : la jeune femme, joueuse de tennis de très bon niveau selon le site, avait perdu sa jambe gauche dans un accident provoqué par un conducteur âgé de plus de 80 ans qui avait perdu la maîtrise de sa voiture. Elle souhaite ainsi que la législation évolue pour conditionner la validité du permis de conduire à un test d'aptitude.

Elle réagissait à un grave accident de la circulation qui a eu lieu le samedi 22 avril 2023 dans une rue de Berck-sur-Mer (la rue du docteur Victor Ménard), vers 18 heures 30, qui a fauché douze piétons, en particulier une femme dont le pronostic vital était engagé et qui a été transférée au CHU de Lille. Le bilan aurait pu être pire car les personnes blessées ont bénéficié de la proximité du quartier général des secouristes installés à 200 mètres pour veiller à la sécurité des Rencontres des cerfs-volants, ce qui a permis une intervention rapide.

Le responsable de l'accident est un conducteur de 76 ans en situation de handicap qui aurait confondu la pédale de frein avec celle de l'accélérateur, sans pouvoir reprendre le contrôle de son véhicule, selon les premiers éléments annoncés par le procureur de Boulogne-sur-Mer.

Pour Pauline Déroulède, ce drame aurait pu être évité : « On voit que vraisemblablement ce conducteur n'avait pas bu, pas pris de stupéfiant, mais il a apparemment inversé les pédales d'accélérateur et de frein. L'inversion de pédales, c'est le système nerveux, ce sont les réflexes qui sont apparemment altérés. C'est l'occasion malheureuse de parler de ce projet de loi que je défends, et sur lequel je travaille depuis, à présent, quatre ans. ». Elle travaille notamment avec le député de l'Hérault (Renaissance) Patrick Vignal qui prépare une proposition de loi sur le sujet.

La joueuse de tennis se permet ainsi d'envisager l'avenir :  « On peut imaginer que, tout en respectant le secret médical, on puisse déclarer une personne inapte à la conduite comme cela se fait dans la médecine du travail, en mettant en place un protocole clair pour tout le monde. (…) Ce que je défends va de paire avec mise en place de solutions alternatives de mobilité. ». Mais ce dernier point n'a guère de solution possible : dans certains cas, la voiture est indispensable.

Dans l'état actuel du permis de conduire, il n'y a pas de condition d'aptitude au fil des années pour le permis B (au contraire des chauffeurs de poids lourd et de transport en commun qui doivent faire valider leur permis tous les cinq ans). On l'a obtenu généralement autour de 20 ans et il est encore valable lorsqu'on a 90 ans, ce qui peut parfois inquiéter. C'est d'ailleurs la crainte de tout enfant et petit-enfant vis-à-vis d'un ascendant "qui se fait vieux" et dont le déclin des fonctions cognitives se fait aussi avec le déclin de sa lucidité.

Rappelons d'ailleurs un peu d'histoire. Le permis de conduire n'a été véritablement créé en France que le 31 décembre 1922 (il y a cent ans). Le premier document qui voulait prévenir les nombreux accidents de la route avait alors une trentaine d'années. Le préfet de Paris Louis Lépine avait en effet institué le certificat de capacité (à conduire une voiture à pétrole) en 1893, nécessaire pour circuler dans la capitale (ce qui était demandé était très succinct). Ce certificat délivré par les préfets a été généralisé à toute le France le 10 mars 1899.

La réglementation s'est renforcée le 27 mai 1921 puis le 31 décembre 1922 en prenant le nom de permis de conduire, accessible aux femmes et dès 18 ans (auparavant, le certificat était réservé aux seuls hommes de 21 ans ou plus), avec un véritable examen pour l'obtenir passé par un expert agréé par la préfecture. (À cette date, mon arrière-grand-père, refusant obstinément de le passer, il avait alors 36 ans et deux enfants, laissa sa traction-avant au garage). C'était le fameux papier rose.

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À partir de 1923, certaines infractions au code de la route pouvaient être sanctionnées par la suspension du permis de conduire. Les limitations de vitesse ont été instituées en 1954 (ainsi qu'un contrôle médical régulier pour les professionnels de poids lourd et transport en commun) et la formation théorique au code de la route est devenue obligatoire dans les auto-écoles en 1957 (et la possibilité de conduite accompagnée est arrivée en 1986, avant le permis à points en 1992).

On aurait pu croire que la directive européenne 2006/126/CE du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire, qui a pour but d'harmoniser le permis de conduire en Europe (à l'origine, il existait 130 modèles de permis !) et qui s'est traduit, en France, par le décret n°2011-1475 du 9 novembre 2011 portant diverses mesures réglementaires de transposition, allait peut-être faire évoluer cette règle d'attribuer le permis de conduire à vie, une fois pour toutes, sans examen médical par la suite.

Certes, depuis 16 septembre 2013, le bout de carton rose a été remplacé par une élégante (et moderne) carte rose sécurisée, au format d'une carte bancaire, avec puce électronique et divers éléments pour rendre plus difficile son imitation frauduleuse. Si les 38 millions de détenteurs des permis de conduire délivrés avant le 19 janvier 2013 peuvent encore garder le format cartonné, les cartes sécurisées seront, elles, valides seulement quinze ans et ceux qui ont encore l'ancien format devront quand même faire la demande du nouveau format avant le 20 janvier 2033 (oui, 2033, n'oubliez pas !).

Le renouvellement de la carte sécurisée tous les quinze ans ne concernent pas l'aptitude médicale à conduire, mais seulement la mise à jour de la photographie et de l'adresse postale (la puce électronique ne contient pas le nombre de points restants ni l'historique des éventuels PV). Du moins pour l'instant.

Mais revenons à cette évolution que souhaiterait Pauline Déroulède et quelques autres acteurs de la sécurité routière, à savoir, organiser régulièrement, à partir de 65 ans (ou d'un autre âge), un examen d'aptitude médicale à la conduite.

Sur le papier, cela éviterait certainement certains accidents. Mais la réalité est que le conducteur âgé, souvent, conduit en fonction de ses moyens, de ses réflexes plus lents, et adapte généralement sa vitesse en conséquence (la plupart des autres automobilistes, derrière lui, rouspètent d'ailleurs de sa lenteur alors que le danger vient plus du trop vite que du trop lent).

De plus, ma modeste expérience de proche de personnes très âgées (je parle d'au-delà de 90 ans), ou alors de personnes malades (qui peuvent être plus jeunes), celles-ci ont renoncé à conduire d'elles-mêmes, sans qu'on le leur demande, car se sentant trop affaiblies pour continuer à conduire. Souvent, d'ailleurs, la voiture reste au garage et n'est pas revendue, comme pour empêcher un deuil et se croire toujours en état de conduire. Rester dans cette illusion aide parfois à vivre. Mais probablement que la sécurité aurait été d'arrêter de conduire un peu plus tôt.

Il y a eu des accidents de personnalités connues. J'ai en mémoire l'accident qui a tué Mgr François Marty, l'ancien archevêque de Paris, le 16 février 1994 à Villefranche-de-Rouergue : le vieux cardinal, à presque 90 ans, s'était retrouvé coincé à un passage à niveau et n'a pas réagi assez vite pour se dégager de la voie ferrée avant l'arrivée du train (il conduisait la 2 CV que les fidèles de Paris lui avait offerte en 1981 pour sa retraite et il leur avait répondu : « Elle me conduira au paradis ! »).

L'ancien dissident polonais Bronislaw Geremek est mort, lui aussi, dans un accident de la route le 13 juillet 2008 alors qu'il avait 76 ans, après une collision avec une camionnette, parce qu'il s'était endormi et avait dévié sa trajectoire. De même, l'ancien acteur historique du Printemps de Prague, Alexander Dubcek, est mort à presque 71 ans le 7 novembre 1992 des suites de ses blessures provoquées par un accident le 1er septembre 1992 sur une autoroute tchèque (l'enquête a conclu qu'il s'agissait bien d'un accident et pas d'un assassinat).

Certes, tout le monde peut s'endormir sur la route ou ne pas réagir assez vite dans des circonstances qui mériteraient d'être très rapide. Pas seulement les plus âgés.

Actuellement, il existe déjà de nombreuses maladies qui interdisent de conduire même avec un permis valide, et la reprise du volant doit alors se faire après la consultation d'un médecin agréé (néanmoins, le système s'est assoupli à cause d'un trop grand nombre de demandes). C'est le cas pour un AVC, même sans séquelles.

Dans la réalité, à part les quelques restrictions indiquées dès le premier jour sur le permis (par exemple, porter des lunettes), il est très difficile d'appliquer cette restriction médicale sans y mettre plus de moyens. Devoir faire revalider le permis de conduire tous les x années (un peu sur le principe du contrôle technique du véhicule) est un complet changement de paradigme puisque par défaut, et la puce électronique est là pour y veiller, le permis ne serait plus valide sans une démarche pour le revalider.

Pourtant partisan généralement des mesures qui améliorent la sécurité routière, je considère que cette évolution serait inadaptée car le résultat serait faible pour des contraintes énormes. Car, au-delà des moyens considérables (en personnel médical notamment) qu'il faudrait mettre en œuvre, c'est carrément la liberté de circulation des personnes âgées qui serait atteinte, qui engendrerait même un sentiment de culpabilité d'exister (surtout si, d'un autre côté, on commençait à leur proposer l'euthanasie).

Non seulement les personnes âgées sont responsables et savent ce qu'elles peuvent faire (certes, pas toutes), mais les statistiques sont têtues : ceux qui sont le plus souvent les responsables des accidents mortels, ce sont les plus jeunes, pas les plus vieux !

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De nombreuses études l'ont démontré. Je peux citer celle-ci publiée par la revue "Le Travail humain" en 2010 (volume 73) intitulée "Des conducteurs âgés moins dangereux pour les autres : étude des accidents corporels en France en France entre 1996 et 2005" par S. Lafont, Catherine Gabaude, L. Paire-Ficout, Colette Fabrigoule (éd. PUF). Elle analyse des données d'il y a une vingtaine d'années (1 040 912 accidents corporels), et il n'y a aucune raison que cela ait changé car il n'y a pas eu de changement sociologique ou réglementaire très important depuis cette époque.

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La conclusion de cette étude est sans ambiguïté :
« La prise en compte de l'âge des impliqués par le calcul des années de vie disponibles et perdues pour les conducteurs eux-mêmes et pour les autres impliqués montre que les conducteurs âgés représentent une menace plus faible pour les autres usagers que les conducteurs plus jeunes, et cela quelle que soit la situation de conduite dans laquelle ils étaient engagés avant l'accident. ».

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Pour résumer sommairement, les personnes âgées se tuent elles-mêmes mais ne tuent pas les autres (contrairement aux jeunes). Il y a donc évidemment des actions à imaginer pour réduire le nombre de ces accidents (car il y a effectivement, à cause du vieillissement, un
« ralentissement des processus de prise d'information et de décision »), mais mettre toutes les personnes âgées (ou considérées comme telles, c'est-à-dire à partir de 65 ans) sur le grill d'un examen médical régulier ne me semble pas pertinent, rajouter des contraintes alors que les contraintes de leur santé parfois défaillante sont déjà très prégnantes ne renforcerait pas leur esprit de responsabilité, leur lucidité, en un mot, leur sagesse qui est déjà relativement importante.

Dans les zones rurales, la personne âgée qui veut rester vivre chez elle pourrait être très isolée sans pouvoir prendre le volant pour aller rencontrer les gens ou faire leurs diverses démarches pour continuer à vivre de manière autonome. Leur mettre cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête pendant vingt voire trente ans ne me paraît pas raisonnable face aux très légers progrès de la sécurité routière que cela entraînerait finalement. Les pouvoirs publics doivent prendre des décisions au juste équilibre, sinon, il leur suffirait d'interdire la conduite d'automobile sur les routes pour réduire drastiquement ce qui nous reste de mortalité routière. Mais dans ce cas, on entrerait dans une autre société...



Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (29 avril 2023)
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Pour aller plus loin :
Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
L'avenir du périph' parisien en question.
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230429-permis-de-conduire.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/faut-il-en-finir-avec-le-permis-de-248098

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20 avril 2023 4 20 /04 /avril /2023 05:40

« Depuis 2002, la vitesse moyenne des conducteurs a baissé de 10% ; or, une baisse de 1% de la vitesse entraîne une baisse de 4% du nombre de tués. Ce résultat obtenu par une politique de fermeté dans la répression des infractions. En matière pénale, il n'y a pas de mystère : l'efficacité vient de la certitude de la sanction. » (Lionel Tardy, le 16 décembre 2010 dans l'hémicycle).




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Ce que le député UMP Lionel Tardy tentait d'exprimer dans l'hémicycle le 16 décembre 2010 auprès ses collègues UMP, c'était qu'il n'y avait pas de "petites" infractions au code de la route : ou on le respecte, ou on ne le respecte pas.

Comme le rappelle le site de la Sécurité routière, « la vitesse est la première cause de mortalité routière (31%). Elle est à la fois un facteur déclencheur de l'accident, mais aussi un facteur aggravant. Une variation de la vitesse implique une variation significative du risque d’accidents mortels : une baisse de 1% de la vitesse moyenne fait baisser mécaniquement de 4% le taux d’accidents mortels. ».

Dans l'histoire de la sécurité routière en France depuis plus d'une cinquantaine d'années, il y a eu des singularités énormes dues à la volonté politique. Nous sommes passés de 16 500 à moins de 3 500 tués sur les routes en cinquante ans, alors que le parc automobile est beaucoup plus important, le nombre de kilomètres de route bien plus élevé et le nombre d'usagers de la route bien plus grand (et de nationalités des usagers également). L'amélioration de la sécurité des véhicules n'explique pas tous ces progrès.

Le plus efficace a été la volonté politique mise en œuvre qu'on peut résumer à trois ou quatre mesures très efficaces : l'obligation de mettre la ceinture de sécurité (décidée par Jacques Chaban-Delmas et appliquée en 1973), l'institution du permis à points (Michel Rocard en 1992), la fin de l'impunité des excès de vitesse avec la mise en place des radars automatique (Jacques Chirac en 2002), et j'ajouterai la réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes à une seule voie (Édouard Philippe en 2018) qui a montré son efficacité et qui mériterait un article entier pour l'évoquer après sa remise en question partielle (à la suite de l'annonce du Président Emmanuel Macron le 15 janvier 2019 à Bourgtheroulde et de l'adoption d'un amendement le 6 juin 2019).

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Tout ce qui va à l'encontre de cette volonté politique commune (qui ne dépend pas de la tendance politique mais surtout de la personnalité des dirigeants de l'État) a toujours été motivé par une tentation démagogique accompagnée d'une sauce de faux bon sens, de fausse modération, de faux arguments raisonnables et de vrai néo-poujadisme. Pire : toute communication envisageant un affaiblissement de cette politique envoie un signal négatif aux automobilistes qui se traduit malheureusement par plus de tués sur la route.

Alors, c'est vrai que beaucoup d'associations de victimes de la route sont inquiètes aujourd'hui. L'information donnée par le quotidien régional "Nice-Matin" du mercredi 19 avril 2023 aurait de quoi faire sourire s'il ne s'agissait pas de ce sujet grave, la sécurité routière, et donc, de la vie de milliers de personnes chaque année. Ce journal nous a appris que le Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait écrit à une sénatrice du Var (Françoise Dumont) un courrier lui confirmant son intention de supprimer le retrait de point du permis de conduire dans le cas du constat d'un dépassement de vitesse inférieur à 5 km/h de la vitesse maximale autorisée et que cette mesure serait mise en œuvre à partir du 1er janvier 2024. Cette information a été confirmée par la sénatrice en question sollicitée par l'AFP.

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Le sourire est double : en plein climat social post-réforme des retraites, cette information a un léger goût de démagogie qui ne coûte pas cher (du moins directement aux finances publiques) ; de plus, il s'agit seulement de petits excès de vitesse, soit moins de 5 km/h au-dessus de la vitesse limite, ce qui est faible (le premier stade dans les pénalités, c'est pour un dépassement inférieur à 20 km/h).

L'idée de cette mesure n'est pas nouvelle et Gérald Darmanin l'avait déjà formulée, sans calendrier, par un tweet le 19 février 2023, à la suite du tragique accident commis par Pierre Palmade, peut-être pour faire passer la pilule d'une plus grande sévérité (certainement nécessaire) dans la sanction contre la conduite sous alcool ou stupéfiants.

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Évidemment, il n'y a aucun sourire qui vaille et le coût restera élevé pour la collectivité, tant humainement que financièrement. Car c'est justement la certitude d'être verbalisés, même avec des petits dépassements de vitesse, qui a entraîné cette salutaire modification des comportements des automobilistes (salutaire pour au moins trois raisons : assurer la sécurité routière mais aussi protéger l'environnement et baisser sa consommation de carburant).

La mesure qu'a décidée le Ministre de l'Intérieur est donc non seulement dangereuse en tant que signal pour se relâcher (on peut de nouveau rouler plus vite que la règle) mais aussi injuste socialement puisque le tarif de l'amende ne change pas. Or, le permis à points était justement une base qui incitait, même ceux qui avaient les moyens de payer les amendes, à respecter la vitesse maximale autorisée, puisque le retrait de permis se fait pour tout le monde, riches et moins riches, quand tous les points sont retirés.

S'il y avait un assouplissement à faire, il faudrait le faire plutôt dans l'autre sens : conserver le retrait du point car une infraction reste une infraction et donne l'avertissement qu'il ne faut pas la refaire, et supprimer l'amende de 68 euros ou 135 euros (selon qu'on roule en agglomération ou sur route). Certes, cela aurait un coût (environ 500 millions d'euros d'amende ; 7,3 millions de PV pour des dépassements inférieurs à 5 km/h ont été établis en 2020, 7,2 en 2019) mais cela serait plus adapté à la sécurité routière.

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Les affaiblissements du permis à points ne sont pas nouveaux pour les petits excès de vitesse. Déjà sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et contre la volonté de celui-ci et de son Ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, lors de la seconde lecture de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI2), le 16 décembre 2010, les députés de la majorité avaient voté (à la suite d'un amendement des sénateurs en première lecture) la réduction du temps de récupération des points retirés (au bout de deux ans au lieu de trois ans sans autre infraction) et lors d'un retrait d'un seul point, celui-ci est récupéré au bout de six mois (sans autre infraction), ce qui a valu un éditorial incendiaire du professeur Claude Got, accidentologue bien connu, titré en janvier 2011 : « L'UMP nuit gravement au permis à points », où il affirmait : « Cette défaite n'a pas d'équivalent à mes yeux au cours des cinquante dernières années. (…) Comme pratiquement tous les grands drames de la sécurité sanitaire capables d'entraîner des centaines de morts évitables, cet événement est le résultat d'erreurs liées à l'incompétence, associées à des pratiques qui relèvent de la manipulation des faits. ». Dans les faits, il y a eu une légère remontée de la mortalité routière en janvier 2011 et également entre 2013 et 2017 (à cause de l'indécision de François Hollande).

L'opposition socialiste, par la voix de la future ministre Delphine Batho était unie : « Nous sommes pour qu'on ne change pas la moindre virgule des règles en vigueur en ce qui concerne le permis à points. Le concert de propos laxistes que l'on entend sur vos bancs [ceux de l'UMP] est tout à fait étonnant. Ce que vous êtes en train de faire, c'est d'adresser un message qui sera perçu comme une façon de baisser la garde en ce qui concerne la sécurité routière. ».

Lors de ce débat parlementaire du 16 décembre 2010, la majorité UMP était effectivement divisée entre les tenants de la sécurité routière et ceux qui sont au contraire partisans d'un retour au laxisme (paradoxalement souvent des députés positionnés à l'aile droite de l'UMP).

Ainsi, Jacques Myard voulait faire la différence, à l'instar des Inconnus pour les chasseurs, entre les bons et les mauvais chauffards : « Je vous le dis : autant il est juste et nécessaire de sanctionner les véritables chauffards, autant dans un certain nombre de cas, il faut regarder de plus près la nature des infractions commises. Dans cet esprit, je défendrai un amendement qui vise à ce que, lorsqu’un conducteur a épuisé ses points, on examine dans quelles conditions cela s’est produit. Il a grillé un feu rouge, n’a pas respecté un stop, a conduit en état d’ivresse ! Pas de pitié pour ce chauffard. Mais pour le pépé qui, malencontreusement, se fait flasher à 56 kilomètre par heure de manière répétée, cela ne va pas. Comme disait le Président Pompidou, "cessez d’emmerder les Français !" ».

À propos de Georges Pompidou qui a déclaré cette phrase très populiste quand il était à Matignon, il n'est pas vraiment une référence en matière de sécurité routière car c'est sous son mandat présidentiel que la France a connu le plus grand nombre de tués sur la route. Heureusement que son Premier Ministre ne l'a pas écouté et a réagi !

Quant à Lionel Tardy, il rappelait opportunément que la grande majorité des automobilistes avait tous ses points (75%) et que 90% avaient au moins 10 points sur 12, tandis que les automobilistes qui avaient perdu tous leurs points à cause d'infractions coûtant 1 point étaient en 2008 au nombre de 17 seulement, et les répétitions (nombreuses : douze fois !) de ces petites infractions prouvaient une conduite peu appropriée sur les routes : « Quand on accumule des petites fautes au point de risquer de perdre son permis, c'est qu'on a de mauvaises habitudes de conduite. L'aspect psychologique est primordial, car tout se joue sur le comportement des conducteurs. Annoncer un assouplissement des règles sans la moindre contrepartie (…) serait perçu comme un signal que le relâchement est permis. Le nombre d’accidents et de morts sur la route augmentera avant même que la mesure n’entre en vigueur. Contrairement à ce que l’on peut croire, même les petits excès de vitesse peuvent se révéler dangereux, notamment en ville. Je le répète, une baisse de 1% de la vitesse moyenne, c’est 4% de morts en moins. ».

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Le député insistait : « Le but de cette politique de sécurité routière est non pas de racketter en quoi que ce soit les conducteurs, mais de les inciter fortement à changer de style de conduite, en réduisant leur vitesse moyenne et en respectant le code de la route. ».

D'ailleurs, peu avant l'application des 80 km/h, en juin 2018, les gendarmes de l'Oise avaient fait une communication (sur leur compte Facebook) qui a eu beaucoup de succès en dévoilant « l'astuce qui permet d'échapper aux amendes pour excès de vitesse » : il suffit simplement de respecter les limitations de vitesse ! Comme plus des trois quarts des automobilistes.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (19 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230419-securite-routiere-qo.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/fin-du-retrait-de-point-pour-les-247957

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17 février 2023 5 17 /02 /février /2023 04:44

« Je cherche aussi à surprendre. Voilà, rassurer et ne pas ennuyer. Comme ça, après mon passage, les gens diront : avec lui, on était rassurés et surtout, on ne s'ennuyait pas. » (Pierre Palmade).



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Ces propos font désormais frémir. Sketch du (candidat) Président (écrit en 2011), qui se termine par le slogan du Parti qui reste : « Faites-moi confiance : je ne sais pas où l'on va mais on y va ensemble. ». Ou alors ce dialogue si prémonitoire dans son spectacle avec Michèle Laroque, sketch du Permis de conduire (écrit en 1996) :

PP – Regarde la route, chérie ! (…) Alors, reste un peu sur la droite, tu es au milieu de la route !
ML – Il n'y a personne en face.
PP – Tu verras, ce n'est pas toujours comme ça !


Ah oui, ça fait mal. J'aimais bien certains sketchs, notamment avec Michèle Laroque ("Ils s'aiment" en 1996, "Ils se sont aimés" en 2001, "Ils se re-aiment" en 2012), et aussi avec Pierre Richard ("Pierre et Fils" en 2006). Cela fera toujours mal car un homme dont le métier était de faire rire les autres et qui tue ou qui a failli tuer, il ne fera plus jamais rigoler, assurément. Que la carrière d'un humoriste soit foutue, soyons clairs, on s'en fout ! Mais que la vie de quatre personnes qui se trouvaient là par hasard au mauvais moment sur la route soit complètement foutue, ça m'interpelle, et ça doit interpeller la société en général. Et bien sûr l'État.

Depuis l'annonce de ce grave accident sur une route de Villiers-en-Bière, ce vendredi 10 février 2023 dans la soirée, les médias ont placé très rapidement Pierre Palmade du statut de victime sympathique au pronostic vital engagé, au statut de salaud, chauffard irresponsable, drogué, bête de sexe qui n'assume pas son homosexualité et qui se perd dans le chemsex... et surtout responsable d'un accident qui a mis un homme, son fils de 6 ans et sa belle-sœur enceinte, tous les trois aussi à l'hôpital avec pronostic vital engagé. La femme a perdu son enfant à naître (à six mois, c'était sa première expérience de future mère et, quelle que soit la qualification judiciaire, c'est un homicide pour la famille), et l'homme semblerait encore en situation de pronostic vital engagé. Quant à l'enfant, très gravement atteint, j'espère qu'il saura trouver la voie pour retrouver ce qu'il était avant l'accident, physiquement et psychologiquement. La photographie du véhicule accidenté montre la violence du choc (le lecteur la trouvera aisément sur Internet).

Il est question de sécurité routière, de consommation de cocaïne, de chemsex, d'homosexualité mal assurée, d'escort boys, et même de sans-papiers... sans compter que les deux passagers dans la voiture de l'humoriste ont lâchement fui au moment de l'accident au lieu de chercher à venir en aide et d'appeler les secours (non-assistance de personnes en danger), ils se sont finalement rendus à la police et sont en garde-à-vue. Pierre Palmade, lui aussi, a été placé en garde-à-vue le 15 février 2023, après la perquisition de sa maison pas loin des lieux du drame, avec au moins deux affaires, sa responsabilité personnelle dans l'accident et la détention et consommation de drogue. Miné depuis plus de vingt ans par les addictions, Pierre Palmade ne se souvient plus de rien de l'accident (ce qui est logique) mais a eu l'occasion d'exprimer sa honte et assumera toutes ses responsabilités. Son père médecin avait péri dans un accident de la route quand il avait 8 ans. Et très récemment, le 2 février 2023, Pierre Palmade a été acquitté par le tribunal judiciaire de Paris dans une affaire où un escort boy avait été arrêté en train d'acheter de la drogue avec la carte bancaire de l'humoriste (pas très futé).

Tout cet accident fait que ce sera une longue affaire médiatique (et judiciaire), à épisodes, à rebondissements, tout ce dont sont friands les médias gourmands, et à ce jour, après une semaine de grands titres, la palme (provisoire ?) de l'indécence est probablement à attribuer à BFMTV. Comme au moment des attentats islamistes, expliquant la situation évolutive des victimes jusqu'à la nausée, ces journalistes n'ont aucune décence. Pour moi, la définition de la décence est simple, c'est de se poser la simple question : que penseraient les victimes de ce qui est dit ? Se mettre à la place des victimes. Rien que cela.

Mais il faut toujours sortir du positif dans l'horreur. Les grandes catastrophes nucléaires ont par exemple fait augmenter la sécurité des installations existantes. Si cet accident devait servir à quelque chose (je l'écris en pensant très fort aux victimes), ce serait à ceci : à rappeler que la responsabilité du chauffeur sous addictions est totale. Et le fait que l'un des protagonistes, en l'occurrence le responsable, soit une personnalité célèbre, et non seulement célèbre mais plutôt appréciée des Français (même si elle ne fait pas partie du top 50 des personnalités préférées), pourrait au moins éclairer sur l'un des problèmes récurrents de la sécurité routière : l'alcool et les drogues.

En effet, les addictions et la vitesse sont les deux principales causes de l'insécurité routière. Avec la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie, appliquée un peu laborieusement par l'État et les collectivités locales, qui a montré ses effets positifs, nous sommes arrivés à un plateau et peu de progrès pourront être observés en renforçant les contraintes sur les vitesses (sauf si c'est pour un autre objectif, écologique celui-ci). La mise en place de plus de 5 000 radars automatiques depuis une vingtaine d'années, qu'on soit pour ou qu'on soit contre, a considérablement modifié (en bien) le comportement des automobilistes (le mien notamment, je le reconnais), car le risque d'avoir une amende est maintenant très probable. En vingt ans, on en est arrivé quasiment à l'impunité zéro.

Or, le risque d'être contrôlé pour l'alcool ou les drogues sur la route est quasiment nul. Depuis que j'ai eu mon permis de conduire (je n'ose dire depuis combien de décennies, ça donne le vertige !), je n'ai été contrôlé qu'une seule fois en alcoolémie, alors que pendant une période, je roulais énormément sur les routes de France. J'ai d'ailleurs eu de la chance puisque cette fois-là, de mon unique contrôle, j'étais encore étudiant, je revenais le soir d'une visite d'un copain à l'hôpital qui s'était cassé la figure en parapente. C'était après l'heure de fermeture des visites, les couloirs étaient sombres, et mon camarade, discrètement, m'avait proposé un peu de liqueur de poire (il voulait que je l'accompagnasse). Comme je suis toujours raisonnable (!), j'ai décliné l'offre, mais si j'avais été un peu plus faible (psychologiquement), j'aurais certainement eu la contredanse (mais ce n'est pas cela le plus grave ; j'aurais surtout mis en danger les autres personnes que j'aurais croisées sur mon chemin).

Sur le site gouvernemental de la sécurité routière, il est bien indiqué que la drogue au volant donne un état incompatible avec la conduite : augmentation du temps de réaction, diminution de l’aptitude à décider rapidement et altération de la conscience de son environnement. Et pour la cocaïne : elle « suscite une conduite agressive associée à des erreurs d’attention ou de jugement pouvant aller jusqu’à la perte de contrôle du véhicule ».

Selon le professeur Nicolas Simon, médecin spécialiste en addictologie : « [Le] cocktail drogues et alcool, assez courant, expose très fortement l’usager au risque, puisqu’il multiplie par 29 le risque d’avoir un accident mortel. En cause le cumul des effets : sentiment de puissance et désinhibition, conjugués à l’amoindrissement des réflexes. » (drogues en général, y compris le cannabis).

En 2016, on estime à 752 le nombre de personnes qui ont été tuées dans un accident de la route avec stupéfiants, soit 22% des personnes tuées sur la route, c'est énorme. En 2020, 453 000 dépistages de stupéfiants ont été réalisés sur la route (30% de plus qu'en 2018), et l'objectif était d'atteindre 800 000 contrôles en 2021 (les données n'ont pas été réactualisées). Les forces de l'ordre ont le droit de faire ces contrôles à titre préventif, sans infraction ni accident, et en cas d'accident corporel ou mortel, ce dépistage est obligatoire et systématique.

En cas de test positif, les peines encourues vont très loin puisqu'en cas d'accident mortel, le contrevenant risque jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende (en cas d'accident corporel, jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende). C'est clair que Pierre Palmade sera jugé, la justice tranchera, il ne faut pas qu'il soit impuni sous prétexte de sa célébrité, mais il ne faut pas non plus qu'il soit jugé plus sévèrement que s'il était un chauffard cocaïné "ordinaire". C'est justement le rôle et la conscience professionnelle des juges de résister à toutes les pressions médiatiques ou populaires éventuelles. Il faut aussi comprendre qu'un procès est le seul moment ou endroit où la peine des victimes est officiellement prise en compte.

Ces peines sont sévères car le risque de tuer quelqu'un est énorme. De plus, les statistiques sont têtues : « Un accident mortel sur cinq implique un conducteur positif aux stupéfiants. Cette part passe à un accident sur trois, la nuit au cours des week-ends. ». À l'évidence, des progrès sont encore à faire sur le nombre de dépistages sur la route. La certitude d'être puni si on prend le volant avec dans le sang alcool ou/et drogues modifiera nécessairement le comportement tant des automobilistes que de leurs proches, comme cela a été le cas avec la vitesse. On en est encore loin. Si cet accident sordide et glauque, mais hypermédiatisé, pouvait contribuer à cette prise de conscience, ce tragique accident du 10 février 2023 sauverait alors peut-être de vies à l'avenir...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (16 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/accident-de-pierre-palmade-une-246696

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27 mai 2021 4 27 /05 /mai /2021 03:53

« Jarvis avait toujours considéré l’évolution ainsi : une bataille de longue haleine entre l’intelligence, fruit de milliers d’années de développement qui tirait notre espèce vers le haut, et ses racines bestiales, terreau de nos instincts les plus vils qui nous avaient permis de survivre si longuement au milieu d’un territoire pourtant hostile. » (Maxime Chattam, "Que ta volonté soit faite", éd. Albin Michel, 2015).



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Dans les années 1920, mon arrière-grand-père, quadragénaire qui avait survécu à l’épreuve terrible (pour sa génération) de la guerre, possédait une traction-avant (malgré des revenus plutôt instables) et roulait allègrement sur les routes de Lorraine. Puis, fut institué le permis de conduire dont il fallait passer l’examen. Indigné par le fait qu’on lui demandait de refaire ses preuves alors qu’il avait déjà une longue expérience de la conduite, il refusa de se soustraire au diktat du code de la route et la belle traction-avant resta garée dans son garage…

Effectivement, le code de la route a exactement 100 ans en France. Il a été institué par le décret concernant la réglementation de l’usage des voies ouvertes à la circulation publique qui a été signé le 27 mai 1921 par le Ministre des Travaux publics de l’époque, Yves Le Trocquer, dans le gouvernement d’Alexandre Millerand.

Ce décret a mis plus d’une dizaine d’années à être rédigé à partir des travaux d’une commission nationale créée par le décret du 1er juin 1909. Certes, depuis Napoléon Ier, il y avait déjà une certaine réglementation sur la circulation mais aucun texte d’ensemble qui rassemblait toutes les interdictions et autorisations (et il y avait aussi depuis plus d’une quinzaine d’années un code privé adopté spontanément par des associations d’automobilistes).

Un an et demi plus tard, le 31 décembre 1922, un nouveau décret a complété le code de la route par l’obligation d’avoir un permis de conduire. L’article 29 de ce décret explique : « Nul ne peut conduire un véhicule automobile s’il n’est porteur d’un certificat de capacité délivré par le préfet du département de sa résidence, sur l’avis favorable d’un expert accrédité par le ministre des Travaux publics. Ce permis ne pourra être délivré à l’avenir qu’à des candidats âgés d’au moins 18 ans. Il ne pourra être utilisé pour la conduite soit des voitures affectées à des transports en communs, soit des véhicules dont le poids en charge dépasse 3 000 kilogrammes, que s’il porte une mention spéciale à cet effet. ». Ce fut le 16 mars 1923 qu’on différencia explicitement les différents types de permis de conduire (A, B, C, etc.).

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Là encore, il existait déjà un document administratif qu’il fallait avoir depuis le 10 mars 1899 pour rouler (et même depuis le 14 août 1893 à Paris), le certificat de capacité délivré aussi par le préfet mais sur l’avis favorable du service des mines. Ce certificat a d’ailleurs failli être supprimé après la Première Guerre mondiale, pour réduire les contraintes administratives, mais l’accroissement des accidents de la circulation a favorisé au contraire le renforcement de la réglementation.

Ainsi, à partir de l’année 1923, il fallait pouvoir justifier de sa capacité à conduire auprès d’experts agréés, et avec l’augmentation du trafic routier, deux évolutions ont eu lieu : d’une part, la création d’un monitorat d’auto-école par la professionnalisation de l’enseignement (surtout à partir de la circulaire du 5 juillet 1930) ; d’autre part, une série de sanctions a été instaurée dans le cas où un automobiliste contreviendrait au code de la route, qui va de la simple amende pour contravention au retrait du permis de conduire pour délit (la suspension fut prévue par le décret du 12 avril 1927).

Le premier feu rouge (unique) en France fut installé le 5 mai 1923 à Paris au croisement du boulevard Saint-Denis et du boulevard Sébastopol. Ce fut dix ans plus tard que les premiers feux tricolores (rouge, orange, vert) furent installés en France.

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Le code de la route a été rénové plusieurs fois dans son histoire, par le décret du 20 août 1939, par le décret du 10 juillet 1954, par l’ordonnance du 15 décembre 1958 (qui précise le domaine de la loi et le domaine réglementaire en matière de code de la route), enfin par l’ordonnance n°2000-930 du 22 septembre 2000.

La loi du 15 avril 1954 a permis de rechercher la présence d’alcool dans le corps en cas d’accident (la loi du 18 mai 1965 a complété par le dépistage d’alcool dans l’air expiré des conducteurs). Le décret du 10 juillet 1954 a en particulier instauré une limitation de vitesse en ville à 60 km/h.

À partir de 1969, les pouvoirs publics ont pris la mesure de l’insécurité routière, avec un parc automobile qui se développait, un réseau routier également renforcé, et un nombre de morts sur la route insupportable (qui est allé jusqu’à 18 034 morts l’année 1972). Le code de la route fut alors régulièrement modifié depuis une cinquantaine d’années, s’adaptant à la fois au contexte sociétal (stupéfiants, smartphone, etc.) et se donnant des objectifs très ambitieux (le dernier étant d’arriver en dessous de la barre des 2 000 morts sur la route par an, à partir de 2020).

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Parmi les dirigeants à l’origine des grandes modifications pour améliorer la sécurité routière, on peut citer Jacques Chaban-Delmas (Premier Ministre), Michel Rocard (Premier Ministre), Jacques Chirac (Président de la République) et Édouard Philippe (Premier Ministre).

Le décret du 5 février 1969 a réglementé la vitesse des nouveaux conducteurs (limitée à 90 km/h pendant la première année). La loi du 9 juillet 1970 a fixé un seuil maximal d’alcoolémie à 0,8 g/l de sang (délit au-delà de 1,2 g/l). Le décret du 5 juillet 1972 a créé le Comité interministériel à la sécurité routière (CISR) avec un délégué interministériel à la sécurité routière. Le décret du 28 juin 1973 a limité la vitesse à 110 km/h sur les routes à grande circulation et à 100 km/h sur les autres routes, a rendu obligatoire le port du casque pour les conducteurs de cyclomoteur (l’arrêté du 16 octobre 1979 a généralisé le port du casque) et le port de la ceinture trois points, hors agglomération, aux places avant (l’arrêté du 1er octobre 1979 a étendu l’obligation sur tous les réseaux routiers et l’arrêté du 9 juillet 1990 a rendu obligatoire le port de la ceinture de sécurité aussi à l’arrière).

Le décret du 6 novembre 1974 a limité la vitesse à 130 km/h sur les autoroutes, 110 km/h sur les routes à chaussées séparées et 90 km/h sur les autres routes. La loi du 8 décembre 1983 a baissé le seuil du délit d’alcoolémie de 1,2 à 0,8 g/l dans le sang (la loi du 17 janvier 1986 a rendu possible le retrait du permis de conduire en cas de dépassement de l’alcoolémie autorisée). L’arrêté du 4 juillet 1985 a instauré le contrôle technique pour les véhicules d’occasion de plus de cinq ans, uniquement lors de leur vente et sans obligation de réparation. Le décret du 20 novembre 1990 a réduit la vitesse maximale en agglomération à 50 km/h.

Le gouvernement de Michel Rocard a introduit deux innovations majeures qui ont eu des conséquences heureuses sur la mortalité routière : le contrôle technique obligatoire pour tous les véhicules d’occasion (applicable au 1er janvier 1992) et le permis à points (applicable au 1er juillet 1992). Le décret du 24 novembre 1993 a créé l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) qui a pour mission de collecter toutes les statistiques sur la sécurité routière. Le décret du 19 août 1995 a baissé le seuil d’alcoolémie à 0,5 g/l dans le sang (le décret du 11 juillet 2003 a fixé un retrait de 6 points du permis de conduire en cas de dépassement du seuil d’alcoolémie de 0,5 g/l ; le décret du 24 juin 2015 a abaissé le seuil d’alcoolémie à 0,2 g/l pour les conducteurs en permis probatoire). Le décret du 28 août 2001 a créé le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) dont la mission est de proposer de nouvelles mesures de sécurité routière.

Autre innovation majeure, la fin de l’impunité. Conformément aux déclarations du Président Jacques Chirac du 14 juillet 2002, le CISR a développé un système de contrôle et de sanction automatisés (radars automatiques pour contrôler la vitesse sur la route). Le premier radar automatique fut inauguré le 27 octobre 2003 sur la RN20 dans l’Essonne (route Paris-Orléans). Le premier radar embarqué fut mis en service le 28 janvier 2004. La loi Perben II du 9 mars 2004 a créé deux nouveaux délits : la conduite sans permis et la conduite avec défaut d’assurance. Le port du casque pour les cyclistes de moins de 12 ans a été rendu obligatoire à partir du 22 mars 2017.

Enfin, la dernière mesure phare fut décidée par le CISR du 9 janvier 2018 avec la réduction de la vitesse maximale sur les routes à une voie à 80 km/h à partir du 1er juillet 2018, mesure qui fut assouplie par la loi LOM du 24 décembre 2019 (les conseils départementaux pouvant rétablir les 90 km/h sous leur responsabilité).

Par ailleurs, signalons que la loi du 18 mai 1999 (gouvernement de Lionel Jospin) a étendu au code de la route le principe la responsabilité pénale pour fait d’autrui, en rendant pécuniairement responsable le propriétaire du véhicule (titulaire de la carte grise) des infractions routières, sauf en cas de délation du véritable conducteur.

Toute cette réglementation, de plus en plus contraignante, a permis de ramener la mortalité routière de 18 034 morts en 1972 à 3 239 morts en 2019, soit une baisse de 82% en 48 ans, parallèlement à une augmentation du trafic de 235 à 606 milliards de kilomètres parcourus, soit 2,6 fois plus de trafic. Cela reste cependant en deçà de l’objectif de 2 000 morts en 2020, et les années 2020 et 2021 seront plus difficiles à analyser en raison des trois confinements provoqués par la crise sanitaire due à la pandémie de covid-19.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 mai 2021)
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Pour aller plus loin :
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210527-code-de-la-route-qi.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/100-ans-de-code-de-la-route-et-des-233320

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/05/26/38987364.html






 

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23 juillet 2020 4 23 /07 /juillet /2020 03:38

« Le conflit sur la vitesse exploite l’ignorance et le mensonge. La réforme lancée par Jacques Chirac en 2002, suivie de l’installation de radars automatiques, a réduit la vitesse moyenne des voitures de 10 km/h. La mortalité sur les autoroutes a été divisée par deux entre 2002 et 2007, comme sur les autres routes. Pendant cette période, les accidents mortels liés à l’alcool, à la fatigue, à l’usage des téléphones et aux autres facteurs de risque sont demeurés stables en proportion, mais leur nombre a été divisé par deux. Les opposants aux réductions des vitesses mettent en avant des facteurs de risque que nous ne maîtrisons pas, au lieu de reconnaître l’efficacité de la réduction de la vitesse qui agit sur tous les facteurs de risque. » (Professeur Claude Got, "Le Monde" du 4 juillet 2020).


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Connu comme l’aiguillon qui, sans cesse, depuis cinquante ans, réclame aux gouvernements successifs des mesures efficaces pour réduire la mortalité routière, le professeur Claude Got est un professeur de médecine spécialisé en accidentologie. Comme pour l’épidémiologie, l’accidentologie est une discipline scientifique qui requiert de bonnes connaissances en science statistique pour faire des analyses sans biais. Accidentologue, c’est un métier, comme épidémiologiste du reste, mais beaucoup de Français se sentent capables d’être l’un et l’autre, parfois en ne comprenant pas que le "bon sens" n’est pas forcément un gage de vérité.

Après avoir annoncé, en novembre 2012, l’objectif de descendre en dessous des 2 000 morts sur la route par an, d’ici à l’année 2020, le Président François Hollande n’a pas su mettre en place les moyens pour atteindre cet objectif (on en est loin). Il a fallu attendre le comité interministériel de sécurité routière du 9 janvier 2018 et le courage du Premier Ministre d’alors, Édouard Philippe, pour prendre la seule mesure qui pouvait réduire singulièrement la mortalité routière : la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie et en double sens. Cette mesure est entrée en application le 1er juillet 2018.

Cette mesure a été l’objet d’oppositions souvent mensongères qui mêlaient pêle-mêle l’amour de la "bagnole" à "vile allure" (une voiture sert avant tout à se déplacer, pas à se faire plaisir avec des sensations plus dangereuses que responsables), postures politiciennes (c’était un bon moyen pour la droite parlementaire de trouver un angle d’attaque contre le Président Emmanuel Macron), oppositions supposées entre le rat des champs et le rat des villes et même une mauvaise interprétation du mouvement des gilets jaunes (son déclencheur était le prix du carburant à la pompe et les nouvelles taxes carbone qui allaient entrer en application).

Néanmoins, à cause de la crise des gilets jaunes, le Président Emmanuel Macron a accepté le 25 avril 2019 d’édulcorer la mesure des 80 km/h, notamment en prenant au mot les différents responsables des exécutifs locaux qui se scandalisaient d’une mesure générale sur tout le territoire national sans prendre en compte les spécificités locales. Pourtant, à ma connaissance, la sécurité est une compétence on-ne-peut-plus régalienne et on n’imaginerait pas des mesures non nationales pour lutter contre le terrorisme et même pour lutter contre la pandémie de coronavirus (confinement et obligation de porter des masques sont des mesures, elles aussi, nationales).

Par cette part de démagogie présidentielle, la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 autorise ainsi les collectivités territoriales à relever la vitesse moyenne autorisée (VMA) à 90 km/h sous certaines conditions, démagogie et peut-être habileté "diabolique", puisque cela revient à donner aux responsables locaux, plus particulièrement aux présidents des conseils départementaux la lourde responsabilité de faire remonter la mortalité routière dans leur département (les familles de victimes leur en sauront gré).

Le professeur Claude Got n’y va d’ailleurs pas légèrement quand il critique ce retour de mesure : « Quand un président de département utilise la qualité d’une infrastructure pour justifier le retour à 90, il exprime son incompétence. ». On ne s’improvise effectivement pas accidentologue. Le facteur à risque sur les routes à une voie et à double sens, ce n’est pas leur état (bon ou mauvais) mais surtout la densité de la circulation. Plus il y a de circulation, plus il y a de risque d’accidents.

Ainsi, une petite route de montagne en très mauvais état (plein de trous) a paradoxalement peu de risque d’accidents parce que les automobilistes font attention, tandis que les grands axes, surtout lorsqu’ils sont rectilignes, utilisés pour des traversées nationales, et donc bien entretenus, sont au contraire très accidentogènes. C’est un constat depuis une cinquantaine d’années. On voit que le prétendu "bon sens" est difficilement le critère à prendre en compte lorsqu’on veut faire des analyses pertinentes. (Il y a plein de "bon sens" qui va à l’encontre de la réalité, je cite un autre que je n’approfondirai pas : la traversée de village en pleine nuit est paradoxalement plus sûre lorsque l’éclairage urbain est éteint que le contraire).

Les statistiques sont assez claires : en 2016, 2 188 personnes sont morts sur ces routes du réseau national et départemental, hors agglomérations et hors autoroutes (je l’appelle le "réseau bidirectionnel" lorsqu’il n’y a qu’une voie), ce qui est beaucoup plus que nos voisins (pour la même année, 1 546 en Italie, 1 163 en Allemagne, 1 096 au Royaume-Uni et 964 en Espagne). Alors que 80% de la population habite dans une agglomération urbaine, 63% de la mortalité routière est sur les routes hors agglomérations et hors autoroutes, dont 90% sur les "routes bidirectionnelles" (je garderai cette expression pour parler des routes à une voie et à deux sens).

Le "réseau bidirectionnel" représente environ un quart des accidents corporels alors qu’on y déplore près des deux tiers des tués. Dans le réseau principal (routes nationales et départementales), 10% du linéraire a représenté 38% des tués entre 2015 et 2017, et 30% du linéaire 64% des tués. Cela montre qu’il y avait quelque chose à faire pour réduire cette mortalité précisément.

La réduction de la vitesse réduit le nombre d’accidents corporels, c’est une évidence, c’est la simple application du premier principe de thermodynamique. L’énergie cinétique est proportionnelle au carré de la vitesse (j’insiste sur le carré), et c’est la dissipation de l’énergie qui fait les dégâts dans les accidents. Plus la vitesse est réduite, plus l’énergie cinétique est réduite, mais au carré, donc beaucoup plus réduite. Ce qui compte, c’est la vitesse au moment de l’accident, et la distance de freinage est donc une donnée essentielle, qui est réduite quand la vitesse est réduite. On peut évidemment raisonner par l’absurde et aller à la limite, c’est-à-dire, à vitesse nulle, qui entraînerait une mortalité nulle.

Tout le problème des pouvoirs publics est de trouver le juste équilibre entre garantir la meilleure sécurité routière possible et garantir, en même temps, la liberté de circulation. Il n s’agit donc pas d’interdire les trajets automobiles, mais de trouver ce point d’équilibre qui permet d’optimiser la sécurité routière sans entraîner des désagréments (économiques) trop forts dans les transports. Or, la mesure de 2018 était considérée comme mauvaise sous prétexte qu’elle allait allonger la durée des trajets. Nous allons voir que cette idée est vraie en absolu, mais cet allongement est tellement négligeable qu’il ne doit pas être pris en compte.

Le 20 juillet 2020, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) a publié un intéressant rapport du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), le rapport final d’évaluation sur l’abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h (qu’on peut télécharger ici). En raison de la crise sanitaire et du confinement, les données sur les déplacements à partir de mars 2020 n’ont pas été pris en compte et donc, les statistiques n’ont pris en compte que l’impact de la mesure des 80 km/h entre le 1er juillet 2018 et le 29 février 2020.


Mortalité : 349 vies épargnées

La donnée la plus importante concerne le nombre de morts sur les routes. Et il apparaît que la mesure des 80 km/h a sauvé 349 vies humaines en 20 mois. Cela peut être considéré comme faible (certains s’attendaient à plus, moi notamment), on pourra donner d’ailleurs une explication à partir de la vitesse, mais cette baisse est significative, et d’ailleurs, une seule vie humaine aurait été sauvée qu’elle aurait méritée de l’être, puisque c’était de la responsabilité des pouvoirs publics.

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Pour faire ce calcul du nombre de vies sauvées, il a été fait la moyenne de la mortalité pour chaque semestre (le premier et le second) entre 2013 et 2017 et sa différence avec la moyenne entre 2018 et 2020. Sur le réseau des routes bidirectionnelles, 249 vies ont donc été épargnées entre juillet 2018 et février 2020, tandis que sur le reste du réseau (autoroutes et agglomérations), au contraire, il y a eu une augmentation de 48 morts sur la route. Comme la mesure ne s’est focalisée que sur le réseau bidirectionnel, il est donc notable qu’il y a eu un impact. Il est intéressant également de savoir qu’il n’y a pas eu de baisse significative du nombre d’accidents corporels sur ce réseau, mais leur gravité est plus faible en raison de cette baisse de mortalité (ce qui n’est pas étonnant avec une vitesse plus faible). Ainsi, il s’agit d’une baisse de l’ordre de 10% du taux de gravité des accidents (nombre de tués par accidents corporels, passant de 15,2 tués pour 100 accidents à 13,7 tués pour 100 accidents), tandis que sur le reste du réseau, la gravité a augmenté de 1% (2,9 tués pour 100 accidents à 3,1 tués pour 100 accidents).

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L’évolution de la mortalité cumulée sur douze mois glissants entre 2016 et 2020 montre le même résultat, à savoir une baisse de la mortalité sur le réseau bidirectionnel et une augmentation sur le reste du réseau. Cette courbe (ci-dessus) est assez frappante par sa clarté.


Vitesse : une baisse de 3,5 km/h pour les véhicules légers

Une autre donnée concerne la vitesse réellement pratiquée, en d’autres termes, est-ce que l’abaissement de la VMA (vitesse maximale autorisée) a été suivi des faits ? Les vitesses ont été observées à partir de 143 millions de passages de véhicules, dans des zones éloignées des radars sur des lieux sans contraintes pour observer des vitesses libres.

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Les comparatifs des vitesses réellement pratiquées entre juin 2018 (avant la mesure) et décembre 2019 sont également assez nets : une baisse en moyenne de 3,5 km/h pour les voitures et de 1,8 km/h pour les camions.

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Cependant, il y a encore des améliorations possibles. D’une part, la tendance semble aller, en décembre 2019, vers un léger relâchement vers des vitesses moyennes plus élevées (mais beaucoup moins qu’avant la mesure), et il reste quand même 58% des automobilistes qui roulent à plus de 80 km/h dont 35% entre 80 et 90 km/h et 23% au-delà de 90 km/h. C’est dans le meilleur respect de la limitation qu’il y a une marge de progression. Le rapport du Cerema insiste d’ailleurs là-dessus : « La mesure n’a pas encore pleinement atteint les effets escomptés. (…) La littérature indique que ces excès de vitesse inférieurs à 10 km/h sont principalement perçus par les usagers comme peu dangereux et peu répréhensibles, alors qu’ils jouent un rôle important dans la mortalité routière française. Des marges de progrès sur le respect de la vitesse demeurent donc. ».


Profils de vitesses comparées en cas de freinage d’urgence (pour un véhicule de 1,5 tonne) :

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La distance de freinage est intéressante aussi à montrer. À 90 km/h, cette distance est de 82 mètres pour un véhicule donné, et, pour un même temps de réaction du conducteur (une seconde et demie), lorsque le véhicule est à 80 km/h, la distance est de 69 mètres. On comprend que si l’obstacle (un camion qui arrive d’une sortie d’atelier par exemple) survient à entre 69 et 82 mètres du conducteur, la vitesse initiale aura un enjeu crucial et à faible allure, l’accident pourra être évité. Ces 13 mètres font toute la différence entre l’hôpital et le morgue.

Par ailleurs, les observations du rapport ont montré que les poids lourds ne circulent pas plus près des autres véhicules et que la mesure n’a pas eu d’impact sur la constitution des pelotons de véhicules.


Temps de parcours : très faible allongement (de l’ordre de la seconde au kilomètre)

La principale raison des protestations contre la mesure des 80 km/h était qu’elle allait augmenter la durée des trajets, ce qui serait notable pour les personnes habitant en zones rurales. Là encore, le "bon sens" a été trahi par la réalité. D’une part, les habitants des agglomérations mettent beaucoup plus de temps au kilomètre pour se rendre à leur lieu de travail en raison des bouchons. D’autre part, même à 90 km/h, il existe de nombreuses causes de réduction de vitesse en zone rurale, les ronds-points, stops, poids lourds qu’on ne peut pas doubler, etc. Si bien que l’abaissement à 80 km/h a eu un très faible impact sur la durée totale du trajet.

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Un certain nombre de calculs ont été faits, notamment en utilisant l’algorithme de Google Maps en juin 2018 et en juin 2019. Des traçage GPS ont aussi été réalisés. Il en ressort que l’allongement du temps de parcours est de l’ordre de la seconde au kilomètre, avec quelques disparités. Ainsi, la mesure des 80 km/h a allongé le temps de parcours d’environ 2 secondes par kilomètre le week-end et beaucoup moins en semaine (l’absence de bouchons des entrées et sorties de bureau doit y être pour quelque chose). Certains temps de parcours sont parfois plus courts avec les 80 km/h car la mesure a fluidifié le trafic.


Bilan socio-économique positif : +800 millions d’euros chaque année

Les calculs prennent en compte tous les impacts économiques de la mesure des 80 km/h pour une année. En négatif, l’augmentation de la durée des parcours a été estimée à 800 millions d’euros. En positif, les gains sur les coûts des accidents a été estimé à 1,2 milliard d’euros, la réduction des émissions de CO2 (très faible) estimée à 60 millions d’euros et les réductions de la consommation des carburants estimées à 300 millions d’euros.

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Bien que favorable, ce bilan est sans doute le plus décevant de toutes ces données, avec surtout le faible impact écologique sur les émissions carbone.


Acceptabilité des 80 km/h : en nette augmentation

Là encore, l’évolution était prévisible. L’acceptabilité se mesure par des enquêtes d’opinion, ici réalisées sur des échantillons de 3 800 à 5 310 personnes de plus de 18 ans représentatives de la population française, soit beaucoup plus gros que les échantillons généralement utilisés par les instituts de sondages.

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Il ressort que si, juste avant l’application de la mesure, en avril 2018, seulement 30,3% des sondés étaient plutôt favorables ou tout à fait favorables à la mesure, l’acceptabilité n’a jamais cessé de progresser au fil du temps, 39,5% en mars 2019, 41,8% en octobre 2019 et 48,0% en juin 2020, soit presque la majorité absolue. De même, si l’on prend les personnes tout à fait opposées à la mesure (c’est-à-dire les "irréductibles"), ils sont en nette baisse, de 39,8% en avril 2018, à 25,3% en mars 2019, 23,2% en octobre 2019 et 20,0% en juin 2020 (moitié moindres !).

Ce n’est pas étonnant. Toutes les grandes mesures "singulières" de la sécurité routière ont subi ce genre de phénomène : forte opposition initiale, et par la suite, acceptation, avec baisse drastique de ceux qui sont absolument contre. Ce fut le cas notamment pour l’obligation de la ceinture de sécurité, le permis à points, l’installation des radars automatiques. Il faut noter d’ailleurs la différence entre l’opinion et la pratique : s’il n’y avait que 30% personnes favorables à ma mesure en avril 2018, ils étaient déjà 77% prêtes à l’appliquer le cas échéant (on peut être contre mais respecter la loi).

Autre chose intéressante dans ces enquêtes d’opinion, la grande différence entre les hommes et les femmes : les femmes acceptent beaucoup mieux les 80 km/h que les hommes. Elles étaient 32,6% a être plutôt favorables ou tout à fait favorables à la mesure en avril 2018 (contre 27,7% pour les hommes) et 53,2% en juin 2020 (44,1% pour les hommes). A contrario, en juin 2020, seulement 13,5% des femmes étaient tout à fait opposées à la mesure (25,2% des hommes).


Édouard Philippe a eu le courage politique d’une mesure impopulaire

Évincé de Matignon le 3 juillet 2020, Édouard Philippe pourra donc se consoler de ce rapport confirmant l’intérêt de la mesure des 80 km/h, comme une sorte de réhabilitation personnelle sur une mesure qui a suscité beaucoup plus de polémiques que nécessaires,  avec un soutien assez distant du Président Emmanuel Macron.

En termes de gouvernance, c’est un bon exemple de vision de la société hors de tout suivisme : les dirigeants politiques doivent-ils guider le peuple vers des projets ambitieux ou simplement suivre "l’opinion publique" (par ailleurs très fluctuante) ? À l’évidence, un homme d’État est plutôt de la première catégorie, les seconds, on les appellent au mieux démagogues au pire populistes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Rapport final d’évaluation sur l’abaissement de la VMA à 80 km/h par le Cerema le 20 juillet 2020 (à télécharger).
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.
Les gilets jaunes ?
Alcool au volant : tolérance zéro ?
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Le vandalisme des radars par les gilets jaunes coûte cher en vies humaines.
80 km/h : 116 vies humaines sauvées en 6 mois.
Vers la suppression de la limitation à 80 km/h ?
80 km/h : 65 vies déjà sauvées en deux mois ?
L’efficacité de la limitation à 80 km/h.
Guide argumentaire sur la limitation à 80 km/h sur les routes à une voie.
Décret n°2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules (à télécharger).
Rapports sur l’expérimentation de la baisse à 80 km/h (à télécharger).
Documentation sur la sécurité routière (à télécharger).
Argumentaire sur la sécurité routière du professeur Claude Got (à télécharger).
La nouvelle réglementation sur les routes à une voie.
Le nouveau contrôle technique automobile.
Sécurité routière : les nouvelles mesures 2018.
La limitation de la vitesse à 80 km/h.
Documentation à télécharger sur le nouveau contrôle technique (le 20 mai 2018).
Documents à télécharger à propos du CISR du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 2 octobre 2015.
Documents à télécharger à propos du CISR du 2 octobre 2015.
Cazeneuve, le père Fouettard ?
Les vingt-six précédentes mesures du gouvernement prises le 26 janvier 2015.
Comment réduire encore le nombre de morts sur les routes ?
La mortalité routière en France de 1960 à 2016.
Le prix du gazole en 2008.
La sécurité routière.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.
Frédéric Péchenard.
Circulation alternée.
L’écotaxe en question.
Ecomouv, le marché de l’écotaxe.
Du renseignement à la surveillance.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200720-securite-routiere-qh.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/80-km-h-le-bilan-2018-2020-tres-225937

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/23/38444387.html




 

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20 juillet 2020 1 20 /07 /juillet /2020 01:38

Le Cerema a publié le 20 juillet 2020 son rapport final d'évaluation de l'abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur le réseau des routes bidirectionnelles. Ce rapport peut être téléchargé sur le site de la Sécurité routière.

Cliquer sur le lien correspondant pour télécharger le rapport souhaité (en fichier .pdf).

Rapport complet :
http://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/sites/default/files/2020-07/Cerema-EvaluationV80-Juillet2020-Vdef3.pdf

Présentations (slides) du rapport :
http://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/sites/default/files/2020-07/2020%2007%2020%20Pr%C3%A9sentation%20ONISR%20du%20bilan%20final%20Cerema%20du%2080%20v2.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200720-securite-routiere-qh.html

SR
http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20200720-rapport-cerema-80-kmh.html

 

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20 novembre 2019 3 20 /11 /novembre /2019 03:55

« Je pense que lorsqu’on conduit, on ne doit pas boire, c’est aussi simple que ça. (…) Je pense qu’on peut faire la fête et qu’on peut boire des coups, et boire du vin français, des vins d’excellence. Je pense que c’est très bon, mais lorsqu’on boit, on ne conduit pas. » (Didier Guillaume, le 17 novembre 2019 sur LCI).


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Boire ou conduire, il faut choisir. Invité le dimanche 17 novembre 2019 du "Grand Jury" de RTL, "Le Figaro", TF1/LCI, le Ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a affirmé soutenir l’interdiction totale de l’alcool pour les conducteurs.

Je "rassure" tout de suite les éventuels lecteurs inquiets qui seraient conducteurs et buveurs (de seulement un ou deux verres alcoolisés) : Matignon a affirmé, dès le lendemain, le 18 novembre 2019, qu’il n’était pas question d’adopter la mesure proposée par Didier Guillaume.

Néanmoins, il est intéressant d’évoquer cette mesure.

D’abord, parce qu’elle est très étonnante venant d’un Ministre de l’Agriculteur en général, souvent gagné par la cause des viticulteurs, et de Didier Guillaume en particulier, qui avait montré un grand soutien à ces viticulteurs, au point de faire une différenciation, comme il l’a fait le 16 janvier 2019 sur BFM-TV : « Le vin n’est pas un alcool comme les autres. » en ajoutant : « L’addiction à l’alcool est dramatique, et notamment dans la jeunesse, avec le "binge drinking", etc. C’est dramatique mais je n’ai jamais vu, à ma connaissance, malheureusement peut-être, un jeune qui sort de boîte de nuit, et qui est saoul parce qu’il a bu du Côtes-de-Rhône, du Crozes-hermitage, du Bordeaux, jamais ». Propos qui ont provoqué des remous, notamment chez les médecins qui luttent contre l’alcoolisme.

À l’époque, il avait confirmé ses propos le 23 janvier 2019 sur Europe 1 : « J’assume ce que j’ai dit et en même temps, je veux lutter contre l’alcoolisme, contre l’addictologie [sic]. (…) Il n’y a pas de débat, la position du gouvernement est de lutter contre l’alcoolisme. (…) Il y a un grand plan de lutte contre l’alcoolisme qui a lieu (…). La filière viticole en fait partie, travaille avec les ministères de l’agriculture et de la santé. (…) Je n’incite pas du tout les jeunes à boire, je veux lutter contre l’alcoolisme, mais c’est une réalité, il y a une viticulture en France, c’est ce qui fait notre force et c’est ce qui fait l’excédent de notre balance commerciale. ».

Cette dernière déclaration avait suivi un recadrage le 18 janvier 2019 par la Ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn qui avait rappelé que l’alcool tuait 50 000 personnes en France et que c’était « la même molécule dans le vin que dans n’importe quel autre alcool ». Ce à quoi Didier Guillaume avait répondu étrangement : « Une molécule de vin et de whisky a le même degré d’alcool, mais je ne bois pas des molécules, je bois des verres. ».

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Ensuite, parce que cette mesure de rabaisser le seuil au taux zéro n’est pas nouvelle. En Europe, plusieurs pays ont déjà adopté ce taux zéro : la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie. La Pologne, l’Estonie, la Suède et la Norvège sont à 0,2 g/l (l’Estonie est particulièrement sévère avec 677 contrôles d’alcoolémie pour 1 000 habitants en 2015). Seuls Malte et le Royaume-Uni sont restés à 0,8 g/l (sauf l’Écosse à 0,5 g/l).


L’alcool tue beaucoup sur la route (au moins 747 personnes tuées en 2018)

La raison d’un abaissement du taux limite est évidente : il s’agit de réduire la mortalité routière. L’alcool est la deuxième cause de mortalité routière en France, après la vitesse excessive ou inadaptée. C’est la première cause de mortalité dans les accidents dont les auteurs présumés ont entre 35 et 44 ans.

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Selon le bilan de l’ONISR (Observatoire national interministériel de la sécurité routière) publié le 29 mai 2019 pour l’année 2018, l’alcool a été responsable de 18% des accidents mortels et les stupéfiants 9% des accidents mortels.

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En 2018, il y a eu 5 398 accidents corporels dus à l’alcool qui ont tué au moins 747 personnes (dont 494 conducteurs alcoolisés) et blessé au moins 7 202 personnes (dont 3 295 conducteurs alcoolisés). Pour rappel, en tout, il y a eu 3 488 personnes tuées sur la route en 2018, mais seulement 2 462 personnes tuées sur la route dont on connaît l’alcoolémie des auteurs présumés de l’accident, ce qui fait que l’alcool au volant est la cause de 30,3% des personnes tuées sur la route. Cette part de mortalité est stable depuis 2000 malgré la baisse globale de la mortalité, mais elle grimpe à 50% lorsque l’accident a lieu la nuit (à 56% lorsque c’est en plus le week-end).

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Parmi les personnes tuées dans les accidents avec alcool, 66% sont les conducteurs alcoolisés, 14% les passagers du véhicule avec conducteur alcoolisé, 16% des usagers d’un véhicule tiers et enfin, 4% de piétons.

En moyenne, le risque d’être responsable d’un accident mortel est multiplié par 18 chez les conducteurs alcoolisés (multiplié par 6,4 pour un taux entre 0,5 et 0,8 g/l, par 8,3 entre 0,8 et 1,2 g/l, par 24,4 entre 1,2 et 2,0 g/l et par 44,4 au-dessus de 2,0 g/l). Les accidents corporels avec un conducteur alcoolisé sont plus graves que les autres puisque 13% sont mortels au lieu de 5% sans conducteur alcoolisé.


La loi actuelle

Actuellement, le seuil légal d’alcoolémie est de 0,5 gramme d’alcool par litre de sang (0,25 milligramme d’alcool par litre d’air expiré), sauf pour les nouveaux conducteurs pour lesquels le seuil a été abaissé en 2015 à 0,2 gramme d’alcool par litre de sang. [Insistons sur le vocabulaire : évitons l’emploi de l’expression "taux d’alcoolémie" qui ne veut rien dire puisque "alcoolémie" veut dire "taux d’alcool"].

Concrètement, un verre de vin, de bière ou de vodka, dosé par un bar correspond à un taux d’alcool dans le sang d’environ 0,20 à 0,25 g/l : « Ce taux peut augmenter en fonction de l’état de santé, le degré de fatigue ou de stress, mais aussi le tabagisme, ou simplement les caractéristiques physiques de la personne : pour les plus minces, chaque verre peut représenter un taux d’alcool de 0,30 g/l. » (Sécurité routière). De plus, des verres servis chez des amis sont plus remplis que dans un débit de boisson commercial, augmentant d’autant le taux d’alcool. Le taux est au sommet dans le sang un quart d’heure après absorption à jeun et une heure en cas de repas. La baisse du taux est assez lente, en moyenne de 0,10 à 0,15 g/l en une heure, selon la Sécurité routière.

Les sanctions sont importantes en cas de contrôle : entre 0,5 et 0,8 g/l, l’amende est de 135 euros avec un retrait de six points du permis de conduire (pour le jeune conducteur, cela signifie le retrait du permis de conduire) ; si l’alcoolémie est supérieure à 0,8 g/l, l’amende peut monter jusqu’à 4 500 euros, avec deux ans de prison et une suspension ou annulation du permis de conduire.


Pas si simple que cela

Interdire purement et simplement de boire de l’alcool avant de conduire serait une mesure très simple que certains conducteurs appliquent déjà pour eux-mêmes : c’est assez compliqué de calculer le volume exact de quelques boissons durant un repas pour rester dans la légalité. Aucun verre, c’est simple, net et précis. D’autant plus que certaines personnes supportent moins bien l’alcool que d’autres, pour la même quantité.

Mais cette simplification n’est pas si simple que cela. Parce que zéro ne signifie rien, les appareils de mesure doivent avoir une marge d’erreur. Or, avoir quelques centièmes de gramme d’alcool par litre de sang peut être possible pour diverses raisons (il y en a dans certains médicaments, aliments, etc.). Et il ne sert à rien d’augmenter les contraintes s’il n’y a pas plus de contrôles sur la route.

Anne Lavaud, déléguée générale de la Prévention routière, interrogée par "Ouest France" le 18 novembre 2019, est opposée à cette mesure : « Le taux zéro n’est pas réaliste ni efficient. (…) On est pragmatique. Il faudrait un déploiement de contrôles très important en parallèle. Or, aujourd’hui, alors que les contrôles d’alcoolémie existent, le sentiment généralisé des Français est qu’ils peuvent conduire toute une vie sans souffler dans l’éthylotest. Ca ne sert à rien de miser encore davantage sur le répressif. ». C’est un fait que je ressens personnellement : de toute ma carrière d’automobiliste, je n’ai subi qu’un seul contrôle d’alcoolémie. C’est inconcevable quand on veut agir contre ce phénomène si prégnant dans la société.

Anne Lavaud serait plutôt favorable à la généralisation de l’obligation d’installer un éthylotest anti-démarrage sur les voitures neuves (ce qui ferait qu’en dix ans, plus de la moitié du parc automobile en serait équipé). C’est une technologie déjà obligatoire pour les transports scolaires depuis 2015 et plutôt efficace.

Alors, pourquoi le ministre Didier Guillaume a-t-il pris une position très strict sur l’alcool au volant ? À mon avis, c’était une manière de se dédouaner des propos très polémiques du début de l’année qui laissaient entendre qu’il préférait promouvoir le vin français, un produit français comme un autre, à préserver la santé des Français. En surprenant ainsi ses interlocuteurs, Didier Guillaume a rappelé que dans ses priorités, la santé publique est évidemment bien plus importante que l’économie nationale. Ouf !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 novembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Les trois illustrations statistiques sont issues du Bilan 2018 de la sécurité routière par l’ONISR, Observatoire national interministériel de la sécurité routière.


Pour aller plus loin :
Alcool au volant : tolérance zéro ?
80 km/h : le recul irresponsable adopté par les sénateurs.
Le vandalisme des radars par les gilets jaunes coûte cher en vies humaines.
80 km/h : 116 vies humaines sauvées en 6 mois.
Vers la suppression de la limitation à 80 km/h ?
Les gilets jaunes ?
80 km/h : 65 vies déjà sauvées en deux mois ?
L’efficacité de la limitation à 80 km/h.
Guide argumentaire sur la limitation à 80 km/h sur les routes à une voie.
Décret n°2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules (à télécharger).
Rapports sur l’expérimentation de la baisse à 80 km/h (à télécharger).
Documentation sur la sécurité routière (à télécharger).
Argumentaire sur la sécurité routière du professeur Claude Got (à télécharger).
La nouvelle réglementation sur les routes à une voie.
Le nouveau contrôle technique automobile.
Sécurité routière : les nouvelles mesures 2018.
La limitation de la vitesse à 80 km/h.
Documentation à télécharger sur le nouveau contrôle technique (le 20 mai 2018).
Documents à télécharger à propos du CISR du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 2 octobre 2015.
Documents à télécharger à propos du CISR du 2 octobre 2015.
Cazeneuve, le père Fouettard ?
Les vingt-six précédentes mesures du gouvernement prises le 26 janvier 2015.
Comment réduire encore le nombre de morts sur les routes ?
La mortalité routière en France de 1960 à 2016.
Le prix du gazole en 2008.
La sécurité routière.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.
Frédéric Péchenard.
Circulation alternée.
L’écotaxe en question.
Ecomouv, le marché de l’écotaxe.
Du renseignement à la surveillance.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20191117-securite-routiere-qg.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/alcool-au-volant-tolerance-zero-219382

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/11/19/37801613.html



 

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